Cour constitutionnelle
Arrêt n° 95/2023
du 15 juin 2023
Numéro du rôle : 7845
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968
« relative à la police de la circulation routière », posées par le Tribunal de première instance du Limbourg, division de Hasselt.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par jugement du 22 juillet 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 1er août 2022, le Tribunal de première instance du Limbourg, division de Hasselt, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1. L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, dans sa version applicable depuis la loi du 28 novembre 2021 visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme (MB du 30 novembre 2021), viole-t-il les dispositions relatives aux droits et libertés fondamentaux garantis par le titre II de la Constitution (en particulier ses articles 10, 11 et 13), l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans l’interprétation selon laquelle cette disposition permet que le justiciable, en introduisant une demande de recours contre un ordre de paiement qui lui a été imposé par le ministère public, engage nécessairement l’action publique contre lui-même ?
2. L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, dans sa version applicable depuis la loi du 28 novembre 2021 visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme (MB du 30 novembre 2021), viole-t-il les articles 10 et 11
de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que, sur le plan des modes alternatifs de règlement des infractions, les
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justiciables auxquels le ministère public a imposé un ordre de paiement - ce qui ne constitue pas une peine au sens de l’article 1er du Code pénal - et qui souhaitent contester les faits sous-jacents à cet ordre de paiement, doivent nécessairement engager l’action publique contre eux-mêmes, alors que les justiciables auxquels le ministère public a proposé une transaction - ce qui ne constitue pas davantage une peine au sens de l’article 1er du Code pénal - peuvent contester les faits sous-jacents à cette transaction simplement en ne payant pas la proposition transactionnelle et, par conséquent, sans nécessairement devoir, à cette fin, engager l’action publique contre eux-mêmes ?
3. L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, dans sa version applicable depuis la loi du 28 novembre 2021 visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme (MB du 30 novembre 2021), viole-t-il les articles 10 et 11
de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que les justiciables auxquels le ministère public a imposé un ordre de paiement et qui souhaitent contester les faits sous-jacents à cet ordre de paiement doivent nécessairement engager l’action publique contre eux-mêmes, alors que les justiciables auxquels le ministère public n’a pas imposé ou n’a pas pu imposer d’ordre de paiement peuvent contester les faits qui leur sont reprochés sans nécessairement devoir, à cette fin, engager l’action publique contre eux-mêmes ?
4. L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, dans sa version applicable depuis la loi du 28 novembre 2021 visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme (MB du 30 novembre 2021), viole-t-il les articles 10 et 11
de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que, dans l’hypothèse où un justiciable auquel le ministère public a imposé un ordre de paiement souhaite introduire un recours contre cet ordre, pour en contester les faits, engageant ainsi l’action publique contre lui-même, la prescription de l’action publique est suspendue pendant la procédure devant le tribunal, à savoir à partir de l’introduction du recours jusqu’au jour du jugement définitif, alors que dans l’hypothèse où un justiciable auquel le ministère public n’a pas imposé ou n’a pas pu imposer d’ordre de paiement se trouve confronté à une action publique engagée par le ministère public, la prescription de l’action publique ne fait pas l’objet d’une suspension analogue pendant la procédure devant le tribunal ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Ronse et Me T. Quintens, avocats au barreau de Flandre occidentale, a introduit un mémoire.
Par ordonnance du 12 avril 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 26 avril 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 26 avril 2023.
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Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le litige au fond concerne une personne qui, pour avoir commis une infraction routière, a reçu une proposition de perception immédiate d’une certaine somme, et s’est ensuite vu adresser une proposition de transaction. Aucune suite n’ayant été donnée à ces propositions, le ministère public a adressé à cette personne un ordre de paiement d’une certaine somme, en application de l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968).
Conformément à l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, l’intéressé a introduit un recours contre cet ordre de paiement devant le Tribunal de police d’Anvers, division d’Anvers, lequel a déclaré le recours recevable et dit pour droit que l’ordre de paiement est réputé non avenu. Le ministère public a interjeté appel de ce jugement devant le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, qui a déclaré cet appel recevable, mais non fondé. Le ministère public a ensuite introduit contre ce jugement un pourvoi en cassation. Après que la Cour de cassation a cassé le jugement du Tribunal de première instance par arrêt du 1er juin 2021, l’affaire a été renvoyée devant le Tribunal de première instance du Limbourg, division de Hasselt, lequel a jugé qu’avant de statuer sur le fond de l’affaire, il s’indiquait de poser à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. Selon le Conseil des ministres, par sa première question préjudicielle, la juridiction a quo souhaite en substance savoir si la disposition en cause est compatible avec le droit à un procès équitable, en ce que le recours que le justiciable introduit contre un ordre de paiement a pour effet d’engager l’action publique contre lui-même.
