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03/03/2023 | BELGIQUE | N°36/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 03 mars 2023, 36/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 36/2023
du 3 mars 2023
Numéro du rôle : 7871
En cause : le recours en annulation de l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 « portant assentiment aux actes internationaux suivants : 1) la Convention entre le Royaume de Belgique et la République de l’Inde d’entraide judiciaire en matière pénale, faite à Bruxelles le 16 septembre 2021, et 2) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’entraide judiciaire en matière pénale, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 3) le Traité entre le Royaume de B

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Cour constitutionnelle
Arrêt n° 36/2023
du 3 mars 2023
Numéro du rôle : 7871
En cause : le recours en annulation de l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 « portant assentiment aux actes internationaux suivants : 1) la Convention entre le Royaume de Belgique et la République de l’Inde d’entraide judiciaire en matière pénale, faite à Bruxelles le 16 septembre 2021, et 2) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’entraide judiciaire en matière pénale, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 3) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’extradition, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 4) le Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées, fait à Bruxelles le 11 mars 2022, et 5) le Protocole du 22 novembre 2017 portant amendement au Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, signé le 7 avril 2022 à Strasbourg », introduit par Farzin Hashemi et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, E. Bribosia et W. Verrijdt, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 3 octobre 2022 et parvenue au greffe le 5 octobre 2022, un recours en annulation de l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 « portant assentiment aux actes internationaux suivants : 1) la Convention entre le Royaume de Belgique et la République de l’Inde d’entraide judiciaire en matière pénale, faite à Bruxelles le 16 septembre 2021, et 2) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’entraide judiciaire en matière pénale, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 3) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’extradition, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 4) le Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées, fait à Bruxelles le 11 mars 2022, et 5) le Protocole du 22 novembre 2017 portant amendement au Protocole additionnel à
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la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, signé le 7 avril 2022 à Strasbourg » (publiée au Moniteur belge du 4 novembre 2022, deuxième édition), a été introduit par Farzin Hashemi, Maryam Rajavi, Ahmed Ghozali, Sid Alaoddin Jalalifard, Giulio Terzi Di Sant’Agata, Robert G. Torricelli, Javad Dabiran, Tahar Boumedra, Linda Chavez, Ingrid Betancourt et l’organisation de droit français « Le Conseil national de la Résistance iranienne », assistés et représentés par Me F. Tulkens et Me J. Renaux, avocats au barreau de Bruxelles.
Par la même requête, les parties requérantes demandaient également la suspension de la même disposition légale. Par l’arrêt n° 163/2022 du 8 décembre 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.163), publié au Moniteur belge du 12 décembre 2022, la Cour a suspendu cette disposition légale.
Des mémoires ont été introduits par :
- la société de droit anglais « Justice for Iran », assistée et représentée par Me R. Vanreusel, avocat au barreau de Gand (partie intervenante);
- Olivier Vandecasteele, assisté et représenté par Me O. Venet, Me C. Georgiev et Me P. Minsier, avocats au barreau de Bruxelles (partie intervenante);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me B. Renson, avocat au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse.
Des mémoires en réplique ont été introduits par :
- Olivier Vandecasteele, assisté et représenté par Me O. Venet, Me C. Georgiev, Me M. Kaiser, Me M. Verdussen et Me C. Jadot, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me B. Renson et Me E. Jacubowitz, avocat au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 17 janvier 2023, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et D. Pieters, a :
- décidé que l’affaire était en état et fixé l’audience au 15 février 2023,
- invité les parties requérantes à introduire un mémoire complémentaire de quinze pages maximum le 24 janvier 2023 au plus tard, qui devait être communiqué dans le même délai aux autres parties, ainsi qu’au greffe de la Cour par courriel envoyé à l’adresse « griffie@const-court.be »,
- invité les autres parties à répliquer au mémoire complémentaire des parties requérantes par un mémoire complémentaire en réponse de quinze pages maximum à introduire le
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31 janvier 2023 au plus tard et à communiquer dans le même délai à toutes les parties, ainsi qu’au greffe par courriel envoyé à l’adresse précitée.
Des mémoires complémentaires ont été introduits par :
- les parties requérantes;
- la société de droit anglais « Justice for Iran »;
- Olivier Vandecasteele;
- le Conseil des ministres.
À l’audience publique du 15 février 2023 :
- ont comparu :
. Me F. Tulkens et Me J. Renaux, pour les parties requérantes;
. Me R. Vanreusel, pour la société de droit anglais « Justice for Iran »;
. Me O. Venet, Me C. Georgiev, Me M. Kaiser, Me M. Verdussen et Me C. Jadot, pour Olivier Vandecasteele;
. Me B. Renson et Me E. Jacubowitz, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs T. Giet et D. Pieters ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à la recevabilité du recours en annulation et des interventions
En ce qui concerne l’intérêt des intervenants
A.1.1. Olivier Vandecasteele expose qu’il est, depuis le 24 février 2022, détenu arbitrairement et dans de mauvaises conditions dans une prison iranienne.
Il expose qu’il a intérêt au maintien des relations diplomatiques entre la Belgique et l’Iran, non seulement pour continuer à bénéficier de la protection consulaire mais aussi pour éviter une dégradation manifeste de ses conditions de détention. Il observe avoir connu une amélioration de ses conditions de détention à mesure que
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progressait la procédure d’assentiment au traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées, fait à Bruxelles le 11 mars 2022 (ci-après : le traité du 11 mars 2022). Il craint donc qu’une annulation de l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 « portant assentiment aux actes internationaux suivants : 1) la Convention entre le Royaume de Belgique et la République de l’Inde d’entraide judiciaire en matière pénale, faite à Bruxelles le 16 septembre 2021, et 2) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’entraide judiciaire en matière pénale, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 3) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’extradition, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 4) le Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées, fait à Bruxelles le 11 mars 2022, et 5) le Protocole du 22 novembre 2017 portant amendement au Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, signé le 7 avril 2022 à Strasbourg » (ci-après : la loi du 30 juillet 2022), qui porte assentiment à ce traité, ne mène à une dégradation de ses conditions de détention en Iran.
Olivier Vandecasteele indique aussi qu’il a été admis à intervenir lors de plusieurs autres procès lancés par les parties requérantes de la présente affaire. Il ajoute que ces dernières allèguent, dans leur requête, que sa situation explique en tout ou en partie l’adoption de la disposition législative attaquée.
A.1.2. Olivier Vandecasteele expose que ses conditions de détention se sont fortement dégradées depuis l’arrêt de la Cour n° 163/2022 du 8 décembre 2022 (ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.163) ordonnant la suspension de l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 et il affirme que l’entrée en vigueur complète du traité du 11 mars 2022, rendue impossible par cet arrêt de suspension, constitue la seule et unique voie pour obtenir son retour, en vie, sur le sol belge. Il ajoute que son intérêt à intervenir s’est accru depuis la procédure de suspension, puisqu’il a été condamné par la justice iranienne à une peine de 40 ans de prison, ce qui menace encore plus concrètement son droit à la vie. Il rappelle que cette condamnation le rend éligible à la procédure de transfèrement à laquelle la loi attaquée porte assentiment.
A.2. L’organisation non gouvernementale « Justice for Iran » se présente comme une association établie à Londres qui a pour but de demander des comptes aux auteurs de sérieuses violations des droits de l’homme commises en Iran ou par des fonctionnaires iraniens. Elle dit, en particulier, agir pour faire respecter le droit à la vérité et le droit à la justice des victimes les plus fragiles, telles que les femmes, les minorités ethniques, religieuses et sexuelles ainsi que les dissidents politiques.
Cette organisation souligne que ses membres participaient à un rassemblement qui a eu lieu le 30 juin 2018
près de Paris et qui était visé par l’attentat terroriste qu’avait préparé Assaddollah Assadi, ressortissant iranien qui a, par la suite, été condamné pour ce fait à une peine de prison par le tribunal correctionnel d’Anvers et qui pourrait être transféré en Iran en application du traité du 11 mars 2022 auquel l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 donne assentiment. Cette organisation estime que si cette personne est transférée en Iran, il est hautement probable qu’elle ne devra plus jamais purger le reste de sa peine de prison.
Sur le fond, « Justice for Iran » ne développe aucun argument propre et déclare soutenir les arguments avancés par les parties requérantes.
En ce qui concerne l’intérêt des parties requérantes
A.3.1.1. Afin de démontrer leur intérêt à demander l’annulation de l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022, Farzin Hashemi, Maryam Rajavi, Ahmed Ghozali, Sid Alaoddin Jalalifard, Giulio Terzi Di Sant’Agata, Robert G. Torricelli, Javad Dabiran, Tahar Boumedra, Linda Chavez, Ingrid Betancourt et l’association de droit français « Le Conseil national de la Résistance iranienne » (ci-après : Farzin Hashemi et ses consorts) exposent qu’ils ont été reconnus comme victimes de la tentative d’attentat terroriste préparé par Assaddollah Assadi.
Les parties requérantes précisent que, par un jugement du 4 février 2021, le tribunal correctionnel d’Anvers a condamné cette personne à vingt ans d’emprisonnement et à réparer le dommage moral subi par Farzin Hashemi et ses consorts.
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A.3.1.2. Farzin Hashemi et ses consorts exposent que si Assaddollah Assadi est transféré en Iran en application du traité conclu le 11 mars 2022 entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran à propos du transfèrement des personnes condamnées, traité auquel le pouvoir législatif a donné assentiment par l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022, ils ne pourront plus jouir des droits, ou bénéficier des garanties, que les articles 10 (§ 2, alinéa 4), 17 (§ 2, alinéa 2), 20/2, 47 (§ 1er, 3° et 4°, et § 2, 3°) et 53 de la loi du 17 mai 2006 « relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine » (ci-après : la loi du 17 mai 2006) instaurent au profit des victimes.
A.3.1.3. Farzin Hashemi et ses consorts exposent aussi que le transfèrement vers l’Iran d’Assaddollah Assadi en application du traité du 11 mars 2022 exposera leur vie à un grave danger puisqu’il sera à nouveau en mesure de reprendre ses activités terroristes destinées à supprimer tous les opposants au régime iranien actuel. Les parties requérantes observent qu’il fait partie des treize terroristes les plus dangereux que le Conseil de l’Union européenne a identifiés.
A.3.2. Selon Olivier Vandecasteele, les parties requérantes n’ont pas intérêt à demander l’annulation de l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022, parce que cette disposition n’affecte pas directement leur situation.
Il remarque d’abord que la disposition législative attaquée ne modifie pas la situation des dix premières parties requérantes. Il précise que cette disposition ne leur ôte ni la qualité de partie civile qui leur a été reconnue par le tribunal correctionnel d’Anvers, ni le statut de victime que leur confère la loi du 17 mai 2006. Olivier Vandecasteele ajoute que l’atteinte au droit à la vie que craignent les parties requérantes ne pourrait résulter que d’un ensemble de circonstances, à savoir une future décision de transfèrement d’Assaddollah Assadi, une décision de grâce prise par les autorités iraniennes et le comportement criminel de personnes physiques déjà condamnées.
Olivier Vandecasteele remarque ensuite que la onzième partie requérante est une personne morale, de sorte qu’elle ne peut jouir des droits reconnus aux victimes par la loi du 17 mai 2006. Il ajoute qu’il n’est pas démontré que cette personne morale puisse se prévaloir du droit à la vie consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En ce qui concerne la recevabilité des moyens
A.4.1.1. Le Conseil des ministres observe, dans son mémoire en réplique, que les trois moyens sont pris de la violation des articles 10, 11, 23 et 40 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 2, 7, paragraphe 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il rappelle que l’article 1er de cette Convention limite le champ d’application des dispositions de la Convention en exigeant un lien entre les parties requérantes et l’État mis en cause, dont il doit être démontré qu’il a effectivement exercé son autorité ou son contrôle sur eux. Il ajoute que la Cour européenne des droits de l’homme juge que le fait d’avoir engagé une procédure au niveau national ne suffit pas à établir un lien juridictionnel extraterritorial (CEDH, grande chambre, 5 mai 2020, M.N. e.a. c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2020:0505DEC000359918; grande chambre, 14 septembre 2022, H.F. e.a. c. France, ECLI:CE:ECHR:2022:0914JUD002438419). Il considère par ailleurs que le fait pour la Belgique et la République islamique d’Iran d’avoir conclu le traité du 11 mars 2022 n’emporte pas davantage l’existence d’un pouvoir de juridiction de la Belgique sur les parties requérantes qui ne possèdent pas la nationalité belge et ne résident pas en Belgique. Il en conclut qu’à défaut de relever de la juridiction de la Belgique, les parties requérantes ne peuvent revendiquer la protection des droits et libertés définis par la Convention européenne des droits de l’homme.
A.4.1.2. Le Conseil des ministres se réfère par ailleurs à l’article 191 de la Constitution et à l’arrêt de la Cour n° 51/94 du 29 juin 1994 (ECLI:BE:GHCC:1994:ARR.051) et en conclut que seuls les étrangers qui se trouvent sur le territoire peuvent jouir des garanties consacrées par le titre II de la Constitution, parmi lesquelles le principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.4.1.3. Le Conseil des ministres en conclut que le recours ou, à tout le moins, les moyens sont irrecevables.
