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15/06/2023 | BELGIQUE | N°93/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 15 juin 2023, 93/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 93/2023
du 15 juin 2023
Numéro du rôle : 7803
En cause : la question préjudicielle relative à l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, lu en combinaison avec l’article 573 du Code judiciaire, posée par le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir dé

libéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par juge...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 93/2023
du 15 juin 2023
Numéro du rôle : 7803
En cause : la question préjudicielle relative à l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, lu en combinaison avec l’article 573 du Code judiciaire, posée par le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 6 mai 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 mai 2022, le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article I.1, 1°, du Code de droit économique, lu en combinaison avec l’article 573 du Code judiciaire, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il traite de la même façon les associations de copropriétaires et les autres personnes morales, ce qui fait naître une différence de traitement entre les sujets de droit qui assurent la gestion et la conservation d’un immeuble selon qu’ils sont une personne physique (qui n’exerce pas ces tâches à titre professionnel) ou une association de copropriétaires ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- l’association des copropriétaires « Residentie Van Gogh », représentée par son syndic, Sophie Pittomvils, assistée et représentée par Me J. Toury, avocat au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me B. Staelens, avocat au barreau de Flandre occidentale.
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Le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 12 avril 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs S. de Bethune et T. Giet, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 26 avril 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 26 avril 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Depuis 2018, l’immeuble à appartements « Residentie Van Gogh » situé à Diegem est régulièrement confronté à des inondations dans les caves, dans le garage souterrain et dans les cages d’ascenseur. L’association de copropriétaires « Residentie Van Gogh » se retourne contre l’entrepreneur, à savoir la SA « Hooyberghs », mais celui-ci rejette toute responsabilité en la matière.
Le 1er février 2022, l’association de copropriétaires cite ensuite devant le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles la SA « Hooyberghs » et l’architecte, à savoir la SRL « Scax ». Elle réclame une indemnité pour les dégâts causés à l’immeuble à appartements et l’exécution de travaux de réparation.
Le 9 mars 2022, la SRL « Scax » soulève dans ses conclusions l’incompétence du Tribunal de première instance et demande de renvoyer l’affaire devant le Tribunal d’arrondissement néerlandophone de Bruxelles.
À l’audience d’introduction du 10 mars 2022, le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles soulève d’office la question de savoir si les dispositions sur la base desquelles le tribunal de l’entreprise serait compétent pour connaître des contestations impliquant une association de copropriétaires sont contraires au principe d’égalité et de non-discrimination.
L’association de copropriétaires « Residentie Van Gogh » demande au Tribunal de se déclarer compétent et, si nécessaire, d’interroger la Cour constitutionnelle sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, dans l’interprétation selon laquelle le tribunal de l’entreprise serait exclusivement compétent pour traiter des actions qui sont introduites contre des entreprises par une association de copropriétaires, malgré le fait que celle-ci ne poursuit aucun but de nature économique. La SA « Hooyberghs » s’en remet à la sagesse du Tribunal. La SRL « Scax » demande, à titre principal, que le Tribunal se déclare incompétent. À titre subsidiaire, elle s’en remet à la sagesse du Tribunal.
La juridiction a quo constate ensuite que l’association de copropriétaires est une personne morale et donc une entreprise au sens de l’article I.1, 1°, du Code de droit économique. Étant donné que les autres parties sont également des entreprises au sens de la disposition précitée, la juridiction a quo constate également qu’il s’agit d’une contestation entre entreprises, qui relève de la compétence du tribunal de l’entreprise. La juridiction a quo se demande toutefois si l’article I.1, 1°, du Code de droit économique viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que l’association de copropriétaires n’est pas exclue de la notion d’« entreprise ». Elle attire l’attention sur les effets de cette qualification de l’association de copropriétaires en tant qu’entreprise, en ce qui concerne les règles de la preuve. Selon la juridiction a quo, la question se pose en particulier de savoir si l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, lu en combinaison avec l’article 573 du Code judiciaire, viole les articles 10 et 11 de
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la Constitution en ce que ces dispositions font naître une différence de traitement entre deux catégories de personnes selon que le justiciable est une association de copropriétaires ou une personne physique, qui n’assure pas à titre professionnel la gestion et le maintien d’un bâtiment.