Le Conseil des ministres est d’avis que cette question appelle une réponse négative.
A.1.2. L’ordre de paiement a pour objectif, selon le Conseil des ministres, d’éviter que des amendes demeurent impayées et que les parquets soient surchargés par des amendes de roulage en souffrance. Il souligne qu’un ordre de paiement est précédé d’une proposition de perception immédiate, d’un rappel relatif à cette proposition ainsi que d’une proposition de transaction, et qu’à l’occasion de ces propositions, le justiciable a systématiquement la possibilité de mettre un terme à l’action publique dirigée contre lui. Il estime que si le contrevenant laisse les choses aller tellement loin qu’il se voit signifier un ordre de paiement parce qu’il a négligé de payer l’amende, c’est à l’intéressé qu’il revient de choisir librement d’introduire ou non un recours contre cet ordre de paiement conformément à la disposition en cause. Selon le Conseil des ministres, cette procédure de recours n’est pas contraire au droit à un procès équitable, dès lors qu’au cours de cette procédure, l’intéressé dispose de tous les droits garantis par l’article 13 de la Constitution, par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il souligne encore que le requérant a toujours la possibilité de se désister de son recours contre l’ordre de paiement et que l’article 147 du Code d’instruction criminelle prévoit lui aussi une procédure par laquelle une personne enclenche l’action publique contre elle-même.
A.2.1. Selon le Conseil des ministres, par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction a quo suggère l’existence d’une différence de traitement injustifiée entre, d’une part, les personnes qui se voient proposer une transaction et qui peuvent contester les faits à l’origine de cette transaction sans devoir engager l’action publique contre elles-mêmes et, d’autre part, les personnes qui reçoivent un ordre de paiement et qui ne peuvent contester les faits à l’origine de cet ordre de paiement qu’en introduisant un recours devant un juge qui examinera l’affaire quant au fond. Le Conseil des ministres estime que cette question appelle elle aussi une réponse négative.
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A.2.2. Selon le Conseil des ministres, il n’y a aucune différence de traitement dans la deuxième question préjudicielle, dès lors que le justiciable qui reçoit un ordre de paiement a préalablement déjà reçu une proposition de transaction, à l’occasion de laquelle il a eu la possibilité de contester les faits sous-jacents sans l’intervention d’un juge. En ce qui concerne le droit à un procès équitable, le Conseil des ministres renvoie à son argumentation relative à la première question préjudicielle.
A.3.1. Le Conseil des ministres estime que la troisième question préjudicielle présente une grande similitude avec la deuxième question et il est d’avis que cette question appelle elle aussi une réponse négative.
A.3.2. Selon le Conseil des ministres, il n’existe aucune différence de traitement injustifiée entre les personnes selon qu’elles ont reçu un ordre de paiement ou non, puisque les personnes qui reçoivent un ordre de paiement ont eu à plusieurs reprises, avant de recevoir cet ordre, la possibilité de contester les faits à l’origine de celui-ci sans mettre en mouvement l’action publique. En ce qui concerne le droit à un procès équitable, le Conseil des ministres renvoie à son argumentation relative à la première question préjudicielle.
A.4.1. Selon le Conseil des ministres, par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction a quo souhaite savoir si la disposition en cause viole le principe d’égalité et de non-discrimination ainsi que le droit à un procès équitable, en ce que l’introduction d’un recours contre un ordre de paiement a pour effet de suspendre la prescription de l’action publique jusqu’au jour du jugement définitif sur ce recours, alors qu’une telle suspension du délai de prescription ne s’applique pas lorsqu’aucun ordre de paiement n’a été donné. Il estime que cette question appelle elle aussi une réponse négative.
A.4.2. Le Conseil des ministres fait valoir que c’est au législateur qu’il appartient de fixer les délais de prescription et que la Cour reconnaît que celui-ci dispose d’un large pouvoir d’appréciation en la matière. Il souligne que la prescription de l’action publique est, selon l’article 24 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, suspendue lorsque la loi le prévoit, et que la disposition en cause organise une telle suspension légale de l’action publique. Il estime que la suspension du délai de prescription vise en l’espèce à éviter que le contrevenant fasse un usage abusif de la procédure de recours afin d’obtenir la prescription de l’action publique. Il renvoie à l’arrêt de la Cour n° 165/2015 du 19 novembre 2015 (ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.165) et en déduit que le législateur peut mettre un terme aux manœuvres dilatoires de certains inculpés et prévenus et intervenir, par l’introduction de causes de suspension, contre l’impunité des personnes qui utilisent de telles manœuvres. Le Conseil des ministres estime qu’il n’y a donc aucune violation du droit à un procès équitable. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’est pas davantage violé, selon lui, dès lors que, de toute évidence, les contrevenants qui ne reçoivent aucun ordre de paiement ne peuvent pas introduire de recours contre un tel ordre, ni par conséquent faire un usage abusif de la procédure destinée à obtenir la prescription de l’action publique.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968) porte sur l’ordre de paiement que le procureur du Roi peut, sous certaines conditions, donner à des personnes pour avoir commis une infraction de roulage.
