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23/03/2023 | BELGIQUE | N°52/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 23 mars 2023, 52/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 52/2023
du 23 mars 2023
Numéro du rôle : 7810
En cause : la question préjudicielle concernant les articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018
« portant modification de la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB et au personnel des Chemins de fer belges et du Code judiciaire en matière d'élections sociales pour certains organes de dialogue social des Chemins de fer belges », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges M. Pâques, Y. Kherbache,

T. Detienne, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 52/2023
du 23 mars 2023
Numéro du rôle : 7810
En cause : la question préjudicielle concernant les articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018
« portant modification de la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB et au personnel des Chemins de fer belges et du Code judiciaire en matière d'élections sociales pour certains organes de dialogue social des Chemins de fer belges », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, S. de Bethune et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt n° 253.729 du 13 mai 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 25 mai 2022, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« Les articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018 ‘ portant modification de la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB et au personnel des Chemins de fer belges et du Code judiciaire en matière d’élections sociales pour certains organes de dialogue social des Chemins de fer belges ’ violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’ils prévoient une protection particulière contre le licenciement uniquement pour les membres du personnel contractuel qui étaient candidats aux élections sociales et pas pour les membres du personnel statutaire - en particulier les fonctionnaires effectuant une période d’essai - qui étaient candidats aux élections sociales ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- la SA de droit public « HR Rail », assistée et représentée par Me C. Van Olmen et Me V. Vuylsteke, avocats au barreau de Bruxelles;
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- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me V. Pertry, avocat au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 1er février 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 15 février 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 15 février 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Un litige est né entre P. V.C., partie demanderesse devant la juridiction a quo, et la SA de droit public « HR Rail » (ci-après : HR Rail), partie défenderesse devant la juridiction a quo, concernant la décision de HR Rail du 10 juillet 2019 mettant fin, le 14 juillet 2019 après le service, à l’emploi occupé par P. V.C. comme employé commercial (statutaire) stagiaire. Le 10 septembre 2019, P. V.C. introduit contre cette décision un recours en annulation devant le Conseil d’État. Selon P. V.C., le régime particulier contre le licenciement prévu par les articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018 « portant modification de la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB et au personnel des Chemins de fer belges et du Code judiciaire en matière d’élections sociales pour certains organes de dialogue social des Chemins de fer belges » (ci-après : la loi du 18 mars 2018) devrait s’appliquer à tous les membres du personnel et pas uniquement au personnel contractuel de HR Rail.
À la demande de P. V.C., le Conseil d’État pose la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. HR Rail observe d’abord que la question préjudicielle doit être interprétée en ce sens qu’elle concerne un membre du personnel statutaire qui effectue un stage, et non des fonctionnaires déjà régularisés qui effectuent une période d’essai.
A.1.2. HR Rail constate que la loi du 18 mars 2018 a inséré un chapitre 13, qui prévoit un régime particulier de protection contre le licenciement pour les délégués syndicaux et pour les candidats délégués syndicaux contractuels. La protection particulière contre le licenciement est comparable à la protection contre le licenciement dans le secteur privé, parce qu’il s’agit dans les deux cas d’un membre du personnel engagé dans les liens d’un contrat de travail. La protection consiste notamment en l’intervention du tribunal du travail dans le cadre d’un licenciement pour motif grave et il est également fait référence au licenciement pour des motifs d’ordre économique ou technique.
La situation fondamentalement différente et donc incomparable dans laquelle se trouvent les deux catégories de membres du personnel, à savoir les agents statutaires et les agents contractuels, a pour effet que le législateur ne peut pas appliquer au personnel statutaire le régime qu’il a élaboré pour le personnel contractuel.
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A.1.3. En outre, HR Rail soutient que P. V.C. n’indique pas pourquoi la protection contre le licenciement dont il bénéficie comme membre du personnel statutaire ne serait pas équivalente à celle dont un membre du personnel contractuel qui est un (candidat) délégué syndical bénéficie en vertu des articles 162 et suivants de la loi du 23 juillet 1926 « relative à la SNCB et au personnel des Chemins de fer belges ». La protection particulière contre le licenciement se limite aux membres du personnel contractuel, précisément parce que ceux-ci ne bénéficient pas de la protection particulière contre le licenciement qui est propre à la fonction statutaire. La ratio legis de la protection particulière contre le licenciement est d’éviter des « représailles » à l’égard de candidats aux élections sociales. Les dispositions légales ont pour objectif de garantir le fonctionnement normal du dialogue social. La protection étendue contre le licenciement des agents statutaires garantit aussi le fonctionnement normal du dialogue social.
