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09/03/2023 | BELGIQUE | N°37/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 09 mars 2023, 37/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 37/2023
du 9 mars 2023
Numéro du rôle : 7593
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 1385sexies du Code judiciaire et aux articles 79 et 80 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, posées par le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Tournai.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, Y. Kherbache, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir

délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
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Cour constitutionnelle
Arrêt n° 37/2023
du 9 mars 2023
Numéro du rôle : 7593
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 1385sexies du Code judiciaire et aux articles 79 et 80 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, posées par le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Tournai.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, Y. Kherbache, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par jugement du 17 mai 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 juin 2021, le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Tournai, a :
- posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 1385sexies du Code judiciaire, en ce qu’il dispose que ʽ les astreintes encourues avant le jugement déclaratif ne sont pas admises au passif de la faillite ʼ, lu conjointement avec l’article 79 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites qui prévoit que ʽ lorsque le compte définitif présente un solde positif, celui-ci revient de droit au failli ʼ entraîne-t-il une discrimination entre le créancier des astreintes et les autres créanciers chirographaires, d’une part, et entre le créancier des astreintes et le débiteur failli, d’autre part et, partant, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors qu’à la clôture de la faillite, l’actif subsistant après désintéressement des créanciers autres que le créancier d’astreintes reviendrait au débiteur failli, et non pas à son créancier d’astreintes ? »;
- invité la Cour, si la réponse à la question ci-dessus devait s’avérer négative, à répondre à la question préjudicielle suivante :
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« Les articles 79 et 80 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, en ce qu’ils ne prévoient pas que le créancier d’astreinte soit entendu sur la mesure d’excusabilité du failli ou qu’il puisse donner son avis sur celle-ci entrainent-ils une discrimination entre le créancier des astreintes et les autres créanciers chirographaires, d’une part, et entre le créancier des astreintes et le débiteur failli, d’autre part et, partant, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Schaffner, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire.
Par ordonnance du 21 décembre 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs K. Jadin et J. Moerman, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 18 janvier 2023 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 18 janvier 2023.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Par une ordonnance du 2 décembre 2009, le président du Tribunal de commerce de Tournai condamne Jérôme et Michel Ladavid à cesser certains comportements qui portent atteinte aux intérêts professionnels de la société privée à responsabilité limitée « Pompes funèbres Fernand Ladavid » (ci-après : la société Ladavid). Par la même ordonnance, ce magistrat décide aussi que, si les deux personnes précitées ne donnent pas suite à la condamnation, elles seront redevables d’une astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter du surlendemain de la signification de ladite ordonnance. Le 20 janvier 2010, la société Ladavid fait signifier cette décision judiciaire à Jérôme et Michel Ladavid.
Le 8 juillet 2010, l’huissier de justice mandaté par la société Ladavid signifie aux deux personnes physiques précitées un commandement de payer une somme de 820 000 euros correspondant aux astreintes encourues jusqu’alors. Le 7 janvier 2011, le même huissier signifie un commandement de payer une somme de 1 731 638,59 euros correspondant aux astreintes encourues jusqu’au 3 janvier 2011 et à divers autres frais. Par un jugement du 29 mai 2015, le juge des saisies de Tournai déclare que les oppositions que Jérôme et Michel Ladavid ont formées contre les commandements signifiés le 8 juillet 2010 et le 7 janvier 2011 ne sont pas fondées. Par un arrêt du 4 avril 2017, la Cour d’appel de Mons confirme le jugement du 29 mai 2015, après avoir observé entre autres que les astreintes visées par les deux commandements sont effectivement dues à la société Ladavid, dès lors que le premier de ces commandements a été signifié avant l’expiration du délai de prescription de six mois instauré par l’article 1385octies, alinéa 1er, du Code judiciaire.
Le 26 avril 2017, Jérôme et Michel Ladavid constituent une association de fait. Le 9 août 2017, l’huissier de justice mandaté par la société Ladavid signifie à Jérôme et Michel Ladavid l’arrêt du 4 avril 2017, ainsi qu’un commandement de payer une somme de 1 733 790 euros. Ce commandement précise qu’à défaut de paiement, il sera procédé à la saisie des biens meubles et immeubles des débiteurs. La somme réclamée résulte de l’addition des astreintes encourues du 23 janvier 2010 au 3 janvier 2011, des dépens liquidés par l’ordonnance du 2 décembre 2019 et par l’arrêt du 4 avril 2017, ainsi que de divers frais d’exécution exposés lors des significations précitées de 2010, 2011 et 2017.
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Quelques jours après la signification, précitée, du 9 août 2017, l’association de fait constituée par Jérôme et Michel Ladavid fait aveu de cessation de paiement. Le 18 août 2017, le Tribunal de commerce de Tournai déclare les deux associés en faillite. Le 2 novembre 2017, la société Ladavid dépose auprès du curateur de ces deux faillites une déclaration de créances pour un montant total de 1 734 737,96 euros. Le 30 novembre 2020, le curateur conteste ces créances lors de l’opération de vérification des créances déclarées pour la faillite de Michel Ladavid.
Appelé à statuer sur cette contestation en vertu de la loi du 8 août 1997 sur les faillites (ci-après : la loi du 8 août 1997), le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Tournai, observe que le curateur justifie sa contestation de la créance d’astreintes par le fait que, selon l’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire, les astreintes encourues avant le jugement déclaratif de faillite ne sont pas admises au passif de la faillite. La société Ladavid met en cause la constitutionnalité de cette disposition législative, remarque que son application ne pourrait en tout état de cause justifier la non-admission des créances relatives aux dépens et aux frais d’exécution, et observe que le curateur n’expose pas pourquoi il a contesté ces dernières créances. Le curateur confirme que le compte définitif de la faillite présentera un solde positif. Le Tribunal estime que la règle de l’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire a pour effet que le créancier d’une astreinte ne pourra pas se faire payer au moyen du solde positif du compte de la faillite, qui, en application de l’article 79 de la loi du 8 août 1997, reviendra au failli.
Le Tribunal se demande si la règle contenue dans l’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire est justifiée lorsque l’admission au passif de la faillite d’une créance d’astreintes n’a pas pour effet de diminuer le montant des sommes attribuées aux autres créanciers. Le Tribunal décide donc, sur la suggestion de la société Ladavid, de poser à la Cour la première question préjudicielle reproduite plus haut. Remarquant, en outre, que, si l’excusabilité du failli est prononcée en application de l’article 80 de la loi du 8 août 1997, le créancier ne pourra plus poursuivre son débiteur pour obtenir le paiement des astreintes dues, le Tribunal décide de poser aussi à la Cour la deuxième question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
Quant à la recevabilité des questions préjudicielles
A.1. À titre principal, le Conseil des ministres soutient que les questions préjudicielles pourraient ne pas être utiles à la solution du litige pendant devant le Tribunal de l’entreprise qui les pose, de sorte qu’elles n’appelleraient pas de réponse.
A.2. À propos des deux questions préjudicielles, le Conseil des ministres observe que la lecture de la décision de renvoi ne permet pas de vérifier que l’astreinte encourue à partir de janvier 2010 n’était pas prescrite au moment où la faillite des débiteurs de cette astreinte a été déclarée par jugement du 18 août 2017.
Il remarque que, si cette astreinte était prescrite, la créance qui s’y rapporte et qui a été déclarée le 2 novembre 2017 ne pourrait être admise au passif de la faillite, même si la Cour venait à constater l’inconstitutionnalité des dispositions législatives en cause.
A.3. À propos de la deuxième question préjudicielle, le Conseil des ministres observe qu’une réponse ne serait pas utile à la solution du litige pendant devant le Tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Tournai, s’il était établi que la société Ladavid détient à l’égard de Michel Ladavid des créances déclarées qui ont un objet autre que des astreintes.
Le Conseil des ministres remarque que la deuxième question préjudicielle concerne la situation dans laquelle un créancier d’astreintes ne peut donner son avis sur l’excusabilité du failli. Il observe qu’en l’espèce, l’admission
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des autres créances de la société Ladavid au passif de la faillite donnera à cette société le droit de donner son avis sur cette excusabilité, en application de l’article 79 de la loi du 8 août 1997.
Quant à la réponse à donner à la première question préjudicielle
A.4. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres expose que la première question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.5. Il allègue d’abord que la situation d’un créancier ne peut être comparée à celle de son débiteur failli, puisque ces personnes se trouvent dans des situations qui sont totalement différentes et qu’elles ont une relation clairement déséquilibrée.
Le Conseil des ministres observe que, par son arrêt n° 187/2006 du 29 novembre 2006
(ECLI:BE:GHCC:2006:ARR.187), la Cour a déjà jugé que la situation du failli n’est pas comparable à celle de sa caution à titre onéreux.
