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11/04/2023 | BELGIQUE | N°60/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 11 avril 2023, 60/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 60/2023
du 11 avril 2023
Numéro du rôle : 7801
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968
« relative à la police de la circulation routière », posée par le Tribunal de police de Flandre occidentale, division de Bruges.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters et E. Bribosia, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré

, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 60/2023
du 11 avril 2023
Numéro du rôle : 7801
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968
« relative à la police de la circulation routière », posée par le Tribunal de police de Flandre occidentale, division de Bruges.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters et E. Bribosia, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 29 avril 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 16 mai 2022, le Tribunal de police de Flandre occidentale, division de Bruges, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, dans l’interprétation de la partie requérante selon laquelle une peine lui a été infligée sans un procès équitable préalable, viole-t-il l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme et les droits et libertés correspondants garantis dans les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, en ce que le procureur du Roi peut infliger un ordre de paiement sans que la faute ait été préalablement établie en droit par le tribunal de police ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- Sandrine Drezen, assistée et représentée par Me M. Renodeyn, avocat au barreau de Flandre occidentale;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Ronse et Me T. Quintens, avocats au barreau de Flandre occidentale.
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Par ordonnance du 15 février 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs D. Pieters et E. Bribosia, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 1er mars 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 1er mars 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 23 juillet 2021, il a été constaté dans un procès-verbal qu’un véhicule dont la plaque d’immatriculation est partiellement illisible a dépassé la vitesse maximale autorisée. Le 4 août 2021, Sandrine Drezen, partie requérante dans le litige devant la juridiction a quo, reçoit ce procès-verbal parce que la plaque d’immatriculation fixée sur le porte-vélo du véhicule flashé est inscrite à son nom. Dans sa réaction écrite du 10 août 2021, elle confirme que cette plaque d’immatriculation correspond à celle de son véhicule, mais qu’elle n’est propriétaire ni du véhicule qui a été flashé, ni du porte-vélo fixé sur ce véhicule. Nonobstant cette défense écrite, elle reçoit ensuite une proposition de transaction le 8 novembre 2021 ainsi qu’un ordre de paiement le 20 décembre 2021.
Sandrine Drezen introduit un recours contre l’ordre de paiement. Elle estime que l’ordre de paiement constitue une peine exécutoire, en application de l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968). Contrairement à la transaction visée à l’article 216bis du Code d’instruction criminelle, le procureur du Roi peut en effet charger l’administration de recouvrer le montant de l’ordre de paiement, conformément aux règles applicables à l’exécution forcée des amendes pénales, y compris la saisie-arrêt simplifiée. Elle estime que l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 emporte une violation de la présomption d’innocence, garantie par l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon elle, en vertu de l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968, une juridiction partiale détermine unilatéralement le bien-fondé de l’action publique intentée et l’appréciation au fond du fait mis à charge n’intervient qu’après que la personne a déjà été reconnue coupable.
Pour autant que le système de l’ordre de paiement ait pour effet qu’une peine soit déjà infligée à la partie requérante sans qu’elle ait pu bénéficier au préalable d’un procès équitable, le Tribunal de police de Flandre occidentale, division de Bruges, estime qu’il ne peut pas appliquer l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968. La juridiction a quo estime dès lors que la question préjudicielle est utile dans le cadre du litige qu’elle doit trancher.
III. En droit
-A-
A.1.1. Sandrine Drezen, partie requérante dans le litige devant la juridiction a quo, estime que le véhicule qui a été flashé pour excès de vitesse est pourvu, sur le porte-vélo, d’une fausse plaque d’immatriculation. Elle a déjà porté plainte à la police parce qu’elle est toujours poursuivie à tort à cause de cette fausse plaque d’immatriculation et qu’elle a reçu plusieurs propositions de transaction. Nonobstant le fait qu’elle a informé explicitement le ministère public du fait qu’elle ne pouvait pas avoir commis l’infraction de roulage, le parquet abuse de l’ordre de paiement pour en poursuivre malgré tout le recouvrement par le biais du système automatisé fonctionnant sans contrôle humain.