A.1.4. Selon HR Rail, les catégories de membres du personnel mentionnées dans la question préjudicielle ne sont manifestement pas suffisamment comparables. À supposer, en outre, qu’il soit accordé aux stagiaires le droit de ne pas être licenciés pendant plus de deux ans pour des manquements dans l’accomplissement de leur stage, la raison d’être du stage serait, de ce fait, vidée de sa substance. Il est inconcevable, eu égard la nature et à la finalité du stage, qu’un membre du personnel qui est aussi stagiaire ne puisse pas être licencié à la fin de ce stage en cas d’évaluation négative de celui-ci pour la seule et unique raison qu’il s’est porté candidat aux élections sociales.
A.2.1. Le Conseil des ministres estime lui aussi que la mention dans la question préjudicielle de « membres du personnel statutaire - en particulier les fonctionnaires effectuant une période d’essai - » ne saurait être interprétée autrement que dans le sens où la question préjudicielle porte sur des agents statutaires stagiaires. Le stage est effectué en vue d’obtenir une nomination à titre définitif comme statutaire, mais les stagiaires ne sont pas encore des agents statutaires nommés à titre définitif.
A.2.2. Ensuite, le Conseil des ministres observe que la protection particulière contre le licenciement est analogue au régime prévu dans la loi du 19 mars 1991 « portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d’entreprise et aux comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel ». En outre, il est fait référence au statut du personnel et à la réglementation du personnel de HR Rail.
A.2.3. Le Conseil des ministres soutient que les catégories de membres du personnel à comparer ne sont pas comparables par rapport à la finalité des dispositions en cause. La finalité consiste à protéger les représentants syndicaux et les candidats non élus qui sont contractuels en interdisant leur licenciement, sauf dans les cas exceptionnels énumérés qui exigent également le respect d’une procédure stricte. Cette protection contre le licenciement permet de garantir le fonctionnement normal du dialogue social. La protection se limite aux agents contractuels parce que ceux-ci ne bénéficient pas de la protection particulière contre le licenciement qui est propre à la fonction statutaire et qui limite déjà fondamentalement les possibilités de licenciement des agents statutaires à des situations très spécifiques.
Dans le cas d’un emploi statutaire, la stabilité de l’emploi s’applique ainsi qu’un système « fermé » de licenciement. De même, des règles strictes contre le licenciement s’appliquent en ce qui concerne les stagiaires engagés chez HR Rail, puisque les stagiaires ne peuvent être licenciés qu’en raison d’une inaptitude professionnelle ou d’une incapacité physique définitive. La réglementation du personnel qui s’applique au sein de HR Rail contient en outre des dispositions interdisant le licenciement d’une personne pour raisons syndicales. Il est clair qu’il y a une grande différence entre les possibilités de licencier un membre du personnel contractuel et un membre du personnel statutaire.
Selon le Conseil des ministres, puisque les catégories de personnes ne sont pas comparables, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.2.4. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres estime que la différence de traitement est raisonnablement justifiée. Le critère de distinction est objectif. La distinction poursuit un objectif légitime, est pertinente et est raisonnablement proportionnée à l’objectif poursuivi. Étant donné qu’une protection étendue s’applique déjà à tous les agents statutaires et stagiaires, le législateur a pu estimer que l’objectif était déjà atteint pour les agents statutaires et pour les stagiaires sans qu’il s’impose encore d’instaurer une protection particulière contre le licenciement pour ces catégories de personnes.
C’est le propre d’un stage que le stagiaire soit évalué et que le stage ne se termine pas toujours par une décision de régularisation. La situation d’un stagiaire qui est candidat aux élections sociales est nettement plus
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proche de celle d’un stagiaire qui n’est pas candidat aux élections sociales que de celle d’un contractuel qui est candidat aux élections sociales. S’il fallait accorder aux stagiaires un droit de ne pas être licenciés pendant leur stage pour des manquements dans l’accomplissement de leur stage, la raison d’être du stage serait, de ce fait, vidée de toute sa substance. Dans un tel cas, tout stagiaire qui se porte candidat aux élections sociales serait « automatiquement » régularisé à la fin du stage, même s’il est inapte à la profession.
