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13/04/2023 | BELGIQUE | N°65/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 13 avril 2023, 65/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 65/2023
du 13 avril 2023
Numéro du rôle : 7783
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d’appel de Mons.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, M. Pâques, T. Detienne, S. de Bethune et W. Verrijdt, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et pr

océdure
Par arrêt du 25 mars 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 1er avri...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 65/2023
du 13 avril 2023
Numéro du rôle : 7783
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d’appel de Mons.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, M. Pâques, T. Detienne, S. de Bethune et W. Verrijdt, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 25 mars 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 1er avril 2022, la Cour d’appel de Mons a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il l’article 170, § 4, spécialement alinéa 2, de la Constitution, en tant qu’il interdit aux communes de lever une taxe sur les recettes brutes générées par les spectacles et divertissements organisés sur leur territoire ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- la ville de Stavelot et la ville de Malmedy (représentées par leur collège communal), assistées et représentées par Me D. Garabedian, avocat à la Cour de cassation, et par Me P. Close, avocat au barreau de Bruxelles;
- Me Jean-Luc Paquot, avocat, agissant en sa qualité de curateur à la faillite de la SA « Didier Defourny Formula 1 », assisté et représenté par Me B. Maquet, avocat au barreau de Liège-Huy;
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me V. Delcuve et Me A. Hirsch, avocats au barreau de Bruxelles.
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Me Jean-Luc Paquot a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 15 février 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 1er mars 2023 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande de plusieurs parties à être entendues, la Cour, par ordonnance du 1er mars 2023, a fixé l’audience au 29 mars 2023.
À l’audience publique du 29 mars 2023 :
- ont comparu :
. Me D. Garabedian et Me P. Close, pour la ville de Stavelot et la ville de Malmedy;
. Me Jean-Luc Paquot, avocat, agissant en sa qualité de curateur à la faillite de la SA « Didier Defourny Formula 1 », en personne;
. Me V. Delcuve et Me N. Peren, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement wallon;
- les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune ont fait rapport;
- les parties précitées ont été entendues;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Les villes de Stavelot et de Malmedy ont chacune adopté un règlement-taxe sur les spectacles et divertissements pour les exercices d’imposition 2005 et 2006, prévoyant que la taxe est due sur le montant intégral des recettes hors TVA (article 3) et disposant qu’en cas de spectacle se déroulant à la fois sur son propre territoire et sur le territoire d’une commune voisine, la taxe est due à la commune à hauteur de 50 %.
Le 11 septembre 2005, la SA « Didier Defourny Formula 1 » (ci-après : la SA « D.D.F.1 ») organise le Grand prix de Formule 1 sur le circuit de Francorchamps, situé à cheval sur les communes de Stavelot et Malmedy, sans cependant adresser aux communes concernées les déclarations prescrites par les règlements-taxes. Après que la SA « D.D.F.1 » est déclarée en faillite, les villes de Stavelot et Malmedy lui réclament chacune un montant de 1 380 930,34 euros au titre de la taxe. Saisi par le curateur à la faillite de la SA « D.D.F.1 », le Tribunal de première instance de Liège annule ces taxes pour contrariété à l’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992
(ci-après : le CIR 1992), en ce qu’elles sont levées sur le montant intégral des recettes de l’organisateur de spectacles.
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Les villes de Stavelot et de Malmedy ont interjeté appel de ce jugement, qui fut jugé fondé le 4 mars 2015 et contre lequel le curateur à la faillite de la SA « D.D.F.1 » a formé un pourvoi en cassation. Par arrêt du 20 avril 2018 (F.16.0132.F, ECLI:BE:CASS:2018:ARR.20180420.6), la Cour de cassation casse l’arrêt du 4 mars 2015, sauf en ce qu’il reçoit l’appel.
Le juge a quo est saisi de l’appel après cassation et doit, en vertu de l’article 1110, alinéa 4, du Code judiciaire, se conformer à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 avril 2018 « sur le point de droit jugé par cette Cour ». Selon cette dernière, d’une part, une taxe communale sur les spectacles et divertissements est une taxe locale qui, comme les impôts sur les revenus, frappe les revenus et, d’autre part, cette taxe est prohibée par l’article 464, 1°, du CIR 1992. Par contre, le juge a quo estime que la décision de la Cour de cassation de ne pas poser à la Cour constitutionnelle les questions proposées par les parties défenderesses en cassation ne constitue pas un « point de droit » auquel il serait tenu de se conformer.