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A.1.2. Sandrine Drezen soutient que le système de l’ordre de paiement, visé à l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968, a pour effet que le ministère public joue simultanément le rôle de la partie poursuivante, du juge et de l’exécutant de l’amende. Dans son arrêt du 1er juin 2021 (P.21.0325.N, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210601.2N.5), la Cour de cassation a jugé que l’ordre de paiement peut constituer une peine au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 emporte une violation de la présomption d’innocence, garantie par l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné que l’ordre de paiement repose sur une présomption de culpabilité. L’ordre de paiement permet au ministère public, en tant que partie poursuivante, d’infliger une amende sans contrôle judiciaire préalable.
A.1.3. Par ailleurs, Sandrine Drezen estime que l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 viole le principe d’égalité. Dans un cas, le ministère public décide d’intenter devant le tribunal de police une procédure pénale dans laquelle s’applique le principe de la présomption d’innocence. Dans l’autre cas, le ministère public établit un ordre de paiement en vertu duquel il est considéré, sans contrôle judiciaire indépendant, que l’infraction de roulage a été commise. Le justiciable qui ne conteste pas l’ordre de paiement et n’entreprend pas lui-même de démarches judiciaires est finalement confronté à un titre exécutoire définitif. La différence de traitement entre les infractions de roulage dans lesquelles il est fait application de l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 et d’autres infractions de roulage n’est dès lors pas fondée sur un critère objectif ou sur une justification raisonnable. Le système de l’ordre de paiement ne saurait par ailleurs servir l’objectif de l’économie de procédure si l’infraction de roulage est contestée. Enfin, le système de l’ordre de paiement conduit à l’arbitraire et à une minimisation des droits de la défense pour les justiciables.
A.2.1. Le Conseil des ministres constate que la question préjudicielle repose sur une hypothèse erronée.
Ainsi, en application de l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968, le procureur du Roi déterminerait unilatéralement le bien-fondé de l’action publique engagée. Le destinataire de l’ordre de paiement se verrait infliger une peine sans que sa culpabilité ait été constatée par un juge indépendant. L’ordre de paiement ne constitue toutefois pas une peine et ne met pas l’action publique en mouvement, comme la Cour de cassation l’a confirmé par son arrêt du 1er juin 2021, précité. L’ordre de paiement doit être considéré comme une simple modalité d’exécution pour éviter que les amendes de roulage restent impayées et pour soulager les parquets de police. Tout comme dans le cadre d’une perception immédiate ou d’une transaction, l’ordre de paiement constitue une simple invitation au paiement d’une amende de roulage et son accomplissement entraîne l’extinction de l’action publique. L’action publique n’est intentée devant le tribunal de police qu’en cas de citation ou de recours dirigé contre l’ordre de paiement.
A.2.2. Lors de la signification d’un ordre de paiement, le contrevenant est libre d’introduire un recours contre celui-ci devant le tribunal de police, conformément à l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968. Le juge dispose dans ce cas de la plénitude de compétence et se prononcera tant sur la culpabilité que sur la fixation de la peine. Il va de soi que, durant cette procédure, le requérant jouit de tous les droits garantis par l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme. Par son arrêt n° 14/2022 du 3 février 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.014), la Cour a d’ailleurs déjà jugé que le souci de soulager les parquets de police peut justifier que la saisine du pouvoir judiciaire ne soit possible qu’après que l’ordre de paiement a été reçu.
Enfin, en ce qu’elle allègue que certaines catégories de personnes seraient traitées différemment, la partie requérante dans le litige devant la juridiction a quo outrepasse la portée de la question préjudicielle. Il résulte de ce qui précède que la question préjudicielle appelle une réponse négative.
-B-
B.1.1. La juridiction a quo demande si l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » (ci-après : la loi du 16 mars 1968) est compatible avec les articles 10, 11 et 16 (lire : 13) de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que le procureur du
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Roi peut infliger un ordre de paiement du chef d’une infraction de roulage sans que la faute ait été préalablement établie en droit par le tribunal de police.
B.1.2. L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 porte sur l’ordre de paiement que le procureur du Roi peut, sous certaines conditions, donner à des personnes pour avoir commis une infraction de roulage.