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Cet article, tel qu’il a été modifié en dernier lieu par l’article 29 de la loi du 28 novembre 2021 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme » (ci-après : la loi du 28 novembre 2021), dispose :
« § 1er. Lorsque la somme d’argent visée à l’article 216bis, § 1er, du Code d’Instruction criminelle n’a pas été payée dans le délai fixé, le procureur du Roi peut donner ordre au contrevenant de payer la somme prévue pour cette infraction, majorée de 35 % et le cas échéant de la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels. En outre, une redevance administrative de 25,32 euros, telle que visée au titre 4 de la loi-programme du 21 juin 2021, est également perçue. Le montant de cette redevance administrative est automatiquement adapté le 1er janvier de chaque année en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation du mois de novembre de l’année précédente. Les paiements effectués par le contrevenant sont d’abord affectés à la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels, et ensuite à cette redevance administrative. Le procureur du Roi fixe les modalités de paiement.
Le paiement doit être effectué dans un délai de trente jours suivant le jour de la réception de l’ordre.
Cet ordre est transmis au contrevenant par envoi recommandé, par pli judiciaire ou conformément à l’article 32ter du Code judiciaire et comporte au moins :
1° la date;
2° les faits incriminés et les dispositions légales violées;
3° la date, l’heure et le lieu de l’infraction;
4° l’identité du contrevenant;
5° le numéro du procès-verbal;
6° le montant de la somme à payer;
7° le jour où la somme doit être payée au plus tard;
8° la manière selon laquelle et le délai dans lequel le recours peut être introduit, ainsi que le tribunal de la police compétent.
L’ordre de paiement est réputé reçu le dixième jour ouvrable après la date de l’ordre de paiement visée à l’alinéa 3, 1°.
Le paiement effectué dans le délai indiqué éteint l’action publique.
§ 2. Celui qui a reçu l’ordre de paiement ou son avocat peut, dans les trente jours suivant le jour de la réception de celui-ci, introduire un recours contre l’ordre de paiement auprès du tribunal de police compétent selon le lieu de l’infraction. Le recours est introduit par requête
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déposée au greffe du tribunal de police compétent ou par envoi recommandé ou par courrier électronique, adressés au greffe. Dans ces derniers cas, la date d’envoi de l’envoi recommandé ou du courrier électronique a valeur de date d’introduction de la requête. L’envoi recommandé est réputé avoir été envoyé le troisième jour ouvrable précédant sa réception au greffe.
La requête mentionne, à peine de nullité :
1° le nom, le prénom et le domicile de la partie qui introduit le recours;
2° le numéro du procès-verbal ou le numéro de système, mentionné sur l’ordre de paiement;
3° qu’il s’agit d’un recours contre un ordre de paiement;
4° les motifs du recours.
Cette requête contient élection de domicile en Belgique, si le requérant n’y a pas son domicile.
La requête est inscrite dans le registre prévu à cet effet.
La prescription de l’action publique est suspendue à partir de la date de l’introduction de la requête jusqu’au jour du jugement définitif.
Le requérant est convoqué par le greffier, par pli judiciaire, par envoi recommandé ou conformément à l’article 32ter du Code judiciaire, dans les trente jours de l’inscription de la requête au registre, à comparaître à l’audience fixée par le juge. Le greffier adresse au ministère public la copie de la requête et lui indique la date d’audience.
Par le recours, la chambre pénale du Tribunal de police est saisie de l’intégralité de la cause et examine préalablement la recevabilité du recours.
Si le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu. Le tribunal examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale.
La personne condamnée par défaut peut former opposition au jugement conformément à la procédure visée à l’article 187 du Code d’instruction criminelle.
Le jugement rendu par le tribunal de la police est susceptible d’appel selon des dispositions prévues par le Code d’instruction criminelle.
[…] ».