Compte tenu de ce qui précède, la juridiction a quo pose à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. La partie demanderesse devant la juridiction a quo estime que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative parce que le législateur traite en réalité les associations de copropriétaires de la même manière que d’autres personnes morales. L’attribution de manière générale au tribunal de l’entreprise de toute demande qui concerne une « entreprise » au sens de l’article I.1, 1°, du Code de droit économique et qui ne relève pas de la compétence exclusive d’un autre tribunal viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Une telle situation est dénuée de toute justification raisonnable.
Une association de copropriétaires poursuit seulement une finalité civile et non une finalité économique et ne saurait par conséquent être assimilée à d’autres entreprises. Elle souligne que c’est ce qui ressort aussi de l’article 574, 1°, du Code judiciaire, lequel dispose clairement que le tribunal de l’entreprise connaît, à titre de compétence spéciale, de toutes les contestations « pour raison d’une association dotée de la personnalité juridique, fondation ou société, à l’exception d’une association de copropriétaires ».
Elle estime également que le législateur n’a jamais entendu attribuer exclusivement au tribunal de l’entreprise, conformément à l’article 573 du Code judiciaire, des demandes qui sont introduites par les associations de copropriétaires, simplement parce qu’elles sont dotées de la personnalité juridique. En premier lieu, elle soutient à cet égard que la personnalité juridique a seulement été créée pour permettre aux propriétaires d’introduire, en se regroupant, une action en justice et que l’association représente uniquement les propriétaires individuels, qui sont ceux qui agissent en réalité et qui doivent également assumer les condamnations de l’association sur leur patrimoine propre, étant donné qu’ils demeurent propriétaires des parties communes. En deuxième lieu, elle soutient que l’association de copropriétaires ne livre pas de marchandises, ni ne fournit de services. Enfin, elle observe que, si les propriétaires agissent à titre individuel, et donc non de manière groupée par le biais de l’association de copropriétaires, ils doivent saisir le tribunal de première instance concernant le même patrimoine et avec la même demande.
A.2.1. Le Conseil des ministres soulève, à titre principal, l’irrecevabilité de la question préjudicielle parce que la réponse ne serait pas utile à la solution du litige devant la juridiction a quo.
A.2.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres estime que la question préjudicielle appelle une réponse négative. Il reconnaît et confirme que, conformément à l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, les associations de copropriétaires sont des entreprises, de sorte qu’en vertu de l’article 573 du Code judiciaire, les contestations qui opposent cette association de copropriétaires à d’autres entreprises relèvent de la compétence du tribunal de l’entreprise.
Il déduit de la question préjudicielle soumise à la Cour que la juridiction a quo compare la situation de deux catégories de personnes, en ce qui concerne la compétence matérielle du tribunal pour connaître de contestations entre entreprises : d’une part, l’association de copropriétaires, qui assure la gestion et le maintien d’un bâtiment, et, d’autre part, la personne physique qui assure également à titre non professionnel la gestion et le maintien d’un bâtiment. Dans le premier cas, les litiges en matière de responsabilité relèvent de la compétence du tribunal de l’entreprise, alors que dans le second cas, ces mêmes litiges relèvent de la compétence résiduelle du tribunal de première instance.
Le Conseil des ministres estime toutefois qu’il n’y a pas de violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
Il observe que le principe d’égalité et de non-discrimination n’a pas pour effet que tous les litiges doivent être traités par la même juridiction, ce qui serait intenable. Il soutient que le critère de distinction sur lequel repose la
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différence de traitement, à savoir la personnalité juridique, est en réalité objectif. Il ajoute que ce critère équivaut à la notion d’« entreprise » visée à l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, le législateur l’ayant définie sur la base de critères objectifs, pertinents, logiques et précis, de sorte que sa délimitation est raisonnablement justifiée.