Cet article, tel qu’il a été modifié en dernier lieu par l’article 29 de la loi du 28 novembre 2021 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme » (ci-après : la loi du 28 novembre 2021), dispose :
« § 1er. Lorsque la somme d’argent visée à l’article 216bis, § 1er, du Code d’Instruction criminelle n’a pas été payée dans le délai fixé, le procureur du Roi peut donner ordre au contrevenant de payer la somme prévue pour cette infraction, majorée de 35 % et le cas échéant de la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels. En outre, une redevance administrative de 25,32 euros, telle que visée au titre 4 de la loi-programme du 21 juin 2021, est également perçue. Le montant de cette redevance administrative est automatiquement adapté le 1er janvier de chaque année en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation du mois de novembre de l’année précédente. Les paiements effectués par le contrevenant sont d’abord affectés à la contribution au Fonds spécial d’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels, et ensuite à cette redevance administrative. Le procureur du Roi fixe les modalités de paiement.
Le paiement doit être effectué dans un délai de trente jours suivant le jour de la réception de l’ordre.
Cet ordre est transmis au contrevenant par envoi recommandé, par pli judiciaire ou conformément à l’article 32ter du Code judiciaire et comporte au moins :
1° la date;
2° les faits incriminés et les dispositions légales violées;
3° la date, l’heure et le lieu de l’infraction;
4° l’identité du contrevenant;
5° le numéro du procès-verbal;
6° le montant de la somme à payer;
7° le jour où la somme doit être payée au plus tard;
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8° la manière selon laquelle et le délai dans lequel le recours peut être introduit, ainsi que le tribunal de la police compétent.
L’ordre de paiement est réputé reçu le dixième jour ouvrable après la date de l’ordre de paiement visée à l’alinéa 3, 1°.
Le paiement effectué dans le délai indiqué éteint l’action publique.
§ 2. Celui qui a reçu l’ordre de paiement ou son avocat peut, dans les trente jours suivant le jour de la réception de celui-ci, introduire un recours contre l’ordre de paiement auprès du tribunal de police compétent selon le lieu de l’infraction. Le recours est introduit par requête déposée au greffe du tribunal de police compétent ou par envoi recommandé ou par courrier électronique, adressés au greffe. Dans ces derniers cas, la date d’envoi de l’envoi recommandé ou du courrier électronique a valeur de date d’introduction de la requête. L’envoi recommandé est réputé avoir été envoyé le troisième jour ouvrable précédant sa réception au greffe.
La requête mentionne, à peine de nullité :
1° le nom, le prénom et le domicile de la partie qui introduit le recours;
2° le numéro du procès-verbal ou le numéro de système, mentionné sur l’ordre de paiement;
3° qu’il s’agit d’un recours contre un ordre de paiement;
4° les motifs du recours.
Cette requête contient élection de domicile en Belgique, si le requérant n’y a pas son domicile.
La requête est inscrite dans le registre prévu à cet effet.
La prescription de l’action publique est suspendue à partir de la date de l’introduction de la requête jusqu’au jour du jugement définitif.
Le requérant est convoqué par le greffier, par pli judiciaire, par envoi recommandé ou conformément à l’article 32ter du Code judiciaire, dans les trente jours de l’inscription de la requête au registre, à comparaître à l’audience fixée par le juge. Le greffier adresse au ministère public la copie de la requête et lui indique la date d’audience.
Par le recours, la chambre pénale du Tribunal de police est saisie de l’intégralité de la cause et examine préalablement la recevabilité du recours.
Si le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu. Le tribunal examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale.
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La personne condamnée par défaut peut former opposition au jugement conformément à la procédure visée à l’article 187 du Code d’instruction criminelle.
Le jugement rendu par le tribunal de police est susceptible d’appel selon des dispositions prévues par le Code d’instruction criminelle.
[…] ».
B.1.3. Il ressort de la décision de renvoi que la Cour est saisie en substance de la question de savoir si le système de l’ordre de paiement pour des infractions de roulage, tel qu’il est organisé par la disposition en cause, est compatible avec la présomption d’innocence, et plus précisément avec l’article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, et si le législateur n’a pas méconnu les articles 10 et 11 de la Constitution en garantissant ce droit de manière discriminatoire.