Devant le juge a quo, les villes de Stavelot et Malmedy font valoir que l’article 464, 1°, du CIR 1992, tel qu’il a été interprété par la Cour de cassation, viole l’article 170, § 4, de la Constitution, qui constitue le fondement de l’autonomie fiscale des communes. Se référant aux arrêts nos 189/2011 (ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.189) et 19/2012 (ECLI:BE:GHCC:2012:ARR.019), le juge a quo estime nécessaire de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite ci-dessus.
III. En droit
–A–
A.1. Le curateur à la faillite de la SA « D.D.F.1 », partie intimée devant le juge a quo, invite la Cour à répondre négativement à la question préjudicielle. Ainsi, la disposition en cause constitue une exception à la compétence fiscale des communes, que le législateur a estimé nécessaire de prévoir par l’article 83 de la loi du 29 octobre 1919 « établissant des impôts cédulaires sur les revenus et un impôt complémentaire sur le revenu global ».
La partie intimée devant le juge a quo souligne à cet égard que, par son arrêt n° 19/2012 du 16 février 2012
(ECLI:BE:GHCC:2012:ARR.019) qu’invoquent les villes de Stavelot et de Malmedy, la Cour ne se prononce que sur la compatibilité de l’article 464, 1°, du CIR 1992 avec les articles 10 et 11 de la Constitution. En l’espèce, la Cour est interrogée sur la compatibilité de cette disposition avec l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution, qui est dicté par le souci d’éviter toute superposition d’un prélèvement communal sur le prélèvement de l’État sur les revenus. Si l’article 36, 2°, de la loi du 24 décembre 1948 « concernant les finances provinciales et communales », qui abolit les taxes établies au profit de l’État sur les spectacles et les divertissements, n’a pas été abrogé, il n’est cependant pas confirmé que cette taxe a été attribuée aux communes. En effet, une taxe sur les recettes brutes des spectacles constitue un prélèvement qui se superpose au prélèvement de l’État sur les revenus et qui est condamnable à plus forte raison qu’il frappe les recettes brutes (et non la base imposable), à savoir un montant plus élevé, ce qui pénalise ainsi d’autant plus le contribuable. Cette taxe frappe en effet une matière imposable dont la consistance est très variable dans le temps et dans l’espace, ce que le législateur voulait réserver à l’État et non aux communes. Il en découle qu’il est nécessaire de prévoir une exception au principe de l’autonomie fiscale des communes afin d’éviter une superposition d’impôts préjudiciable au contribuable.
A.2.1. Les villes de Stavelot et de Malmedy, parties appelantes devant le juge a quo, constatent tout d’abord que l’interprétation donnée par le juge a quo, qui n’a pu que suivre celle de la Cour de cassation, est contraire à celle du Conseil d’État, ainsi qu’à celle donnée par la Cour constitutionnelle.
A.2.2. Les parties appelantes devant le juge a quo estiment que la question préjudicielle appelle une réponse positive.
Ainsi, l’article 170, § 4, de la Constitution consacre le principe de la plénitude du pouvoir fiscal communal, sous réserve des restrictions apportées par le législateur, pour autant que celui-ci démontre que cette restriction est nécessaire. En vertu de cette habilitation, la disposition en cause interdit aux pouvoirs subordonnés, dont les communes, d’établir des taxes similaires aux impôts sur les revenus, sur la base ou sur le montant de ces impôts.
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La disposition en cause viole donc l’article 170, § 4, de la Constitution si elle est interprétée comme interdisant aux communes de lever des taxes sur les recettes brutes générées par les spectacles et les divertissements organisés sur leur territoire, car la nécessité d’une telle interdiction n’est pas démontrée, comme la Cour l’a jugé dans son arrêt n° 19/2012, précité.
A.3. Le Gouvernement wallon souligne que tant le Conseil d’État que la Cour constitutionnelle acceptent qu’une taxe communale soit établie sur les recettes brutes des entrées des spectacles. Dans son arrêt du 20 avril 2018, la Cour de cassation persiste quant à elle à considérer que toute taxe établie sur les recettes brutes des entrées viole l’article 464, 1°, du CIR 1992.