Pour le surplus, le Conseil des ministres soutient qu’eu égard au pouvoir d’appréciation étendu dont dispose le législateur, il n’aperçoit pas quelle distinction il y avait lieu de faire, et qui n’a pas été faite, en ce qui concerne la notion d’« entreprise ». Dans le prolongement de ce qui précède, il estime que les répercussions de la notion d’« entreprise » dans l’attribution de la compétence au tribunal de l’entreprise sont également raisonnablement justifiées. Il conclut que la différence de traitement soumise à la Cour ne produit du reste pas d’effets disproportionnés pour le justiciable.
-B-
B.1. La question préjudicielle concerne l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, lu en combinaison avec l’article 573 du Code judiciaire.
B.2.1. L’article I.1, 1°, du Code de droit économique dispose :
« Sauf disposition contraire, pour l'application du présent Code, on entend par :
1° entreprise : chacune des organisations suivantes :
(a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant;
(b) toute personne morale;
(c) toute autre organisation sans personnalité juridique.
Nonobstant ce qui précède, ne sont pas des entreprises, sauf s’il en est disposé autrement dans les livres ci-dessous ou d’autres dispositions légales prévoyant une telle application :
(a) toute organisation sans personnalité juridique qui ne poursuit pas de but de distribution et qui ne procède effectivement pas à une distribution à ses membres ou à des personnes qui exercent une influence décisive sur la politique de l’organisation;
(b) toute personne morale de droit public qui ne propose pas de biens ou services sur un marché;
(c) l’État fédéral, les régions, les communautés, les provinces, les zones de secours, les prézones, l’Agglomération bruxelloise, les communes, les zones pluricommunales, les organes territoriaux intracommunaux, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les centres publics d’action sociale ».
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B.2.2. La notion d’« entreprise », telle qu’elle est définie dans l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, a été réformée par la loi du 15 avril 2018 « portant réforme du droit des entreprises » (ci-après : la loi du 15 avril 2018).
Par cette nouvelle réforme, le législateur entendait donner un contenu plus large à la notion d’entreprise (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2828/001, p. 6) en la décrivant « de manière plus cohérente [et en portant] remède à quelques problèmes liés à la notion d’entreprise existante. À cet égard, la nouvelle définition générale utilisera des critères formels en lieu et place du critère matériel actuellement en vigueur (c’est-à-dire l’exercice d’une activité économique) » (ibid., p. 3), ce qui a pour conséquence qu’il y a des entreprises économiques et des entreprises non économiques (ibid., p. 6).
Le contenu précis de la notion d’entreprise est commenté dans les travaux préparatoires comme suit :
« La nouvelle définition générale d’entreprise englobe tout d’abord toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant.
Le choix des concepts ‘ à titre indépendant ’ et ‘ activité professionnelle ’ [a] pour effet de mettre fin à des discussions antérieures concernant ‘ une activité économique durable ’. En effet, le concept d’‘ indépendant ’ est l’opposé de celui de ‘ sous les liens d’un contrat de travail ’ (la différence entre un indépendant et un travailleur), alors que celui de ‘ durabilité ’ est inhérent à une ‘ activité professionnelle ’. À titre d’exemple, on peut penser à des personnes physiques qui travaillent en tant que commerçant, artisan, personne exerçant une profession libérale ou administrateur de sociétés. Les activités durables dans le cadre de l’économie collaborative sont également comprises dans la définition pour autant qu’elles constituent une activité professionnelle. Dans la mesure où une activité d’économie collaborative comprend un réseau qui réunit l’offre et de la demande afin d’ouvrir la valeur des biens et services sous-
utilisés et que ceci n’est pas fait pour accumuler un revenu, il ne sera plus question d’une activité professionnelle, et donc pas non plus d’une entreprise.
[…]
Par ailleurs, il est important de souligner que toute activité d’une personne physique ne doit pas tomber sous la notion d’entreprise. Ainsi, une activité qui s’inscrit purement dans le cadre de la gestion normale du patrimoine personnel d’une personne physique peut ne pas tomber sous la notion d’entreprise. En ce sens, la simple souscription, acquisition ou détention d’actions, titres ou parts dans une société dotée de la personnalité juridique par une personne physique est présumée s’inscrire dans le cadre de la gestion normale de son patrimoine personnel.
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La nouvelle définition d’entreprise inclut ensuite toute personne morale, à l’exception des personnes morales de droit public qui ne mettent pas des marchandises ou services sur le marché.
Ainsi, en ce qui concerne les personnes morales de droit privé, l’activité statutaire ou de fait n’est pas pertinente pour la qualification en tant qu’entreprise.
Le fait que les sociétés dotées de la personnalité juridique (p. ex. SA, SPRL, SNC) soient en règle générale des entreprises ne nécessite pas d’explications supplémentaires. Cela ne constitue pas un changement par rapport au droit existant.
Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que d’autres personnes morales de droit privé, comme les associations et les fondations, doivent également être qualifiées d’entreprises, même si elles ne poursuivent pas de but économique. C’est justifié car ces organisations, quelles que soient leurs activités, constituent, de par leur forme dotée de la personnalité juridique, une structure qui a parfois des conséquences extrêmes pour des tiers (p. ex. patrimoine séparé, non-
responsabilité de membres ou immobilisation du capital). La forme et les conséquences à l’égard des tiers justifient l’application de dispositions telles que le droit de l’insolvabilité ou la publicité. Ces dispositions supposent et induisent une certaine forme de professionnalisation et visent à informer et à protéger les tiers (comme les créanciers, les travailleurs ou le public).
En ce qui concerne les personnes morales de droit public, le principe est qu’elles ne sont pas qualifiées d’entreprises. Ceci est justifié par les garanties qu’offre le droit public relativement à ces personnes morales. De plus, l’application de dispositions qui relèvent du droit de l’insolvabilité affecterait démesurément le fonctionnement de l’autorité.
Il est dérogé à ce principe pour les personnes morales de droit public qui mettent des marchandises ou services sur le marché. Dès lors qu’elles participent à la vie économique et qu’elles entrent en concurrence avec les acteurs de droit privé, il est raisonnable qu’elles soient soumises par principe aux mêmes règles que les entreprises de droit privé.
Cette exception pour les personnes morales de droit public qui mettent des marchandises ou des services sur le marché doit être lue conjointement avec le dernier alinéa de l’alinéa 2 de la définition selon lequel l’État fédéral, les régions, les communautés, les provinces, les zones et les prézones de secours, l’Agglomération bruxelloise, les communes, les zones pluricommunales, les organes territoriaux intracommunaux, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les centres publics d’aide sociale ne sont pas qualifiés d’entreprises.
Cette règle est dictée par l’idée que ces personnes morales sont gérées par les règles du droit public, de sorte qu’il est justifié de les traiter conformément à l’article 5 du Code pénal.
La nouvelle définition d’entreprise comprend enfin toute autre organisation sans personnalité juridique. Pensons d’abord à la société de droit commun ou à d’autres sociétés sans personnalité juridique […]. Le caractère ‘ lucratif ’ de ces formes justifie l’imposition, au travers de l’application de règles du droit des entreprises, d’une professionnalisation protégeant les tiers.
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[…]
Tout comme dans le droit existant et l’article 5 du Code pénal, la définition de l’entreprise n’englobe pas les associations sans personnalité juridique (les ‘ associations de fait ’). Ces organisations ne disposent pas de la personnalité juridique et ne se caractérisent pas par la présence de distributions ou d’un but de distribution, éléments déterminants pour soumettre une organisation à la définition générale d’entreprise.
[…]
La caractéristique principale qui distingue une association sans personnalité juridique d’une société simple réside dans le fait qu’elle ne peut pas distribuer le bénéfice éventuel. Une association peut donc rechercher le profit en vue de réaliser son objet et de survivre sans subsides ou injections financières de ses membres.