A.6. Le Conseil des ministres expose ensuite que les différences de traitement mentionnées dans la première question préjudicielle sont en tout état de cause justifiées par des objectifs d’intérêt général.
Il observe que c’est un souci de logique et d’équité, et en particulier un souci de protéger les autres créanciers du failli, qui a conduit les auteurs de la Convention Benelux portant loi uniforme relative à l’astreinte, signée le 26 novembre 1973, à décider que les astreintes encourues avant le jugement déclaratif ne seraient pas admises au passif de la faillite. Le Conseil des ministres remarque que l’exigibilité de ces astreintes porterait davantage préjudice à ces autres créanciers qu’au failli qui aurait choisi de devenir débiteur d’une astreinte au lieu d’exécuter une obligation principale beaucoup moins lourde.
Le Conseil des ministres souligne que les auteurs de la Convention précitée ont aussi veillé à préserver les intérêts du créancier du failli qui est titulaire d’une créance d’astreinte, en décidant que la faillite est une cause de suspension de la prescription de l’astreinte. Il note que, grâce à cette règle, lorsque la faillite est clôturée, ce créancier peut à nouveau réclamer au débiteur le paiement de l’astreinte encourue avant le jugement déclaratif de la faillite.
A.7. Le Conseil des ministres expose enfin que la disposition législative en cause ne produit pas des effets disproportionnés aux objectifs qu’elle poursuit.
Il précise que les différences de traitement mentionnées dans la première question préjudicielle ne sont pas manifestement déraisonnables si on tient compte de l’ensemble des intérêts économiques et sociaux en présence.
Il observe que les auteurs de la loi du 8 août 1997 ont cherché à créer un système qui tienne compte, de manière équilibrée, des intérêts et droits de toutes les parties concernées par une faillite.
-B-
Quant aux dispositions en cause
B.1. L’article 2 de la loi du 31 janvier 1980 « portant approbation de la Convention Benelux portant loi uniforme relative à l’astreinte, et de l’Annexe (loi uniforme relative à
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l’astreinte), signées à La Haye le 26 novembre 1973 » (ci-après : la loi du 31 janvier 1980) a inséré un chapitre relatif à l’astreinte dans le Code judiciaire.
Aux termes de l’article 1385bis du Code judiciaire, tel qu’il était libellé avant sa modification par l’article 42 de la loi du 30 juillet 2018 « relative à la protection des secrets d’affaires », l’astreinte est une somme d’argent qu’une partie à un procès judiciaire peut être condamnée à payer, pour le cas où elle ne donnerait pas suite à une condamnation principale.
Le juge peut fixer l’astreinte soit à une somme unique, soit à une somme déterminée par unité de temps ou par contravention (article 1385ter, première phrase, du Code judiciaire). Une fois encourue, l’astreinte reste intégralement acquise à la partie qui a obtenu la condamnation.
Cette partie peut en poursuivre le recouvrement en vertu du titre même qui la prévoit (article 1385quater, alinéa premier, du même Code), à savoir le jugement de condamnation (Doc. parl., Chambre, 1977-1978, n° 353/1, p. 2).
B.2. L’article 1385sexies du Code judiciaire dispose :
« L’astreinte ne peut être encourue pendant la faillite du condamné.
Les astreintes encourues avant le jugement déclaratif ne sont pas admises au passif de la faillite ».
B.3. Avant son abrogation par l’article 70 de la loi du 11 août 2017 « portant insertion du Livre XX ‘ Insolvabilité des entreprises ’, dans le Code de droit économique, et portant insertion des définitions propres au Livre XX, et des dispositions d’application au Livre XX, dans le Livre I du Code de droit économique » (ci-après : la loi du 11 août 2017), l’article 79
de la loi du 8 août 1997 sur les faillites (ci-après : la loi du 8 août 1997) disposait :
« Lorsque la liquidation de la faillite est terminée, le failli et les créanciers sont convoqués par les curateurs, sur ordonnance du juge-commissaire, rendue au vu des comptes des curateurs.
Le compte simplifié des curateurs reprenant le montant de l’actif, les frais et honoraires des curateurs, les dettes de la masse et la répartition aux différentes catégories de créanciers, est joint à cette convocation.
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Dans cette assemblée, le compte est débattu et arrêté. Les créanciers donnent, le cas échéant, leur avis sur l’excusabilité de la personne physique faillie.
Le reliquat du compte fait l’objet de dernière répartition. Lorsque le compte définitif présente un solde positif, celui-ci revient de droit au failli ».
Cette disposition reste applicable aux procédures de faillite qui étaient en cours le 1er mai 2018, date à laquelle la loi du 11 août 2017 est entrée en vigueur (articles 70, alinéa 1er, et 76, alinéa 1er, de la loi du 11 août 2017).
Quant à la première question préjudicielle
B.4. Il ressort des pièces du dossier que le Tribunal de l’entreprise de Tournai a transmises à la Cour avec la décision de renvoi que la créance d’astreinte qui est à l’origine de la procédure judiciaire n’est pas prescrite.
B.5. Il ne peut donc être jugé que la réponse à la première question préjudicielle ne serait pas utile à la solution du litige en raison de la prescription de cette créance.
B.6. La Cour est invitée à examiner si l’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire, lu en combinaison avec l’article 79, dernière phrase, de la loi du 8 août 1997, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ferait naître une différence de traitement entre un failli et son créancier qui lui réclame le paiement d’astreintes.
B.7. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de
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non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.8. L’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire énonce une règle qui interdit au curateur d’une faillite de prendre en compte un type de créance déterminé lors de la répartition de l’actif de cette faillite. Étant donné que le débiteur failli n’a pas de créances au passif de la faillite, il n’existe aucune différence de traitement, en ce qui concerne l’admission de créances à ce passif, entre le failli et le créancier qui lui réclame le paiement d’astreintes.
B.9. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est aussi invitée à examiner si l’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire, lu en combinaison avec l’article 79, dernière phrase, de la loi du 8 août 1997, est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il fait naître une différence de traitement entre deux catégories de créanciers chirographaires d’une personne physique qui a été déclarée en faillite et dont le compte de la faillite présentera un solde positif : d’une part, le créancier d’astreinte, et, d’autre part, les autres créanciers chirographaires qui peuvent faire admettre leur créance au passif de la faillite.
À la différence de ces derniers, le créancier d’astreinte ne peut jamais, compte tenu de l’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire, faire admettre sa créance d’astreinte au passif de la faillite, ni donc obtenir le paiement de sa créance d’astreinte sur l’actif de la faillite.
B.10.1. L’astreinte au sens de l’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire est un « moyen de coercition pour obtenir l’exécution d’une décision judiciaire », une « menace contre le débiteur pour le cas où il n’exécuterait pas son obligation » (Doc. parl., Chambre, 1977-1978, n° 353/1, p. 2).
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L’instauration de l’astreinte a été motivée, d’une part, par l’intérêt pour le créancier d’obtenir l’exécution effective par le débiteur de ses obligations, et, d’autre part, par l’intérêt qu’a la société au respect de l’injonction ou de l’interdiction du juge (ibid., pp. 2 et 15).
B.10.2. L’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire énonce l’interdiction d’admettre au passif de la faillite les astreintes qui sont dues par le failli et qui ont été encourues avant le jugement déclaratif de la faillite.
Cette règle est identique à celle qu’énonce l’article 5 de la « loi uniforme relative à l’astreinte », règle que les États parties à la Convention Benelux du 26 novembre 1973 se sont engagés à insérer dans leur législation.
Le commentaire de ce dernier article, qui figure dans l’« exposé des motifs commun » de cette Convention, indique que la règle précitée est justifiée par des « considérations de logique et d’équité, en particulier par le souci de protéger les autres créanciers du failli, qui souffriraient plus que lui de l’exigibilité d’une astreinte » (Doc. parl., Chambre, 1977-1978, n° 353/1, p. 20).
Ce commentaire précise :
« L’astreinte a pour objet d’amener le condamné à s’exécuter. Elle menace le débiteur pour le cas où il n’exécuterait pas son obligation. Ce n’est que s’il ne cède pas devant cette menace que nait pour lui l’obligation de payer une astreinte, d’un montant généralement élevé par rapport à l’importance de la condamnation principale. [...] Le fait [...] d’admettre au passif du débiteur des astreintes encourues avant [...] la faillite affecter[ait] davantage les autres créanciers que le débiteur lui-même. [...] il n’est pas équitable de faire subir un dommage aux autres créanciers en raison de l’obstination du condamné qui préfère devenir débiteur d’un montant élevé d’astreinte au lieu d’exécuter une obligation principale beaucoup moins lourde.
[...].
Il résulte du principe de l’alinéa 2 [de l’article 5], non seulement qu’une créance pour une astreinte encourue avant le jugement déclaratif ne peut pas être produite pendant la durée de la faillite, mais aussi qu’aucun dividende ne peut être attribué à son titulaire […]. Il permet
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toutefois que soient exécutées après la fin de la faillite, des astreintes encourues avant le jugement déclaratif » (ibid., pp. 20-21).
L’exposé des motifs du projet de loi qui est à l’origine de la loi du 31 janvier 1980 ajoute, à propos de l’article 5, alinéa 2, de la « loi uniforme relative à l’astreinte », qu’« en cas de faillite, l’intérêt des créanciers s’oppose à ce que l’un d’eux puisse alourdir le passif du débiteur par la production des astreintes encourues avant la faillite » (ibid., p. 2).
B.11. Il ressort de ce qui précède que la différence de traitement entre les deux catégories de créanciers décrites en B.9 poursuit un objectif légitime.
B.12. Comme il est observé dans l’exposé des motifs de la « loi uniforme relative à l’astreinte », qui contient la règle énoncée à l’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire, cette règle n’empêche nullement le créancier d’astreinte de réclamer à la personne physique faillie, lorsque la faillite est clôturée, le paiement de l’astreinte qui avait été encourue avant la déclaration de faillite.
Lorsque le solde du compte de la faillite est positif, le créancier d’astreinte peut ainsi poursuivre le paiement de sa créance sur le solde qui sera remis au failli en application de l’article 79, dernière phrase, de la loi du 8 août 1997.
B.13. Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement décrite en B.9 est raisonnablement justifiée.
B.14. L’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire, lu en combinaison avec l’article 79, dernière phrase, de la loi du 8 août 1997, est compatible avec les articles 10 et 11
de la Constitution.
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Quant à la seconde question préjudicielle
B.15. Par la seconde question préjudicielle, la Cour est invitée à examiner si les dispositions en cause font naître ou non une différence de traitement discriminatoire au préjudice du créancier d’un failli, qui, dans le cadre de la liquidation de la faillite, ne peut donner son avis sur l’excusabilité du failli parce qu’il n’a déclaré qu’une créance d’astreinte qui est exclue du passif de la faillite en application de l’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire.
B.16. Or, il ressort des motifs de la décision de renvoi, ainsi que du dossier que le Tribunal de l’entreprise de Tournai a transmis à la Cour avec cette décision, que le seul créancier qui est partie au litige ayant donné lieu à la question préjudicielle a déclaré non seulement une créance d’astreinte, mais aussi d’autres créances dont la réalité n’est pas contestée et dont la non-
admission n’est pas motivée.
L’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire n’interdit pas d’admettre ces dernières créances au passif d’une faillite.
Comme l’observe le Conseil des ministres, l’admission de ces créances au passif de la faillite autorise ce créancier à donner, en application de l’article 79, alinéa 2, de la loi du 8 août 1997, son avis sur l’excusabilité du failli concerné, et donc sur la question de savoir si celui-ci est bien « malheureux et de bonne foi » au sens de l’article 80, alinéa 2, de cette loi, ainsi que sur celle de l’existence éventuelle de « circonstances graves », au sens de la même disposition, qui pourraient interdire au tribunal de prononcer l’excusabilité.
La situation du seul créancier impliqué dans le litige au fond n’est donc pas celle du créancier visé en B.15.
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B.17. La réponse à la seconde question préjudicielle, qui porte sur la situation d’un créancier qui diffère de celle du seul créancier partie au litige pendant devant la juridiction qui interroge la Cour, ne saurait être utile à la solution de ce litige.
B.18. La seconde question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
1. L’article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire, lu en combinaison avec l’article 79, dernière phrase, de loi du 8 août 1997 sur les faillites, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
2. La seconde question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 mars 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 37/2023
Date de la décision : 09/03/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

1. Non-violation (article 1385sexies, alinéa 2, du Code judiciaire, lu en combinaison avec l'article 79, dernière phrase, de loi du 8 août 1997) 2. La seconde question préjudicielle n'appelle pas de réponse

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles relatives à l'article 1385sexies du Code judiciaire et aux articles 79 et 80 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, posées par le Tribunal de l'entreprise du Hainaut, division de Tournai. Faillites - Créances admises au passif - Exclusion - Créancier d'une astreinte


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-03-09;37.2023 ?

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