-B-
B.1. Les articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018 « portant modification de la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB et au personnel des Chemins de fer belges et du Code judiciaire en matière d’élections sociales pour certains organes de dialogue social des Chemins de fer belges » (ci-après : la loi du 18 mars 2018) disposent :
« Art. 19. Dans le livre 2, titre 3, de la même loi, il est inséré un chapitre 13, intitulé ‘ Chapitre 13. - Régime de licenciement particulier des délégués syndicaux et des candidats-
délégués syndicaux contractuels ’.
Art. 20. Dans le chapitre 13, inséré par l’article 19, il est inséré une section 1re intitulée ‘ Section 1re. - Dispositions générales ’.
Art. 21. Dans la section 1re insérée par l’article 20, il est inséré un article 162 rédigé comme suit :
‘ Art. 162. § 1er. Le présent chapitre s’applique :
1° aux membres du personnel contractuels qui, comme membres effectifs ou suppléants, représentent le personnel des Chemins de fer belges au sein des commissions paritaires régionales, des Comités d’entreprise pour la prévention et la protection au travail et des Comités pour la prévention et la protection au travail;
2° aux membres du personnel contractuels qui sont candidats aux élections des représentants du personnel dans ces mêmes organes;
3° à HR Rail en sa qualité telle que décrite à l’article 66.
§ 2. Pour l’application du présent chapitre, il faut entendre par :
1° délégué syndical : le membre effectif ou suppléant visé au § 1er, 1°;
2° candidat-délégué syndical : le candidat visé au § 1er, 2°;
3° organes de concertation : les commissions paritaires régionales, les Comités d’entreprise pour la prévention et la protection au travail et les Comités pour la prévention et la protection au travail visés à l’article 114/1;
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4° envoi recommandé : un service garantissant forfaitairement contre les risques de perte, vol ou détérioration et fournissant à l’expéditeur, le cas échéant à sa demande, une preuve de la date du dépôt de l’envoi postal et/ou de sa remise au destinataire, de même qu’un service d’envoi recommandé électronique qualifié conforme au règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement Européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE et au livre XII, titre 2 et ses annexes, du Code de droit économique. ’
Art. 22. Dans la même section 1re, il est inséré un article 163 rédigé comme suit :
‘ Art. 163. § 1er. Les délégués syndicaux et les candidats-délégués syndicaux ne peuvent être licenciés que pour un motif grave préalablement admis par la juridiction du travail ou pour des raisons d’ordre économique ou technique préalablement reconnues par la Commission paritaire nationale à la majorité des deux tiers des voix exprimées.
Pour l’application du présent article, est considéré comme licenciement :
1° toute rupture du contrat de travail par HR Rail, avec ou sans indemnité, avec ou sans respect d’un préavis, notifiée pendant la période visée aux §§ 2 ou 3;
2° toute rupture du contrat de travail par le membre du personnel en raison de faits qui constituent un motif imputable à HR Rail;
3° le non-respect par HR Rail de l’ordonnance du président du tribunal du travail prise en application de l’article 166, décidant de la poursuite de l’exécution du contrat de travail pendant la procédure en cours devant les juridictions du travail.
§ 2. Les délégués syndicaux bénéficient des dispositions du § 1er pendant une période allant du trentième jour précédant l’affichage, par HR Rail, de l’avis fixant la date des élections, jusqu’à la date d’installation des candidats élus lors des élections suivantes.
§ 3. Les candidats-délégués syndicaux, présentés lors des élections des représentants du personnel dans les organes de concertation, qui réunissent les conditions d’éligibilité, bénéficient des dispositions des §§ 1er et 2 lorsqu’il s’agit de leur première candidature.
Les candidats-délégués syndicaux au sens de l’alinéa 1er bénéficient des dispositions des §§ 1er et 2 pendant une période allant du trentième jour précédant l’affichage, par HR Rail, de l’avis fixant la date des élections et se terminant deux ans après l’affichage, par HR Rail, du résultat des élections lorsqu’ils ont déjà été candidats et qu’ils n’ont pas été élus à l’occasion des élections précédentes.
Le bénéfice des dispositions du présent paragraphe est également accordé aux candidats présentés lors d’élections qui ont été annulées.
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§ 4. Le mandat de délégué syndical ou la qualité de candidat-délégué syndical ne peut entraîner ni préjudices ni avantages spéciaux pour l’intéressé.
§ 5. Les délégués syndicaux et les candidats-délégués syndicaux ne peuvent être transférés d’un siège d’exploitation à un autre siège d’exploitation qu’en cas d’accord écrit de leur part au moment de la décision ou pour des raisons d’ordre économique ou technique préalablement reconnues par la Commission paritaire nationale.
§ 6. Aucun autre mode de rupture du contrat de travail que ceux visés au § 1er ne peut être invoqué, à l’exception :
- de l’expiration du terme;
- de l’achèvement du travail en vue duquel le contrat a été conclu;
- de la rupture unilatérale du contrat par le membre du personnel;
- du décès du membre du personnel;
- de la force majeure;
- de l’accord entre HR Rail et le membre du personnel. ’ ».
B.2. La loi du 18 mars 2018 a complété la loi du 23 juillet 1926 « relative à la SNCB et au personnel des Chemins de fer belges » (ci-après : la loi du 23 juillet 1926) par des dispositions destinées à définir un cadre légal concernant le licenciement des délégués et des candidats délégués syndicaux contractuels.
Les travaux préparatoires mentionnent :
« Ce cadre est certes très analogue à la réglementation du secteur privé mais tient également compte du contexte spécifique des Chemins de fer belges, ce qui permet de disposer d’une base légale propre au sein même de la loi précitée » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2939/001, p. 4).
La réglementation du secteur privé à laquelle il est fait référence est celle qui est prévue dans la loi du 19 mars 1991 « portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d’entreprise et aux comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel ».
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Les travaux préparatoires mentionnent :
« [Le régime applicable à HR Rail] règle notamment les conditions pour bénéficier de la protection contre le licenciement et détermine les bénéficiaires de la protection. Il fixe également le début et la fin de la période de protection, la portée de l’interdiction de licencier et les motifs qui permettent d’y déroger moyennant le respect de la procédure prévue ainsi que les sanctions applicables en cas de licenciement illicite » (ibid., p. 9).
B.3. La Cour est interrogée sur la compatibilité des articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les dispositions attaquées prévoient une protection particulière contre le licenciement uniquement pour les membres du personnel contractuel qui étaient candidats aux élections sociales et non pour les membres du personnel statutaire « - en particulier les fonctionnaires effectuant une période d’essai - ». Il ressort de l’arrêt de renvoi que le litige au fond concerne un agent statutaire effectuant un stage, et non une période d’essai.
B.4. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5. La circonstance que les travailleurs contractuels occupés par une autorité et les agents statutaires qui sont stagiaires se trouvent dans des situations juridiques différentes ne suffit pas, contrairement à ce que soutiennent la partie adverse devant la juridiction a quo et le Conseil des ministres, pour juger que ces catégories de personnes ne peuvent pas être comparées quant aux dispositions en cause : dans les deux cas, il s’agit en effet de déterminer les conditions auxquelles il peut être mis fin à leur emploi de manière valable.
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B.6. En vertu des articles 18, 24 et 25 de la loi du 3 août 2016 « portant des dispositions diverses en matière ferroviaire » (ci-après : la loi du 3 août 2016), modifiant la loi du 23 juillet 1926, la composition de certains organes de dialogue social au sein des Chemins de fer belges, en ce qui concerne les représentants du personnel, est réglée via des élections sociales à partir de 2018. Les élections sociales permettent à tous les membres du personnel des chemins de fer de désigner leurs représentants au sein de certains organes de dialogue social.
B.7.1. En vertu de l’article 22 de la loi du 18 mars 2018, les membres du personnel contractuel de HR Rail bénéficient d’une protection particulière contre le licenciement lorsqu’ils sont candidats aux élections sociales ou lorsqu’ils sont élus, afin qu’ils puissent exercer leur mandat sans subir aucune pression et en toute indépendance. Les membres du personnel statutaire et, parmi eux, ceux qui effectuent un stage ne relèvent pas de cette protection particulière contre le licenciement.
B.7.2. La différence de traitement entre les membres du personnel contractuel et les membres du personnel statutaire repose sur un critère objectif, à savoir la nature juridique de la relation de travail.
Les spécificités que présente le statut par rapport au contrat de travail peuvent s’analyser, selon le cas, comme des avantages (c’est notamment le cas de la plus grande stabilité d’emploi ou du régime de pension plus avantageux) ou comme des désavantages (tels la loi du changement, le devoir de discrétion et de neutralité ou le régime en matière de cumul ou d’incompatibilités).
B.7.3. Ces spécificités ne doivent toutefois être prises en considération que par rapport à l’objet et à la finalité des dispositions en cause : protéger contre le licenciement le travailleur qui est élu ou qui s’est porté candidat aux élections sociales, de sorte que le dialogue social puisse être garanti. À cet égard, il s’avère que le travailleur occupé par une autorité publique qui a mis fin à son emploi se trouve dans une situation différente selon qu’il est entré en fonction comme agent statutaire ou comme membre du personnel contractuel.
L’agent statutaire voit en effet son emploi garanti par le fait qu’une cessation de fonction ne peut intervenir que sur la base de motifs expressément énumérés par son statut. Le caractère
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permanent de l’emploi constitue ainsi une caractéristique substantielle de sa fonction statutaire.
Une réglementation stricte contre le licenciement s’applique aussi au fonctionnaire stagiaire de HR Rail, puisque les stagiaires ne peuvent être licenciés qu’en raison d’une inaptitude professionnelle ou d’une incapacité physique définitive (statut du personnel et réglementation du personnel de HR Rail). En outre, la réglementation du personnel de la partie adverse devant la juridiction a quo contient des dispositions qui interdisent le licenciement d’un agent statutaire pour raisons syndicales.
B.7.4. Étant donné qu’une protection étendue contre le licenciement s’applique déjà à tous les agents statutaires et agents statutaires stagiaires, le législateur a pu estimer que l’objectif était déjà atteint pour les agents statutaires et pour les agents statutaires stagiaires sans qu’il s’impose encore d’instaurer une protection particulière contre le licenciement pour ces catégories d’agents, lorsqu’ils sont candidats aux élections sociales.
B.7.5. Il résulte de ce qui précède qu’il est raisonnablement justifié que le législateur n’octroie pas au membre du personnel statutaire et au fonctionnaire stagiaire une protection particulière contre le licenciement comparable à celle que les dispositions en cause accordent aux membres du personnel contractuel qui étaient candidats aux élections sociales.
B.8. Les articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018 sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils ne prévoient pas une protection particulière contre le licenciement pour les membres du personnel statutaire, en ce compris les fonctionnaires stagiaires, qui étaient candidats aux élections sociales.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
Les articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018 « portant modification de la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB et au personnel des Chemins de fer belges et du Code judiciaire en matière d’élections sociales pour certains organes de dialogue social des Chemins de fer belges » ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils ne prévoient pas une protection particulière contre le licenciement pour les membres du personnel statutaire, en ce compris les fonctionnaires stagiaires, qui étaient candidats aux élections sociales.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 23 mars 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 52/2023
Date de la décision : 23/03/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Non-violation (articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018, en ce qu'ils ne prévoient pas une protection particulière contre le licenciement pour les membres du personnel statutaire, en ce compris les fonctionnaires stagiaires, qui étaient candidats aux élections sociales)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative aux articles 19 à 22 de la loi du 18 mars 2018 « portant modification de la loi du 23 juillet 1926 relative à la SNCB et au personnel des Chemins de fer belges et du Code judiciaire en matière d'élections sociales pour certains organes de dialogue social des Chemins de fer belges », posée par le Conseil d'État. SNCB - Dialogue social - Protection particulière contre le licenciement - Membres du personnel contractuel qui étaient candidats aux élections sociales - Exclusion - Membres du personnel statutaire et stagaires


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-03-23;52.2023 ?

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