B.2.1. À l’origine, l’ordre de paiement a été instauré par la loi du 22 avril 2012 « visant à instaurer l’ordre de paiement pour les infractions à la législation sur la circulation routière »
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(ci-après : la loi du 22 avril 2012) et visait à « éviter que des amendes restent impayées et à soulager les parquets de police » (Doc. parl, Chambre, 2011-2012, DOC 53-2074/002, p. 3) :
« L’ordre de paiement est intercalé après la perception immédiate et éventuellement la transaction et avant la citation devant le tribunal de police, sans que le contrevenant ne perde le moindre droit ni que les compétences du tribunal soient réduites » (ibid.).
Les travaux préparatoires de la loi-programme du 25 décembre 2016, qui a remplacé l’article 65/1 inséré par la loi du 22 avril 2012, exposent :
« [C’]est la dernière étape dans la procédure de l’extinction éventuelle de l’action publique moyennant le paiement d’une somme » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2208/001, p. 28).
B.2.2. L’économie de procédure constituait donc l’une des raisons de l’introduction de l’ordre de paiement dans la loi du 16 mars 1968. Le contrevenant qui ne paie pas et qui n’accepte pas une proposition de transaction reçoit un ordre de paiement exécutoire de plein droit, ce qui signifie que le procureur du Roi ne doit pas s’adresser au juge pénal pour contraindre le contrevenant au paiement effectif.
L’ordre de paiement constitue en principe le cinquième rappel pour payer. Ainsi, « [le]
contrevenant reçoit une perception immédiate, un rappel, une proposition de transaction et de nouveau un rappel avant que l’ordre de paiement soit promulgué » (Doc. parl., Chambre, 2016-
2017, DOC 54-2208/001, p. 29). Le contrevenant a donc déjà eu, à plusieurs reprises, la possibilité de mettre un terme à l’action publique en payant l’amende routière.
B.3.1. L’ordre de paiement peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal de police. En cas de recours, tant le contrevenant que le procureur du Roi sont informés de la date d’audience (article 65/1, § 2, alinéa 6, de la loi du 16 mars 1968).
B.3.2. En ce qui concerne le pouvoir d’appréciation du tribunal de police en cas de recours contre un ordre de paiement, l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il était applicable avant sa modification par la loi du 28 novembre 2021, disposait uniquement que « [si] le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu ».
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Dès lors que ce texte de loi a donné lieu à des interprétations divergentes dans la jurisprudence des tribunaux de police et des tribunaux correctionnels en ce qui concerne le pouvoir d’appréciation de la juridiction qui connaît du recours introduit contre un ordre de paiement, le législateur a estimé, par la loi du 28 novembre 2021, qu’il s’indiquait de préciser la procédure de recours.
B.3.3. Depuis sa modification par la loi du 28 novembre 2021, l’article 65/1, § 2, alinéa 7, de la loi du 16 mars 1968 dispose expressément que, par le recours contre l’ordre de paiement, « la chambre pénale du Tribunal de police est saisie de l’intégralité de la cause et examine préalablement la recevabilité du recours ». L’article 147bis du Code d’instruction criminelle, inséré par la loi du 28 novembre 2021, dispose également que « [le] tribunal de police est saisi par le recours contre l’ordre de paiement ».
Selon l’article 65/1, § 2, alinéa 8, de la loi du 16 mars 1968, l’ordre de paiement est réputé non avenu si le recours est déclaré recevable et le tribunal « examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale ».
B.3.4. Les travaux préparatoires de la loi du 28 novembre 2021 mentionnent :
« Les modifications apportées à l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, visent principalement à rationaliser la procédure de recours contre l’ordre de paiement et à clarifier un certain nombre de points.
Avec l’utilisation croissante de l’ordre de paiement, et par conséquent des recours contre celle-ci, il est apparu en pratique que certaines dispositions de la loi n’étaient pas aussi claires et ça conduit à des controverses dans la jurisprudence et à l’insécurité juridique.
[…]
Il est maintenant explicitement prévu que la chambre pénale du Tribunal de police est compétente afin d’éviter toute confusion avec la compétence du Tribunal de police en tant que juridiction civile en ce qui concerne les recours contre les sanctions administratives communales.
Dans le § 2, alinéa 7, la phrase ‘ si le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est considéré comme inexistant ’ est interprétée par de nombreux juges comme leur imposant de ne juger que sur la recevabilité et non sur le fond de l’affaire. Si le recours est recevable, le dossier est alors renvoyé au ministère public afin qu’il prenne une décision (citation ou
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classement sans suite). Toutefois, il est prévu que le même jugement statue à la fois sur la recevabilité et sur le fond. Il convient donc de prévoir explicitement que le juge est également compétent pour statuer directement sur le fond de l’affaire » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-2175/001, pp. 31-32).
