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23/03/2023 | BELGIQUE | N°49/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 23 mars 2023, 49/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 49/2023
du 23 mars 2023
Numéro du rôle : 7662
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 28 du décret-programme de la Communauté française du 12 décembre 2008 « portant diverses mesures concernant la radiodiffusion, la création d’un fonds budgétaire relatif au financement des programmes de dépistage des cancers, les établissements d’enseignement, les internats, les centres psycho-médico-sociaux, et les bâtiments scolaires », posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour c

onstitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges Y. Khe...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 49/2023
du 23 mars 2023
Numéro du rôle : 7662
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 28 du décret-programme de la Communauté française du 12 décembre 2008 « portant diverses mesures concernant la radiodiffusion, la création d’un fonds budgétaire relatif au financement des programmes de dépistage des cancers, les établissements d’enseignement, les internats, les centres psycho-médico-sociaux, et les bâtiments scolaires », posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges Y. Kherbache, T. Detienne, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 13 octobre 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 octobre 2021, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante :
« En ce qu’il modifie l’article 16 de l’arrêté royal du 15 avril 1958 portant statut pécuniaire du personnel enseignant, scientifique et assimilé du Ministère de l’Instruction publique en prévoyant que ‘ Par dérogation au § 1er, sont admissibles les services effectifs repris au § 1er, accomplis avant le seuil d’âge, prestés par le membre du personnel entré en fonction postérieurement au 31 août 2008 ou qui, en fonction antérieurement, n’a pas atteint le seuil d’âge de son échelle à cette même date ’, l’article 28 du décret-programme du 12 décembre 2008 portant diverses mesures concernant la radiodiffusion, la création d’un fonds budgétaire relatif au financement des programmes de dépistage des cancers, les établissements d’enseignement, les internats, les centres psycho-médico-sociaux, et les bâtiments scolaires, viole-t-il les articles 10, 11 et 24 § 4 de la Constitution, combinés avec les articles 6 et 16 de la directive 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre légal en faveur
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de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, en ce qu’il est interprété comme permettant à un membre du personnel entré en fonction postérieurement au 31 août 2008 ou entré en fonction antérieurement mais n’ayant pas atteint le seuil d’âge de son échelle à cette date et ayant, ensuite, obtenu un master de pouvoir valoriser l’ensemble des services effectifs qu’il a prestés, sans aucune limitation, alors que le membre du personnel entré en fonction antérieurement au 31 août 2008, ayant atteint le seuil d’âge de son échelle à cette date, pourra voir ultérieurement le seuil d’âge qui lui était appliqué au 31 août 2008 être rehaussé et voir ainsi le nombre de ses services effectifs pris en considération pour le calcul de son ancienneté être réduits, ceci en raison de l’obtention d’un master et, par conséquent, d’une modification de l’échelle dont il relève, postérieurement à cette date ? ».
Le Gouvernement de la Communauté française, assisté et représenté par Me M. Uyttendaele, Me P. Minsier et Me E. Despy, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire.
Par ordonnance du 1er février 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Detienne et W. Verrijdt, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Gouvernement de la Communauté française n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 15 février 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 15 février 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
A.-C. Hardy est née en octobre 1976. Elle entame sa carrière d’enseignante en septembre 1998, à l’âge de 21
ans, en tant qu’institutrice primaire dans l’enseignement organisé par la Communauté française.
En juin 2014, elle obtient un master en sciences de l’éducation. À partir du mois de juillet 2014, elle bénéficie du barème applicable au porteur d’un titre requis de niveau master.
À partir du mois de juillet 2018, l’ancienneté pécuniaire d’A.-C. Hardy est recalculée : sa fiche de traitement du mois de juin 2018 mentionne une ancienneté de 19 ans et 5 mois (cette ancienneté correspondant à une ancienneté calculée à partir du 1er janvier 1999), alors que celle du mois de juillet 2018 mentionne une ancienneté de 17 ans et 8 mois (cette ancienneté correspondant à une ancienneté calculée à partir du 1er novembre 2000).
