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09/03/2023 | BELGIQUE | N°40/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 09 mars 2023, 40/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 40/2023
du 9 mars 2023
Numéro du rôle : 7728
En cause : la question préjudicielle relative à l’article XX.229, § 4, du Code de droit économique, tel qu’il a été inséré par l’article 3 de la loi du 11 août 2017, posée par le Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, M. Pâques, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en

avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par j...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 40/2023
du 9 mars 2023
Numéro du rôle : 7728
En cause : la question préjudicielle relative à l’article XX.229, § 4, du Code de droit économique, tel qu’il a été inséré par l’article 3 de la loi du 11 août 2017, posée par le Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, M. Pâques, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 24 décembre 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 janvier 2022, le Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article XX.229, § 4 du Code de droit économique, tel qu’inséré par l’article 3 de la loi du 11 août 2017, est-il contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le tribunal de l’entreprise peut prononcer, à charge des personnes y visées, une interdiction d’exercer toute fonction permettant d’engager une personne morale, alors que l’interdiction d’engager qui peut être prononcée par le tribunal correctionnel sur le fondement de l’article 1er de l’arrêté royal n° 22 relatif à l’interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d’exercer certaines fonctions, professions ou activités du 24 octobre 1934 ne porte que sur les personnes morales qui y sont visées, à l’exclusion de l’association sans but lucratif, du groupement économique européen et de la société en commandite simple ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Depré, Me E. de Lophem et Me J. Van Vyve, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire.
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Par ordonnance du 21 décembre 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 18 janvier 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 18 janvier 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Après avoir prononcé la faillite d’une entreprise, le Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles est saisi par le procureur du Roi d’une demande formée sur la base de l’article XX.229, §§ 1er et 4, du Code de droit économique visant à interdire à son gérant d’exploiter une entreprise personnellement ou par interposition de personnes pour une durée de dix ans. Le procureur du Roi fait état de plusieurs éléments qui constitueraient, selon lui, des fautes graves et caractérisées ayant contribué à la faillite et en déduit que la personne concernée ne paraît pas présenter les compétences requises pour l’exercice d’une entreprise. À la demande du défendeur, le Tribunal pose à la Cour la question reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la différence de traitement entre, d’une part, les administrateurs et gérants d’une personne morale déclarée en faillite visés par l’article XX.229, § 4, du Code de droit économique et, d’autre part, les personnes condamnées comme auteur ou complice de plusieurs infractions énumérées à l’article 1er de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 « relatif à l’interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d’exercer certaines fonctions, professions ou activités » (ci-après : l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934) repose sur une justification objective et n’est pas disproportionnée.
A.2. Il rappelle qu’avant l’insertion du livre XX dans le Code de droit économique, l’article 3bis de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 permettait au juge de la faillite de prononcer l’interdiction professionnelle du failli ou du dirigeant de la personne morale déclarée en faillite, dans le but de protéger les tiers contre l’incompétence de la personne interdite, incompétence attestée par une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite. Il indique que, dès son origine, le champ d’application de l’interdiction professionnelle était calqué sur celui du droit de la faillite et se limitait dès lors aux sociétés commerciales, seules susceptibles d’être déclarées en faillite, ce qui explique que l’interdiction pouvait être prononcée pour les administrateurs et gérants de ces sociétés, et non pour les administrateurs d’ASBL ou de groupements d’intérêts économiques. Il ajoute que lors de l’insertion du livre XX dans le Code de droit économique par la loi du 11 août 2017 « portant insertion du livre XX, ‘ Insolvabilité des entreprises ’, dans le Code de droit économique, et portant insertion des définitions propres au livre XX, et des dispositions d’application au livre XX, dans le livre I du Code de droit économique », l’article 3bis de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 a été abrogé pour laisser place à l’article XX.229 du Code de droit économique, lequel ne fait plus référence à « toute société commerciale déclarée en état de faillite », mais à toute
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« personne morale ». Il indique que ce changement s’explique par la réforme du droit de l’insolvabilité réalisée par l’insertion du livre XX dans le Code de droit économique, qui en étend le champ d’application à toute « entreprise », ce qui inclut les ASBL et les fondations. Il en conclut que, la sanction civile résultant de la constatation que le gérant ou l’administrateur d’une personne morale déclarée en faillite a fautivement contribué à la faillite, son champ d’application est logiquement calqué sur celui du droit de l’insolvabilité.