Or, l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution n’autorise le législateur à limiter l’autonomie fiscale des communes que s’il peut justifier la nécessité de cette limitation, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Ainsi, lors de l’adoption de ce principe en 1919, l’État taxait et rétrocédait une partie du produit de la taxe aux communes et aux provinces, qui n’étaient pas autorisées à taxer les mêmes revenus ni directement ni au travers des centimes additionnels. Par contre, les travaux préparatoires de la loi du 24 décembre 1948 « concernant les finances provinciales et communales » indiquent que le législateur reconnaissait lui-même que le système mis en place depuis 1919 constituait une ingérence importante dans l’autonomie fiscale des pouvoirs subordonnés consacrée par la Constitution et souhaitait alors abandonner ou rétrocéder aux communes et provinces la taxe sur les spectacles et divertissements, qui était une taxe sur le montant brut des recettes. Dans un arrêt du 19 mars 1991 en cause de Giant (C-109/90, ECLI:EU:C:1991:126), la Cour de justice de l’Union européenne a également considéré qu’une taxe calculée sur le montant brut des recettes ne revêt pas les caractéristiques d’une taxe sur le chiffre d’affaires.
Il en découle que, dans l’interprétation selon laquelle elle interdit aux communes de taxer les spectacles et divertissements sur les recettes brutes, la disposition en cause viole l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution.
–B–
B.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité, avec l’article 170, § 4, spécialement alinéa 2, de la Constitution, de l’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), « en tant qu’il interdit aux communes de lever une taxe sur les recettes brutes générées par les spectacles et divertissements organisés sur leur territoire ».
Il ressort de la formulation de la question préjudicielle ainsi que de la décision de renvoi que le juge a quo part de la prémisse que l’article 464, 1°, du CIR 1992 doit être interprété en ce sens qu’il interdit aux communes de lever une taxe sur les recettes brutes générées par les spectacles et divertissements organisés sur leur territoire.
B.2.1. L’article 464, 1°, du CIR 1992 dispose :
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« Les provinces, les agglomérations et les communes ne sont pas autorisées à établir :
1° des centimes additionnels à l’impôt des personnes physiques, à l’impôt des sociétés, à l’impôt des personnes morales et à l’impôt des non-résidents ou des taxes similaires sur la base ou sur le montant de ces impôts, sauf toutefois en ce qui concerne le précompte immobilier ».
B.2.2. La disposition en cause interdit aux communes d’établir des centimes additionnels à l’impôt des personnes physiques, à l’impôt des sociétés, à l’impôt des personnes morales et à l’impôt des non-résidents ou des taxes similaires sur la base ou sur le montant de ces impôts, sauf toutefois en ce qui concerne le précompte immobilier.
B.3.1. La question préjudicielle vise à déterminer les limites de la compétence fiscale du législateur fédéral au regard de l’autonomie fiscale des communes consacrée par l’article 170, § 4, de la Constitution.
B.3.2. L’article 170, § 4, de la Constitution dispose :
« Aucune charge, aucune imposition ne peut être établie par l’agglomération, par la fédération de communes et par la commune que par une décision de leur conseil.
La loi détermine, relativement aux impositions visées à l’alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée ».
Conformément à cette disposition, l’agglomération, la fédération de communes et la commune disposent d’une compétence fiscale autonome, sauf lorsque la loi a déterminé ou détermine ultérieurement les exceptions dont la nécessité est démontrée.
B.3.3. L’on peut déduire des travaux préparatoires que le Constituant entendait, en adoptant la règle contenue à l’alinéa 2 de l’article 170, § 4, prévoir une « sorte de mécanisme de défense » de l’État « à l’égard des autres niveaux de pouvoir, de manière à se réserver une matière fiscale propre » (Doc. parl., Chambre, S.E. 1979, n° 10-8/4°, p. 4).
Cette règle a également été décrite par le Premier ministre comme un « mécanisme régulateur » :
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« La loi doit être ce mécanisme régulateur et doit pouvoir déterminer quelle matière imposable est réservée à l’Etat. Si on ne le faisait pas, ce serait le chaos et cet imbroglio n’aurait plus aucun rapport avec un Etat fédéral bien organisé ou avec un Etat bien organisé tout court »
(Ann., Chambre, 1979-1980, 22 juillet 1980, n° 94, p. 2707. Voy. également : ibid., p. 2708;
Ann., Sénat, 1979-1980, 28 juillet 1980, pp. 2650-2651).
