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23/03/2023 | BELGIQUE | N°55/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 23 mars 2023, 55/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 55/2023
du 23 mars 2023
Numéro du rôle : 7836
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 589, § 2, du décret flamand du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters et E. Bribosia, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la qu

estion préjudicielle et procédure
Par arrêt n° 254.226 du 6 juillet 2022, dont l’expédition est parve...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 55/2023
du 23 mars 2023
Numéro du rôle : 7836
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 589, § 2, du décret flamand du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters et E. Bribosia, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt n° 254.226 du 6 juillet 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 juillet 2022, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 589, § 2, du décret du 22 décembre 2017 ‘ sur l’administration locale ’ viole-t-il les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 162 de celle-
ci, en ce que cette disposition ne prévoit pas les critères sur la base desquels il faut effectuer le choix entre, d’une part, une désignation comme directeur financier adjoint de la commune et, d’autre part, une désignation dans une fonction appropriée de niveau A au sein de la commune et des autorités qui y sont rattachées, et en ce que cette disposition omet de concrétiser la notion de ‘ fonction appropriée ’ et d’en donner une interprétation uniforme ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- Herman Martens, assisté et représenté par Me T. Eyskens, avocat au barreau de Bruxelles;
- la commune de Schoten, assistée et représentée par Me I. Opdebeek et Me A. Coolsaet, avocats au barreau d’Anvers;
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- le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me B. Martel et Me K. Caluwaert, avocats au barreau de Bruxelles.
Des mémoires en réponse ont été introduits par :
- Herman Martens;
- le Gouvernement flamand.
Par ordonnance du 1er février 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs D. Pieters et E. Bribosia, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 15 février 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 15 février 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Herman Martens sollicite, devant la juridiction a quo, l’annulation de la décision du collège des bourgmestre et échevins de la commune de Schoten du 19 septembre 2019, qui le désigne à temps plein comme « conseiller pouvoir local », avec maintien de son statut et de l’échelle de traitement qu’il a acquise dans sa fonction précédente comme gestionnaire financier.
Il fait valoir devant la juridiction a quo que la décision attaquée est fondée sur l’article 589, § 2, du décret du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale » (ci-après : le décret du 22 décembre 2017). En vertu de cette disposition, le titulaire de la fonction de gestionnaire financier communal ou de la fonction de gestionnaire financier du CPAS qui n’est pas désigné comme directeur financier, est désigné en conservant la nature de sa relation de travail et son ancienneté pécuniaire, soit comme directeur financier adjoint de la commune, soit dans une fonction appropriée de niveau A au sein de la commune, du CPAS qui dessert la commune ou d’une entité autonomisée de la commune ou une association du CPAS qui dessert la commune. Selon Herman Martens, cette disposition n’est pas compatible avec le principe de légalité, garanti par les articles 23 et 162 de la Constitution, et n’est pas davantage compatible avec l’obligation de standstill, garantie par l’article 23 de la Constitution, en ce qu’elle ne donne pas d’interprétation à la notion de « fonction appropriée ». Il demande à la juridiction a quo de poser une question préjudicielle à la Cour. La juridiction a quo décide d’accueillir cette demande, mais adapte la question préjudicielle de la manière dont elle est reproduite plus haut.
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III. En droit
-A-
Quant à la recevabilité de la question préjudicielle
A.1. Le Gouvernement flamand soutient que la question préjudicielle est irrecevable en ce qu’elle invite la Cour à contrôler la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que ni la formulation de la question préjudicielle ni la décision de renvoi ne permettent de déduire les catégories de personnes qui sont comparées.
A.2. La partie requérante devant la juridiction a quo estime que la question préjudicielle fait suffisamment apparaître les catégories de personnes qui doivent être comparées. D’une part, elle invite la Cour à contrôler la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec d’autres droits fondamentaux. D’autre part, le statut dont la partie requérante bénéficie en vertu de la disposition en cause peut être comparé avec celui dont elle bénéficiait antérieurement, ainsi qu’avec celui dont bénéficient d’autres fonctionnaires locaux pour lesquels le législateur décrétal et le Gouvernement flamand ont élaboré un règlement adéquat.
Quant au fond
A.3.1. La partie requérante devant la juridiction a quo souligne que l’article 162 de la Constitution exige que les éléments essentiels relatifs à l’organisation des institutions communales soient fixés par le législateur. Une délégation n’est autorisée que pour autant que l’habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur compétent.