Quant au fond
En ce qui concerne la première question préjudicielle
B.4. Par sa première question préjudicielle, la juridiction a quo demande à la Cour si l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 est compatible avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que le justiciable, en introduisant un recours contre un ordre de paiement, « engage nécessairement l’action publique contre lui-même ».
B.5.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d'une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5.2. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine : les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-
discrimination sont applicables à l'égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.
B.6.1. L’article 13 de la Constitution dispose :
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« Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».
Le droit d’accès au juge serait vidé de tout contenu s’il n’était pas satisfait aux exigences du procès équitable, garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par un principe général de droit. Par conséquent, lors d’un contrôle au regard de l’article 13 de la Constitution, il convient de tenir compte de ces garanties.
B.6.2. Le droit d’accès au juge, tel qu’il est garanti, entre autres, par l’article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, n’est pas absolu et peut être soumis à des limitations, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, pour autant que de telles restrictions ne portent pas atteinte à l’essence de ce droit et pour autant qu’elles soient proportionnées à un but légitime.
Le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de sécurité juridique et de bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (CEDH, 27 juillet 2006, Efstathiou e.a. c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:2006:0727JUD003699802, § 24; 24 février 2009, L’Erablière ASBL c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2009:0224JUD004923007, § 35).
B.6.3. Selon l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, toute personne accusée d’une infraction pénale a droit « [à] ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable ».
B.6.4. Même s’ils ne sont pas expressément mentionnés dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, le droit de garder le silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination sont « des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par l’article 6, § 1 » (CEDH, 5 avril 2012, Chambaz c. Suisse, ECLI:CE:ECHR:2012:0405JUD001166304, § 52).
Le droit de ne pas témoigner contre soi-même concerne au premier chef le respect de la volonté d’un accusé de garder le silence et présuppose que l’autorité publique cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou
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l’oppression, au mépris de la volonté de l’accusé (CEDH, grande chambre, 13 septembre 2016, Ibrahim e.a. c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2016:0913JUD005054108, § 266). Ce droit constitue une protection contre l’obtention d’éléments de preuve par la contrainte ou l’oppression, mais n’est pas absolu :
« Toutefois, le droit de ne pas témoigner contre soi-même n’est pas absolu […]. Le degré de contrainte appliqué sera incompatible avec l’article 6 s’il atteint ce droit dans sa substance même […]. Mais toutes les formes de contrainte directe ne vident pas automatiquement ce droit de sa substance même pour conduire ainsi à une violation de l’article 6 […]. Ce qui est crucial dans ce contexte, c’est l’usage qui est fait au cours du procès pénal des éléments recueillis sous la contrainte […] » (ibid., § 269).
B.7.1. Dès lors que, par le recours contre un ordre de paiement, la chambre pénale du tribunal de police est saisie de « l’intégralité » de la cause et dès lors que ce tribunal doit examiner « au fond » les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, doit faire application de la loi pénale, l’introduction d’un tel recours a pour effet de mettre en mouvement l’action publique. Toutefois, contrairement à ce que la juridiction a quo semble soutenir, la circonstance que l’introduction du recours enclenche l’action publique ne permet pas de déduire que le justiciable engage l’action publique contre lui-même. Comme il est dit en B.3.1, en cas de recours contre un ordre de paiement, tant le requérant que le procureur du Roi sont informés de la date d’audience, et c’est au procureur du Roi qu’il appartient d’exercer l’action publique.
B.7.2. Comme il est dit en B.2.2, l’économie de procédure constituait l’une des raisons de l’introduction de l’ordre de paiement dans la loi du 16 mars 1968. Il s’avère que la procédure de recours contre un tel ordre, telle qu’elle a été précisée par la loi du 28 novembre 2021, a elle aussi été dictée par des motifs d’économie de procédure. Il ressort en effet des travaux préparatoires cités en B.3.4 que le législateur a voulu éviter que la juridiction qui connaît du recours contre un ordre de paiement doive renvoyer l’affaire au ministère public lorsqu’elle juge ce recours recevable, après quoi le ministère public devrait à nouveau saisir le tribunal de police pour faire examiner l’affaire quant au fond.
B.7.3. La disposition en cause est pertinente au regard de l’objectif poursuivi. Le législateur a pu considérer que, lorsque le ministère public estime qu’un ordre de paiement doit
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être adressé à un justiciable, il estime de même qu’en cas de contestation de cet ordre, il existe des motifs pour citer ce justiciable devant le juge pénal. L’ordre de paiement crée en effet un titre exécutoire, qui permet à l’autorité publique de réclamer au justiciable la somme due sans l’intervention d’un juge, sauf en cas de recours contre cet ordre. Le législateur a donc également pu considérer que l’action publique doit être mise en mouvement lorsque le justiciable conteste l’ordre de paiement.