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A.4.2. Olivier Vandecasteele constate, dans son mémoire en réplique, que les trois moyens invoqués par les parties requérantes sont pris de la violation notamment des articles 10 et 11 de la Constitution. Il relève que la Cour a déjà admis que, conformément à l’article 191 de la Constitution, des étrangers invoquent la violation de ces dispositions, à la double condition qu’ils se trouvent sur le territoire de la Belgique et que la loi n’ait pas fait d’exception en ce qui les concerne. Il souligne qu’en l’espèce, aucune des parties requérantes ne mentionne être belge ou se trouver sur le territoire de la Belgique. Il fait valoir que, dans ces conditions, elles ne peuvent pas se prévaloir des droits et libertés accordés aux Belges par la Constitution. Il en conclut que le recours ou, à tout le moins, les moyens doivent être déclarés irrecevables.
A.4.3. Dans leur mémoire complémentaire, Farzin Hashemi et ses consorts renvoient aux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme le 29 janvier 2019 en cause de Güzelyurtlu e.a. c. Chypre et Turquie (ECLI:CE:ECHR:2019:0129JUD003692507) et le 9 juillet 2019 en cause de Romeo Castaño c. Belgique (ECLI:CE:ECHR:2019:0709JUD000835117) dans lesquels cette Cour a jugé qu’un lien juridictionnel existe entre un État et des ressortissants étrangers dès que cet État a ouvert une enquête et une procédure pénale contre l’auteur d’une infraction lorsque ces ressortissants étrangers sont reconnus comme victimes.
A.4.4. Le Conseil des ministres estime que les arrêts cités par les parties requérantes ne concernent pas des hypothèses semblables à la situation dans laquelle elles se trouvent, puisqu’ils sont relatifs à l’obligation à charge des États de coopérer pour permettre la répression d’atteintes au droit à la vie. Il considère qu’en l’espèce, l’existence de la procédure pénale menée contre Assaddollah Assadi, aujourd’hui terminée, ne constitue pas une circonstance suffisante permettant de justifier de l’existence d’un lien juridictionnel extraterritorial entre la Belgique et les parties requérantes. Il observe par ailleurs que les parties requérantes ne contestent pas son analyse quant aux conséquences à tirer de l’article 191 de la Constitution.
Quant aux observations préliminaires formulées à la suite de l’arrêt de la Cour n° 163/2022
A.5.1. Dans son mémoire en réplique, Olivier Vandecasteele formule cinq observations préliminaires.
Premièrement, il relève que le contrôle de la Cour portant sur les lois d’assentiment à des traités est d’une nature exceptionnelle, ce qui justifie que la Cour l’ait toujours manié avec prudence. Il remarque que l’arrêt n° 163/2022 ordonnant la suspension de l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 constitue à cet égard une rupture par rapport à la jurisprudence traditionnelle de la Cour, rupture d’autant plus étonnante qu’elle intervient dans un domaine éminemment régalien qui, par nature, ne permet pas à la Cour de disposer de l’ensemble des éléments justifiant l’adoption de la loi attaquée.
Deuxièmement, il remarque que le dispositif de l’arrêt n° 163/2022, en apparence limité à une hypothèse d’application, entraîne l’inapplicabilité concrète de l’ensemble du traité, et qu’il n’y a aucune chance, compte tenu du contexte politique, qu’il puisse lui-même bénéficier d’un transfèrement sur cette base si la Cour maintient ce dispositif au stade de l’annulation.
Troisièmement, il rappelle que la victime a une place très limitée et circonscrite dans le procès pénal et que, singulièrement, elle n’a pas à être associée à la discussion au sujet de la peine et de son exécution. Il ajoute qu’en l’état actuel du droit national et international, les victimes ne disposent d’aucun droit d’influer sur une décision de transfèrement. Il indique ensuite qu’Assaddollah Assadi est libérable à relativement court terme en application des règles belges internes relatives à l’exécution des peines et qu’il est contraire à la réalité des faits de soutenir ou d’espérer que la peine de vingt ans d’emprisonnement prononcée à son égard sera effectivement exécutée jusqu’à son terme. En ce qui concerne l’obligation de poursuivre les infractions terroristes, il souligne que les textes internationaux invoqués dans l’arrêt n° 163/2022, précité, ne concernent en rien la question des modalités d’exécution de la peine. Enfin, quant au risque qu’en cas de libération d’Assaddollah Assadi, de nouveaux actes terroristes soient commis, il relève que les mécanismes d’accès au territoire et de contrôle aux frontières l’empêcheront de rentrer en Europe et il remarque que, puisque toutes les parties conviennent que cette personne est un agent exécutant d’un État qualifié comme organisant des actes terroristes, il est clair que le danger ne provient pas uniquement de la personne concernée elle-même mais surtout du régime étatique auquel elle appartient.
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Quatrièmement, il insiste sur le fait que le transfèrement interétatique de détenus constitue avant tout une décision politique et énumère quelques exemples d’échanges de prisonniers entre l’Iran et divers pays, intervenus en dehors de tout cadre légal. Il relève par ailleurs que le combat des parties requérantes est de nature éminemment politique et que le recours en annulation s’appuie, sans la moindre ambiguïté, sur des objectifs stratégiques de politique intérieure iranienne. Il estime que la Cour est, par le présent recours, saisie d’une question liée à l’agenda de politique intérieure iranienne, portée par l’une des principales forces d’opposition au régime actuel.
Cinquièmement, il rappelle que le moyen jugé sérieux au stade de la procédure de suspension ne se confond pas avec le moyen fondé et il observe que les circonstances factuelles et les données juridiques ont pu évoluer sensiblement depuis l’arrêt ordonnant la suspension.
A.5.2. Dans son mémoire en réplique, le Conseil des ministres précise qu’au jour du dépôt de ce mémoire, les échanges d’instruments de ratification du traité du 11 mars 2022 avec les autorités iraniennes n’ont pas encore eu lieu, de sorte que le traité n’est pas encore d’application.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen, pris de la violation des articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 2, paragraphe 3, et 6, paragraphe 1, du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques, avec les articles 33
et 40, alinéa 2, de la Constitution et avec le principe de la séparation des pouvoirs
A.6.1.1. Farzin Hashemi et ses consorts exposent que l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 est incompatible avec le droit à la vie des victimes de personnes qui ont été condamnées par les cours et tribunaux pour avoir commis des infractions terroristes avec le soutien de l’Iran en ce que cette disposition législative permet le transfèrement de ces dernières personnes vers cet État.
Les parties requérantes observent que la Belgique sait que l’Iran soutient et participe à des actes de terrorisme.
Elles ajoutent que ce dernier État a pour habitude d’arrêter arbitrairement des personnes de nationalité étrangère se trouvant sur son territoire et de négocier leur libération dans le cadre de discussions avec d’autres États.
Les parties requérantes soutiennent que la Belgique sait ou devrait savoir que le transfèrement, en application du traité du 11 mars 2022, d’une personne qui a été condamnée pour avoir commis des infractions terroristes avec le soutien de l’Iran sera suivi de sa grâce et de sa libération dès son arrivée sur le territoire iranien.
A.6.1.2. Dans la première branche de ce moyen, Farzin Hashemi et ses consorts rappellent que le droit à la vie, tel qu’il est reconnu par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans son versant procédural, oblige les États membres à cette Convention à exécuter la peine qui a été infligée par une juridiction à une personne qui a attenté à la vie d’autrui.
Les parties requérantes déduisent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et en particulier de l’arrêt du 27 mai 2014 en cause de Marguš c. Croatie (ECLI:CE:ECHR:2014:0527JUD000445510), qu’une personne qui a directement attenté à la vie d’autrui en commettant une infraction terroriste ne peut en aucun cas être graciée ou amnistiée. Elles s’appuient aussi, à cet égard, sur la résolution 1373(2001) adoptée le 28 septembre 2001 par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, par laquelle cette instance enjoint les États à punir les auteurs d’actes terroristes. Elles estiment que le fait de conclure un traité de transfèrement avec un État qui soutient lui-même directement la commission d’actes terroristes sans prévoir aucune limite au transfèrement de terroristes est totalement incompatible avec cette résolution.
A.6.1.3. Les parties requérantes déduisent ensuite de l’arrêt rendu le 26 mai 2020 en cause de Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie (ECLI:CE:ECHR:2020:0526JUD001724713) par la Cour européenne des droits de l’homme qu’un État qui procède au transfèrement vers un autre État d’une personne condamnée à une peine de prison pour avoir attenté à la vie d’autrui, alors qu’il sait ou devrait savoir que ce prisonnier sera rapidement libéré par cet autre État avant d’avoir purgé le reliquat de sa peine de prison, viole le droit à la vie.
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Elles observent aussi que, par une résolution adoptée le 18 novembre 2014 à propos des mesures visant à prévenir l’utilisation abusive de la Convention du 21 mars 1983 sur le transfèrement des personnes condamnées, l’Assemblée du Conseil de l’Europe a affirmé que cette Convention n’est pas conçue pour être utilisée aux fins de libération immédiate des détenus après leur retour dans leur pays d’origine.
A.6.1.4. Farzin Hashemi et ses consorts exposent, à propos du cas d’Assaddolah Assadi, que la Belgique dispose de preuves tangibles suffisantes du fait qu’il sera libéré dès son retour en Iran s’il est transféré en application du traité du 11 mars 2022.
A.6.1.5. Les parties requérantes soutiennent que le respect de la séparation des pouvoirs commande au pouvoir exécutif de s’assurer que la peine infligée à cette personne par le pouvoir judiciaire sera effectivement exécutée. Elles ajoutent que le droit au recours effectif, tel qu’il est consacré par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, oblige l’État à exécuter la décision prise à la suite de l’exercice de ce recours.
A.6.1.6. Farzin Hashemi et ses consorts soutiennent, en outre, que le droit à la vie, tel qu’il est reconnu par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, oblige l’État à s’assurer que la personne condamnée en raison d’une infraction terroriste attentatoire à la vie d’autrui qui est transférée vers un autre État ne puisse commettre une nouvelle infraction similaire.
A.6.1.7. Farzin Hashemi et ses consorts soulignent encore que, pour respecter l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Belgique aurait dû faire insérer dans le traité du 11 mars 2022, soit une clause excluant le transfèrement de personnes condamnées en raison d’infractions terroristes commises avec le soutien ou la participation de l’État d’exécution, soit une clause limitant le droit de cet État d’amnistier, de gracier ou de commuer la peine infligée à la personne transférée.
Les parties requérantes considèrent qu’en ce qu’il autorise, sans restriction, l’État d’exécution à amnistier, gracier ou commuer la peine de la personne transférée, l’article 13 du traité du 11 mars 2022 viole le droit à la vie et fait naître une différence de traitement discriminatoire entre les victimes d’une personne transférée en application de ce traité et les victimes d’une personne transférée en application des traités conclus le 5 mai 2009
avec la République dominicaine et le 18 juin 2010 avec le Gouvernement de la République du Kosovo, traités qui limitent le droit de l’État d’exécution d’accorder la grâce ou l’amnistie.
Les parties requérantes soulignent à ce sujet qu’il n’existe pas, en Belgique, de juridiction compétente pour annuler un arrêté ministériel de transfèrement pris en application de la loi du 23 mai 1990 « sur le transfèrement interétatique des personnes condamnées, la reprise et le transfert de la surveillance de personnes condamnées sous condition ou libérées sous condition ainsi que la reprise et le transfert de l’exécution de peines et de mesures privatives de liberté » (ci-après : la loi du 23 mai 1990) qui serait incompatible avec l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elles allèguent que le Conseil d’État s’est toujours déclaré incompétent pour connaître d’un recours en annulation d’un tel arrêté et que le juge des référés ne pourrait que retarder le transfèrement contesté s’il y avait violation de cette disposition internationale. Les parties requérantes remarquent aussi que, même s’il existait un recours en annulation contre un arrêté de ce type, cet acte administratif n’est pas porté à la connaissance de la victime de la personne transférée qui souhaiterait contester cette décision.
A.6.1.8. Dans la seconde branche de ce moyen, Farzin Hashemi et ses consorts font valoir que l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 40, alinéa 2, de la Constitution et avec le principe de la séparation des pouvoirs, en ce que le traité du 11 mars 2022
ne contient aucune disposition qui exclut la possibilité de transfèrement des personnes condamnées pour des infractions commises avec la participation active ou avec le soutien de l’État d’exécution, dès lors qu’il est établi que l’État iranien compte détourner l’esprit du traité de transfèrement pour libérer des personnes condamnées pour des infractions qu’il a soutenues. Les parties requérantes estiment qu’en ce qu’elle permet au pouvoir exécutif
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d’annihiler de la sorte toute exécution effective des condamnations pénales prononcées par les juridictions judiciaires, la disposition attaquée viole le principe de la séparation des pouvoirs. Les parties requérantes estiment que, puisque le traité du 11 mars 2022 donne le pouvoir au ministre de la Justice de transférer des personnes condamnées pour des faits de terrorisme, alors même que l’État d’exécution, à savoir l’Iran, est reconnu comme ayant pris une part dans la réalisation de ces infractions de terrorisme, c’est bien le traité en lui-même qui viole le principe de la séparation des pouvoirs et non uniquement l’exécution de ce traité.
A.6.2.1. Le Conseil des ministres estime que le premier moyen repose sur des affirmations qui ne sont pas conformes à la réalité, à savoir que la Belgique marquera son accord sur le transfèrement en Iran d’Assaddollah Assadi sans aucune condition et que ce dernier sera immédiatement gracié à son arrivée en Iran.
A.6.2.2. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, le Conseil des ministres souligne, en premier lieu, que c’est parce que la Belgique n’est jamais tenue d’accéder à une demande de transfèrement que la plupart des traités organisant ce genre d’opérations n’excluent pas certaines infractions de leur champ d’application.
Il soutient qu’en tout état de cause, un transfèrement effectué en application du traité du 11 mars 2022 ne pourra être accepté par la Belgique que si l’Iran reconnaît officiellement la décision judiciaire de condamnation de la personne concernée et accepte d’en reprendre l’exécution. Le Conseil des ministres ajoute que la Belgique peut subordonner son accord sur une demande de transfèrement à l’obtention de garanties iraniennes relatives à la correcte exécution de la condamnation belge.
A.6.2.3. Le Conseil des ministres constate, en second lieu, que les circonstances factuelles à l’origine des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dont les parties requérantes tirent argument ne sont nullement comparables au contexte dans lequel s’inscrit le recours en annulation de la loi du 30 juillet 2022.
Il souligne, à ce sujet, qu’il n’existe aucune demande de transfèrement d’Assaddollah Assadi, que la Cour européenne des droits de l’homme n’interdit nullement le transfèrement interétatique de personnes condamnées et qu’il ressort de l’arrêt rendu le 26 mai 2020 par cette Cour en cause de Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie, précité, que seule l’analyse des circonstances concrètes d’une opération de ce type permet de se prononcer sur sa compatibilité avec l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.
A.6.2.4. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, le Conseil des ministres renvoie à son argumentation en réponse au deuxième moyen.
A.6.3.1. Olivier Vandecasteele soutient, quant à la première branche du premier moyen, que l’assentiment à un traité international ne peut limiter la portée de celui-ci en excluant son application à certaines catégories de personnes.
Il remarque qu’aucune des règles dont la violation est alléguée n’exige une telle limitation du champ d’application du traité du 11 mars 2022. Il souligne qu’un traité est une norme conventionnelle qui est le fruit de négociations entre États qui sont libres d’insérer ou non des clauses facultatives dans un tel acte.
A.6.3.2. Olivier Vandecasteele relève aussi qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’opportunité pour la Belgique de conclure un traité avec un État au regard des pratiques de cet État.
A.6.3.3. Olivier Vandecasteele considère ensuite que les allégations de violation du droit à la vie ne sont pas dirigées contre l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022, mais contre la grâce que l’Iran envisagerait d’accorder immédiatement à Assaddollah Assadi à la suite de son transfèrement supposé qui serait accepté par la Belgique sans condition.
A.6.3.4. Olivier Vandecasteele considère aussi que les circonstances factuelles à l’origine de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 mai 2020 sont totalement différentes des circonstances du recours en annulation de la loi du 30 juillet 2022.
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Il remarque, de surcroît, que le principe même du transfèrement interétatique des personnes condamnées ne viole pas l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il ajoute que cette disposition internationale n’oblige pas de manière générale l’État qui accueille le condamné transféré à assurer l’exécution complète de la peine prononcée.
Olivier Vandecasteele souligne enfin que l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme n’interdit pas l’amnistie de manière générale et qu’une personne déjà condamnée ne pourrait, en tout état de cause, bénéficier d’une mesure générale qui a pour objet d’empêcher les poursuites pénales.
A.6.3.5. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, Olivier Vandecasteele estime qu’à défaut pour l’État iranien de reconnaître officiellement la décision de condamnation prononcée par la juridiction belge et d’accepter d’en reprendre l’exécution, le transfèrement ne pourrait avoir lieu. Pour le surplus, il estime que la critique de la violation du principe de la séparation des pouvoirs et de l’article 40 de la Constitution n’est pas dirigée contre la loi attaquée. Il rappelle que le principe du transfèrement par le Gouvernement n’est pas prévu par la loi attaquée ou par le traité du 11 mars 2022, mais bien par la loi du 23 mai 1990.
A.6.4.1. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, Farzin Hashemi et ses consorts se rallient sans réserve à l’arrêt de la Cour n° 163/2022. Ils relèvent que cet arrêt protège les parties requérantes en empêchant une violation de leur droit à la vie tout en préservant la possibilité pour d’autres personnes condamnées, iraniennes ou belges, tel Olivier Vandecasteele, de bénéficier du mécanisme du transfèrement mis en place par le traité du 11 mars 2022. Ils ajoutent qu’aucun des arguments soulevés par le Conseil des ministres ou par Olivier Vandecasteele n’est de nature à remettre en cause les enseignements de l’arrêt précité.
A.6.4.2. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, Farzin Hashemi et ses consorts considèrent qu’elle ne se confond pas avec le deuxième moyen, dès lors que leur critique porte sur le fait que la nature de l’État iranien justifie en soi qu’un traité de transfèrement avec cet État ne puisse permettre le transfèrement des personnes ayant commis un attentat ou une tentative d’attentat terroriste avec le soutien de l’Iran, sous peine pour l’exécutif de violer le principe de la séparation des pouvoirs.
A.6.5.1. Dans son mémoire en réplique, le Conseil des ministres fait valoir que l’analyse opérée par la Cour dans l’arrêt n° 163/2022 repose tout entière sur les conséquences d’un cas d’application éventuelle de la loi et non sur la constitutionnalité de la loi elle-même, alors que le contrôle que la Cour constitutionnelle peut opérer sur la loi d’assentiment doit porter sur la loi elle-même in abstracto, et non en fonction d’une circonstance particulière ou d’un cas particulier. Il rappelle à cet égard que l’historique démontre que la décision de négocier un traité de transfèrement avec l’Iran n’a pas de lien, au départ, avec l’arrestation d’Assaddollah Assadi, que le principe du transfèrement interétatique de personnes condamnées n’est pas critiquable en lui-même et qu’il n’a jamais été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme, que le droit au transfèrement peut être reconnu à tous les condamnés, indépendamment de la gravité des faits commis, que la Convention du Conseil de l’Europe du 21 mars 1983 sur le transfèrement des personnes condamnées prévoit que l’État d’exécution est seul compétent pour décider des modalités d’exécution de la peine et n’impose aucunement aux États de prévoir un contrôle juridictionnel ou des garanties dans l’intérêt des victimes et que les nombreux traités de transfèrement bilatéraux et accords multilatéraux conclus sur la base de la loi du 23 mai 1990 contiennent les mêmes principes et les mêmes clauses que le traité du 11 mars 2022. Il explique qu’il n’y a jamais d’obligation de transférer un condamné, de sorte que le dispositif permet d’apprécier chaque demande au cas par cas en tenant compte des circonstances particulières. Il en déduit que la problématique du respect du droit à la vie doit être prise en considération par le ministre de la Justice, dans le cadre de l’examen d’une demande de transfèrement d’un détenu déterminé. Il estime que la critique de la décision de l’État belge d’avoir signé un traité avec l’Iran n’est pas une critique de constitutionnalité portant sur la loi d’assentiment à laquelle la Cour serait tenue de répondre car il s’agit d’une critique d’opportunité politique qui échappe à son contrôle, voire d’une critique anticipée d’un hypothétique accord du ministre de la Justice de transférer Assaddollah Assadi en exécution de la loi. Il ajoute que si la Cour annulait la disposition attaquée, elle ferait manifestement œuvre d’autorité administrative en réalisant elle-même la balance des intérêts en présence, ce qui aurait en outre pour conséquence que le Gouvernement n’aurait plus la possibilité de mener la politique extérieure qu’il estime la plus adéquate et conforme aux buts qu’il s’est assignés. Il estime qu’une telle immixtion ne peut absolument pas être admise en vertu du principe de la séparation des pouvoirs.
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A.6.5.2. Le Conseil des ministres relève que la Cour, dans son arrêt n° 163/2022, n’aborde la question du droit à la vie que sous le seul angle des parties requérantes, sans égard pour la situation vécue par Olivier Vandecasteele. Il insiste sur le fait que ce dernier est détenu depuis près de 300 jours dans un isolement total et souffre de problèmes de santé sérieux. Il estime que la vie d’Olivier Vandecasteele, ressortissant belge, est réellement en danger. Il rappelle que le traité du 11 mars 2022, au bénéfice duquel Olivier Vandecasteele peut actuellement prétendre, permettrait au Gouvernement belge de remplir son obligation de protection du droit à la vie de son ressortissant.
A.6.5.3. Il précise que l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui repose sur la Belgique, en tant qu’État ayant prévenu le risque d’attentat et ayant poursuivi pénalement les auteurs des faits, est plus limitée que ce que soutiennent les parties requérantes. Il renvoie à ce sujet à la décision d’inadmissibilité de la Cour européenne des droits de l’homme du 9 mai 2006 en cause de Mc Bride c. Royaume-Uni (ECLI:CE:ECHR:2006:0509DEC000139606). Il estime que les exigences découlant de l’article 2
de la Convention européenne des droits de l’homme, rappelées dans cet arrêt, ont été remplies par la Belgique en l’espèce, à qui l’on ne peut reprocher de promouvoir l’impunité.
A.6.5.4. Il explique qu’une éventuelle annulation partielle de l’article 5 de la loi d’assentiment du 30 juillet 2022, en ce que le traité permet le transfèrement vers l’Iran d’une personne qui a été condamnée par les cours et tribunaux pour avoir commis, avec le soutien de l’Iran, une infraction terroriste, reviendrait à rendre ineffectif tout le traité et priverait inévitablement Olivier Vandecasteele de la possibilité d’obtenir un transfèrement vers la Belgique. Il expose à ce sujet qu’une telle décision d’annulation par la Cour équivaudrait, sur le plan international, à formuler une réserve quant au traité, réserve qui exclurait de son champ d’application une catégorie de bénéficiaires potentiels, à savoir les personnes condamnées pour des faits de terrorisme commis avec le soutien de l’Iran. Une telle réserve devrait être acceptée, en vertu de l’article 21 du traité du 11 mars 2022, par la République islamique d’Iran. Il indique qu’il est improbable que celle-ci accepte la réserve et qu’en conséquence, il ne sera pas procédé à l’échange des instruments de ratification, ce qui aura pour effet qu’aucun ressortissant belge qui serait condamné en Iran ne pourrait revendiquer le bénéfice d’un transfèrement vers la Belgique.
A.6.5.5. Le Conseil des ministres répète que la question centrale de cette affaire ne relève pas de la constitutionnalité de la loi d’assentiment du 30 juillet 2022 mais qu’elle doit être tranchée par le Gouvernement, à l’occasion de l’application de la loi à un cas déterminé et que la réponse à cette question se situe dans le cadre des relations diplomatiques entre pays. Il fait valoir que les relations diplomatiques sont absolument nécessaires au maintien de la paix dans le monde et à la protection des intérêts des ressortissants belges établis à l’étranger et que la Cour constitutionnelle ne peut priver le pouvoir exécutif de sa marge de manœuvre et d’appréciation dans l’exercice de cette compétence, sous peine de violer le principe de la séparation des pouvoirs. Il indique qu’une balance des intérêts devra, en l’espèce, être opérée par le Gouvernement entre la protection du droit à la vie des parties requérantes, qui revendiquent la qualité de victimes d’une tentative d’attentat, et la protection des droits fondamentaux d’Olivier Vandecasteele, dont la vie est concrètement en péril et qui subit actuellement des traitements inhumains, voire de la torture, ainsi que l’ensemble des intérêts belges en présence, en ce compris les enjeux sécuritaires. Il ajoute que la menace invoquée par les parties requérantes ne provient pas tant de la personne d’Assaddollah Assadi que de l’État iranien lui-même et du fait de leur appartenance à un mouvement d’opposition contre le régime en place en Iran. Il considère que cette balance des intérêts est conforme à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.
A.6.5.6. En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, le Conseil des ministres renvoie à l’argumentation développée en réponse à la première branche du premier moyen et au deuxième moyen. Il ajoute que le seul fait de conclure un traité de transfèrement avec un État qui soutient le terrorisme n’est pas en soi constitutif d’une atteinte au droit à la vie et qu’en réalité, de telles conventions sont aussi un moyen de veiller à garantir la protection des nationaux.
A.6.6.1. Olivier Vandecasteele rappelle que la loi attaquée en l’espèce porte assentiment à un traité et qu’une telle loi ne peut modifier ou compléter celui-ci. Il estime que la Cour doit prendre en considération le contexte des relations internationales et diplomatiques entre les États et les négociations intervenues dans ce cadre et rappelle que la conduite des relations internationales et diplomatiques est une compétence régalienne par excellence, qui revient au Roi et que ce dernier exerce directement en vertu de la Constitution. Il considère que la Cour doit
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concéder dans ce cas au législateur une marge d’appréciation qui respecte la place primordiale que la Constitution réserve au pouvoir exécutif dans la conduite des relations internationales et ce, d’autant plus que le traité du 11 mars 2022 ne présente aucune particularité par rapport aux autres traités conclus en la matière.
A.6.6.2. Olivier Vandecasteele relève que dans l’arrêt n° 163/2022, la Cour identifie l’objectif poursuivi par la loi attaquée comme étant de permettre le transfèrement d’une personne déterminée ayant été condamnée en Belgique pour une tentative d’attentat commise avec le soutien de l’Iran. Il estime qu’il s’agit d’une lecture sélective de l’objectif de la loi du 30 juillet 2022 et que cette lecture occulte le fait que si le législateur poursuit cet objectif, c’est en réalité pour atteindre un autre objectif, à savoir permettre la libération d’une autre personne déterminée, actuellement détenue en Iran. Il fait valoir qu’il est essentiel d’identifier correctement et exhaustivement l’objectif poursuivi sous peine d’effectuer un contrôle biaisé de la proportionnalité de la disposition attaquée. Il estime qu’en n’effectuant pas un examen du but du législateur jusqu’au bout, de manière concrète et contextualisée, la Cour sacrifierait directement, mais implicitement, son droit à la vie.
A.6.6.3. Olivier Vandecasteele estime en ordre principal qu’il convient d’aborder le test de proportionnalité dans une perspective générale et abstraite et que la Cour n’a pas à intégrer des données particulières propres à un cas déterminé dans son appréciation. Il fait valoir, en ordre subsidiaire, que si la Cour choisissait au contraire de persister dans une approche concrète et contextualisée, elle devrait opérer une balance complète des intérêts en présence, ce qui s’impose d’autant plus qu’en l’espèce, les intérêts en conflit ont pour dénominateur commun le respect du même droit fondamental.
A.6.6.4. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, Olivier Vandecasteele estime, à titre principal, que la critique des parties requérantes ne porte pas sur la loi d’assentiment, mais sur un acte éventuel d’exécution futur, pour lequel la Cour n’est pas compétente. Il souligne que cet acte, à savoir le transfèrement d’Assaddollah Assadi, n’est pas de nature législative, qu’il est individuel et, à ce jour, hypothétique et qu’il est par ailleurs, déjà contesté par les parties requérantes devant le juge judiciaire en référé.
A.6.6.5. À titre subsidiaire, Olivier Vandecasteele expose qu’il est évident, pour être concret, que l’Iran n’acceptera pas de transférer un prisonnier belge sans transfèrement, en contrepartie, d’un prisonnier iranien. Il relève que les parties requérantes invoquent, d’un côté, la protection du droit à la vie, en son volet procédural, en ce que le transfèrement d’Assaddollah Assadi équivaudrait à lui reconnaître une totale impunité, et, de l’autre côté, la protection du droit à la vie en son aspect substantiel, en établissant la dangerosité de cette personne et le risque d’attentats futurs. En ce qui concerne l’aspect procédural, Olivier Vandecasteele fait valoir, premièrement, qu’on ne peut préjuger, avant qu’une décision de transfèrement soit effectivement adoptée, les garanties et assurances concrètes qui seront données par l’Iran à la demande de l’État belge et, deuxièmement, qu’Assaddollah Assadi a déjà fait l’objet d’un procès pénal complet et qu’il a purgé une partie de sa peine, ce qui contredit l’argument d’impunité. En ce qui concerne l’aspect substantiel, il fait valoir qu’Assaddollah Assadi est libérable à court ou à moyen terme en vertu du droit belge, qu’il sera expulsé du territoire européen à sa sortie de prison et qu’il lui sera très difficile, sinon impossible, d’y revenir. Il ajoute qu’en tout état de cause, la menace la plus importante est causée par l’État iranien lui-même, et non par un seul individu.
A.6.6.6. Olivier Vandecasteele affirme qu’il est évident que sa seule chance de survie réside dans l’application du traité du 11 mars 2022 et dans l’échange exigé par le régime iranien. Il fait valoir que si la Cour devait annuler la loi d’assentiment en ce que le traité permet le transfèrement d’une personne condamnée pour des actes terroristes avec le soutien de l’Iran, cette annulation emporterait de facto l’annulation du traité lui-même et que la réserve d’interprétation n’y changerait rien. Il en déduit qu’il n’est pas possible d’appliquer en l’espèce les enseignements de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en cause de Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie, précité, dès lors que la Cour européenne des droits de l’homme n’était pas confrontée dans cette affaire à une balance des droits semblable à celle qui se présente aujourd’hui à la Cour constitutionnelle.
Il répète que la Belgique a des obligations positives à son égard pour offrir des garanties contre les traitements inhumains et dégradants et contre le risque pour son droit à la vie. Il en conclut que la Cour doit effectuer une balance des intérêts en cause qui, en l’espèce, doit conduire à faire primer sur le droit à la vie dans son volet
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procédural des parties requérantes le droit à la vie dans son volet substantiel et le droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants d’un ressortissant belge détenu en Iran.
A.6.6.7. Olivier Vandecasteele considère qu’en adoptant une perspective limitée à l’hypothèse du transfèrement vers l’Iran d’une personne déterminée, la Cour créerait, au départ d’une situation individuelle, une situation générale et abstraite indésirable allant au-delà de la seule personne de la partie intervenante et touchant à l’avenir d’autres personnes ou intérêts belges, situation dans laquelle la Belgique serait mise dans l’impossibilité d’assurer sa responsabilité d’assurer la sauvegarde des droits substantiels fondamentaux.
A.6.6.8. Olivier Vandecasteele soutient que les parties requérantes commettent une erreur au sujet de la portée du droit des victimes en matière de modalité d’exécution des peines, dès lors que la loi ne reconnaît jamais aux parties civiles la possibilité de s’opposer à des modalités d’exécution de peines. Elles peuvent au plus exprimer un avis non contraignant mais elles ne sont pas parties à la procédure devant le tribunal de l’application des peines, elles n’ont pas accès au dossier et elles n’ont pas de droit de recours. Il ajoute qu’aucune norme internationale n’impose qu’un contrôle juridictionnel de la décision de transfèrement soit organisé au bénéfice des parties civiles.
Enfin, il relève qu’il existe un recours effectif contre une décision de transfèrement devant le juge judiciaire et qu’en l’espèce, celui-ci est d’ailleurs déjà saisi et ne s’est pas déclaré incompétent. À titre subsidiaire, il estime que si la Cour devait constater qu’il n’y a pas de recours effectif au bénéfice des parties civiles, elle devrait conclure à l’existence d’une lacune extrinsèque. À titre encore plus subsidiaire, il considère que si la Cour devait estimer que la lacune était située dans la loi attaquée elle-même, il demande à la Cour de maintenir les effets de la disposition annulée le temps suffisant pour que le législateur prévoie le recours nécessaire.
A.6.6.9. En ce qui concerne la seconde branche de ce moyen, Olivier Vandecasteele fait valoir que les arguments des parties requérantes aboutissent à survaloriser le pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif, qui est compétent, d’une part, pour les relations internationales et diplomatiques et, d’autre part, pour l’exécution des jugements, et par rapport au pouvoir législatif, compétent pour porter assentiment aux traités internationaux.
Il relève par ailleurs que le principe du transfèrement n’est pas prévu par la loi d’assentiment attaquée, mais bien par la loi du 23 mai 1990.
A.6.7.1. Dans leur mémoire complémentaire, Farzin Hashemi et ses consorts font valoir qu’il n’est pas démontré que le transfèrement d’Assaddollah Assadi soit la seule possibilité pour obtenir la libération d’Olivier Vandecasteele. Ils signalent qu’il existe d’autres pistes que celle de mettre en œuvre un traité permettant de transférer vers l’Iran un terroriste soutenu par le régime de ce pays, en violation du droit à la vie des victimes des agissements de ce terroriste. Ils citent à cet égard la possibilité d’une action concertée au niveau de l’Union européenne et la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies.
A.6.7.2. Les parties requérantes estiment qu’il ne peut être soutenu que le transfèrement interétatique de personnes condamnées, dans son principe, est à ce point sensible diplomatiquement qu’il rentrerait dans le cadre des compétences régaliennes du pouvoir exécutif et que tout contrôle de constitutionnalité de la loi d’assentiment ou du traité serait exclu.
A.6.7.3. Elles rappellent que le transfèrement, dans son principe, n’implique aucune réciprocité. Elles en déduisent que la confirmation par la Cour du dispositif de l’arrêt n° 163/2022 ne ferait qu’introduire une réserve à l’assentiment et laisserait le traité applicable pour le surplus.
A.6.7.4. Farzin Hashemi et ses consorts estiment que l’argumentation du Conseil des ministres et d’Olivier Vandecasteele repose sur deux postulats erronés, à savoir, d’une part, que le traité de transfèrement serait indispensable pour obtenir la libération d’Olivier Vandecasteele et, d’autre part, que l’État belge serait responsable d’une violation de son droit à la vie. Ils font valoir qu’en formulant des arguments autour de la personne d’Olivier Vandecasteele, le Conseil des ministres et la partie intervenante déplacent le débat. Ils considèrent qu’il ne fait aucun doute que le transfèrement d’un terroriste vers l’Iran, alors que la Belgique sait ou doit savoir qu’il y sera libéré, viole le droit international et la Constitution. Ils ajoutent que le fait qu’Assaddollah Assadi a déjà purgé quatre ans et demi de sa peine de prison ne porte pas atteinte au fait que sa libération équivaudrait à une quasi impunité, eu égard à la gravité des faits commis et à la peine de vingt ans prononcée.
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A.6.7.5. Concernant la situation d’Olivier Vandecasteele, Farzin Hashemi et ses consorts estiment que si la Belgique a en effet une obligation morale de prendre toutes les mesures possibles, dans le respect de la Constitution et du droit international, pour obtenir sa libération, cette obligation n’est pas juridique. Ils renvoient à cet égard à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 septembre 2022, en cause de H.F. e.a. c. France, précité, et soulignent qu’en l’espèce, la Belgique n’exerce aucun contrôle sur la situation d’Olivier Vandecasteele. Ils en concluent que la menace sur la vie d’Olivier Vandecasteele ne peut permettre une dérogation générale aux principes et valeurs de l’ordre constitutionnel belge, dès lors que le droit constitutionnel belge et le droit international des droits de l’homme ne permettent aucune dérogation au droit à la vie, même en cas de chantage d’un État étranger et même s’il fallait considérer que l’atteinte à la vie en cause constitue une situation d’urgence absolue menaçant la vie de la Nation.
A.6.8.1. Dans son mémoire complémentaire, le Conseil des ministres répète que la situation qui se présente à la Cour au stade de l’annulation est radicalement différente de celle qui se présentait au moment de l’examen de la demande de suspension. Il affirme que le caractère officiel de la condamnation d’Olivier Vandecasteele, annoncée aux autorités belges le 14 décembre 2022, a été confirmé par les autorités iraniennes lors d’entretiens diplomatiques. Il estime qu’il est désormais inévitable que la Cour procède à la même balance des intérêts que celle qui a été faite par le Gouvernement et par le législateur et que cela ne revient pas à détourner le débat portant sur la constitutionnalité de la loi attaquée.
A.6.8.2. Le Conseil des ministres soutient que le traité du 11 mars 2022 est le seul instrument juridique qui permettra d’obtenir des autorités iraniennes le transfèrement d’Olivier Vandecasteele vers la Belgique et que la réciprocité exigée par les autorités iraniennes ne permet pas de conclure, ni sous un angle théorique, ni sous un angle pratique, à une inconstitutionnalité de la loi d’assentiment attaquée. Il relève que l’argumentation des parties requérantes est paradoxale car elle revient à soutenir qu’une solution non juridique, qu’elles semblent préconiser et qui aboutirait à la libération d’Assaddollah Assadi en échange d’Olivier Vandecasteele, ne violerait pas leur droit à la vie.
A.6.8.3. Concernant la responsabilité de l’État belge vis-à-vis de la situation d’Olivier Vandecasteele, le Conseil des ministres estime que la position des parties requérantes est non seulement humainement inacceptable, mais qu’elle procède aussi d’une analyse inexacte des raisons qui ont poussé les autorités belges à conclure le traité de transfèrement avec l’Iran. Il fait valoir que ce traité n’a pas été conclu uniquement pour permettre le transfèrement d’un terroriste mais plutôt uniquement en vue de protéger les citoyens belges en rendant possible leur transfèrement vers la Belgique s’ils venaient à être condamnés en Iran.
A.6.8.4. Le Conseil des ministres estime que l’enseignement tiré de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en cause de Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie, précité, ne peut trouver à s’appliquer à la présente espèce, car dans cette affaire, il n’y avait pas de conflit de valeur nécessitant de procéder à la balance des intérêts en présence. Il ajoute que les circonstances politiques, géopolitiques et humanitaires n’étaient en rien comparables avec la situation actuelle, qui est autrement plus complexe et nuancée.
A.6.9.1. Olivier Vandecasteele estime que les développements des parties requérantes sont extrêmement cyniques lorsqu’elles soutiennent que d’autres voies que celles de l’utilisation du traité du 11 mars 2022 seraient possibles pour obtenir sa libération. Il relève que ces considérations sont de pures supputations, qu’aucune des parties à la cause n’est au fait des relations diplomatiques menées dans le secret entre la Belgique et l’Iran et qu’actuellement aucune autre piste ne paraît envisagée pour obtenir sa libération. Il ajoute qu’il est évident que la multiplication des procédures introduites par les parties requérantes met les autorités belges dans une posture de négociation faible. Il fait valoir que l’action concertée au niveau européen n’a aucune chance de donner un résultat dans un délai raisonnable et que la suggestion de saisir le Conseil de sécurité des Nations unies revient à proposer de procéder à l’échange des deux détenus hors de tout cadre légal ou constitutionnel. Il ne comprend pas comment les parties requérantes peuvent proposer cette solution alors qu’elle impliquerait la libération d’Assaddollah Assadi.
A.6.9.2. Olivier Vandecasteele constate que les parties requérantes font valoir que l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme serait également violé dans son volet substantiel en ce que le transfèrement d’Assaddollah Assadi vers l’Iran mettrait gravement en danger leur vie ou celle d’autres personnes.
À cet égard, il fait valoir que la Cour, dans l’arrêt n° 163/2022, a examiné la situation des parties requérantes exclusivement en leur qualité de parties civiles au procès ayant conduit à la condamnation d’Assaddollah Assadi.
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Il relève que le risque matériel pour leur vie, désormais avancé par les parties requérantes, n’est ni étayé ni crédible.
Il estime que la libération d’Assaddollah Assadi sur le territoire iranien n’aurait pas pour effet d’augmenter la menace pour le monde car c’est l’État iranien lui-même qui est source de la menace et non ses exécutants individuels. Il considère que l’acharnement des parties requérantes pour exiger l’exécution de la peine prononcée par les juridictions belges jusqu’à son terme est révélateur d’une posture radicalement vindicative et contraire aux principes régissant la place de la victime dans notre système pénal, système dans lequel elle n’a jamais le droit de s’opposer à une modalité d’exécution de la peine. Il en déduit qu’un arrêt d’annulation de la Cour créerait en réalité des droits exorbitants du droit commun pour les parties requérantes, droits qui ne sont reconnus à aucune autre victime, même aux victimes d’infractions plus lourdes ou qui ont subi des dommages bien plus graves.
A.6.9.3. Olivier Vandecasteele relève qu’en soutenant que l’État belge ne serait pas responsable de la violation de son droit à la vie, les parties requérantes modifient fallacieusement les termes de son argumentation.
Il rappelle qu’il demande à la Cour d’opérer une balance complète de tous les intérêts en présence au regard du traité du 11 mars 2022 et qu’il ne soutient pas qu’il existerait un conflit de droits. Il ne soutient pas que l’État belge est responsable de la violation de son droit à la vie et de son droit à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants et il estime que les parties requérantes confondent intérêts en présence et violation de droits subjectifs.
Il insiste sur le fait qu’il entre directement dans le champ d’application du traité du 11 mars 2022. Il conteste la lecture et l’utilisation de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme en cause de H.F. c. France faites par les parties requérantes, en soulignant que les circonstances de cette affaire étaient totalement différentes de la situation dans laquelle il se trouve, parce que les autorités belges ont activé la protection consulaire à son égard, ce qui le rend titulaire de droits à l’égard de l’État belge en vertu du Code consulaire. Enfin, il fait valoir que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas établie en ce sens qu’il serait impossible de trouver un lien de juridiction entre l’État belge et sa situation. Il cite à cet égard la décision du 5 mai 2020 en cause de M.N. e.a. c. Belgique (ECLI:CE:ECHR:2020:0505DEC000359918) et l’arrêt du 8 juillet 2004 en cause de Ilaşcu e.a. c. Moldova et Russie (ECLI:CE:ECHR:2004:0708JUD004878799) et rappelle que les États parties à la Convention doivent faire tout ce qui est en leurs moyens pour éviter les violations de la Convention lorsqu’ils exercent une influence décisive sur une situation se déroulant à l’étranger.
En ce qui concerne le deuxième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 40, alinéa 2, de la Constitution et avec le principe de la séparation des pouvoirs, ainsi que de l’article 14 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec les articles 2 et 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
A.7.1.1. Farzin Hashemi et ses consorts exposent que l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 est incompatible avec le principe de la séparation des pouvoirs, avec le principe de la légalité des peines et avec le principe d’égalité et de non-discrimination. Ils exposent, dans la première branche de ce moyen, que ces principes impliquent que le transfèrement soit suffisamment encadré pour assurer que l’autorité de chose jugée des décisions juridictionnelles de l’ordre judiciaire belge soit sauvegardée. Ils font grief au traité du 11 mars 2022 de ne pas prévoir, d’une part, que les autorités compétentes de l’État d’exécution sont tenues de respecter les constatations de faits auxquelles ont abouti les juridictions de l’État de condamnation et, d’autre part, que la peine d’emprisonnement ne peut être convertie en une simple peine pécuniaire. Ils relèvent que la plupart des traités de transfèrement auxquels la Belgique est partie et la Convention du Conseil de l’Europe du 21 mars 1983 sur le transfèrement des personnes condamnées prévoient une série de garanties précises visant à limiter la marge de manœuvre du pouvoir exécutif dans l’exercice de cette modalité d’exécution de la peine, alors que le traité du 11 mars 2022 n’en prévoit aucune et permet même à l’État d’exécution de prendre toutes les décisions appropriées en ce qui concerne l’exécution de la peine. Ils en concluent que l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 donne ainsi une totale liberté au pouvoir exécutif de violer l’article 14 de la Constitution et crée une discrimination fondée sur la violation du principe général de la séparation des pouvoirs.
A.7.1.2. Dans la seconde branche de ce moyen, Farzin Hashemi et ses consorts font grief à la disposition attaquée de ne pas prévoir que la décision de transfèrement doit être prise par un tribunal, alors que les modalités
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d’exécution de la peine qui ont pour effet d’en modifier la nature doivent être prises par une juridiction et non par le pouvoir exécutif. Ils exposent que le transfèrement interétatique de détenus constitue une modalité d’exécution de la peine et qu’alors que la libération conditionnelle ne peut être octroyée que par une juridiction, il devrait en être de même d’une décision de transfèrement vers un État qui, de manière persistante, conteste la légitimité des juridictions belges et compte libérer immédiatement la personne condamnée en Belgique.
A.7.2.1. Après avoir rappelé les fondements juridiques des transfèrements interétatiques de condamnés, le Conseil des ministres indique qu’aucun des instruments internationaux en cette matière ne prévoit ni de droit pour les victimes d’être entendues en leur avis, ni de contrôle juridictionnel et que chacun de ces instruments prévoit, en revanche, la faculté pour l’État d’exécution d’accorder la grâce, l’amnistie ou la commutation de la condamnation. Il en déduit qu’à suivre l’argumentaire des parties requérantes, l’intégralité de l’arsenal juridique national et international applicable à cette matière serait donc contraire à la Constitution, à la Convention européenne des droits de l’homme et au Pacte relatif aux droits civils et politiques. Il rappelle que le traité du 11 mars 2022 est strictement conforme aux standards en la matière et qu’il prévoit expressément que l’État d’exécution doit poursuivre l’exécution de la condamnation.
A.7.2.2. Le Conseil des ministres estime qu’un transfèrement d’une personne condamnée n’est pas une modalité d’exécution de la peine au sens de la loi du 17 mai 2006. Il ajoute qu’il est inexact de prétendre que le traité du 11 mars 2022 ne prévoirait aucune condition ou limite au pouvoir discrétionnaire de l’exécutif quant aux décisions de transfèrement et rappelle que la loi du 23 mai 1990 prévoit par ailleurs diverses conditions et modalités encadrant tout transfèrement.
A.7.2.3. En ce qui concerne la seconde branche de ce moyen, le Conseil des ministres fait valoir que le transfèrement interétatique n’est pas une modalité d’exécution de la peine au sens de la loi du 17 mai 2006, précitée. Enfin, il fait valoir qu’aucun standard international ne prévoit que l’exécution de la peine doit nécessairement relever du pouvoir judiciaire.
A.7.3. Olivier Vandecasteele estime que le transfèrement ne modifie pas la nature ou la durée de la peine et qu’il ne doit donc pas relever du tribunal de l’application des peines. En tout état de cause, il fait valoir que la compétence du Gouvernement en la matière ne découle pas de la loi attaquée mais de la Convention du Conseil de l’Europe du 21 mars 1983 et de la loi du 23 mai 1990. Il rappelle en outre que le législateur a fixé lui-même les conditions essentielles d’application des peines à respecter lors d’un transfèrement.
A.7.4. Farzin Hashemi et ses consorts soutiennent que le traité du 11 mars 2022 se distingue, sur plusieurs aspects, des autres traités de transfèrement conclus par la Belgique avec d’autres États. Ils en concluent que le traité du 11 mars 2022 donne une marge d’appréciation à ce point large au pouvoir exécutif qu’il viole l’article 14
de la Constitution et qu’il n’offre aucune garantie que l’Iran reconnaisse la décision de condamnation pour terrorisme et qu’il exécute effectivement cette peine.
A.7.5. Le Conseil des ministres, dans son mémoire en réplique, remarque que les parties requérantes expriment des craintes et font des conjectures qui portent sur l’exécution du traité du 11 mars 2022, et non sur la légalité du traité et la constitutionnalité de l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022. Il ajoute que le transfèrement étant une procédure consensuelle entre les États parties, les autorités belges restent libres d’assortir le transfèrement de conditions ou de garanties supplémentaires.
A.7.6.1. Olivier Vandecasteele estime que le moyen vise non pas la loi attaquée mais la totalité des règles juridiques, nationales ou internationales, aujourd’hui en vigueur en la matière. Il estime qu’un arrêt d’annulation de la Cour qui déclarerait ce moyen fondé aurait pour conséquence de geler toute possibilité d’encore mettre en œuvre une convention ou un traité applicable en Belgique en matière de transfèrement des détenus. Il fait valoir que le transfèrement des personnes condamnées n’est pas une modalité d’exécution des peines et n’a donc rien à voir avec la libération conditionnelle. Il ajoute que l’on ne voit pas en quoi la loi attaquée pourrait interférer avec les garanties conférées par les articles 12 et 14 de la Constitution, qui sont des garanties destinées à la personne potentiellement poursuivie, au stade des poursuites et de la condamnation pénale, ce qui n’est pas du tout le cas en l’espèce. Il réfute ensuite la thèse des parties requérantes selon laquelle le traité du 11 mars 2022 serait différent
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des autres traités bilatéraux conclus par la Belgique en cette matière et soutient au contraire que ce traité fixe les garanties à respecter pour procéder au transfèrement et contient des garanties classiques et conformes au droit en vigueur en la matière. Il en déduit que le législateur a fixé lui-même les conditions essentielles d’application des peines à respecter en cas de transfèrement, conformément au principe de légalité en matière pénale.
A.7.6.2. Olivier Vandecasteele considère, en ce qui concerne la seconde branche de ce moyen, que le grief ne porte pas sur la loi attaquée mais sur le régime général applicable en matière de transfèrement et notamment sur la loi du 23 mai 1990 et sur la Convention du Conseil de l’Europe du 21 mars 1983, en ce qu’elles contiendraient une lacune consistant en l’absence de recours juridictionnel obligatoire.
A.7.7. Le Conseil des ministres précise, dans son mémoire complémentaire, que l’article 12, paragraphe 2, du traité du 11 mars 2022 ne prévoit que la possibilité, pour l’État d’exécution, de procéder à une adaptation de la sanction et non à une conversion de la peine. Il relève que l’exigence que l’État d’exécution soit lié par la constatation des faits n’est généralement prévue qu’en cas de conversion de la condamnation, et non en cas d’adaptation de la sanction, de grâce, d’amnistie ou de commutation.
A.7.8. Olivier Vandecasteele fait la même constatation et répète que le traité du 11 mars 2022 est tout à fait classique et semblable aux autres traités ayant le même objet.
En ce qui concerne le troisième moyen, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 157, alinéa 4, de la Constitution, avec les articles 2 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 2, paragraphe 3, et 6, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
A.8.1.1. Farzin Hashemi et ses consorts exposent que l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 est incompatible avec les dispositions citées dans le moyen en ce qu’il ne prévoit pas de mécanisme par lequel les victimes d’une infraction commise par une personne de nationalité iranienne condamnée par une juridiction belge sont informées ou entendues au sujet de la modalité d’exécution de la peine consistant à transférer cette personne vers un État tiers et au sujet de la libération hautement probable qui s’ensuivrait ou de mécanisme par lequel elles peuvent contester cette modalité (première branche) et en ce qu’il ne prévoit pas pour les victimes d’une infraction ayant attenté à leur droit à la vie un recours effectif contre une décision de transfèrement (seconde branche).
A.8.1.2. Farzin Hashemi et ses consorts rappellent que l’intervention d’un tribunal de l’application des peines est prévue par l’article 157, alinéa 4, de la Constitution et qu’elle a pour but de garantir que les victimes soient impliquées lors de l’exécution de la peine et d’éviter les abus tant des personnes condamnées que du pouvoir exécutif. Ils estiment que l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 crée une double discrimination entre les victimes d’une infraction commise par une personne de nationalité iranienne qui bénéficie d’une mesure de transfèrement, qui n’ont le droit ni d’être informées de la mesure, ni de faire valoir leurs observations par rapport à cette mesure, et les victimes d’une infraction commise par une personne qui bénéficie d’une autre modalité d’exécution de la peine qui ont le droit d’être informées de la modalité d’exécution de la peine envisagée et de faire valoir leurs observations à ce sujet. Ils ajoutent que l’absence de recours ouvert aux victimes contre la mesure de transfèrement crée également une discrimination.
A.8.2. Le Conseil des ministres rappelle que le transfèrement interétatique des personnes condamnées ne peut être analysé comme étant une mesure d’exécution de la peine au sens de la loi du 17 mai 2006. Il ajoute que si le législateur avait entendu inclure le transfèrement interétatique dans les modalités régies par la loi du 17 mai 2006, il l’aurait fait de manière expresse. Il en déduit qu’il est erroné de prétendre que la loi du 30 juillet 2022 ou le traité du 11 mars 2022 aurait dû prévoir des garanties pour les victimes, les situations comparées n’étant pas comparables.
A.8.3.1. Olivier Vandecasteele fait valoir que la différence de traitement dénoncée repose sur un critère objectif et pertinent, à savoir que le transfèrement ne modifie ni la nature ni la durée de la peine prononcée à l’encontre de la personne condamnée, mais qu’il se limite à autoriser son exécution dans un autre pays que le pays de condamnation. Il constate en outre que la différence de traitement ne crée pas d’effets disproportionnés puisque,
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devant le tribunal de l’application des peines, la victime est entendue mais elle ne joue aucun rôle dans la décision et que, par ailleurs, dans le régime de transfèrement, la victime est libre de faire valoir ses observations de manière spontanée, ce que les parties requérantes ont d’ailleurs fait de manière spontanée.
A.8.3.2. Quant à la seconde branche de ce moyen, Olivier Vandecasteele fait valoir que l’arsenal juridique existant permet aux victimes de se prévaloir de la violation de leurs droits qui résulterait de la décision de transfèrement, puisqu’elles peuvent saisir la Cour constitutionnelle, le Conseil d’État ou les tribunaux de l’ordre judiciaire, ce qu’elles ont d’ailleurs fait. Il ajoute que le respect du droit au recours effectif n’oblige pas l’État belge à créer un recours spécifique contre les décisions de transfèrement.
A.8.4.1. Farzin Hashemi et ses consorts répondent que le transfèrement d’une personne condamnée pour des faits de terrorisme avec le soutien de l’Iran aurait pour effet de modifier la nature ou la durée de la sanction prononcée à l’encontre de cette personne, puisque le transfèrement amènerait directement à la libération de la personne condamnée. Ils admettent que les victimes n’ont pas la possibilité d’opposer un veto au transfèrement d’une personne condamnée, mais estiment que lorsqu’un traité permet de procéder à un transfèrement qui serait la cause d’une violation grave de leur droit à la vie, il est requis qu’elles puissent faire valoir la protection de ce droit, ce qui n’est pas possible, dès lors que le traité ne prévoit ni un contrôle juridictionnel du transfèrement, ni d’implication des victimes.
A.8.4.2. Quant à l’existence d’un recours, les parties requérantes estiment qu’un recours incertain devant le juge des référés qui ne pourrait, au mieux, que retarder le transfèrement et non l’annuler ou un recours indemnitaire ne sont pas satisfaisants au regard de l’exigence d’un recours effectif.
A.8.5. Le Conseil des ministres relève que les victimes des agissements d’une personne condamnée qui bénéficie d’une mesure de libération conditionnelle n’ont pas non plus la possibilité d’introduire un recours contre la décision du tribunal de l’application des peines.
A.8.6. Olivier Vandecasteele estime que les griefs des parties requérantes remettent en cause le principe même du transfèrement et ne sont pas dirigés contre la disposition attaquée mais contre, soit, le champ d’application présumé incomplet de la loi du 17 mai 2006, soit l’ordre juridique dans sa globalité en ce qu’il contiendrait une lacune extrinsèque consistant en l’absence de possibilité de recours contre une décision de transfèrement ouvert aux parties civiles victimes de l’infraction pour laquelle la personne concernée a été condamnée. Il estime en ordre principal que le moyen est irrecevable pour ces motifs. En ordre subsidiaire, concernant le premier point, il fait valoir que la différence de traitement est justifiée dès lors que le tribunal de l’application des peines n’est appelé à intervenir que lorsqu’il y a lieu de modifier la nature ou la durée de la peine, ce qui n’est pas le cas d’une décision de transfèrement. Concernant le second point, il fait valoir qu’il n’existe pas non plus de recours ouvert aux victimes contre une décision de libération conditionnelle ou une autre modalité d’exécution de la peine, de sorte que les parties requérantes réclament, dans cette seconde branche du moyen, davantage de droits que ceux dont dispose la catégorie de victimes à laquelle ils se comparent. Il estime qu’il n’existe aucune raison de créer des règles d’exception, qui pourraient d’ailleurs s’avérer discriminatoires, au bénéfice des parties civiles dans le cadre du régime du transfèrement.
-B-
B.1. L’article 5, attaqué, de la loi du 30 juillet 2022 « portant assentiment aux actes internationaux suivants : 1) la Convention entre le Royaume de Belgique et la République de l’Inde d’entraide judiciaire en matière pénale, faite à Bruxelles le 16 septembre 2021, et 2) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’entraide judiciaire en
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matière pénale, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 3) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’extradition, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 4) le Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées, fait à Bruxelles le 11 mars 2022, et 5) le Protocole du 22 novembre 2017 portant amendement au Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, signé le 7 avril 2022 à Strasbourg » (ci-après : la loi du 30 juillet 2022)
dispose :
« Le Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées, fait à Bruxelles le 11 mars 2022, sortira son plein et entier effet ».
Par son arrêt n° 163/2022 du 8 décembre 2022 (ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.163), la Cour a suspendu la disposition attaquée, en ce que le traité du 11 mars 2022 entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées permet le transfèrement vers l’Iran d’une personne qui a été condamnée par les cours et tribunaux pour avoir commis, avec le soutien de l’Iran, une infraction terroriste.
B.2.1. La demande de suspension étant subordonnée au recours en annulation, la Cour a déjà associé, dans l’arrêt précité, la recevabilité du recours en annulation à l’examen de la demande de suspension. Cet examen portait en particulier sur l’intérêt des parties requérantes et de la partie intervenante Olivier Vandecasteele.
B.2.2. L’arrêt qui suspend une norme législative est revêtu de l’autorité de chose jugée erga omnes, même si ce n’est que de manière provisoire, jusqu’à ce que l’arrêt statuant sur le recours en annulation ait été rendu ou que le délai de trois mois à dater du prononcé de l’arrêt ordonnant la suspension soit écoulé.
B.2.3. L’autorité de chose jugée de l’arrêt qui a suspendu la norme attaquée n’empêche donc pas la Cour de réexaminer la recevabilité du recours en annulation. La possibilité d’empêcher provisoirement l’application de la norme attaquée vise, qui plus est, précisément à permettre à la Cour de procéder à un examen approfondi du recours en annulation, sans que
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l’application de la norme puisse causer un préjudice grave difficilement réparable dans l’intervalle. Cet examen approfondi englobe la recevabilité du recours en annulation.
B.2.4. Les règles de base d’un État de droit démocratique comprennent non seulement les droits fondamentaux dont se prévalent les parties requérantes et la première partie intervenante, mais aussi la garantie que les juridictions statuent dans les limites de leur compétence.
Les principes en cause nécessitent dès lors un examen rigoureux de la compétence de la Cour.
B.3. La Cour est compétente pour statuer sur un recours en annulation, en tout ou en partie, d’une loi par laquelle un traité reçoit l’assentiment (article 1er, lu en combinaison avec l’article 3, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle). De plus, elle ne peut utilement contrôler une telle loi sans inclure dans son examen le contenu des dispositions pertinentes de ce traité.
La Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur une éventuelle inconstitutionnalité qui ne résulte pas de la norme attaquée mais de son application (voy. notamment l’arrêt n° 182/2014
du 10 décembre 2014, ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.182, B.10). Cette incompétence s’étend à l’application du traité qui a reçu l’assentiment de la norme attaquée.
Lorsqu’elle examine le contenu d’un traité, la Cour tient compte du fait qu’il ne s’agit pas d’un acte de souveraineté unilatéral, mais d’une norme conventionnelle produisant également des effets de droit en dehors de l’ordre juridique interne (voy. notamment l’arrêt n° 12/94 du 3 février 1994, ECLI:BE:GHCC:1994:ARR.012). Le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’assentiment à un traité et, notamment, dans le cadre de l’examen des relations diplomatiques en cause à cet égard.
B.4. Les dispositions pertinentes du traité entre le Royaume de Belgique (ci-après : la Belgique) et la République islamique d’Iran (ci-après : l’Iran) sur le transfèrement de personnes condamnées, fait à Bruxelles le 11 mars 2022 (ci-après : le traité du 11 mars 2022), sont libellées comme suit :
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« ARTICLE 3 - Principes généraux
1. Les Parties s’engagent à s’accorder mutuellement, dans les conditions prévues par le présent Traité, la coopération la plus large possible en matière de transfèrement des personnes condamnées.
2. Une personne condamnée sur le territoire d’une Partie peut, conformément aux dispositions du présent Traité, être transférée sur le territoire de l’autre Partie pour y subir le reliquat de la condamnation qui lui a été infligée. À cette fin, elle peut exprimer soit auprès de l’État de condamnation, soit auprès de l’État d’exécution, le souhait d’être transférée en vertu du présent Traité.
3. Le transfèrement peut être demandé soit par l’État de condamnation, soit par l’État d’exécution.
ARTICLE 4 - Conditions du transfèrement
1. Un transfèrement ne peut avoir lieu aux termes du présent Traité qu’aux conditions suivantes :
a. La personne condamnée doit être un ressortissant de l’État d’exécution;
b. le jugement doit être définitif et exécutoire;
c. la durée de condamnation que la personne condamnée a encore à subir doit être au moins d’un an à la date de réception de la demande de transfèrement, ou indéterminée;
d. la personne condamnée ou, lorsqu’en raison de son âge ou de son état physique ou mental l’un des deux États l’estime nécessaire, son représentant légal doit consentir au transfèrement, sauf dans les cas mentionnés aux articles 8 et 12;
e. les actes ou omissions qui ont donné lieu à la condamnation doivent constituer une infraction pénale au regard du droit de l’État d’exécution ou devraient en constituer une s’ils survenaient sur son territoire; et
f. l’État de condamnation et l’État d’exécution doivent s’être mis d’accord sur ce transfèrement.
2. Dans des cas exceptionnels, les Parties peuvent convenir d’un transfèrement même si la durée de la condamnation que la personne condamnée a encore à subir est inférieure à celle prévue au paragraphe 1.c du présent article.
[…]
ARTICLE 10 - Conséquences du transfèrement pour l’État de condamnation
1. La prise en charge de la personne condamnée par les autorités de l’État d’exécution a pour effet de suspendre l’exécution de la condamnation dans l’État de condamnation.
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2. L’État de condamnation ne peut plus exécuter la condamnation lorsque l’État d’exécution considère [que] l’exécution de la condamnation comme étant terminée.
ARTICLE 11 - Conséquences du transfèrement pour l’État d’exécution
1. Les autorités compétentes de l’État d’exécution doivent poursuivre l’exécution de la condamnation soit immédiatement soit sur la base d’une décision judiciaire ou administrative, dans les conditions énoncées à l’article 12.
2. L’exécution de la condamnation est régie par la loi de l’État d’exécution et cet État est seul compétent pour prendre toutes les décisions appropriées.
ARTICLE 12 - Nature et durée de la sanction
1. L’État d’exécution est lié par la nature juridique et la durée de la sanction telles qu’elles résultent de la condamnation.
2. Toutefois, si la nature ou la durée de cette sanction est incompatible avec la législation de l’État d’exécution, ou si la législation de cet État l’exige, l’État d’exécution peut, par décision judiciaire ou administrative, adapter cette sanction à la peine ou mesure prévue par sa propre loi pour des infractions de même nature. Cette peine ou mesure correspond, autant que possible, quant à sa nature, à celle infligée par la condamnation à exécuter. Elle ne peut aggraver par sa nature ou par sa durée la sanction prononcée dans l’État de condamnation ni excéder le maximum prévu par la loi de l’État d’exécution.
ARTICLE 13 - Grâce, amnistie, commutation
Chaque Partie peut accorder la grâce, l’amnistie ou la commutation de la condamnation conformément à sa Constitution ou à ses autres dispositions légales.
ARTICLE 14 - Révision du jugement
L’État de condamnation seul a le droit de statuer sur tout recours introduit contre le jugement.
ARTICLE 15 - Cessation de l’exécution
L’État d’exécution doit mettre fin à l’exécution de la condamnation dès qu’il a été informé par l’État de condamnation de toute décision ou mesure qui a pour effet d’enlever à la condamnation son caractère exécutoire.
ARTICLE 16 - Informations concernant l’exécution
L’État d’exécution fournira des informations à l’État de condamnation concernant l’exécution de la condamnation :
a. lorsqu’il considère terminée l’exécution de la condamnation;
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b. si la personne condamnée s’évade avant que l’exécution de la condamnation ne soit terminée;
c. si l’État de condamnation lui demande un rapport spécial.
[…]
ARTICLE 20 - Règlement des litiges
Tout litige entre les Parties concernant l’interprétation ou l’application du présent Traité sera réglé à l’amiable et par négociation par la voie diplomatique.
ARTICLE 21 – Amendements
Le présent Traité peut être modifié à tout moment d’un commun accord entre les Parties sous forme écrite. Un tel amendement entrera en vigueur selon la même procédure que celle applicable à l’entrée en vigueur du présent Traité.
ARTICLE 22 - Clauses finales
1. Le présent Traité est soumis à ratification et entre en vigueur pour une durée illimitée trente jours après l’échange des instruments de ratification par voie diplomatique.
2. Le présent Traité est également applicable à l’exécution des condamnations prononcées avant son entrée en vigueur.
3. Sans préjudice des procédures en cours, l’une ou l’autre des Parties peut dénoncer le présent Traité à tout moment en envoyant une notification écrite à l’autre Partie par la voie diplomatique. La dénonciation prendra effet un an après la date de réception de cette notification ».
4. La dénonciation du présent Traité n’affectera pas les demandes de transfèrement qui ont été présentées avant sa dénonciation ».
B.5.1. Le traité est nécessaire pour permettre le transfèrement conformément à la loi du 23 mai 1990 « sur le transfèrement interétatique des personnes condamnées, la reprise et le transfert de la surveillance de personnes condamnées sous condition ou libérées sous condition ainsi que la reprise et le transfert de l’exécution de peines et de mesures privatives de liberté »
(ci-après : la loi du 23 mai 1990).
L’article 1er de cette loi dispose :
« Le Gouvernement peut, en exécution des conventions et traités conclus avec les Etats étrangers sur la base de la réciprocité, accorder le transfèrement de toute personne condamnée
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et détenue en Belgique vers l’Etat étranger dont elle est le ressortissant ou accepter le transfèrement vers la Belgique de tout ressortissant belge condamné et détenu à l’étranger, pour autant toutefois :
1° que le jugement prononçant condamnation soit définitif;
2° que le fait qui est à la base de la condamnation constitue également une infraction au regard de la loi belge et de la loi étrangère;
3° que la personne détenue consente au transfèrement.
Au sens de la présente loi, le terme de ‘ condamnation ’ vise toute peine ou toute mesure privative de liberté prononcée par une juridiction pénale en complément ou en substitution d’une peine ».
Les peines ou mesures privatives de liberté dont l’exécution a été transférée à un État étranger ne peuvent plus être exécutées en Belgique, sauf si l’État étranger communique que l’exécution est refusée ou est impossible (article 27 de la loi du 23 mai 1990, inséré par l’article 20 de la loi du 26 mai 2005).
B.5.2. Quant au transfèrement vers un État étranger d’une personne condamnée et détenue en Belgique, les articles 4 et 5 de la loi du 23 mai 1990 disposent :
« Art. 4. Lorsqu’en application d’une convention ou d’un traité international, une demande est adressée à l’État belge ou par l’État belge en vue de transférer une personne condamnée et détenue en Belgique vers l’État étranger dont elle est le ressortissant, cette personne est entendue par le procureur du Roi près le tribunal du lieu de détention, qui l’informe de cette demande et des conséquences qui découleraient du transfèrement.
Elle est assistée d’un conseil, soit lorsqu’elle le demande, soit lorsque le procureur du Roi l’estime nécessaire compte tenu de l’état mental ou de l’âge du détenu.
Art. 5. Le consentement est irrévocable pendant une période de 90 jours à dater de celui de la comparution.
Si le transfèrement n’a pas eu lieu à l’expiration de ce délai, le condamné peut librement révoquer son consentement, par lettre adressée au directeur de l’établissement pénitentiaire, jusqu’au jour où lui est notifiée la date du transfèrement ».
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B.5.3. Quant au transfèrement vers la Belgique d’une personne condamnée et détenue à l’étranger, les articles 6 à 8 et 10 de la loi du 23 mai 1990 disposent :
« Art. 6. Lorsqu’une personne condamnée et détenue dans un état étranger est transférée en Belgique en application d’une convention ou d’un traité international, la peine ou la mesure prononcée à l’étranger est, par l’effet même de la convention, directement et immédiatement exécutoire en Belgique pour la partie qui restait à subir dans l’état étranger.
Art. 7. Dès son arrivée en Belgique, la personne transférée est conduite vers l’établissement pénitentiaire qui lui a été assigné.
Art. 8. Dans les vingt-quatre heures suivant son arrivée dans l’établissement pénitentiaire, la personne transférée comparaît devant le procureur du Roi près le tribunal de première instance du lieu.
Celui-ci procède à son interrogatoire d’identité, en dresse procès-verbal et, au vu des pièces constatant l’accord des états concernés et le consentement ou, par dérogation à l’article 1er, alinéa 1er, 3°, l’avis de l’intéressé, ainsi que de l’original ou d’une expédition du jugement étranger de condamnation ou, le cas échéant, d’une copie de la mesure d’expulsion ou de remise à la frontière, ou de toute autre mesure équivalente, ordonne l’incarcération immédiate du condamné ou son placement à l’annexe psychiatrique de l’établissement pénitentiaire, lorsque la mesure prononcée à l’étranger est de même nature que celle prévue au chapitre II du titre III
de la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement.
[…]
Art. 10. Lorsque la peine ou la mesure prononcée à l’étranger ne correspond pas, par sa nature ou sa durée, à celle prévue par la loi belge pour les mêmes faits, le procureur du Roi saisit sans délai le tribunal de première instance et requiert l’adaptation de la peine ou mesure à celle qui est prévue par la loi belge pour une infraction de même nature. En aucun cas, la peine ou la mesure prononcée à l’étranger ne peut être aggravée.
Le tribunal statue dans le mois en respectant la procédure suivie en matière répressive. Sa décision est susceptible de recours. Toutefois, elle est immédiatement exécutoire ».
B.5.4. Quant à l’exécution en Belgique de peines ou mesures privatives de liberté infligées à l’étranger, les articles 19, 20 et 22 de la loi du 23 mai 1990 disposent :
« Art. 19. Dès que l’Etat belge a reçu une demande d’exécution d’une peine ou mesure privative de liberté, la personne condamnée est transférée dans l’établissement pénitentiaire du lieu où elle a sa résidence habituelle.
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Art. 20. § 1er. Dans les vingt-quatre heures de son arrivée dans l’établissement pénitentiaire, la personne condamnée comparaît devant le procureur du Roi près le tribunal de première instance du lieu. Le procureur du Roi procède à l’audition de la personne condamnée et en dresse procès-verbal, après consultation des pièces transmises par les autorités compétentes de l’Etat qui a prononcé la condamnation. Le consentement du condamné à l’exécution de la peine ou mesure privative de liberté étrangère en Belgique n’est pas requis.
La personne condamnée est assistée d’un conseil, soit si elle en fait la demande, soit si le procureur du Roi l’estime nécessaire compte tenu de l’état mental ou de l’âge du condamné.
[…]
Art. 22. § 1er. Lorsque la peine ou la mesure privative de liberté prononcée à l’étranger ne correspond pas, par sa nature ou sa durée, à celle prévue par la loi belge pour les mêmes faits, le procureur du Roi saisit sans délai le tribunal de première instance et requiert l’adaptation de la peine ou mesure à celle qui est prévue par la loi belge pour une infraction de même nature.
La peine ou mesure privative de liberté adaptée doit, en ce qui concerne sa nature, correspondre autant que possible à la peine ou mesure privative de liberté infligée par la condamnation prononcée à l’étranger, et cette dernière ne peut en aucun cas être aggravée.
§ 2. Le tribunal statue dans le mois conformément à la procédure pénale. Sa décision est susceptible de recours. Elle est toutefois immédiatement exécutoire ».
B.6.1. Bien que le traité soit nécessaire pour permettre un transfèrement, il n’oblige pas les États parties à accepter une requête de transfèrement :
« Cette absence de caractère véritablement contraignant dans le chef des États parties signifie que, quel que soit l’État qui a initié la procédure, ni l’État de condamnation, ni l’État d’exécution ne sont contraints d’accepter une requête de transfèrement. Il s’agit d’une différence notable avec les traités d’extradition et d’entraide judiciaire » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2784/003, p. 10).
Lors des débats parlementaires, il a été également indiqué :
« Le ministre souligne que ce traité résulte de négociations aux niveaux technico-
administratif et diplomatique entre les deux pays. La Belgique n’a évoqué aucun lien entre des dossiers individuels. En d’autres termes, la Belgique n’anticipe rien sur la base de ce traité. Dès qu’il sera entré en vigueur, le traité pourra être mis en œuvre dans le respect des conditions strictes qu’il prévoit.
Pourquoi la Belgique a-t-elle négocié ce traité et pourquoi le gouvernement demande-t-il à la Chambre d’y adhérer ? Ces dernières années, les services de sécurité ont mis en garde, dans plusieurs rapports, contre certaines menaces à l’égard des intérêts nationaux de la Belgique. Ces menaces ont considérablement augmenté depuis l’été 2018 et cela a incité le SPF Affaires
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étrangères à émettre le 26 juin 2021 un conseil de voyage expressément négatif où l’on peut lire que : ‘ Tous les voyages de ressortissant belges vers l’Iran sont formellement déconseillés.
Les voyageurs doivent être conscients du risque d’interpellation et d’arrestation arbitraires.
Plusieurs occidentaux ont été récemment arrêtés de façon arbitraire. Le contexte politique interne et régional sont des facteurs dont il convient de tenir également compte ’.
Pour détourner cette menace accrue, le gouvernement a suivi l’avis des services de sécurité et a signé ce traité » (ibid., p. 11).
B.6.2. À la question de savoir si le traité risque de porter atteinte au pouvoir judiciaire, le ministre compétent a répondu par la négative :
« La Belgique a conclu un traité similaire avec pas moins de 74 pays. Les autorités judiciaires souscrivent à cette politique. En principe, dans le cas d’un transfèrement individuel, l’avis du parquet est sollicité. Le traité est également un moyen de faire en sorte que l’exécution de la peine se fasse dans le pays d’origine. Ce n’est pas un moyen d’instaurer l’impunité »
(ibid., p. 52).
L’arrêté accordant le transfèrement d’une personne condamnée et détenue en Belgique vers l’État étranger dont elle est le ressortissant n’échappe pas au contrôle juridictionnel de légalité :
« Si une partie prenante estime que la décision du ministre de la Justice est illégale, elle pourra introduire un recours en annulation. Ces décisions feront systématiquement l’objet d’un contrôle judiciaire » (ibid., p. 54).
Quant à la recevabilité
B.7. Par son arrêt n° 163/2022 du 8 décembre 2022, la Cour a jugé que l’intérêt des parties requérantes et des parties intervenantes était établi. Il n’y a pas de motif d’en juger différemment au stade de l’examen du recours en annulation.
B.8. Dans leurs mémoires en réplique, le Conseil des ministres et Olivier Vandecasteele font valoir que les trois moyens seraient partiellement ou totalement irrecevables, en ce qu’ils sont pris de la violation des articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec
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plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’homme, parce qu’aucune des parties requérantes n’a la nationalité belge et ne réside ou ne séjourne en Belgique.
B.9.1. L’article 1er de la Convention européenne des droits de l’homme limite le champ d’application de celle-ci aux « personnes » relevant de la « juridiction » des États parties à la Convention. La Cour européenne des droits de l’homme précise : « La seule circonstance que des décisions prises au niveau national ont eu un impact sur la situation de personnes résidant à l’étranger n’est pas […] de nature à établir la juridiction de l’État concerné à leur égard en dehors de son territoire » et « il s’agit avant tout d’une question de fait qui nécessite de s’interroger sur la nature du lien entre les requérants et l’État défendeur et de déterminer si celui-ci a effectivement exercé son autorité ou son contrôle sur eux » (CEDH, grande chambre, décision d’irrecevabilité, 5 mai 2020, M.N. e.a. c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2020:0505DEC000359918, §§ 112-113).
B.9.2. Les articles 10, 11 et 23 de la Constitution sont situés dans le titre II de celle-ci, intitulé « Des Belges et de leurs droits ». En vertu de l’article 191 de la Constitution, « tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi ». Les étrangers peuvent donc invoquer le bénéfice des articles du titre II de la Constitution à la condition, en principe, « qu’ils se trouvent sur » le territoire de la Belgique.
B.9.3. En l’espèce, le lien de rattachement avec la Belgique que les parties requérantes invoquent est la circonstance qu’elles se sont constituées parties civiles devant les juridictions belges à l’occasion d’une procédure pénale dirigée contre plusieurs personnes poursuivies pour des faits qualifiés de tentative d’attentat terroriste commis en France, qu’elles ont été reconnues par les juridictions belges victimes de ces faits et qu’elles ont obtenu à ce titre un droit à la réparation de leur dommage.
B.10.1. Les dix premières parties requérantes, qui sont des personnes physiques, ont acquis la qualité de victime au sens de l’article 2, 6°, de la loi du 17 mai 2006 « relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine » (ci-après : la loi du
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17 mai 2006). Elles bénéficient, en vertu des dispositions de cette loi, du droit d’être informées de l’octroi au condamné de certaines modalités de la peine et du droit d’être entendues par le tribunal de l’application des peines à propos des « conditions particulières » dont certaines modalités de la peine impliquant une modification de la nature ou de la durée de la peine prononcée doivent être assorties, dans leur « intérêt ».
B.10.2. Les parties requérantes font grief à la disposition attaquée, en ce que le traité du 11 mars 2022 auquel elle porte assentiment pourrait être mis en œuvre pour réaliser le transfèrement vers l’Iran d’une des personnes condamnées pour les faits dont elles ont été reconnues victimes et en ce que cette personne pourrait bénéficier, en cas de transfèrement, d’une mesure de grâce en vertu de laquelle elle ne devrait pas effectuer le reliquat de la peine prononcée en Belgique, de porter atteinte au droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, en son aspect procédural, de ne pas prévoir de voie de recours effective leur permettant de faire valoir ce droit devant une juridiction belge et de les priver de la possibilité d’exercer les droits qu’elles tirent de la loi du 17 mai 2006.
B.11.1. La qualité de victime reconnue par une juridiction pénale constitue, en ce qui concerne la protection des droits de la victime qui sont directement liés à la condamnation de l’auteur des faits dont elle a été victime, un lien de rattachement suffisant justifiant la compétence de la Cour constitutionnelle pour connaître des moyens tirés de la violation des dispositions du titre II de la Constitution, lues en combinaison avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.11.2. Les exceptions d’irrecevabilité sont rejetées.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.12. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 2 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme,
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avec les articles 2, paragraphe 3, et 6, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 33 et 40, alinéa 2, de la Constitution et avec le principe de la séparation des pouvoirs.
Il ressort des développements du moyen que les parties requérantes soutiennent que l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 viole ces dispositions, en ce qu’il autorise le Gouvernement belge à transférer en Iran une personne condamnée par les cours et tribunaux pour avoir commis, avec le soutien de l’Iran, une infraction terroriste qui a attenté à la vie d’autres personnes.
B.13. Il ressort d’un jugement passé en force de chose jugée qui a été rendu le 4 février 2021 par le tribunal correctionnel d’Anvers, et qui est produit par les parties requérantes, que celles-ci ont introduit une action civile contre Assaddollah Assadi, une personne de nationalité iranienne qui, par ce jugement, a été définitivement condamnée à une peine d’emprisonnement de vingt ans ainsi qu’à réparer le dommage moral causé aux parties requérantes par la tentative d’attentat terroriste qu’elle a commise.
Le droit à la vie, garanti par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, est l’une des valeurs fondamentales des États démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe.
Ce droit oblige chaque État à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (CEDH, grande chambre, 31 janvier 2019, Fernandes de Oliveira c. Portugal, ECLI:CE:ECHR:2019:0131JUD007810314, § 104; 26 mai 2020, Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2020:0526JUD001724713, §§ 109-110). Cette obligation de protection vaut notamment à l’égard des personnes qui ont été confrontées à un risque imminent pour leur vie, même si elles n’ont pas été blessées (CEDH, 26 mai 2020, Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2020:0526JUD001724713, §§ 89-94) et implique aussi que l’autorité compétente mène une enquête effective en cas d’éventuelle violation du droit à la vie (CEDH, grande chambre, 27 mai 2014, Marguš c. Croatie, ECLI:CE:ECHR:2014:0527JUD000445510, §§ 125 et 127; 26 mai 2020, Makuchyan et Minasyan c. Azerbaïdjan et Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2020:0526JUD001724713, § 154).
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L’exigence d’effectivité de l’enquête pénale découlant de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme peut aussi être interprétée comme une obligation pour les États d’exécuter sans délai leurs jugements définitifs. En effet, l’exécution d’une peine qui est infligée dans le contexte du droit à la vie doit être considérée comme faisant partie intégrante de l’obligation procédurale que cet article fait peser sur l’État (CEDH, 13 octobre 2016, Kitanovska Stanojkovic e.a. c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », ECLI:CE:ECHR:2016:1013JUD000231914, § 32).
L’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui a été ratifié par l’Iran, a une portée analogue à celle de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.14. La partie intervenante, Olivier Vandecasteele, est un ressortissant belge détenu depuis février 2022 dans une prison iranienne. Postérieurement à l’arrêt n° 163/2022 du 8 décembre 2022, sa condamnation à une peine d’emprisonnement de 28 ans a été rendue publique. Un mois plus tard a suivi la nouvelle selon laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 40 ans et à 74 coups de fouet. Il serait enfermé en isolement complet, privé des soins médicaux nécessaires et de l’accès à un avocat de son choix.
Le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine, garanti par l’article 23 de la Constitution et lu en combinaison avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, suppose notamment que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui garantissent le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et qu’eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (CEDH, 25 avril 2017, Rezmiveș e.a. c. Roumanie, ECLI:CE:ECHR:2017:0425JUD006146712, § 72). Outre la nature de la peine, telle que les coups de fouet auxquels la partie intervenante a été condamnée, la durée d’une période de détention peut être un facteur pertinent aux fins de l’appréciation de la gravité de la souffrance ou de l’humiliation subies par un détenu du fait de ses mauvaises conditions de détention (CEDH, grande chambre, 20 octobre 2016, Muršić c. Croatie, ECLI:CE:ECHR:2016:1020JUD000733413, § 131).
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L’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui a été ratifié par l’Iran, a une portée analogue à celle de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 10 du même Pacte garantit un traitement humain en cas de privation de liberté.
B.15. De manière plus nette que lors de l’examen de la demande de suspension, il ressort actuellement du débat devant la Cour que le recours en annulation porte, non pas sur l’inconstitutionnalité de la loi d’assentiment et du traité en tant que tels, mais sur l’inconstitutionnalité de leur application dans un cas bien déterminé, qui n’est mentionné ni dans le texte même de la loi du 30 juillet 2022 ni dans celui du traité du 11 mars 2022.
La mise en balance du devoir de protection au regard du droit à la vie, d’une part, et au regard du droit de mener une vie conforme à la dignité humaine, d’autre part, ne saurait avoir lieu in abstracto, à la suite du recours en annulation présentement examiné, mais doit s’opérer in concreto et au cas par cas, après l’entrée en vigueur du traité, et sous contrôle juridictionnel.
Il est vrai que le Conseil d’État a déjà jugé, à plusieurs reprises, qu’il n’est pas compétent pour connaître d’un recours contre une décision ministérielle de transfèrement prise en application de la loi du 23 mai 1990 (CE, 14 juin 2010, n° 205.129; 12 janvier 2012, n° 217.205; 14 août 2014, n° 228.202; 25 octobre 2016, n° 236.252). En toute hypothèse, c’est au tribunal de première instance qu’il revient, à titre résiduel, d’effectuer un contrôle juridictionnel.
B.16. Le respect des normes de référence citées en B.13 et B.14 doit être examiné dans une affaire concrète, compte tenu de la mise en balance mentionnée en B.15.
Il appartient au juge compétent de vérifier si l’arrêté autorisant le transfèrement d’une personne condamnée et détenue en Belgique vers l’État étranger dont elle est le ressortissant est conforme à la loi. Il doit respecter à cet égard le principe de la séparation des pouvoirs et doit donc se limiter à en contrôler la légalité.
Ce contrôle de légalité ne concerne pas la loi d’assentiment au traité et ne relève donc pas du pouvoir de contrôle de la Cour.
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B.17. Le premier moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.18. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 40, alinéa 2, de la Constitution et avec le principe de la séparation des pouvoirs, et de l’article 14 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec les articles 2 et 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Les parties requérantes font grief à la disposition attaquée de ne prévoir aucune condition et aucune limite au pouvoir discrétionnaire donné au pouvoir exécutif de transférer une personne condamnée vers l’Iran et, singulièrement, de ne pas prévoir que l’autorité de chose jugée attachée aux décisions juridictionnelles prises par les cours et tribunaux belges soit sauvegardée même en cas de transfèrement. Elles font valoir en outre que le transfèrement, qui aurait pour effet de changer la nature de la peine et qui constitue dès lors une modalité d’exécution de la peine, doit être décidé par une juridiction de l’ordre judiciaire.
B.19. Les transfèrements interétatiques de personnes condamnées, tels qu’ils sont organisés en Belgique par la loi du 23 mai 1990, n’ont ni pour but ni pour effet de modifier la nature ou la durée des peines prononcées par les cours et tribunaux. Ils n’ont pas non plus pour effet de modifier les constatations des juridictions de jugement quant aux faits infractionnels constatés, ou de remettre en question la culpabilité des auteurs de ces faits telle qu’elle est établie par les décisions de condamnation. Partant, la mise en œuvre d’une décision de transfèrement ne porte pas atteinte à l’autorité de chose jugée qui s’attache au jugement ou à l’arrêt de condamnation.
B.20. Par ailleurs, il relève de la responsabilité du Gouvernement, lorsqu’il prend une décision autorisant le transfèrement d’une personne condamnée, de mettre en balance tous les intérêts concernés, comme il est dit en B.16.
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B.21. Enfin, ni l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022, ni les dispositions du traité du 11 mars 2022 n’autorisent le Gouvernement à méconnaître l’autorité de chose jugée qui s’attache aux décisions judiciaires belges. En particulier, la circonstance que le traité du 11 mars 2022 ne contient pas de disposition prévoyant expressément que les autorités de l’État d’exécution sont liées par la constatation des faits dans la mesure où ceux-ci figurent explicitement ou implicitement dans l’arrêt ou le jugement prononcé dans l’État de condamnation ne saurait être interprétée comme permettant aux États parties au traité de porter atteinte à l’autorité de chose jugée attachée aux décisions de condamnation.
B.22. Le deuxième moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.23. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par l’article 5
de la loi du 30 juillet 2022, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 157, alinéa 4, de la Constitution, avec les articles 2 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 2, paragraphe 3, et 6, paragraphe 1, du Pacte relatif aux droits civils et politiques.
Elles font grief à la disposition attaquée et au traité du 11 mars 2022 de ne prévoir aucun mécanisme par lequel les victimes d’une infraction commise par une personne de nationalité iranienne condamnée par une juridiction pénale belge sont informées ou entendues au sujet de la modalité d’exécution de la peine consistant à autoriser son transfèrement ou par lequel elles peuvent contester cette modalité (première branche) et de ne prévoir aucun recours effectif à la disposition des victimes contre une décision de transfèrement (seconde branche).
B.24.1. En ce qui concerne la première branche de ce moyen, la loi du 17 mai 2006 prévoit que les personnes à qui elle reconnaît la qualité de victimes peuvent, dans les cas qu’elle précise, demander, en cas d’octroi d’une modalité d’exécution de la peine, à être informées ou entendues selon les règles prévues par le Roi (article 2, 6°).
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B.24.2. Bien que le transfèrement d’une personne condamnée en Belgique vers un autre État pour qu’elle y purge le reliquat de sa peine ne constitue pas une modalité d’exécution de la peine, il pourrait être admis que le principe d’égalité et de non-discrimination requière que les victimes des agissements d’une personne qui demande à bénéficier d’une mesure de transfèrement interétatique ou qui accepte d’être l’objet d’une telle mesure soient informées en cas de décision de transfèrement par le Gouvernement et, le cas échéant, qu’elles soient entendues quant aux conséquences que cette décision entraîne pour elles, à l’instar de ce que prévoit la loi du 17 mai 2006 pour les victimes d’une personne qui sollicite et bénéficie, en Belgique, d’une modalité d’exécution de la peine.
B.25. Toutefois, à supposer que cette différence de traitement entre les victimes ne soit pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, elle ne trouverait sa source ni dans l’article 5 de la loi du 30 juillet 2022 ni dans les dispositions du traité du 11 mars 2022, mais bien dans une lacune législative qu’il reviendrait au législateur de combler en complétant la législation existante. Sous peine de créer une différence de traitement contraire aux articles 10
et 11 de la Constitution, une telle réglementation ne pourrait être, en effet, prévue uniquement au profit des victimes des agissements de personnes de nationalité iranienne susceptibles de bénéficier des dispositions du traité du 11 mars 2022 mais devrait l’être de manière générale, au profit de toutes les victimes des agissements de personnes de nationalité étrangère susceptibles de bénéficier d’une mesure de transfèrement, quel que soit l’État d’exécution.
B.26.1. En ce qui concerne la seconde branche de ce moyen, l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».
B.26.2. Un recours effectif contre les décisions de transfèrement qui pourraient porter atteinte au droit à la vie que les victimes tirent de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme doit, en vertu de cette disposition, être accessible aux victimes des agissements de la personne condamnée faisant l’objet d’une mesure de transfèrement. Un tel
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recours peut être exercé devant le tribunal de première instance ou, en cas d’urgence, devant le président de ce tribunal.
B.26.3. En vue de garantir l’effectivité du recours, il convient d’imposer au Gouvernement, lorsqu’il prend une décision de transfèrement interétatique à l’égard d’un condamné, de veiller à ce que les personnes à qui la qualité de victime des agissements de cette personne a été reconnue soient informées de cette décision.
B.27. Sous réserve de ce qui est dit en B.26.3, le troisième moyen n’est pas fondé.
37
Par ces motifs,
la Cour,
sous réserve de ce qui est dit en B.26.3, rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 3 mars 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 36/2023
Date de la décision : 03/03/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Rejet du recours (sous réserve de ce qui est dit en B.26.3)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - le recours en annulation de l'article 5 de la loi du 30 juillet 2022 « portant assentiment aux actes internationaux suivants : 1) la Convention entre le Royaume de Belgique et la République de l'Inde d'entraide judiciaire en matière pénale, faite à Bruxelles le 16 septembre 2021, et 2) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l'entraide judiciaire en matière pénale, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 3) le Traité entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l'extradition, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021, et 4) le Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d'Iran sur le transfèrement de personnes condamnées, fait à Bruxelles le 11 mars 2022, et 5) le Protocole du 22 novembre 2017 portant amendement au Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, signé le 7 avril 2022 à Strasbourg », introduit par Farzin Hashemi et autres. Droit pénal - Entraide judiciaire - Loi portant assentiment à un traité - Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d'Iran sur le transfèrement de personnes condamnées - Condamné pour des faits de terrorisme


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-03-03;36.2023 ?

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