Une association sans personnalité juridique qui distribue son bénéfice sera considérée comme une entreprise » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2828/001, pp. 10-13).
B.2.3. L’article 573 du Code judiciaire dispose :
« Le tribunal de l’entreprise connaît en premier ressort des contestations entre entreprises visées à l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, qui ne relèvent pas de la compétence spéciale d’autres juridictions et qui, en ce qui concerne les personnes physiques, ont trait à un acte qui n’est manifestement pas étranger à l’entreprise.
La demande dirigée contre une entreprise peut également être portée, aux conditions visées à l’alinéa 1er, devant le tribunal de l’entreprise, même si le demandeur n’est pas une entreprise.
Est, à cet égard, nulle, toute clause attributive de compétence antérieure à la naissance du litige ».
B.2.4. Dans le prolongement de la réforme mentionnée en B.2.2, le législateur avait pour but de transposer dans le Code judiciaire la nouvelle systématique du Code de droit économique afin de déterminer la compétence du tribunal de l’entreprise (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2828/001, p. 47).
B.3.1. La juridiction a quo a été saisie d’une action introduite par une association de copropriétaires concernant une contestation relative à la responsabilité décennale d’un entrepreneur et d’un architecte, qui ont adopté la forme juridique d’une société, du chef d’un dégât des eaux survenu dans les parties communes d’un immeuble à appartements.
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B.3.2. Conformément à l’article 3.86, § 1er, du Code civil, une association de copropriétaires dispose, en principe, de la personnalité juridique dont il peut toujours être fait état contre elle par des tiers (article 3.86, § 2, du même Code). L’action mentionnée en B.3.1
concerne ainsi une contestation entre des personnes morales. Conformément à l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, les personnes morales sont, en principe, des entreprises, de sorte que la contestation mentionnée en B.3.1 concerne également une contestation entre « entreprises ».
B.3.3. L’article 568, alinéa 1er, du Code judiciaire attribue au tribunal de première instance la compétence générale et résiduelle de connaître de toutes les demandes hormis celles qui sont directement dévolues à la cour d’appel et à la Cour de cassation ou celles qui sont attribuées à d’autres juridictions. En vertu de l’article 573, alinéa 1er, du Code judiciaire, le tribunal de l’entreprise est, en revanche, compétent pour connaître des contestations entre entreprises, visées à l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, pour autant que ces contestations ne relèvent pas de la compétence particulière d’autres juridictions.
B.3.4. Un débat s’est toutefois engagé devant la juridiction a quo sur la compétence matérielle du tribunal de première instance, en vertu de l’article 568, alinéa 1er, du Code judiciaire, et sur la compétence matérielle du tribunal de l’entreprise, en vertu de l’article 573, alinéa 1er, du même Code, pour connaître de l’action mentionnée en B.3.1. La juridiction a quo oriente ce débat sur l’interprétation de la notion d’« entreprise », qui constitue le critère de rattachement pour l’attribution du contentieux au tribunal de l’entreprise et donc sa soustraction au tribunal de première instance.
La juridiction a quo constate que, sur la base de la définition de la notion d’« entreprise »
au sens de l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, l’association de copropriétaires, de même que d’autres personnes morales, doivent être qualifiées d’« entreprise ». Elle se demande si l’article I.1, 1°, du Code de droit économique ne traite pas, sans justification raisonnable, l’association de copropriétaires de la même manière que d’autres personnes morales en n’excluant pas cette association en tant que personne morale de la notion « d’entreprise ». Il s’ensuivrait une différence de traitement supplémentaire injustifiée en ce que les contestations
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entre entreprises relèvent de la compétence de différentes juridictions selon la nature de la personne qui introduit l’action contre une « entreprise ».