B.7.4. Comme il est dit en B.2.2, le justiciable concerné a déjà eu à plusieurs reprises la possibilité de mettre un terme à l’action publique avant de recevoir l’ordre de paiement, et ce, à l’occasion des propositions de perception immédiate et de transaction qui lui ont été faites.
Dans ces circonstances, le justiciable ne peut raisonnablement s’attendre à pouvoir contester devant un juge l’ordre de paiement qui suit ces propositions sans que ce même juge puisse examiner l’affaire quant au fond.
B.7.5. Ni la disposition en cause, ni aucune autre disposition législative ne permettent de déduire que, dans la procédure devant la juridiction qui doit statuer sur le recours contre l’ordre de paiement, le justiciable ne pourrait pas se prévaloir du droit à ne pas être forcé de témoigner contre lui-même ou de s’avouer coupable, garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et par l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par ailleurs, aucune disposition législative n’autorise le ministère public à obtenir des éléments de preuve en violation des dispositions conventionnelles précitées.
Le cas échéant, il appartient à la juridiction qui connaît du recours contre l’ordre de paiement d’apprécier si les éléments de preuve soumis par le ministère public satisfont aux exigences découlant de ces dispositions conventionnelles et, à défaut, d’y réserver les suites qui s’imposent.
B.7.6. Enfin, il y a lieu de rappeler que la Cour, par son arrêt n° 14/2022 du 3 février 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.014), a jugé que l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, dans l’interprétation selon laquelle le requérant ne peut pas se désister du recours qu’il a introduit contre l’ordre de paiement, n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, mais que cette disposition peut également être interprétée en ce sens que le
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requérant peut se désister du recours qu’il a introduit contre l’ordre de paiement, auquel cas cette disposition est compatible avec les articles constitutionnels précités. Il en résulte que le justiciable qui introduit un recours contre l’ordre de paiement peut en principe se désister de son recours. Tout désistement du recours introduit a pour effet de rendre exécutoire l’ordre de paiement du procureur du Roi et, lorsque cet ordre est exécuté, de mettre un terme à l’exercice de l’action publique.
B.7.7. Compte tenu de ce qui est dit en B.7.4 à B.7.6, la disposition en cause ne produit pas d’effets disproportionnés.
B.8. L’examen de la première question préjudicielle n’aboutit pas à un constat d’incompatibilité de l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 avec les articles 10, 11 et 13
de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
En ce qui concerne la deuxième question préjudicielle
B.9. Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction a quo demande à la Cour si l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que les justiciables auxquels le ministère public donne un ordre de paiement ne peuvent contester les faits à l’origine de cet ordre qu’en « [engageant] l’action publique contre eux-mêmes », alors que les justiciables auxquels le ministère public propose une transaction peuvent contester les faits à l’origine de cette transaction en ne payant pas la somme qui y est proposée.
B.10. Comme il est dit en B.7.1, la circonstance que l’introduction du recours contre un ordre de paiement met en mouvement l’action publique ne permet pas de déduire que le justiciable engage l’action publique contre lui-même. Il revient au ministère public d’exercer l’action publique devant la juridiction qui connaît de ce recours.
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B.11.1. Selon l’article 65/1, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 16 mars 1968, le procureur du Roi peut donner un ordre de paiement « [lorsque] la somme d’argent visée à l’article 216bis, § 1er, du Code d’Instruction criminelle n’a pas été payée dans le délai fixé ». La somme visée à l’article 216bis, § 1er, du Code d’instruction criminelle fait référence à la somme contenue dans une proposition de transaction émanant du procureur du Roi. Il en découle que tout ordre de paiement est précédé d’une proposition de transaction. De même, il en découle qu’une personne ne peut recevoir un ordre de paiement que lorsqu’elle n’a pas accepté la proposition de transaction et qu’elle n’a, donc, pas payé la somme qui y était proposée.
B.11.2. Avec l’ordre de paiement, le législateur a entendu permettre au ministère public de créer un titre exécutoire, de manière qu’il ne faille pas saisir le juge pénal pour contraindre au paiement un contrevenant auquel une transaction a préalablement été proposée. À l’inverse, la proposition de transaction, qui intervient avant l’ordre de paiement, ne constitue pas un titre exécutoire, de sorte qu’elle ne contraint pas le contrevenant au paiement.
B.12.1. La différence de traitement mentionnée dans la deuxième question préjudicielle repose sur un critère objectif, plus précisément la nature de la mesure prise par le ministère public à l’égard du justiciable.