Le 26 février 2019, A.-C. Hardy met en demeure la Communauté française de calculer son ancienneté à dater du 1er novembre 1998 et d’en tirer les conséquences pécuniaires pour le passé et pour l’avenir, en se référant à l’article 16, § 1erbis, de l’arrêté royal du 15 avril 1958 « portant statut pécuniaire du personnel enseignant, scientifique et assimilé du Ministère de l'Instruction publique » (ci-après : l’arrêté royal du 15 avril 1958).
Eu égard au refus de la Communauté française de faire droit à cette demande, A.-C. Hardy demande à la juridiction a quo de condamner la Communauté française à régulariser son ancienneté pécuniaire au 1er novembre
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1998, à lui verser des arriérés de traitement et un traitement correspondant à son ancienneté ainsi adaptée, ainsi qu’à régulariser les cotisations sociales relatives à sa situation. À titre reconventionnel, la Communauté française demande qu’A.-C. Hardy soit condamnée à lui rembourser la somme de 4 719, 28 euros, correspondant à la partie du traitement qui lui a été indûment versée entre le 1er janvier 2016 et le 30 juin 2018, majorée des intérêts.
La juridiction a quo constate qu’il n’est pas contesté que l’ancienneté d’A.-C. Hardy pour le barème applicable au porteur d’un titre requis de niveau bachelier devait être calculée à partir du premier jour du mois suivant celui de son vingt-deuxième anniversaire, soit à partir du 1er novembre 1998.
Elle observe que la Communauté française a calculé l’ancienneté d’A.-C. Hardy pour le barème applicable au porteur d’un titre requis de niveau master à partir du premier jour du mois suivant celui de son vingt-quatrième anniversaire, soit à partir du 1er novembre 2000. Elle rappelle à cet égard que le décret-programme du 12 décembre 2008 « portant diverses mesures concernant la radiodiffusion, la création d’un fonds budgétaire relatif au financement des programmes de dépistage des cancers, les établissements d’enseignement, les internats, les centres psycho-médico-sociaux, et les bâtiments scolaires » ne modifie le calcul de l’ancienneté pécuniaire que pour l’agent entré en fonction après le 31 août 2008 ou l’agent qui, en fonction antérieurement, n’a pas atteint le seuil d’âge de son échelle à cette même date. Il estime qu’A.-C. Hardy reste soumise au régime des seuils d’âge même si elle a changé de barème après le 31 août 2008 et que la Communauté française a appliqué correctement les articles 9 et 16, § 1erbis, de l’arrêté royal du 15 avril 1958. La circonstance que la Communauté française a recalculé l’ancienneté pécuniaire d’A.-C. Hardy avec retard en juillet 2018 et non en juillet 2014 l’empêche uniquement de réclamer le remboursement d’une partie de la rémunération versée indûment, conformément aux règles en matière de prescription. La juridiction a quo constate que les motifs de l’arrêt de la Cour n° 104/2015 du 16 juillet 2015 (ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.104) ne sont pas transposables en l’espèce, dès lors que, contrairement à la situation à l’origine de cet arrêt, le service militaire n’était plus obligatoire lorsque A.-C. Hardy a commencé sa carrière. Par ailleurs, A.-C. Hardy demande, non pas la suppression rétroactive du régime des seuils d’âge, mais que le seuil d’âge qui lui était applicable au moment de l’entrée en vigueur de l’article 16, § 1erbis, de l’arrêté royal du 15 avril 1958 ne soit pas rehaussé en raison de l’obtention ultérieure d’un nouveau diplôme. À la demande d’A.-C. Hardy, la juridiction a quo pose à la Cour la question préjudicielle reproduite ci-dessus.
III. En droit
–A–
A.1. Le Gouvernement de la Communauté française expose que le régime des seuils d’âge prévu par l’arrêté royal du 15 avril 1958 avait pour but de remédier à l’inégalité de genre causée par le fait que les hommes, soumis au service militaire obligatoire, entraient en fonction plus tard que les femmes. Le décret-programme du 12 décembre 2008 a mis fin à ce régime en raison notamment de la disparition du service militaire obligatoire, sauf pour les enseignants entrés en fonction avant le 31 août 2008 qui avaient déjà atteint le seuil d’âge de leur échelle à cette date. Pour ces membres du personnel enseignant qui restent soumis au régime des seuils d’âge, l’arrêté royal du 27 juin 1974 « fixant au 1er avril 1972 les échelles des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d'éducation, du personnel paramédical des établissements d'enseignement de l'Etat, des membres du personnel du Service général de pilotages des Ecoles et Centres psycho-
médico-sociaux, des membres du personnel du Service général de l’Inspection chargé de la surveillance de ces établissements, des membres du personnel du Service général de l’Inspection de l'enseignement par correspondance et de l'enseignement primaire subventionné et les échelles des grades du personnel des centres psycho-médico-sociaux de l'Etat » prévoit que les enseignants porteurs du diplôme d’instituteur primaire sont soumis à l’échelle « 216 » et au seuil d’âge de 22 ans, tandis que les enseignants titulaires d’un master en sciences de l’éducation sont soumis à l’échelle « 415 » et au seuil d’âge de 24 ans.
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A.2. Le Gouvernement de la Communauté française estime, à titre principal, que les catégories de personnes visées par la question préjudicielle ne sont pas comparables. À titre subsidiaire, il soutient que les objectifs légitimes identifiés par la Cour dans son arrêt n° 104/2015 sont transposables en l’espèce. Premièrement, la circonstance que le service militaire obligatoire était supprimé depuis plus de quatre ans lorsque le législateur a supprimé le régime des seuils d’âge préexistait à l’arrêt n° 104/2015 et n’a pas amené la Cour à reconnaître une discrimination. Cette circonstance n’est pas propre à la différence de traitement en cause en l’espèce.
Deuxièmement, le fait de « geler » l’application du régime des seuils d’âge et de recalculer l’ancienneté barémique des membres du personnel enseignant qui restent soumis à ce régime et qui ont obtenu un nouveau diplôme après leur entrée en fonction entraînerait des difficultés administratives considérables et des difficultés financières d’une ampleur de nature à mettre à mal le secteur de l’enseignement dans son ensemble et d’autres domaines qui relèvent de la compétence de la Communauté française. Troisièmement, l’impossibilité pour la demanderesse devant la juridiction a quo de valoriser l’ensemble de ses années d’ancienneté vaut pour tous les membres du personnel enseignant qui restent soumis au régime des seuils d’âge, qu’ils obtiennent ou non un nouveau diplôme à la suite de leur entrée en fonction. La Cour s’est déjà prononcée sur cette question par son arrêt n° 104/2015. Selon le Gouvernement de la Communauté française, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
–B–
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article 28 du décret-programme de la Communauté française du 12 décembre 2008 « portant diverses mesures concernant la radiodiffusion, la création d’un fonds budgétaire relatif au financement des programmes de dépistage des cancers, les établissements d’enseignement, les internats, les centres psycho-
médico-sociaux, et les bâtiments scolaires » (ci-après : le décret-programme du 12 décembre 2008).
Situé dans le chapitre XI du décret-programme du 12 décembre 2008, intitulé « Suppression des seuils d’âge », cet article modifie l’article 16 de l’arrêté royal du 15 avril 1958 « portant statut pécuniaire du personnel enseignant, scientifique et assimilé du Ministère de l’Instruction publique » (ci-après : l’arrêté royal du 15 avril 1958). Il dispose :
« A l’article 16 de l’arrêté royal du 15 avril 1958 portant statut pécuniaire du personnel enseignant, scientifique et assimilé du Ministère de l’Instruction publique est inséré un § 1erbis rédigé comme suit :
‘ § 1erbis. Par dérogation au § 1er, sont admissibles les services effectifs repris au § 1er, accomplis avant le seuil d’âge, prestés par le membre du personnel entré en fonction postérieurement au 31 août 2008 ou qui, en fonction antérieurement, n’a pas atteint le seuil d’âge de son échelle à cette même date. ’ ».
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En vertu de l’article 40 du même décret-programme, cette disposition produit ses effets le 1er septembre 2008.
B.2. L’article 16 de l’arrêté royal du 15 avril 1958 détermine, avec l’article 17 du même arrêté, les services admissibles pour le calcul de l’ancienneté pécuniaire des membres du personnel enseignant, scientifique ou assimilé, à partir de l’âge de 20, 21, 22, 23 ou 24 ans, selon la classe de leur échelle.
En vertu de l’article 14 de l’arrêté royal du 15 avril 1958, le traitement de tout agent est fixé dans l’échelle de son grade, compte tenu du diplôme ou du titre dont il est porteur.
Toute échelle est rangée, soit dans la classe dite « 20 ans », soit dans la classe dite « 21 ans », soit dans la classe dite « 22 ans », soit dans la classe dite « 23 ans », soit dans la classe dite « 24 ans » (article 9 de l’arrêté royal du 15 avril 1958).
L’échelle de chaque grade est désignée par un indice qui en mentionne le traitement maximum, la classe, ainsi que le nombre et le montant des augmentations périodiques (article 10 de l’arrêté royal du 15 avril 1958).
Les services accomplis avant le seuil d’âge, désigné dans la classe de l’échelle de l’agent, ne peuvent, en vertu des articles 16 et 17 de l’arrêté royal du 15 avril 1958, être pris en compte dans le calcul de son ancienneté pécuniaire.
B.3. En modifiant l’article 16 de l’arrêté royal du 15 avril 1958, la disposition en cause supprime les seuils d’âge à l’égard des membres du personnel enseignant, scientifique ou assimilé mentionnés dans cette disposition qui sont entrés en fonction après le 31 août 2008 ou qui, en fonction antérieurement, n’ont pas atteint le seuil d’âge de leur échelle à cette même date.
Les seuils d’âge sont dès lors maintenus à l’égard des autres membres du personnel enseignant, scientifique ou assimilé.
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B.4.1. La question préjudicielle invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6 et 16 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ».
B.4.2. La disposition en cause créerait une différence de traitement injustifiée fondée sur l’âge entre, d’une part, les membres du personnel entrés en fonction après le 31 août 2008 ou déjà entrés en fonction antérieurement, mais sans avoir atteint à cette date le seuil d’âge de leur échelle et qui ont obtenu un master après la date de leur entrée en fonction et, d’autre part, les membres du personnel qui sont entrés en fonction avant le 1er septembre 2008 et qui ont bien atteint ce seuil d’âge le 31 août 2008 et qui ont obtenu un master après le 31 août 2008. Alors qu’après l’obtention de leur master, les seconds se voient appliquer un seuil d’âge plus élevé que celui qui leur était applicable au 31 août 2008 et ne peuvent aucunement valoriser dans leur ancienneté pécuniaire les services accomplis avant d’avoir atteint ce nouveau seuil d’âge, les premiers peuvent valoriser ces mêmes services dans leur ancienneté pécuniaire.
B.4.3. Il ressort du jugement de renvoi que le litige pendant devant la juridiction a quo concerne la situation d’une enseignante nommée à titre définitif dans l’enseignement primaire organisé par la Communauté française, qui a entamé sa carrière à l’âge de 21 ans, en septembre 1998, et qui a obtenu un master en juin 2014. Jusqu’au mois de juin 2018, son ancienneté pécuniaire est calculée sans tenir compte des prestations antérieures à son vingt-deuxième anniversaire, conformément à l’article 16 de l’arrêté royal du 15 avril 1958. À partir du mois de juillet 2018, son ancienneté pécuniaire est calculée sans tenir compte des prestations antérieures à son vingt-quatrième anniversaire, conformément à la même disposition.
La Cour limite son examen à cette hypothèse.
B.5.1. Les deux catégories de membres du personnel enseignant qui obtiennent un master après leur entrée en fonction sont suffisamment comparables au regard de la prise en
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considération, pour calculer leur ancienneté pécuniaire, des services accomplis dans l’enseignement.
B.5.2. La question préjudicielle ne porte pas sur la suppression des seuils d’âge pour certaines catégories de membres du personnel enseignant. Elle porte uniquement sur le fait que la seconde catégorie de personnes mentionnée en B.4.2 reste soumise aux seuils d’âge en cas d’obtention d’un master après la date de suppression de ce régime le 31 août 2008.
Elle porte, en particulier, sur la non-prise en considération, dans le calcul de l’ancienneté pécuniaire des membres du personnel enseignant soumis aux seuils d’âge et qui ont obtenu un master après le 31 août 2008, de l’ancienneté acquise entre le seuil d’âge de l’échelle de traitement « bachelier » qui leur était appliqué au 31 août 2008 et le seuil d’âge rehaussé de leur nouvelle échelle de traitement « master », c’est-à-dire l’ancienneté correspondant aux services fournis pendant les deux années qui séparent le seuil d’âge applicable à l’échelle de traitement « bachelier » (22 ans) et le seuil d’âge applicable à l’échelle de traitement « master » (24 ans)
(voir, avant le 1er septembre 2016 : l’article 2, chapitre A, de l’arrêté royal du 27 juin 1974
« fixant au 1er avril 1972 les échelles des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d'éducation, du personnel paramédical des établissements d'enseignement de l'Etat, des membres du personnel du Service général de pilotages des Ecoles et Centres psycho-médico-sociaux, des membres du personnel du Service général de l’Inspection chargé de la surveillance de ces établissements, des membres du personnel du Service général de l’Inspection de l'enseignement par correspondance et de l'enseignement primaire subventionné et les échelles des grades du personnel des centres psycho-médico-
sociaux de l'Etat » et l’annexe à cet arrêté, tels qu’ils étaient applicables avant leur modification par l’article 23 de l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 5 juin 2014
« relatif aux fonctions, titres de capacité et barèmes portant exécution des articles 7, 16, 50 et 263 du décret du 11 avril 2014 réglementant les titres et fonctions dans l'enseignement fondamental et secondaire organisé et subventionné par la Communauté française », et depuis le 1er septembre 2016 : l’article 6 de l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 5 juin 2014 et l’annexe 2 à cet arrêté).
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B.5.3. Les membres du personnel enseignant qui, comme la demanderesse devant la juridiction a quo, étaient soumis au 31 août 2008, pour le calcul de leur ancienneté, au seuil d’âge de l’échelle de traitement « bachelier » sont soumis au seuil d’âge plus élevé de l’échelle de traitement « master » en cas d’obtention d’un master après cette date. Cette circonstance est la conséquence du fait que ces agents restent soumis aux seuils d’âge tout au long de leur carrière.
Par son arrêt n° 104/2015 du 16 juillet 2015 (ECLI:BE:GHCC:2015:ARR.104, B.4.2 à B.16), la Cour a déjà jugé que la différence de traitement que la suppression des seuils d’âge pour certaines membres du personnel enseignant entraîne entre les membres du personnel enseignant non soumis à un seuil d’âge qui peuvent valoriser l’intégralité de leurs prestations dans le calcul de leur ancienneté pécuniaire sans l’incidence d’un seuil d’âge et les membres du personnel enseignant soumis à un seuil d’âge qui ne le peuvent pas, était raisonnablement justifiée.
B.5.4. Le fait que, comme l’observe la juridiction a quo, la Cour, dans son arrêt n° 104/2015, précité, a limité son examen au cas d’une enseignante qui est entrée en fonction à un moment où le service militaire obligatoire pour les hommes existait encore (B.4.3), alors qu’il avait déjà été supprimé lors de l’entrée en fonction de la partie demanderesse devant la juridiction a quo, ne conduit pas à une autre conclusion. Le législateur décrétal dispose en effet d’un large pouvoir d’appréciation en matière socio-économique. Lorsqu’il entend corriger l’inégalité qui, à la suite d’une évolution du droit ou de la société, en l’espèce la suppression du service militaire obligatoire, est apparue dans d’autres domaines, notamment l’emploi et le marché du travail, il peut prendre le temps nécessaire pour mettre en œuvre une telle réforme.
Il en va d’autant plus ainsi que la suppression du service militaire obligatoire est une matière qui relève des compétences du législateur fédéral et que le législateur décrétal n’a donc pas pu l’anticiper. Par ailleurs, les motifs mentionnés dans les considérants B.15.3 à B.15.5 de l’arrêt no 104/2015 s’appliquent également à la situation dans laquelle la carrière du membre du personnel enseignant a commencé après la suppression du service militaire obligatoire.
B.5.5. Il ne peut pas non plus être reproché au législateur décrétal de ne pas avoir, comme l’indique la juridiction a quo, « gelé » au 31 août 2008 l’ancienneté pécuniaire des membres du
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personnel enseignant qui restent soumis aux seuils d’âge. Aux fins de l’uniformité et de l’applicabilité pratique du régime transitoire, il est raisonnablement justifié que le législateur décrétal ait conservé sans exception les règles existantes relatives aux seuils d’âge à l’égard des membres du personnel enseignant qui restent soumis à ces seuils, de même qu’il est raisonnablement justifié qu’il n’ait pas pris en compte les situations particulières dans lesquelles chaque membre du personnel, pris individuellement, est susceptible de se trouver. Le fait de ne pas appliquer au calcul de l’ancienneté pécuniaire de ces membres du personnel enseignant le seuil d’âge de l’échelle de traitement « master » entraînerait par ailleurs une différence de traitement entre les membres du personnel enseignant soumis aux seuils d’âge, selon qu’ils ont obtenu un master avant ou après le 31 août 2008.
En outre, la circonstance mentionnée en B.5.3 n’a pas d’effets disproportionnés pour ces membres du personnel enseignant. Le rehaussement du seuil d’âge affecte en effet uniquement le calcul de l’ancienneté pécuniaire, laquelle est réduite de deux ans mais n’a pas d’incidence sur l’échelle barémique supérieure dont ils peuvent bénéficier à la suite de l’obtention de leur master. Ce rehaussement correspond par ailleurs à la durée de principe des études de master.
B.6. Il résulte des motifs qui précèdent que la disposition en cause est raisonnablement justifiée, en ce qu’elle ne permet pas de comptabiliser, pour le calcul de l’ancienneté pécuniaire des membres du personnel enseignant soumis aux seuils d’âge qui ont obtenu un master après le 31 août 2008, l’ancienneté acquise entre le seuil d’âge de l’échelle de traitement « bachelier »
qui leur était applicable au 31 août 2008 et le seuil d’âge de leur nouvelle échelle de traitement « master », et qu’elle est dès lors compatible avec les articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution, lus en combinaison avec la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ».
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 28 du décret-programme de la Communauté française du 12 décembre 2008
« portant diverses mesures concernant la radiodiffusion, la création d’un fonds budgétaire relatif au financement des programmes de dépistage des cancers, les établissements d’enseignement, les internats, les centres psycho-médico-sociaux, et les bâtiments scolaires »
ne viole pas les articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution, lus en combinaison avec la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail », en ce qu’il ne permet pas de comptabiliser, pour le calcul de l’ancienneté pécuniaire des membres du personnel enseignant soumis aux seuils d’âge qui ont obtenu un master après le 31 août 2008, l’ancienneté acquise entre le seuil d’âge de l’échelle de traitement « bachelier » qui leur était applicable au 31 août 2008 et le seuil d’âge de leur nouvelle échelle de traitement « master ».
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 23 mars 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49/2023
Date de la décision : 23/03/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Non-violation (article 28 du décret-programme de la Communauté française du 12 décembre 2008, en ce qu'il ne permet pas de comptabiliser, pour le calcul de l'ancienneté pécuniaire des membres du personnel enseignant soumis aux seuils d'âge qui ont obtenu un master après le 31 août 2008, l'ancienneté acquise entre le seuil d'âge de l'échelle de traitement « bachelier » qui leur était applicable au 31 août 2008 et le seuil d'âge de leur nouvelle échelle de traitement « master »)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 28 du décret-programme de la Communauté française du 12 décembre 2008 « portant diverses mesures concernant la radiodiffusion, la création d'un fonds budgétaire relatif au financement des programmes de dépistage des cancers, les établissements d'enseignement, les internats, les centres psycho-médico-sociaux, et les bâtiments scolaires », posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Droit public - Enseignement - Communauté française - Statut du personnel - Statut pécuniaire - Valorisation de l'ancienneté - Services prestés avant d'avoir atteint le seuil d'âge - Ancienneté entre le seuil d'âge du bachelier et du master - Application dans le temps


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-03-23;49.2023 ?

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