B.4. Par sa question préjudicielle, la juridiction a quo souhaite savoir en réalité si l’article 573, alinéa 1er, du Code judiciaire, lu en combinaison avec l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il attribue au tribunal de l’entreprise la compétence pour connaître des contestations entre une association de copropriétaires et des entreprises au sens de la disposition précitée du Code de droit économique (article 573, alinéa 1er, du Code judiciaire), alors que des contestations identiques entre une personne physique, qui ne relève pas de la notion d’entreprise, et ces mêmes entreprises relèvent de la compétence résiduelle du tribunal de première instance (article 568, alinéa 1er, du Code judiciaire).
B.5.1. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle n’est toutefois pas recevable parce qu’elle n’est pas utile à la solution du litige.
B.5.2. C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse.
B.5.3. Selon la juridiction a quo, eu égard à ce qui est dit en B.3, la question se pose de savoir dans le litige au fond présentement examiné s’il y a une discrimination, en ce que l’article 568, alinéa 1er, du Code judiciaire n’habilite pas le tribunal de première instance à connaître des contestations entre, d’une part, une association de copropriétaires et, d’autre part, des entreprises. Dès lors que la réponse à la question préjudicielle est donc déterminante pour savoir si la juridiction a quo est compétente pour connaître du litige pendant devant elle, cette réponse est utile à la solution du litige.
L’exception est rejetée.
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B.6. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l’application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes, n’est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l’application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.
B.7. Le droit d’accès au juge ne comprend pas le droit d’accéder à un juge de son choix.
Il relève du pouvoir d’appréciation du législateur de décider quel juge est le plus approprié pour trancher un certain type de contestation.
B.8. La réforme de la notion d’« entreprise », par la loi du 15 avril 2018, implique que l’exercice d’une activité économique n’est plus le critère permettant de définir l’entreprise, et qu’il existe désormais des entreprises économiques et des entreprises non économiques.
Eu égard à l’objectif mentionné en B.2.2, le choix du législateur que toutes les personnes morales, sauf exception, en ce compris donc les associations de copropriétaires, relèvent désormais de la notion d’« entreprise », n’est pas dénué de justification raisonnable.
Dans ce contexte, le législateur a pu raisonnablement considérer que les associations de copropriétaires présentent plus de similitudes avec les autres personnes morales, que celles-ci mènent une activité économique ou non, ainsi qu’avec les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle à titre indépendant, qu’avec des personnes physiques qui assurent la gestion et la conservation d’un immeuble à titre non professionnel.
La compétence du tribunal de l’entreprise pour connaître des litiges entre une association de copropriétaires et une autre entreprise découle du fait que la notion d’« entreprise » constitue le critère de rattachement quant à la compétence du tribunal de l’entreprise.
L’attribution, par le législateur, de la compétence de connaître des contestations contre une entreprise à des juridictions différentes selon la nature de la personne qui introduit l’action ne
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porte pas en soi une atteinte disproportionnée aux droits des personnes concernées. Celles-ci peuvent faire valoir leurs droits devant le tribunal de l’entreprise ou le tribunal de première instance d’une manière équivalente. En particulier, il ne s’avère pas que les règles de la preuve à la suite de la qualification d’une association de copropriétaires en tant qu’« entreprise » et le contexte procédural devant le tribunal de l’entreprise lèsent les intéressés.
B.9. Il découle de ce qui précède que l’attribution au tribunal de l’entreprise des contestations nées entre une association de copropriétaires et d’autres entreprises au sens de l’article I.1, 1°, du Code de droit économique est raisonnablement justifiée et ne porte pas atteinte au droit d’accès des justiciables à un juge compétent.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 573, alinéa 1er, du Code judiciaire, lu en combinaison avec l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 15 juin 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 93/2023
Date de la décision : 15/06/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Non-violation (article 573, alinéa 1er, du Code judiciaire, lu en combinaison avec l'article I.1, 1°, du Code de droit économique)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article I.1, 1°, du Code de droit économique, lu en combinaison avec l'article 573 du Code judiciaire, posée par le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles. Droit économique - Contestations entre une association de copropriétaires et des entreprises - Compétence du tribunal de l'entreprise - Notion d'entreprise


Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-06-15;93.2023 ?

Source

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