La même exigence découle de l’article 23 de la Constitution. Contrairement à ce que la Cour a affirmé jusqu’à présent dans sa jurisprudence, il ne suffit pas, selon la partie requérante devant la juridiction a quo, que le législateur ait réglé l’objet de la matière concernée, mais il est requis qu’il en ait fixé les éléments essentiels.
Selon la partie requérante devant la juridiction a quo, la disposition en cause n’est pas compatible avec les principes de légalité précités pour deux raisons. En premier lieu, elle offre à la commune une totale liberté de choix pour désigner le titulaire de la fonction de gestionnaire financier de la commune ou du CPAS qui n’est pas désigné comme directeur financier soit comme directeur financier adjoint de la commune, soit dans une fonction appropriée de niveau A au sein de la commune, du CPAS ou d’une entité qui y est rattachée, étant donné qu’elle ne détermine pas les critères sur la base desquels ce choix doit être effectué. En second lieu, la disposition en cause n’établit pas, selon elle, ce qu’il y a lieu d’entendre concrètement par une « fonction appropriée ». Seul le maintien de l’ancienneté pécuniaire et de l’échelle de traitement est garanti. La disposition en cause ne saurait ainsi nullement offrir au fonctionnaire concerné une quelconque équivalence des fonctions, ce que la section de législation du Conseil d’État a également relevé dans son avis relatif à l’avant-projet de décret qui a conduit au décret du 22 décembre 2017. Selon la partie requérante devant la juridiction a quo, la situation dans laquelle elle se trouve en est l’illustration, étant donné qu’elle a été désignée en vertu de la disposition en cause dans une fonction vague et dépourvue de signification. Selon elle, la simple référence à la loi du 27 juillet 1991 « relative à la motivation formelle des actes administratifs », aux principes généraux de bonne administration et à l’intention que le législateur décrétal a exprimée dans les travaux préparatoires ne suffit pas.
A.3.2. Comme elle ne permet pas à la partie requérante devant la juridiction a quo de conserver son degré de protection existant, la disposition en cause porte également atteinte, selon elle, à l’obligation de standstill en ce qui concerne le droit au libre choix d’une activité professionnelle, consacré par l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution. Cette disposition constitutionnelle garantit non seulement le droit à une juste rémunération, mais également le droit à des conditions de travail équitables. La disposition en cause ne contient toutefois aucun critère que l’administration locale doive respecter lorsqu’elle établit les conditions de travail relatives à la fonction appropriée, de sorte que le degré de protection dont la partie requérante devant la juridiction a quo bénéficiait antérieurement est réduit significativement.
A.4. Selon la commune de Schoten, le choix que laisse la disposition en cause aux administrations locales s’inscrit dans le cadre de l’autonomie locale, telle qu’elle est garantie par l’article 41 de la Constitution. Les conditions encadrant le choix que doit effectuer l’administration locale sont définies de manière adéquate dans le
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décret du 22 décembre 2017, étant donné qu’il prévoit que le fonctionnaire concerné doit conserver la nature de sa relation de travail et son ancienneté pécuniaire et qu’il détermine la fonction qui peut lui être attribuée, à savoir soit la fonction de directeur financier adjoint de la commune, soit une fonction appropriée de niveau A au sein de la commune, du CPAS, d’une entité autonomisée ou une association du CPAS. Il relève de l’essence de l’autonomie locale que l’entité mène sa propre politique du personnel et attribue une fonction à un membre du personnel, y compris en déterminant ce qu’il y a lieu d’entendre par une « fonction appropriée ». Le respect de ces garanties est, du reste, contrôlé par l’autorité de tutelle et par le Conseil d’État, de sorte qu’il ne faut craindre aucun arbitraire. En outre, la partie requérante devant la juridiction a quo perd de vue qu’elle est soumise, en tant que membre du personnel statutaire, au principe de mutabilité du service public. Ce principe implique que l’intérêt du service peut toujours exiger qu’un membre du personnel soit affecté dans un autre lieu ou soit appelé à effectuer d’autres tâches, de sorte qu’il ne peut pas faire valoir le droit au maintien en l’état de son statut juridique. La disposition en cause est dès lors parfaitement conforme à ce principe. Eu égard à ce qui précède, la disposition en cause est compatible avec le principe de légalité et avec l’obligation de standstill.