B.12.2. Compte tenu du caractère exécutoire de l’ordre de paiement, il est par ailleurs pertinent que le justiciable ne puisse contester l’ordre de paiement et les faits à l’origine de cet ordre qu’en introduisant un recours devant le tribunal de police, alors que le justiciable qui se voit adresser une proposition de transaction peut contester les faits à l’origine de cette proposition en ne procédant pas au paiement de la somme qui y est proposée. Le justiciable qui se voit adresser un ordre de paiement a de surcroît déjà eu la possibilité, préalablement, de contester les faits à l’origine de la proposition de transaction en ne procédant pas au paiement de la somme qui y était proposée.
B.12.3. Enfin, pour les motifs mentionnés en B.7.4 à B.7.6, la différence de traitement ne produit pas d’effets disproportionnés.
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B.13. L’examen de la deuxième question préjudicielle n’aboutit pas à un constat d’incompatibilité de l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
En ce qui concerne la troisième question préjudicielle
B.14. Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction a quo demande à la Cour si l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que les justiciables auxquels le ministère public donne un ordre de paiement ne peuvent contester les faits à l’origine de cet ordre qu’en « [engageant] l’action publique contre eux-mêmes », alors que les justiciables auxquels le ministère public ne donne pas ou ne peut pas donner d’ordre de paiement peuvent contester les faits qui leur sont reprochés « sans […] devoir […] engager l’action publique contre eux-mêmes ».
B.15. Comme il est dit en B.7.1, la circonstance que l’introduction du recours contre un ordre de paiement met l’action publique en mouvement ne permet pas de déduire que le justiciable engage l’action publique contre lui-même. Il revient au ministère public d’exercer l’action publique devant la juridiction qui connaît de ce recours.
B.16.1. Comme il est dit en B.7.3, le législateur a pu considérer que, lorsque le ministère public estime qu’un ordre de paiement doit être donné à un justiciable, il estime de même qu’en cas de contestation de cet ordre, il existe des motifs pour citer ce justiciable devant le juge pénal.
B.16.2. Il y a dès lors lieu de considérer que, lorsque le ministère public ne donne pas d’ordre de paiement dans des circonstances dans lesquelles il pourrait donner un tel ordre conformément aux conditions prévues par la disposition en cause, c’est qu’il estime qu’il n’y a
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aucun motif pour citer le justiciable concerné devant le juge pénal. Dans cette situation, les circonstances dans lesquelles aucun ordre de paiement n’est donné diffèrent substantiellement des circonstances dans lesquelles un tel ordre est donné et, eu égard notamment à ce qui est dit en B.7.4 à B.7.6, la différence de traitement mentionnée dans la question préjudicielle est raisonnablement justifiée.
B.16.3. Il y a également lieu de considérer que, dans les circonstances dans lesquelles il ne peut pas donner d’ordre de paiement conformément aux conditions prévues par la disposition en cause, tandis que ces circonstances sont comparables à celles dans lesquelles il donne un ordre de paiement conformément à cette disposition, le ministère public procède à la citation du justiciable concerné devant le juge pénal. Une citation du justiciable concerné devant le juge pénal a pour effet que l’action publique est mise en mouvement et que ce justiciable doit, à l’instar du justiciable qui introduit un recours contre un ordre de paiement, contester, dans le cadre de la procédure devant le juge pénal, les faits qui lui sont reprochés. Dans cette situation, la disposition en cause ne fait donc pas naître la différence de traitement mentionnée dans la question préjudicielle.
B.17. Pour autant que la disposition en cause fasse naître la différence de traitement mentionnée dans la troisième question préjudicielle, cette différence de traitement est, eu égard notamment à ce qui est dit en B.7.4 à B.7.6, raisonnablement justifiée au regard des objectifs poursuivis par le législateur.
B.18. L’examen de la troisième question préjudicielle n’aboutit pas à un constat d’incompatibilité de l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
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En ce qui concerne la quatrième question préjudicielle
B.19. Par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction a quo demande à la Cour si l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que la prescription de l’action publique est suspendue à l’égard du justiciable qui introduit un recours contre un ordre de paiement à partir de la date de l’introduction de la requête jusqu’au jour du jugement définitif, alors que la prescription de l’action publique n’est pas suspendue à l’égard du justiciable auquel le ministère public n’a pas donné ou n’a pas pu donner d’ordre de paiement et qui est cité devant le juge pénal.
B.20.1. Selon l’article 24, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, la prescription de l’action publique est suspendue lorsque la loi le prévoit.
En vertu de l’article 65/1, § 2, alinéa 5, de la loi du 16 mars 1968, en cas de recours contre un ordre de paiement, la prescription de l’action publique est suspendue à partir de la date de l’introduction de la requête jusqu’au jour du jugement définitif.