A.3. Il fait valoir que, par ailleurs, la ratio legis de l’interdiction pénale, laquelle est limitée à certaines personnes morales, est étrangère au concept de faillite puisqu’elle se situe dans le contexte de la crise économique des années trente et répond à la nécessité de renforcer la confiance des épargnants, actionnaires des sociétés commerciales et des sociétés à forme commerciale, en interdisant que l’administration, la surveillance ou la gestion de ces sociétés soient confiées à des personnes indignes ou d’une malhonnêteté manifeste. Il relève que l’interdiction professionnelle de nature pénale est limitée aux sociétés qui présentent un rapport avec la commission de certaines infractions. Il indique que cet objectif originaire a été étendu avec la loi du 4 août 1978
« de réorientation économique » qui a inséré l’article 3bis dans l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934, article 3bis qui a ensuite été remplacé par l’article XX.229, en cause, du Code de droit économique.
A.4. Le Conseil des ministres en conclut que la finalité de la sanction civile et celle de la sanction pénale diffèrent fondamentalement, la première visant le dirigeant ou l’administrateur dont l’incompétence a contribué à ce que la personne morale qu’il dirigeait ou administrait soit déclarée en faillite, alors que la seconde vise la personne condamnée à titre principal du chef de certaines infractions. Il en déduit qu’il est logique que la sanction pénale soit limitée à certaines sociétés dans lesquelles ces infractions sont facilitées et que la sanction civile concerne toutes les personnes morales qui sont soumises au droit de l’insolvabilité depuis l’insertion du livre XX
dans le Code de droit économique. Il renvoie à l’arrêt de la Cour n° 144/2007 du 22 novembre 2007
(ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.144) qui, d’après lui, confirme cette conclusion.
-B-
B.1.1. L’article XX.229 du Code de droit économique dispose :
« § 1er. Le tribunal de l’insolvabilité qui a déclaré la faillite, ou si celle-ci a été déclarée à l’étranger, le tribunal de l’insolvabilité de Bruxelles, peut s’il est établi qu’une faute grave et caractérisée du failli a contribué à la faillite, interdire, par un jugement motivé, à ce failli d’exploiter, personnellement ou par interposition de personne, une entreprise.
§ 2. S’il apparait que sans empêchement légitime, le failli ou les administrateurs et les gérants de la personne morale faillie ont omis d’exécuter les obligations prescrites par l’article XX.18, le Tribunal de l’insolvabilité de Bruxelles, si la faillite a été déclarée à l’étranger, peut, par jugement motivé, interdire à ces personnes d’exercer, personnellement ou par interposition de personne, les fonctions d’administrateur, de commissaire ou de gérant d’une personne morale, toute fonction qui confère le pouvoir d’engager une personne morale, les fonctions de préposé à la gestion d’un établissement en Belgique visées à l’article 59 du Code des sociétés ou la profession d’agent de change ou d’agent de change correspondant.
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Le tribunal statue sur l’interdiction après la citation prévue à l’article XX.230 ou d’office et compte tenu de l’article XX.231 en cas de clôture de la faillite.
§ 3. Pour l’application du présent article, sont assimilés au failli, les administrateurs et les gérants d’une personne morale déclarée en faillite, dont la démission n’aura pas été publiée un an au moins avant la déclaration de la faillite ainsi que toute personne qui, sans être administrateur ou gérant, aura effectivement détenu le pouvoir de gérer la personne morale déclarée en faillite.
§ 4. En outre, pour les personnes assimilées au failli en vertu du paragraphe 3, le tribunal qui a déclaré la faillite de la personne morale ou, si celle-ci a été déclarée à l’étranger, le Tribunal de l’insolvabilité de Bruxelles, peut, s’il est établi qu’une faute grave et caractérisée de l’une de ces personnes a contribué à la faillite, interdire, par un jugement motivé, à cette personne d’exercer personnellement ou par interposition de personne, toutes fonctions conférant le pouvoir d’engager de telles personnes morales.
[…] ».
La question préjudicielle porte sur le paragraphe 4 de cette disposition.
La Cour constate que la version française de ce paragraphe diffère de la version néerlandaise. Plus précisément, la version française dispose que l’interdiction est applicable à de « telles personnes morales », alors que la version néerlandaise dispose que l’interdiction peut être imposée par rapport au pouvoir d’engager « een rechtspersoon » (soit « une personne morale »). Le terme français « telles » n’a pas d’équivalent dans le texte néerlandais.
Eu égard à la place de cette disposition dans le livre XX du Code, consacré à « l’insolvabilité des entreprises », et au texte de la version française, il faut considérer que par « personnes morales », le législateur entendait viser uniquement les personnes morales susceptibles d’être déclarées en faillite.
B.1.2. La Cour est invitée à comparer le paragraphe 4 de cette disposition avec l’article 1er de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 « relatif à l’interdiction judiciaire faite à certains condamnés et aux faillis d’exercer certaines fonctions, professions ou activités », qui dispose :
« Sans préjudice des interdictions édictées par les dispositions particulières, le juge qui, soit en Belgique, soit dans les territoires qui ont été soumis à l’autorité ou à l’administration de la Belgique, condamne une personne, même conditionnellement, comme auteur ou complice d’une des infractions ou d’une tentative d’une des infractions suivantes :
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a) fausse monnaie;
b) contrefaçon ou falsification d’effets publics, d’actions, d’obligations, de coupons d’intérêt et de billets au porteur émis par le Trésor public ou de billets de banque au porteur dont l’émission est autorisée par une loi ou en vertu d’une loi;
c) contrefaçon ou falsification de sceaux, timbres, poinçons et marques;
d) faux et usage de faux en écritures;
e) corruption de fonctionnaires publics ou concussion;
f) vol, extorsion, détournement ou abus de confiance, escroquerie, recel ou toute autre opération relative à des choses tirées d’une infraction, corruption privée;
g) une des infractions prévues aux articles 489, 489bis, 489ter et 492bis du Code pénal, circulation fictive d’effets de commerce ou infraction aux dispositions sur la provision des chèques ou autres titres à un paiement au comptant ou à vue sur fonds disponibles;
h) contravention aux interdictions prévues à l’article 40, §§ 1er, 2 et 3, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers;
i) infraction aux dispositions pénales prévues par le chapitre XXIV de la loi générale sur les douanes et accises, le chapitre XII du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe, les articles 133 à 133octies du Code des droits de succession, les articles 66 à 67octies du Code des droits de timbre, les articles 207 à 207octies du Code des taxes assimilées au timbre, les articles 449 à 453 du Code des impôts sur les revenus 1992, l’article 2, alinéa 3, du Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus, les articles 73 à 73octies du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et les articles 395 à 398 de la loi ordinaire du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’Etat;
j) infractions aux articles 324bis et 324ter du Code pénal;
peut assortir sa condamnation de l’interdiction d’exercer, personnellement ou par interposition de personne, les fonctions d’administrateur, de commissaire ou de gérant dans une société par actions, une société privée à responsabilité limitée ou une société coopérative, de même que des fonctions conférant le pouvoir d’engager l’une de ces sociétés ou les fonctions de préposé à la gestion d’un établissement belge, prévu par l’article 198, § 6, alinéa 1er, des lois sur les sociétés commerciales, coordonnées le 30 novembre 1935, ou la profession d’agent de change ou d’agent de change correspondant. Le juge détermine la durée de cette interdiction sans qu’elle puisse être inférieure à trois ans, ni supérieure à dix ans ».
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B.2. La Cour est interrogée sur la différence de traitement qui existe entre la personne qui fait l’objet d’une interdiction prononcée par le tribunal de l’insolvabilité en application de l’article XX.229, § 4, du Code de droit économique et la personne qui fait l’objet d’une interdiction prononcée par une juridiction pénale en application de l’article 1er de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934. Alors que l’interdiction prononcée sur la base de la disposition en cause concerne toute fonction conférant le pouvoir d’engager une personne morale susceptible d’être déclarée en faillite, l’interdiction prononcée sur la base de l’article 1er de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 ne concerne que l’exercice des fonctions d’administrateur, de commissaire ou de gérant dans une société par actions, dans une société privée à responsabilité limitée ou dans une société coopérative.
Cette différence de traitement repose sur le critère de la qualification des faits qui sont à l’origine de l’interdiction prononcée. Dans le premier cas, il s’agit d’une faute civile grave et caractérisée, non liée à une incrimination pénale, ayant contribué à la faillite d’une personne morale, alors que dans le second cas, il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice d’une des infractions ou d’une tentative d’une des infractions énumérées par l’article 1er de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934. Un tel critère est objectif.
B.3.1. L’article XX.229 du Code de droit économique trouve son origine dans l’ancien article 3bis de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934, qui permettait au tribunal de commerce ayant déclaré une faillite d’interdire au failli d’exercer « toutes fonctions d’administrateur, de gérant ou de commissaire dans une société commerciale ou à forme commerciale ». Lors de l’insertion du livre XX consacré à l’insolvabilité des entreprises dans le Code de droit économique par la loi du 11 août 2017 « portant insertion du Livre XX ‘ Insolvabilité des entreprises ’, dans le Code de droit économique, et portant insertion des définitions propres au Livre XX, et des dispositions d’application au Livre XX, dans le Livre I du Code de droit économique », « les dispositions relatives à l’insolvabilité contenues dans l’arrêté royal [ont été] extraites de l’AR et introduites dans ce titre sous une forme légèrement adaptée » (Doc.
parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2407/001, p. 105).
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B.3.2. L’article 3bis avait été inséré dans l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 par l’article 87 de la loi du 4 août 1978 « de réorientation économique ». L’exposé des motifs relatif à cette disposition indique :
« Il s’agit (…) d’éliminer du circuit commercial ceux qui, comme administrateurs, gérants ou personnes ayant effectivement détenu ce pouvoir, ont commis une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite de leur société » (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 415/1, p. 46).
Il ressort du même exposé des motifs que le législateur avait l’intention de dissuader le comportement de certains dirigeants de sociétés qui laissaient celles-ci « tomber en faillite sans conséquence dommageable aucune ni pour leur patrimoine personnel ni même pour la possibilité de recommencer leur commerce sous une autre façade » (ibid., p. 47).
B.3.3. L’article I.22, 8°, du Code de droit économique, qui s’applique au livre XX du même Code relatif à l’insolvabilité, inclut dans la définition de la notion de « débiteur » les entreprises à l’exception de toute personne morale de droit public. Conformément à l’article I.1, 1°, du Code de droit économique, sont qualifiées d’entreprise : toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant, toute personne morale et toute autre organisation sans personnalité juridique, à l’exclusion des organisations sans personnalité juridique qui ne poursuivent pas de but de distribution et qui ne procèdent effectivement pas à une distribution à leurs membres ou à des personnes qui exercent une influence décisive sur leur politique, des personnes morales de droit public qui ne proposent pas de biens ou services sur un marché et de l’État fédéral, des régions, des communautés, des provinces, des zones de secours, des prézones, de l’agglomération bruxelloise, des communes, des zones pluricommunales, des organes territoriaux intracommunaux, de la Commission communautaire française, de la Commission communautaire flamande, de la Commission communautaire commune et des centres publics d’action sociale.
B.3.4. Cette définition de la notion de « débiteur » traduit la volonté du législateur de permettre une large application de la législation sur l’insolvabilité. Le commentaire de la disposition qui l’a insérée dans le Code de droit économique indique :
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« Cet article décrit le champ d’application du livre [XX]. Le livre s’applique aux entreprises telles que reprises par le présent article. Ce champ d’application permet une large application de la législation sur l’insolvabilité.
Ceci est opportun vu la complexité d’une liquidation et la nécessité d’une gestion professionnelle de ces liquidations.
Le fait de reprendre la notion générale d’entreprise dans le livre XX implique une extension de la portée de la réglementation de l’insolvabilité. Celle-ci ne concerne plus les ‘ commerçants ’ et les ‘ sociétés commerciales ’, mais vise à comprendre toutes les formes d’organisation afin de leur permettre de bénéficier des possibilités de réorganisation et de les soumettre le cas échéant à une liquidation sous forme de faillite.
La question s’est posée de l’application de la législation aux associations. Les associations sont des entreprises au sens du CDE. Il paraissait particulièrement opportun, étant donné l’expertise des tribunaux de commerce en matière de liquidation des personnes morales, de confier les problèmes d’insolvabilité des associations à ces tribunaux » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2407/001, pp. 24-25).
B.4. Dès lors que, par l’interdiction prévue d’abord par l’article 3bis de l’arrêté royal n° 22
du 24 octobre 1934 puis par l’article XX.229 du Code de droit économique, le législateur entendait éviter qu’une personne qui, en ayant commis une faute grave et caractérisée, a déjà contribué à la faillite d’une personne morale reproduise le même comportement et contribue à la faillite d’une autre personne morale, il est justifié qu’il ait élargi le champ d’application de l’interdiction en cause de la même manière qu’il élargissait par ailleurs le champ d’application des personnes morales susceptibles d’être déclarées en faillite.
B.5.1. L’article 1er de l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934 n’a quant à lui pas été extrait de cet arrêté royal pour être inclus dans le livre XX du Code de droit économique, étant donné qu’il ne s’agit pas d’une disposition relative à l’insolvabilité.
B.5.2. Dans le rapport au Roi précédant l’arrêté royal n° 22 du 24 octobre 1934, l’objectif de l’arrêté est défini comme suit :
« Pour fortifier la confiance dans ces organismes [l’on vise les sociétés qui font appel à l’épargne de tiers], il convient d’interdire que leur administration, leur surveillance et leur gestion soient confiées à des personnes indignes, d’une improbité manifeste, ou à des personnes, tels les faillis, qui, s’étant montrés inhabiles à gérer leurs propres affaires, ne peuvent sans danger être appelés à gérer celles d’autrui.
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[…]
Les condamnations énumérées à l’article 1er du projet ne sont prononcées que pour des faits incompatibles avec l’honnêteté la plus élémentaire ou pour des faits qui démontrent l’incapacité de leur auteur de gérer une affaire commerciale ou industrielle.
Les faits doivent déjà revêtir une certaine gravité, puisque l’interdiction ne s’applique que si la peine prononcée est une peine privative de liberté de trois mois au moins; mais il n’importe que la peine soit conditionnelle ou qu’elle soit prononcée sans sursis. D’une part, une condamnation à trois mois d’emprisonnement, même avec sursis, n’est jamais prononcée pour une faute minime; d’autre part, il serait injuste de faire dépendre l’interdiction d’une circonstance étrangère à la faute commise, par exemple d’une condamnation antérieure à une peine d’amende correctionnelle du chef d’une infraction à la police de roulage » (Moniteur belge, 27 octobre 1934, p. 5768).
B.5.3. Cette disposition a pour objectif de renforcer la confiance du public dans les sociétés qui font appel à l’épargne de tiers en permettant au juge d’écarter de la gestion ou de la direction de telles sociétés les personnes s’étant rendues coupables d’infractions de nature à ruiner la confiance des épargnants. Dès lors qu’elle n’est pas liée au droit de l’insolvabilité, il est justifié que la portée de l’interdiction prévue par cette disposition ne corresponde pas à la portée de l’interdiction prévue par l’article XX.229, § 4, du Code de droit économique.
B.6. Enfin, en ce qu’elle permet au tribunal qui a déclaré la faillite d’une personne morale d’interdire aux administrateurs et aux gérants de cette personne morale qui ont commis une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite d’exercer toutes fonctions conférant le pouvoir d’engager de telles personnes morales, la disposition n’entraîne pas non plus d’effets disproportionnés. En effet, d’une part, le tribunal peut, en considération des circonstances, fixer une durée de l’interdiction plus courte que dix ans, l’assortir d’un sursis pour une durée de trois ans ou encore suspendre le prononcé de l’interdiction pour une période de trois ans en vertu de l’article XX.229, §§ 5 et 6, et, d’autre part, en vertu de l’article XX.235 du Code de droit économique, les effets des arrêts et jugements d’interdiction prennent fin si le jugement déclaratif de la faillite est rapporté ou si le failli obtient sa réhabilitation.
B.7. L’article XX.229, § 4, du Code de droit économique n’est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le tribunal de l’entreprise peut prononcer, à charge
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des personnes qui y sont visées, une interdiction d’exercer toute fonction conférant le pouvoir d’engager une personne morale susceptible d’être déclarée en faillite.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article XX.229, § 4, du Code de droit économique ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 mars 2023.
Le greffier, le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 40/2023
Date de la décision : 09/03/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-03-09;40.2023 ?

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