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13/04/2023 | BELGIQUE | N°61/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 13 avril 2023, 61/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 61/2023
du 13 avril 2023
Numéro du rôle : 7755
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 13, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public », posées par la Cour du travail de Liège, division de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges M. Pâques, Y. Kherbache, T. Det

ienne, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par l...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 61/2023
du 13 avril 2023
Numéro du rôle : 7755
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 13, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public », posées par la Cour du travail de Liège, division de Liège.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par arrêt du 15 février 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 21 février 2022, la Cour du travail de Liège, division de Liège, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Dans l’interprétation selon laquelle l’article 13 al. 2 de la loi du 03.07.1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public, applicable aux membres du personnel définitif, stagiaire, temporaire, auxiliaire ou engagés par contrat de travail qui appartiennent aux établissements d’enseignement subventionnés par l’une des Communautés ou par la Commission communautaire française en exécution de l’arrêté royal du 24.01.1969 relatif à la réparation en faveur de membres du personnel du secteur public, des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail, exclut toute indexation - indexation prévue conformément à la loi du 1er mars 1977
organisant un régime de liaison à l’indice des prix à la consommation du Royaume de certaines dépenses dans le secteur public sur la base de l’indice-pivot 138.01 - de la rente lorsque l’incapacité de travail permanente n’atteint pas 16 % et donc en ce compris une indexation de la rente à la date de l’accident, cet article viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que :
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- d’une part, il traite différemment les victimes d’un accident du travail (qui s’est produit après le 01.07.1962) relevant du secteur public, en fonction du taux de leur incapacité permanente (qui atteint ou pas 16 %) alors que leur rémunération de référence est calculée de la même manière (mécanisme de désindexation prévu par l’article 14 § 2 de l’arrêté royal du 24.01.1969) et que l’indexation de la rente prévue par l’article 13 al. 1er de la loi du 03.07.1969
[lire : 1967] est destinée à assurer, à la date de l’accident, la cohérence interne du régime applicable dans le secteur public dans l’objectif de l’article 4, alinéa 1er [lire : article 4, § 1er, alinéa 1er], de la même loi du 03.07.1967 qui prévoit que la rente est établie sur la base de la rémunération annuelle à laquelle la victime a droit au moment de l’accident, indépendamment du fait que l’incapacité de la victime atteint ou non 16 %;
- d’autre part, il traite les victimes relevant du secteur public et subissant une ‘ petite incapacité ’ d’une manière comparable aux victimes subissant une même ‘ petite incapacité ’ dans le secteur privé alors qu’elles ne se trouvent pas dans la même situation ? Leur rémunération de référence n’est pas calculée de la même manière (articles 34 et suivants de la loi du 10.04.1971 dans le secteur privé qui tiennent compte d’une rémunération indexée versus l’article 4 de la loi du 03.07.1967 combiné à l’article 14 § 2 de l’arrêté royal du 24.01.1969 qui tiennent compte d’une rémunération désindexée). Ce calcul, propre à chaque mécanisme, prive les victimes de ‘ petites incapacités ’ permanentes relevant du secteur public d’une indexation pour le futur - ce qui est aussi le cas des victimes du secteur privé en application de l’article 27bis de la loi du 10.04.1971 - mais également d’une indexation destinée à rééquilibrer le montant de leur rente et donc d’assurer la cohérence interne de leur régime, cohérence interne qui n’est pas affectée par la suppression de l’indexation des ʽ petites incapacités ʼ dans le secteur privé en rappelant que cette cohérence interne poursuit, dans les deux secteurs, le même objectif qui est celui de donner à la victime une réparation appropriée de son préjudice.
2) Dans l’interprétation selon laquelle la non indexation de la rente lorsque l’incapacité de travail permanente n’atteint pas 16 % ne s’applique qu’après que le montant de la rente a été correctement déterminé - c’est-à-dire calculé en fonction de la rémunération de référence désindexée due à la date de l’accident du travail à laquelle s’applique le plafond légal fixe, et réindexé à la même date - l’article 13. al. 2 de la loi du 03.07.1967 viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- D.R., assisté et représenté par Me V. Delfosse, avocat au barreau de Liège-Huy;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Slegers et Me M. Kerkhofs, avocats au barreau de Bruxelles.
Le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réponse.
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Par ordonnance du 15 février 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 1er mars 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 1er mars 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le Tribunal du travail de Liège, division de Liège, est saisi d’un litige portant sur l’indemnisation des séquelles d’un accident du travail survenu le 21 juin 1996. Par un jugement du 18 juin 2006, ce Tribunal mandate un expert, afin d’établir si les lésions dont se plaint la victime sont la conséquence de l’accident du travail précité, de déterminer si la victime est atteinte d’une incapacité temporaire, totale ou partielle et d’en fixer le taux et la durée, et, enfin, d’établir si la victime est atteinte d’une incapacité permanente partielle et d’en fixer le taux. Le 5 mars 2018, l’expert dépose son rapport définitif au greffe du Tribunal du travail. Par un jugement du 2 mars 2021, le rapport précité est écarté et un nouvel expert est mandaté. L’employeur de la victime fait appel de ce jugement devant la Cour du travail de Liège, division de Liège. La victime, elle, interjette un appel incident. Par un arrêt du 15 février 2022, la Cour du travail de Liège juge que les problèmes de santé de la victime sont la conséquence de l’accident du travail précité. Elle estime en outre que la victime n’a pas subi d’incapacité temporaire partielle, que quatre périodes d’incapacité temporaire totale doivent être indemnisées par l’employeur et que le taux de l’incapacité permanente partielle est de 5 %. En ce qui concerne le calcul de la rente d’incapacité permanente, la Cour du travail de Liège constate que les parties demandent l’application de méthodes de calcul différentes. L’employeur applique les textes normatifs de manière stricte et considère que le plafond légal de la rémunération de base ne peut pas être indexé, tandis que la victime de l’accident du travail précité demande que le plafond appliqué en vertu de la loi soit revalorisé et que la rémunération de référence soit indexée après application du plafond ou, à tout le moins, que la rente fasse l’objet d’une indexation unique.
La Cour du travail de Liège constate qu’elle ne peut pas revaloriser le plafond légal précité sans violer l’article 4 de la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public »
(ci-après : la loi du 3 juillet 1967). En ce qui concerne la demande d’indexation de la rente à la date de l’accident, la Cour du travail constate que la loi du 3 juillet 1967 ne prévoit plus cette indexation pour les incapacités permanentes dont le taux est inférieur à 16 %, comme c’est le cas en l’espèce. Elle constate néanmoins que, par un arrêt du 5 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles, considérant que la désindexation de la rémunération de base à la date de l’accident doit être neutralisée par l’indexation de la rente jusqu’à cette date, a privilégié une « interprétation systémique » de la loi du 3 juillet 1967. La Cour du travail de Liège considère qu’elle ne peut privilégier une telle interprétation sans interroger la Cour au sujet de la constitutionnalité de l’article 13, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1967. Partant, elle sursoit à statuer sur ce point et pose à la Cour les questions reproduites plus haut.
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III. En droit
-A-
Quant à la première question préjudicielle
A.1.1. La partie intimée dans le cadre de l’appel principal devant la juridiction a quo allègue que la première question préjudicielle, en sa première branche, appelle une réponse affirmative, dès lors qu’une réponse négative reviendrait à considérer que la victime d’un accident de travail survenu après le 1er juillet 1962 qui relève du secteur public et dont le taux d’incapacité permanente est inférieur à 16 % se voit indemniser sur la base d’une rémunération de référence ne correspondant pas à la rémunération annuelle à laquelle elle avait droit au moment de l’accident, contrairement à la victime dont le taux d’incapacité est supérieur à 16 %. Contrairement à ce que la Cour a jugé dans son arrêt n° 40/96 du 27 juin 1996 (ECLI:BE:GHCC:1996:ARR.040), il n’existe, en l’espèce, aucun critère objectif permettant de justifier cette différence de traitement. Selon la partie intimée, rien ne justifie que, selon le taux d’incapacité reconnu, la victime d’un accident du travail soit indemnisée ou non sur la base de la rémunération annuelle correspondant à la rémunération annuelle à laquelle elle avait droit au moment de l’accident, ni qu’elle soit indemnisée ou non compte tenu du temps qui s’est écoulé entre la base du calcul et la date de l’accident.
A.1.2. En ce qui concerne la première question préjudicielle, en sa seconde branche, la partie intimée soutient que celle-ci aussi appelle une réponse affirmative, dès lors que, dans le premier cas visé dans cette branche, la victime est indemnisée compte tenu de la rémunération perçue à la date de l’accident, tandis que, dans le second, elle est indemnisée sur la base d’une rémunération désindexée ne correspondant pas à la rémunération qu’elle percevait à la date de l’accident. Or, les travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public » (ci-après : la loi du 3 juillet 1967) indiquent que l’objectif du législateur est que les victimes soient indemnisées par le paiement d’une rente dont le montant serait déterminé par deux facteurs, parmi lesquels la rémunération annuelle telle qu’elle était perçue au moment du sinistre. Partant, interpréter l’article 13 de cette loi comme interdisant toute indexation pour neutraliser ainsi l’écoulement du temps entre la base du calcul et la date de l’accident est incompatible avec le texte légal et ses travaux préparatoires. Cette interprétation engendre par ailleurs une discrimination entre les personnes visées dans la seconde branche de la première question préjudicielle, dès lors que ces personnes se trouvent dans des situations comparables, que la différence de traitement n’est pas objectivement justifiée et que l’absence d’indexation du plafond ne modifie en rien ce constat.
A.2.1. Le Conseil des ministres soutient que la première question préjudicielle, en sa première branche, repose sur le postulat erroné selon lequel la désindexation de la rémunération de base dans le secteur public est justifiée par l’indexation ultérieure des indemnités. Or, il n’appartient pas à la juridiction a quo de juger de la constitutionnalité des dispositions législatives. En ce qui concerne les dispositions réglementaires, il revient à la juridiction a quo d’écarter leur application si elle les estime contraires aux normes hiérarchiquement supérieures.
En réalité, le législateur a confié au Roi le soin de prévoir les modalités de détermination de l’incapacité de travail, de sorte qu’il n’appartient pas au juge d’en apprécier les motifs ni la contrepartie. Par ailleurs, ce n’est pas parce que la rémunération de référence pour le calcul de la rente perçue pour une « petite » incapacité de travail n’est pas indexée dans le régime applicable au secteur public que la rente calculée sur cette base doit nécessairement l’être par la suite. La non-indexation de la rémunération de base s’explique par le fait que la rémunération est barémisée. La détermination de l’indemnité forfaitaire pour un accident du travail relève quant à elle du choix politique du législateur de ne pas indexer les rentes pour les « petites » incapacités de travail, pour des motifs budgétaires visant à garantir la pérennité du système.
La non-indexation précitée a été introduite dans l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967 par la loi du 30 mars 1994 « portant des dispositions sociales » (ci-après : la loi du 30 mars 1994). Les travaux préparatoires de la loi du 30 mars 1994 attestent qu’un choix a été fait entre, d’une part, la suppression de l’indemnisation des « petites »
incapacités de travail et , d’autre part, le versement d’une rente non indexée. Le législateur a privilégié la seconde
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option, plus favorable, en posant un choix sociétal qui tient également compte du fait qu’il n’est pas possible d’indexer toutes les rentes et rémunérations, de sorte que ce choix repose sur des motifs budgétaires et est justifié par ceux-ci. Ce système n’est ni incohérent ni déraisonnable, dès lors que seules les rentes pour les « petites »
incapacités ne sont pas indexées, contrairement aux rentes relatives à des incapacités dont le taux est supérieur ou égal à 16 %. Il n’est pas déraisonnable de considérer que les victimes d’un accident du travail qui subissent une « petite » incapacité pourront normalement poursuivre leur activité et percevoir une rémunération inchangée. En réalité, l’indemnité compense essentiellement les efforts accrus que ces victimes doivent fournir pour maintenir leur capacité de gain. Le raisonnement privilégié par la Cour dans son arrêt n° 40/96 précité est transposable en l’espèce. Le Conseil des ministres ajoute que la fixation du taux d’incapacité repose sur des standards internationaux auxquels le législateur a expressément fait référence, ce qui n’est pas déraisonnable et prouve que la Belgique a agi de manière normalement prudente et diligente en agissant comme d’autres États. Partant, la première question préjudicielle, en sa première branche, appelle une réponse négative.
A.2.2. En ce qui concerne la première question préjudicielle, en sa seconde branche, le Conseil des ministres relève que celle-ci est très similaire à la question qui est à l’origine de l’arrêt de la Cour n° 178/2014 du 4 décembre 2014 (ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.178), de sorte qu’il convient d’y apporter une réponse similaire, à savoir que la désindexation de la rémunération de référence dans le régime du secteur public est organisée par un arrêté royal et ne relève donc pas de la compétence de la Cour. En outre, le Conseil des ministres soutient que cette seconde branche repose sur le même postulat erroné que la première. Par ailleurs, il n’est pas requis que le régime des travailleurs du secteur public et le régime des travailleurs du secteur privé soient similaires, pour autant que chaque régime dispose de règles qui lui sont propres et que celles-ci soient conformes à la logique du système auquel elles appartiennent. À l’inverse, des règles identiques entre les secteurs pourraient contrevenir à cette cohérence interne.
En l’espèce, tant le régime applicable au secteur public que le régime applicable au secteur privé prévoient que les rentes pour les petites incapacités ne sont pas indexées, pour des motifs budgétaires visant à pérenniser le régime de sécurité sociale. En réalité, la première question préjudicielle, en sa seconde branche, ne porte pas sur l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967 mais sur la manière dont la rémunération de base est fixée, de sorte que la question est irrecevable. Par ailleurs, les personnes visées dans cette seconde branche sont traitées de la même manière et se trouvent dans des situations comparables.
A.3. Dans son mémoire en réponse, le Conseil des ministres apporte plusieurs précisions. D’abord, il affirme que l’indemnisation des « petites » incapacités a été maintenue, avec la garantie de la viabilité du système ainsi qu’une logique inhérente à ces indemnisations, laquelle est la même pour le secteur public et pour le secteur privé.
En effet, le paiement des revenus de remplacement indemnisant l’accident du travail tient compte de l’évolution des conséquences de l’accident dans le temps. Cet aspect temporel est central dans la détermination du revenu de remplacement. Le moment pivot dans cette évolution est celui de la consolidation du dommage, c’est-à-dire lorsque les lésions sont fixées et revêtent un caractère permanent, de sorte qu’un traitement n’est plus nécessaire, si ce n’est pour éviter une aggravation. Il est alors possible d’apprécier l’existence éventuelle d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique.
Le Conseil des ministres ajoute que le régime d’indemnisation des accidents du travail prévoit une réparation intégrale et forfaitaire du dommage matériel résultant de l’accident du travail. Est aussi prévue, par ailleurs, une indemnisation du préjudice physique subi par la victime. Elle tend à réparer le dommage physique représentant l’effort accru que le travailleur doit supporter pour maintenir son activité et sa rémunération, ainsi que la perte de la capacité de gain, qui est évaluée au moment de la consolidation. Cette perte concerne le potentiel économique qui a été réduit à la suite de l’accident. Le législateur a décidé de ne pas indexer les rentes des petites incapacités, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, dès lors que, dans ce cas, le préjudice du travailleur est essentiellement lié à l’effort accru précité. En réalité, s’il doit fournir un effort pour conserver sa capacité de gain, il ne perd pas réellement celle-ci et ne subit pas de perte de revenu, ce qui explique l’absence d’indexation. À
l’inverse, lorsque l’incapacité est plus importante, la victime est en général confrontée à une capacité moindre de développement de sa carrière et donc à une plus petite capacité de gain. Dans ce cas, l’accident engendre une perte de revenu, qui est amenée à évoluer.
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Quant à la seconde question préjudicielle
A.4. La partie intimée allègue que la seconde question préjudicielle appelle une réponse négative, dès lors que l’interprétation de la loi du 3 juillet 1967 qu’elle sous-tend est la seule interprétation compatible avec l’intention du législateur. En effet, l’objectif du législateur est d’adopter un régime comparable au régime applicable au secteur privé, sans toutefois étendre purement et simplement le régime du secteur privé au secteur public, eu égard au fait que le statut des fonctionnaires comporte des particularités dont il convient de tenir compte et qui justifient certaines règles distinctes. La logique propre au système du secteur public ne permet pas, en l’espèce, de justifier une différence de traitement quant à la rémunération de base à prendre en considération. En effet, rien n’explique pourquoi certaines personnes sont indemnisées sur la base d’une rémunération faisant référence au moment de l’accident, alors que d’autres le sont sur la base d’une rémunération qui ne tient pas compte du moment de l’accident. En ce qui concerne la problématique du plafond, la partie intimée ajoute qu’à l’origine, le législateur a voulu que celui-ci soit strictement identique dans les deux systèmes. L’introduction d’un plafond fixe n’a pas eu pour objectif de différencier celui-ci du plafond applicable dans le secteur privé, mais simplement d’actualiser le plafond prévu par la loi du 3 juillet 1967. L’interprétation privilégiée dans la seconde question préjudicielle amène à calculer la rente compte tenu de la rémunération désindexée due à la date de l’accident, à laquelle s’applique le plafond légal, et à revaloriser ensuite le montant de la rente obtenu, compte tenu de la date de l’accident, ce qui est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.5.1. À titre principal, le Conseil des ministres soutient que les catégories de personnes visées dans la seconde question préjudicielle ne sont pas identifiables. La juridiction a quo n’identifie en effet qu’une seule catégorie de personnes, à savoir les victimes d’un accident du travail relevant du régime de la loi du 3 juillet 1967
dont l’incapacité n’atteint pas 16 %, tout en s’abstenant de mentionner avec quelle catégorie de personnes ces victimes doivent être comparées. Partant, la seconde question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
A.5.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres affirme que la Cour n’est pas compétente pour répondre à cette question préjudicielle, dès lors que la juridiction a quo vise en réalité la désindexation de la base de calcul de la rente d’incapacité, qui, comme la Cour l’a déjà jugé par l’arrêt n° 178/2014 précité, découle de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 « relatif à la réparation, en faveur de membres du personnel du secteur public, des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail » (ci-après : l’arrêté royal du 24 janvier 1969).
A.5.3. À titre infiniment subsidiaire, le Conseil des ministres soutient que la seconde question préjudicielle appelle une réponse négative. À son estime, soit la question porte sur la comparaison entre, d’une part, les victimes d’un accident du travail dont l’incapacité n’excède pas 16 % et qui relèvent du régime du secteur public et, d’autre part, les victimes d’un accident du travail qui relèvent du régime du secteur privé, de sorte qu’elle est identique à la seconde branche de la première question préjudicielle, soit la question porte sur la comparaison entre, d’une part, les victimes d’un accident du travail relevant du régime de la loi du 3 juillet 1967 dont l’incapacité n’excède pas 16 % et, d’autre part, celles dont l’incapacité est supérieure à 16 %,, de sorte qu’elle est identique à la première branche de la première question préjudicielle.
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-B-
Quant à la disposition en cause et à sa portée
B.1.1. L’article 13 de la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public » (ci-après : la loi du 3 juillet 1967)
dispose :
« Les rentes visées à l’article 3, alinéa 1er, les indemnités additionnelles visées à l’article 4, § 2, les allocations d’aggravation et les allocations de décès sont augmentées ou diminuées conformément à la loi du 1er mars 1977 organisant un régime de liaison à l’indice des prix à la consommation du Royaume de certaines dépenses dans le secteur public. Le Roi détermine comment elles sont rattachées à l’indice-pivot 138,01.
Toutefois, l’alinéa 1er n’est pas applicable aux rentes lorsque l’incapacité de travail permanente n’atteint pas 16 % ».
L’article 3, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967 dispose :
« Selon les modalités fixées par l’article 1er :
1° la victime d’un accident du travail, d’un accident survenu sur le chemin du travail ou d’une maladie professionnelle a droit :
a) à une indemnité pour frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques, hospitaliers, de prothèse et d’orthopédie;
b) à une rente en cas d’incapacité de travail permanente;
c) à une allocation d’aggravation de l’incapacité permanente de travail après le délai de révision;
2° les ayants droit d’une victime décédée ont droit :
a) à une indemnité pour frais funéraires;
b) à une rente de conjoint survivant, de partenaire cohabitant légal survivant, d’orphelin ou d’ayant droit à un autre titre;
c) à une allocation de décès après le délai de révision;
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3° la victime, le conjoint, le partenaire cohabitant légal, les enfants et les parents ont droit à l’indemnisation des frais de déplacement et de nuitée résultant de l’accident ou de la maladie professionnelle;
4° le membre du personnel menacé ou atteint par une maladie professionnelle et qui, de ce fait, cesse temporairement d’exercer ses fonctions, a droit à une indemnité ».
Il ressort de la motivation de l’arrêt de renvoi que le litige porte sur l’octroi d’une rente pour incapacité de travail permanente visée à l’article 3, alinéa 1er, 1°, b), de la loi du 3 juillet 1967.
B.1.2. Les questions préjudicielles portent sur l’alinéa 2 de l’article 13 de la loi du 3 juillet 1967, qui prévoit, en ce qui concerne le secteur public, que la rente en cas d’incapacité de travail permanente n’est pas indexée lorsque cette incapacité est inférieure à 16 %.
B.1.3. La non-indexation des rentes pour les « petites » incapacités permanentes dans le secteur public trouve son origine dans la loi du 30 mars 1994 « portant des dispositions sociales » (ci-après : la loi du 30 mars 1994). Les travaux préparatoires précisent à cet égard :
« par analogie avec ce qui a été décidé pour ce qui est du secteur privé, la rente accordée à la suite d’un accident du travail ne sera plus indexée si l’invalidité encourue n’atteint pas 10 p.c.
Le ministre souligne que, dans la fonction publique, il y a déjà un certain temps que, lorsque l’invalidité est inférieure à 10 p.c., on ne verse plus un capital mais une rente, et celle-ci ne sera donc plus indexée à l’avenir.
[…]
Un membre prend acte de la décision de ne plus indexer la rente due à la suite d’un accident du travail lorsque l’invalidité est inférieure à 10 p.c. L’intervenant regrette de devoir constater que le Gouvernement doit recourir à ce genre de mesures mesquines.
Le ministre répond que la mesure a été inspirée par des comparaisons avec l’étranger, qui ont montré que la Belgique était l’un des seuls pays dans lesquels une indemnité est accordée en cas d’invalidité inférieure à 10 p.c. Il rappelle que le Gouvernement avait l’intention de ne plus accorder d’indemnité dans le secteur privé en cas d’invalidité inférieure à 10 p.c., mais qu’il a changé d’avis en tenant compte des observations formulées par les interlocuteurs sociaux. Par analogie avec ce qui a été décidé pour ce qui est du secteur privé, seule une rente non indexée sera encore accordée en cas d’invalidité inférieure à 10 p.c. » (Doc. parl., Sénat, 1993-1994, n° 980/5, pp. 9, 10 et 11).
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En ce qui concerne la non-indexation dans le secteur privé, les travaux préparatoires de la loi du 30 mars 1994 précisent :
« Une des mesures préconisées dans le plan global visant à faire des économies en sécurité sociale était la suppression de l’indemnisation en capital des incapacités permanentes de travail de moins de 10 p.c. dans les secteurs des accidents du travail et des maladies professionnelles;
cette mesure se fondait notamment sur la comparaison avec les seuils d’indemnisation appliqués dans les autres pays de l’Union européenne.
Finalement, le Gouvernement a opté pour la solution du paiement aux victimes d’accidents du travail d’une rente viagère non indexée en lieu et place du versement unique de la réparation en capital. Désormais, le capital sera versé au Fonds des accidents du travail, qui assurera le paiement de la rente et qui pourra donc aussi appliquer la limitation du cumul avec les pensions.
Pour contribuer en outre au financement de la sécurité sociale, on passe pour ce type d’indemnisation d’un système de capitalisation à un système de répartition. Le Roi fixera par arrêté délibéré en Conseil des Ministres la partie des capitaux versés au Fonds qui sera transférée au Fonds pour l’équilibre financier de la sécurité sociale après le paiement annuel des rentes.
Etant donné que les obligations financières du Fonds se réduiront au fil des ans du fait que l’indexation des rentes a été privatisée en 1988, le paiement des rentes pour les incapacités de moins de 10 p.c. est garanti à suffisance pour l’avenir.
Pour réaliser une incidence financière à court terme, le transfert est d’application à tous les accidents réglés à dater du 1er janvier 1994 soit par accord entériné, soit par décision judiciaire coulée en force de chose jugée, et les victimes qui ont en perspective un paiement sous forme de capital au cours de la période 1994-1996 voient leurs droits sauvegardés.
Pour les victimes de maladies professionnelles, le Gouvernement a opté pour une formule selon laquelle les indemnités pour une incapacité de travail permanente inférieure à 10 p.c.
continuent à être payées, mais ne sont plus indexées » (Doc. parl., Sénat, 1993-1994, n° 980/1, p. 11).
B.1.4. Le taux de 16 % visé à l’article 13, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1967 a été fixé par l’arrêté royal du 8 août 1997 « modifiant la loi du 3 juillet 1967 sur la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public en application de l’article 3, § 1er, 4°, de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne » (ci-après : l’arrêté royal du 8 août 1997), pris
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sur la base de la loi du 26 juillet 1996 « visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne ».
Le rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 8 août 1997 indique à ce sujet :
« Depuis la loi du 30 mars 1994 portant des dispositions sociales, l’indemnisation des incapacités de travail inférieures à 10 % réglées à partir du 1er janvier 1994 s’effectue sous forme d’une rente annuelle non indexée.
Dans le prolongement de la notion de petites incapacités permanentes de travail au niveau européen, voire international, il est proposé d’étendre ce système aux incapacités de travail de 10 % à moins de 16 % » (Moniteur belge, 27 août 1997, p. 21838).
L’arrêté royal du 8 août 1997 a été confirmé par la loi du 12 décembre 1997 « portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne, et de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions », dont les travaux préparatoires précisent :
« L’arrêté royal du 26 mai 1997 modifiant les lois relatives à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles, coordonnées le 3 juin 1970, en exécution de l’article 3, § 1er, 4°, et § 2, de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne, vise à étendre la non-indexation existante des indemnités annuelles de maladies professionnelles pour des incapacités permanentes de travail inférieures à 10 %, à celles dont le pourcentage est égal ou supérieur à 10 % mais inférieur à 16 %.
Cette mesure doit permettre au Fonds des maladies professionnelles d’économiser, au profit de la sécurité sociale, 7 millions de francs en 1997, 18 millions de francs en 1998 et 30 millions de francs en 1999.
L’arrêté royal du 8 août 1997 modifiant la loi du 3 juillet 1967 sur la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public, en application de l’article 3, § 1er, 4°, de la loi du 26 juillet 1996 visant à réaliser les conditions budgétaires de la participation de la Belgique à l’Union économique et monétaire européenne, comporte la même mesure pour le secteur public.
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Ainsi, les deux arrêtés précités s’inscrivent dans la notion européenne, voire internationale de petites incapacités permanentes de travail » (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, n° 1195/1, pp. 9-10).
Quant au fond
En ce qui concerne la première question préjudicielle, en sa première branche
B.2. La première question préjudicielle, en sa première branche, porte sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’elle fait naître, en ce qui concerne le secteur public, une différence de traitement entre les victimes d’un accident du travail dont le taux d’incapacité de travail permanente est égal ou supérieur à 16 %
et les victimes d’un accident du travail dont l’incapacité de travail permanente n’atteint pas 16 %, dès lors qu’elle exclut, dans la seconde hypothèse, le mécanisme d’indexation de la rente perçue.
B.3.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.3.2. Le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu pour déterminer sa politique dans les matières socio-économiques. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit de réglementer la manière d’indemniser les accidents du travail, qui fait partie de l’ensemble de la réglementation de la sécurité sociale. Il appartient au législateur soucieux de maîtriser les dépenses de déterminer, compte tenu de la finalité de l’indemnisation concernée et de l’équilibre financier à garantir, les modalités de la fixation de l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail. Ce faisant, le législateur ne peut toutefois violer le principe d’égalité et de non-discrimination.
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B.4. Il ressort des travaux préparatoires et du rapport au Roi cités en B.1.3 et B.1.4 que la disposition en cause poursuit un objectif d’assainissement financier dans le secteur de la sécurité sociale.
B.5. La différence de traitement établie par la disposition en cause repose sur un critère objectif, à savoir le degré d’incapacité de travail. Certes, l’utilisation d’un tel critère est de nature à faire naître des différences de traitement entre des cas voisins, mais il s’agit de la conséquence inévitable du choix que le législateur a fait d’opérer une distinction selon la gravité des incapacités de travail, dans un souci financier, dès lors qu’un tel choix impose de fixer une limite.
B.6.1. Il convient toutefois d’examiner si cette mesure ne produit pas des effets disproportionnés.
B.6.2. Il ressort des travaux préparatoires et du rapport au Roi cités en B.1.3 et en B.1.4
que le législateur a opté pour la non-indexation de la rente pour les « petites » incapacités permanentes de travail plutôt que pour la suppression de l’indemnisation de ces incapacités. Il a, en ce qui concerne l’indexation, prévu le même système dans le secteur privé et dans le secteur public. En ce qui concerne la fixation du taux de l’incapacité permanente de travail, il s’est inspiré de la pratique établie au niveau international.
B.6.3. En ce qu’elle règle l’indemnisation des accidents du travail, la loi du 3 juillet 1967
a pour but de donner à la victime d’un accident du travail une « réparation appropriée du préjudice subi à la suite d’un accident du travail » (Doc. parl., Chambre, 1964-1965, n° 1023/1, pp. 3-4; Ann. parl., Chambre, 21 mars 1967, p. 30; Doc. parl., Sénat, 1966-1967, n° 242, p. 3).
La rente pour incapacité permanente de travail visée à l’article 3, alinéa 1er, 1°, b), de la loi du 3 juillet 1967, auquel la disposition en cause s’applique, tend à réparer le dommage que la victime de l’accident du travail subit en raison notamment de la diminution de sa valeur économique sur le marché général de l’emploi (Cass., 24 mars 1986, Pas., 1986, I, n° 463;
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Cass., 12 décembre 1988, Pas., 1989, I, n° 220; Cass., 1er juin 1993, Pas., 1993, I, n° 262;
Cass., 17 mars 1997, S.95.0144.F).
Cette rente constitue un « mode de réparation propre du dommage provoqué par l’accident » et son paiement est indépendant du paiement de la rémunération de la victime de cet accident (Doc. parl., Chambre, 1964-1965, n° 1023/1, p. 5; Doc. parl., Chambre, 1966-
1967, n° 339/6, p. 7; Doc. parl., Sénat, 1966-1967, n° 242, pp. 6-7). L’article 5 de la loi du 3 juillet 1967 dispose à cet égard que « sans préjudice des dispositions des articles 6 et 7, la rente visée à l’article 3, alinéa 1er, 1°, b, et l’allocation d’aggravation de l’incapacité permanente de travail, visée à l’article 3, alinéa 1er, 1°, c, peuvent être cumulées avec la rémunération et avec la pension de retraite allouées en vertu des dispositions légales et réglementaires propres aux pouvoirs publics ».
La victime d’un accident du travail peut donc en principe percevoir à la fois sa rémunération et la rente pour incapacité permanente de travail due en application de l’article 3, alinéa 1er, 1°, b), de la loi du 3 juillet 1967, a fortiori lorsqu’elle subit une « petite » incapacité permanente de travail. En principe, la non-indexation de la rente qu’elle perçoit ne produit pas des effets disproportionnés à son égard.
B.7. Au regard de l’objectif poursuivi d’assainissement de la sécurité sociale et de la marge d’appréciation dont le législateur dispose en matière socio-économique, la différence de traitement citée en B.2 n’est pas dépourvue de justification raisonnable.
En ce qui concerne la première question préjudicielle, en sa seconde branche, et la seconde question préjudicielle
B.8.1. La seconde branche de la première question préjudicielle porte sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que celle-ci traite de la même manière les victimes d’un accident du travail subissant une « petite » incapacité permanente qui relèvent du secteur public et les victimes d’un accident du travail qui relèvent du secteur privé, alors que leurs rémunérations de référence ne sont pas calculées de la même
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manière en ce qui concerne l’établissement du montant de la rente d’incapacité permanente. En effet, la rente n’est indexée dans aucun des deux cas, mais, dans le secteur public, le montant de la rente est calculé sur la base d’une rémunération annuelle non indexée au moment de l’accident, alors que, dans le secteur privé, ce montant est établi en fonction d’un salaire de base indexé.
B.8.2. La seconde question préjudicielle porte sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle la non-
indexation de la rente pour une incapacité de travail permanente inférieure à 16 % ne s’applique qu’après que le montant de cette rente a été calculé « en fonction de la rémunération de référence désindexée due à la date de l’accident du travail à laquelle s’applique le plafond légal fixe, et réindexé à la même date ».
B.9. Le Conseil des ministres soutient que la première question préjudicielle, en sa seconde branche, et la seconde question préjudicielle sont irrecevables en ce qu’elles interrogent en réalité la Cour sur le mécanisme de calcul de la rémunération de référence dans le cadre de l’octroi de la rente pour incapacité permanente de travail dans le régime du secteur public, qui est prévu par un arrêté royal.
B.10.1. En ce qui concerne la base de calcul permettant d’établir le montant de la rente dans le secteur public, la décision de renvoi fait référence à l’article 4, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967 et aux articles 13 et 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 « relatif à la réparation, en faveur de membres du personnel du secteur public, des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail » (ci-après : l’arrêté royal du 24 janvier 1969).
B.10.2. L’article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 dispose :
« La rente pour incapacité de travail permanente est établie sur la base de la rémunération annuelle à laquelle la victime a droit au moment de l’accident […]. Elle est proportionnelle au pourcentage d’incapacité de travail reconnue à la victime.
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Lorsque la rémunération annuelle dépasse 24 332,08 EUR, elle n’est prise en considération pour la fixation de la rente qu’à concurrence de cette somme. Le montant de ce plafond est celui en vigueur à la date de consolidation de l’incapacité de travail ou à la date à laquelle l’incapacité de travail présente un caractère de permanence ».
L’article 13 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 définit ce qu’il convient d’entendre par « rémunération annuelle » :
« Pour la fixation du montant des rentes en cas d’incapacité permanente ou de décès, il faut entendre par rémunération annuelle tout traitement, salaire ou indemnité tenant lieu de traitement ou de salaire acquis par la victime au moment de l’accident, augmenté des allocations ou indemnités ne couvrant pas de charges réelles et dues en raison du contrat de louage de service ou du statut légal ou réglementaire.
Pour la détermination de la rémunération annuelle visée à l’alinéa 1er, il n’est tenu compte d’aucune diminution de rémunération résultant de l’âge de la victime.
[…] ».
L’article 14, § 2, du même arrêté royal prévoit que la rémunération annuelle ne comprend pas l’indexation lorsque l’accident s’est produit après le 30 juin 1962 :
« Lorsque l’accident s’est produit après le 30 juin 1962, la rémunération annuelle visée à l’article 13, ne comprend pas la majoration due à sa liaison aux fluctuations de l’indice général des prix de détail du Royaume de l’époque ».
B.11.1. Comme la Cour l’a jugé par son arrêt n° 178/2014 du 4 décembre 2014
(ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.178), il ressort des dispositions précitées que la non-indexation, en cause, de la base de calcul de la rente dans le secteur public n’est pas imputable à une norme législative, mais découle de l’article 14, § 2, précité, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969.
B.11.2. Ni l’article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle ni aucune autre disposition constitutionnelle ou législative ne confèrent à la Cour le pouvoir de statuer à titre préjudiciel sur la question de savoir si les dispositions d’un arrêté royal violent les articles 10 et 11 de la Constitution. Par application de l’article 159 de la
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Constitution, il appartient à la juridiction a quo de ne pas appliquer les dispositions d’un arrêté royal qui ne seraient pas conformes aux articles 10 et 11 de la Constitution.
B.12. La première question préjudicielle, en sa seconde branche, et la seconde question préjudicielle n’appellent pas de réponse.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 13, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1967 « sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public » ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
La première question préjudicielle, en sa seconde branche, et la seconde question préjudicielle n’appellent pas de réponse.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 avril 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 61/2023
Date de la décision : 13/04/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-04-13;61.2023 ?

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