A.5.1. Le Gouvernement flamand objecte en premier lieu que la question préjudicielle appelle une réponse négative, en ce qu’elle demande à la Cour de contrôler la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution. Selon lui, une éventuelle différence de traitement résulte de la manière dont une commune interprète la notion de « fonction appropriée », ce qui n’est pas contraire en soi aux dispositions constitutionnelles précitées.
A.5.2. En ce qui concerne le contrôle au regard de l’article 23 de la Constitution, le Gouvernement flamand interprète la question préjudicielle en ce sens qu’elle n’invite pas la Cour à contrôler la disposition en cause au regard du principe de légalité formelle, mais au regard du principe de légalité matérielle, ce qui équivaut à considérer qu’une restriction doit être prévue par une mesure précise et manifeste qui soit raisonnablement prévisible dans ses applications. Le fait de prévoir un choix laissé aux communes ne peut pas être considéré comme une violation de ce principe, dès lors que l’intention du législateur décrétal était précisément de renforcer l’autonomie locale. Celle-ci signifie que les administrations locales peuvent effectuer leurs propres choix. En outre, la disposition en cause prévoit effectivement des garanties. Ainsi, elle fixe les fonctions entre lesquelles la commune peut choisir, à savoir soit la fonction de directeur financier adjoint de la commune, soit une fonction appropriée de niveau A au sein de la commune ou d’une autorité qui y est rattachée. Elle prévoit aussi que le fonctionnaire concerné doit conserver la nature de sa relation de travail et son ancienneté pécuniaire. Enfin, les statuts que le Gouvernement flamand, en exécution du décret du 22 décembre 2017, et les administrations locales ont adoptés et les principes généraux de bonne administration sont également applicables.
Selon le Gouvernement flamand, contrairement à ce que soutient la partie requérante devant la juridiction a quo, la section de législation du Conseil d’État, dans son avis relatif à l’avant-projet de décret qui a conduit au décret du 22 décembre 2017, n’a formulé aucune critique sur la disposition en cause. Le passage extrait de l’avis que la partie requérante devant la juridiction a quo cite dans son mémoire porte sur une autre disposition. Le Gouvernement flamand ne suit pas non plus l’argument de la partie requérante devant la juridiction a quo selon lequel le législateur décrétal aurait dû procéder préalablement à un « contrôle d’équivalence ». Du fait que l’intégration administrative de la commune et du CPAS a pour effet qu’il ne peut exister qu’un seul chef du service financier, il est impossible pour le législateur décrétal d’imposer aux communes de prévoir, pour le gestionnaire financier non choisi, une fonction qui se situe hiérarchiquement au même niveau que celle de chef du service financier.
A.5.3. Pour autant que la question préjudicielle invite également la Cour à se prononcer sur la compatibilité de la disposition en cause avec l’obligation de standstill garantie par l’article 23 de la Constitution en ce qui concerne le droit au libre choix d’une activité professionnelle et le droit à des conditions de travail équitables, le Gouvernement flamand souligne que cette obligation n’est violée que lorsque le législateur réduit significativement le degré de protection existant sans qu’existent pour ce faire des motifs d’intérêt général. Selon le Gouvernement flamand, il n’y a pas de réduction, et encore moins de réduction significative, du degré de protection existant, compte tenu des garanties précitées qui sont prévues en faveur du fonctionnaire concerné quant au maintien de la nature de sa relation de travail et de son ancienneté pécuniaire. En outre, le gestionnaire financier non choisi n’est pas tenu d’accepter la fonction « appropriée » qui lui est proposée. Il est libre de postuler pour une autre fonction, au sein de la commune ou du CPAS ou non, de sorte que le droit au libre choix d’une activité professionnelle et le droit aux conditions de travail équitables sont garantis. Par ailleurs, les articles 93 à 95 du décret communal, qui réglaient le statut du gestionnaire financier avant l’adoption de la disposition en cause, ont défini les tâches du gestionnaire financier de manière générale, de sorte qu’ils ne prévoyaient nullement un degré de protection supérieur. L’obligation de standstill ne va pas jusqu’à imposer au législateur de garantir que
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toutes les circonstances de fait demeurent identiques lors d’une nouvelle désignation. Des actes illégaux éventuels pris en exécution de la disposition en cause peuvent du reste être attaqués devant le Conseil d’État. En outre, le principe de mutabilité du service public est également applicable.
Il existe à tout le moins un motif d’intérêt général justifiant ce recul significatif, à savoir l’intégration administrative de la commune et du CPAS dans le cadre du renforcement de l’autonomie locale.
