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13/04/2023 | BELGIQUE | N°63/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 13 avril 2023, 63/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 63/2023
du 13 avril 2023
Numéro du rôle : 7800
En cause : le recours en annulation des articles 9 à 12 du décret de la Région wallonne du 3 février 2022 « relatif aux marchés du gaz et de l’électricité à la suite des inondations du mois de juillet 2021 », introduit par l’ASBL « Fédération Belge des Entreprises Electriques et Gazières ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia

et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
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Cour constitutionnelle
Arrêt n° 63/2023
du 13 avril 2023
Numéro du rôle : 7800
En cause : le recours en annulation des articles 9 à 12 du décret de la Région wallonne du 3 février 2022 « relatif aux marchés du gaz et de l’électricité à la suite des inondations du mois de juillet 2021 », introduit par l’ASBL « Fédération Belge des Entreprises Electriques et Gazières ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 mai 2022 et parvenue au greffe le 11 mai 2022, l’ASBL « Fédération Belge des Entreprises Electriques et Gazières », assistée et représentée par Me J. Mosselmans, Me M. Vanderstraeten et Me S. Feyen, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 9 à 12 du décret de la Région wallonne du 3 février 2022 « relatif aux marchés du gaz et de l’électricité à la suite des inondations du mois de juillet 2021 » (publié au Moniteur belge du 16 février 2022).
Le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me S. Depré, Me P. Vernet et Me J. Van Vyve, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, la partie requérante a introduit un mémoire en réponse et le Gouvernement wallon a également introduit un mémoire en réplique.
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Par ordonnance du 1er février 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 15 février 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 15 février 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant au moyen unique
A.1.1. L’ASBL « Fédération Belge des Entreprises Electriques et Gazières » (ci-après : la FEBEG) soutient que les dispositions attaquées violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 105
de la Constitution et avec l’article 78 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, et l’article 23
de la Constitution.
La FEBEG critique l’octroi au Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux lui permettant de modifier, de compléter et d’abroger des dispositions législatives dans des matières réservées au législateur sans que des circonstances de crise soient présentes et sans aucune urgence (première branche). Elle fait grief aux dispositions attaquées de permettre au Gouvernement de constater lui-même ces circonstances de crise (deuxième branche). La FEBEG critique ensuite le fait que l’habilitation soit valable pour une durée indéterminée et qu’elle permette au Gouvernement de déterminer la durée des mesures de pouvoirs spéciaux, cette durée pouvant aller jusqu’à un an (troisième branche). Elle critique enfin la possibilité pour le Gouvernement de déroger à l’intégralité du décret du 12 avril 2001 « relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité » (ci-après : le décret « électricité ») et du décret du 19 décembre 2002 « relatif à l’organisation du marché régional du gaz » (ci-après : le décret « gaz »)
(quatrième branche).
A.1.2. À titre liminaire, la FEBEG allègue que les dispositions attaquées opèrent des délégations dans des matières réservées au législateur par l’article 23 de la Constitution, à savoir le droit à l’aide sociale, le droit à un logement décent et le droit à l’énergie. Le principe de légalité contenu dans cette disposition oblige le législateur à définir les éléments essentiels des mesures qu’il habilite le pouvoir exécutif à prendre. De plus, par son arrêt n° 31/2004 du 3 mars 2004 (ECLI:BE:GHCC:2004:ARR.031), la Cour a jugé que les choix politiques essentiels doivent être fixés par l’assemblée législative et que seul le soin d’arrêter les modalités de leur mise en œuvre peut être laissé au pouvoir exécutif. Les dispositions attaquées confèrent au Gouvernement wallon une habilitation excessive, en ce qu’elles lui permettent de déroger à l’intégralité des décrets « électricité » et « gaz », privant ainsi une catégorie de personnes de l’intervention d’une assemblée démocratiquement élue, prévue par la Constitution.
A.1.3. La FEBEG soutient que les dispositions attaquées ne satisfont pas aux conditions permettant d’octroyer des pouvoirs spéciaux au pouvoir exécutif, énoncées par la section de législation du Conseil d’État : il faut notamment qu’il y ait des circonstances de fait exceptionnelles ou de crise qui circonscrivent la période
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pendant laquelle les pouvoirs spéciaux sont attribués; les pouvoirs spéciaux ne peuvent être attribués que pour une période limitée; les pouvoirs attribués au pouvoir exécutif doivent être définis avec précision en ce qui concerne les objectifs poursuivis, les matières dans lesquelles des mesures peuvent être prises et leur portée.
En ce qui concerne la première et la deuxième branches
A.2.1. La FEBEG fait valoir que l’octroi anticipé de pouvoirs spéciaux n’est pas admissible. Les circonstances de crise doivent être présentes lorsque l’habilitation est accordée (voy. l’arrêt n° 83/2008 du 27 mai 2008, ECLI:BE:GHCC:2008:ARR.083, B.9) et elles doivent être établies par le législateur dans la norme d’habilitation. Il s’agit d’établir à ce moment-là l’existence d’une urgence ne permettant pas au législateur d’intervenir à temps.
Selon la FEBEG, la volonté du législateur décrétal de donner une certaine flexibilité au Gouvernement et de lui permettre de prendre des mesures plus rapidement ne saurait justifier à elle seule l’octroi de pouvoirs spéciaux.
Les seules différences existant entre les procédures d’adoption des normes législatives et des normes réglementaires ne le permettent pas non plus (arrêt n° 195/2004 du 1er décembre 2004, ECLI:BE:GHCC:2004:ARR.195). Par ailleurs, le règlement du Parlement wallon prévoit une procédure législative d’urgence, dans le cadre de laquelle le législateur est parfaitement capable de prendre les mesures nécessaires.
A.2.2. La FEBEG critique l’octroi au Gouvernement wallon de la compétence de constater les circonstances de crise et l’encadrement insuffisant de celle-ci. En effet, le Gouvernement peut constater une circonstance de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d’une partie des clients résidentiels. Aucune autre condition n’est requise et aucune procédure n’est prévue. Une telle délégation est pour le moins imprécise.
A.3. Le Gouvernement wallon soutient que les circonstances de crise doivent exister au moment où les pouvoirs spéciaux sont exercés. Il ressort de l’avis de la section de législation du Conseil d’État que les circonstances de crise ne doivent pas être constatées par le législateur lui-même, pour autant que celui-ci détermine l’instance qui est habilitée à faire un tel constat, dans le cadre de la procédure qu’il fixe, et qu’il précise quelles sont ces circonstances. Les dispositions attaquées, alors en projet, ont été modifiées en ce sens, puisqu’elles prévoient que le Gouvernement constate la survenance des circonstances de crise et qu’elles précisent en quoi consistent ces circonstances de crise, celles-ci devant impacter la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d’une partie des clients résidentiels.
Selon le Gouvernement wallon, les arrêts de la Cour cités par la FEBEG, qui ont été rendus en matière fiscale et qui ne concernent pas les pouvoirs spéciaux, ne sont pas pertinents en l’espèce. En tout état de cause, ces arrêts ne remettent pas en question ce qui précède.
Le Gouvernement wallon relève ensuite que les dispositions attaquées organisent une procédure de confirmation, par décret, des mesures prises par le Gouvernement dans les six mois de l’arrêté pris, à défaut de quoi celles-ci sont censées n’avoir jamais produit d’effets. Elles prévoient également des mécanismes d’avis et de concertation avec les acteurs concernés.
Le Gouvernement wallon fait valoir que l’objectif principal du législateur décrétal est de garantir la protection des publics précarisés en cas de crise. Il ne s’agit pas de contourner la procédure normale d’élaboration des normes législatives mais seulement de donner au Gouvernement la flexibilité et les moyens nécessaires pour gérer plus efficacement et plus rapidement les situations de crise, de manière à préserver et à garantir le droit à l’énergie des particuliers. Les dispositions attaquées ont d’ailleurs été adoptées en réaction à la manière dont les crises successives avaient été gérées. Il s’agit d’anticiper les crises futures et augmenter la résilience de la politique énergétique, et de mieux gérer ces situations. Le fait que le règlement du Parlement wallon prévoie une procédure législative d’urgence n’empêche pas l’octroi de pouvoirs spéciaux. Les pouvoirs spéciaux permettent en effet une réaction rapide lorsque les circonstances l’exigent, qui n’est pas comparable avec celle que permet une telle procédure législative d’urgence, dans laquelle le Gouvernement n’a pas la main.
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A.4.1. La FEBEG répond que la jurisprudence de la Cour qu’elle cite est pertinente, dès lors que les dispositions attaquées délèguent des matières réservées au législateur. Lorsque les pouvoirs spéciaux portent sur des matières réservées, les conditions de délégation de ces éléments essentiels doivent également - et à plus forte raison - être remplies. La condition des circonstances exceptionnelles doit même être interprétée plus restrictivement pour les pouvoirs spéciaux que pour les délégations, compte tenu de l’importance des pouvoirs délégués.
La FEBEG estime que la section de législation du Conseil d’État n’a pas sous-entendu dans son avis que les circonstances exceptionnelles pourraient être absentes. Cet avis doit être lu à la lumière de nombreux autres avis de la section de législation, qui sont tous clairs sur ce point.
A.4.2. Selon la FEBEG, les circonstances de crise doivent être constatées par le législateur. Celui-ci ne peut déléguer ce constat. Les garde-fous évoqués par le Gouvernement wallon ne permettent pas de déroger à ce principe, puisqu’aucune de ces prétendues balises n’est de nature à compenser l’absence de débat parlementaire résultant des dispositions attaquées.
A.5. Le Gouvernement wallon soutient que les avis de la section de législation du Conseil d’État cités par la FEBEG n’exigent pas que des circonstances exceptionnelles soient établies au moment de l’octroi des pouvoirs spéciaux par le législateur.
Le Gouvernement wallon observe que le mécanisme attaqué n’est pas inédit. La législation de la Région de Bruxelles-Capitale en matière d’énergie permet au Gouvernement bruxellois, en cas de crise soudaine sur le marché de l’énergie ou de circonstances exceptionnelles menaçant la sécurité et l’intégrité des personnes ou des réseaux, de prendre toute mesure temporaire, telle qu’une limite de l’accès aux réseaux, pour pallier la situation.
Le Gouvernement wallon souligne que le recours aux pouvoirs spéciaux n’exclut nullement le débat parlementaire. Celui-ci a lieu en amont, lors de l’octroi des pouvoirs spéciaux, et en aval, quand il s’agit de confirmer ou non les arrêtés pris par le Gouvernement.
En ce qui concerne la troisième branche
A.6. La FEBEG soutient que les pouvoirs spéciaux ne peuvent être attribués que pour une période limitée et que la durée doit être proportionnée à la situation de crise. Les législations récentes en la matière, notamment dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, ont octroyé des pouvoirs spéciaux pour une durée de six mois maximum, en fonction de la crise. Or, les dispositions attaquées introduisent un mécanisme permanent de pouvoirs spéciaux.
La durée des pouvoirs spéciaux n’est pas déterminée par le législateur puisqu’il revient au Gouvernement de déterminer la durée des pouvoirs spéciaux en fonction de la crise constatée. Enfin, la durée des pouvoirs spéciaux est d’une année maximum, ce qui est très long.
A.7. Le Gouvernement wallon fait valoir que la durée de l’habilitation est bien limitée par le législateur décrétal puisqu’une fois que des circonstances de crise sont constatées, les mesures qui peuvent être adoptées par le Gouvernement ne peuvent pas dépasser une année.
A.8. La FEBEG estime qu’il y a lieu de distinguer la durée de l’habilitation de la durée des mesures prises en vertu des pouvoirs spéciaux. Tant la norme d’habilitation que les mesures de pouvoirs spéciaux doivent être de durée limitée. En l’occurrence, l’habilitation est de durée indéterminée. Seules les mesures de pouvoirs spéciaux ont une durée déterminée d’un an.
A.9. Le Gouvernement wallon souligne que la section de législation du Conseil d’État a elle-même admis que les mesures pouvant être prises étaient assorties d’une durée limitée.
En ce qui concerne la quatrième branche
A.10. Selon la FEBEG, les dispositions attaquées octroient au Gouvernement wallon des pouvoirs spéciaux qui sont excessifs et qui ne sont pas définis avec la précision requise. La délégation qui consiste à autoriser le Gouvernement à déroger à n’importe quelle disposition des décrets « électricité » et « gaz », qui couvrent la totalité
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du marché de l’énergie, est excessive. Puisque le Gouvernement est habilité à constater les circonstances de crise, il peut déterminer lui-même les matières dans lesquelles il prendra les mesures. La portée des mesures que le Gouvernement est habilité à prendre n’est pas davantage définie avec précision.
A.11. Le Gouvernement wallon observe que les dispositions attaquées, alors en projet, ont été modifiées à la suite de l’avis de la section de législation du Conseil d’État en vue de limiter davantage les mesures pouvant être prises par le Gouvernement. Ces mesures sont strictement limitées au public touché par les circonstances de crise préalablement constatées ou susceptible de l’être. En outre, les dispositions attaquées encadrent le but, la matière et la portée des mesures que le Gouvernement est habilité à prendre, en ce qu’elles prévoient que ces mesures doivent servir à garantir le droit à l’énergie des clients résidentiels qui seraient touchés par la survenance de circonstances de crise impactant leur santé, leur sécurité ou leur situation financière et que ces mesures doivent être justifiées et proportionnées au regard des circonstances de crise.
A.12. La FEBEG soutient que la modification qui a été apportée à l’avant-projet de décret ne répond pas à la critique émise par la section de législation du Conseil d’État. En effet, le décret attaqué permet de déroger à l’intégralité des décrets « gaz » et « électricité ». Un tel champ d’application est manifestement trop large et imprécis.
-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1.1. À la suite des inondations survenues en juillet 2021, le législateur décrétal wallon a conféré une habilitation étendue au Gouvernement, qualifiée de pouvoirs spéciaux par le législateur décrétal lui-même, afin de garantir le droit à l’énergie des clients résidentiels concernés dans le cadre de crises futures.
B.1.2. Le chapitre V, intitulé « Dispositions modificatives - Pouvoirs spéciaux », du décret de la Région wallonne du 3 février 2022 « relatif aux marchés du gaz et de l’électricité à la suite des inondations du mois de juillet 2021 » (ci-après : le décret du 3 février 2022), dispose :
« Art. 9. Dans le décret électricité, il est inséré un chapitre XV intitulé ‘ Pouvoirs spéciaux ’.
Art. 10. Dans le chapitre XV, inséré par l’article 9, il est inséré un article 67 rédigé comme suit :
‘ Art. 67. Lorsque le Gouvernement constate la survenance de circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d’une partie des clients résidentiels, il est habilité à déroger au présent décret afin de garantir le droit à l’énergie des clients résidentiels concernés, dans le respect des conditions cumulatives suivantes :
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1° les dérogations ont une durée limitée et, dans tous les cas, ne dépassent pas la durée d’une année;
2° les dérogations visent strictement le public impacté par les circonstances de crise constatées par le Gouvernement;
3° les dérogations sont justifiées et proportionnées au regard des circonstances de crise constatées par le Gouvernement.
Le projet d’arrêté est concerté avec la CWaPE, les gestionnaires de réseau de distribution, les fournisseurs, la Fédération des centres publics d’action sociale, l’Union des Villes et des Communes de Wallonie et des associations de représentation de consommateurs. La CWaPE
remet un avis sur le projet d’arrêté.
Tout arrêté pris en exécution du présent article est censé ne jamais avoir produit d’effets s’il n’a pas été confirmé par un décret dans les six mois de sa date d’entrée en vigueur ’.
Art. 11. Dans le décret gaz, il est inséré un chapitre XVI intitulé ‘ Pouvoirs spéciaux ’.
Art. 12. Dans le chapitre XVI, inséré par l’article 11, il est inséré un article 76 rédigé comme suit :
‘ Art. 76. Lorsque le Gouvernement constate la survenance de circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d’une partie des clients résidentiels, il est habilité à déroger au présent décret afin de garantir le droit à l’énergie des clients résidentiels concernés, dans le respect des conditions cumulatives suivantes :
1° les dérogations ont une durée limitée et, dans tous les cas, ne dépassent pas la durée d’une année;
2° les dérogations visent strictement le public impacté par les circonstances de crise constatées par le Gouvernement;
3° les dérogations sont justifiées et proportionnées au regard des circonstances de crise constatées par le Gouvernement.
Le projet d’arrêté est concerté avec la CWaPE, les gestionnaires de réseau de distribution, les fournisseurs, la Fédération des centres publics d’action sociale, l’Union des Villes et des Communes de Wallonie et des associations de représentation de consommateurs. La CWaPE
remet un avis sur le projet d’arrêté.
Tout arrêté pris en exécution du présent article est censé ne jamais avoir produit d’effets s’il n’a pas été confirmé par un décret dans les six mois de sa date d’entrée en vigueur. ’ ».
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B.1.3. Les travaux préparatoires du décret du 3 février 2022 mentionnent :
« Ces dispositions modifient les décrets gaz et électricité pour y insérer des pouvoirs spéciaux pour faire face aux crises futures et augmenter la résilience de la politique énergétique.
Après plusieurs périodes de crises successives, il est aujourd’hui nécessaire de prendre des mesures pour anticiper et mieux gérer ces situations.
L’objectif est de donner une flexibilité au Gouvernement pour prendre les mesures en faveur des publics précarisés qui sont souvent les premiers touchés en situation de crise. En effet, ces pouvoirs spéciaux sont strictement limités aux mesures destinées à garantir le droit à l’énergie des clients résidentiels impactés. Il s’agit donc de prendre les mesures que le Gouvernement estime utile pour maintenir l’accès à l’énergie des publics visés.
Les circonstances de crise doivent impacter la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d’une partie de ceux-ci. Il appartient au Gouvernement de constater la survenance desdites circonstances.
Les dérogations doivent remplir les conditions cumulatives suivantes :
– permettre de garantir le droit à l’énergie des clients résidentiels;
– avoir une durée limitée de maximum 1 an;
– viser strictement le public impacté par lesdites circonstances;
– être justifiées et proportionnées au regard des circonstances.
Lorsque le Gouvernement fait usage de ces pouvoirs spéciaux, le dispositif est obligatoirement concerté avec la Commission wallonne pour l’Énergie (CWaPE), les GRD, les fournisseurs, la Fédération des CPAS, l’Union des Villes et des Communes de Wallonie et des associations de représentation de consommateurs. La CWaPE remet également un avis sur le projet d’arrêté.
Une ratification parlementaire doit intervenir dans les six mois sous peine de nullité » (Doc.
parl., Parlement wallon, 2021-2022, n° 797/1, p. 5).
En commission, le ministre de l’Énergie a souligné que « le recours au mécanisme des pouvoirs spéciaux […] vise à permettre l’adoption de mesures exceptionnelles en situation d’urgence » (Doc. parl., Parlement wallon, 2021-2022, n° 797/4, p. 5).
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Quant au moyen unique
B.2. L’ASBL « Fédération Belge des Entreprises Electriques et Gazières » (ci-après : la FEBEG) prend un moyen unique de la violation, par les articles 9 à 12 du décret du 3 février 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 105 de la Constitution et avec l’article 78 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), ainsi que de l’article 23 de la Constitution.
La FEBEG critique l’octroi au Gouvernement wallon de l’habilitation lui permettant de modifier, de compléter et d’abroger des dispositions législatives dans des matières réservées au législateur sans que des circonstances de crise soient présentes et sans aucune urgence (première branche). Elle fait grief aux dispositions attaquées de permettre au Gouvernement de constater lui-même ces circonstances de crise (deuxième branche). La FEBEG critique ensuite le fait que l’habilitation soit valable pour une durée indéterminée et qu’elle permette au Gouvernement de déterminer la durée des mesures de pouvoirs spéciaux, cette durée pouvant aller jusqu’à un an (troisième branche). Elle critique enfin la possibilité pour le Gouvernement de déroger à l’intégralité du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 « relatif à l’organisation du marché régional de l’électricité » (ci-après : le décret « électricité ») et du décret de la Région wallonne du 19 décembre 2002 « relatif à l’organisation du marché régional du gaz » (ci-après :
le décret « gaz ») (quatrième branche).
La Cour examine les quatre branches du moyen ensemble, en ce qu’elles font grief au législateur décrétal d’avoir conféré une habilitation excessive au Gouvernement wallon.
B.3.1. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
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Ces droits comprennent notamment :
[…]
3° le droit à un logement décent;
[…] ».
B.3.2. L’article 23, alinéas 2 et 3, 3°, de la Constitution oblige le législateur compétent à garantir le droit à un logement décent et à déterminer les conditions d’exercice de ce droit.
Cette disposition constitutionnelle n’interdit cependant pas à ce législateur d’accorder des délégations au pouvoir exécutif, pour autant qu’elles portent sur l’exécution de mesures dont le législateur a déterminé l’objet.
Cette disposition constitutionnelle n’impose pas au législateur de régler tous les éléments essentiels du droit à un logement décent et ne lui interdit pas d’habiliter le pouvoir exécutif à régler ceux-ci.
B.4.1. L’article 78 de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose :
« Le Gouvernement n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois et décrets portés en vertu de celle-ci ».
B.4.2. Lorsqu’une disposition constitutionnelle spécifique, tel l’article 23 de la Constitution, offre la garantie que, dans une matière donnée, l’objet des mesures à adopter sera déterminé par une assemblée délibérante démocratiquement élue, elle englobe la garantie offerte par l’article 78 de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.4.3. L’article 105 de la Constitution est étranger à la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif au niveau des entités fédérées. Dès lors, la Cour n’en tient pas compte dans son examen.
B.5. En ce qu’elles habilitent le Gouvernement wallon, lorsqu’il constate la survenance de circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière des clients
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résidentiels ou d’une partie des clients résidentiels, à déroger au décret « électricité » et au décret « gaz » afin de garantir le droit à l’énergie des clients résidentiels concernés, dans le respect de plusieurs conditions cumulatives, les dispositions attaquées règlent une matière qui relève du droit à un logement décent visé à l’article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution.
La Cour doit donc examiner si les habilitations accordées au Gouvernement wallon, indépendamment de leur qualification comme « pouvoirs spéciaux », sont compatibles avec le principe de légalité contenu dans l’article 23 de la Constitution.
B.6. Les dispositions attaquées habilitent le Gouvernement, lorsqu’il constate la survenance de circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière des clients résidentiels ou d’une partie des clients résidentiels, à déroger aux décrets « électricité » et « gaz » afin de garantir le droit à l’énergie des clients résidentiels concernés.
La mise en œuvre de cette habilitation est soumise au respect de trois conditions cumulatives : (1) les dérogations ont une durée limitée et, dans tous les cas, ne dépassent pas la durée d’une année; (2) les dérogations visent strictement le public impacté par les circonstances de crise constatées par le Gouvernement; (3) les dérogations sont justifiées et proportionnées au regard des circonstances de crise constatées par le Gouvernement.
Dans le cadre de l’élaboration des arrêtés, le Gouvernement a l’obligation de se concerter avec la Commission wallonne pour l’énergie (CWaPE), les gestionnaires de réseau de distribution, les fournisseurs, la Fédération des centres publics d’action sociale, l’Union des Villes et des Communes de Wallonie et des associations de représentation de consommateurs.
La CWaPE doit également remettre un avis sur les projets d’arrêté.
Enfin, le législateur décrétal doit confirmer les arrêtés dans les six mois de leur date d’entrée en vigueur, sans quoi ceux-ci sont censés n’avoir jamais produit d’effets.
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B.7.1. Il découle de ce qui est dit en B.3.2 qu’une habilitation conférée au pouvoir exécutif de prendre des mesures dont le législateur décrétal n’aurait pas déterminé l’objet, dans les matières visées à l’article 23 de la Constitution, est, en principe, inconstitutionnelle.
Toutefois, lorsque le législateur décrétal se trouve dans l’impossibilité de déterminer lui-
même l’objet des mesures à prendre dans une telle matière parce que le respect de la procédure parlementaire ne lui permettrait pas de réaliser un objectif d’intérêt général, il peut être admis qu’il habilite le pouvoir exécutif à le faire. À cet effet, il est en tout cas requis qu’il détermine explicitement et sans équivoque l’objet de cette habilitation et que les mesures prises par le pouvoir exécutif soient confirmées par le législateur décrétal dans un délai relativement court, fixé dans la norme d’habilitation.
B.7.2. Par ailleurs, le principe de légalité contenu dans l’article 23 de la Constitution ne s’oppose pas à ce qu’une telle habilitation soit faite en anticipation de circonstances exceptionnelles, ni à ce que le pouvoir exécutif constate lui-même, le moment venu, la survenance de telles circonstances, pour autant que le législateur décrétal ait défini celles-ci à l’avance, de manière suffisamment précise, et que l’habilitation soit strictement limitée aux mesures nécessaires pour faire face à ces circonstances exceptionnelles.
B.8. Il ressort de ce qui est dit en B.6 que le législateur décrétal a déterminé explicitement et sans équivoque l’objet de l’habilitation conférée au Gouvernement et que les mesures prises doivent être confirmées dans les six mois de leur entrée en vigueur, ce qui est un délai relativement court. Le législateur décrétal a également défini de manière suffisamment précise les circonstances exceptionnelles dans lesquelles le Gouvernement est habilité à agir, à savoir des circonstances de crise impactant la santé, la sécurité ou la situation financière de clients résidentiels dont l’accès à l’énergie est compromis. Enfin, l’habilitation est strictement limitée aux mesures nécessaires pour faire face aux circonstances précitées. En effet, l’habilitation autorise uniquement à déroger aux décrets « électricité » et « gaz », ce qui ne permet de régler
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les matières concernées que par voie d’exception aux dispositions qui restent généralement applicables; ces dérogations doivent viser strictement les clients résidentiels impactés par les circonstances de crise, dont elles tendent à garantir le droit à l’énergie. Le législateur décrétal a également prévu que les mesures doivent être justifiées et proportionnées au regard des circonstances et que leur durée est limitée à une période qui ne peut excéder un an.
Enfin, en vue d’assurer le respect de ces conditions, le Gouvernement doit se concerter avec les acteurs concernés avant de prendre les mesures précitées, lesquelles doivent de surcroît faire l’objet d’un avis préalable de la CWaPE.
Le respect de ces conditions peut être contrôlé par le juge compétent.
B.9. Le moyen unique n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 avril 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 63/2023
Date de la décision : 13/04/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-04-13;63.2023 ?

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