B.2.1. L’article 13 de la Constitution implique un droit d’accès au juge compétent. Ce droit serait vidé de tout contenu s’il n’était pas satisfait aux exigences du procès équitable garanti notamment par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.2.2. Conformément à l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
B.2.3. Considérée comme une garantie procédurale en matière pénale, la présomption d’innocence impose des conditions concernant notamment la charge de la preuve, les présomptions légales de fait et de droit, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la publicité pouvant être donnée à l’affaire avant la tenue du procès, la formulation par le juge du fond ou toute autre autorité publique de déclaration prématurée quant à la culpabilité d’un prévenu (CEDH, grande chambre, 12 juillet 2013, Allen c. Royaume-Uni, ECLI:CE:ECHR:2013:0712JUD002542409, § 93).
B.3.1. Même une infraction de roulage légère constitue une infraction en matière pénale visée à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les procédures relatives aux amendes infligées pour pareille infraction, comme c’est le cas dans le litige ayant donné
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lieu à la question préjudicielle, relèvent dès lors du champ d’application de l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, décision, 19 octobre 2004, Falk c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:2004:1019DEC006627301).
B.3.2. Le droit de toute personne accusée d’une infraction en matière pénale à être présumée innocente et à faire supporter au ministère public la charge de la preuve n’est toutefois pas absolu. Tout système juridique connaît en effet des présomptions de fait ou de droit. De telles présomptions ne sont en principe pas interdites, aussi longtemps qu’elles restent dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l’enjeu et préservant les droits de la défense. En cas de recours à des présomptions en matière pénale, il convient donc de ménager un juste équilibre entre l’importance de ce qui se trouve en jeu et les droits de la défense. En d’autres termes, les moyens employés doivent être proportionnés au but légitime poursuivi (CEDH, décision, 19 octobre 2004, Falk c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:2004:1019DEC006627301; 23 juillet 2002, Västberga Taxi Aktiebolag et Vulic c. Suède, ECLI:CE:ECHR:2002:0723JUD003698597, § 113).
B.3.3. La présomption d’innocence est violée lorsque la charge de la preuve est déplacée du ministère public vers la défense (CEDH, 20 mars 2001, Telfner c. Autriche, ECLI:CE:ECHR:2001:0320JUD003350196, § 15).
B.4.1. Le système de l’ordre de paiement des infractions de roulage organisé par la disposition en cause a été introduit pour garantir une sécurité routière effective en faisant en sorte que les infractions de roulage ne demeurent pas impunies, tout en ayant égard à la nécessité de veiller à ce que la poursuite et la répression de pareilles infractions ne fassent pas peser une charge inacceptable sur les autorités judiciaires (voir dans le même sens : CEDH, décision, 19 octobre 2004, Falk c. Pays-Bas, ECLI:CE:ECHR:2004:1019DEC006627301).
B.4.2. À l’origine, l’ordre de paiement a été introduit par la loi du 22 avril 2012 « visant à instaurer l’ordre de paiement pour les infractions à la législation sur la circulation routière » (ci-
après : la loi du 22 avril 2012) et vise à « éviter que des amendes restent impayées et à soulager les parquets de police » (Doc. parl, Chambre, 2011-2012, DOC 53-2074/002, p. 3) :
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« L’ordre de paiement est intercalé après la perception immédiate et éventuellement la transaction et avant la citation devant le tribunal de police, sans que le contrevenant ne perde le moindre droit ni que les compétences du tribunal soient réduites » (ibid.).
Les travaux préparatoires de la loi-programme du 25 décembre 2016, qui a remplacé l’article 65/1, inséré par la loi du 22 avril 2012, exposent :
« [C’]est la dernière étape dans la procédure de l’extinction éventuelle de l’action publique moyennant le paiement d’une somme » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2208/001, p. 28).