« Je tiens à souligner […] que, dans ce nouveau système de répartition des compétences fiscales entre l’Etat, les communautés et les régions et institutions du même niveau, les provinces et les communes, c’est l’Etat qui a le dernier mot. C’est ce que j’appelle le mécanisme régulateur » (Ann., Sénat, 1979-1980, 28 juillet 1980, p. 2661).
L’exercice de la compétence prévue à l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution pour déterminer des exceptions est lié à la condition que la « nécessité » en soit démontrée.
La loi prise sur cette base doit être interprétée restrictivement dès lors qu’elle limite l’autonomie fiscale des communes.
B.4.1. La disposition en cause a pour origine l’article 83 des lois relatives aux impôts sur les revenus, coordonnées le 15 janvier 1948, remplacé par l’article 34 de la loi du 24 décembre 1948 « concernant les finances provinciales et communales » (ci-après : la loi du 24 décembre 1948).
Il ressort des travaux préparatoires de cette dernière loi qu’en adoptant cette disposition, le législateur entendait aboutir à une « séparation de la fiscalité des communes et de la fiscalité de l’Etat » (Doc. parl., Sénat, 1947-1948, n° 492, pp. 10-13) par la « suppression de toutes quotes-
parts des communes dans le produit des impôts d’Etat et [la] suppression de tous additionnels communaux aux mêmes impôts et de la taxe spéciale sur les traitements, salaires et pensions, à l’exception cependant des additionnels à l’impôt foncier » (ibid., p. 11). De cette manière, le législateur voulait éviter que les communes n’instaurent des impôts concurrents sur les revenus.
Cette disposition a également été justifiée comme suit :
« Cette réforme sera de nature à permettre une plus grande égalité dans les charges imposées aux contribuables, l’impôt sur les revenus professionnels les touchant dans une mesure égale quel que soit le lieu de leur domicile ou de leur résidence, et réalisera une
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simplification qui ne pourra qu’être bien accueillie par le contribuable comme par les administrations.
L’un des grands avantages du système sera aussi de remplacer, pour les communes, une base de ressources essentiellement variable dans le temps et dans l’espace par des revenus stables.
La justice distributive envisagée du point de vue des diverses communes sera ainsi parfaitement servie et les communes n’auront pas à craindre des crises que l’exiguïté même de leur territoire et la faible importance relative de leurs ressources ne leur permettent pas d’affronter sans graves dommages » (ibid., pp. 12-13).
B.4.2. Par conséquent, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 24 décembre 1948
que le législateur entendait, d’une part, éviter que les communes ne perturbent de manière excessive la politique nationale en matière d’impôts sur les revenus et, d’autre part, contribuer au traitement égal des contribuables en matière d’impôts sur les revenus, quel que soit le lieu de leur domicile ou de leur résidence. En outre, le législateur cherchait à simplifier la fiscalité en général.
B.4.3. En vertu de l’article 465 du CIR 1992, les agglomérations et les communes peuvent, par dérogation à l’article 464 du même Code, établir une taxe additionnelle à l’impôt des personnes physiques. En vertu de l’article 468 de ce Code, cette taxe additionnelle doit être fixée pour tous les contribuables d’une même agglomération ou commune à un pourcentage uniforme de l’impôt dû à l’État.
B.4.4. Le législateur a pu estimer que l’interdiction contenue dans l’article 464, 1°, du CIR 1992 était nécessaire pour parvenir à une simplification de la législation en matière d’impôts sur les revenus par l’établissement d’une séparation de principe entre les impôts de l’État et les taxes communales, et ce, dans le but, notamment, d’éviter que les communes ne perturbent de manière excessive la politique nationale en matière d’impôts sur les revenus.
B.4.5. Il résulte de ce qui précède que l’article 464, 1°, du CIR 1992, que le législateur pouvait adopter sur la base de l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution, doit être considéré comme une règle visant à répartir les compétences fiscales entre les communes et l’État.
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B.5. Il convient maintenant d’examiner si l’article 464, 1°, du CIR 1992, dans l’interprétation mentionnée en B.1, est compatible avec l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution.
B.6.1. La Cour de cassation a jugé que l’interdiction contenue dans l’article 464, 1°, du CIR 1992 empêche les communes de taxer les revenus bruts provenant d’une activité parce que ces revenus constituent un élément essentiel dans la détermination de la base de l’impôt sur les revenus (Cass., 5 mai 2011, F.10.0006.F, ECLI:BE:CASS:2011:ARR.20110505.15), même s’il s’agit des recettes d’un spectacle (Cass., 10 décembre 2009, F.08.0041.N, ECLI:BE:CASS:2009:ARR.20091210.1; Cass., 13 février 2014, F.13.0059.N, ECLI:BE:CASS:2014:ARR.20140213.7; Cass., 16 juin 2016, F.15.0089.N, ECLI:BE:CASS:2016:ARR.20160616.7).
Par l’arrêt du 20 avril 2018, précité, rendu dans le cadre du litige porté devant le juge a quo, la Cour de cassation a réaffirmé :
« En vertu de l’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, dans sa version applicable au litige, les provinces, les agglomérations et les communes ne sont pas autorisées à établir des centimes additionnels à l’impôt des personnes physiques, à l’impôt des sociétés, à l’impôt des personnes morales et à l’impôt des non-résidents ou des taxes similaires sur la base ou sur le montant de ces impôts, sauf toutefois en ce qui concerne le précompte immobilier.
Une taxe locale qui, à l’instar des impôts sur les revenus, frappe des revenus est interdite en raison de l’identité de l’assiette imposable.
Tel est le cas d’une taxe communale frappant les spectacles et divertissements qui est calculée sur les recettes brutes qui en sont tirées » (Cass., 20 avril 2018, F.16.0132.F, ECLI:BE:CASS:2018:ARR.20180420.6).
B.6.2. À propos des spectacles et des divertissements, il y a également lieu de tenir compte de l’article 36 de la loi du 24 décembre 1948 en vue de l’interprétation de l’article 464, 1°, en cause, du CIR 1992.
L’article 36 de la loi du 24 décembre 1948 dispose :
« Sont abolis, sauf en ce qui concerne les exercices antérieurs à l’exercice 1949 :
[…]
2° les taxes établies au profit de l’Etat sur :
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a) les spectacles ou divertissements;
[…]
Les taxes provinciales et communales sur les spectacles et divertissements ne peuvent s’appliquer aux représentations données dans une salle de théâtre et à ranger dans l’une des catégories suivantes : tragédie, opéra, opéra-comique, opérette, comédie, vaudeville, farce folklorique, drame, revue de début et de fin de saison ou de fin d’année par des troupes à caractère sédentaire ».
Il ressort des travaux préparatoires de cette disposition que le législateur voulait que « l’Etat [abandonne] aux communes sa taxe sur les spectacles » (Doc. parl., Sénat, 1947-1948, n° 492, p. 11), « les autorités locales voyant ainsi leur potentiel fiscal accru à due concurrence » (ibid., p. 42).
B.6.3. En conséquence de l’article 36 de la loi du 24 décembre 1948, l’assemblée générale de la section du contentieux administratif du Conseil d’État a jugé, par ses arrêts nos 199.454 et 199.455 du 12 janvier 2010, que l’article 464, 1°, du CIR 1992 « ne peut être réputé interdire aux communes de prélever une taxe sur les spectacles et divertissements sur la base des recettes brutes des entrées ».
B.7.1. Comme la Cour l’a jugé par l’arrêt n° 19/2012 du 16 février 2012
(ECLI:BE:GHCC:2012:ARR.019), le transfert aux communes de la taxe sur les spectacles et divertissements qu'a effectué le législateur dans les circonstances décrites en B.6.2 ne peut pas être considéré comme une justification suffisante pour pouvoir déroger, dans le chef des communes, à l’interdiction générale contenue dans l’article 464, 1°, du CIR 1992, adopté sur la base de l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution, de lever une taxe sur les spectacles et divertissements calculée sur la base de l’impôt des personnes physiques ou de l’impôt des sociétés.
B.7.2. L’article 464, 1°, du CIR 1992 interdit en effet aux communes d’établir notamment des taxes similaires à l’impôt des personnes physiques et à l’impôt des sociétés « sur la base de ces impôts ». Comme il est dit en B.3.3, cette disposition doit être interprétée restrictivement en raison de la limitation de l’autonomie fiscale des communes qui en découle.
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La base de l’impôt des personnes physiques est constituée du revenu imposable tel qu’il est défini à l’article 6 du CIR 1992. La base de l’impôt des sociétés est constituée des bénéfices définis à l’article 185 du CIR 1992.
L’article 464, 1°, du CIR 1992 n’interdit pas de lever une taxe communale sur les recettes brutes dès lors que cette base diffère fondamentalement de la base de l’impôt des personnes physiques comme de celle de l’impôt des sociétés, et par ailleurs également de celle de l’impôt des personnes morales visé par cette même disposition (dont la base est définie à l’article 221
du CIR 1992) et de celle de l’impôt des non-résidents (dont la base est définie à l’article 228 du CIR 1992).
En effet, bien que les recettes brutes générées par une activité et, plus généralement, les revenus bruts du contribuable constituent le point de départ pour la détermination du revenu imposable à l’impôt des personnes physiques ou du bénéfice imposable à l’impôt des sociétés, il existe une différence essentielle entre, d’une part, les recettes brutes générées par les droits d’entrée ou les revenus bruts en général et, d’autre part, les bases imposables précitées. Par la base de l’impôt, la disposition en cause ne vise pas tout élément qui est pris en compte pour le calcul de l’impôt, mais exclusivement le montant sur lequel l’impôt est calculé en définitive (voir les arrêts n° 119/2007, ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.119, B.6; n° 44/2008, ECLI:BE:GHCC:2008:ARR.044, B.6; n° 50/2011, ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.050, B.57.5).
De manière générale, il n’existe pas non plus de rapport proportionnel entre les recettes brutes ou revenus bruts et les différentes bases des impôts mentionnés à l’article 464, 1°, du CIR 1992.
B.7.3. Dans l’interprétation mentionnée en B.1, la disposition en cause n’est pas compatible avec l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution.
En effet, interprétée de la sorte, la disposition en cause limite le pouvoir fiscal des communes garanti par l’article 170, § 4, de la Constitution au-delà de ce qui est nécessaire.
B.8.1. La Cour constate cependant que la disposition en cause peut être interprétée autrement.
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B.8.2. Comme la Cour l’a jugé dans le B.6.3 de son arrêt n° 19/2012, précité, l’article 464, 1°, du CIR 1992, lu en combinaison avec l’article 36 de la loi du 24 décembre 1948, interdit certes aux communes de lever une taxe sur les spectacles et divertissements calculée sur la base de l’impôt des personnes physiques ou de l’impôt des sociétés, tout comme l’article 464, 1°, du CIR 1992 interdit aux communes de le faire pour toutes les autres activités qui se déroulent sur leur territoire, mais ne leur interdit, ni à l’égard de spectacles et divertissements ni à l’égard d’autres activités, de lever une taxe sur les recettes brutes générées par les droits d’entrée ou sur les revenus bruts.
B.8.3. Dans cette interprétation, la disposition en cause n’est pas incompatible avec l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
- L’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution, s’il est interprété en ce sens qu’il interdit aux communes de lever une taxe sur les recettes brutes générées par les spectacles et divertissements organisés sur leur territoire.
- L’article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas l’article 170, § 4, alinéa 2, de la Constitution, s’il est interprété en ce sens qu’il n’interdit pas aux communes de lever une taxe sur les recettes brutes générées par les spectacles et divertissements organisés sur leur territoire.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 avril 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 65/2023
Date de la décision : 13/04/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

- Violation (article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, s'il est interprété en ce sens qu'il interdit aux communes de lever une taxe sur les recettes brutes générées par les spectacles et divertissements organisés sur leur territoire) - Non-violation (article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, s'il est interprété en ce sens qu'il n'interdit pas aux communes de lever une taxe sur les recettes brutes générées par les spectacles et divertissements organisés sur leur territoire)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 464, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Mons. Droit fiscal - Impôts sur les revenus - Taxes communales - Taxe sur les spectacles et divertissements - Interdiction de lever une taxe sur les revenus bruts


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-04-13;65.2023 ?

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