-B-
B.1.1. L’article 589, § 2, du décret de la Région flamande du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale » (ci-après : le décret du 22 décembre 2017) dispose :
« La personne visée à l’article 583, § 2, alinéa premier, qui n’est pas désignée comme directeur financier, est désignée à titre personnel et en conservant la nature de son contrat et son ancienneté pécuniaire, soit comme directeur financier adjoint de la commune, soit dans une fonction appropriée de niveau A au sein de la commune, du centre public d’action sociale qui dessert la commune ou d’une entité autonomisée de la commune ou une association du centre public d’action sociale qui dessert la commune. Elle est désignée avec maintien de l’échelle de traitement qu’elle recevait comme gestionnaire financier, pour autant que le salaire perçu sur la base de ladite échelle est plus avantageux que le salaire qu’elle percevrait après le classement dans la fonction appropriée.
Le directeur financier adjoint assiste le directeur financier dans l’exercice de sa fonction, conformément au système de contrôle interne visé aux articles 217 à 220. Par dérogation à l’article 166, le directeur financier adjoint remplace le directeur financier en cas d’absence ou d’empêchement. Le conseil communal règle ce remplacement ».
B.1.2. Par « la personne visée à l’article 583, § 2, alinéa premier », sont visés le titulaire de la fonction de gestionnaire financier communal et celui de la fonction de gestionnaire financier du centre public d’action sociale qui dessert la commune. L’article 583, § 2, du décret du 22 décembre 2017 prévoit différents scénarios dans le cadre de la première désignation du directeur financier de la commune, en fonction de la candidature ou non du gestionnaire financier de la commune et du gestionnaire financier du CPAS à la fonction de directeur financier.
B.2.1. Le décret du 22 décembre 2017 remplace les décrets existants qui règlent l’organisation et le fonctionnement des administrations locales flamandes et vise à un pilotage politique et administratif aussi uniforme que possible des communes et des centres publics d’action sociale (Doc. parl., Parlement flamand, 2017-2018, n° 1353/1, p. 3). Sur le plan administratif, cette intégration est notamment mise en œuvre par un pilotage uniforme du
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personnel par la nouvelle fonction du directeur général, qui remplace tant le secrétaire communal que le secrétaire du CPAS. Le directeur financier remplace tant le gestionnaire financier de la commune que le gestionnaire financier du CPAS. De plus, la commune et le centre public d’action sociale ont un seul organigramme commun et une seule équipe de management commune (ibid., pp. 5, 13 et 17).
Dorénavant, il existe donc dans chaque commune un directeur général et un directeur financier qui sont compétents tant pour la commune que pour le centre public d’action sociale qui dessert la commune (article 162, § 1er, alinéa 1er, du décret du 22 décembre 2017).
B.2.2. La disposition en cause contient un système de garantie pour le gestionnaire financier qui n’est pas devenu directeur financier. Dans les travaux préparatoires, ce système est expliqué comme suit :
« Un système de garantie en cas de transfert et à titre personnel a été prévu pour le secrétaire et pour le gestionnaire financier qui ne deviennent pas directeur général ou directeur financier.
Il permet aux administrations de choisir de désigner l’intéressé dans une fonction appropriée de l’administration concernée ou, par transfert, dans l’autre administration. S’il s’agit de fonctions de mandat, il peut être décidé de mettre fin au mandat à l'expiration de la date de fin du mandat, étant donné que la fonction de secrétaire et celle de gestionnaire financier n’existent plus. Les secrétaires peuvent également être désignés, à titre personnel, dans la fonction de directeur général adjoint. Du fait que plusieurs adjoints peuvent ainsi être présents au sein d’une administration, l’article 584, § 1er, alinéa 1er, a prévu que le conseil communal doit mettre sur pied un système de remplacement.
Puisqu’un régime transitoire adéquat a été prévu, assorti de garanties pour les actuels secrétaires et gestionnaires financiers, ceux-ci ne peuvent pas être mis en disponibilité pour cause de suppression d’emploi » (ibid., p. 166).
Le système de garantie s’applique à « tous les anciens secrétaires et gestionnaires financiers […] qui ne sont pas devenus directeurs, qu’ils se soient effectivement portés candidats ou non.
La seule condition est qu’il s’agisse d’un secrétaire, dans le premier cas, ou d’un gestionnaire financier, dans le second cas, qui ne soit pas devenu directeur » (ibid., pp. 165-166).
B.3. La juridiction a quo demande si la disposition en cause est compatible avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 162 de celle-
ci, en ce qu’elle ne prévoit pas les critères sur la base desquels une commune peut choisir de
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désigner un ancien gestionnaire financier de cette commune comme directeur financier adjoint de la commune ou dans une fonction appropriée de niveau A au sein de la commune, du CPAS
ou d’une entité qui y est rattachée, et en ce qu’elle omet de concrétiser la notion de « fonction appropriée » et d’en donner une interprétation uniforme.
Il ressort de la décision de renvoi que le litige dont est saisie la juridiction a quo concerne un ancien gestionnaire financier d’une commune qui, en application de la disposition en cause, a été désigné dans la fonction de « conseiller pouvoir local » de cette commune.
B.4.1. L’article 162 de la Constitution dispose :
« Les institutions provinciales et communales sont réglées par la loi.
La loi consacre l'application des principes suivants :
[…]
2° l’attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d’intérêt provincial et communal, sans préjudice de l’approbation de leurs actes, dans les cas et suivant le mode que la loi détermine;
[…] ».
L’article 162, alinéa 1er, de la Constitution contient un principe de légalité relatif à l’organisation des institutions communales.
La disposition constitutionnelle précitée ne va pas jusqu’à obliger le législateur compétent à régler lui-même chaque aspect des institutions communales. Une délégation conférée à une autre autorité n’est pas contraire au principe de légalité, pour autant qu’elle soit définie de manière suffisamment précise et qu’elle porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur.
B.4.2. L’article 23, alinéas 2 et 3, 1°, de la Constitution oblige le législateur compétent à garantir le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle, et à déterminer les conditions d’exercice de ces droits.
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Cette disposition constitutionnelle n’interdit cependant pas à ce législateur d’accorder des délégations à une autre autorité, pour autant qu’elles portent sur l’exécution de mesures dont le législateur a déterminé l’objet.
Cette disposition constitutionnelle n’impose pas au législateur de régler tous les éléments essentiels du droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle et ne lui interdit pas d’habiliter une autre autorité à régler celui-ci.
B.4.3. Étant donné que l’article 162 de la Constitution contient un principe de légalité plus strict que l’article 23, alinéas 2 et 3, 1°, de la Constitution, la priorité doit être donnée à la disposition constitutionnelle qui contient le principe de légalité plus strict.
B.5.1. Selon la partie requérante devant la juridiction a quo, la disposition en cause porte atteinte à l’obligation de standstill en ce qui concerne le droit au libre choix d’une activité professionnelle, garanti par l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution, en ce que le statut de gestionnaire financier était réglé de manière uniforme en Région flamande avant l’adoption de la disposition en cause.
B.5.2. La partie requérante devant la juridiction a quo a invité cette dernière à interroger la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec l’obligation de standstill qui figure à l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution. La juridiction a quo a toutefois reformulé la question préjudicielle proposée en abandonnant toute référence à l’obligation de standstill. En outre, il ne ressort pas de la décision de renvoi que la juridiction a quo souhaite interroger la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause avec l’obligation de standstill. Dès lors que les parties devant la Cour ne peuvent modifier, faire modifier ou étendre la portée de la question préjudicielle, la Cour n’a pas à examiner les arguments développés par la partie requérante devant la juridiction a quo.
B.6.1. Le Gouvernement flamand soutient que la question préjudicielle est irrecevable en ce qu’elle invite la Cour à contrôler la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la
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Constitution, puisque ni la formulation de la question préjudicielle ni la décision de renvoi ne permettent d’identifier les catégories de personnes qui sont comparées.
B.6.2. Le manquement au principe de légalité contenu dans l’article 162 de la Constitution est constitutif d’une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, puisqu’une catégorie de citoyens se voit ainsi privée de manière discriminatoire de la garantie que constitue l’intervention d’une assemblée démocratiquement élue.
L’exception est rejetée.
B.7.1. La disposition en cause prévoit que le gestionnaire financier qui n’est pas désigné comme directeur financier est désigné soit comme directeur financier adjoint dans la commune, soit dans une « fonction appropriée » de niveau A au sein de la commune, du CPAS ou d’une entité autonomisée de la commune ou du CPAS. La disposition en cause dispose que le directeur financier adjoint assiste le directeur financier dans l’exercice de sa fonction, conformément au système de contrôle interne visé aux articles 217 à 220 du décret du 22 décembre 2017, et qu’il remplace le directeur financier en cas d’absence ou d’empêchement. En déterminant, en ce qui concerne la seconde fonction, qu’il doit s’agir d’une fonction « appropriée » de niveau A, le législateur décrétal a indiqué que l’ancien gestionnaire financier doit être désigné dans une fonction équivalente qui ne peut pas emporter de rétrogradation pour l’intéressé. Il ressort de la jurisprudence de la section du contentieux administratif du Conseil d’État que les communes doivent, dans la mesure du possible, tenir compte des compétences et de l’intérêt de la personne concernée (CE, 5 juillet 2022, n° 254.219; CE, 25 novembre 2021, n° 252.230).
La disposition en cause prévoit par ailleurs que la désignation a lieu à titre personnel et en conservant la nature de la relation de travail, l’ancienneté pécuniaire et l’échelle de traitement, tant que le salaire perçu sur la base de l’échelle en question est plus avantageux que le salaire perçu dans la fonction appropriée. Enfin, le paragraphe 3 de l’article 589 du décret du 22 décembre 2017 prévoit que, jusqu’au 31 décembre 2023 compris, l’ancien gestionnaire financier est censé satisfaire aux conditions de recrutement et de promotion établies par le conseil communal pour la fonction de directeur financier et que le conseil communal peut également inscrire l’intéressé dans une réserve de recrutement.
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La disposition en cause contient dès lors des garanties tant matérielles que pécuniaires concernant la fonction dans laquelle l’ancien gestionnaire financier peut être désigné.
B.7.2. Certes, la disposition en cause ne prévoit pas les critères sur la base desquels une commune doit effectuer le choix entre la désignation d’un ancien gestionnaire financier dans la fonction de directeur financier adjoint de la commune ou dans une fonction appropriée de niveau A au sein de la commune, du CPAS ou d’une entité qui y est rattachée. La disposition en cause ne contient pas davantage de précisions quant aux fonctions qui peuvent être considérées comme des « fonctions appropriées ». Sur ces aspects, la disposition en cause accorde dès lors aux communes un pouvoir discrétionnaire.
Comme il ressort du B.4.1, l’article 162 de la Constitution garantit non seulement le principe de légalité, mais également l’attribution aux communes de tout ce qui est d’intérêt communal. La disposition constitutionnelle précitée, tout comme l’article 41, alinéa 1er, première phrase, de la Constitution, consacre le principe de l’autonomie locale, qui implique que les autorités locales puissent se saisir de tout objet qu’elles estiment relever de leur intérêt et le réglementer comme elles le jugent opportun. Le principe de légalité formelle n’empêche dès lors pas que le législateur décrétal doive respecter le principe de l’autonomie locale. Sur la base de ce dernier principe, les communes sont en principe compétentes pour établir des règlements relatifs à leur organisation interne, à leurs services et aux membres de leur personnel (CE, avis n° 15.933/9 du 9 mai 1984; avis n° 18.760/8 du 17 mai 1989). Il appartient, en règle, aux communes d’organiser les fonctions et de déterminer les missions qui relèvent de ces fonctions (CE, avis n° 18.809/2 du 5 décembre 1988).
L’octroi aux communes du pouvoir de déterminer dans quelle fonction l’ancien gestionnaire financier doit être désigné est dès lors justifié par le principe de l’autonomie locale.
Il ressort par ailleurs des travaux préparatoires du décret du 22 décembre 2017 qu’un des objectifs à l’origine du décret précité consiste à « s’efforcer d’établir des règles organiques qui reflètent la confiance et offrent donc beaucoup plus de place à l’autonomie locale (approche individualisée) » (Doc. parl. Parlement flamand, 2017-2018, n° 1353/1, p. 6). La circonstance que le législateur décrétal n’a pas prévu de manière uniforme dans quelle fonction un ancien gestionnaire financier peut être désigné résulte dès lors du fait qu’il a souhaité laisser aux
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communes elles-mêmes le soin de déterminer, selon les besoins de la commune et en tant que composante du principe de l’autonomie locale, la fonction dans laquelle il vaut mieux désigner l’ancien gestionnaire financier. Les choix que la commune effectue en la matière sont contrôlés par l’autorité de tutelle et par le juge compétent.
B.8. La disposition en cause est compatible avec les articles 10, 11 et 23, lus en combinaison avec l’article 162, de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 589, § 2, du décret de la Région flamande du 22 décembre 2017 « sur l’administration locale » ne viole pas les articles 10, 11 et 23, lus en combinaison avec l’article 162, de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 23 mars 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 55/2023
Date de la décision : 23/03/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-03-23;55.2023 ?

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