B.4.3. L’économie de procédure constituait donc l’une des raisons de l’introduction de l’ordre de paiement dans la loi du 16 mars 1968. Le contrevenant qui ne paie pas et qui n’accepte pas une proposition de transaction reçoit un ordre de paiement exécutoire de plein droit, ce qui signifie que le procureur du Roi ne doit pas s’adresser au juge pénal pour contraindre le contrevenant au paiement effectif.
B.4.4. Ces objectifs sont légitimes.
B.5.1. Pour apprécier si la disposition en cause est proportionnée à ces objectifs, il y a lieu de tenir compte de ce que l’ordre de paiement constitue en principe le cinquième rappel pour payer. Ainsi, « [le] contrevenant reçoit une perception immédiate, un rappel, une proposition de transaction et de nouveau un rappel avant que l’ordre de paiement soit promulgué » (Doc.
parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2208/001, p. 29). Le contrevenant a donc déjà eu, à plusieurs reprises, la possibilité de mettre un terme à l’action publique en payant l’amende routière.
B.5.2. Par ailleurs, l’ordre de paiement peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal de police. En cas de recours, tant le contrevenant que le procureur du Roi sont informés de la date d’audience (article 65/1, § 2, alinéa 6, de la loi du 16 mars 1968).
B.5.3. En ce qui concerne le pouvoir d’appréciation du tribunal de police en cas de recours contre un ordre de paiement, l’article 65/1, § 2, de la loi du 16 mars 1968, tel qu’il était
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applicable avant sa modification par la loi du 28 novembre 2021, disposait uniquement que « [si] le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est réputé non avenu ».
Dès lors que ce texte de loi a donné lieu à des interprétations divergentes dans la jurisprudence des tribunaux de police et des tribunaux correctionnels en ce qui concerne le pouvoir d’appréciation de la juridiction qui connaît d’un recours contre un ordre de paiement, le législateur a estimé, par la loi du 28 novembre 2021, qu’il s’indiquait de préciser la procédure de recours.
B.5.4. Depuis sa modification par la loi du 28 novembre 2021, l’article 65/1, § 2, alinéa 7, de la loi du 16 mars 1968 dispose expressément que, par le recours contre l’ordre de paiement, « la chambre pénale du tribunal de police est saisie de l’intégralité de la cause et examine préalablement la recevabilité du recours ». L’article 147bis du Code d’instruction criminelle, inséré par la loi du 28 novembre 2021, dispose également que « [le] tribunal de police est saisi par le recours contre l’ordre de paiement ».
Selon l’article 65/1, § 2, alinéa 8, de la loi du 16 mars 1968, l’ordre de paiement est réputé non avenu si le recours est déclaré recevable et le tribunal « examine au fond les infractions qui fondent l’ordre de paiement et, si celles-ci s’avèrent établies, fait application de la loi pénale ».
B.5.5. Les travaux préparatoires de la loi du 28 novembre 2021 précisent :
« Les modifications apportées à l’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière, visent principalement à rationaliser la procédure de recours contre l’ordre de paiement et à clarifier un certain nombre de points.
Avec l’utilisation croissante de l’ordre de paiement, et par conséquent des recours contre celle-ci, il est apparu en pratique que certaines dispositions de la loi n’étaient pas aussi claires et ça conduit à des controverses dans la jurisprudence et à l’insécurité juridique.
[…]
Il est maintenant explicitement prévu que la chambre pénale du Tribunal de police est compétente afin d’éviter toute confusion avec la compétence du Tribunal de police en tant que juridiction civile en ce qui concerne les recours contre les sanctions administratives communales.
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Dans le § 2, alinéa 7, la phrase ‘ si le recours est déclaré recevable, l’ordre de paiement est considéré comme inexistant ’ est interprétée par de nombreux juges comme leur imposant de ne juger que sur la recevabilité et non sur le fond de l’affaire. Si le recours est recevable, le dossier est alors renvoyé au ministère public afin qu’il prenne une décision (citation ou classement sans suite). Toutefois, il est prévu que le même jugement statue à la fois sur la recevabilité et sur le fond. Il convient donc de prévoir explicitement que le juge est également compétent pour statuer directement sur le fond de l’affaire » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-2175/001, pp. 31-32).
B.6.1. Par ailleurs, on peut considérer que, dans des circonstances comparables dans lesquelles il ne peut pas donner d’ordre de paiement en vertu de la disposition en cause, le ministère public procédera à la citation du justiciable concerné devant le juge pénal. Une citation du justiciable concerné devant le juge pénal a pour effet que l’action publique est mise en mouvement et que ce justiciable doit, à l’instar du justiciable qui introduit un recours contre un ordre de paiement, contester les faits qui lui sont reprochés dans le cadre de la procédure devant le juge pénal. (voy. l’arrêt n° 50/2023 du 23 mars 2023, ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.050, B.16.3).
B.6.2. Par le système de l’ordre de paiement pour les infractions de roulage, le législateur entend permettre au ministère public de créer un titre exécutoire afin de ne plus devoir recourir au juge pénal pour contraindre au paiement un contrevenant auquel une transaction a été proposée. Le législateur entend en effet rationaliser le règlement de certaines affaires pénales en matière de roulage en imposant une sanction rapide, sûre et adaptée à la situation concrète et ce, selon une procédure qui offre à l’intéressé un degré suffisant de protection juridique.
L’objectif consiste à réduire la charge de travail des autorités chargées de la poursuite et du jugement des affaires pénales en matière de roulage, de sorte à libérer davantage de temps pour le traitement de dossiers complexes (Cass., 1er juin 2021, P.21.0325.N, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210601.2N.5, point 2; 22 juin 2021, P.21.0478.N, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210622.2N.17, point 2).
B.6.3. Même si la réglementation relative à l’ordre de paiement entend contribuer à faire respecter la législation en matière de roulage, elle ne vise pas à infliger une peine au sens de l’article 1er du Code pénal, mais uniquement à créer un titre exécutoire (Cass., 1er juin 2021, P.21.0325.N, ECLI:BE:CASS:2021:CONC.20210601.2N.5, point 3; 22 juin 2021, P.21.0478.N, ECLI:BE:CASS:2021:ARR.20210622.2N.17, point 3).
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B.6.4. Comme la Cour l’a déjà jugé par son arrêt n° 14/2022 du 3 février 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.014), l’objectif consistant à « soulager les parquets de police »
peut justifier le fait que la saisine du pouvoir judiciaire ne soit possible qu’après que l’ordre de paiement a été reçu.
B.6.5. Lorsqu’un ordre de paiement fait l’objet d’un recours, le juge apprécie la culpabilité et la fixation de la peine. Comme la Cour l’a déjà jugé par son arrêt n° 50/2023 du 23 mars 2023 (ECLI:BE:GHCC:2023:ARR.050), ni la disposition en cause, ni aucune autre disposition législative ne permettent de déduire que, dans la procédure devant la juridiction qui doit statuer sur le recours contre l’ordre de paiement, le justiciable ne jouit pas des garanties découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, la personne qui fait l’objet d’un ordre de paiement peut faire valoir, par exemple, le fait que le véhicule dont le conducteur a commis l’infraction est doté d’une fausse plaque d’immatriculation. Par ailleurs, aucune disposition législative n’autorise le ministère public à obtenir des éléments de preuve en violation de la disposition conventionnelle précitée. Le cas échéant, il appartient à la juridiction qui connaît du recours contre l’ordre de paiement d’apprécier si les éléments de preuve soumis par le ministère public satisfont aux exigences découlant de cette disposition conventionnelle et, à défaut, d’y réserver les suites qui s’imposent.
B.6.6. Enfin, la Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur la manière dont des dispositions de nature législative sont appliquées. Dès lors, s’il existe des dysfonctionnements dans l’application du système instauré par la disposition en cause, il revient au juge compétent d’en connaître.
B.7. Il découle de ce qui précède que la disposition en cause est proportionnée à l’objectif légitime poursuivi et qu’elle respecte la présomption d’innocence. La disposition en cause est dès lors compatible avec les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme.
12
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 65/1 de la loi du 16 mars 1968 « relative à la police de la circulation routière » ne viole pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 11 avril 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 60/2023
Date de la décision : 11/04/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-04-11;60.2023 ?

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