B.20.2. Comme il est dit en B.16.2, il y a lieu de considérer que, lorsque le ministère public ne donne pas d’ordre de paiement dans des circonstances dans lesquelles il pourrait donner un tel ordre conformément aux conditions prévues par la disposition en cause, c’est qu’il estime qu’il n’y a aucun motif pour citer le justiciable concerné devant le juge pénal. Dans cette situation, le fait de ne pas donner d’ordre de paiement a pour effet que l’action publique n’est pas mise en mouvement, de sorte que la question de la suspension de la prescription ne saurait se poser. Dans cette hypothèse, la catégorie des personnes auxquelles le ministère public ne donne pas d’ordre de paiement n’est, en ce qui concerne la suspension de la prescription de l’action publique, pas comparable à la catégorie des personnes auxquelles le ministère public donne un ordre de paiement.
B.20.3. Pour le surplus, eu égard à l’article 24, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, la disposition en cause fait uniquement naître la différence de traitement mentionnée dans la quatrième question préjudicielle en ce que la loi ne prévoit pas de
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suspension analogue de la prescription de l’action publique pour les procédures pénales autres que celles qui sont enclenchées par un recours contre un ordre de paiement. La Cour limite son examen de la question préjudicielle aux situations dans lesquelles il peut être question d’une différence de traitement.
B.21. Il n’existe pas de principe général qui garantisse la prescription de l’action publique.
Sous la réserve qu’il ne peut prendre des mesures qui soient manifestement déraisonnables, le législateur démocratiquement élu peut fixer lui-même la politique répressive, qui englobe l’appréciation de la gravité d’un manquement et la sévérité avec laquelle ce manquement peut être puni, y compris les possibilités d’individualisation de la peine et les effets et actions qui y sont attachés, mais également la fixation de différents délais de prescription et des modalités y relatives en fonction de l’infraction considérée ou en fonction d’autres circonstances. Le législateur peut aussi se montrer sévère dans des matières dans lesquelles les infractions peuvent porter gravement atteinte aux droits fondamentaux des individus et aux intérêts de la collectivité.
Compte tenu de la marge d’appréciation importante dont il dispose en la matière, le législateur, lorsqu’il distingue le régime de prescription applicable selon les infractions concernées ou selon d’autres circonstances, peut avoir égard à un critère autre que celui de la sévérité de la peine que l’auteur peut encourir, pour autant que le critère retenu soit objectif et pertinent et que les droits des personnes concernées ne fassent pas l’objet d’une restriction disproportionnée.
B.22.1. Comme il est dit en B.2.1, l’ordre de paiement a été dicté, notamment, par l’objectif consistant à éviter que les amendes de roulage restent impayées. Le législateur estimait que « [le] refus de payer entraîne donc de facto une forme d’impunité en raison des déficiences dans le recouvrement » (Doc. parl., Sénat, SE 2010, n° 5-54/1, p. 2) et qu’« un traitement déficient des infractions au code de la route peut susciter auprès de la population le sentiment qu’on n’attache pas beaucoup d’importance à la répression de ces infractions, ce qui, à son tour, a des répercussions sur la sécurité routière » (ibid., p. 1).
B.22.2. Compte tenu de ce qui est dit en B.20.3, la différence de traitement visée dans la quatrième question préjudicielle repose sur un critère objectif, plus précisément l’existence ou
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non d’un ordre de paiement qui a été donné au justiciable préalablement à la procédure devant le juge pénal.
B.22.3. Ce critère est pertinent au regard des objectifs poursuivis par le législateur consistant à éviter que le refus de payer une amende de roulage entraîne une forme d’impunité et consistant à renforcer la sécurité routière. Comme il est dit en B.2.2, l’ordre de paiement constitue en principe le cinquième rappel pour payer une amende de roulage. Compte tenu du fait que, préalablement à la procédure devant le juge pénal, le contrevenant a déjà refusé à plusieurs reprises de payer l’amende de roulage, le législateur a pu raisonnablement considérer qu’il était nécessaire de prendre des mesures pour éviter que le recours contre l’ordre de paiement ne soit utilisé qu’en vue d’obtenir l’impunité par le biais de la prescription de l’action publique.
B.22.4. Pour les motifs mentionnés en B.7.4 à B.7.6, la disposition en cause n’entraîne pas une restriction disproportionnée des droits du justiciable.
B.23. L’examen de la quatrième question préjudicielle n’aboutit pas à un constat d’incompatibilité de l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière »
ne viole pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 14, paragraphe 3, point g), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 15 juin 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen