Cour constitutionnelle
Arrêt n° 86/2023
du 1er juin 2023
Numéros du rôle : 7760 et 7808
En cause : les recours en annulation de l’article 2 de la loi du 29 octobre 2021 intitulée « loi interprétative de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances », introduits par l’ASBL « Assuralia » et autres et par la SA « Allianz Benelux ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 février 2022 et parvenue au greffe le 23 février 2022, un recours en annulation de l’article 2 de la loi du 29 octobre 2021 intitulée « loi interprétative de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014
relative aux assurances » (publiée au Moniteur belge du 22 novembre 2021) a été introduit par l’ASBL « Assuralia », la SA « Baloise Belgium », la SA « AXA Belgium », la SA « AG Insurance » et la SA « KBC Assurances », assistées et représentées par Me A. Huyghe et Me W. Vandenbruwaene, avocats au barreau de Bruxelles, et par Me M. Deketelaere, avocat au barreau d’Anvers.
Par la même requête, les parties requérantes demandaient également la suspension de la même disposition légale. Par l’arrêt n° 74/2022 du 25 mai 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.074), publié au Moniteur belge du 25 novembre 2022, deuxième édition, la Cour a rejeté la demande de suspension.
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 18 mai 2022 et parvenue au greffe le 19 mai 2022, la SA « Allianz Benelux », assistée et représentée par Me A. Huyghe, Me W. Vandenbruwaene et Me M. Deketelaere, a introduit un recours en annulation de la même disposition légale.
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Ces affaires, inscrites sous les numéros 7760 et 7808 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires et des mémoires en réplique ont été introduits par :
- Etienne Sluys, assisté et représenté par Me P. Vanlersberghe, avocat à la Cour de cassation (partie intervenante dans l’affaire n° 7760);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me V. De Schepper et Me J.-F. De Bock, avocats au barreau de Bruxelles (dans les deux affaires).
Les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse.
Par ordonnance du 1er mars 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 15 mars 2023 et les affaires mises en délibéré.
À la suite de la demande des parties requérantes à être entendues, la Cour, par ordonnance du 15 mars 2023, a fixé l'audience au 26 avril 2023.
À l'audience publique du 26 avril 2023 :
- ont comparu :
. Me A. Huyghe, Me W. Vandenbruwaene et Me M. Deketelaere, pour les parties requérantes (dans les deux affaires);
. Me P. Vanlersberghe, pour Etienne Sluys;
. Me V. De Schepper, qui comparaissait également loco Me J.-F. De Bock, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
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II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité de l’intervention dans l’affaire n° 7760
A.1.1. Les parties requérantes contestent le caractère actuel de l’intérêt d’Étienne Sluys à son intervention dans l’affaire n° 7760, en l’absence d’une procédure judiciaire pendante.
A.1.2. Étienne Sluys, partie intervenante dans l’affaire n° 7760, soutient qu’il justifie de l’intérêt requis à son intervention dans la procédure, afin de voir le recours en annulation rejeté. Il renvoie en la matière au fait que son assureur incendie refuse d’intervenir parce que le sinistre déclaré, à savoir des fissures qui sont apparues dans son habitation pendant une période de sécheresse exceptionnelle en raison de l’assèchement de la couche argileuse plastique sur laquelle l’habitation a été bâtie, ne serait pas couvert par la police d’assurance. Il est évident qu’il serait directement affecté par une annulation de la disposition interprétative, en ce que son assureur incendie pourrait purement et simplement faire valoir que la contraction du sol due à la sécheresse ne saurait être considérée comme une catastrophe naturelle au sens de l’article 124 de la loi du 4 avril 2014 « relative aux assurances » (ci-
après : la loi du 4 avril 2014) et ne relève dès lors pas de la couverture de la police d’assurance incendie.
Quant au fond
A.2.1. Le premier moyen dans les affaires nos 7760 et 7808 est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec ses articles 13 et 84, avec le principe de l’État de droit, avec le principe de la non-rétroactivité, avec le principe de la sécurité juridique, avec le principe de la confiance légitime et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
A.2.2. Dans la première branche du premier moyen, les parties requérantes soutiennent que la disposition attaquée est présentée à tort comme une disposition interprétative puisqu’elle ne satisfait pas aux conditions de l’article 84 de la Constitution.
La disposition attaquée comporte une nouvelle règle de droit rétroactive, en ce qu’elle étend le champ d’application de la disposition interprétée. La « contraction du sol due à une période de sécheresse prolongée » ne relève en effet pas des catastrophes naturelles, en particulier des « glissements et affaissements de terrain », que le législateur voulait faire assurer en 2005 par le biais de l’assurance incendie. Les travaux préparatoires de la loi du 17 septembre 2005 « modifiant en ce qui concerne les catastrophes naturelles, la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre et la loi du 12 juillet 1976 relative à la réparation de certains dommages causés à des biens privés par des calamités naturelles » (ci-après : la loi du 17 septembre 2005) ne démontrent pas que le législateur souhaitait, encore moins qu’il pouvait, prendre en considération les dommages causés aux bâtiments par une période de sécheresse prolongée. La contraction du sol n’est pas un « affaissement de terrain » ou un « mouvement d’une masse importante de terrain », mais un processus récurrent de réduction du volume par assèchement ou par retrait, combiné à une augmentation du volume par humidification. Il ne s’agit donc pas d’un mouvement ni d’un déplacement, mais d’une dynamique ou d’une variation du sol résultant de la combinaison de plusieurs facteurs.
Par ailleurs, la disposition attaquée n’apporterait aucune explication au sujet d’une loi antérieure qui serait imprécise, incertaine ou controversée. La controverse dans la jurisprudence, qui est citée dans les travaux préparatoires, ne convainc pas, puisque c’est précisément le propre de la fonction juridictionnelle de qualifier les faits et d’appliquer les règles juridiques. Le législateur ne tient ainsi pas compte du fait que les circonstances concrètes de la cause peuvent aboutir à des issues différentes. En outre, il appartient, en principe, à la plus haute autorité judiciaire, et non au législateur, de résoudre les contradictions qui surviennent dans la jurisprudence des juridictions inférieures. Enfin, la disposition attaquée ne fournit toujours pas de clarifications suffisantes et une intervention judiciaire devra toujours établir si les parties lésées doivent être indemnisées. Ce constat n’est pas conciliable avec l’objectif du législateur, qui consiste à apporter des clarifications et des précisions.
A.2.3. Dans la seconde branche du moyen, les parties requérantes font valoir que la non-rétroactivité constitue une garantie contre l’insécurité juridique. La disposition attaquée ayant une incidence sur des litiges pendants, seuls des motifs impérieux d’intérêt général ou des circonstances exceptionnelles peuvent justifier
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l’intervention du législateur. De tels motifs ou circonstances ne figurent toutefois pas dans les travaux préparatoires. Les effets de la rétroactivité ne sont du reste pas limités, en ce que l’étendue des sinistres potentiels, selon les travaux préparatoires, concerne probablement jusqu’à 25 % des habitations en Belgique.
A.3.1. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, le Conseil des ministres fait valoir que la disposition attaquée est effectivement une disposition interprétative, dès lors qu’elle confère à la disposition législative interprétée le sens que, dès son adoption, le législateur a voulu lui donner et qu’elle pouvait raisonnablement recevoir. Le législateur a toujours voulu, du point de vue de l’intérêt général, offrir une protection étendue contre les risques de catastrophes. Ainsi, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 12 juillet 1976
« relative à la réparation de certains dommages causés à des biens privés par des calamités naturelles » que la notion de « calamité naturelle » est susceptible d’interprétation, dictée par l’actualité et par les faits. Il ressort par ailleurs des travaux préparatoires de la loi du 17 septembre 2005 que les affaissements ou glissements de terrain qui résultent d’un processus lent et invisible ou qui ne résultent que partiellement d’un phénomène naturel sont couverts également. Il peut dès lors être admis que, lors de l’adoption de l’article 124 de la loi du 4 avril 2014, le législateur entendait par « affaissement de terrain », la contraction d’une masse importante de terrain due à une période de sécheresse prolongée.
La discussion sémantique que les parties requérantes tentent de mener au sujet de la notion de « mouvement »
ne saurait être suivie. Cette notion couvre naturellement non seulement un déplacement d’un point a vers un point b, mais aussi un retrait et une contraction de terrain. La loi attaquée ne demande, par conséquent, rien de neuf aux assureurs. Ils sont simplement censés appliquer ce à quoi ils sont tenus depuis 2005.
Il est établi également que la disposition interprétée n’est pas claire et qu’elle est susceptible d’interprétations diverses. Ainsi, la notion de « glissement de terrain » a suscité, au fil des ans, de nombreuses questions dans le débat parlementaire. L’imprécision qui entoure cette disposition découle également des plaintes que l’ombudsman des assurances reçoit depuis 2011 concernant le refus par les compagnies d’assurances de rembourser les dommages occasionnés à des habitations à la suite d’une sécheresse. Enfin, le flou autour de la disposition provient également de jugements et d’arrêts contradictoires qui donnent une interprétation différente à l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014. Selon le Conseil des ministres, il n’est pas sérieux de prétendre que ces divergences de jurisprudence sont uniquement dues à des circonstances concrètes différentes.
A.3.2. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, le Conseil des ministres soutient que, puisque la loi attaquée est effectivement une loi interprétative, l’aspect rétroactif est justifié par son caractère interprétatif. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres estime que le caractère rétroactif de la loi attaquée peut aussi être justifié par des motifs impérieux d’intérêt général. La disposition attaquée vise en effet à clarifier la situation, de sorte que toutes les personnes dont l’habitation a subi des dommages à la suite d’une contraction d’une masse importante de terrain due à une période de sécheresse prolongée, se voient indemnisées pour ceux-ci.
La disposition attaquée procure dès lors une grande sécurité juridique aux assurés. Il n’est pas démontré que l’insécurité juridique éventuelle qui découlerait de la rétroactivité ait plus qu’une portée limitée.
A.4. En ce qui concerne le premier moyen, la partie intervenante dans l’affaire n° 7760 soutient que la loi attaquée est clairement une loi interprétative visée à l’article 84 de la Constitution. Ainsi, il ressort des travaux préparatoires de la disposition attaquée que l’intention du législateur était de préciser le texte, et non de l’étendre.
En outre, la disposition attaquée donne à la disposition interprétée un sens que celle-ci pouvait recevoir ab initio.
Lors d’une contraction du sol, il y a effectivement un mouvement du sol, plus particulièrement un processus d’abaissement de celui-ci.
En ce qui concerne la violation alléguée du principe général de la non-rétroactivité des lois, la partie intervenante estime que la Cour ne peut pas opérer de contrôle direct au regard de principes généraux. En tout état de cause, il n’y a pas de violation de ce principe, dès lors que c’est le propre d’une loi interprétative de sortir ses effets à la date d’entrée en vigueur des dispositions législatives qu’elle interprète. La disposition attaquée n’emporte pas davantage une violation du principe d’égalité, dès lors que toutes les entreprises d’assurances à l’égard desquelles la loi attaquée est invoquée dans des situations dans lesquelles une décision définitive n’a pas encore été rendue, seront traitées de la même manière. Ces entreprises d’assurances ne sauraient s’estimer lésées par le fait que la rétroactivité ne s’applique pas dans des situations dans lesquelles une décision passée en force de chose jugée est déjà intervenue, puisque cette règle est par définition à leur avantage et qu’elle est dictée par la sécurité juridique. En outre, même avant l’adoption de la loi interprétative, le juge pouvait donner à la disposition interprétée l’interprétation qui est définie actuellement de manière authentique. Enfin, il n’y a pas non plus de
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violation du droit d’accès au juge ou de l’article 13 de la Constitution. Rien ne peut en effet empêcher les requérants de soumettre la contestation à un juge.
A.5. Le deuxième moyen dans les affaires nos 7760 et 7808 est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique et avec le principe de la confiance légitime, et de l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Les parties requérantes font valoir que la disposition attaquée porte atteinte à l’intérêt qu’ont les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes, en ce qu’elle contraint les compagnies d’assurances à couvrir un risque avec effet rétroactif.
La première branche du deuxième moyen se fonde sur la protection des investissements effectués et la rentabilité de leurs activités. Les contrats d’assurance contre l’incendie et les catastrophes naturelles, visées à l’article 124, § 1er, de la loi du 4 avril 2014, font naître une attente légitime qui équivaut à un bien au sens de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans la seconde branche du deuxième moyen, les parties requérantes dénoncent une restriction du principe de la confiance légitime et du droit de propriété, en ce que les prétentions juridiques légitimes des parties requérantes sont infirmées rétroactivement. Cette restriction ne serait pas justifiée parce que la disposition attaquée n’est pas efficace. Puisque la contraction de terrain peut continuer à se produire en tant que processus variable, les parties requérantes sont en effet censées continuer, en vertu de cette disposition, à indemniser les dommages causés par un phénomène récurrent, ce qui ne cadre pas avec la ratio legis de l’assurance contre les catastrophes naturelles.
Par ailleurs, la disposition attaquée ne repose pas sur une étude scientifique, ni n’a fait l’objet d’un débat parlementaire approfondi.
A.6.1. En ce qui concerne le deuxième moyen, le Conseil des ministres estime que le droit de propriété ne peut pas être appliqué en l’espèce, à tout le moins qu’il n’y a aucune restriction du droit de propriété et, à titre subsidiaire, qu’une telle restriction est justifiée par le caractère interprétatif de la disposition attaquée. Il découle du fait que la disposition attaquée est une disposition interprétative et qu’elle ne demande donc rien de neuf de la part des assureurs, qu’il n’est pas porté atteinte à l’intérêt des sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes, et que la disposition attaquée atteint effectivement son objectif, à savoir clarifier la situation.
A.6.2. Dans son mémoire en réplique dans l’affaire n° 7760, le Conseil des ministres observe que, dans leur mémoire, les parties requérantes ne parlent plus d’une violation du droit de propriété. Par conséquent, le Conseil des ministres invite la Cour à rejeter le deuxième moyen comme étant irrecevable en ce qu’il porte sur le droit de propriété.
A.7. En ce qui concerne le deuxième moyen, la partie intervenante dans l’affaire n° 7760 fait valoir que la Cour ne peut pas opérer de contrôle direct au regard du principe de la confiance légitime et de la sécurité juridique.
En tout état de cause, il ne peut pas être soutenu que la disposition interprétative attaquée viole ces principes ou qu’il n’a été tenu aucun compte des activités légitimes et de la planification économique du secteur des assurances.
La disposition interprétée a en effet toujours la portée que lui attribue la disposition interprétative attaquée, qui était donc prévisible. Rien ne pouvait dès lors empêcher les assureurs de constituer déjà les réserves nécessaires à partir de 2005. La circonstance que les parties requérantes ont interprété différemment la disposition législative attaquée leur est uniquement imputable. Il n’y a dès lors pas de violation de l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
A.8. Le troisième moyen dans les affaires nos 7760 et 7808 est pris de la violation de l’article 6, § 1er, V, alinéa 1er, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et du principe de la loyauté fédérale, lu en combinaison avec les principes du raisonnable et de la proportionnalité.
Les parties requérantes font valoir que les régions sont compétentes en matière de politique agricole, y compris la reconnaissance et le financement de l’intervention à la suite de dommages causés par des calamités agricoles. La sécheresse grave est indemnisée à charge des deniers publics, en tant que risque et catastrophe naturelle non assurable, en vertu du décret de la Région flamande du 5 avril 2019 « relatif à l’indemnisation des dommages causés par les calamités en Région flamande » (ci-après : le décret du 5 avril 2019). La disposition attaquée viderait de son sens et rendrait inopérante la notion de « sécheresse grave » contenue dans ce décret.
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A.9. Le Conseil des ministres souligne que le droit des assurances relève de la compétence exclusive de l’autorité fédérale. Par l’effet de la sixième réforme de l’État, les régions sont devenues compétentes pour régler, à partir du 1er juillet 2014, les dommages financiers dus à des calamités générales et à des calamités agricoles survenues sur leur territoire. À la suite de ce transfert de compétences, la Région flamande a adopté le décret du 5 avril 2019, qui introduit un régime d’aide en faveur d’une assurance intempéries globale pour les agriculteurs et qui transfère ainsi au secteur des assurances un certain nombre de risques liés aux dommages occasionnés aux cultures ainsi qu’à ceux qui touchent le secteur agricole en général.
Cette réglementation régionale est indépendante de la couverture des catastrophes naturelles prévue par l’assurance incendie. Le décret du 5 avril 2019 contient un chapitre qui règle spécifiquement la situation des dommages occasionnés aux biens qui sont assurés contre les calamités. L’article 26 de ce décret prévoit les cas dans lesquels le Gouvernement flamand intervient financièrement en prenant en charge la partie de l’indemnisation que l’assureur ne paie pas aux parties lésées lorsque les dommages portent sur les biens couverts au moment du sinistre par un contrat d’assurance conformément aux articles 123 à 132 de la loi du 4 avril 2014. La disposition attaquée n’a dès lors pas pour effet de vider de sa substance la notion de « sécheresse grave », utilisée par le législateur décrétal flamand dans le décret du 5 avril 2019.
A.10. En ce qui concerne le troisième moyen, la partie intervenante souligne que la simple circonstance qu’il existe deux régimes qui portent sur l’indemnisation de dommages causés par la sécheresse n’emporte pas une violation des principes et dispositions cités dans le moyen. Elle observe en outre que le décret du 5 avril 2019 a été adopté sur la base d’une règle de compétence relative aux calamités agricoles et qu’il prévoit une indemnisation pour les dommages subis par les exploitants agricoles, alors que l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 et la loi interprétative attaquée concernent l’assurance incendie relative aux risques simples. Les deux régimes sont complémentaires. L’intention du législateur décrétal flamand n’a jamais été de couvrir tous les dommages potentiels dus à la sécheresse. Ce constat ressort clairement de l’article 26 du décret du 5 avril 2019, qui précise que le Gouvernement flamand prend en charge la partie de l’indemnisation que l’assureur ne paie pas aux parties lésées.
La disposition attaquée ne peut pas être considérée comme rendant impossible ou exagérément difficile l’exercice, par le législateur décrétal flamand, de ses compétences, puisque la loi interprétée doit être considérée comme ayant reçu ab initio le sens voulu.
-B-
Quant à la disposition attaquée et à son contexte
B.1.1. Le recours en annulation est dirigé contre l’article 2 de la loi du 29 octobre 2021
intitulée « loi interprétative de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances » (ci-après : la loi du 29 octobre 2021), qui vise à donner une interprétation authentique de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 « relative aux assurances » (ci-
après : la loi du 4 avril 2014).
B.1.2. En vertu de l’article 123, alinéa 1er, de la loi du 4 avril 2014, l’assureur d’un contrat d’assurance incendie qui couvre les risques simples doit accorder une garantie contre les
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catastrophes naturelles suivantes : un tremblement de terre, une inondation, un débordement ou un refoulement d’égouts publics et un glissement ou un affaissement de terrain.
L’article 124, § 1er, de la même loi définit les événements qui sont considérés comme des catastrophes naturelles :
« Par catastrophe naturelle, l’on entend :
a) soit une inondation, à savoir un débordement de cours d’eau, canaux, lacs, étangs ou mers suite à des précipitations atmosphériques, un ruissellement d’eau résultant du manque d’absorption du sol suite à des précipitations atmosphériques, une fonte des neiges ou des glaces, une rupture de digues ou un raz-de-marée, ainsi que les glissements et affaissements de terrain qui en résultent;
b) soit un tremblement de terre d’origine naturelle qui
- détruit, brise ou endommage des biens assurables contre ce péril dans les 10 kilomètres du bâtiment assuré,
- ou a été enregistré avec une magnitude minimale de 4 degrés sur l’échelle de Richter,
ainsi que les inondations, les débordements et refoulements d’égouts publics, les glissements et affaissements de terrain qui en résultent;
c) soit un débordement ou un refoulement d’égouts publics occasionné par des crues, des précipitations atmosphériques, une tempête, une fonte des neiges ou de glace ou une inondation;
d) soit un glissement ou affaissement de terrain, à savoir un mouvement d’une masse importante de terrain qui détruit ou endommage des biens, dû en tout ou en partie à un phénomène naturel autre qu’une inondation ou un tremblement de terre ».
Cette disposition trouve son origine dans la loi du 17 septembre 2005 « modifiant en ce qui concerne les catastrophes naturelles, la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre et la loi du 12 juillet 1976 relative à la réparation de certains dommages causés à des biens privés par des calamités naturelles » (ci-après : la loi du 17 septembre 2005), qui a inséré une disposition quasiment identique dans la loi du 25 juin 1992 « sur le contrat d’assurance terrestre » (ci-après : la loi du 25 juin 1992). Cette dernière loi a ensuite fait l’objet d’une codification dans la loi du 4 avril 2014.
B.1.3. Selon les travaux préparatoires de la loi du 29 octobre 2021, une insécurité juridique est ensuite apparue en ce qui concerne la couverture par la police d’assurance incendie de
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dommages occasionnés à des habitations qui sont causés par la sécheresse. Plus particulièrement, il s’est avéré que les compagnies d’assurances refusent parfois de couvrir les dommages occasionnés à des habitations par la sécheresse, parce que la contraction de l’ensemble du sous-sol ne constitue pas, selon elles, un « mouvement d’une masse importante de terrain » et n’est donc pas un « glissement ou un affaissement de terrain » au sens de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 (Doc. parl., Chambre, 2019-2020, DOC 55-1022/001, p. 3).
Pour mettre fin à cette insécurité juridique, le législateur a estimé nécessaire de préciser par une « loi interprétative […] que toute contraction du sol due à la sécheresse constitue un affaissement de terrain relevant du champ d’application de la loi actuelle » (ibid., p. 4).
À cet effet, l’article 2, attaqué, de la loi du 29 octobre 2021 dispose :
« L’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances doit être interprété en ce sens qu’il y a notamment lieu de comprendre par ‘ mouvement d’une masse importante de terrain qui détruit ou endommage des biens, dû en tout ou en partie à un phénomène naturel autre qu’une inondation ou un tremblement de terre ’ toute contraction d’une masse importante de terrain due en tout ou en partie à une période de sécheresse prolongée, qui détruit ou endommage des biens ».
Quant à la recevabilité de l’intervention dans l’affaire n° 7760
B.2. Les parties requérantes contestent l’intérêt de la partie intervenante dans l’affaire n° 7760.
B.3.1. L’article 87, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose :
« Lorsque la Cour constitutionnelle statue sur les recours en annulation visés à l’article 1er, toute personne justifiant d’un intérêt peut adresser ses observations dans un mémoire à la Cour dans les trente jours de la publication prescrite par l’article 74. Elle est, de ce fait, réputée partie au litige ».
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Justifie d’un intérêt au sens de cette disposition la personne qui montre que sa situation peut être directement affectée par l’arrêt que la Cour est appelée à rendre à propos du recours en annulation.
B.3.2. La partie intervenante dans l’affaire n° 7760 invoque à l’appui de son intérêt que son assureur incendie refuse d’intervenir dans le cadre d’un sinistre déclaré, à savoir des fissures qui sont apparues dans son habitation pendant une période de sécheresse exceptionnelle en raison de l’assèchement de la couche argileuse plastique sur laquelle l’habitation a été bâtie.
Selon son assureur, ce dommage ne serait pas couvert par la police d’assurance incendie.
B.3.3. La partie intervenante dans l’affaire n° 7760 invite la Cour à rejeter le recours en annulation.
Sa situation est susceptible d’être affectée directement par l’annulation éventuelle de la disposition attaquée, qui prévoit que l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 doit être interprété en ce sens qu’il concerne « toute contraction d’une masse importante de terrain due en tout ou en partie à une période de sécheresse prolongée ». Elle justifie donc de l’intérêt requis.
Quant aux premier et deuxième moyens dans les affaires nos 7760 et 7808
B.4.1. Le premier moyen dans les affaires nos 7760 et 7808 est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec ses articles 13 et 84, avec le principe de l’État de droit, avec le principe de la non-rétroactivité, avec le principe de la sécurité juridique, avec le principe de la confiance légitime et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le deuxième moyen dans les affaires nos 7760 et 7808 est pris de la violation des articles 10
et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique et avec le principe de la confiance légitime, et de l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
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B.4.2. Les parties requérantes soutiennent en substance que la disposition attaquée n’est pas une disposition interprétative, mais une nouvelle règle de droit rétroactive, en ce qu’elle étend le champ d’application de la disposition interprétée. Le législateur interviendrait ainsi dans des litiges pendants, sans que cela puisse être justifié par des circonstances exceptionnelles ou par des motifs impérieux d’intérêt général. Par ailleurs, la disposition attaquée porterait ainsi atteinte à l’intérêt qu’ont les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes, en ce qu’elle contraindrait les compagnies d’assurances à couvrir un risque avec effet rétroactif. Enfin, il serait porté atteinte au droit de propriété, en ce que les prétentions juridiques légitimes des parties requérantes sont infirmées rétroactivement.
B.4.3. Dès lors que les deux moyens sont étroitement liés, la Cour les examine conjointement.
B.5.1. Dans son mémoire en réplique, le Conseil des ministres soutient que le deuxième moyen dans l’affaire n° 7760 est irrecevable en ce qu’il porte sur le droit de propriété, parce que les parties requérantes ne reproduisent pas ce grief dans leur mémoire en réponse.
Par ailleurs, la partie intervenante fait valoir que la Cour ne peut pas opérer de contrôle direct au regard des principes généraux de droit invoqués.
B.5.2. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
B.5.3. Les parties requérantes exposent clairement dans leur requête en quoi la disposition attaquée porterait atteinte au droit de propriété, garanti par l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. La simple circonstance que les parties requérantes ne répètent pas ce grief dans leur mémoire en réponse ne suffit pas pour déclarer le moyen irrecevable.
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Par ailleurs, les principes généraux au regard desquels la Cour ne peut effectuer un contrôle direct sont invoqués en combinaison avec des dispositions constitutionnelles au regard desquelles la Cour peut exercer un contrôle direct, de sorte que ces dispositions et principes doivent être lus conjointement.
Enfin, il ressort des mémoires introduits par le Conseil des ministres et par la partie intervenante qu’ils ont pu répondre adéquatement aux divers griefs formulés par les parties requérantes.
B.5.4. Les exceptions sont rejetées.
B.6.1. Aux termes de l’article 84 de la Constitution, l’interprétation des lois par voie d’autorité n’appartient qu’à la loi.
Une disposition législative est interprétative quand elle confère à une disposition législative le sens que, dès son adoption, le législateur a voulu lui donner et qu’elle pouvait raisonnablement recevoir. C’est donc le propre d’une telle disposition législative de sortir ses effets à la date d’entrée en vigueur de la disposition législative qu’elle interprète.
Toutefois, la garantie de la non-rétroactivité des lois ne pourrait être éludée par le seul fait qu’une disposition législative ayant un effet rétroactif serait présentée comme une disposition législative interprétative.
B.6.2. Une disposition interprétative se justifie par la suppression de l’insécurité juridique à laquelle le caractère incertain ou contesté d’une disposition législative a donné lieu.
B.7.1. Les travaux préparatoires de la disposition attaquée précisent :
« La sécheresse de ces dernières années ne reste pas sans conséquences. Le nombre d’habitations bâties sur un sol argileux et gravement endommagées en raison de la sécheresse des sous-sols ne cesse d’augmenter. Le réchauffement climatique est en partie responsable des habitations qui s’écroulent en raison de la sécheresse. Les habitations bâties sur un sol argileux sont davantage touchées, car ce type de sol se contracte et s’affaisse. On observe également ce phénomène dans des régions aux sous-sols comparables, par exemple aux Pays-Bas.
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Le problème pour les personnes lésées est que les compagnies d’assurance refusent parfois de couvrir les dommages, obligeant ainsi les propriétaires concernés à s’acquitter d’une facture salée.
En 2005, une modification de la loi relative aux assurances avait été approuvée afin que les dommages de ce type soient couverts par les assurances. Les dommages causés par une catastrophe naturelle ont alors été inclus dans l’assurance habitation. Pour que les dommages soient couverts, il fallait que le sol ne s’affaisse ni subitement, ni exclusivement par l’effet d’un phénomène naturel. Il était par conséquent essentiel de prévoir que tous les affaissements dus au moins partiellement à un phénomène naturel soient indemnisés.
À l’époque, cette modification législative avait été justifiée comme suit :
‘ La condition liée à la soudaineté du mouvement de terrain est abandonnée, car elle peut prêter à confusion. En effet, les glissements ou affaissements de terrain peuvent résulter d’un processus lent et invisible. Cette disposition est sans préjudice de la responsabilité des pouvoirs publics ou des citoyens de prendre les mesures de protection nécessaires en cas de glissements ou affaissements visibles ou connus. L’essentiel est de couvrir tous les glissements ou affaissements dus en tout ou partie à un phénomène naturel. ’
Les assureurs peuvent déterminer eux-mêmes si un affaissement de terrain est dû
totalement ou partiellement à un phénomène naturel ou humain.
Certains assureurs abusent hélas de cette liberté d’appréciation en soutenant que la contraction du sol ne constitue pas un affaissement. Ils estiment que la contraction de l’ensemble du sous-sol ne constitue nullement un mouvement d’une masse importante de terrain, comme le requiert la loi. Leur raisonnement est qu’il doit être question d’un mouvement d’une masse ‘ exceptionnelle ’ de terrain pour que la condition légale soit remplie. Par ailleurs, ces mêmes assureurs estiment que rien ne prouve que la contraction du sol est due à la sécheresse.
Dans l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, la disposition en question est rédigée comme suit :
‘ d) soit un glissement ou affaissement de terrain, à savoir un mouvement d’une masse importante de terrain qui détruit ou endommage des biens, dû en tout ou en partie à un phénomène naturel autre qu’une inondation ou un tremblement de terre. ’.
Pour remédier à ces malentendus, il est nécessaire d’adopter une loi interprétative précisant que toute contraction du sol due à la sécheresse constitue un affaissement de terrain relevant du champ d’application de la législation actuelle.
Une modification de la loi serait inopportune, car elle obligerait uniquement les assureurs à couvrir les dommages en question à partir de son entrée en vigueur, au lieu d’offrir une sécurité juridique pour les cas d’affaissement déjà constatés » (Doc. parl., Chambre, 2019-
2020, DOC 55-1022/001, pp. 3-4).
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Ainsi, il apparaît que, par la disposition attaquée, le législateur a voulu mettre fin à l’insécurité juridique qui découlait de l’application différente que faisaient les assureurs de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014.
Cette insécurité juridique concernant l’interprétation de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 a également été constatée par la section de législation du Conseil d’État dans son avis relatif au projet de loi qui a donné lieu à la disposition attaquée :
« En ce qui concerne l’exigence que la disposition à interpréter doit être peu claire et susceptible d’interprétations en sens divers, on mentionnera une analyse de la jurisprudence récente effectuée par le SPF Économie, à propos de laquelle la Secrétaire d’État au Budget et à la Protection des consommateurs a déclaré en Commission de l’Économie, de la Protection des consommateurs et de l’Agenda numérique du 28 avril 2021 :
‘ (…) Je vais maintenant vous exposer les arguments que les consommateurs et les assureurs invoquent en la matière. Les consommateurs font valoir que la garantie légale joue parce que le terrain est en mouvement et que cela est dû à un phénomène naturel, causant le dommage. Ils font référence au texte de l’article 124, § 1er, d) et aux conditions de la police d’assurance de leur assureur, qui a souvent reproduit in extenso la formulation du texte de loi.
Les assureurs rejettent la déclaration parce qu’il n’y a pas de disparition du sol, alors que tel est le cas dans le cadre d’un glissement ou d’un affaissement de terrain. En cas de contraction, il n’y a [pas] d’affaissement au sens d’un mouvement d’une masse importante de terrain. Il est par contre question d’une modification du volume du sous-sol.
(…)
Nous avons chargé le SPF Économie de réaliser une analyse juridique de la législation actuelle parce que la jurisprudence est, à ce stade, très divergente. D’une première analyse, il ressort du jugement du Tribunal de première instance de Namur rendu en 2014 et de l’arrêt du 10 mai 2016 de la Cour d’appel de Liège que cette affaire ne relève pas de la loi sur les assurances, alors qu’il ressort des arrêts du 20 juin 2017 de la Cour d’appel de Mons et du 16 mars 2017 de la Cour d’appel de Gand, ainsi que du jugement du 2 décembre 2020 du Tribunal de l’entreprise de Gand, division de Courtrai, que ces affaires en relèvent effectivement. Nous pouvons donc à tout le moins dire que la jurisprudence en l’espèce ne donne pas une image claire. (…) ’ (traduction libre).
Abstraction faite de la question de savoir quelle est la jurisprudence actuellement majoritaire, il ressort de la citation précitée que la disposition interprétée semble effectivement donner lieu à des arguments et interprétations divers » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1022/002, pp. 6-7).
B.7.2. Pour déterminer le sens qu’il a voulu donner à l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014, le législateur s’est basé sur les travaux préparatoires de la loi du 17 septembre
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2005. En effet, la définition de la notion de « glissement de terrain ou [d’]affaissement de terrain » a été introduite à l’origine par la loi du 17 septembre 2005 dans la loi du 25 juin 1992, puis reprise sans modification dans l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014.
Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 17 septembre 2005 que, dans la définition de la notion de « glissement ou [d’]affaissement de terrain » proposée à l’origine, il était mentionné qu’il devait s’agir « d’un mouvement soudain dû à un phénomène naturel, à l’exception du tremblement de terre, d’une masse importante de terrain qui détruit ou endommage des biens » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1732/001, p. 39).
La condition liée à la soudaineté du mouvement de terrain a finalement été supprimée car, selon le législateur, elle pouvait prêter à confusion :
« En effet, les glissements ou affaissements de terrain peuvent résulter d’un processus lent et invisible. Cette disposition est sans préjudice de la responsabilité des pouvoirs publics ou des citoyens de prendre les mesures de protection nécessaires en cas de glissements ou affaissements visibles ou connus. L’essentiel est de couvrir tous les glissements ou affaissements dus en tout ou partie à un phénomène naturel » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1732/002, p. 3).
B.7.3. Il découle de ces travaux préparatoires que l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014 a toujours visé à couvrir tous les glissements ou affaissements de terrain dus en tout ou en partie à un phénomène naturel autre qu’une inondation ou un tremblement de terre.
Il peut ainsi être admis que l’intention du législateur a toujours été de considérer toute « contraction d’une masse importante de terrain due en tout ou en partie à une période de sécheresse prolongée […] » comme un « glissement ou affaissement de terrain », conformément à l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, dans le cas d’une telle contraction, il est en effet tout autant question d’un « mouvement d’une masse importante de terrain dû en tout ou en partie à un phénomène naturel […] » au sens de la disposition précitée.
B.7.4. Il ressort de ce qui précède qu’en adoptant l’article 2, attaqué, de la loi du 29 octobre 2021, le législateur a cherché à remédier à l’insécurité juridique née des interprétations divergentes de l’article 124, § 1er, d), de la loi du 4 avril 2014. La disposition attaquée donne à
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cet article un sens que, dès son adoption, le législateur a voulu lui donner et qu’il pouvait raisonnablement recevoir.
B.7.5. L’article 2, attaqué, de la loi du 29 octobre 2021 est dès lors une disposition interprétative. La rétroactivité de la disposition attaquée que dénoncent les parties requérantes se justifie dès lors par le caractère interprétatif de cette disposition.
B.7.6. Les premier et deuxième moyens ne sont pas fondés.
Quant au troisième moyen
B.8. Dans le troisième moyen, les parties requérantes invoquent une violation de l’article 6, § 1er, V, alinéa 1er, 2°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et du principe de la loyauté fédérale, lu en combinaison avec les principes du raisonnable et de la proportionnalité. En considérant la contraction de terrain due à une période de sécheresse prolongée comme un risque assurable en vertu de l’article 124 de la loi du 4 avril 2014, la disposition attaquée porterait atteinte à la compétence des régions en matière de politique agricole, y compris la reconnaissance et le financement de l’intervention à la suite de dommages causés par des calamités agricoles.
B.9. L’article 2, attaqué, de la loi du 29 octobre 2021 étant une disposition législative interprétative, il ne modifie pas la portée de la disposition qu’il interprète.
L’obligation pour l’assureur d’un contrat d’assurance incendie qui couvre les risques simples d’accorder la garantie contre « toute contraction d’une masse importante de terrain due en tout ou en partie à une période de sécheresse prolongée » ne trouve dès lors pas son origine dans la disposition attaquée, mais dans l’article 124, § 1er, d), interprété, de la loi du 4 avril 2014. Le grief invoqué ne saurait être imputé à la disposition attaquée.
B.10. Le troisième moyen n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette les recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 1er juin 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen