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02/03/2023 | BELGIQUE | N°33/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 02 mars 2023, 33/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 33/2023
du 2 mars 2023
Numéros du rôle : 7633, 7655, 7686, 7731, 7751, 7752, 7753, 7757, 7758 et 7759
En cause : les recours en annulation totale ou partielle de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique », introduits par Luc Lamine et Michel Lamine, par Marguerite Weemaes, par Kristien Roelants et Geert Lambrechts, par Vincent Franquet, par Paolo Criscenzo, par Ivar Hermans et autres, par Peter De Roover et autres, par l’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Acti

on Pour une Politique Ecologique » et autres, par l’ASBL « Ligue des droits hu...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 33/2023
du 2 mars 2023
Numéros du rôle : 7633, 7655, 7686, 7731, 7751, 7752, 7753, 7757, 7758 et 7759
En cause : les recours en annulation totale ou partielle de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique », introduits par Luc Lamine et Michel Lamine, par Marguerite Weemaes, par Kristien Roelants et Geert Lambrechts, par Vincent Franquet, par Paolo Criscenzo, par Ivar Hermans et autres, par Peter De Roover et autres, par l’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique » et autres, par l’ASBL « Ligue des droits humains » et l’ASBL « Liga voor Mensenrechten » et par Karin Verelst et Jens Hermans.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 10 septembre 2021
et parvenue au greffe le 13 septembre 2021, un recours en annulation partielle de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique » (publiée au Moniteur belge du 20 août 2021, deuxième édition) a été introduit par Luc Lamine et Michel Lamine.
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 octobre 2021 et parvenue au greffe le 22 octobre 2021, Marguerite Weemaes a introduit un recours en annulation partielle de l’article 5 de la même loi.
c. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 27 novembre 2021
et parvenue au greffe le 30 novembre 2021, un recours en annulation de l’article 3 de la même loi a été introduit par Kristien Roelants et Geert Lambrechts, assistés et représentés par Me P. Vande Casteele, avocat au barreau d’Anvers.
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d. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 14 janvier 2022 et parvenue au greffe le 17 janvier 2022, Vincent Franquet a introduit un recours en annula tio n totale ou partielle (article 5, §§ 1er et 2) de la même loi.
e. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 14 février 2022 et parvenue au greffe le 15 février 2022, Paolo Criscenzo, assisté et représenté par Me R. Bokoro N’Saku, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 2 à 10 de la même loi.
f. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 février 2022 et parvenue au greffe le 18 février 2022, un recours en annulation de la même loi a été introduit par Ivar Hermans, D.D., Liliana Carlisi, Hugo Cornelis, Veerle Mattheussen, Bart Keppens, Sebastien Calebout, Ruth Reynders, Leon Vervecken, Thierry De Mees, Dirk Landuyt, Sofie Van Remoortel, Etienne Opsteyn, Tim Reynders, Koen Terryn, Petra Cops, Ivo Goossens, Joseph Cassimons, Gunter Knapen, Monique Janssen, Claudia Congedo, Gert Gabriëls, Birgit Goris, Ilse Lemmens, Christel Lemmens, Lawrence Blyden, Jimmy Wenmeekers, C.G., Michiel Vanoppen, Tamara Buvens, Inge Ketels, Koen Alen, Gerlinda Van Kogelenberg, Christiaan Van Mieghem, Antoinette Bos, Sarah Janssen, Tinneke De Keersmaecker, Wouter Van Betten, Walter Ospitalieri, Mirke Van Der Gucht et Luciana Colladet.
Par la même requête, les parties requérantes demandaient également la suspension de la même loi. Par l’arrêt n° 80/2022 du 9 juin 2022 (ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.080), publié au Moniteur belge du 4 octobre 2022, la Cour a rejeté la demande de suspension.
g. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 17 février 2022 et parvenue au greffe le 18 février 2022, un recours en annulation de l’article 3, § 1er et § 2, alinéas 2 et 3, de l’article 4, de l’article 5, § 1er et § 2, et de l’article 6, § 1er, de la même loi a été introduit par Peter De Roover, Leo Joy Donné, Björn Anseeuw et Yngvild Ingels, assistés et représentés par Me M. E. Storme, avocat au barreau de Gand.
h. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 février 2022 et parvenue au greffe le 22 février 2022, un recours en annulation de l’article 2, 3°, de l’article 4, de l’article 5 et de l’article 6 de la même loi a été introduit par l’ASBL « Groupe de Réflexio n et d’Action Pour une Politique Ecologique », l’ASBL « Notre Bon Droit » et Thierry Vanderlinden, assistés et représentés par Me D. Brusselmans, avocat au barreau du Brabant wallon.
i. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 février 2022 et parvenue au greffe le 23 février 2022, un recours en annulation de la même loi a été introduit par l’ASBL « Ligue des droits humains » et l’ASBL « Liga voor Mensenrechten » , assistées et représentées par Me V. Letellier, avocat au barreau de Bruxelles.
j. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 21 février 2022 et parvenue au greffe le 23 février 2022, un recours en annulation de la même loi a été introduit par Karin Verelst et Jens Hermans, assistés et représentés par Me J. De Groote, avocat au barreau de Termonde.
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Ces affaires, inscrites sous les numéros 7633, 7655, 7686, 7731, 7751, 7752, 7753, 7757, 7758 et 7759 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me D. D’Hooghe, Me L. Schellekens, Me E. Myin, Me B. Lombaert, Me J. Simba et Me N. Tack, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit des mémoires (dans toutes les affaires), les parties requérantes dans les affaires nos 7633, 7686, 7751, 7752, 7753, 7757, 7758 en 7759 ont introduit des mémoires en réponse et le Conseil des ministres a également introduit des mémoires en réplique (dans les affaires nos 7633, 7686, 7751, 7752, 7753, 7757, 7758 en 7759).
Par ordonnance du 12 octobre 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 26 octobre 2022 et les affaires mises en délibéré.
À la suite des demandes des parties requérantes dans les affaires nos 7752, 7757 et 7758 à être entendues, la Cour, par ordonnance du 26 octobre 2022, a fixé l’audience au 23 novembre 2022.
À l’audience publique du 23 novembre 2022 :
- ont comparu :
. Me P. Vande Casteele, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7686;
. Me R. Bokoro N’Saku, pour la partie requérante dans l’affaire n° 7751, et Paolo Criscenzo;
. Ivar Hermans, en personne;
. Me M. E. Storme, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7753;
. Me D. Brusselmans, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7757, et Thierry Vanderlinden;
. Me V. Letellier, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7758;
. Me J. De Groote, pour les parties requérantes dans l’affaire n° 7759;
. Me D. D’Hooghe, Me L. Schellekens, Me B. Lombaert et Me J. Simba, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques ont fait rapport;
- les parties précitées ont été entendues;
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- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relative s à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Affaire n° 7633
A.1. Les parties requérantes, qui sont deux personnes physiques, demandent l’annulation des articles 3, § 2, alinéa 3, 4, § 1er, alinéa 3, et § 3, alinéa 3, et 5, § 1er, b), d), e) et h), et § 2, a), c), d) et g), de la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique » (ci-après : la loi du 14 août 2021).
À l’appui de leur intérêt, elles font valoir que, tant que la vaccination contre le virus COVID-19 ne sera pas légalement obligatoire et tant que l’État belge n’inscrira pas dans la loi que tous les dommages causés par la vaccination seront indemnisés, elles refusent de se faire vacciner contre le virus COVID-19. Si elles se faisaient vacciner, les parties requérantes pourraient développer des caillots et elles ne pourraient alors pas s’adresser à l’État belge comme une personne qui s’est fait vacciner en vertu d’une obligation légale. À tout le moins, la contrainte vaccinale directe ou indirecte peut provoquer une anxiété à vie chez les parties requérantes.
A.2. Quant au fond, les parties requérantes invoquent cinq moyens.
A.3.1. Le premier moyen porte sur l’article 5, § 1er, b), d), e) et h), et § 2, a), c), d) et g), de la loi du 14 août 2021 et est pris de la violation des articles 10, 11, 12, 22 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 1er, 5, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec le principe de l’interprétation stricte des exceptions. Les articles attaqués permettent de subordonner l’exercice de certains droits à une vaccination, à un test PCR ou à un certificat de rétablissement. Le fait d’imposer une vaccination, un test PCR ou un certificat de rétablissement et de les assortir de mesures restrictives de liberté relève toutefois, selon les parties requérantes, de la compétence exclusive du législateur fédéral parce qu’il s’agit d’une ingérence dans le droit à la vie privée. Une habilitation du Roi à prendre des mesures restrictives de liberté doit, en vertu du principe de la légalité formelle, être formulée en des termes explicites dans la loi d’habilitation et le législateur fédéral doit toujours en fixer lui-même les éléments essentiels.
A.3.2.1. Tout d’abord, le Conseil des ministres constate que le premier moyen est irrecevable, dès lors qu’il n’est pas exposé pas en quoi les normes de référence invoquées par les parties requérantes seraient violées.
Ensuite, le Conseil des ministres observe que les parties requérantes postulent à tort que la loi du 14 août 2021 permettrait d’imposer une obligation vaccinale. La « détermination de mesures physiques ou sanitaires »
(article 5, § 1er, h), et § 2, g), de la loi du 14 août 2021) est en effet limitée aux mesures telles que le respect d’une certaine distance par rapport à d’autres personnes, le port d’un équipement de protection individuel ou des règles relatives à l’hygiène des mains. Une habilitation à rendre la vaccination (indirectement) obligatoire ne relève pas de ces dispositions.
Le Conseil des ministres estime enfin que les articles 5, § 1er, b), et 5, § 2, a), de la loi du 14 août 2021
délèguent seulement la détermination des règles ou conditions d’accès à une ou plusieurs catégories d’établissements ou parties d’établissements ouverts au public, et de lieux de réunion, et non le prélèvement de substances corporelles. Le même raisonnement peut être appliqué en ce qui concerne les articles 5, § 1er, e), et 5, § 2, d), de la loi du 14 août 2021, qui délèguent la compétence de déterminer des règles ou conditions de déplacements, leur limitation ou leur interdiction.
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A.3.2.2. Quant au fond, le Conseil des ministres estime que le premier moyen soulevé par les parties requérantes est pris de la violation du droit à la vie privée, et plus précisément du principe de légalité formelle que ce droit implique. Or, la loi du 14 août 2021 ne confère nullement une délégation (indirecte) pour imposer une vaccination, ni pour prélever des substances corporelles. Pour cette raison, le droit au respect de la vie privée n’est pas violé.
Ensuite, le Conseil des ministres estime que, même s’il était question d’une délégation de compétence, cette délégation serait compatible avec le droit au respect de la vie privée et avec le principe de légalité formelle.
L’habilitation conférée au Roi est définie de manière suffisamment précise et porte sur la mise en œuvre de mesures dont les éléments essentiels ont été préalablement fixés par le législateur. L’article 5, § 1er, b), d), e) et h), et § 2, a), c), d) et g), de la loi du 14 août 2021, lu en combinaison avec d’autres dispositions de la même loi, satisfait suffisamment au principe de légalité formelle. Le législateur a déterminé de manière explicite et suffisammen t précise les mesures de police administrative pouvant être prises, ainsi que les cas dans lesquels la compétence de prendre ces mesures peut être exercée. Par ailleurs, l’exposé des motifs donne d’autres précisions par catégorie de mesures et contient une description précise des compétences qui sont d éléguées.
A.3.3. Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes constatent que la loi du 14 août 2021 a été adoptée à un moment où les « circonstances exceptionnelles » n’existaient pas (encore). Cette loi a été signée par le Roi le 14 août 2021 et la « situation d’urgence épidémique » n’a été déclarée que le 28 octobre 2021 par un arrêté royal « portant la déclaration de la situation d’urgence épidémique concernant la pandémie de coronavirus COVID-19 », que le législateur a confirmé par la loi du 10 novembre 2021 « portant confirmation de l’arrêté royal du 28 octobre 2021 portant la déclaration de la situation d’urgence épidémique concernant la pandémie de coronavirus COVID-19 ». L’habilitation que la loi du 14 août 2021 confère au Roi et au minis tre est donc inconstitutionnelle.
Les parties requérantes notent toutefois qu’une réserve d’interprétation pourrait être formulée. Compte tenu de la thèse du Conseil des ministres, la loi attaquée doit être interprétée en ce sens qu’elle ne permet pas au Roi d’imposer directement ou indirectement une vaccination et qu’elle ne L’habilite donc pas à prescrire l’utilisation , par exemple, du Covid Safe Ticket.
A.3.4. Le Conseil des ministres observe que la réserve d’interprétation ne saurait être suivie. Il n’est pas exclu que des conditions d’accès soient établies sur la base de la délégation au Roi. Il n’empêche que la loi du 14 août 2021 délègue uniquement la compétence de régler les conditions d’accès. La loi du 14 août 2021 ne suffit pas à elle seule pour régler la délivrance de certificats de tests ou de vaccination et ne délègue dès lors pas cette compétence au Roi.
A.4.1. Le deuxième moyen porte sur l’article 5, § 1er, b), d), e) et h), et § 2, a), c), d) et g), de la loi du 14 août 2021, en ce qu’il ne prévoit pas que ceux qui se font administrer le vaccin exigé en vertu de la loi attaquée pour pouvoir faire usage de certains droits sont toujours censés s’être fait vacciner dans le but de satisfaire à une obligation légale. Le moyen est pris de la violation des articles 10, 11, 12, 22 et 23 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 1er, 5, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le principe de proportionnalité, avec le principe du raisonnable, avec le principe d e bonne foi, avec le principe de la discrimination indirecte, avec les articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil et avec l’article 11 des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 (ci-après : les lois coordonnées sur le Conseil d’État).
Selon les parties requérantes, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme exig e l’établissement d’un cadre légal lorsque la réglementation affecte l’intégrité corporelle et physique. En Belgique, la loi n’impose pas d’obligation de se faire vacciner. La catégorie des personnes qui se font vacciner pour satisfaire à une obligation légale et la catégorie des personnes qui se font vacciner pour pouvoir faire usage de certains droits sont suffisamment comparables à l’aune de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et du droit à la protection de la santé (article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution). Cependant, il existe une inégalité de traitement injustifiée en ce qui concerne leur protection dans l’hypothèse où le vaccin causerait des dommages.
L’État ne doit en effet indemniser le dommage que lorsque la vaccination a été rendue obligatoire, il n’est pas tenu par cette obligation lorsque la vaccination est recommandée. Or, ceux qui se font vacciner par solidarité envers la collectivité sont en droit d’exiger que la collectivité soit solidaire avec eux dans l’hypothèse où leur solidarité leur causerait préjudice.
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A.4.2.1. Tout d’abord, le Conseil des ministres observe qu’il n’est pas exposé, dans le deuxième moyen, en quoi les articles 10, 11, 12 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 1er, 5 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le principe de proportionnalité, avec le principe du raisonnable, avec le principe de la bonne foi, avec le principe de la discrimination indirecte, avec les articles 1382
et 1383 de l’ancien Code civil et avec l’article 11 des lois coordonnées sur le Conseil d’État sont violés par les articles attaqués de la loi du 14 août 2021, de sorte que le moyen doit être rejeté pour cause d’irrecevabilité en ce qui concerne ces articles.
A.4.2.2. Quant au fond, le Conseil des ministres estime que la loi du 14 août 2021 n’impose en aucun cas une obligation vaccinale indirecte, de sorte qu’il ne saurait exister une différence de traitement entre ceux qui se font vacciner afin de satisfaire à une obligation légale, d’une part, et ceux qui se font vacciner pour satisfaire à une « obligation vaccinale indirecte ».
A.4.3. Les parties requérantes répètent qu’elles ne prétendent pas que la loi du 14 août 2021 impose une obligation vaccinale; elles critiquent uniquement le fait que la loi attaquée permet au Roi et aux autres autorités de subordonner l’exercice de certains droits à certaines vaccinations, sans toutefois prévoir que ceux qui se font vacciner sont toujours censés l’avoir fait dans le but de satisfaire à une obligation légale.
Les parties requérantes notent cependant qu’une réserve d’interprétation pourrait être formulée. La loi attaquée, à supposer qu’elle permette au Roi de subordonner l’exercice de certains droits à une vaccination, doit être interprétée en ce sens que ceux qui se sont fait vacciner en Belgique sont toujours censés s’être fait vacciner dans le but de satisfaire à l’obligation légale et que les autorités qui ont directement ou indirectement imposé la vaccination « avec un vaccin non usuel » sont objectivement responsables des dommages dont on peut considérer, avec un degré raisonnable de probabilité, qu’ils ont été causés par une vaccination effectuée en Belgique.
A.4.4. Le Conseil des ministres répète qu’il n’est nullement question d’une obligation vaccinale, qu’elle soit directe ou indirecte. Il n’y a dès lors pas lieu d’admettre, dans le cadre du recou rs en annulation, que les vaccinations doivent être considérées comme ayant été administrées d ans le but de satisfaire à une obligation légale, étant donné que la loi du 14 août 2021 n’impose aucune obligation vaccinale, qu’elle soit directe ou indirecte.
Le Conseil des ministres observe en outre que, contrairement à ce que semblent affirmer les parties requérantes, la Cour européenne des droits de l’homme n’impose pas à une autorité de prévoir un système de responsabilité (objective) en cas de préjudice résultant d’une vaccination recommandée. Plus précisément, même si la vaccination est obligatoire, les autorités ne doivent pas forcément prévoir un système de responsabilité objective lorsque les vaccins ne sont pas administrés contre la volonté d’une personne.
A.5.1. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par l’article 5, § 1er, h), et § 2, g), de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 15, 16 et 22 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 105 et 159 de la Constitution, avec les articles 1er, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec le principe de l’interprétation stricte des exceptions et avec le principe de l’interprétation stricte des lois pénales et des lois habilitant à définir des faits punissables. L’annulation de l’article 5, § 1er, h), et § 2, g), de la loi du 14 août 2021 est demandée, en ce que cette disposition prévoit que le droit de recevoir des personn es dans un domicile ou dans des dépendances peut être restreint par le Roi, par le ministre de l’Intérieur ou par toute autre autorité. Le droit au respect de la vie familiale comprend le droit de se réunir en famille. Le droit de se réunir en famille est donc un « élément essentiel »
du droit au respect de la vie familiale et l’habilitation à porter atteinte à cet « élément essentiel » doit être expressément prévue dans la loi de délégation ou d’habilitation. Les dispositions attaquées violent le principe de légalité formelle en ce que sont également délégués les éléments essentiels de la restriction. Par ailleurs, le principe de légalité matérielle est également violé, puisque la restriction doit être suffisamment précise, que ses effets doivent être prévisibles et qu’une telle disposition doit répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée, ce qui n’est pas le cas.
A.5.2.1. Le Conseil des ministres observe en premier lieu que le troisième moyen est partiellemen t irrecevable, dès lors que les parties requérantes ne démontrent pas en quoi les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 105 et 159 de la Constitution, avec les articles 1er et 14
de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la
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Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec le principe de l’interprétation stricte des exceptions et avec le princip e de l’interprétation stricte des lois pénales et des lois portant habilitation afin de définir des faits punissables, sont violés par les articles attaqués de la loi du 14 août 2021.
A.5.2.2. Quant au fond, le Conseil des ministres constate que le « droit au respect de son domicile » est inscrit à l’article 15 de la Constitution et à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantissent le droit au respect du domicile. Les parties requérantes ne démontrent nullement en quoi ce droit serait violé, dès lors qu’elles lient ce droit à la seule protection « à l’égard de restrictions de recevoir dans son domicile les personnes de son choix »; il n’est pas précisé pourquoi les articles attaqués de la loi du 14 août 2021
permettraient de restreindre le choix des personnes accueillies dans son domicile. En tout état de cause, les articles attaqués de la loi du 14 août 2021 ne prévoient nullement une délégation pour limiter les personnes que l’on peut recevoir dans son domicile. L’article 5, § 1er, h), et § 2, g), contient uniquement des mesures de police administrative portant sur la distance à respecter par rapport à d’autres personnes, sur le port d’un équipement de protection individuelle ou sur les règles relatives à l’hygiène des mains.
A.5.3. Les parties requérantes notent à nouveau qu’une réserve d’interprétation pourrait être formulée. Le Conseil des ministres dit que la loi attaquée n’habilite nullement à limiter les personnes que l’on est autorisé à accueillir à son domicile ou dans ses dépendances. La loi attaquée doit dès lors être interprétée en ce sens.
A.5.4. Le Conseil des ministres observe que l’interprétation suggérée par les parties requérantes selon laquelle il ne saurait être question d’habiliter le Roi à limiter les personnes que l’on peut accueillir à son domicile ou dans les dépendances ne peut être suivie.
Il n’est pas non plus question d’une violation de l’article 15 de la Constitution, puisque la loi du 14 août 2021
ne prévoit en aucun cas la possibilité d’une perquisition. Il n’est pas davantage question d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale.
A.6.1. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par l’article 3, § 2, alinéa 3, et par l’article 4, § 3, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 22, alinéa 1er, et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 187 de la Constitution, avec les articles 1er, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec le principe de l’État de droit et de la prééminence du droit, avec le principe de la bonne foi, avec le principe de l’interdiction de fraude à la loi, avec le princip e général de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce, avec l’article 5, alinéa 3, de la loi du 27 mars 2020 « habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 (I) » et avec l’article 7, alinéa 3, de la loi du 27 mars 2020 « habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 (II) ». Les dispositions attaquées permettent au pouvoir exécutif de limiter le droit au respect de la vie privée des citoyens contre la vo lonté du Parlement. L’annulation de l’article 3, § 2, alinéa 3, et de l’article 4, § 3, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021 est demandée, en ce que les articles attaqués prévoient que les arrêtés visés dans ces articles, s’ils ne sont pas validés par la Chambre des représentants, cessent de sortir leurs effets pour l’avenir, sans que soit prévu leur retrait rétroactif.
Selon les parties requérantes, le principe de légalité formelle est violé parce que l’absence de validation par la Chambre des représentants doit être assortie d’un retrait rétroactif. Or, les dispositions attaquées se prêtent à une interprétation conforme à la Constitution, à savoir l’interprétation selon laquelle les arrêtés non validés sont retirés rétroactivement.
A.6.2.1. Tout d’abord, le Conseil des ministres soulève l’irrecevabilité partielle du quatrième moyen, parce qu’il n’y est pas exposé en quoi les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 187 de la Constitution, avec les articles 1er, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec le principe de l’État de droit et de la prééminence du droit, avec le principe de la bonn e foi, avec le principe de l’interdiction de fraude à la loi, avec le principe général de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce , avec l’article 5, alinéa 3, de la loi du 27 mars 2020 « habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus
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COVID-19 (I) » et avec l’article 7, alinéa 3, de la loi du 27 mars 2020 « habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 (II) » seraient violés par les dispositions attaquées.
A.6.2.2. Quant au fond, le Conseil des ministres observe que le principe de légalité formelle n’est pas violé.
À l’inverse de ce que prétendent les parties requérantes, il n’est plus question d’une « doctrine de la rétroactivité ».
L’article 22, alinéa 1er, de la Constitution ne saurait donc être violé. Le Conseil des ministres relève également que, dans le cadre d’une loi telle la loi du 14 août 2021, il faut qu’ait été prévu un cadre de mesures robuste et contraignant. Le Parlement a toutes les chances de pouvoir mener un débat parlementaire de fond sur l’existence ou non d’une situation d’urgence épidémique. Mais, dans l’intervalle, les mesures doivent être contraignantes. À
cet égard, la suppression rétroactive d’amendes, par exemple, n’est pas indiquée, de sorte qu’un retrait rétroactif ne sert en rien l’objectif légitime poursuivi par la loi du 14 août 2021.
A.6.3. Les parties requérantes affirment que la « doctrine de la rétroactivité » a été admise par la Cour dans son arrêt n° 18/98 du 18 février 1998 (ECLI:BE:GHCC:1998:A RR.018). Cette théorie s’applique également à l’article 5, alinéa 3, de la loi du 27 mars 2020 (I) et à l’article 7, alinéa 3 de la loi du 27 mars 2020 (II). La référence que le Conseil des ministres fait à l’arrêt de la Cour n° 83/2008 du 27 mai 2008 (ECLI:BE:GHCC:2008:ARR.0 8 3)
n’est pas pertinente, étant donné que cet arrêt ne dit rien au sujet des effets de la non -approbation des arrêtés d’habilitation par le législateur.
Le cas échéant, les parties requérantes notent qu’une rés erve d’interprétation pourrait être formulée. Les articles 3, § 2, alinéa 3, et 4, § 3, alinéa 3, attaqués, de la loi du 14 août 2021 peuvent recevoir une interprétation conforme à la Constitution selon laquelle les arrêtés non confirmés par la Chambre des représentants sont retirés avec effet rétroactif.
A.6.4. Dans son mémoire en réplique, le Conseil des ministres souligne que la critique formulée par les parties requérantes au sujet de la « doctrine de la rétroactivité » ne serait pertinente que si la loi du 14 août 2021
déléguait des éléments essentiels, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
A.7.1. Le cinquième moyen des parties requérantes est pris de la violation, par l’article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 12 et 14 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 37 de la Constitution et avec les articles 1er, 7 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le législateur fédéral ne peut pas déléguer des compétences au ministre de l’In térieur, comme il l’a fait à l’article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021, dès lors que ces délégations ne portent pas sur des détails. Les articles 33
et 37 de la Constitution s’opposent à ce que le législateur fédéral délègue des compétences à un ministre fédéral;
seuls le Roi ou un gouvernement peuvent procéder à une telle délégation.
Le problème de l’impossibilité pour le Roi de signer immédiatement un arrêté royal est un problème général qui doit être résolu de manière uniforme. Dès lors qu’une solution n’est offerte que pour les situations d’urgence épidémique et non pour d’autres arrêtés royaux, le principe d’égalité est violé.
A.7.2.1. Le Conseil des ministres soulève l’irrecevabilité partielle du moyen, au motif qu’il n’est pas expos é en quoi les articles 12 et 14 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 1er, 7 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, sont violés par les articles attaqués de la loi du 14 août 2021.
Le Conseil des ministres observe ens uite que la Cour n’est pas compétente pour contrôler les articles attaqués au regard des articles 33 et 37 de la Constitution, même par référence à une violation du principe d’égalité, parce qu’elle ne peut pas examiner la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Selon le Conseil des ministres, il n’est pas précisé quelles seraient les catégories de personnes distinctes traitées à tort de manière inégale. Les « destinataires de futurs arrêtés relatifs à la pandémie » et les « destinataires d’autres futurs arrêtés royaux » ne sont pas des catégories de personnes délimitées, car les destinataires de futurs arrêtés relatifs à la pandémie sont les mêmes que les destinataires d’autres futurs arrêtés royaux. De surcroît, il existe plusieurs aut res cas dans lesquels il est prévu une délégation du pouvoir réglementaire à un ministre, qu’il existe ou non des motifs objectifs qui justifient une intervention urgente du pouvoir exécutif. Sont cités comme exemples l’article XVIII.1
du Code de droit économique, l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile », l’article 11 de la loi du 5 août 1992 « sur la fonction de police », l’article 4, alinéa 1er, de la loi du 31 décembre 1963 « relative à la protection civile ».
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A.7.2.2. Quant au fond, le Conseil des ministres fait valoir que le législateur peut effectivement confier une compétence réglementaire à caractère accessoire à un ministre si des motifs objectifs justifient une intervention urgente. Le Conseil des ministres se réfère aux arrêts n os 10/2014 du 23 janvier 2014
(ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.010) et 32/2007 du 21 février 2007 (ECLI:BE:GHCC:2007:ARR.032), par lesquels la Cour a jugé que ce transfert de compétence doit être conforme au principe de légalité formelle, c e qui n’est le cas que si la délégation est opérée dans des circonstances exceptionnelles, est formulée de manière expresse et sans ambiguïté et est validée par le législateur dans un délai relativement bref, ainsi que le prévoit la loi de validation. Enfin, le Conseil des ministres observe que l’article 33 de la Constitution n’est pas pertinent, étant donné que cet article implique que les pouvoirs et compétences attribués par la Constitution ne peuvent être délégués à un autre organe de l’État. Cela signifie que le Roi ne peut en principe pas céder sa compétence à un ministre. Contrairement à ce que prétendent les parties requérantes dans leur requête, cette disposition constitutionnelle ne concerne pas les délégations du législateur fédéral au ministre.
A.7.3. Les parties requérantes répondent que la délégation à un ministre n’est pas en cause dans l’arrêt n° 10/2014 précité (ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.010). Dans cette affaire, la question préjudicielle portait uniquement sur une éventuelle violation des articles 10, 11, 170, § 1er, et 172, alinéa 2, de la Constitution et non sur la constitutionnalité de la « délégation » au ministre et à l’administration fiscale, au sujet de laquelle la Cour ne s’est d’ailleurs pas prononcée.
A.7.4. Le Conseil des ministres ajoute enfin que la critique des parties requérantes selon laquelle il ne peut y avoir délégation au ministre par le législateur tant qu’il n’y a pas de situation d’urgence au sens de l’article 15
de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut être suivie. En effet, en vertu de l’article 187 de la Constitution, il n’est pas possible de suspendre entièrement ou partiellement la Constitution et, en vertu de l’article 53 de la Convention européenne des droits de l’homme, il n’est pas possible non plus de déroger aux droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Pour ces raisons, les restrictions des droits fondamentaux doivent être contrôlées au regard des conditions de restriction o rdinaires du titre II de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme.
Affaire n° 7655
A.8.1. La partie requérante, une personne physique, demande l’annulation de l’article 5, § 1er, b), d), e) et h), et § 2, a), c), d) et g), de la loi du 14 août 2021.
À l’appui de son intérêt, cette partie souligne qu’elle souffre depuis quelques années de paralysie partielle à cause d’un caillot au cerveau. La loi attaquée peut être interprétée en ce sens qu’elle permet au Roi et à d’autres autorités d’édicter des mesures restrictives de liberté, dont une obligation vaccinale directe ou indirecte au moyen du vaccin COVID-19 qui n’est pas encore usuel.
A.8.2. Le Conseil des ministres estime que la partie requérante ne dispose pas de l’int érêt requis. La loi attaquée n’habilite pas le Roi à imposer une vaccination. Même si l’on suit le raisonnement de la partie requérante, il n’y a, sur la base de la loi du 14 août 2021 proprement dite, aucune obligation vaccinale. Par ailleurs, il est possible de se soumettre à un test COVID-19 ou de présenter un certificat de rétablissement permettant de continuer à exercer certains droits. Une éventuelle annulation ne procurera aucun avantage direct à la partie requérante.
A.9.1. Sur le fond, la partie requérante invoque un moyen unique. Elle estime que les articles 10, 11, 12, 22
et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 1er, 5, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le principe de la dignité humain e et avec le principe de l’interprétation stricte des exceptions, sont violés par l’article 5, § 1er, b), d), e) et h), et § 2, a), c), d) et g), de la loi du 14 août 2021.
Le moyen unique est fondé sur le constat que la vaccination pourrait être rendue obligatoire, que l’exercice de certains droits pourrait être subordonné à une vaccination, à un test PCR ou un certificat de rétablissement et que des mesures restrictives de liberté relèvent de la compétence exclusive du législateur fédéral. Les dispositions attaquées violent le principe de légalité formelle, car une loi de délégation relative à une compétence réservée au législateur doit déterminer les « éléments essentiels » de la restriction des droits fondamentaux en des termes clairs.
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Par ailleurs, le principe de légalité matérielle est violé parce que l’ingérence des pouvoirs publics doit être formulée de manière suffisamment précise dans une disposition législative, qu’elle doit répondre à un besoin social impérieux et qu’elle doit être proportionnée au but poursuivi. Le principe d’égalité est également violé; il faut comparer l’obligation de vaccination contre la polio à l’obligation de se faire administrer un autre vaccin. Pour d’autres vaccinations aussi, une loi fédérale de délégation explicite, contenant le mot « vaccination », est requise.
A.9.2.1. Le Conseil des ministres fait valoir que le moyen unique est partiellement irrecevable, dans la mesure où il n’est pas exposé en quoi les articles 12 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 1er, 5 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec le principe de la dignité humaine, seraient violés.
Le Conseil des ministres fait valoir que la loi attaquée n’autorise pas à rendre des vaccinations obligatoires.
Ensuite, la loi attaquée ne contient pas de délégation concernant le prélèvement de substances corporelles, mais elle tend uniquement à limiter l’accès à certaines catégories d’établissements ou à des parties d’établissements recevant du public, ainsi qu’à certains lieux de réunion. Le même raisonnement peut être suivi en ce qui concerne la délégation de la compétence de fixer des règles ou conditions pour les déplacements, leur limitation ou leur interdiction.
A.9.2.2. Sur le fond, le Conseil des ministres estime que la critique de la partie requérante revient à dénoncer la violation du principe de légalité formelle et matérielle (article 22 de la Constitution et article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme).
En ce qui concerne le principe de légalité formelle, le Conseil des ministres estime que l’habilitation au Ro i est définie de manière suffisamment précise et porte sur la mise en œuvre de mesures dont les éléments essentiels ont été préalablement fixés par le législateur. Il est établi que les dispositions attaquées, lues en combinaison avec les autres dispositions de la loi du 14 août 2021, satisfont de manière suffisante au principe de légalité formelle.
En ce qui concerne le principe de légalité matérielle, le Conseil des ministres estime que la loi attaquée ne contient en aucun cas une délégation de la compétence de rendre une vaccination obligatoire ou de prélever des substances corporelles, ce qui implique que le droit au res pect de la vie privée n’est pas violé. Par ailleurs, la partie requérante ne démontre pas qu’une vaccination non obligatoire porterait atteinte au droit au respect de la vie privée.
En ce qui concerne l’éventuelle violation du principe d’égalité, en ce q u’il est prévu une loi de délégation fédérale explicite pour le vaccin de la poliomyélite, mais pas pour les vaccins qui seraient obligatoirement administrés sur la base de la loi du 14 août 2021, le Conseil des ministres répète que le Roi n’a pas été habilité à imposer une vaccination.
Affaire n° 7686
A.10.1. L’affaire n° 7686 a été introduite par deux personnes physiques qui demandent l’annulation de l’article 3 de la loi du 14 août 2021. Dans un moyen unique, subdivisé en cinq branches, elles dénoncent la violation des articles 10, 11, 13, 19, 23 et 32 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 33, 160 et 190 de la Constitution, avec le principe de publicité, avec les articles 6, 10, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le principe de l’État de droit, avec le principe du raisonnable, avec le devoir de minutie, avec les articles 11, 52 et 53 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 5 de la Convention du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (ci-après : la Convention d’Aarhus) et avec la Déclaration de Rio de Janeiro de juin 1992 en matière d’environnement et de développement (ci-après : la Déclaration de Rio).
A.10.2. Le Conseil des ministres estime que les parties requérantes ne justifient pas de l’intérêt requis, étant donné qu’elles n’exposent pas dans leur requête quel intérêt propre, suffisamment individ ualisé, elles pourraient avoir à l’annulation de la loi du 14 août 2021.
Par ailleurs, nul ne peut avoir intérêt à un recours en annulation de l’article 3, § 2, alinéa 1er, et de l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021. En effet, cette loi tend à une plus grande transparence dans le processus décisionnel autour de situations d’urgence épidémique et tend à améliorer la situation juridique des justiciables. Auparavant, il n’était pas prévu de publier des données scientifiques et le simple constat que la publication de données scientifiques est soumise à certaines modalités ne porte pas atteinte à ce qui précède.
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Ensuite, le moyen unique doit être rejeté comme étant partiellement irrecevable, au motif que la Cour n’est pas compétente pour contrôler les dispositions attaquées de la loi du 14 août 2021 directement au regard de conventions, comme la Convention d’Aarhus, la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Déclaration de Rio, ni au reg ard de principes généraux du droit qui n’existent pas ou n’ont aucune valeur constitutionnelle. Les parties requérantes n’exposent pas davantage en quoi les dispositions attaquées de la loi du 14 août 2021 pourraient violer les articles 13, 19, 23 et 33 de la Constitution, les articles 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, les articles 11, 52 et 53 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Déclaration de Rio et le devoir de minutie.
A.10.3. Selon les parties requérantes, il se peut que le législateur veuille « plus de transparence dans le processus décisionnel concernant les situations d’urgence épidémique et donc une amélioration de la situation juridique des justiciables », mais il n’empêche que l’article 3 de la loi du 14 août 2021 instaure des restrictions temporelles et de fond qui, après un arrêt d’annulation, peuvent être évitées par l’élaboration d’une nouvelle loi.
Compte tenu du fait que la publication des données scientifiques à l’intention de la popula tion est une condition indispensable pour connaître celles -ci, la possibilité dont dispose toute personne d’en avoir connaissance en tout temps, le plus vite possible, de la manière la plus exhaustive possible et la plus centralisée possible, constitue un droit inhérent à un État de droit. La publication permet à chacun de contester en connaissance de cause devant les juridictions les restrictions instaurées par les arrêtés. Une véritable contestation devant le Conseil d’État n’est possible que si l’on dispose de toutes les données scientifiques.
Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, le recours en annulation n’est pas limité à l’article 3, § 2, alinéa 1er, et § 3, de la loi du 14 août 2021. Le législateur a institué un système global d’arrêtés déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique, qui peut avoir des conséquences graves pour tous les droits fondamentaux.
A.10.4. Le Conseil des ministres répète qu’il est établi que, dans la mesure où les moyens des parties requérantes sont partiellement pris de violations prétendument directes de la Convention d’Aarhus, de la Convention européenne des droits de l’homme, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de la Déclaration de Rio, du principe de publicité, du principe de l’État de droit, du principe du raisonnable et du devoir de minutie, le moyen, en ces branches, est en tout état de cause irrecevable.
Par ailleurs, certaines branches doivent également être déclarées irrecevables au motif qu’il n’est pas e xposé pourquoi certaines normes de contrôle et certains principes seraient violés par les dispositions attaquées de la loi du 14 août 2021.
A.11.1. Dans une première branche, les parties requérantes invoquent la violation, par l’article 3, §§ 2 et 3, de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 13, 19, 23, 32 et 160 de la Constitution et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il existe une différence de traitement injustifiable entre le peuple Belge et le président de la Chambre des représentants; or, tous deux sont des destinataires équivalents des données scientifiques. Ces données ne sont communiquées au public que lorsque et dans la mesure où les données sont disponibles et exploitables, alors que la communication de ces mêmes données au président est faite dans les meilleurs délais. Cette restriction temporelle est déraisonnable et injustifiable. La restriction de fond qui provient de la locution « dans la mesure où » est également déraisonnable. Les parties requérantes s e demandent en effet ce que signifie « dans la mesure où les données scientifiques sont disponibles et exploitables ». Le contenu dépend de la volonté et des possibilités des autorités et services compétents respectifs qui contrôlent la publication fragmentée des données scientifiques.
Les parties requérantes observent que l’arrêté déclarant la situation d’urgence épidémique entre en vigueur avec effet immédiat et que tout retard dans la publication des données scientifiques est déraisonnable. Par ailleurs, la population ne peut pas suivre la procédure de validation parlementaire de façon suffisamment critique, dès lors qu’au départ, seul le président de la Chambre des représentants a connaissance des données scientifiques. Donc, tant la restriction temporelle (publication dès que l’information est disponible et exploitable) que la restriction de fond (publication dans la mesure où elle est disponible et exploitable) sont déraisonnables. Par ailleurs, il est question d’une publication fragmentée dans le cadre de laquelle le citoyen doit lui-même rechercher toutes les publications, alors que la communication au président se fait selon un mode de publication consolidé et centralisé, tel que la plate-forme centrale de consultation.
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A.11.2. Tout d’abord, le Conseil des ministres observe que le président de la Chambre des représentants et la population sont deux catégories qui ne sont pas comparables. L’on ne saurait attendre de la population générale que l’information scientifique soit considérée comme lisible sous quelque forme que ce soit. C’est la raison pour laquelle l’information est procurée à la population si elle est disponible et exploitable. Si l’information scientifique était toujours directement communiquée à la population , la transparence visée par le législateur pourrait être vidée de sa substance ou il se pourrait aussi que des personnes faisant partie de la population générale ne soient pas informées. Par ailleurs, le président de la Chambre des représentants est un membre et un représentant de la Chambre des représentants. En communiquant au président les données scientifiques sur la base desquelles les arrêtés déclarant une situation d’urgence épidémique ont été adoptés, la loi du 14 août 2021 renforce le contrôle démocratique quant à la décision de savoir s’il y a urgence épidémique et donc indirectement quant aux mesures qui peuvent être prises dans un tel contexte. Ainsi, la Chambre des représentants a la possibilité de décider en pleine connaissance de cause s’il es t question d’une situation d’urgence épidémique. Par conséquent, la situation du président diffère fondamentalement de celle de la population générale et les raisons pour lesquelles les données scientifiques sont communiquées au président et à la populatio n diffèrent aussi fondamentalement. En effet, ce n’est pas la population qui doit voter la validation d’un arrêté royal déclarant une situation d’urgence épidémique.
La simple circonstance que les autorités et services compétents, du fait de l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021, contrôlent la publication de ces données scientifiques à destination de la population n’implique, selon le Conseil des ministres, aucune violation du principe d’égalité. Cette donnée constitue précisément une garantie de transparence pour la population. Il n’est par ailleurs pas exclu que les informations scientifiques soient aussi communiquées d’emblée à la population, dans la mesure où les informations scientifiques qui sont procurées au président sont déjà disponibles et exploitables au sens de l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021. Pour cette même raison, la différence dans la manière dont, d’une part, le président et, d’autre part, la population ont connaissance de ces données scientifiques ne viole pas le principe d’égalité.
Enfin, le Conseil des ministres constate que l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021 ne viole pas le droit du justiciable d’avoir accès à un juge. La disposition attaquée ne porte pas atteinte à l’applicabilité de la législation relative à la publicité de l’administration, de sorte que toute personne dispose toujours du droit de demander les avis et les données scientifiques.
A.11.3. La raison principale pour laquelle le Conseil des ministres rejette la branche du moyen repose, selon les parties requérantes, sur la théorie du « manque d’expertise de la plèbe », qui méprise la « population ». Dans un État de droit démocratique, un tel argument n’est autre qu’une insulte au bon sens et traduit des complexes de supériorité déplacés. Le président de la Chambre des représentants est l’élu du peuple et est donc simplement un élu du peuple n’ayant que les qualités du peuple. Pour la « population », les données scientifiques que le président reçoit sans le moindre filtre sont tout aussi compréhensibles qu’elles le sont pour le président.
Par ailleurs, le fait d’ « atteindre la population » n’a rien à voir avec « la disponibilité et l’utilité » des données scientifiques, dont la loi du 14 août 2021 prévoit expressément la « publication ». La « population » est atteinte par la « publication », que l’information soit aussi effectivement « comprise » ou non. En ce qui concerne la communication des données scientifiques, les parties requérantes estiment que le président et la population ne se trouvent pas dans des situations différentes, dès lors qu’ils reçoivent ou devraient recevoir la même information .
Bien qu’il puisse être admis que le président pourrait utiliser les données scientifiques dans un autre but que la population, il ne s’agit pas d’une justification admissible des restrictions essentielles, procédurales, temporelles et de fond que l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021 impose à la population.
A.11.4. Le Conseil des ministres répète que la population et le président de la Chambre des représentants se trouvent dans des situations fondamentalement différentes, de sorte que le principe d’égalité n’est pas violé. Cela s’explique principalement par le fait que l’on ne peut s’attendre à ce que les données scientifiques soient lisibles sous quelque forme que ce soit pour la population (contrairement à ce qui est le cas pour le président de la Chambre des représentants). À l’inverse de ce que prétendent les parties requérantes, le Conseil des ministres n’estime pas que la population manque d’expertise et il n’adopte pas un comportement dénigrant à l’égard de la population, mais il estime qu’il doit, en tant qu’autorité ayant un devoir de minutie, tenir compte de ce que toutes les données scientifiques ne sont pas forcément lisibles.
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Le Conseil des ministres relève également que l’arrêté royal déclarant la situation d’urgence épidémique est, en tant que décision individuelle, soumis à l’obligation de motivation formelle et matérielle. Il pourra toujours être vérifié s’il est satisfait aux conditions de déclaration de la situation d’urgence épidémique et si une procédure entamée par un justiciable devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État l’est sur cette base ou non.
A.12.1. La deuxième branche articulée par les parties requérantes porte sur la violation des articles 10 et 11
de la Constitution, de l’article 5 de la Convention d’Aarhus, du droit d’accès au juge et de la liberté d’information , en ce que les données scientifiques ne sont pas communiquées à la popu lation immédiatement et promptement.
Conformément à l’article 5, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus, les informations relatives à l’environnement doivent être publiées dans des bases de données électroniques « auxquelles le public peut avoir facilement accès ». Pour le président de la Chambre des représentants, tel est le cas, mais pour la population non;
celle-ci doit elle-même, dans le cadre de publications non uniformes et non centralisées, rechercher les données scientifiques auprès des « autorités et services compétents ». L’article 5, paragraphe 2, de la Convention d’Aarhus est également violé parce que les données scientifiques doivent être « diffusées » « immédiatement et promptement » et être « transparentes et réellement accessibles » et être « fournies » à la population. Les restrictions de fond et temporelles sont dès lors contraires à l’article 5, paragraphe 2, de la Convention d’Aarhus.
A.12.2. Le Conseil des ministres fait tout d’abord valoir que l’article 5 de la Convention d’Aarhus n’est pas applicable. La Convention vise en effet à la protection du droit dont dispose toute personne de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé. Pour cette seule raison, il convient d’écarter l’application de la Convention dans le contexte d’une situation d’urgence épidémique. Par ailleurs, l’article 5 impose uniquement la collecte et la diffusion d’informations sur l’environnement, mais les données scientifiques sur la base desquelles il est décidé de déclarer une situation d’urgence épidémique ne peuvent être considérées comme des informations sur l’environnement. Et même si les données scientifiques pouvaient être considérées comme des informations sur l’environnement, l’article 5 n’est pas applicable, parce que l’article 4, paragraphe 3, c), de la Convention d’Aarhus permet à un État contractant de refuser de publier l’information si elle « porte sur des documents qui sont en cours d’élaboration ou concernent des communications internes des autorités publiques à condition que cette exception soit prévue par le droit interne ou la coutume, compte tenu de l’intérêt que la divulgation des informations demandées présenterait pour le public ».
En ce qui concerne l’éventuelle impossibilité de saisir un juge en cas d’extrême urgence, le Conseil des ministres relève qu’il n’existe pas de principe général selon lequel toutes les informations sur la base desquelles l’autorité prend une décision doivent être disponibles pour toute personne qui souhaite entamer une procédure judiciaire ou administrative contre cette décision. Par ailleurs, il résulte de l’obligation de motivation matérielle que l’autorité doit toujours pouvoir démontrer que la décision prise repose sur des motifs admissibles en fait et pertinents en droit, de sorte que le demandeur pou rra donc toujours soutenir qu’une décision n’est pas suffisamment fondée sur des éléments scientifiques.
En ce qui concerne l’éventuelle violation du droit à la liberté d’information, le Conseil des ministres fait valoir que les parties requérantes ne précisent pas quel serait le fondement du droit à la liberté d’information , et ce qu’impliquerait ce droit. Dans la mesure où les parties requérantes rattachent le droit à la liberté d’information aux articles 19 et 32 de la Constitution et à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, le Conseil des ministres estime qu’il n’est pas question d’une violation.
A.12.3. Les parties requérantes répètent que les données scientifiques doivent être considérées comme des informations sur l’environnement, étant donné qu’elles contiennent des informations sur la « santé humaine ». Par ailleurs, la loi du 14 août 2021 concerne la problématique d’une « situation d’urgence épidémique », dans laquelle « l’état de santé de l’homme, sa sécurité et ses conditions de vie » sont « altérés par l’état des éléments de l’environnement » (libellé de l’article 2, paragraphe 3, c), de la Convention d’Aarhus).
Les parties requérantes constatent qu’elles et le Conseil des ministres ne s’accordent pas sur les termes « informations sur l’environnement » contenus dans la Convention, notion qui détermine l’examen du grief pris de la violation de l’article 5 de la Convention d’Aarhus. Il s’agit en particulier de savoir si les données scientifiques doivent également être considérées comme des « informations sur l’environnement » au sens de l’article 2, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus. Elles demandent à la Cour de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
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Contrairement au Conseil des ministres, les parties requérantes estiment que l’article 5, paragraphe 1, c), de la Convention d’Aarhus s’oppose aux restrictions dilatoires, temporelles et de fond contenues dans l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021, en ce qui concerne la publication à l’intention de la population des données scientifiques qui ont déjà été communiquées sans filtrage au président. Pour cette raison, elles demandent qu’une autre question préjudicielle soit posée à la Cour de justice de l’Union européenne.
Les parties requérantes concluent que l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021 viole l’article 5 de la Convention d’Aarhus au motif que la publication des informations est subordonnée à un filtrage temporel et un filtrage du contenu. Cela va à l’encontre de l’obligation conventionnelle de transparence totale quant à la diffusion immédiate et prompte des informations sur l’environnement que détient une instance publique.
A.12.4. Le Conseil des ministres commence par rappeler qu’il faut toujours qu’il y ait un lien avec l’environnement et qu’il ne suffit pas qu’une épidémie soit causée par des activités humaines ou soit le résultat d’événements naturels. Les parties requérantes n’expliquent pas pourquoi les données scientifiques sur la base desquelles sont pris des arrêtés royaux déclarant une situation d’urgence épidémique auraient un lien avec l’environnement. Elles ne démontrent donc pas que ces données constituent des informations sur l’environnement.
Pour ce qui est de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil des ministres observe qu’il n’y a pas lieu de poser la première question préjudicielle, car l’application correcte du droit de l’Union est évidente. Les données scientifiques qui s’inscrivent dans le cadre de la loi du 14 août 2021 ne sont pas des informations sur l’environnement au sens de la Convention d’Aarhus, étant donné qu’elles ne présentent aucun lien avec l’environnement. En ce qui concerne la deuxième question préjudicielle, le Conse il des ministres estime que la réponse à la question n’est pas pertinente en l’espèce, puisque la Convention d’Aarhus n’est pas applicable, à défaut de qualification des « données scientifiques ».
A.13.1. Selon les parties requérantes, la troisième branche porte sur la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 19 et 32 de la Constitution, avec l’article 5 de la Convention d’Aarhus, avec le devoir de minutie, avec le droit d’accès au juge, avec le principe de l’État de droit et avec le droit à la liberté d’information. Les données scientifiques qui étayent les arrêtés pris sont communiquées à la population et au président de la Chambre des représentants, mais les données qui n’étayent pas ces arrêtés ou qui les contredisent ne doivent pas être communiquées, ce qui constitue une censure.
A.13.2.1. Le Conseil des ministres observe d’abord que la troisième branche est partiellement irrecevable, en ce qu’il n’est pas exposé en quoi l’article attaqué viole l’article 32 de la Constitution, le principe d’égalité et le devoir de minutie. Ensuite, la Cour ne peut pas contrôler l’article 3 de la loi du 14 août 2021 au regard de l’article 5
de la Convention d’Aarhus, de l’article 190 de la Constitution, de l’obligation de publicité appropriée et du principe de l’État de droit. À supposer qu’il existe une obligation de publicité appropriée, fondée sur l’article 190 de la Constitution, le Conseil des ministres estime que la Cour n’est pas habilitée à exercer un contrôle au regard de ce principe, puisque l’article 190 de la Constitution n’est pas une norme de contrôle ni un principe à valeur constitutionnelle.
Bien que la Cour puisse exercer un contrôle au regard des dispositions et principes constitutionnels et conventionnels en combinaison avec le principe d’égalité, le Conseil des ministres observe qu’une référence formelle au principe d’égalité ne suffit pas; il faut effectivement invoquer une violation du principe d’égalité.
A.13.2.2. Quant au fond, le Conseil des ministres fait valoir que la critique repose sur des prémisses fondamentalement erronées. Il ne ressort d’aucune disposition que la publication des données scientifiques ne devrait pas porter sur toutes les données scientifiques. Un arrêté royal doit être p ris sur la base de toutes les données scientifiques pertinentes, et pas seulement sur la base des données qui confirment l’existence d’une situation d’urgence épidémique. L’avis du ministre de la Santé publique et l’analyse des risques effectuée par la cellule d’évaluation font également partie des données scientifiques. Par ailleurs, il ne peut être admis que des « données non scientifiques » ne soient pas divulguées. Les données scientifiques visées à l’article 3, §§ 2 et 3, de la loi du 14 août 2021 sont interprétées de manière large, si bien que des données non scientifiques pertinentes en ce qui concerne la décision à prendre doivent être publiées. L’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021 ne saurait en aucun cas énumérer de manière exhaustive ou limitative toutes les données scientifiques, les rapports et avis qui devraient
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être publiés, étant donné qu’il est impossible d’évaluer au préalable quelles situations d’urgence épidémique se présenteront à l’avenir et quelles données scientifiques, rapports ou avis fonderont les décisions à prendre.
En ce qui concerne l’article 190 de la Constitution, le Conseil des ministres observe que cette disposition constitutionnelle règle uniquement la publication des actes réglementaires tels que les lois, arrêté s ou règlements et qu’elle est étrangère à l’obligation de publication des données scientifiques au sens de l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021.
A.13.3. Les parties requérantes font tout d’abord valoir que la publicité active de l’administration relève de la publicité passive de l’administration. Le droit constitutionnel de consulter un document administratif comprend aussi celui de consulter cette information aux endroits de la publication offerte, le cas échéant dans les cas et aux conditions prévus par la loi. Le droit de recevoir copie se concrétise par la version imprimée du document consulté.
L’extension, par le Conseil des ministres, de la publication d’autres données que des données défavorables constitue, selon les parties requérantes, une donnée purement facultative, à laquelle la population ne peut pas prétendre.
A.14.1. Selon les parties requérantes, la quatrième branche est prise de la violation de l’article 5 de la Convention d’Aarhus et du principe de publicité appropriée contenu dans l’article 190 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec le principe d’égalité.
Les parties requérantes relèvent également que ce n’est pas le Gouvernement qui doit veiller à la publication, mais bien « les autorités et services compétents ». Par ailleurs, les « autorités et services compétents » ne doivent pas se charger eux-mêmes de la publication, ils doivent uniquement veiller à la publication. La question se pose de savoir pourquoi il y a lieu de communiquer les informations visées au président de la Chambre des représentants, mais pas à la population et pourquoi le contrôle est confié aux autorités et services compétents, et non au Gouvernement.
A.14.2.1. Tout d’abord, le Conseil des ministres estime que la référence à l’article 190 de la Constitution en tant que norme de référence est irrecevable et que la Cour n’est pas compétente pour exercer un contrôle au regard de l’article 5 de la Convention d’Aarhus et de l’obligation de publicité appropriée.
A.14.2.2. Quant au fond, le Conseil des ministres dit que la section de législation du Conseil d’État a uniquement estimé qu’il fallait préciser dans la loi du 14 août 2021 que la publication des données scientifiques était destinée à l’ensemble de la population, ce qui a aussi été le cas. En ce qui concerne les autorités chargées de la publication des données scientifiques et des modalités de la publication, la justification du délégué selon laquelle, d’une part, cela dépendra de la situation d’urgence ép idémique et des accords conclus et, d’autre part, il s’agit d’une modalité pratique qui ne doit pas être précisée dans la loi est suffisante.
A.14.3. Les parties requérantes confirment qu’il est inconstitutionnel de confier la diffusion de la publicatio n à des autorités et services compétents à préciser qui doivent encore rendre l’information disponible et exploitable, alors que le Gouvernement a déjà communiqué ces informations au président.
A.14.4. Le Conseil des ministres répond qu’il n’est nullement prévu que l’autorité publique qui détient l’information doit se charger de la diffusion. Pour cette raison, il n’est pas exclu que cette diffusion soit assurée par les autorités et services compétents, plutôt que par le gouvernement lui-même.
A.15.1. Dans une dernière branche, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10, 11, 13, 19, 23 et 32 de la Constitution, du droit à la publication, du droit à la liberté d’information et du droit à la protection de la santé. Les parties requérantes constatent qu’il convient de tenir compte de la fracture numérique et de la difficulté particulière que rencontre chaque individu pour prendre connaissance de données qui l’intéressent. Le fait que le Gouvernement ne contrôle pas la publication impliq ue également que le législateur n’a pas pris suffisamment de mesures pour garantir l’égalité d’accès à l’information publiée. Le législateur a dès lors pris une mesure qui porte une atteinte discriminatoire et disproportionnée au droit à la publication, au droit à la liberté d’information et au droit à la protection de la santé.
A.15.2.1. Selon le Conseil des ministres, dans la mesure où les parties requérantes se réfèrent à une violation des articles 13, 19 et 32 de la Constitution, au droit à la liberté d’information et au droit à la protection de la santé, il suffit de souligner qu’elles n’exposent pas en quoi ceux-ci seraient violés, de sorte que cette branche est irrecevable.
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A.15.2.2. Selon le Conseil des ministres, la référence à l’arrêt de la Cour n° 106/2004 du 16 juin 2004
(ECLI:BE:GHCC:2004:ARR.106) concernant la fracture numérique n’est plus pertinente. Les considérations de 2004 selon lesquelles une partie considérable de la population ne pourrait avoir un accès électronique à certaines données ne s’appliquent plus en tant que telles aujourd’hui. Au cours des vingt dernières années, la société a évolué de plus en plus vers une société où la communication numérique est devenue la norme. Par ailleurs, cet arrêt portait sur l’article 190 de la Constitution, et pas sur la publication de données spécifiques qui fondent un arrêté royal.
A.15.3. Les parties requérantes contestent la thèse du Conseil des ministres selon laquelle la fracture numérique n’existerait plus. Non seulement ce problème a été discuté au cours des travaux préparatoires de la loi du 14 août 2021, mais le médiateur fédéral aussi a plaidé, le 8 juillet 2021, pour que « l’accès à internet soit, en tant que droit fondamental, inscrit dans la Constitution ».
A.15.4. Le Conseil des ministres observe que le simple fait que le médiateur fédéral estime que le droit à internet doit être inscrit dans la Constitution ne porte pas atteinte au constat que la Belgique a évolué vers une société où la communication digitale est devenue la norme.
Affaire n° 7731
A.16.1. L’affaire n° 7731 est introduite par une personne physique, qui demande l’annulation de la loi du 14 août 2021 dans son ensemble, ou à tout le moins de l’article 5, §§ 1er et 2. Un seul moyen est invoqué à cet effet, pris de la violation des articles 10, 12, 23 et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 7, première phrase, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui est subdivisé en deux branches.
A.16.2. Le Conseil des ministres estime que le moyen unique est partiellement irrecevable. Bien que la requête vise l’annulation totale de la loi du 14 août 2021, le Conseil des ministres constate qu’il n’est pas exposé en quoi les articles 1er, 2, 3, 4, 5, § 3, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 de la loi attaquée violeraient les normes de référence invoquées.
A.17.1. Dans la première branche, la partie requérante invoque la violation de l’article 23 de la Constitution, en ce que les éléments essentiels de la délégation ne sont pas énumérés dans la loi-cadre. Il y a délégation, d’une part, au Roi et au ministre de l’Intérieur en cas de « péril imminent » et, d’autre part, aux gouverneurs et aux bourgmestres « lorsque les circonstances locales l’exigent » et « chacun pour son propre territoire ». En ce qui concerne les mesures de police administrative qui sont prises, cette délégation n’exige pas de validation par le pouvoir législatif. L’article 5 définit de manière non limitative les mesures qui peuvent être prises par les aut orités.
La loi du 14 août 2021 ne contient dès lors aucune condition, modalité ou directive, si bien que ces dispositions ne peuvent être considérées comme des éléments essentiels.
L’inconstitutionnalité de l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 affecte l’ensemble du système de délégation, ce qui implique que la loi doit être annulée intégralement.
A.17.2. Selon le Conseil des ministres, la critique de la partie requérante porte en substance sur le fait que l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 viole le principe de légalité parce que la compétence de protection de la santé, qui appartient au pouvoir législatif, est déléguée aux gouverneurs et aux bourgmestres, alors que le législateur n’a lui-même fixé ni les éléments essentiels des mesures à prendre, ni les éléments de leurs conditions et modalités.
Selon le Conseil des ministres, en ce qui concerne les catégories de mesures de police administrativ e énumérées dans la loi du 14 août 2021, il est établi que les éléments essentiels ont été fixés par le législateur, de sorte qu’il s’agit d’une délégation de compétence autorisée par le pouvoir législatif. Le législateur a établi de manière expresse et précise la liste limitative des mesures qui peuvent être prises et a prévu dans quels cas la compétence pour prendre ces mesures peut être exercée.
A.18.1. Dans la seconde branche du moyen unique dans l’affaire n° 7731, la partie requérante invoque la violation des articles 10, 11, 12 et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 7, première phrase, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La partie requérante estime que les mesures qui peuvent
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être prises n’ont pas de fondement scientifique (article 5, §§ 1er et 2). Les mesures doivent toujours protéger la santé publique, mais, sans base scientifique, il est difficile de l’admettre.
A.18.2. Le Conseil des ministres constate que la seconde branche du moyen unique de la partie requérante repose sur le postulat erroné que les mesures contenues dans la loi du 14 août 2021 qui relèvent des catégories visées seraient des mesures administratives en vigueur et porteraient donc atteinte aux droits de leurs destinataires.
Or, la loi du 14 août 2021 implique uniquement une délégation de compétence en faveur, d’une part, du Roi ou du ministre de l’Intérieur et, d’autre part, en cas de situation d’urgence épidémique, en faveur des bourgmestres et gouverneurs. L’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 ne prévoit en soi aucune mesure de police administrative, il ne fait que fixer les catégories de mesures administratives qui peuvent être prises et qui ne relèvent pas de la formulation de la disposition attaquée. L’article 5 attaqué ne contient donc en soi aucune mesure de police administrative pouvant donner lieu à une atteinte à la liberté individuelle ou au droit d e s’assembler paisiblement.
Affaire n° 7751
A.19. La requête dans l’affaire n° 7751 a été introduite par une personne physique, qui demande l’annulation des articles 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 de la loi du 14 août 2021. La partie requérante habite à Bruxelles et a choisi de ne pas se faire vacciner. De ce fait, cette personne subit les effets préjudiciables des diverses mesures de police administrative qui ont été prises en raison de la pandémie du COVID-19. C’est surtout le fait de devoir montrer le Covid Safe Ticket pour être autorisé à entrer dans un établissement horeca, à assister à des événements culturels et à se rendre dans des centres de fitness et de sport qui est critiqué.
A.20.1. La partie requérante prend un moyen unique de la violation des articles 23, 5°, et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 2 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 12 de la Constitution et avec l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Selon la loi du 14 août 2021, la situation d’urgence épidémique ne peut durer plus de trois mois , mais, selon la partie requérante, cette période est trop longue. Les restrictions apportées aux droits fondamentaux doivent reposer sur des données scientifiques et non sur de simples prévisions de données épidémiques. Une analyse objective de données scientifiques est nécessaire et un rapport d’évaluation, établi par la suit e (article 10 de la loi du 14 août 2021), ne suffit pas; il faut une analyse préalable.
A.20.2. Le Conseil des ministres constate que le moyen unique soulevé par la partie requérante peut être subdivisé en quatre branches, dont les troisième et quatrième ne sont toutefois pas développées par la partie requérante.
La première branche repose sur l’hypothèse que des restrictions peuvent être apportées, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une évaluation concrète. L’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 détermine uniquement les catégories de mesures et ne prévoit pas de mesures concrètes. Une marge d’appréciation est laissée au pouvoir exécutif pour déterminer les mesures les plus appropriées pour réagir à une « situation d’urgence épidémique ». La loi du 14 août 2021 ne détermine pas les mesures à prendre. La loi attaquée tient compte d’une analyse concrète de la situation d’urgence épidémique, si bien que le caractère adéquat et proportionné des mesures de police administrative peut être garanti.
La deuxième branche est fondée sur le constat que la durée de trois mois est trop longue et est injustifiée. Le Conseil des ministres observe à cet égard que les mesures de police administrative qui sont fondées sur la loi du 14 août 2021 n’ont ni nécessairement, ni automatiquement une durée de trois mois. Cette durée de trois mois n’est admissible que lorsque la situation d’urgence épidémique le requiert.
A.20.3. La partie requérante répond qu’en réalité, la loi attaquée n’instaure pas un système d’évaluation préalable, qui permette d’apprécier concrètement l’impact des mesures sur les droits et libertés fondamentaux.
A.20.4. Le Conseil des ministres répète que la loi du 14 août 2021 n’impose en soi aucune mesure de police administrative qui pourrait limiter les droits fondamentaux. Pour cette raison, il n’est pas nécessaire d’instaurer un système d’évaluation préalable dans la loi du 14 août 2021.
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Affaire n° 7752
A.21. Quarante-et-une personnes physiques demandent l’annulation des articles 2, 3, 4, 5, 11 et 12 de la loi du 14 août 2021. Afin de justifier leur intérêt, elles font valoir qu’elles habitent en Belgique, où la loi attaquée du 14 août 2021 permet au Roi de déclarer une « situation d’urgence épidémique » et de prendre un arrêté, délibéré en Conseil des ministres, contenant des « mesures de police administrative » nécessaires pour éviter ou limiter les effets de la situation d’urgence épidémique sur la santé publique. Les mesures qui peuvent être prises impliquen t des limitations importantes de la vie quotidienne des parties requérantes et de leur liberté de choix en matière de développement culturel, en tant que personnes actives dans la société. La situation des parties requérantes peut dès lors être affectée directement et défavorablement par la loi attaquée.
A.22. À l’appui de leur recours en annulation, les parties requérantes invoquent deux moyens.
A.23.1. Le premier moyen est pris de la violation de l’article 23 de la Constitution; lorsqu’une loi diminu e considérablement le niveau de protection des droits économiques, sociaux et culturels, il faut qu’existent des motifs tenant à l’intérêt général. Les parties requérantes démontrent, par article attaqué, ce qui est, à leurs yeux, imprécis , si bien que les dispositions attaquées sont contraires à la notion de bonne réglementation. Elles observent ensuite que le pouvoir exécutif ne peut pas imposer des sanctions pénales. Une délégation est dès lors impossible. Par ailleurs, les mesures de police administrative qui peuvent être imposées correspondent à la « charte de coercition », de sorte que les mesures visent plutôt à briser psychologiquement les êtres humains et à les torturer plutôt qu ’à contribuer à « prévenir ou limiter les effets de la situation d’urgence épidémique sur la santé publique ».
A.23.2. Le Conseil des ministres ne voit pas en quoi les parties requérantes pourraient déduire une violation de l’article 23 de la Constitution d’éventuelles imprécisions que les dispositions attaquées pourraient contenir. Le fait que les parties requérantes ne voient pas clairement ce que pourraient signifier certains termes de la loi du 14 août 2021 n’implique pas une violation du droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
Selon le Conseil des ministres, les parties requérantes soulignent uniquement le fait que la loi attaquée contiendrait des imprécisions, de sorte que la législation ne serait pas conforme. Or, la Cour n’est pas compétente pour contrôler la qualité de la législation en tant que telle.
A.23.3. Les parties requérantes soulignent que tous les recours en annulation de lois impliquent dans un certain sens un contrôle de la qualité de ces lois, « qui, sans cela, serait impossible ».
A.23.4. Le Conseil des ministres répète que le premier moyen est irrecevable.
Quant au fond, il estime que la réponse des parties requérantes se borne à des affirmations générales, qui ne précisent pas en quoi la loi attaquée du 14 août 2021 violerait l’article 23 de la Constitution.
A.24.1. Le deuxième moyen invoqué par les parties requérantes porte sur la violation de l’article 187 de la Constitution. Selon cette disposition, la Constitution ne peut être modifiée, même dans une situation d’urgence (épidémique). Les mesures de police administrative qui peuvent être prises constituent une restriction des droits fondamentaux, alors que rien ne prouve que les mesures peuvent être justifiées par le but poursuivi, qui est d’éviter ou de limiter les conséquences d’une situation d’urgence épidémique. Par ailleurs, auc un pouvoir de décision ne peut être attribué à l’Organisation mondiale de la Santé (ci-après : l’OMS), alors que l’article 2, 3°, d), de la loi du 14 août 2021 dispose que la reconnaissance, par l’OMS, est un facteur déterminant de la définition de la « situation d’urgence épidémique ».
A.24.2. Tout d’abord, le Conseil des ministres fait valoir que l’article 187 de la Constitution n’est pas une norme de contrôle au regard de laquelle la Cour peut exercer un contrôle. La Cour peut en principe contrôler le s articles attaqués de la loi du 14 août 2021 au regard d’autres normes de la Constitution, à condition qu’elles soient invoquées en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Il ne suffit pas d’invoquer simplement une lecture combinée avec ces dispositions.
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Sur le fond, le Conseil des ministres estime que l’interdiction de suspendre la Constitution ne signifie pas que des droits fondamentaux ne peuvent être restreints ou ne sauraient être restreints. Les parties requérantes n’indiquent pas les droits fondamentaux que la loi attaquée suspendrait ni en quoi les restrictions indiquées seraient de nature à constituer une suspension. Par ailleurs, les parties requérantes se contentent d’indiquer que la loi attaquée habilite l’OMS à intervenir dans des matières qui relèvent de la compétence de la nation. Or, on ne voit pas comment une suspension de la Constitution pourrait en découler.
Par ailleurs, les parties requérantes semblent postuler, à tort, que les mesures de police administrative visées à l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi attaquée constitueraient une violation ou une suspension des droits fondamentaux.
Tel n’est cependant pas le cas. En effet, la loi attaquée vise uniquement à déléguer des compétences au Roi, et éventuellement au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux bourgmestres, en cas de situation d’urgence épidémique. L’article 5 attaqué ne prévoit, en soi, aucune mesure de police administrative; il prévoit uniquement des catégories dont doivent relever les mesures prises par les autorités concernées.
A.24.3. Les parties requérantes font valoir que l’application de la loi du 14 août 2021 a donné lieu à une série de mesures englobant toute la gamme de la « charte de coercition », suivie d’une énumération de faits concrets et de mesures regroupés dans un tableau, et de la conclusion qu’une bonne législation devrait dans tous les cas exclure la possibilité de torture, ce qui n’est pas le cas de la loi attaquée.
A.24.4. Le Conseil des ministres répète que le deuxième moyen est irrecevable.
Quant au fond, le Conseil des ministres constate que les parties requérantes se contentent de se référer à la « charte de coercition », sur la base de laquelle elles qualifient certaines mesures de torture. Or, l’on n’ape rçoit toujours pas en quoi certaines mesures qui trouvent leur fondement dans la loi du 14 août 2021 pourraient réellement constituer une torture.
A.25.1. Outre les deux moyens qu’elles ont développés, les parties requérantes demandent à la Cour d ’encore dire pour droit qu’une obligation de vaccination contre le COVID-19 est contraire au droit au libre choix thérapeutique, que les équipements sanitaires collectifs doivent toujours laisser une liberté de choix, que la sensibilisation doit se faire sans contrainte de fait ou sans discrimination et sans donner une image contestable du monde, et que l’obligation de porter des masques buccaux constitue une mesure dont l’efficacité est extrêmemen t contestable et qu’il ne s’agit pas d’un « équipement de protection individuelle ». De surcroît, les masques buccaux dans un espace public sont contraires à l’article 563bis du Code pénal (interdiction de porter la burqa) et leur utilisation dans les écoles et les espaces privés doit être interdite en ce qu’elle constitue une entrave à la liberté d’expression (article 19 de la Constitution).
A.25.2. Le Conseil des ministres constate que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur les « demandes de statuer en droit ». Dans le cadre d’un recours en annulation, la Cour ne peut pas édicter des directives générales concernant les futurs actes des pouvoirs publics. Les examens d’opportunité demandés excèdent la compétence de la Cour.
A.25.3. Les parties requérantes estiment, dans leur mémoire en réponse, que, dans les circonstances exceptionnelles actuelles, il existe effectivement un fondement légal pour déclarer recevables les demandes de dire pour droit.
Affaire n° 7753
A.26.1. Quatre députés demandent l’annulation des articles 3, 4, 5 et 6 de la loi du 14 août 2021. À l’appui de leur intérêt, ils font valoir qu’ils résident en Belgique et sont, en tant que citoyens, directement concernés par les dispositions législatives attaquées , qui limitent ou peuvent limiter leurs droits fondamentaux, ou diminuent du moins les garanties liées à ces droits, et qu’ils peuvent être directement affectés par les incriminations attaquées auxquelles ils peuvent être soumis.
Ils ont en outre, en tant que députés, un intérêt particulier à attaquer des lois qui règlent les rapports entre le Parlement et d’autres autorités et dont l’application peut limiter la liberté de mouvement et la liberté de réunion des députés.
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A.26.2. Le Conseil des ministres constate que le recours en annulation est uniquement dirigé contre l’article 3, § 1er et § 2, alinéa 2, contre l’article 4, contre l’article 5, §§ 1er et 2, et contre l’article 6, § 1er, de la loi du 14 août 2021. La constitutionnalité des autres dispositions n’est pas contestée.
A.27.1. Les parties requérantes invoquent huit moyens, qui sont, dans certains cas, subdivisés en plusieurs branches.
A.27.2. Dans leur mémoire en réponse, les parties requérantes relèvent que le Conseil des ministres ne répond absolument pas à certains moyens ou branches de moyens, ou qu’il formule une réponse fondée sur une lecture erronée – consciente ou inconsciente – des moyens ou branches de moyens. « Le Conseil des ministres sait évidemment qu’il a le dernier mot dans la procédure écrite et il y a donc de fortes chances qu’il mène pour la première fois une défense concernant les moyens des requérants dans le mémoire en réplique , de sorte que ceux-
ci n’auront plus l’occasion de répondre, du moins par écrit. Les requérants demandent à la Cour de ne pas tenir compte des moyens de défense que le Conseil des ministres formulera pour la première fois dans son mémoire en réplique, alors que ceux-ci auraient parfaitement pu être formulés dans le premier mémoire ».
A.28.1. Dans un premier moyen, qui est dirigé contre l’article 3, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26
de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 23, 36, 74, 105, 108 et 187 de la Constitution, avec le principe de la sécurité juridique et le principe de proportionnalité, ainsi qu’avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que des restrictions aux droits fondamentaux p euvent uniquement être établies par une loi, et que la condition de la « loi » exige en tout cas au moins le libre assentiment de la Chambre des représentants. Le premier moyen est subdivisé en quatre branches.
Dans la première branche, les parties requérantes invoquent la violation des articles 12, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33, 36, 74, 105 et 108 de la Constitution, en ce que l’article 3 de la loi du 14 août 2021 délègue au Roi la compétence de déclarer la situation d’urgence et dispose que cet arrêté vaut pour quinze jours, même sans validation législative. Le Roi est donc habilité à suspendre des lois formelles et des normes constitutionnelles ou à dispenser de leur exécution et même à limiter des droits fondamentaux ou à en écarter l’application, alors que, selon la Constitution, cette délégation ne peut être accordée que par une loi.
Dans une deuxième branche, les parties requérantes dénoncent la violation des articles 12, 14, 15, 16, 19, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33, 36, 74, 105 et 108 de Constitution et avec le principe de la sécurité juridique, en ce que, concernant l’application de l’article 3, § 2, de la loi du 14 août 2021, le pouvoir exécutif a considéré que, lorsque le Roi a déclaré la situation d’urgence épidémique sur la base d’une analyse des risques, l’arrêté royal doit être confirmé par la Chambre des représentants et que la Chambre n’a pas la liberté de refuser cette validation. En outre, l’article 3 de la loi du 14 août 2021
n’exige pas que le Roi décide Lui-même si cette situation d’urgence épidémique existe, de sorte que ce sont les experts qui décideront si les droits fondamentaux seront applicables ou non. Les « experts » sont « l’organe chargé de l’appréciation et [de] l’évaluation des risques dans le cadre d’une phase fédérale visée à l’article 3, § 4 », mais il n’est pas précisé quel organe doit procéder à l’analyse des risques.
Dans une troisième branche du premier moyen, les parties requérantes invoquent la violation de l’article 13
de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 10 et 11 de la Constitution et avec le principe de l’État de droit, en ce que l’article 3, § 2, alinéa 2, de la loi du 14 août 2021 revient à écarter le contrôle du Conseil d’État. La loi de validation peut être contrôlée par la Cour, mais les normes de contrôle sont limitées. La Cour ne peut pas contrôler si la décision de déclarer la situation d’urgence épidémique s’inscrit dans le cadre de la loi du 14 août 2021, si bien qu’il n’y a pas de protection juridique effective.
La quatrième branche du premier moyen porte sur la violation des articles 11, 12, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique, avec le principe de proportionnalité et avec les articles 33, 36, 74, 105 et 108 de la Constitution, en ce que la limitation de la délégation et de l’habilitation au Roi aux « situations d’urgence épidémique » n’offre pas de garantie sérieuse, dès lors que la définition de « situation d’urgence épidémique » est extrêmement large et inadéquate. La loi du 14 août 2021 n’oblige pas le Gouvernement à procéder à sa propre évaluation, de sorte qu’en ce qui concerne la situation d’urgence épidémique, la décision est prise par un organe mystérieux et obscur, sans aucune légitimit é démocratique ni existence constitutionnelle.
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A.28.2. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, le Conseil des ministres observe que cette branche est uniquement dirigée contre l’article 3, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 et que, dans cette disposition attaquée, seule la déclaration de la situation d’urgence épidémique est déléguée au Roi. En aucun cas la décision de prendre certaines mesures n’est déléguée au Roi ou au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs ou aux bourgmestres. L’on n’aperçoit dès lors pas en quoi la délégation pourrait , en soi, violer les normes de contrôle invoquées.
En ce qui concerne la deuxième branche du premier moyen, le Conseil des ministres estime que l’article 3, §§ 1er et 2, attaqué, de la loi du 14 août 2021 ne contient aucune obligation de valider l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique. L’article 3, § 2, alinéa 3, prévoit expressément qu’« à défaut de confirmation dans le délai visé à l’alinéa 2, l’arrêté royal concerné cesse de sortir ses effets ». Le Conseil des ministres ne comprend pas comment il pourrait être déduit de l’article 3, §§ 1er et 2, que le Parlement pourrait, de facto, être mis hors-jeu. L’existence d’une analyse des risques préalable ne signifie pas que le Roi ne dispose plus d’aucun pouvoir d’appréciation ni que la décision d’établir la situation d’urgence épidémique est simplemen t déléguée à l’instance qui procède à cette analyse. La seule circonstance qu’un gouvernement doit recueillir certains avis n’exclut en rien le pouvoir d’appréciation du gouvernement.
En ce qui concerne la troisième branche du premier moyen, le Conseil des ministres fait valoir que la loi attaquée respecte le droit à une protection juridique effective. Il est possible, tant avant qu’après la confirmation , d’introduire un recours contre l’arrêté devant une juridiction impartiale et indépendante. La confirmation est conçue comme un contrôle que le pouvoir législatif exerce lui-même afin de vérifier s’il est question d’« une situation d’urgence épidémique ». La confirmation par le législateur ne prive pas les justiciables potentiels du droit d’introduire un recours contre l’arrêté royal confirmé.
En ce qui concerne la quatrième branche du premier moyen, le Conseil des ministres observe qu’en Belgique, aucune situation d’urgence épidémique ne peut être déclarée si la Belgique n’est pas elle-même touchée par une épidémie. Le législateur a lui-même indiqué que la reconnaissance par l’OMS ou par l’Union européenne peut être un élément supplémentaire, mais ce qui se passe à l’étranger n’a pas toujours un impact en Belgique.
A.28.3. Les parties requérantes constatent que le Conseil des ministres isole entièrement l’article 3, attaqué, de la loi du 14 août 2021 des articles qui suivent. La portée de l’article 3 ne peut toutefois être comprise sans que soient inclus les autres articles de la loi du 14 août 2021. La compétence que l’article 3 de la loi attaquée confère au Roi Lui confère aussi automatiquement celle de prendre des mesures de police administrative et donc de suspendre des droits fondamentaux ou de porter atteinte à des droits fondamentaux.
En ce qui concerne la deuxième branche, les parties requérantes observent que, pour des raisons de sécurité juridique, il convient d’admettre que le Parlement est libre de confirmer ou non. Tant le Roi que le Parlemen t peuvent ne pas tenir compte des conclusions de la cellule d’évaluation.
En ce qui concerne la troisième branche, les parties requérantes répètent qu’il n’est pas satisfait aux exigences d’une protection juridique effective. Par ailleurs, il n’existe aucune procédure qui puisse constituer un remède à très court terme.
En ce qui concerne la quatrième branche, les parties requérantes demandent de confirmer que, pour des raisons de sécurité juridique, seule l’interprétation du Conseil des ministres est conforme à la Constitution.
A.28.4. En ce qui concerne la première branche du premier moyen, le Conseil des ministres relève que la simple circonstance que, par suite de l’article 3 de la loi du 14 août 2021, les articles 4 et suivants de cette loi entrent en vigueur n’enlève rien au constat que la première branche est uniquement dirigée contre l’article 3, de sorte que l’on n’aperçoit pas en quoi la délégation du simple fait de déclarer la situation d’urgence épidémique pourrait en soi violer les normes de contrôle invoquées par les parties requérantes.
En ce qui concerne la deuxième branche, le Conseil des ministres confirme que le Parlement n’est nullemen t tenu d’agir d’une manière ou d’une autre; aucune disposition de la loi du 14 août 2021 ne suggère le contraire. Par contre, le Parlement peut ne pas valider l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique.
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En ce qui concerne la troisième branche, le Conseil des ministres souligne qu’un arrêté royal validé par une loi bénéficie de la même protection juridique qu’une loi ordinaire. Dans l’interprétation des parties requérantes, qui sont elles-mêmes des parlementaires, la protection juridique à l’égard de chaque loi serait dès lors insuffisamment garantie. Toutefois, la Cour a déjà jugé que lorsqu’un acte réglementaire est consolidé par une loi, la simple possibilité dont dispose le requérant d’introduire un recours auprès de la Cour suffit pour garantir le droit à un recours effectif.
En ce qui concerne la quatrième branche, le Conseil des ministres estime que le texte de l’article 2, 3°, d), est clair, de sorte qu’il ne doit pas être explicité.
A.29.1. Le deuxième moyen invoqué par les parties requérantes porte sur la violation , par les articles 3, 4, §§ 1er, 2 et 3, et 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021, des articles 11, 12, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 108 et 187 de la Constitution, parce que la Constitution contient une interdiction générale de mesures préventives et qu’une situation d’urgence ou un état d’urgence n’y change rien.
Le deuxième moyen repose sur le constat que l’article 187 de la Constitution est violé non seulement lorsqu’il y a suspension explicite formelle de droits fondamentaux, mais aussi lorsqu’il y a suspension de facto par l’imposition de mesures préventives générales. Du fait du caractère général et extrême de la loi du 14 août 2021, les droits fondamentaux ne sont pas restreints par la loi, ils sont suspendus. Par conséquent, les parties requérantes estiment que les droits fondamentaux n’existent que de manière conditionnelle, c’est-à-dire lorsque certaines conditions sont remplies . La situation normale ou la règle n’est plus la liberté, mais bien l’interdiction. L’absence de contrôle apporte également la preuve de la suspension de droits fondamentaux. La déclaration de la situation d’urgence épidémique et les mesures de police administrative s’appliquent durant quinze jours et sont immédiatement exécutoires. Après leur confirmation, elles sont applicables pour une période encore plus longue.
A.29.2. Tout d’abord, le Conseil des ministres relève que la Cour n’est pas compétente pour exercer un contrôle au regard de l’article 187 de la Constitution. Un contrôle peut être exercé au regard de l’article 187 de la Constitution si et seulement si une violation du principe d’égalité est invoquée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
À supposer qu’un contrôle soit néanmoins possible, le Conseil des ministres estime que l’interdiction de suspension s’oppose uniquement à une suspension formelle ou de fait et qu’elle ne signifie pas que des droits fondamentaux ne peuvent pas faire l’objet de restrictions. Dans le cas d’une restriction d’un droit fondamental, ce droit fondamental reste pleinement applicable, mais une mesure est prise qui limite dans un certain sens ce droit fondamental d’une manière compatible avec ce droit fondamental. En résumé, des droits fondamentaux peuvent être restreints dans la mesure où ces droits le permettent et pour autant que le contrôle juridictionnel soit maintenu.
Une restriction ne peut aller jusqu’à porter une atteinte substantielle à ce droit.
Le Conseil des ministres fait valoir que les mesures de police administrative visées à l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 ne sauraient constituer une suspension des droits des destinataires de ces mesures. La loi du 14 août 2021 vise seulement une délégation de compétences au Roi et, le cas échéant, a u ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux bourgmestres, pour autant qu’il soit question d’une situation d’urgence épidémique.
L’article 5, §§ 1er et 2, détermine uniquement les catégories dont doivent relever les mesures prises par les autorités concernées. Les seuls destinataires de l’article 5 de la loi du 14 août 2021 sont dès lors le Roi, le ministre de l’Intérieur, les gouverneurs et les bourgmestres.
Étant donné que les griefs invoqués par les parties requérantes ne découlent pas de l’article 5 attaqué mais des mesures de police administrative qui doivent encore être fixées, la Cour n’est pas compétente pour en connaître.
Ces mesures peuvent faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État ou devant les cours et tribunaux ordinaires.
A.29.3. Les parties requérantes répètent que la loi attaquée prive les citoyens de garanties constitutionnelles cruciales pour la protection de ces droits fondamentaux. Il s’agit d’atteintes qui découlent déjà de la disposition attaquée proprement dite, et non pas, ou pas seulement, des mesures qui peuvent par la suite être prises concrètement sur la base de cette disposition.
A.29.4. Le Conseil des ministres rappelle tout d’abord que la Cour n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct au regard de l’article 187 de la Constitution.
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Quant au fond, le Conseil des ministres estime que sa lecture du moyen des parties requérantes n’est pas erronée. Le deuxième moyen repose lui-même sur la prémisse incorrecte selon laquelle les catégories de mesures visées à l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 sont des mesures de police administrative applicables susceptibles de constituer une violation ou une suspension des droits des destinataires de ces mesures. Or, selon le Conseil des ministres, tel n’est nullement le cas , puisque la loi du 14 août 2021 ne vise à une délégation de compétences que pour autant qu’il soit question d’une situation d’urgence épidémique.
Par ailleurs, il n’existe aucune contradiction entre, d’une part, le fait de déclarer que la loi du 14 août 2021
contient tous les éléments essentiels à la lumière du principe de légalité qui s’applique en cas de délégation au pouvoir exécutif et, d’autre part, le fait que les mesures proprement dites ne sont pas prises dans la loi du 14 août 2021, mais bien sur la base de cette loi, par le pouvoir exécutif. Telle est l’essence d’une délégation par le législateur.
A.30. Le troisième moyen soulevé par les parties requérantes est pris de la violation, par les articles 4, §§ 1er et 2, et 5, §§ 1er et 2, lus en combinaison avec l’article 3, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 12, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de proportionnalité, en ce que le législateur doit lui-même fixer tous les éléments essentiels de la limitation des droits fondamentaux, et ce en des termes précis, clairs et prévisibles, et doit lui-même fixer les limites de la proportionnalité et donc procéder à un contrôle de proportionnalité, ce qu’il n’a pas fait. Le troisième moyen est subdivisé en trois branches.
A.31.1. La première branche du troisième moyen porte sur la violation du principe de légalité matérielle et formelle. Selon les parties requérantes, l’article 5, §§ 1er et 2, attaqué, de la loi du 14 août 2021 n’est pas suffisamment précis, clair et prévisible. Tant le Roi que le ministre de l’Intérieur, le gouverneur et le bourgmestre peuvent modifier et/ou durcir des règles, ce qui peut donner naissance à tout un ensemble de règles disparates. Les mesures qui peuvent être prises sont formulées de manière bien trop vague et aucune restriction n’est prévue.
A.31.2. Le Conseil des ministres relève que le principe de légalité n’est pas violé. L’article 5 contient une liste limitée et limitative de mesures ou de catégories de mesures qui sont définies de manière suffisamment précise et claire. Par ailleurs, il est également déterminé et défini de manière suffisamment claire et précise dans quels cas de telles mesures peuvent être prises, en l’occurrence dans le cadre d’une situation d’urgence épidémique.
A.31.3. Les parties requérantes observent que la confirmation de la déclaration de la situation d’urgence épidémique ne peut pas remplacer la confirmation des mesures prises par la suite par le po uvoir exécutif.
L’appréciation du Parlement n’implique pas d’appréciation des mesures concrètes qui peuvent être prises en exécution de celles-ci et certainement pas du caractère adéquat, nécessaire et proportionné de ces mesures concrètes, qui peuvent en outre continuellement changer dans le cadre de la mise en œuvre de la délégation de compétence prévue par la loi.
Les parties requérantes estiment ensuite que l’exposé du Conseil des ministres démontre qu’il n’a absolument pas compris la fonction du principe de légalité en ce qui concerne les droits fondamentaux, à savoir limiter la compétence déléguée et veiller à ce que le contenu des mesures soit déterminé en grande partie par le Parlemen t lui-même, pour protéger ainsi les droits fondamentaux de toute limitation excessive qui serait imposée par le pouvoir exécutif.
A.31.4. Le Conseil des ministres répète que l’habilitation du pouvoir exécutif est suffisamment précise et que les éléments essentiels ont été préalablement fixés par le législateur dans la loi du 14 août 2021.
A.32.1. La deuxième branche du troisième moyen est fondée sur la violation du principe de proportionnalité.
Selon les parties requérantes, le contrôle de proportionnalité a été délégué tel un chèque en blanc au pouvoir exécutif, car l’article 4, § 3, prévoit que les mesures doivent être « nécessaires, adéquates et proportionnelles [lire :
proportionnées] à l’objectif poursuivi », ce qui constitue toutefois une déclaration rhétorique sans la moins garantie, alors que des garanties concrètes sont nécessaires.
A.32.2. Le Conseil des ministres estime que le législateur a respecté le principe de proportionnalité, étant donné que, dans la délégation, il n’est pas nécessaire de prévoir concrètement dans quels cas les mesures sont proportionnées ou non. Plusieurs éléments font apparaître que le principe de proportionnalité a été respecté.
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A.32.3. Selon les parties requérantes, la réplique à la deuxième branche repose à nouveau sur une lecture erronée de la part du Conseil des ministres. Il s’agit de savoir si la loi offre au citoyen les garanties requises par la Constitution selon lesquelles les règlements pouvant être pris sur la base de cette loi respecteront concrètement le principe de proportionnalité. Ces garanties requises par la Constitution font défaut.
A.32.4. Le Conseil des ministres répète que le législateur a respecté le principe de proportionnalité. Par ailleurs, les parties requérantes attribuent une portée erronée à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 15 mars 2022 en cause de CGAS c. Suisse (ECLI:CE:ECHR:2022:03155JUD002188120).
A.33.1. Dans une troisième branche du troisième moyen, les parties requérantes dénoncent la violation du principe de proportionnalité par les articles 4, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021. Il convient tout d’abord de constater que les gouverneurs et les bourgmestres peuvent uniquement prendre des mesures plus strictes, mais pas des mesures moins strictes. En outre, le Roi et le ministre de l’Intérieur peuvent uniquement prendre des mesures pour l’ensemble du territoire. L’absence d’une interdiction de prendre des mesures fédérales qui ne sont pas nécessaires dans toutes les communes, combinée à l’interdiction, pour le gouverneur et le bourgmestre, de prendre des mesures moins sévères au niveau local, aboutit à une situation où, à tout le moins dans certaines communes, des mesures de police administrative seront applicables alors qu’elles ne sont pas nécessaires et qu’elles sont donc contraires au principe de proportionnalité.
A.33.2. Le Conseil des ministres répète que la délégation porte uniquement sur la compétence de prendre des mesures de police administrative. Le pouvoir exécutif qui souhaite faire usage de cette habilitation devra examiner concrètement pour chaque mesure s’il est satisfait au principe de proportionnalité. En outre, du fait de la loi du 14 août 2021, il n’est pas exclu que l’autorité fédérale prenne, si nécessaire, des mesures de police administrative pour un territoire limité. Il se peut qu’il soit nécessaire de prendre des mesures plus strictes au niveau local; en revanche, il ne peut être admis que les autorités locales suspendent les règles fédérales sur leur propre territoire. Il n’est pas exclu qu’une distinction soit faite entre les diverses communes et provinces et c’est précisément dans ce but que l’article 4, § 2, de la loi du 14 août 2021 prévoit que les bourgmestres et gouverneurs peuvent prendre des mesures plus strictes lorsque les circonstances locales l’exigent.
A.33.3. Les parties requérantes demandent à la Cour de déclarer expressément que les dispositions attaquées doivent recevoir une interprétation conforme à la Constitution.
A.33.4. Le Conseil des ministres souligne qu’il convient d’admettre que, lorsqu’un législateur accorde une délégation, il entend habiliter le délégué à exercer sa compétence en conformité avec le principe d’égalité.
A.34.1. Le quatrième moyen des parties requérantes porte sur l’article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021. L’article 4, § 1er, alinéa 3, attaqué, viole les articles 10, 11, 12, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26
de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 37 de la Constitution. Par application de l’article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021, le ministre de l’Intérieur est habilité à apporter des restrictions considérables à la liberté, qui sont de surcroît passibles de sanctions pénales. Cette disposition est dès lors contraire aux articles 33, 37, 105 et 108 de la Constitution, étant donné qu’il est impossible de ne conférer des pouvoirs qu’à un seul ministre. Dans son avis, la section de législation du Conseil d’État a jugé qu’une délégation de pouvoirs à un ministre n’est possible que lorsqu’il s’agit de régler des matières accessoires, des mesures d’intérêt subsidiaire et des détails.
A.34.2. Le Conseil des ministres observe tout d’abord que la Cour n’est pas compétente pour exercer un contrôle au regard des articles 33 et 37 de la Constitution. Par contre, elle peut exercer un contrôle au regard des articles 33 et 37 de la Constitution pour autant qu’il soit effectivement invoqué une violation du principe d’égalité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Dans la mesure où la Cour estimerait qu’un contrôle au regard des articles 33 et 37 de la Constitution peut être effectué par le biais du principe d’égalité, le Conseil des ministres estime qu’il n’y a pas violation. Un transfert légal de compétences à un ministre est conforme au principe de légalité formelle si les éléments essentiels ont été déterminés par le pouvoir législatif lui-même. Par ailleurs, l’article 33 de la Constitution n’est pas pertinent en l’espèce. Les pouvoirs ou compétences attribués par la Constitution ne peuvent être délégués à un autre organe de l’État, de sorte que le Roi ne peut en principe pas transférer Son pouvoir à un ministre. Contrairement à ce que prétendent les parties requérantes, cette disposition constitutionnelle ne porte pas sur les délégations du législateur fédéral au ministre. Il découle des mots « mesures qui ne peuvent souffrir aucun retard » que le ministre n’est compétent pour prendre des mesures qu’en cas d’extrême urgence. Tel n’est le cas que si des raisons objectives « en cas de péril imminent » le justifient. Selon le Conseil des ministres, l’article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du
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14 août 2021 satisfait à l’exception selon laquelle le législateur ne peut déléguer la compétence à un ministre que si des motifs objectifs exigent une intervention urgente.
A.34.3. Selon les parties requérantes, la Cour est compétente pour inclure les articles 33 et 37 de la Constitution dans son contrôle. En effet, il s’agit en l’espèce d’une disposition qui permet de limiter les droits fondamentaux contenus dans le titre II de la Constitution, ce qui est contraire aux articles 33 et 37 de la Constitution.
Ensuite, les parties requérantes constatent que le Conseil des ministres confirme que, dans cette matière, une délégation à un ministre n’est autorisée que pour les « mesures d’ordre secondaire ». Or, le Conseil des ministres s’abstient d’affirmer que la compétence que la loi du 14 août 2021 délègue au ministre se limite à des « mesures d’ordre secondaire ».
A.34.4. Le Conseil des ministres répète que la Cour n’est pas compétente pour exercer un contrôle au regard des articles 33 et 37 de la Constitution, de sorte que le quatrième moyen doit être rejeté pour cause d’irrecevabilité.
Quant au fond, le Conseil des ministres estime que les mesures qui peuvent être prises par le ministre de l’Intérieur ne sont que des mesures provisoires qui sont applicables pour la période qui précède les mesures de police administrative, telles qu’elles sont prises par le Roi dans le cadre d’un arrêté royal.
A.35.1. Le cinquième moyen des parties requérantes porte sur l’article 4, § 4, de la loi du 14 août 2021 et est pris de la violation des articles 10, 11, 12, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24, 26 et 32 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif que les données scientifiques doivent être communiquées au public dans les meilleurs délais (à tout le moins l’avis du ministre de la Santé publique et l’analyse des risques), alors que les avis sur la base desquels les arrêtés royaux visés à l’article 4, § 1er, peuvent être pris ne sont pas publics. Il est uniquement question d’une communication au président de la Chambre des représentants. Or, ces arrêtés royaux peuvent contenir des restrictions de droits fondamentaux dont le Roi doit contrôler le caractère nécessaire, adéquat et proport ionné. C’est donc de ces avis que les citoyens doivent disposer pour pouvoir défendre leurs droits. Les mesures qui peuvent être prises par arrêté ministériel, par le bourgmestre ou par le gouverneur ne requièrent pas un avis ni, par conséquent, une publication.
Ces restrictions de la publication entravent le droit d’accès au juge.
A.35.2. Le Conseil des ministres observe tout d’abord que le moyen est partiellement irrecevable, dans la mesure où il n’y est pas exposé en quoi les articles 10, 11, 12, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26 de la Constitution seraient violés.
Quant au fond, le Conseil des ministres dit que le régime institué par l’article 4, § 4, de la loi du 14 août 2021
ne viole pas le droit des citoyens d’avoir accès à un juge. La disposition attaquée ne limite nullement l’applicabilit é de la législation sur la publicité de l’administration, étant donné que chaque individu dispose encore du droit de demander ces avis par application de la législation sur la publicité d e l’administration, et qu’en cas de refus, les procédures usuelles sont ouvertes. Par ailleurs, il n’existe pas d’obligation générale de publier les données scientifiques qui constituent la base d’une réglementation déterminée. Le constat que l’article 4, § 4, ne prévoit pas l’émission d’un avis en ce qui concerne les mesures qui seront prises par arrêté ministériel ou par un gouverneur ou un bourgmestre et qu’un tel avis ne sera de surcroît pas rendu public ne viole pas davantage l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les parties requérantes ne démontrent pas en quoi l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme imposerait une obligation de recueillir des avis avant que le ministre ou le bourgmestre ou le gouverneur puisse prendre des mesures. Le Conseil des ministres constate en outre que plusieurs avis et rapports de réunions d’organes consultatifs sont de facto publics et peuvent être aisément consultés par le public via le site internet info-coronavirus.be.
Enfin, Le Conseil des ministres estime que l’article 4, § 4, n’est en aucun cas contraire au principe d’égalité.
Tout d’abord, les parties requérantes n’exposent pas quelles catégories de personnes doivent être comparées. Le Conseil des ministres ne comprend pas en quoi il serait possible d’établir une distinction entre « des personnes qui sont concernées par les mesures adoptées par arrêté royal » et « les personnes qui sont concernées par des mesures adoptées par arrêté ministériel ». Tant les mesures de police administrative prises par arrêté royal que les mesures de police administrative prises par arrêté ministériel sont destinées à la généralité des citoyens et elles concernent les mêmes catégories de mesures et de personnes visées à l’article 5.
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A.35.3. Les parties requérantes demandent à la Cour de donner aux dispositions attaquées une interprétation conforme à la Constitution, de sorte que les avis, pour autant qu’ils existent, soient soumis à la législation sur la publicité de l’administration.
A.35.4. Le Conseil des ministres observe que le droit des citoyens de demander des avis dans le cadre de la législation sur la publicité de l’administration ne signifie nullement que la Cour doive le confirmer expressément.
En effet, il s’agit d’une simple application de la législation existante et le régime de l’article 4, § 4, de la loi du 14 août 2021 ne vise pas à y déroger.
A.36.1. Dans un sixième moyen, les parties requérantes invoquent la violation, par l’article 6 junctis les articles 4 et 5 de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 12 et 14 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 190 de la Constitution, au motif que le principe de légalité en matière pénale exige que le législateur détermine, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont punissables, de sorte que celui qui adopte un comporte ment puisse préalablement évaluer correctement les conséquences pénales de ce comportement et de sorte qu’il ne soit pas laissé au juge une liberté d’appréciation trop importante. En outre, l’article 190 de la Constitution impliqu e que des mesures ne peuvent être obligatoires que si elles ont été dûment publiées dans la forme légale. Les parties requérantes subdivisent le sixième moyen en deux branches.
La première porte sur la violation du principe de légalité, lu en combinaison avec l’article 190 de la Constitution. L’article 6, attaqué, de la loi du 14 août 2021 ne détermine ni le contenu des infractions, ni la sanction prévue pour chacune des infractions, mais délègue au Roi, au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux bourgmestres la compétence de les déterminer eux-mêmes, pour autant que les peines n’excèdent pas l’énumération de l’article 6.
Dans la seconde branche, les parties requérantes invoquent la violation du principe de proportionnalité et d’égalité. L’article 6, attaqué, de la loi du 14 août 2021 ne répartit pas les catégories en fonction de l’importance des infractions. Toutes les mesures prises par arrêté royal, par arrêté ministériel ou par décision d’un gouverneur ou d’un bourgmestre, qui sont obligatoires pour les citoyens, peuvent être sanctionnées de la même manière par des peines, allant d’une amende d’un euro à une peine d’emprisonnement de trois mois, même si la gravité des infractions qui peuvent être commises varie considérablement. Le contrôle de proportionnalité doit toutefois être opéré dans la loi proprement dite.
A.36.2. En ce qui concerne la première branche du sixième moyen, le Conseil des ministres dit que, selon la jurisprudence constante de la Cour, le principe de légalité en matière pénale n’exige pas que le législateur règle lui-même chaque aspect de la peine, des poursuites et de l’incrimination. L’habilitation à imposer des mesures de police administrative et à prévoir des sanctions en cas de non-respect de celles-ci est définie de manière suffisamment précise et les éléments essentiels ont été fixés par le législateur. Ainsi, l’article 6, § 1er, alinéa 1er, définit les comportements qui constituent une infraction, à savoir le non -respect des mesures prises en vertu des articles 4 et 5. En outre, l’article 6 permet suffisamment de rattacher les peines énumérées à des faits punissables qui sont précisés. Les éléments essentiels de l’incrimination et des sanctions sont : (1) le but poursuivi par l’habilitation, (2) les comportements incriminés, (3) les peines minimales et maximales qui peuvent être appliquées.
En ce qui concerne la seconde branche du sixième moyen, le Conseil des ministres estime que différentes sanctions ont été expressément prévues pour que le juge puisse infliger une peine adéquate selon la gravité de la situation. Cela ne signifie toutefois pas que le juge peut infliger ces peines pour chaque infraction. Au cours des travaux préparatoires, il a été expressément souligné que ces peines doivent être proportionnées à la nature de l’infraction, à la gravité ou à la phase de la situation d’urgence épidémique et à l’importance de la mesure qui n’a pas été respectée. L’arsenal de sanctions différencié tend à éviter une violation du principe d’égalité. Par ailleurs , il convient de constater que le tribunal de police est compétent, de sorte que le non-respect des mesures de police administrative constitue une « contravention », si bien que ces infractions sont passibles d’une peine de police.
A.36.3. En ce qui concerne la première branche, les parties requérantes répètent que l’article 6 ne contient manifestement pas les éléments essentiels de la définition de l’infraction.
En ce qui concerne la seconde branche, les parties requérantes estiment que le Conseil des ministres confir me que le juge de police individuel est compétent pour chacune des infractions, peut infliger chacune des peines et peut lui-même décider du caractère proportionné. C’est précisément contre ce genre d’arbitraire que les parties requérantes souhaitent agir.
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A.36.4. En ce qui concerne la première branche, le Conseil des ministres estime que les parties requérantes ne parviennent pas à démontrer que la définition des peines est infiniment étendue et indéterminée, étant donné que les peines minimales et maximales qui peuvent être appliquées sont fixées.
En ce qui concerne la deuxième branche, le Conseil des ministres constate qu’il est fréquent que le juge de police ait le choix entre une série de peines lorsqu’il doit déterminer le taux de la peine adéquat pour un comportement punissable. Dès lors que diverses sanctions sont prévues, le juge de police peut infliger une peine adéquate en fonction de la gravité de la situation, ce qui implique qu’il n’est nullement question d’arbitraire.
A.37.1. Le septième moyen porte sur les articles 3, 4, 5 et 6, § 1er, de la loi du 14 août 2021 et est pris de la violation de l’article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 13
de la Constitution et avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon les parties requérantes, la nécessité d’une protection juridique s’est intensifiée à très court terme, mais les voies de recours ordinaires (juge civil, Conseil d’État, Cour constitutionnelle) sont restreintes proportionnellement aux types de mesures de police administrative qui peuvent être imposées. Il n’y a pas d’accès adéquat au juge qui soit proportionné à la nécessité d’une protection juridique contre la possibilité que des mesures excessives soient prises.
A.37.2. Le Conseil des ministres observe tout d’abord que les parties requérantes ne démontrent pas pourquoi les « voies de recours ordinaires » ne suffiraient pas. En tout état de cause, la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme confirme que le droit d’accès au juge peut être soumis à des restrictions .
De surcroît, le droit à un procès équitable ne s’oppose pas à une décision par laquelle un recours est déclaré irrecevable sur la base de l’application de dispositions législatives nationales qui fixent les conditions de recevabilité d’un recours devant la juridiction concernée, à condition que cette décision soit impartiale et indépendante.
A.37.3. Selon les parties requérantes, le Conseil des ministres oublie que, pour apprécier l’atteinte au droit à une protection juridique effective, il ne s’agit pas de savoir quelle protection juridique s’applique en théorie, mais bien de savoir quelle protection juridique est possible, en fait et concrètement, dans le contexte tout à fait particulier des nombreuses mesures en constante évolution qui sont imposées au citoyen.
A.37.4. Le Conseil des ministres répète que la loi du 14 août 2021 garantit le droit d’accès au juge.
A.38.1. Dans un dernier moyen, les parties requérantes invoquent la violation, par l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021, de l’article 24 de la Constitution, lu en combinaison avec la règle répartitrice de compétences de l’article 127 de la Constitution. Conformément à l’article 5, §§ 1er et 2 de la loi du 14 août 2021, il est possible de prendre des mesures de police adminis trative qui font obstacle à la mise en œuvre de la liberté d’enseignement et qui limitent l’accès aux établissements d’enseignement et aux activités culturelles. Cette compétence excède toutefois celle du législateur fédéral.
A.38.2. Tout d’abord, le Conseil des ministres observe que l’autorité fédérale dispose, dans le cadre de la lutte contre une situation d’urgence épidémique, de plusieurs compétences fédérales. Les communautés et les régions ont elles aussi plusieurs compétences dans ce cadre. La section de législation du Conseil d’État a expressément confirmé que l’autorité fédérale peut, dans le contexte de la lutte contre la situation d’urgence épidémique, prendre des mesures qui ont une incidence significative dans les domaines politiques qui relèvent des autres autorités.
A.38.3. Les parties requérantes constatent que le Conseil des ministres ne répond pas à la critique portant sur l’incidence des mesures de police administrative sur les compétences exclusives des communautés en matière d’enseignement.
A.38.4. Selon le Conseil des ministres, les parties requérantes ne démontrent pas que l’autorité fédérale pourrait, sur la base de l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021, interdire totalement la pratique des activités d’enseignement et des activités sportives et culturelles, en violation des compétences exclusives des communautés.
Par ailleurs, le Conseil d’État a expressément confirmé que l’autorité fédérale peut, en vue de lutter contre la situation d’urgence épidémique, prendre des mesures qui ont une incidence significative dans les domaines politiques qui relèvent des autres autorités.
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Affaire n° 7757
A.39.1. Deux associations sans but lucratif et une personne physique demandent l’annulation des articles 2, 3, 4, 5 et 6 de la loi du 14 août 2021.
À l’appui de l’intérêt de l’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique » (ci-après :
ASBL « GRAPPE »), l’ASBL mentionne ses statuts et soumet la décision du conseil d’administration d’introduire le recours en annulation. En ce qui concerne l’ASBL « Notre Bon Droit », les statuts sont également cités, de même que la décision du conseil d’administration d’introduire un recours en annulation.
À l’appui de son intérêt en tant que personne physique, la partie requérante cite l’arrêt de la Cour n° 10/2022 du 20 janvier 2022 (ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.010) relatif à la suspension de l’accord de coopération du 14 juillet 2021.
Elle se réfère ensuite aux effets potentiels de l’exécution de l’article 5 attaqué de la loi du 14 août 2021, dont il peut être déduit que la mise en œuvre de la loi du 14 août 2021 affectera directement et défavorablement la partie requérante.
A.39.2. Le Conseil des ministres estime que la première partie requérante, l’ASBL « GRAPPE », n’a pas intérêt au recours en annulation qu’elle a introduit. Selon ses statuts, elle entend promouvoir une politique écologique orientée vers la protection de l’environnement et un mode de vie non axé sur une croissance économique infinie ainsi que sensibiliser la population à ce sujet. Selon le Conseil des ministres, ce but statutaire est étranger à la loi du 14 août 2021.
A.39.3. L’ASBL « GRAPPE » estime qu’elle dispose de l’intérêt requis, car, en raison des restrictions du droit de réunion et du droit de travailler, elle ne peut plus atteindre son but.
A.39.4. Le Conseil des ministres répète que, selon lui, l’ASBL « GRAPPE » ne dispose pas de l’intérêt requis.
Le lien qui pourrait exister entre une éventuelle situation d’urgence épidémique e t l’environnement est indirect, en ce que l’éventuelle violation des normes de référence dépend uniquement du comportement même des gens en période de pandémie et non de la pandémie proprement dite.
A.40. Les parties requérantes invoquent cinq moyens.
A.41.1. Dans un premier moyen, les parties requérantes dénoncent la violation des articles 10, 11, 12, 15, 16, 19, 22, 23, 24, 26, 27 et 187 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 14 et 15, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 3 et 4, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’article 9 du Traité sur l’Union européenne, avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec le principe d’égalité et avec le principe de la légalité formelle et matérielle. Selon les parties requérantes, la définition de la « situation d’urgence épidémique » est imprécise, de sorte que le Roi se voit attribuer une compétence excessive et que sont restreints des droits fondamentaux qui ne sont pas délimités de manière précise et prévisible, ce qui laisse une large place à l’interprétation. Le principe de légalité formelle et matérielle est violé. Les manquements graves constatés dans la loi du 14 août 2021 permettent de suspendre le titre II de la Constitution, ce qui est interdit par l’article 187 de la Constitution.
A.41.2. Le Conseil des ministres observe que, par son arrêt n° 5/2021 du 14 janvier 2021
(ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.005), la Cour a jugé qu’une délégation à un autre pouvoir n’est pas contraire au principe de légalité pour autant que l’habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur la mise en œuvre de mesures dont les éléments essentiels ont été déterminés au préalable par le législateur. De surcroît, la compétence de fixer les éléments essentiels peut également être déléguée, sauf en matière de droit pénal.
En ce qui concerne l’éventuelle violation du principe de légalité formelle et matérielle, le Conseil des ministres estime qu’il n’y a pas violation, dès lors qu’il est satisfait à toutes les conditions.
A.41.3. Les parties requérantes répètent que la définition n’est pas claire. Les membres de phrase « tout événement qui entraîne ou qui est susceptible d’entraîner une menace grave suite à la présence d’un agent infectieux chez l’homme », « agent infectieux », « menace grave » « qui touche ou est susceptible de toucher un grand nombre de personnes en Belgique et qui y affecte ou est susceptible d’affecter gravement leur santé » ainsi
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que les deuxième, troisième et quatrième critères sont imprécis et nécessitent des précisions, lesquelles font également défaut dans les travaux préparatoires.
A.41.4. Le Conseil des ministres relève que la notion de « situation d’urgence épidémique » n’est pas définie par la notion de « situation d’urgence sanitaire », mais par la délimitation du champ d’application de la loi du 14 août 2021 aux « situations d’urgence sanitaire causées par une maladie contagieu se » et qu’elle est conforme à trois conditions cumulatives. Selon le Conseil des ministres, les autres notions sont elles aussi définies de manière suffisamment précise dans la loi attaquée et dans les travaux préparatoires.
A.42.1. Le deuxième moyen porte sur la violation, par les dispositions attaquées, des articles 26, paragraphe 2, 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de l’article 5 de la directive (EU) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 « prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information » (ci-après : la directive (UE) 2015/1535), des articles 14 et 16 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 « relative aux services dans le marché intérieur » et du principe de proportionnalité. Le moyen est subdivisé en deux branches.
Dans la première branche, les parties requérantes estiment que la loi du 14 août 2021 est une « règle technique » qui relève du champ d’application de la directive (UE) 2015/1535. La loi attaquée viole l’article 5 de la directive, à défaut de communication préalable avec la Commission européenne en ce qui concerne le projet relatif à la loi du 14 août 2021.
Dans la seconde branche, les parties requérantes font valoir que les mesures de police administrative sont contraires au principe de la libre circulation des biens et des services. En raison de la définition imprécise de la notion de « situation d’urgence épidémique », il est impossible de procéder à un contrôle de proportionnalité des mesures.
A.42.2. En ce qui concerne la première branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres observe que cette branche est irrecevable. La Cour n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct au regard de directives.
En ce qui concerne la seconde branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres constat e que les parties requérantes confondent la délégation contenue dans la loi du 14 août 2021 avec les mesures de police administrative qui, le cas échéant, peuvent être prises sur la base de la loi du 14 août 2021. Cette loi ne prévoit pas en soi les mesures de police administrative, elle ne fait que déterminer les catégories de mesures qui, le cas échéant, peuvent être prises lors d’une situation d’urgence épidémique.
A.42.3. En ce qui concerne la seconde branche du deuxième moyen, les parties requérant es contestent la thèse du Conseil des ministres. Il relève de la compétence de la Cour de constater que l’entrée en vigueur de l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 limite la libre circulation des personnes et des services.
A.42.4. Dans son mémoire en réplique, le Conseil des ministres observe que les parties requérantes ne répondent pas à ce qu’il a dit au sujet de la première branche du deuxième moyen.
En ce qui concerne la deuxième branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres répète que les mesures de police administrative qui peuvent être prises en exécution de la loi attaquée ne sauraient limiter la libre circulation des personnes et des services.
A.43.1. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8, 14 et 15 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 20 et 21, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 9 du Traité sur l’Unio n européenne et avec le principe d’égalité. Les bourgmestres et gouverneurs sont aussi compétents pour prendre des mesures de police administrative, mais la notion d’ « urgence » ne figure pas dans le texte même de la loi du 14 août 2021, alors qu’en cas d’urgence, aucune concertation avec les autorités fédérales et avec les autorités des entités fédérées compétentes n’est nécessaire. Le souci d’une gestion cohérente et coordonnée de la crise semble en contradiction avec la compétence des bourgmestres et échevins de prendre des mesures de police administrative au niveau local, sans qu’une concertation avec les entités fédérées et les entités fédérales soit nécessaire.
A.43.2. Le Conseil des ministres répète que les mesures de police administrative ne découlent pas de la loi du 14 août 2021, mais qu’elles peuvent uniquement être prises pourvu qu’elles respectent les conditions, sur la
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base de la loi du 14 août 2021. La loi attaquée ne contient en soi qu’une délégation au Roi, au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux bourgmestres.
A.43.3. Les parties requérantes contestent la thèse du Conseil des ministres et estiment que le législateur est responsable des mesures de police administrative restrictives.
A.43.4. Le Conseil des ministres répète que ce n’est pas la loi du 14 août 2021 à proprement parler qui est susceptible de constituer une ingérence dans les droits fondamentaux, mais bien les mesures de police administrative à prendre.
A.44.1. Dans un quatrième moyen, les parties requérantes invoquent la violation, par l’article 4, § 1er, alinéa 3, et § 2, de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 12, alinéa 2, 14, 33, 105 et 108 de la Constitution, du principe d’égalité et du principe de la séparation des pouvoirs. La délégation législative contenue dans la loi du 14 août 2021 ne satisfait pas aux conditions prévues par la Constitution. Premièrement, il est fait usage d’une définition très large de la « situation d’urgence épidémique », de sorte qu’il est impossible de contrôler la volonté du législateur. Deuxième ment, la confirmation dans les quinze jours par le pouvoir législatif ne suffit pas, puisque les mesures de police administrative sont déjà exécutoires dès leur publication. Troisièmement, il est interdit de déléguer une compétence à un ministre individuel, seul le Roi peut se voir déléguer une compétence et, quatrièmement, les délégations aux gouverneurs et aux bourgmestres sont également interdites. Les observations qui précèdent s’appliquent d’autant plus que les infractions aux mesures de police administrative sont punissables.
A.44.2. Le Conseil des ministres observe en premier lieu qu e le quatrième moyen est irrecevable, par référence à l’arrêt de la Cour n° 56/2010 du 12 mai 2010 (ECLI:BE:GHCC:2010:ARR.056). Le raisonnement contenu dans l’arrêt précité doit, selon le Conseil des ministres, être appliqué mutatis mutandis au quatrième moyen.
En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres relève que le moyen n’est pas fondé. Lorsqu’il a adopté la loi du 14 août 2021, le législateur n’a fait que confirmer le pouvoir réglementaire du Roi, du ministre de l’Intérieur, des gouverneurs et des bourgmestres. Par ailleurs, la délégation satisfait au principe de légalité formelle et matérielle.
A.44.3. Les parties requérantes constatent que le moyen n’est pas pris d’une éventuelle violation des règles qui répartissent les compétences entre l’État, les communautés et les régions. Si l’on suit la thèse du Conseil des ministres, cela signifie qu’aucun contrôle objectif n’est possible.
Quant au fond, les parties requérantes estiment que le pouvoir exécutif fédéral appartient au Roi et qu’il ne peut être délégué à un ministre individuel.
A.44.4. Le Conseil des ministres répète que le quatrième moyen est irrecevable. À le supposer recevable, le quatrième moyen est non fondé.
A.45.1. Le cinquième et dernier moyen est pris de la violation de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, des articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, de l’article 2 du Code pénal et du principe de légalité en matière pénale. Selon les parties requérantes, la sanction et l’incrimination doivent être prévues par la loi et ce n’est que lorsque les éléments essentiels ont été fixés dans la loi qu’un arrêté royal peut assortir les infractions des peines correspondantes. Le cinquième moyen est subdivisé en trois branches.
La première branche porte sur l’article 6 de la loi du 14 août 2021. Les parties requérantes estiment que l’article 6 attaqué confirme le caractère pénal du non-respect des mesures de police administrative. Or, selon les parties requérantes, ces mesures sont très peu claires.
Dans la deuxième branche, il est constaté que l’article 6 attaqué n’établit aucune distinction entre les contraventions et les délits. Bien que le tribunal de police soit compétent pour connaître des recours contre les sanctions infligées, il n’en découle pas nécessairement qu’il s’agit dans tous les cas de contraventions. En effet, le tribunal de police peut aussi être compétent pour des délits. En outre, selon les parties requérantes, la nature des contraventions est encore moins claire lorsqu’il s’agit d’infractions aux mesures imposées par le bourgmestre ou par le gouverneur.
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Dans la troisième et dernière branche, les parties requérantes observent qu’il est impossible d’établir un lien entre les faits punissables et les peines. Il est impossible de savoir quelle peine est attachée à quelle infraction. Il en résulte une insécurité totale, non seulement quant à l’éventuelle incrimination, mais également quant à l’éventuelle peine.
A.45.2. En ce qui concerne l’absence de distinction entre les contraventions et les délits, le Conseil des ministres constate que la classification des infractions n’est pas un élément essentiel de l’incrimination et que le pouvoir exécutif peut se charger de cette classification. Le législateur a habilité le tribunal de police à connaître de toutes les infractions aux mesures de police administrative, de sorte que tous les manquements doivent être considérés comme des infractions.
En ce qui concerne l’absence de lien entre les faits punissables et les peines, le Conseil des ministres observe qu’il ne s’agit pas d’un élément essentiel de l’incrimination et de la peine, de sorte que cette compétence peut donc aussi être déléguée au pouvoir exécutif.
A.45.3. Les parties requérantes estiment que l’article 6 de la loi du 14 août 2021 ne définit pas suffisammen t les incriminations ni le lien entre une infraction et une incrimination.
A.45.4. Le Conseil des ministres constate que les parties requérantes ne réfutent pas les arguments développés par le Conseil des ministres dans son mémoire au sujet des branches du quatrième moyen, de sorte que le moyen doit être déclaré non fondé.
Affaire n° 7758
A.46. L’ASBL « Ligue des droits humains » et l’ASBL « Liga voor Mensenrechten » demandent l’annulation de l’ensemble de la loi du 14 août 2021. Les deux ASBL requérantes se fondent sur l’article 3 de leurs statuts et, en vertu de l’article 4, alinéa 1er, de leurs statuts, elles peuvent accomplir tous actes et entreprendre toutes actions pour la réalisation de leur objet, à savoir la défense des principes d’égalité, de liberté et d’humanisme, sur lesquels les sociétés démocratiques sont fondées.
A.47. Les parties requérantes invoquent deux moyens.
A.48.1. Le premier moyen est pris de la violation de l’article 12, alinéa 1er, de la Constitution, de l’article 2
du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 15 de la Constitution et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 16 de la Constitution et de l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 19 de la Constitution et de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 22 de la Constitution et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 22bis de la Constitution et de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 23 de la Constitution et des articles 10
et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 26 de la Constitution et des articles 10 et 11
de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 27 de la Constitution et de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles II.3 et II.4 du Code du droit économique et de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ainsi que du principe de légalité formelle.
Selon les parties requérantes, il peut uniquement être admis que les circonstances de la délégation sont définies de manière claire, mais pas que la liste limitative des mesures est définie de manière suffisamment claire, ni que les mesures qui peuvent être prises sont susceptibles d’un contrôle juridique. Le contrôle juridique porte uniquement sur un contrôle théorique. L’effectivité du contrôle est mise en cause.
Quant à la liste des mesures de police administrative qui doivent être prises, les parties requérantes font valoir qu’il ne peut être admis que la liste des mesures est définie de manière limitative et précise. En effet, les mesures peuvent être préventives ou répressives, elles peuvent modifier, limiter voire suspendre l’exercice des droits fondamentaux, elles peuvent porter sur presque tous les droits fondamentaux de la Constitution et peuvent être combinées entre elles.
Étant donné que le Roi et les autorités locales sont compétents pour régler tous les éléments essentiels de tous les droits fondamentaux, la loi attaquée est en réalité une « super loi de pouvoirs spéciaux », avec cette particularité que les mesures prises par le pouvoir exécutif ne doivent pas être confirmées par le pouvoir législatif.
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A.48.2. Le Conseil des ministres observe que la loi du 14 août 2021 prévoit un double contrôle par le législateur. D’une part, celui-ci exerce un contrôle permanent sur l’ensemble des mesures de police administrative prises sur la base de la loi du 14 août 2021, étant donné que les arrêtés déclarant la situation d’urgence épidémique et maintenant celle-ci doivent être confirmés par une loi. À défaut d’une telle confirmation dans les délais, ces arrêtés perdent leurs effets juridiques et il en va de même des arrêtés qui règlent les mesures de police administrative. D’autre part, le législateur demeure compétent pour abroger les mesures de police administrative prises sur la base de la loi du 14 août 2021. Le législateur doit non seulement confirmer les arrêtés, mais il peut aussi mettre fin prématurément à la situation d’urgence épidémique.
A.48.3. En ce qui concerne le premier moyen, les parties requérantes confirment qu’aucune mesure de police administrative ne peut être examinée par l’assemblée législative élue. Par ailleurs, la loi du 14 août 2021 doit être examinée à la lumière de toutes les normes de référence invoquées, et pas seulement en ce qui concerne l’article 23
de la Constitution.
A.48.4. Le Conseil des ministres démontre que la Chambre des représentants exerce un contrôle permanent sur les mesures de police administrative, dès lors qu’elle doit non seulement valider l’arrêté royal qui décrète ou maintient la situation d’urgence épidémique, mais peut également abroger les mesures de police administrative.
A.49.1. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 13 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 12, alinéa 1er, de la Constitution et avec l’article 2 du Protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 15 de la Constitution et avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 19 de la Constitution et avec l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 22 de la Constitution et avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 22bis de la Constitution et avec l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 23 de la Constitution et avec les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 26 de la Constitution et avec les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 27 de la Constitution et l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le principe de légalité matérielle, avec le droit d’accès au juge, avec le droit à un recours effectif et avec le principe de la prééminence du droit. Les parties requérantes estiment que l’exigence d’un contrôle juridictionnel résulte de l’article 13 de la Constitution et des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les parties requérantes subdivisent le deuxième moyen en deux branches.
La première branche du deuxième moyen porte sur l’arrêté royal déclarant la situation d’urgence épidémique.
Le délai pour confirmer cet arrêté passe de deux jours à quinze jours, mais , même dans ce cas, il est très difficile d’engager la procédure d’extrême urgence au Conseil d’État. Non seulement le requérant doit justifier d’un intérêt personnel, mais il doit aussi être question d’un préjudice grave difficilement réparable et d’une nécessité d’extrême urgence. Et, si l’arrêté est confirmé avant qu’il soit statué au fond, le Conseil d’État et les cours et tribunaux ordinaires ne peuvent plus appliquer que l’article 159 de la Constitution.
La seconde branche du deuxième moyen porte sur l’arrêté royal fixant des mesures de police administrative.
Tant le Conseil d’État que les cours et tribunaux ordinaires peuvent agir en vertu de l’article 159 de la Constitution.
Compte tenu de la durée de la validité d’un tel arrêté royal, seule la procédure de suspension en extrême urgence est possible, et les mêmes problèmes que ceux qui sont visés dans la première branche se posent. Une fois de plus, il n’y a pas, selon les parties requérantes, de recours effectif. L’inconstitutionnalité ne réside pas dans les lois coordonnées sur le Conseil d’État, mais dans l’absence d’une dispos ition dans la loi du 14 août 2021.
A.49.2. Le Conseil des ministres estime que la loi du 14 août 2021 respecte le droit d’accès au juge. Le délai de quinze jours vise à donner suffisamment de temps au justiciable pour introduire un recours au Conseil d’État.
Avant que l’arrêté soit confirmé par le pouvoir législatif, l’arrêté royal déclarant la situation d’urgence épidémique peut être contesté devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État ou devant les cours et tribunaux ordinaires, en vertu de l’article 159 de la Constitution. Après la confirmation de l’arrêté, celui-ci peut être attaqué devant la Cour. Par conséquent, une décision qui établit l’existence d’une situation d’urgence épidémique peut toujours être contestée devant un juge impartial et indépendant qui constatera l’illégalité et l’inconstitutionnalité et qui peut annuler la décision ou refuser de l’appliquer.
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En ce qui concerne la deuxième branche du moyen, le Conseil des ministres estime que celle -ci est irrecevable, en ce qu’elle est prise de l’absence d’un système de contrôle juridique ad hoc. Mais l’absence du système de contrôle juridique souhaité ne découle pas d’une norme constitutionnelle, légale ou réglementaire dont la Cour ou le législateur peut assurer l’application. La Cour n’est pas compétente pour connaître d’une inconstitutionnalité qui découle d’une décision de refus implicite d’adopter une mesure législative ou réglementaire.
A.49.3. Les parties requérantes estiment qu’il sera particulièrement difficile de justifier d’un intérêt personnel dans le cadre d’un recours en extrême urgence devant le Conseil d’État. Par ailleurs, après la confirmation de l’arrêté par la Chambre des représentants, le Conseil d’État n’est plus compétent pour connaître du recours en annulation.
En ce qui concerne la deuxième branche du deuxième moyen, les parties requérantes estiment que cette branche n’est pas irrecevable. La Cour est compétente pour connaître de la lacune; compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le législateur est tenu de prévoir un contrôle juridictionnel effectif.
A.49.4. Le Conseil des ministres répète que la première branche du deuxième moyen n’est pas fondée. Tout d’abord, le Conseil des ministres ne voit pas pourquoi un requérant n’aurait pas un intérêt personnel à attaquer un arrêté royal déclarant ou maintenant une situation d’urgence épidémique. Par ailleurs, cette observation des parties requérantes démontre qu’elles reconnaissent qu’un arrêté royal déclarant ou maintenant une situation d’urgence épidémique ne les affecte pas personnellement.
En ce qui concerne la deuxième branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres répète que la branche n’est pas recevable.
Affaire n° 7759
A.50.1. Deux personnes physiques demandent l’annulation de la loi du 14 août 2021. Pour justifier leur intérêt, elles constatent que la loi attaquée a une portée générale, de sorte que les parties requérantes ont en tout état de cause un intérêt. Par ailleurs, il est établi un régime d’exception sur la base duquel des mesures de police administrative peuvent être prises à l’égard de tous les citoyens. Ensuite, la Cour a admis qu’une loi qui prévoit une sanction pénale concerne un aspect à ce point essentiel de la liberté du citoyen qu’elle n’intéresse pas seulement les personnes qui font l’objet ou ont fait l’objet de cette privation de liberté.
Les parties requérantes invoquent deux moyens.
A.50.2. Le Conseil des ministres soulève l’exception obscuri libelli, au motif que les parties requérantes n’exposent pas concrètement leur premier moyen. Dans le cadre de la discussion des branches du deuxième moyen (à l’exception de la première branche), les critiques des parties requérantes se bornent aussi essentiellement à une simple affirmation d’une violation, sans exposer en quoi la loi attaquée violerait les articles et principes inv oqués.
Par conséquent, le Conseil des ministres ne voit pas ce que critiquent exactement les parties requérantes.
A.50.3. Les parties requérantes répètent qu’elles estiment que leurs moyens et leurs branches de moyen sont suffisamment clairs. Ce n’est pas parce que les moyens et branches de moyen portent sur une matière technique et juridique dans laquelle il n’y a que peu de précédents que les moyens seraient insuffisamment clairs.
A.50.4. Le Conseil des ministres constate que les parties requérantes n’ont toujours pas précisé le contenu concret des moyens, de sorte que le premier moyen et les branches du deuxième moyen, à l’exception de la première branche, sont irrecevables.
A.51.1. Le premier moyen est pris de la violation de l’article 187 de la Constitution. Cette disposition exprime le principe de base selon lequel des mesures préventives générales qui limitent nos droits fondamentaux sont interdites, même dans les circonstances les plus dramatiques. La loi du 14 août 2021 déclare une situation d’urgence de manière inconstitutionnelle. Il est possible d’exercer un contrôle au regard de l’article 187 de la Constitution, eu égard à ce qui est dit dans l’arrêt de la Cour n° 62/2016 du 28 avril 2016
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(ECLI:BE:GHCC:2016:ARR.062), dans lequel un contrôle a été exercé au regard de l’article 33 de la Constitution.
Cette disposition de la Constitution consacre de manière générale et globale le principe de légalité et de légitimit é dans la Constitution et l’article 187 de la Constitution consacre de manière générale et globale l’interdiction de mesures préventives générales.
A.51.2. En ce qui concerne le premier moyen, le Conseil des ministres observe que la Cour n’est pas compétente pour exercer un contrôle direct au regard de l’article 187 de la Constitution. Étant donné que les parties requérantes invoquent uniquement la violation de l’article 187 de la Constitution, il n’est nullement question d’un contrôle indirect par le biais des articles 10 et 11 de la Constitution.
Dans la mesure où la Cour estimerait qu’il peut néanmoins être procédé à un contrôle direct au regard de l’article 187 de la Constitution, le Conseil des ministres observe qu’il n’est, en l’espèce, pas question d’une suspension de la Constitution. L’interdiction de suspension s’oppose uniquement à une suspension formelle ou de fait. Bien que les parties requérantes ne précisent pas en quoi la loi attaquée établirait de telles mesures préventives et suspendrait la Constitution, elles semblent viser les diverses mesures de police administrative qui peuvent être prises dans une situation d’urgence épidémique. Or, la loi du 14 août 2021 vise uniquement à déléguer des compétences en cas de situation d’urgence épidémique. Les griefs ne découlent pas de la loi du 14 août 2021, mais des mesures de police administrative qui doivent encore être prises et ces dernières sont susceptibles d’un recours devant le Conseil d’État.
A.51.3. Les parties requérantes estiment qu’une extension de la compétence jurisprudentielle à l’article 187
de la Constitution est possible. Il serait en outre inacceptable que la Cour soit compétente pour contrôler une suspension d’une partie de la Constitution, mais pas pour contrôler la suspension de la Constitution dans son intégralité. L’article 187 de la Constitution, que l’on peut considérer comme un cas unique au niveau constitutionnel, relève des valeurs fondamentales de la protection qu’offre notre Constitution.
A.51.4. Le Conseil des ministres observe que les griefs invoqués par les parties requérantes ne découlent pas de la loi du 14 août 2021, mais des mesures de police administrative qui doivent encore être prises à l’avenir, de sorte que la Cour n’est pas compétente. La proportionnalité doit être contrôlée en ce qui concerne les véritables mesures de police administrative.
A.52.1. Dans un deuxième moyen, les parties requérantes invoquent la violation des articles 11, 12, 13, 14, 15, 19, 22, 23, 24, 27, 28 et 32 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 187 de la Constitution. Le moyen est subdivisé en cinq branches.
La première branche est prise de la violation des articles 12, 14 et 15 de la Constitution, du principe de légalité, du principe lex certa et du principe de la sécurité juridique. L’article 6 de la loi du 14 août 2021 règle l’incrimination du non-respect d’une mesure de police administrative. Or, il s’agit de savoir si l’infraction est une contravention ou un délit et si elle est punie d’une peine de police ou d’une peine correctionnelle. L’article 5 crée une compétence réglementaire qui intéresse l’ensemble de la société. Le pouvoir exécutif peut instaurer toutes les incriminations imaginables; la seule restriction est que la mesure doit être nécessaire, adéquate et proportionnée à l’objectif poursuivi.
La deuxième branche est prise de la violation des articles 10, 11 et 13 de la Constitution. Seul le législateur est compétent pour modifier la compétence des cours et tribunaux. Conformément à l’article 6, § 3, de la loi du 14 août 2021, le tribunal de police est compétent pour connaître des infractions aux mesures de police administrative et le tribunal correctionnel n’est pas compétent pour les contraventions. Le justiciable ne sait pas s’il commet une contravention ou un délit, il ne sait pas ce que peut impliquer son comportement punissable et il est toujours jugé par le juge de police.
La troisième branche est prise de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution. L’article 6, § 5, de la loi du 14 août 2021 dispose que les condamnations prononcées sur la base de l’article 6, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 sont automatiquement effacées après trois ans. Or, les articles 619 et 620 du Code d’instruction criminelle prévoient que l’effacement n’est possible que pour les peines de police. Par suite de la loi du 14 août 2021, l’effacement est donc possible pour toutes les infractions aux mesures de police administrative, quelle que soit la mesure de la peine et indépendamment du fait qu’il s’agisse d’une contravention ou d’un délit.
La quatrième branche est prise de la violation de l’article 12, alinéa 1er, de la Constitution, juncto l’article 22
de la Constitution. La loi du 14 août 2021 prévoit la possibilité de suspendre la liberté de mouvement en général;
ni le pouvoir législatif, ni le pouvoir exécutif ne sont habilités à le faire. Il est donc question d’une forme de
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privation de liberté sans intervention du juge (une interdiction totale de déplacement peut être édictée pour trois mois au maximu m). Selon les parties requérantes, cette interdiction ne peut faire l’objet de la moindre voie de recours, car le justiciable ne peut pas se déplacer pour exercer une voie de recours contre l’interdiction de déplacement.
La dernière branche du deuxième moyen est prise de la violation des articles 16, 22, 23, 24, 26 et 27 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. La loi du 14 août 2021 formule de manière particulièrement vague et générale la portée des mesures à prendre et, dans cette loi, les critères d’une « situation d’urgence épidémique » sont insuffisamment clairs et prévisibles. Les parties requérantes font valoir que la loi du 14 août 2021 autorise une interdiction générale, de sorte que le droit à l’enseignement et le droit à l’épanouissement social et culturel sont suspendus.
A.52.2. Le Conseil des ministres répète que l’habilitation est définie de manière suffisamment précise, en ce sens que le but poursuivi et les limites de l’habilitation sont déterminés avec précision. Par ailleurs, l’habilitatio n contenue dans les articles 4 et 5 porte sur l’exécution de mesures de police administrative dont le législateur a préalablement fixé les éléments essentiels.
En ce qui concerne la deuxième branche, le Conseil des ministres observe que le législateur a attribué au tribunal de police, par le biais d’une loi formelle (l’article 6, § 3, de la loi du 14 août 2021) la compétence de statuer sur les infractions aux mesures de police administrative constatées. Cette répartition des compétences repose dès lors sur une loi formelle. La compétence unique du tribunal de police s’inscrit dans le cadre de l’approche modulaire, avec la possibilité d’infliger des sanctions légères, mais de faire preuve de davantage de sévérité en cas de récidive.
En ce qui concerne la troisième branche, le Conseil des ministres ne voit pas en quoi l’article 6, § 5, de la loi du 14 août 2021 violerait le principe d’égalité. Les parties requérantes n’exposent pas les critères de contrôle quant à une éventuelle violation et semblent uniquement relever qu’il n’existe pas d’effacement pour les infra ctions aux mesures fondées sur la loi du 15 mai 2007, alors que tel est le cas pour les infractions aux mesures fondées sur la loi attaquée. L’éventuelle différence de traitement est justifiée par l’approche diversifiée et modulaire expressément voulue par le législateur, qui permet au juge de choisir entre une peine plutôt légère ou une peine plutôt sévère.
En ce qui concerne la quatrième branche, le Conseil des ministres répète que la loi du 14 août 2021 ne suspend pas la Constitution et qu’il n’y a donc pas violation de l’article 187 de la Constitution.
En ce qui concerne la cinquième branche, le Conseil des ministres dit que la loi attaquée n’instaure pas de mesures restrictives de liberté, étant donné qu’elle offre uniquement un cadre dans lequel le pouvoir exécutif peut décider de prendre certaines mesures.
A.52.3. En ce qui concerne la première branche, les parties requérantes répètent que le Roi a reçu la plus grande liberté pour déterminer quels comportements Il souhaite réprimer.
En ce qui concerne la deuxième branche, les parties requérantes estiment que cette branche est claire.
En ce qui concerne la troisième branche, les parties requérantes répètent que la norme attaquée ne contient aucun motif objectif qui justifierait la différence de traitement relative à l’effacement des infractions.
En ce qui concerne la quatrième branche, les parties requérantes estiment que la thèse du Conseil des ministres tient en ce qu’elles devront attendre l’application de ce qui serait en soi une mesure inconstitutionnelle.
A.52.4. Concernant la première branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres répète que l’habilitation conférée au Roi est définie de manière suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont le législateur a préalablement fixé les éléments essentiels.
En ce qui concerne la deuxième branche, le Conseil des ministres relève que, dans la loi du 14 août 2021, le législateur peut prévoir que le tribunal de police est l’instance compétente. Les parties requérantes attribuent une portée inexacte au « principe du juge naturel ». Ce principe veut que la compétence du juge soit déterminée par des règles préétablies sous la forme d’une loi formelle et que le justiciable puisse savoir quel juge est compétent sur la base de critères objectifs, ce qui a été fait dans la loi du 14 août 2021. Ce principe n’exige pas que le juge
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de police se voie attribuer toutes les compétences qui relèvent de la police ou dont la nature de l’affaire relèverait , sur la base d’un raisonnement logique, de tel ou tel tribunal.
En ce qui concerne la troisième branche du deuxième moyen, le Conseil des ministres répète que les parties requérantes ne démontrent pas qu’il existe une différence de traitement entre des catégories comparables. Par souci d’exhaustivité, le Conseil des ministres souligne que l’article 6, § 5, de la loi du 14 août 2021 a été inséré par l’amendement n° 37, qui justifie aussi objectivement le fait que les sanctions pénales dans le cadre de la loi du 14 août 2021 sont effacées après trois ans. L’effacement des peines est expressément dicté par le constat que les incriminations sont limitées dans le temps. Conformément à ce qui précède, le législateur a ainsi souhaité que les conséquences pénales préjudiciables de ces incriminations soient limitées dans le temps .
Au sujet des quatrième et cinquième branches, le Conseil des ministres répète que les parties requérantes postulent à tort que la loi attaquée instaure des privations de liberté ou viole le droit au respect de la vie privée, le droit à l’épanouissement culturel et social, le droit de réunion et le droit de propriété, alors qu’elle fixe simplemen t le cadre légal dans lequel des mesures de police administrative peuvent être prises.
-B-
Quant à la loi attaquée
B.1. Par la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique » (ci-après : la loi du 14 août 2021), le législateur entend « prévoir un ensemble de règles de police administrative spéciale, spécifiques aux situatio ns d’urgence épidémiques », qui « peut être appliqué à la pandémie de COVID-19 (dans la mesure où c’est encore nécessaire), ainsi qu’à d’éventuelles situations épidémiques futures » (Doc.
parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 4). L’objectif est « de fixer et d’encadrer les mesures de police administrative spéciale qui peuvent être arrêtées lors d’une situatio n d’urgence épidémique » (ibid., p. 55).
La loi du 14 août 2021 prévoit un cadre global pour la lutte contre toute situation d’urgence épidémique. Elle définit la « situation d’urgence épidémique » (article 2) et confère au Roi le pouvoir de déclarer celle-ci pour un délai de maximum trois mois (article 3, § 1er) ainsi que celui de prendre ensuite, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, des mesures de police administrative, chaque fois pour une durée maximale de trois mois (article 4, §§ 1er et 3, alinéa 2). En cas de péril imminent, les mesures qui ne peuvent souffrir aucun retard peuvent être prises par le ministre de l’Intérieur, par arrêté ministériel délibéré en Conseil des ministres (article 4, § 1er, alinéa 3). En outre, lorsque les circonstances locales l’exigent, les gouverneurs
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et bourgmestres peuvent prendre des mesures renforcées, conformément aux éventuelles instructions du ministre de l’Intérieur.
La Chambre des représentants exerce un contrôle a posteriori. Elle doit confirmer dans un délai de quinze jours la déclaration par le Roi de la situation d’urgence épidémique. À défaut de confirmation, l’arrêté royal concerné (article 3, § 2, alinéa 3) et les mesures de police administrative (article 4, § 3, alinéa 3) cessent de sortir leurs effets.
Le Gouvernement doit communiquer au président de la Chambre des représentants les arrêtés royaux contenant les mesures adoptées avant même leur publication au Moniteur belge (article 4, § 4, alinéa 1er). De plus, les avis des organes compétents dans le cadre de la gestion de la crise sur la base desquels les arrêtés ont été adoptés et les arrêtés ministériels doivent être communiqués au président de la Chambre des représentants dans les meilleurs délais (article 4, § 4, alinéas 2 et 3). Chaque mois, le Gouvernement fait rapport à la Chambre des représentants au sujet de la situation d’urgence épidémique et des mesures de police administrative qui ont été prises (article 9).
La situation d’urgence épidémique vaut pour une durée maximale de trois mois (article 3, § 1er, alinéa 1er), qui peut toutefois être prolongée, à chaque fois d’une nouvelle durée de trois mois au maximum (article 3, § 1er, alinéa 2), moyennant confirmation par la Chambre des représentants (article 3, § 2, alinéa 2).
B.2. La loi du 14 août 2021 contient, au chapitre 2, des dispositions relatives à la situatio n d’urgence épidémique (articles 2 à 10) et, au chapitre 3, des dispositions modificatives de la loi du 31 décembre 1963 « sur la protection civile » (article 11), de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile » (article 12) et du chapitre 3 du Code pénal social (articles 13 à 15). Le chapitre 4 règle l’entrée en vigueur (article 16).
B.3.1. L’article 2 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« Pour l’application de la présente loi, l’on entend par :
1° ‘ gouverneur ’ : les gouverneurs de province et l’autorité compétente de l’Agglomération bruxelloise en application de l’article 48 de la loi spéciale du 12 janvier 1989
relative aux institutions bruxelloises;
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2° ‘ ministre ’ : le ministre qui a l’Intérieur dans ses attributions;
3° ‘ situation d’urgence épidémique ’ : tout événement qui entraîne ou qui est susceptib le d'entraîner une menace grave suite à la présence d'un agent infectieux chez l’homme, et :
a. qui touche ou est susceptible de toucher un grand nombre de personnes en Belgique et qui y affecte ou est susceptible d'affecter gravement leur santé;
b. et qui conduit ou est susceptible de conduire à une ou plusieurs des conséquences suivantes en Belgique :
- une surcharge grave de certains professionnels des soins et services de santé;
- la nécessité de prévoir le renforcement, l’allégement ou le soutien de certains professionnels des soins et services de santé;
- le déploiement rapide et massif de médicaments, dispositifs médicaux ou équipements de protection individuelle;
c. et qui nécessite une coordination et une gestion des acteurs compétents au niveau national afin de faire disparaître la menace ou de limiter les conséquences néfastes de l'événement;
d. qui, le cas échéant, a conduit à une ou plusieurs des conséquences suivantes :
- la situation est reconnue par l’Organisation mondiale de la santé comme ‘ Public Health Emergency of International Concern ’;
- la situation est reconnue par la Commission européenne conformément aux dispositio ns de l’article 12 de la décision n° 1082/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative aux menaces transfrontières graves sur la santé et abrogeant la Décision n° 2119/98/CE ».
B.3.2. L’article 3 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« § 1er. Le Roi déclare la situation d’urgence épidémique pour une durée déterminée qui est strictement nécessaire et qui ne peut en aucun cas dépasser trois mois, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, après avis du ministre qui a la Santé publique dans ses attributions et une analyse de risque réalisée par l’organe chargé de l’appréciation et l’évaluation des risques dans le cadre d’une phase fédérale visée au paragraphe 4 et montrant qu’il s’agit d’une situatio n d’urgence épidémique.
À l’issue de la période visée à l’alinéa 1er, le Roi peut déclarer le maintien de la situatio n d’urgence épidémique chaque fois pour une période de trois mois au maximum, par un arrêté délibéré en Conseil des ministres, après un nouvel avis et une nouvelle analyse de risque visés à l’alinéa 1er.
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§ 2. Le gouvernement communique au président de la Chambre des représentants, dans les meilleurs délais, les données scientifiques, dont au moins l’avis et l’analyse de risque visés au paragraphe 1er, sur la base desquels les arrêtés visés au paragraphe 1er ont été adoptés.
Chaque arrêté royal visé au paragraphe 1er produit ses effets immédiatement et est confirmé par la loi dans un délai de 15 jours à compter de son entrée en vigueur.
À défaut de confirmation dans le délai visé à l’alinéa 2, l’arrêté royal concerné cesse de sortir ses effets.
§ 3. Les autorités et services compétents veillent à la publication, dans les meilleurs délais et dès qu’elles sont disponibles et exploitables, des données scientifiques visées au paragraphe 2
au profit de la population.
§ 4. Si, lorsque le Roi a déclaré la situation d’urgence épidémique, la phase fédérale de gestion de crise, telle qu’établie par l’arrêté royal du 31 janvier 2003 portant fixation du plan d’urgence pour les événements et situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national et l’arrêté royal du 22 mai 2019 relatif à la planification d’urgence et la gestion de situations d’urgence à l’échelon communal et provincial et au rôle des bourgmestres et des gouverneurs de province en cas d’événements et de situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national n’est pas encore déclenchée, le ministre la déclenche et prend en charge la coordination stratégique de la situation d’urgence ».
B.3.3. L’article 4 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« § 1er. Lorsque le Roi a déclaré ou maintenu la situation d’urgence épidémiq ue conformément à l’article 3, § 1er, Il adopte par arrêté délibéré en Conseil des ministres les mesures de police administrative nécessaires en vue de prévenir ou de limiter les conséquences de la situation d’urgence épidémique pour la santé publique, après concertation au sein des organes compétents dans le cadre de la gestion de crise, auxquels sont associés les experts nécessaires en fonction de la nature de la situation d’urgence épidémique, notamment en matière de droits fondamentaux, d’économie et de santé mentale. Les experts consultés remplissent une déclaration d’intérêts et respectent un code de déontologie qui est déterminé par le Roi.
Chaque fois que les mesures ont un impact direct sur des domaines politiques relevant de la compétence des entités fédérées, le gouvernement fédéral offre préalablement aux gouvernements fédérés concernés la possibilité de se concerter au sujet des conséquences de ces mesures pour leurs domaines politiques, sauf en cas d’urgence.
Par dérogation à l’alinéa 1er, en cas de péril imminent, les mesures qui ne peuvent souffrir aucun retard peuvent être prises par le ministre par arrêté ministériel délibéré en Conseil des ministres.
§ 2. Lorsque les circonstances locales l’exigent, les gouverneurs et bourgmestres prennent, chacun pour son propre territoire, des mesures renforcées par rapport à celles visées au paragraphe 1er, conformément aux éventuelles instructions du ministre. A cet effet, ils se
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concertent avec les autorités fédérales et fédérées compétentes en fonction de la mesure envisagée. Si l’urgence ne permet pas une concertation préalable à l’adoption de la mesure, le bourgmestre ou le gouverneur concerné informe ces autorités compétentes le plus rapidement possible de la mesure prise. Dans tous les cas, les mesures envisagées par le bourgmestre sont concertées avec le gouverneur, et celles envisagées par le gouverneur sont concertées avec le ministre.
§ 3. Les mesures visées aux paragraphes 1er et 2 sont nécessaires, adéquates et proportionnelles [lire : proportionnées] à l’objectif poursuivi.
Ces mesures sont adoptées pour l’avenir, pour une durée maximale de trois mois et ne peuvent sortir leurs effets que pour autant que la situation d’urgence épidémique existe encore ou ait été maintenue conformément à l’article 3, § 1er. Elles peuvent être prolongées chaque fois pour une durée de trois mois au maximum et pour autant que la situation d’urgence épidémique existe encore ou ait été maintenue conformément à l’article 3, § 1er.
Ces mesures cessent de sortir leurs effets à défaut de confirmation de l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique.
§ 4. Le gouvernement communique au président de la Chambre des représentants les arrêtés royaux visés au paragraphe 1er avant leur publication au Moniteur belge.
Le gouvernement communique au président de la Chambre des représentants, dans les meilleurs délais, les avis des organes visés au paragraphe 1er sur la base desquels ces arrêtés royaux ont été adoptés.
Le ministre communique les arrêtés ministériels visés au paragraphe 1er dans les meille ur s délais au président de la Chambre des représentants ».
B.3.4. L’article 5 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« § 1er. Les mesures visées à l’article 4, § 1er, qui peuvent être combinées entre elles, visent :
a. la détermination de modalités ou de conditions en vue de limiter l’entrée au ou la sortie du territoire belge, en ce compris les possibilités de refuser l’entrée conformément à l’article 14
du code frontières Schengen ou à l’article 43 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers;
b. la détermination de modalités ou de conditions d’accès à, la limitation d’accès à ou la fermeture d’une ou plusieurs catégories d’établissements ou parties des établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, sous réserve des mesures qui sont prises en applicatio n du g.;
c. la détermination de modalités ou de conditions de la vente et/ou de l’utilisation de certains biens et services, leur limitation ou leur interdiction;
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d. la détermination de modalités ou de conditions de rassemblements, leur limitation ou leur interdiction;
e. la détermination de modalités ou de conditions des déplacements, leur limitation ou leur interdiction;
f. la fixation de conditions d’organisation du travail, sous réserve des mesures prises en application de l’article 4, § 1er, alinéa 4, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail;
g. l’élaboration d’une liste des commerces et des entreprises et services privés et publics nécessaires à la protection des intérêts vitaux de la Nation ou aux besoins essentiels de la population, qui doivent, à ce titre, poursuivre tout ou partie de leurs activités;
h. la détermination de mesures de protection sanitaire qui visent à prévenir, ralentir ou arrêter la propagation de l’agent infectieux responsable de la situation d’urgence épidémiq ue, telles que le maintien d’une certaine distance par rapport aux autres personnes, le port d’un équipement de protection individuel ou des règles relatives à l’hygiène des mains.
§ 2. Les mesures visées à l’article 4, § 2, qui peuvent être combinées entre elles, visent :
a. la détermination de modalités ou de conditions d’accès à, la limitation d’accès à ou la fermeture d’une ou plusieurs catégories d’établissements ou parties des établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, sous réserve des mesures qui sont prises en applicatio n du f.;
b. la détermination de modalités ou de conditions de la vente et/ou de l’utilisation de certains biens et services, leur limitation ou leur interdiction;
c. la détermination de modalités ou de conditions de rassemblements, leur limitation ou leur interdiction;
d. la détermination de modalités ou de conditions de déplacements, leur limitation ou leur interdiction;
e. la fixation des conditions relatives à l’organisation du travail, sous réserve des mesures prises en application de l’article 4, § 1er, alinéa 4, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail;
f. l’élaboration d’une liste des commerces et des entreprises et services privés et publics nécessaires à la protection des intérêts vitaux de la Nation ou aux besoins essentiels de la population, qui doivent, à ce titre, poursuivre tout ou partie de leurs activités, pour autant que cette liste n’ait pas déjà été élaborée en application du § 1er, g.;
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g. la détermination de mesures de protection sanitaire qui visent à prévenir, ralentir ou arrêter la propagation de l’agent infectieux responsable de la situation d’urgence épidémiq ue, telles que le maintien d’une certaine distance par rapport aux autres personnes, le port d’un équipement de protection individuel ou des règles relatives à l’hygiène des mains.
§ 3. Le Roi peut, dans le cadre des mesures prises en application du paragraphe 1er, en l’absence de services publics disponibles et à défaut de moyens suffisants, procéder à la réquisition des personnes et des choses qu’Il juge nécessaire.
Par dérogation à l’alinéa 1er, la réquisition qui ne peut souffrir aucun retard peut être ordonnée par le ministre.
Le Roi peut, dans les conditions supplémentaires qu’Il détermine, attribuer le même pouvoir aux gouverneurs et aux bourgmestres dans le cadre des mesures prises en applicatio n du paragraphe 2.
Le Roi fixe la procédure et les modalités de la réquisition.
Supportent les frais liés à la réquisition des personnes et des choses et remboursent ces frais aux ayants droit :
1° l’Etat, lorsque c’est le Roi, le ministre ou le gouverneur qui procède à la réquisition;
2° la commune, lorsque c’est le bourgmestre qui procède à la réquisition.
Les frais ne sont pas dus lorsqu’ils résultent de la réparation des dommages occasionnés aux personnes et aux choses requises et résultant d’accidents survenus dans le cours ou par le fait de l’exécution des opérations en vue desquelles la réquisition a eu lieu, lorsque l’accident a été intentionnellement provoqué par la victime.
Pendant la durée des prestations, le contrat de travail et le contrat d’apprentissage sont suspendus au profit des travailleurs qui font partie de ces services ou qui font l’objet d’une réquisition ».
B.3.5. L’article 6 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« § 1er. Les infractions aux mesures prises en application des articles 4 et 5, sont punies :
1° d’une amende d’un euro à 500 euros;
2° d’une peine de travail de 20 à 300 heures;
3° d’une peine de probation autonome de six mois à deux ans;
4° d’une peine de surveillance électronique d’un mois à trois mois;
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5° d’une peine d’emprisonnement d’un jour à trois mois.
Les peines prévues à l’alinéa 1er, 2° à 5°, ne peuvent s’appliquer cumulativement.
Lorsque le juge décide de condamner le contrevenant à une peine de travail ou à une peine de probation autonome, il peut donner des indications afin que son contenu ait un rapport avec la lutte contre la situation d’urgence épidémique de manière à limiter le risque de commettre de nouvelles infractions similaires.
§ 2. Par dérogation au paragraphe 1er, les infractions aux mesures sur les lieux de travail visés à l’article 16, 10°, du Code pénal social se rapportant à la relation entre l’employeur visé à l’article 16, 3°, du Code pénal social d’une part, et le travailleur visé à l’article 16, 2°, du Code pénal social d’autre part, sont punies conformément aux dispositions du Code pénal social.
§ 3. Le tribunal de police connaît des infractions visées au paragraphe 1er, y compris les infractions décrites dans les ordonnances arrêtées par les gouverneurs et les commissa ires d’arrondissement en vertu des articles 128 et 139 de la loi provinciale.
§ 4. Les dispositions du livre premier, chapitre VII et de l’article 85 du Code pénal sont applicables aux infractions visées au paragraphe 1er.
§ 5. Les condamnations infligées en vertu des paragraphes 1er et 2 et inscrites sur l’extrait du casier judiciaire conformément aux dispositions relatives au Casier judiciaire central du livre II, titre VII, chapitre 1er, du Code d’instruction criminelle, sont effacées après un délai de trois ans à compter de la décision judiciaire définitive qui les prononce. L’effaceme nt n’empêche toutefois pas le recouvrement de l’amende prononcée par cette décision judicia ire définitive ».
B.3.6. L’article 7 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« Le gouverneur ou le bourgmestre pourra faire procéder d’office à l’exécution des mesures prises en application des articles 4 et 5, aux frais des réfractaires ou des défaillants ».
B.3.7. L’article 8 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« La surveillance du respect des mesures visées aux articles 4 et 5 est assurée par les membres des services publics suivants, et ce uniquement dans le cadre de leurs compétences en fonction des mesures qui ont été prises :
1° le cadre opérationnel des services de police au sens de l’article 3, 7°, de la loi sur la fonction de police;
2° les services ou institutions visés à l’article 17, § 2, du Code pénal social;
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3° le service d’inspection de la Direction générale Animaux, Végétaux et Alimentation du Service public fédéral Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environneme nt, conformément aux articles 11, 11bis et 16 de la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits, avec la possibilité de faire application de la procédure visée à l’article 19 de la même loi;
4° la Direction générale Inspection économique du Service public fédéral Economie, PME, Classes moyennes et Energie, conformément aux dispositions du livre XV, titre 1er, chapitre 1er, du Code de droit économique, avec la possibilité de faire application des procédures visées aux articles XV.31 et XV.61 du même Code ».
B.3.8. L’article 9 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« Chaque mois, le gouvernement fait rapport à la Chambre des représentants au sujet de la déclaration ou du maintien de la situation d’urgence épidémique visé à l’article 3, § 1er, et des mesures de police administrative prises conformément aux articles 4, § 1er, et 5, § 1er.
Le cas échéant, les ministres compétents font rapport à la Chambre des représentants au sujet des autres aspects de l’application de la présente loi, chacun en ce qui concerne les aspects qui relèvent de leurs compétences ».
B.3.9. L’article 10 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« Dans un délai de trois mois après la fin de la pandémie de coronavirus COVID-19, le gouvernement transmet à la Chambre des représentants un rapport d’évaluation portant sur les objectifs poursuivis dans le cadre du respect des droits fondamentaux afin de vérifier si la présente loi ne doit pas être abrogée, complétée, modifiée ou remplacée.
Dans un délai de trois mois après la fin de chaque situation d’urgence épidémique, le gouvernement transmet à la Chambre des représentants un rapport d’évaluation portant sur les objectifs poursuivis dans le cadre du respect des droits fondamentaux afin de vérifier si la présente loi ne doit pas être abrogée, complétée, modifiée ou remplacée ».
B.3.10. L’article 11 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« L’article 1er de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile est complété par un alinéa rédigé comme suit :
‘ Dès l’entrée en vigueur des dispositions de la loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, les dispositions de la présente
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loi relatives à la police administrative ne s’appliquent pas aux situations d’urgence épidémiques. ’ ».
B.3.11. L’article 12 de la loi du 14 août 2021 dispose :
« Dans l’article 3 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, modifié par la loi du 21 décembre 2013, un alinéa rédigé comme suit est inséré entre les alinéas 1er et 2 :
‘ Dès l’entrée en vigueur des dispositions de la loi du 14 août 2021 relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique, les dispositions de la présente loi relatives à la police administrative ne s’appliquent pas aux situations d’urgence épidémiques. ’ ».
Quant à l’étendue des recours en annulation
B.4.1. La Cour doit déterminer l’étendue des recours en annulation sur la base du contenu des requêtes.
La Cour peut uniquement annuler des dispositions législatives explicitement attaquées contre lesquelles des moyens sont invoqués et, le cas échéant, des dispositions qui ne sont pas attaquées mais qui sont indissociablement liées aux dispositions qui doivent être annulées.
B.4.2. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7633 demandent l’annulation de l’article 3, § 2, alinéa 3, de l’article 4, § 1er, alinéa 3, et § 3, alinéa 3, et de l’article 5, § 1er, b), d), e) et h), et § 2, a), c), d) et g), de la loi du 14 août 2021.
La partie requérante dans l’affaire n° 7655 demande l’annulation de l’article 5, § 1er, b), d), e) et h), et § 2, a), c), d) et g), de la loi du 14 août 2021.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 7686 demandent l’annulation de l’article 3 de la loi du 14 août 2021.
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La partie requérante dans l’affaire n° 7751 demande l’annulation des articles 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 de la loi du 14 août 2021. Elle n’articule cependant des moyens qu’à l’encontre de l’article 2, 3°, de l’article 3, de l’article 4, § 1er, alinéa 3, de l’article 5, § 1er, et de l’article 10
de cette loi.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 7752 demandent l’annulation des articles 2, 3, 4, 5, 11 et 12 de la loi du 14 août 2021. Elles n’articulent cependant des moyens que contre l’artic le 2, 3°, l’article 3, §§ 1er, 2 et 3, l’article 4 et l’article 5, §§ 1er et 2, de cette loi.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 7753 demandent l’annulation des articles 3, 4, 5 et 6 de la loi du 14 août 2021.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 7757 demandent l’annulation de l’article 2, 3°, de l’article 4, de l’article 5 et de l’article 6 de la loi du 14 août 2021.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 7758 demandent l’annulation de la loi du 14 août 2021 dans son intégralité. Elles n’articulent cependant des moyens que contre l’article 3, § 1er, l’article 4, § 1er, et l’article 5, §§ 1er et 2, de cette loi.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 7759 demandent l’annulation de la même loi dans son intégralité. Elles n’articulent cependant des moyens que contre l’article 3, § 1er, l’article 4, l’article 5, §§ 1er et 2, et l’article 6, §§ 1er, 3 et 5, de cette loi.
B.4.3. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7731 demandent l’annulation de la même loi dans son intégralité. Elles n’articulent cependant des moyens que contre l’article 5, §§ 1er et 2, de cette loi.
En ce qui concerne les autres articles de la loi attaquée, elles affirment que « la violatio n de l’article 23 de la Constitution par l’article 5, § 1er et § 2, de la loi du 14 août 2021, ainsi démontrée, impacte l’ensemble de ladite loi, dès lors que cette inconstitutionnalité affecte tout le système de délégation de pouvoir constituant son ossature. C’est pourquoi il est donc pertinent d’annuler, pour ce motif, non seulement l’article 5, § 1er et § 2, mais bien la loi tout entière ».
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Cette prétendue connexité indissociable entre toutes les dispositions de la loi du 14 août 2021 ne joue toutefois que lorsqu’il s’agit de déterminer l’étendue d’une éventuelle annulatio n, mais n’enlève rien au fait que la Cour examine uniquement la compatibilité avec les normes de contrôle citées des dispositions contre lesquelles des moyens sont invoqués.
B.4.4. La Cour limite dès lors son examen à l’article 2, 3°, à l’article 3, à l’article 4, à l’article 5, à l’article 6 et à l’article 10 de la loi du 14 août 2021.
Quant à la recevabilité des recours en annulation
En ce qui concerne la compétence de la Cour
B.5. La requête dans l’affaire n° 7752 comprend deux parties. Dans la seconde partie, les requérants n’articulent aucun moyen, mais ils « souhaitent donner à [la] Cour la possibilité de s’exprimer dans le contexte actuel de malaise social ».
La Cour n’est toutefois pas compétente pour se prononcer sur un recours en annulatio n dans lequel il est seulement demandé à la Cour de « statuer en droit ».
L’exception d’incompétence soulevée contre la seconde partie de la requête dans l’affa ire n° 7752 est fondée.
En ce qui concerne l’intérêt des parties requérantes
B.6.1. Le Conseil des ministres fait valoir que les recours en annulation dans les affaires nos 7655, 7686 et 7757 sont irrecevables, à défaut d’intérêt dans le chef de certaines parties requérantes.
Pour ce qui est de la partie requérante dans l’affaire n° 7655, le Conseil des ministres relève que la loi du 14 août 2021 n’habilite pas le Roi à imposer une obligation vaccinale, de sorte que
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cette partie ne peut se prévaloir du danger auquel elle pourrait être exposée, compte tenu de son passé médical et du risque de développement de caillots qu’elle courrait si elle se faisait administrer un vaccin contre la COVID-19.
Pour ce qui est des parties requérantes dans l’affaire n° 7686, le Conseil des ministres fait valoir qu’elles n’exposent pas l’intérêt qu’elles pourraient avoir à l’éventuelle annulation de la loi du 14 août 2021.
Pour ce qui est des parties requérantes dans l’affaire n° 7757, le Conseil des ministre s soutient que la première partie requérante, l’ASBL « Groupe de Réflexion et d’Action Pour une Politique Ecologique », ne justifie pas de l’intérêt requis, étant donné qu’elle ne peut pas démontrer en quoi la loi du 14 août 2021 pourrait affecter directement son but statutaire, qui consiste à promouvoir la politique écologique en protégeant l’environnement par un mode de vie non fondé sur la croissance économique.
Le Conseil des ministres ne conteste par contre pas l’intérêt des parties requérantes dans les affaires nos 7633, 7731, 7751, 7752, 7753, 7758 et 7759.
B.6.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionne lle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.6.3. Le moyen unique dans l’affaire n° 7655 est formulé en des termes identiques à ceux du premier moyen dans l’affaire n° 7633. Dès lors que l’intérêt des parties requérantes dans l’affaire n° 7633 est établi, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant l’intérêt de la partie requérante dans l’affaire n° 7655.
L’exception est rejetée.
B.6.4. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7686 exposent leur intérêt dans leur mémoire en réponse. Elles invoquent la perspective d’un régime nouveau et plus favorable, leur souhait de pouvoir prendre connaissance des données scientifiques et leur possibilité d’introduire en connaissance de cause devant le Conseil d’État, section du contentie ux
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administratif, un recours en annulation dirigé contre les mesures prises en vertu de la loi attaquée. Elles justifient donc de l’intérêt requis.
L’exception est rejetée.
B.6.5. En ce qui concerne la requête dans l’affaire n° 7757, l’ASBL « Notre Bon Droit »
justifie de l’intérêt requis. Il ressort de ses statuts que celle-ci a pour but « de défendre au mieux les intérêts spécifiques des citoyens belges dans le cadre de la gestion et des mesures édictées pour lutter contre l’épidémie de SARS-cov2, et de leurs suites dans une société démocratique ».
En outre, « elle poursuit la réalisation de ce but par tous moyens, entre autres économiques, et notamment par toute forme de recours, organisés, non organisés, judiciaires, extrajudiciaires, administratifs, gracieux ou autres, et de manière directe ou indirecte ». Par ailleurs, « elle s’assigne notamment pour but la protection des droits de l’homme et des libertés fondamenta les dans le cadre de cette pandémie ». Il ressort notamment du site web de l’ASBL « Notre Bon Droit » que ce but est réellement poursuivi, entre autres par l’introduction de plusieurs procédures juridictionnelles, notamment devant la Cour, et par la diffusion d’informations par le biais de différents réseaux sociaux.
Par conséquent, l’intérêt des autres parties requérantes ne doit pas être examiné.
L’exception est rejetée.
En ce qui concerne l’exception obscuri libelli
B.7.1. Selon le Conseil des ministres, il est impossible d’identifier les critiques soulevées par les parties requérantes dans les deux moyens dans l’affaire n° 7752 et dans le premier moyen ainsi que dans les deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches du deuxième moyen dans l’affaire n° 7759, de sorte qu’il ne serait pas possible de mener une défense utile contre ces critiques.
B.7.2. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens et branches de moyens doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le
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respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
Cette exigence n’est pas de pure forme. Elle vise à fournir à la Cour ainsi qu’aux institutio ns et aux personnes qui peuvent adresser un mémoire à la Cour un exposé clair et univoque des moyens.
B.7.3. Il ressort des mémoires du Conseil des ministres qu’il a pu répondre de maniè re adéquate aux griefs formulés par les parties requérantes dans les affaires nos 7752 et 7759.
L’exception est rejetée.
En ce qui concerne l’exception d’irrecevabilité totale ou partielle de certains moyens ou de certaines branches de moyens
B.8.1. Le Conseil des ministres fait valoir, en ce qui concerne plusieurs requêtes, que certains moyens ou certaines branches de moyens seraient irrecevables en ce qu’il ne serait pas exposé en quoi certaines normes de référence invoquées auraient été violées. En outre, il fait valoir à plusieurs reprises qu’un moyen ou une branche de moyen serait irrecevable en ce que la Cour ne serait pas compétente pour effectuer un contrôle direct au regard de dispositio ns conventionnelles, de certains articles constitutionnels et principes généraux ou en ce que les parties requérantes auraient omis d’identifier les catégories de personnes qui auraient été traitées de manière discriminatoire par la ou les dispositions attaquées.
B.8.2. La Cour est compétente pour contrôler des normes législatives au regard des règles répartitrices de compétence entre l’autorité fédérale, les communautés et les régions, ainsi qu’au regard des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172
et 191 de la Constitution.
B.8.3. Tous les moyens ou branches de moyens dans les différentes requêtes ne sont pas pris de la violation d’une ou de plusieurs règles dont la Cour doit garantir le respect.
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Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7752 et le premier moyen dans l’affaire n° 7759 sont pris de la violation directe de l’article 187 de la Constitution. Le deuxième moyen dans l’affa ire n° 7757 est pris de la violation directe des articles 26, paragraphe 2, 56 et 57 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), de l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015
« prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information », des articles 14 et 16 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 « relative aux services dans le marché intérieur » et du principe de proportionnalité. Les moyens précité s sont irrecevables.
B.8.4. Lorsqu’une violation du principe d’égalité et de non-discrimination est invoquée en combinaison avec un autre droit fondamental garanti par la Constitution ou par une dispositio n de droit international, ou découlant d’un principe général de droit, la catégorie des personnes à l’égard desquelles ce droit fondamental est violé doit être comparée à la catégorie des personnes auxquelles ce droit fondamental est garanti.
B.8.5. Dans la mesure où les parties requérantes invoquent également des dispositio ns conventionnelles, d’autres articles de la Constitution et des principes généraux, la Cour n’en tiendra compte qu’en tant qu’elles dénoncent une violation des normes de contrôle mentionnées en B.8.2, lues en combinaison avec ces dispositions et principes. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens et les branches de moyens de la requête doivent non seulement préciser, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées, mais aussi les dispositions qui violeraient ces règles, et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par les dispositions visées.
La Cour examine les moyens et branches de moyens pour autant qu’ils satisfassent aux exigences précitées.
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Quant au fond
B.9. Par la loi du 14 août 2021, le législateur met en œuvre les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 23 de la Constitution, de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 191 du TFUE. Les travaux préparatoires mentionnent à cet égard :
« L’article 23 de la Constitution garantit [...] le droit fondamental à la protection de la santé et à l’aide médicale. Cette disposition impose aux autorités une obligation d’agir quand le droit fondamental à la santé de tout un chacun est menacé par l’impact considérable d’une crise sanitaire qui pourrait entraîner l’effondrement du système de santé actuel (CE, 30 octobre 2020, n° 248.819).
L’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacre le droit à la vie. Ce droit à la vie doit être activement protégé, et le pays doit éviter que le système des soins de santé soit mis en difficulté.
L’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) consacre le principe de précaution dans le cadre de la gestion d’une crise sanitaire internationale et de la préparation active à la potentialité de ces crises. Ce principe, qui s’applique tant en matière environnementale qu’en matière de protection des personnes […] implique que lorsqu’un risque grave présente une forte probabilité de se réaliser, il revient aux autorités publiques d’adopter des mesures urgentes et provisoires » (Doc. parl.,Chambre 2020-2021, DOC 55-1951/001, pp. 4-5).
Et :
« La protection de la santé en cas de situation d’urgence épidémique constitue par conséquent une obligation positive dans le chef des autorités publiques, et non un simple objectif légitime qu’il leur serait loisible de poursuivre » (ibid., p. 59).
B.10. Les nombreux moyens dans les affaires jointes comprennent un grand nombre de griefs, souvent répétitifs et redondants.
Pour autant que ces moyens satisfassent aux exigences mentionnées en B.7.2, la Cour examine les griefs des parties requérantes dans l’ordre suivant :
1. les règles répartitrices de compétences (B.11 à B.17);
2. l’interdiction de suspension de la Constitution (B.18 à B.20.4);
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3. la déclaration et le maintien de la situation d’urgence épidémique (article 3, § 1er)
(B.21.1 à B.28.3);
4. les données scientifiques (article 3, §§ 2 et 3) (B.29.1 à B.46.3);
5. la compétence relative aux mesures de police administrative (article 4) (B.47.1 à B.55);
6. les limitations des droits fondamentaux par des mesures de police administrative (article 5) (B.56.1 à B.62);
7. les dispositions pénales (article 6) (B.63 à B.73.3).
1. En ce qui concerne les règles répartitrices de compétences
B.11. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7753 font valoir que l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 viole les articles 24 et 127 de la Constitution en ce qu’il permettrait de prendre des mesures de police administrative empêchant l’exercice de la liberté d’enseignement et limitant l’accès aux établissements d’enseignement et aux activités culturelles, alors que l’enseignement et la culture relèvent de la compétence des communa utés (huitième moyen).
B.12. L’article 24 de la Constitution ne règle pas la répartition des compétences entre l’autorité fédérale et les communautés. En vertu de l’article 127, § 1er, alinéa 1er, 1° et 2°, de la Constitution, la compétence pour les matières culturelles et l’enseignement a été attribuée aux communautés :
« § 1er. Les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flama nde, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret :
1° les matières culturelles;
2° l'enseignement, à l'exception :
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a) de la fixation du début et de la fin de l'obligation scolaire;
b) des conditions minimales pour la délivrance des diplômes;
c) du régime des pensions;
[…] ».
B.13. Comme il est dit en B.1, la loi du 14 août 2021 prévoit un cadre général pour les mesures de police administrative spéciale qui peuvent être prises dans le cadre d’une situatio n d’urgence épidémique.
Il s’agit de mesures qui limitent l’entrée sur le territoire belge ou la sortie de celui-ci, de mesures qui tendent à la fermeture de certains établissements ou lieux de réunion ou qui en limitent l’accès, de mesures qui règlent ou interdisent la vente et l’utilisation de certains biens et services, de mesures qui limitent ou interdisent des rassemblements ou déplacements, de mesures qui fixent les conditions en matière d’organisation du travail et de mesures qui tendent à prévenir, ralentir ou arrêter la propagation de l’épidémie, comme le respect d’une certaine distance avec d’autres personnes, le port d’un moyen de protection individuel ou les règles relatives à l’hygiène des mains (article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021).
B.14. Les mesures de police administrative précitées peuvent uniquement être prises « en vue de prévenir ou de limiter les conséquences de la situation d’urgence épidémique pour la santé publique » (article 4, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 14 août 2021).
Les parties requérantes ne contestent pas que l’autorité fédérale soit, de manière générale, compétente pour permettre ces mesures. Cette compétence découle notamment de l’article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 1°, quatrième tiret, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, qui réserve « l’organisation de et [...] la politique relative à la police, en ce compris l’article 135, § 2, de la nouvelle loi communale, et aux services d’incendie » à l’autorité fédérale. Cette compétence réservée englobe les mesures de police sanitaire qui peuvent être prises en cas de situation d’urgence épidémique.
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Les parties requérantes contestent toutefois les effets des mesures de police administrative sur les compétences communautaires exclusives en matière d’enseignement et de culture.
B.15. Le Roi prend les mesures de police administrative « après concertation au sein des organes compétents dans le cadre de la gestion de crise » (article 4, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 14 août 2021). Lorsque les mesures de police administrative ont une incidence directe sur des matières qui relèvent de la compétence des entités fédérées, le gouvernement fédéral offre au préalable aux gouvernements des entités fédérées concernés la possibilité de se concerter quant aux effets de ces mesures sur leurs compétences, sauf en cas d’urgence (article 4, § 1er, alinéa 2, de la loi du 14 août 2021).
Lorsque les gouverneurs et bourgmestres prennent, chacun pour son propre territoire, des mesures de police administrative, ils se concertent en règle avec les autorités fédérales et fédérées compétentes en fonction de la mesure visée (article 4, § 2, de la loi du 14 août 2021).
Lorsque la concertation s’avère impossible en raison de l’urgence, cette concertation doit néanmoins avoir lieu dès que les circonstances le permettent.
Pour le surplus, il est expressément prévu que les mesures de police administrative doivent être « nécessaires, adéquates et proportionnelles [lire : proportionnées] à l’objectif poursuivi »
(article 4, § 3, alinéa 1er, de la loi du 14 août 2021). La même exigence découle du principe de la loyauté fédérale, contenu dans l’article 143, § 1er, de la Constitution, et du principe de proportionnalité qui est propre à tout exercice de compétence. Aucune autorité ne peut exercer sa compétence d’une manière qui rende impossible ou excessivement difficile l’exercice raisonnable, par d’autres autorités, de leurs compétences respectives.
Enfin, les mesures de police administrative peuvent uniquement être prises afin de prévenir ou de limiter les effets de la situation d’urgence épidémique sur la santé publique, et non pour réaliser d’autres objectifs politiques.
B.16. Bien que les mesures de police administrative puissent avoir des répercussions importantes sur les matières qui relèvent de la compétence des entités fédérées, la loi du 14 août
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2021 prévoit uniquement la possibilité, sous forme d’une habilitation conférée à d’autres autorités, de régler de telles mesures.
Il appartient au Conseil d’État et aux cours et tribunaux ordinaires d’examiner, le cas échéant, si les mesures de police administrative qui ont effectivement été prises respectent les limites de compétence précitées.
B.17. Le huitième moyen dans l’affaire n° 7753 n’est pas fondé.
2. En ce qui concerne l’interdiction de suspension de la Constitution
B.18. Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7752, le premier moyen, en sa première branche, et le deuxième moyen dans l’affaire n° 7753, le premier moyen dans l’affaire n° 7757
et le premier moyen dans l’affaire n° 7759 sont pris de la violation de l’article 187 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec diverses autres dispositions constitutionnelles, européennes et internationales, en ce que les articles attaqués de la loi du 14 août 2021
suspendraient la Constitution en tout ou en partie, alors qu’une telle suspension est interdite.
B.19.1. L’article 187 de la Constitution dispose :
« La Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie ».
B.19.2. L’article 187 de la Constitution est une garantie étroitement liée aux dispositio ns constitutionnelles dont la Cour assure le respect.
La Cour tient compte de la garantie contenue dans cette disposition constitutionne lle lorsqu’elle est saisie d’une violation de droits fondamentaux mentionnés au titre II de la Constitution. Les moyens dans les affaires précitées, en ce qu’ils sont pris de la violatio n d’articles contenus dans le titre II de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 187 de la Constitution, sont recevables.
B.20.1. Ni la loi du 14 août 2021 qui contient des habilitations, ni l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence ne sauraient, en soi, engendrer une suspension des
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dispositions de la Constitution, citées au moyen, qui garantissent des droits fondamentaux. Telle n’est pas l’intention du législateur. À cet égard Les travaux préparatoires de la loi du 14 août 2021 mentionnent explicitement que « la déclaration de la situation d’urgence épidémiq ue n’implique en aucun cas qu’il s’agirait d’un état d’urgence par lequel la Constitution serait suspendue, ce qui ne se peut en vertu de l’article 187 de la Constitution » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 18).
B.20.2. Du reste, une simple limitation d’un droit fondamental n’est pas, en soi, contraire à l’article 187 de la Constitution, d’autant que le contrôle juridictionnel prévu par la Constitution reste intact.
L’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique peut être attaqué devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État et contesté devant le juge ordinaire tant que cet arrêté royal n’a pas été confirmé par la Chambre des représentants. Après confirmation, c’est la Cour qui devient compétente. Les arrêtés par lesquels le Roi et, le cas échéant, le ministre de l’Intérieur ou les gouverneurs et bourgmestres prennent des mesures de police administrative peuvent être attaqués devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État et contestés devant le juge ordinaire.
B.20.3. Il n’appartient pas à la Cour de présumer de la manière dont sera mise en œuvre l’habilitation contenue dans les dispositions attaquées. Si le législateur habilite le Roi et, le cas échéant, le ministre de l’Intérieur, les gouverneurs et les bourgmestres à prendre des mesures de police administrative, il faut supposer qu’il n’entend habiliter le délégué qu’à faire de son pouvoir un usage compatible avec les dispositions de la Constitution.
B.20.4. Les moyens précités ne sont pas fondés.
3. En ce qui concerne la déclaration et le maintien de la « situation d’urgence épidémique »
B.21.1. L’article 3, § 1er, de la loi du 14 août 2021 dispose que le Roi déclare la situatio n d’urgence épidémique, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, après avis du ministre qui
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a la Santé publique dans ses attributions et après une analyse de risque réalisée par « l’organe chargé de l’appréciation et l’évaluation des risques [...] ». La situation d’urgence épidémiq ue est déclarée pour une certaine durée qui est strictement nécessaire et qui ne peut en aucun cas excéder trois mois. À l’expiration de la période de trois mois, le Roi peut déclarer le maintie n de la situation d’urgence épidémique, chaque fois pour une durée maximale de trois mois.
L’arrêté royal déclarant la situation d’urgence épidémique produit ses effets immédiatement et doit être confirmé par la loi dans un délai de quinze jours à compter de son entrée en vigue ur.
À défaut de confirmation dans ce délai, l’arrêté royal concerné cesse de sortir ses effets.
B.21.2. Les travaux préparatoires de la loi du 14 août 2021 précisent :
« La période maximale de trois mois constitue un délai raisonnable au regard de la nécessité d’évaluer à intervalles réguliers la situation d’urgence épidémique » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 15).
« Si le gouvernement ou la Chambre constate que les conditions ayant présidé à la déclaration (du maintien) de la situation d’urgence épidémique ne sont plus remplies, la loi de confirmation peut être abrogée, soit sur initiative du gouvernement, soit sur initiative de la Chambre. Dans ce cas, les mesures prises sur cette base cesseront de produire leurs effets pour l’avenir » (ibid., p. 18).
B.22.1. Le quatrième moyen dans l’affaire n° 7633, le moyen unique dans l’affa ire n° 7751, en sa deuxième branche, le premier moyen dans l’affaire n° 7753, le quatrième moyen dans l’affaire n° 7757, en ses première et deuxième branches, et le deuxième moyen dans l’affaire n° 7758 portent sur l’habilitation du Roi à déclarer et à maintenir la situation d’urgence épidémique.
B.22.2. Le quatrième moyen dans l’affaire n° 7633 porte sur le constat selon lequel l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique, s’il n’est pas confirmé à temps par la Chambre des représentants, cesserait seulement de sortir ses effets, ce qui serait contraire au principe de légalité formelle.
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Dans la deuxième branche du moyen unique dans l’affaire n° 7751, la partie requérante constate que la situation d’urgence épidémique peut durer trois mois, mais elle juge ce délai trop long.
Le premier moyen dans l’affaire n° 7753 est dirigé contre l’article 3, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 et est pris de la violation des articles 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec divers autres articles constitutionnels, dispositions européennes et principes généraux du droit. Le premier moyen est articulé en quatre branches. Les parties requérantes dénoncent une violation, en ce que l’article 3 de la loi du 14 août 2021 habilite le Roi à déclarer la situation d’urgence épidémiq ue et en ce que cet arrêté est valable pendant quinze jours, même sans confirmation, de sorte que le Roi serait habilité à suspendre des lois formelles et des normes constitutionnelles ou à dispenser de leur exécution (première branche). De plus, la Chambre des représentants ne serait pas libre de ne pas confirmer l’arrêté royal, de sorte qu’il reviendrait aux experts de décider s’il est question d’une situation d’urgence épidémique ou non (deuxième branche). Dans la troisième branche, elles soutiennent que le mécanisme de confirmation exclurait le contrôle effectué par la section du contentieux administratif du Conseil d’État et que le pouvoir de contrôle de la Cour serait trop limité. Dans la dernière branche, elles allèguent que la définitio n de « situation d’urgence épidémique » serait trop large, de sorte que ce serait un « ‘ organe ’ mystérieux et obscur, sans la moindre légitimité démocratique ou existence constitutionnelle »
qui déciderait de la situation d’urgence.
Dans le premier moyen et dans la première branche du quatrième moyen dans l’affa ire n° 7757, les parties requérantes soutiennent que la notion de « situation d’urgence épidémique »
est définie très largement, de sorte qu’il serait impossible de contrôler la volonté du législate ur.
En outre, ajoutent-elles dans la deuxième branche du quatrième moyen, la confirmation par le pouvoir législatif dans les quinze jours ne serait pas suffisante, puisque les mesures de police administrative sont exécutoires dès leur publication au Moniteur belge.
Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7758 est pris de la violation des articles 10, 11 et 13
de la Constitution, lus en combinaison avec d’autres dispositions constitutionnelles et européennes et avec des principes généraux du droit. Les parties requérantes estiment que le délai de confirmation de l’arrêté royal déclarant la situation d’urgence épidémique serait trop
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bref pour qu’un recours soit introduit avec succès devant le Conseil d’État (première branche), de sorte qu’elles n’auraient pas accès à un recours effectif et réel (seconde branche).
B.23.1. Au sujet de la loi de confirmation de l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique, les travaux préparatoires de la loi du 14 août 2021 précisent :
« La confirmation par le législateur vise par ailleurs à introduire une importante garantie démocratique supplémentaire au moment de la déclaration d’une situation d’urgence épidémique et est, de ce point de vue, nécessaire et utile. En outre, l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique ne détermine pas en soi les mesures de police administrative. Ni l’arrêté royal déclarant ou maintenant une situation d’urgence épidémique ni la loi de confirmation ne contiennent des mesures qui pourraient, par exemple, restreindre les droits fondamentaux » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 17).
B.23.2. Depuis l’adoption de l’arrêté royal précité, le Roi doit respecter les conditions fixées à l’article 2, 3°, de la loi du 14 août 2021. Les travaux préparatoires de cette loi mentionnent à cet égard :
« La définition se compose de quatre volets, dont les trois premiers sont cumulatifs. Il peut être question d’une situation d’urgence épidémique au sens de la présente loi, seulement quand ces trois conditions sont remplies.
Dans le premier volet, l’épidémie est décrite comme une situation spécifiq ue qui touche, effectivement ou potentiellement, un grand nombre de personnes en Belgique et qui y affecte gravement leur santé mentale et/ou physique. […] La situation elle-même, ou sa cause, ne doit pas nécessairement avoir lieu sur (tout) le territoire belge. Cela signifie que la situatio n d’urgence peut aussi être déclarée avant qu’il n’y ait un grand nombre de victimes en Belgiq ue.
Il ressort du projet que le principe de proportionnalité sera appliqué conjointement avec le principe de précaution. [...]
[...]
Dans un deuxième volet, il est fait référence à l’impact réel ou potentiel de la situation sur le système de soins de santé. L’impact peut se ressentir dans plusieurs aspects du système de soins de santé, mais doit se ressentir dans au moins un aspect. Il peut s’agir d’une surcharge importante de certains professionnels des soins et services de santé [...] et/ou la nécessité de les renforcer, alléger ou soutenir, [...] afin d’éviter une implosion du système de soins de santé. De plus, la situation peut également entraîner la nécessité d’une disponibilité plus rapide des médicaments, dispositifs médicaux ou équipements de protection individuelle.
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Dans le troisième volet, le lien est fait avec la phase fédérale et la nécessité dans ce cas de mettre en place une coordination et une gestion des acteurs compétents au niveau national afin de faire disparaître la menace ou de limiter les conséquences néfastes de l’événement.
Le quatrième volet concerne l’évaluation éventuelle de la situation par des organisatio ns internationales, dont la Belgique est membre ou partenaire. Une épidémie ne s’arrête en effet pas aux frontières nationales. [...] La reconnaissance de la situation par l’OMS ou par l’Unio n européenne sur la base de la législation internationale [...] peut être un élément supplémenta ire pour déclarer la situation d’urgence épidémique en Belgique. Bien que ce quatrième élément n’ait pas de valeur normative, il a cependant été repris dans la définition par souci de clarté.
Pour le reste, le Conseil d’État n’avait pas de remarques concernant la définition » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, pp. 13-15).
Dans le rapport de commission, il est également mentionné que la définition de situatio n d’urgence épidémique tend à ménager un équilibre :
« d’une part, il est difficile aujourd’hui de prévoir exactement pour quelles situatio ns concrètes la loi pandémie sera nécessaire; d’autre part, il est important de fixer des conditio ns suffisamment strictes pour que toute situation d’urgence ne puisse pas être un élément déclencheur du déploiement du mécanisme de la loi pandémie. Pour cette raison, il a été précisé, entre autres, qu’il doit y avoir une menace grave pour la santé. Les différents éléments de la définition fournissent des seuils pour la déclaration d’une pandémie et la justification sur laquelle une telle déclaration doit être basée » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/005, p. 43).
B.23.3. Pour que le Roi puisse déclarer ou maintenir la situation d’urgence épidémique, il doit donc être satisfait de manière cumulative aux points a), b), et c) de l’article 2, 3°, de la loi du 14 août 2021, ce qui ressort de la mention « et » qui précède les points b) et c). Il ne doit pas nécessairement être satisfait au point d) de cette disposition, puisque la mention « le cas échéant » indique explicitement que cette condition n’est pas indispensable. Une situatio n d’urgence épidémique ne peut donc pas être déclarée en Belgique si celle-ci n’est pas elle- mê me touchée par une épidémie. Le législateur a admis que la reconnaissance par l’Organisa tio n mondiale de la Santé ou par l’Union européenne ne peut constituer qu’un élément accessoire et que ce qui se passe à l’étranger n’aura pas toujours un impact en Belgique.
La définition de la notion de « situation d’urgence épidémique » est donc claire et les éléments essentiels ont été fixés par le législateur lui-même.
B.23.4. Outre que le Roi doit respecter les garanties précitées, l’arrêté royal précité ne limite pas, en soi, l’un des droits fondamentaux consacrés par les dispositions constitutionne lles
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citées au premier moyen et à la première branche du quatrième moyen. Il s’agit de l’étape préalable et nécessaire à l’adoption des mesures de police administrative visées aux articles 4
et 5 de la loi du 14 août 2021. Autrement dit, l’article 3 de la loi du 14 août 2021 a pour seul destinataire le Roi. Il s’agit d’une disposition Lui conférant le pouvoir d’adopter un arrêté, dépourvu de portée normative, lequel constituera, le cas échéant, une formalité préalable obligatoire à l’adoption, par les autorités visées à l’article 4, §§ 1er et 2, des mesures de police administrative précitées.
B.23.5. La Cour n’est pas compétente pour censurer une disposition qui règle la répartitio n des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, sauf si cette dispositio n méconnaît les règles répartitrices de compétences entre l’État, les communautés et les régions ou si le législateur prive une catégorie de personnes de l’intervention d’une assemblée démocratiquement élue, prévue explicitement par la Constitution. Il ressort de ce qui est dit en B.23.1 que tel n’est pas le cas en l’espèce.
B.23.6. Le premier moyen dans l’affaire n° 7753, en sa quatrième branche, et le premier moyen et le quatrième moyen, en sa première branche, dans l’affaire n° 7757 ne sont pas fondés.
B.24.1. En ce qui concerne l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique, l’article 3, § 2, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021 prévoit qu’à défaut de confirmation de cet arrêté dans les quinze jours, celui-ci cesse de sortir ses effets. La déclaration constitue le point de départ permettant de prendre des mesures de police administrative.
En ce qui concerne les mesures de police administrative proprement dites, l’article 4, § 3, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021 ne prévoit pas une confirmation distincte. Toutefois, du fait de l’obligation de confirmation de l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique dans les quinze jours et de la durée maximale limitée – trois mois – des mesures de police administrative, ces actes administratifs ont eux aussi une durée de validité relative me nt limitée. Les mesures de police administrative ne peuvent être prises que pour une durée maximale de trois mois et ne peuvent sortir leurs effets que pour autant que la « situatio n d’urgence épidémique » existe encore ou ait été maintenue conformément à l’article 3, § 1er,
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de la loi du 14 août 2021. Par ailleurs, ces mesures ne peuvent être prolongées pour une durée maximale de trois mois que pour autant que la situation d’urgence épidémique existe encore ou ait été maintenue conformément à l’article 3, § 1er. À défaut de confirmation de l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique, ces mesures cessent de produire leurs effets.
B.24.2. La circonstance qu’à défaut d’une confirmation en temps utile, les mesures d’exécution concernées cessent de produire leurs effets pour l’avenir, au lieu de cesser de les produire avec effet rétroactif, n’a pas pour conséquence que la délégation concernée serait inconstitutionnelle.
Pour le surplus, comme il est dit en B.60.1 et suivants, l’examen de la constitutionnalité de la délégation faite aux autorités concernées de prendre les mesures de police administrative énumérées par la loi - prévue par l’article 4 de la loi du 14 août 2021 –, fait apparaître que cette délégation ne porte pas atteinte aux matières que le Constituant a réservées au législateur.
B.24.3. Le quatrième moyen dans l’affaire n° 7633 n’est pas fondé.
B.25.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7751 soutiennent, dans la deuxiè me branche de leur moyen unique, que le délai de trois mois applicable aux mesures de police administrative serait trop long et ne serait pas justifié.
B.25.2. Tout d’abord, la loi du 14 août 2021 ne délègue des compétences au Roi et, le cas échéant, au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux bourgmestres que lorsqu’il est question d’une situation d’urgence épidémique. La question de savoir quelles mesures de police administrative seront prises et combien de temps ces mesures seront applicables dépend de la situation d’urgence épidémique, et ces mesures doivent viser à prévenir ou à limiter les conséquences de la situation d’urgence épidémique sur la santé publique. Les mesures de police administrative devront nécessairement être adaptées à la situation d’urgence en question et peuvent varier, en fonction non seulement de la nature de la pandémie ou de l’épidémie, mais aussi du développement de celle-ci.
Le délai visé à l’article 3, § 1er, de la loi du 14 août 2021 doit donc être évalué in abstracto et ne porte par ailleurs que sur la durée de validité de la situation d’urgence épidémiq ue
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proprement dite et non sur la durée de validité des mesures de police administrative.
L’appréciation concrète de la légalité des mesures de police administrative appartient à la section du contentieux administratif du Conseil d’État et au juge ordinaire.
B.25.3. Les mesures de police administrative n’ont ni nécessairement ni automatique me nt une durée de trois mois. L’article 4, § 3, de la loi du 14 août 2021 dispose que les mesures de police administrative « sont adoptées pour l’avenir, pour une durée maximale de trois mois et ne peuvent sortir leurs effets que pour autant que la situation d’urgence épidémique existe encore ou ait été maintenue conformément à l’article 3, § 1er ». Les mesures de police administrative peuvent être prolongées chaque fois pour une durée de trois mois au maximum et « pour autant que la situation d’urgence épidémique existe encore ou ait été mainte nue conformément à l’article 3, § 1er ».
La durée de trois mois n’est dès lors autorisée que si la situation d’urgence épidémiq ue l’exige, compte tenu de l’avis des experts (article 3, § 1er, et article 4, § 1er) et d’autres mécanismes qui ont été instaurés afin de satisfaire aux principes de la nécessité et de la proportionnalité, tels que, notamment, la publication des données scientifiques qui sous-tendent l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique (article 3, § 3, première phrase).
B.25.4. Le moyen unique dans l’affaire n° 7751, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
B.26.1. En ce qui concerne la première branche du premier moyen dans l’affaire n° 7753, l’article 3 attaqué ne délègue au Roi que la déclaration de la situation d’urgence épidémiq ue.
Cette disposition n’habilite en aucun cas le Roi, le ministre de l’Intérieur, les gouverneurs et les bourgmestres à prendre certaines mesures de police administrative.
Partant, l’on n’aperçoit pas en quoi le fait d’habiliter à déclarer ou à maintenir la situatio n d’urgence épidémique emporterait en soi la suspension, la limitation ou l’inapplicabilité de lois formelles et de normes constitutionnelles, et pourrait donc constituer une violation des normes de référence invoquées par les parties requérantes.
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B.26.2. Le premier moyen dans l’affaire n° 7753, en sa première branche, n’est pas fondé.
B.26.3. L’article 3, §§ 1er et 2, n’oblige pas la Chambre des représentants à confirme r l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique. En outre, l’article 3, § 2, alinéa 3, dispose explicitement qu’« à défaut de confirmation dans le délai visé à l’alinéa 2, l’arrêté royal concerné cesse de sortir ses effets ». De plus, les travaux préparatoires mentionnent explicitement :
« Si le gouvernement ou la Chambre constate que les conditions ayant présidé à la déclaration (du maintien) de la situation d’urgence épidémique ne sont plus remplies, la loi de confirmation peut être abrogée, soit sur initiative du gouvernement, soit sur initiative de la Chambre » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 18).
Par ailleurs, la simple circonstance qu’une analyse de risque doit être effectuée par « l’organe chargé de l’appréciation et [de] l’évaluation des risques dans le cadre d’une phase fédérale visée au paragraphe 4 et montrant qu’il s’agit d’une situation d’urgence épidémique »
avant que l’arrêté royal puisse être pris ne saurait être considérée comme une délégation de compétence permettant à l’organe consultatif concerné de décider s’il est question d’une situation d’urgence épidémique ou non. L’existence d’une analyse de risque préalable ne signifie pas que le Roi ne disposerait plus à cet égard du moindre pouvoir de décision.
En outre, l’organe consultatif n’est pas un « ‘ organe ’ mystérieux et obscur, sans la moindre légitimité démocratique ou existence constitutionnelle », mais un « organe chargé de l’appréciation et l’évaluation des risques dans le cadre d’une phase fédérale visée au paragraphe 4 ». Selon les travaux préparatoires, cet organe est la cellule d’évaluation, créée par l’arrêté royal du 31 janvier 2003 « portant fixation du plan d’urgence pour les événements et situations de crise nécessitant une coordination ou une gestion à l’échelon national » (Doc.
parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, pp. 15-16).
B.26.4. Le premier moyen dans l’affaire n° 7753, en ses deuxième et quatrième branches, n’est pas fondé.
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B.27.1. En ce qui concerne la troisième branche du premier moyen dans l’affaire n° 7753
et le second moyen dans l’affaire n° 7758, l’article 13 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».
Le droit d’accès au juge serait vidé de tout contenu s’il n’était pas satisfait aux exigences du procès équitable, garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, par l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par un principe général de droit. Il convient dès lors de tenir compte de ces garanties lors d’un contrôle au regard de l’article 13 de la Constitution.
B.27.2. Le droit d’accès au juge, tel qu’il est garanti, entre autres, par l’article 13 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, n’est pas absolu et peut être soumis à des limitations, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, pour autant que de telles restrictions ne portent pas atteinte à l’essence de ce droit et pour autant qu’elles soient proportionnées à un but légitime.
Le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de sécurité juridique et de bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (CEDH, 27 juillet 2006, Efstathiou e.a. c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:2006:0727JUD003699802, § 24; 24 février 2009, L’Erablière ASBL c. Belgique, ECLI:CE:ECHR:2009:0224JUD004923007, § 35).
B.27.3. L’article 3, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 n’empêche pas que l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique puisse être attaqué devant un juge indépendant et impartial. En effet, avant sa confirmation, l’arrêté royal peut faire l’objet d’un recours devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État ou être contesté devant le juge ordinaire. À cette occasion, il appartient au juge compétent de contrôler le respect des conditions prévues à l’article 2, 3°, de la loi du 14 août 2021.
B.27.4. La loi de confirmation relève de la compétence de la Cour. À cet égard, l’incompétence de la Cour pour contrôler qu’un arrêté royal confirmé respecte les conditio ns légales précitées découle directement de l’article 142, alinéa 2, de la Constitution. Partant, le
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grief des parties requérantes sur ce point porte sur un choix du Constituant qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler.
B.27.5. Le premier moyen dans l’affaire n° 7753, en sa troisième branche, et le second moyen dans l’affaire n° 7758 ne sont pas fondés.
B.28.1. Dans l’affaire n° 7757, les parties requérantes font valoir, dans la seconde branche du quatrième moyen, que la confirmation dans les quinze jours serait trop tardive, étant donné que les mesures de police administrative sont exécutoires dès leur publication au Moniteur belge.
B.28.2. Les travaux préparatoires mentionnent, à cet égard :
« A cet effet, un délai de quinze jours est prévu, vu les différentes remarques reprises dans le rapport fait au nom de la Commission de l’Intérieur, de la Sécurité, de la Migration et des Matières administratives […] (n° 55-1897/001) selon lesquelles il faut prévoir suffisamment de temps pour pouvoir mener un débat parlementaire approfondi » (Doc. parl., Chambre, 2020-
2021, DOC 55-1951/001, pp. 16-17).
Le législateur a estimé qu’un délai inférieur à quinze jours n’aurait pas été suffisant pour qu’un débat parlementaire approfondi soit mené. De plus, la section de législation du Conseil d’État était elle-même sceptique quant au délai initial de deux jours pour confirmer l’arrêté royal.
« [Un délai de deux jours] est incompatible avec la saisine de la section de législation du Conseil d’État » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 102).
Le rapport mentionne :
« [Un délai de quinze jours] garantit une procédure claire et transparente et répond en même temps à la question de la protection juridique en ce qui concerne l’arrêté royal qui déclare la situation d’urgence épidémique » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/005, p. 41).
B.28.3. Le quatrième moyen dans l’affaire n° 7757, en sa seconde branche, n’est pas fondé.
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4. En ce qui concerne les données scientifiques (article 3, §§ 2 et 3)
B.29.1. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, subdivisé en cinq branches, et la troisième branche du moyen unique dans l’affaire n° 7751 portent sur les données scientifiq ues mentionnées à l’article 3, §§ 2 et 3, de la loi du 14 août 2021.
B.29.2. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686 dénonce une différence de traitement entre la population et le président de la Chambre des représentants, alors que les personnes relevant de ces deux catégories seraient des destinataires équivalents des données scientifiq ues (première branche), en ce que la communication des données scientifiques ne serait pas conforme aux exigences contenues dans l’article 5 de la Convention d’Aarhus (deuxiè me branche), en ce que la communication des données scientifiques témoignerait d’une censure (troisième branche), en ce que la publication des données scientifiques n’aurait pas été réglée concrètement (quatrième branche) et en ce que le législateur aurait pris une mesure contraire au droit à la publication, au droit à la liberté d’information et au droit à la protection de la santé (cinquième branche).
Dans la troisième branche du moyen unique dans l’affaire n° 7751, la partie requérante fait valoir que la situation d’urgence épidémique devrait reposer sur une analyse objective des données scientifiques et non sur de simples prévisions des données épidémiques. Un rapport d’évaluation a posteriori (article 10 de la loi du 14 août 2021) ne serait pas suffisant; une analyse préalable devrait avoir lieu.
B.30.1. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa cinquième branche, est pris de la violation des articles 10, 11, 13, 19, 23 et 32 de la Constitution, du droit à la publication, du droit à la liberté d’information et du droit à la protection de la santé, les parties requérantes soutenant que la publication des données scientifiques tiendrait insuffisamment compte de la fracture numérique qui existerait au sein de la population.
B.30.2. Les parties requérantes n’exposent pas en quoi l’article 3 de la loi du 14 août 2021
violerait les articles 13, 19 et 32 de la Constitution, le droit à la liberté d’information et le droit
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à la protection de la santé, de sorte que cette branche est irrecevable en ce qui concerne ces normes de référence.
B.31.1. La troisième branche du moyen unique dans l’affaire n° 7751 repose sur la nécessité que les données scientifiques (article 3, §§ 2 et 3) soient analysées de manière objective, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
Non seulement les parties requérantes ne formulent aucune critique à cet égard ni ne précisent en quoi cette situation serait contraire aux dispositions constitutionnelles et européennes précitées, mais l’article attaqué ne permet pas non plus de déduire que les données scientifiques ne seraient pas analysées de manière objective.
B.31.2. Le moyen unique dans l’affaire n° 7751, en sa troisième branche, est irrecevable.
B.32. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa première branche, est pris de la violation, par l’article 3 de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 13, 32 et 160 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il existerait une différence de traitement non justifiée entre la population et le président de la Chambre des représentants en ce qui concerne la publication des données scientifiques, alors que les personnes de ces deux catégories devraient être considérées comme des destinataires équivalents. Les données ne seraient communiquées à la population que « dès qu’elles sont disponibles et exploitables » et il ne s’agirait que d’une publication fragmentée.
Les données scientifiques seraient en revanche communiquées « dans les meilleurs délais » au président de la Chambre des représentants.
B.33. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de
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non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.34.1. Selon le Conseil des ministres, les catégories de personnes à comparer, à savoir le président de la Chambre des représentants et la population, ne sont pas comparables, parce qu’on ne peut attendre de la population qu’elle comprenne des données scientifiques sous toute forme et parce que les tâches du président de la Chambre des représentants et de la population sont fondamentalement différentes.
B.34.2. Il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité. S’il est vrai que les différentes tâches des destinataires des données scientifiques peuvent constituer un élément dans l’appréciation du caractère raisonnable et proportionné de la différence de traitement en ce qui concerne la publication des données scientifiques, elles ne sauraient suffire pour conclure à la non-comparabilité de ces personnes, sous peine de priver de sa substance le contrôle au regard du principe d’égalité et de non-discrimination.
B.35. Il n’existe aucune obligation générale de publication des données scientifiques qui fondent une réglementation déterminée. La loi du 14 août 2021 instaure une obligation de publication des données scientifiques à des fins de transparence, ce qui constitue un objectif légitime.
B.36. La différence de traitement est raisonnablement justifiée, en ce qu’il appartient uniquement à la Chambre des représentants de confirmer dans les quinze jours l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique. C’est pour cette raison que le président de la Chambre de représentants doit être informé dans les meilleurs délais, pour qu’un contrôle politique direct puisse être réalisé de la manière la plus complète possible.
B.37. La simple circonstance que les « autorités et services compétents », conformé me nt à l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021, veillent à la publication des données scientifiq ues destinées à la population ne prive pas la mesure de son caractère raisonnable. Le fait d’y veiller constitue en effet une garantie pour la population, afin d’assurer la transparence, et il n’est d’ailleurs pas exclu que les informations scientifiques soient aussi communiq uées
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immédiatement à la population, dans la mesure où les informations scientifiques communiq uées au président sont déjà disponibles et exploitables au sens de l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021.
B.38. Par ailleurs, la disposition attaquée ne porte nullement atteinte à la législation en vigueur en matière de publicité et, en cas d’éventuel refus d’une demande de publicité, le demandeur peut introduire un recours devant l’instance de recours concernée, dont la décision pourra à son tour être attaquée devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État.
B.39. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa première branche, n’est pas fondé.
B.40.1. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa deuxième branche, est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 5 de la Convention d’Aarhus, avec le droit d’accès au juge et avec le droit à la liberté d’informatio n, en ce que l’article 5, paragraphe 1, de la Convention d’Aarhus exigerait que les données scientifiques soient diffusées immédiatement et sans retard, en ce que l’article 5, paragraphe 2, de la Convention d’Aarhus interdirait les restrictions temporelles et de fond à la publication des données scientifiques et en ce que l’article 5, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus exigera it que les informations soient facilement accessibles.
B.40.2. L’article 5, paragraphe 1, c), de la Convention d’Aarhus dispose qu’en cas de menace imminente pour la santé humaine ou l’environnement, les informations sur l’environnement susceptibles de permettre au public de prévenir ou de limiter les dommages découlant de la menace sont diffusées immédiatement et sans retard.
L’article 5, paragraphe 2, de la Convention d’Aarhus dispose que les informations sur l’environnement doivent être mises à disposition de manière transparente et efficace. Les informations sur l’environnement doivent dès lors être rendues accessibles de manière efficace et transparente, ce qui signifie que les informations de nature technique sont rendues réelleme nt accessibles pour le citoyen.
L’article 5, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus dispose que les informations sur l’environnement doivent être rendues progressivement disponibles en ligne d’une manière facilement accessible.
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B.40.3. La Convention d’Aarhus a pour but de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être (article 1er de la Convention d’Aarhus). Elle garantit le droit d’accès à l’information, de participation au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement conformément aux dispositions de ladite Convention.
L’accès aux informations sur l’environnement comprend la publicité active des informations sur l’environnement. Selon l’article 2, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus, il faut entendre par « informations sur l’environnement » :
« 3. [...] toute information disponible sous forme écrite, visuelle, orale ou électronique ou sous toute autre forme matérielle, et portant sur :
a) L’état d’éléments de l’environnement tels que l’air et l’atmosphère, l’eau, le sol, les terres, le paysage et les sites naturels, la diversité biologique et ses composantes, y compris les organismes génétiquement modifiés, et l’interaction entre ces éléments;
b) Des facteurs tels que les substances, l’énergie, le bruit et les rayonnements et des activités ou mesures, y compris des mesures administratives, des accords relatifs à l’environnement, des politiques, lois, plans et programmes qui ont, ou risquent d’avoir, des incidences sur les éléments de l’environnement relevant de l’alinéa a) ci-dessus et l’analyse coût-avantages et les autres analyses et hypothèses économiques utilisées dans le processus décisionnel en matière d’environnement;
c) L’état de santé de l’homme, sa sécurité et ses conditions de vie ainsi que l’état des sites culturels et des constructions dans la mesure où ils sont, ou risquent d’être, altérés par l’état des éléments de l’environnement ou, par l’intermédiaire de ces éléments, par les facteurs, activités ou mesures visés à l’alinéa b) ci-dessus ».
Il ressort de chacun des éléments susmentionnés qu’un lien avec l’environnement est nécessaire. En outre, en ce qui concerne la santé humaine, il faut démontrer que l’état de santé peut être altéré par l’état des éléments de l’environnement ou, par l’intermédiaire de ces éléments, par (1) des facteurs tels que les substances, l’énergie, le bruit et les rayonneme nts, (2) des activités ou mesures qui risquent d’avoir des incidences sur les éléments de l’environnement ou (3) l’analyse coût-avantages et les autres analyses économiques utilisées dans le processus décisionnel en matière d’environnement. Dans ce cas seulement, la santé humaine peut être considérée comme une information sur l’environnement au sens de la Convention d’Aarhus.
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B.40.4. L’article 5 de la Convention d’Aarhus contient les obligations relatives à la collecte et à la diffusion d’informations sur l’environnement. L’article 5, paragraphe 10, de la Convention d’Aarhus établit des exceptions à ce qui est dit à l’article 5 et renvoie, à cet égard, aux exceptions prévues à l’article 4 de la Convention d’Aarhus.
L’article 4 de la Convention d’Aarhus traite de l’accès aux informations sur l’environnement. Les exceptions énumérées à l’article 4, paragraphes 3 et 4, sont toutefois applicables à la publicité active, conformément à l’article 5, paragraphe 10, de la Conventio n d’Aarhus. Conformément à l’article 4, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus, il n’est pas exclu qu’une autorité refuse de publier des documents en cours d’élaboration et des communications internes d’autorités publiques.
B.41.1. La notion d’« informations sur l’environnement » requiert un lien avec l’environnement. Les parties requérantes n’indiquent pas clairement en quoi les données scientifiques qui fondent l’arrêté royal déclarant ou maintenant une situation d’urgence épidémique pourraient avoir un lien avec l’environnement. L’article 5 de la Conventio n d’Aarhus ne s’avère donc pas applicable.
En effet, l’article 2, 3°, de la loi du 14 août 2021 définit une situation d’urgence épidémiq ue comme étant « tout événement qui entraîne ou qui est susceptible d’entraîner une menace grave suite à la présence d’un agent infectieux chez l’homme ». Un lien avec l’environnement fait défaut, étant donné que la loi du 14 août 2021 ne précise nullement que l’état de la santé et de la sécurité humaines est altéré ou risque d’être altéré par l’état des éléments de l’environne me nt ou, par l’intermédiaire de ces éléments, par les facteurs, activités ou mesures visés à l’article 2, paragraphe 3, c), de la Convention d’Aarhus. Il est uniquement question d’un agent infectie ux chez l’homme.
B.41.2. En ce qui concerne la violation éventuelle du droit à la liberté d’information, les parties requérantes n’indiquent pas clairement quel en serait le fondement ni ce que ce droit devrait comprendre. Si ce droit à la liberté d’information doit être considéré comme un droit d’accès aux documents, il suffit de constater que l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021
comporte une règle de publicité active et non de publicité passive, qui suppose l’accès aux documents administratifs.
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B.42.1. Le moyen unique, en sa deuxième branche, concerne la notion d’« informatio ns sur l’environnement » au sens du droit conventionnel. Se pose plus particulièrement la question de savoir si les données scientifiques doivent être considérées comme des « informations sur l’environnement » au sens de l’article 2, paragraphe 3, de la Convention d’Aarhus.
Les parties requérantes demandent à la Cour de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
Elles soutiennent ensuite que, s’il est admis que les données scientifiques constituent des informations sur l’environnement au sens de l’article 2, paragraphe 3, de la Conventio n d’Aarhus, l’exception prévue par l’article 4, paragraphe 3, c), de la Convention d’Aarhus n’est pas applicable et que l’article 5, paragraphe 1, c), de la Convention d’Aarhus s’oppose aux restrictions dilatoires, temporelles et de fond prévues à l’article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021.
Elles demandent à nouveau à la Cour de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
B.42.2. Lorsqu’une question d’interprétation du droit de l’Union européenne est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours en vertu du droit national, cette juridiction est tenue de poser la question à la Cour de justice, conformément à l’article 267, troisième alinéa, du TFUE.
Ce renvoi n’est toutefois pas nécessaire lorsque cette juridiction a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente, que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Unio n s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (CJCE, 6 octobre 1982, C-283/81, CILFIT, ECLI:EU:C:1982:335, point 21; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi SpA, ECLI:EU:C:2021:799, , point 33). À la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ces motifs doivent ressortir à suffisance de la motivatio n de l’arrêt par lequel la juridiction refuse de poser la question préjudicielle (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi SpA, ECLI:EU:C:2021:799, point 51).
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L’exception du défaut de pertinence a pour effet que la juridiction nationale n’est pas tenue de poser une question lorsque « la question n’est pas pertinente, c’est-à-dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solutio n du litige » (CJUE, 15 mars 2017, Aquino, C-3/16, ECLI:EU:C:2017:209, point 43; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi SpA, ECLI:EU:C:2021:799, point 34).
L’exception selon laquelle l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec évidence implique que la juridiction nationale doit être convaincue que la même évidence s’imposerait également aux autres juridictions de dernier ressort des autres États membres et à la Cour de justice. Elle doit à cet égard tenir compte des caractéristiques propres au droit de l’Union, des difficultés particulières que présente l’interprétation de ce dernier et du risque de divergences de jurisprudence au sein de l’Union. Elle doit également tenir compte des différences entre les versions linguistiques de la disposition concernée dont elle a connaissance, notamment lorsque ces divergences sont exposées par les parties et sont avérées. Enfin, elle doit également avoir égard à la terminologie propre à l’Union et aux notions autonomes dans le droit de l’Union, ainsi qu’au contexte de la disposition applicable à la lumière de l’ensemb le des dispositions du droit de l’Union, de ses finalités et de l’état de son évolution à la date à laquelle l’application de la disposition en cause doit être faite (CJUE, grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, ECLI:EU:C:2021:799, points 40-46).
Pour le surplus, une juridiction nationale statuant en dernier ressort peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour « pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité » (CJCE, 14 décembre 1995, Van Schijndel et Van Veen, C-430/93 et C-431/93, ECLI:EU:C:1995:441, point 17; CJUE, 15 mars 2017, Aquino, C-3/16, ECLI:EU:C:2017:209, point 56; grande chambre, 6 octobre 2021, C-561/19, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi SpA, ECLI:EU:C:2021:799, point 61).
B.42.3. Étant donné qu’il n’est pas établi que la Convention d’Aarhus et le droit de l’Unio n européenne sont d’application en l’espèce, les questions préjudicielles suggérées par les parties requérantes sont dénuées de pertinence et il n’y a donc pas lieu de les poser à la Cour de justice de l’Union européenne.
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B.42.4. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
B.43.1. La troisième branche du moyen unique dans l’affaire n° 7686 porte sur la violatio n des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 19, 32 et 190 de la Constitution, avec l’article 5 de la Convention d’Aarhus, avec le principe de précaution, avec le droit d’accès au juge, avec le principe de l’État de droit et avec le droit à la liberté d’information. Seules les données scientifiques qui étayent les arrêtés royaux adoptés seraient communiquées à la population et au président de la Chambre des représentants, et les données autres que ces données scientifiques et les données scientifiques qui n’étayent pas les arrêtés adoptés ou qui les contredisent ne seraient pas communiquées. Les restrictions temporelles et de fond quant à la publication des données scientifiques entraîneraient la violation du droit d’accès au juge, du principe de l’État de droit et du droit à la liberté d’information.
B.43.2. L’article 3 de la loi du 14 août 2021 ne comporte pas de restriction de fond quant au type de données scientifiques devant être publiées. Aucune disposition de la loi du 14 août 2021 ne permet de déduire que la publication ne saurait ou ne pourrait porter sur toutes les données scientifiques sur la base desquelles il est conclu à l’existence ou non d’une situatio n d’urgence épidémique. Il convient dès lors de considérer que l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique sera pris sur la base de toutes les données scientifiques pertinentes et pas uniquement sur la base des données qui confirment l’existe nce d’une situation d’urgence épidémique. L’avis du ministre de la Santé publique et l’analyse de risque de la cellule d’évaluation font également partie des données scientifiques qui doivent être publiées, étant entendu que cet avis ou cette analyse de risque ne confirment pas nécessairement l’existence d’une situation d’urgence épidémique.
B.44.1. L’article 190 de la Constitution, qui dispose qu’« aucune loi, aucun arrêté ou règlement d’administration général, provincial ou communal, n’est obligatoire qu’après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi », ne porte pas sur la publication des données scientifiques sur lesquelles, le cas échéant, un arrêté royal est fondé.
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Par ailleurs, la disposition attaquée ne porte nullement atteinte à la législation applicable en matière de publicité. En cas d’éventuel refus d’une demande de publicité des données scientifiques, le demandeur peut introduire un recours devant l’instance de recours concerné e, dont la décision pourra à son tour être attaquée devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État.
B.44.2. Si la Chambre des représentants devait estimer qu’à défaut de connaissance de données scientifiques ou autres, elle ne pourrait pas décider en connaissance de cause de confirmer l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique, elle serait alors libre de refuser cette confirmation. En outre, les députés conservent la possibilité de poser des questions aux ministres et de les interpeller, conformément à l’article 9, alinéa 2, de la loi du 14 août 2021 (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 30) et la Chambre des représentants « a évidemment toujours la possibilité d’abroger [les] arrêtés [imposant des mesures de police administrative] en tout ou en partie[, ce qui] garantit le contrôle démocratique sur les mesures de police administrative adoptées » (ibid., p. 22), ainsi que d’abroger l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique.
B.44.3. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
B.45.1. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa quatrième branche, est pris de la violation de l’article 5 de la Convention d’Aarhus, du principe de la publication et de l’article 190 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe d’égalité, en ce que la loi du 14 août 2021 ne réglerait pas les modalités concrètes de publication des données scientifiques. Selon les parties requérantes, on n’identifie pas clairement quelles seraient les autorités qui devraient publier les données scientifiques ni où ces données devraient être publiées. De plus, ce sont les autorités et services compétents, et non le Gouvernement lui-
même, qui devraient veiller à la publication, et les autorités et services compétents ne devraient pas publier eux-mêmes les données scientifiques.
B.45.2. Dans son avis relatif à l’avant-projet de loi « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique » (avis n° 68.936/AG du 7 avril
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2021), la section de législation du Conseil d’État relève que les autorités chargées de la publication des données scientifiques et l’endroit de cette publication n’ont pas été claireme nt identifiés :
« Interrogées à cet égard, les déléguées ont précisé ce qui suit :
‘ Cela dépendra de la situation d’urgence épidémique et des accords pris à ce moment là d’une part et d’autre part il s’agit d’une modalité pratique qu’il n’y a pas lieu de préciser dans la loi.
L’article 3, § 3, prévoit la publication au profit de la population et non à l’égard du ministre ou de la Chambre des représentants puisque ces derniers disposent déjà des informations (cf.
§ 2) ’.
Le dispositif énoncé dans cette prescription, ou à tout le moins l’exposé des motifs, devra préciser que la publication des données scientifiques sur la base desquelles les arrêtés royaux ont été pris, est destinée à la population générale, ce qui aura une incidence sur les modalités concrètes de cette publicité » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 112).
B.45.3. La section de législation du Conseil d’État a donc uniquement conseillé au législateur de préciser que la publication des données scientifiques est destinée à la populatio n (article 3, § 3, de la loi du 14 août 2021). Les travaux préparatoires précisent :
« […] que les autorités et services compétents veillent à la publication de ces données dans les meilleurs délais et dès qu’elles sont disponibles et exploitables au profit de la populatio n générale » (ibid., pp. 17-18).
En ce qui concerne les autorités et services chargés du contrôle de la publication des données scientifiques, il suffit de constater que les modalités de publication dépendront de la situation d’urgence épidémique proprement dite ainsi que de l’exécution pratique et des modalités d’exécution; ces modalités ne doivent pas être précisées dans le texte même de la loi.
B.45.4. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa quatrième branche, n’est pas fondé.
B.46.1. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa cinquième branche, est pris de la violation des articles 10, 11, 13, 19, 23 et 32 de la Constitution, du droit à la publication, du droit à la liberté d’information et du droit à la protection de la santé, les parties requérantes
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soutenant que la publication des données scientifiques ne tiendrait pas suffisamment compte de la fracture numérique au sein de la population. Le fait que le Gouvernement ne doive pas contrôler la publication des données scientifiques exacerberait même ce problème, étant donné que le législateur aurait de ce fait pris encore moins de mesures pour garantir l’égalité d’accès aux informations publiées.
B.46.2. La loi du 14 août 2021 ne précise nullement que la publication doit se faire uniquement par voie numérique. Partant, le principe d’égalité n’est pas violé en ce que le législateur n’aurait pas tenu compte de la fracture numérique.
En outre, la publication de données scientifiques ne constitue pas un acte juridique. Sans qu’il soit nécessaire de vérifier si le législateur a pris des mesures suffisantes qui garantissent à la population un égal accès aux données scientifiques, la publication de ces données ne confère en soi aucun droit ni n’impose aucune obligation à la population.
La non-publication ou la publication de données scientifiques ne change rien à la situatio n juridique de la population, mais la publication peut contribuer à une meilleure compréhens io n et à une meilleure acceptation des raisons pour lesquelles une situation d’urgence épidémiq ue doit être déclarée. Au demeurant, la disposition attaquée ne porte nullement atteinte à la législation applicable en matière de publicité de l’administration.
B.46.3. Le moyen unique dans l’affaire n° 7686, en sa cinquième branche, n’est pas fondé.
5. En ce qui concerne la compétence relative aux mesures de police administrative (article 4)
B.47.1. Le cinquième moyen dans l’affaire n° 7633, le troisième moyen, en ses deuxiè me et troisième branches, les quatrième et cinquième moyens dans l’affaire n° 7753, le troisiè me moyen, en sa première branche, et le quatrième moyen, en ses troisième et quatrième branches, dans l’affaire n° 7757 portent sur l’article 4 de la loi du 14 août 2021.
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B.47.2. Le cinquième moyen dans l’affaire n° 7633 est pris de la violation, par l’article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 12 et 14 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33 et 37 de la Constitution et avec les articles 1er, 7 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon les parties requérantes, le législateur ne pourrait pas habiliter le ministre de l’Intérieur à prendre les mesures énumérées à l’article 5, § 1er, de la loi du 14 août 2021, parce que ces délégations ne portent pas sur des détails. Les articles 33 et 37 de la Constitution empêcheraient une délégation des compétences du législateur fédéral vers un ministre fédéral.
Le troisième moyen dans l’affaire n° 7753, en ses deuxième et troisième branches, est pris de la violation, par l’article 4, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021, des articles 10, 11, 14, 15, 16, 19, 22, 22bis, 22ter, 23, 24 et 26 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de proportionnalité. Les parties requérantes soutiennent que le législateur devrait (ou devrait pouvoir) contrôler aussi le caractère nécessaire, adéquat et proportionné des limitations de droits fondamentaux, qu’il ne pourrait pas déléguer cette appréciation au pouvoir exécutif (deuxième branche) et que l’absence d’une interdiction de prendre des mesures fédérales qui ne sont pas nécessaires dans toutes les communes, combinée à l’interdiction pour les bourgmestres et les gouverneurs de prendre des mesures moins sévères au niveau local aurait pour conséquence de créer une situation dans laquelle au moins certaines communes seraient confrontées à des mesures qui ne seraient pas nécessaires et qui seraient donc contraires au principe de proportionnalité (troisième branche).
Le quatrième moyen dans l’affaire n° 7753 est pris de la violation des articles 33, 37, 105
et 108 de la Constitution et du titre II de la Constitution, en ce que, selon les parties requérantes, l’article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021 habilite le ministre de l’Intérieur à imposer des mesures radicales de restriction de liberté, qui, de surcroît, sont passibles de sanctions pénales, alors qu’une délégation à un ministre ne serait possible que pour régler des matières accessoires, des mesures d’intérêt subsidiaire et des détails.
Le cinquième moyen dans l’affaire n° 7753 est pris de la violation de l’article 32 de la Constitution par l’article 4, § 4, de la loi du 14 août 2021, en ce que les données scientifiq ues qui fondent l’arrêté royal déclarant ou maintenant une situation d’urgence épidémique devraient
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être communiquées au public dans les meilleurs délais et dès qu’elles sont disponibles et exploitables, alors que les avis sur la base desquels les arrêtés royaux comprenant les mesures de police administrative sont adoptés ne doivent pas être publiés mais sont seuleme nt communiqués au président de la Chambre des représentants. En outre, les mesures prises par arrêté ministériel ou par le bourgmestre ou gouverneur ne sont pas soumises à un avis préalable, de sorte que, dans ce cas aussi, aucune publication ne serait nécessaire.
Le troisième moyen dans l’affaire n° 7757, en sa première branche, est pris de la violatio n, par l’article 4, § 2, de la loi du 14 août 2021, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8, 14 et 15 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec l’article 9 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Selon les parties requérantes, l’inconstitutionnalité réside dans le constat que la notion d’« urgence » ne serait pas mentio nnée dans la loi du 14 août 2021. De plus, la compétence des bourgmestres et des gouverneurs ne pourrait pas être justifiée par une référence aux « circonstances locales » sans autre précision.
Selon les parties requérantes, le souci de gérer une crise de manière cohérente et coordonnée serait contradictoire avec le fait d’habiliter les bourgmestres et les gouverneurs à prendre des mesures au niveau local, sans concertation préalable avec les autorités fédérales.
Le quatrième moyen dans l’affaire n° 7757, en ses troisième et quatrième branches, est pris de la violation des articles 10, 11, 12, alinéa 2, 14, 33, 105 et 108 de la Constitution, du principe d’égalité et du principe de la séparation des pouvoirs, en ce que, selon les parties requérantes, la délégation ne remplirait pas les conditions fixées par la Constitution. Les compétences déléguées au ministre, au bourgmestre et au gouverneur ne sont pas prévues dans la Constitutio n et leur contenu n’est pas lisible ni prévisible, faute d’un cadre législatif précis.
B.48.1. L’article 4 de la loi du 14 août 2021 dispose que les mesures de police administrative nécessaires peuvent être prises par le Roi. En cas de péril imminent, ces mêmes mesures, qui ne peuvent souffrir aucun retard, sont prises par le ministre de l’Intérieur. Lorsque les circonstances locales l’exigent, les gouverneurs et les bourgmestres peuvent prendre des
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mesures renforcées. À défaut d’une confirmation de l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique, les mesures de police administrative cessent de sortir leurs effets.
B.48.2. Les travaux préparatoires précisent à ce sujet :
« En cas de péril imminent, les mesures de police peuvent être exceptionnellement prises par le ministre de l’Intérieur lorsqu’elles ne peuvent souffrir aucun retard. Ce dernier a en effet pour mission traditionnellement admise de protéger la population. Dans son avis n° 68.936/AG
du 7 avril 2021 relatif au présent projet de loi, la section de législation du Conseil d’État a précisé à cet égard qu’il faut examiner au cas par cas si la situation exceptionnelle justifie l’adoption de mesures par arrêté ministériel [...].
[...]
Ensuite, il est expressément prévu que, lorsque les circonstances locales l’exigent, les gouverneurs et bourgmestres, chacun pour son propre territoire, doivent prendre des mesures renforcées par rapport à celles prises par le Roi ou, le cas échéant, le ministre de l’Intérieur. A
cet effet, ils se concertent avec les autorités fédérales ou fédérées compétentes en fonction de la mesure envisagée, par exemple le Vlaams Agentschap Zorg en Gezondheid, l’Agence pour une Vie de Qualité (AVIQ) ou la Commission communautaire commune (COCOM). Si l’urgence ne permet pas une concertation préalable à l’adoption de la mesure, le bourgmestre ou le gouverneur concerné informe les autorités compétentes le plus rapidement possible de la mesure prise. Dans tous les cas, et dès lors également en cas d’extrême urgence, les mesures envisagées par le bourgmestre sont préalablement concertées avec le gouverneur, et celles envisagées par le gouverneur font l’objet d’une concertation préalable avec le ministre. Le ministre de l’Intérieur, qui est responsable de la coordination stratégique de la situatio n d’urgence pendant une phase fédérale, peut donner des instructions à cet égard aux bourgmestres et aux gouverneurs.
[...]
Comme toute décision adoptée par une autorité administrative, les mesures prises par le Roi, ou, le cas échéant, le ministre de l’Intérieur, de même que les éventuelles mesures renforcées décidées par les gouverneurs et les bourgmestres doivent répondre aux principes généraux de bonne administration. Elles doivent notamment être nécessaires, adéquates et proportionnelles [lire : proportionnées] à l’objectif poursuivi, de même que limitées dans le temps. Les mesures peuvent seulement être adoptées (et à chaque fois prolongées) pour une durée maximale de trois mois et uniquement pour autant que la situation d’urgence épidémiq ue existe encore ou ait été maintenue. De plus, les arrêtés concernés ne peuvent pas avoir d’effet rétroactif. La période de trois mois constitue un délai raisonnable au regard de la nécessité de limiter dans le temps les mesures à prendre et de les évaluer à intervalles réguliers.
Les mesures à prendre doivent être adaptées à chaque situation d’urgence épidémique et en recueillant, autant que faire se peut, l’avis d’experts (en médecine, en épidémiologie, en
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psychologie, en économie, etc.) permettant de considérer que ces mesures sont légitimes, nécessaires et proportionnées à la situation d’urgence épidémique rencontrée, dans le but de la gérer et d’y mettre fin, en évitant que ses conséquences ne soient trop attentatoires aux libertés individuelles.
[...]
Dans ce cadre, il convient de garder à l’esprit que toute situation d’urgence peut donner lieu à l’adoption de mesures de police administrative qui sont susceptibles de limiter l’exercice de certains droits fondamentaux.
[...]
À cet égard, dans son avis n° 68.936/AG du 7 avril 2021, la section de législation du Conseil d’État considère qu’une confirmation des mesures par la loi n’est pas nécessaire, étant donné que les éléments essentiels sont suffisamment précisés dans le présent projet de loi »
(Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, pp. 19-21).
B.49.1. Le troisième moyen dans l’affaire n° 7753, en ses deuxième et troisième branches, est pris de la violation du principe de proportionnalité, en ce que l’article 4, § 3, de la loi du 14 août 2021 mentionne explicitement que les mesures de police administrative « sont nécessaires, adéquates et proportionnelles [lire : proportionnées] à l’objectif poursuivi », alors que cette appréciation ne devrait pas être simplement théorique, mais devrait également avoir lieu in concreto.
B.49.2. Les diverses mesures de police administrative, qui peuvent être prises par le Roi et, le cas échéant, par le ministre de l’Intérieur, par les gouverneurs et par les bourgmestres (article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021), peuvent limiter divers droits fondamenta ux, étant donné qu’aucun des droits et libertés fondamentaux n’est absolu. Ces limita tions sont admissibles, pour autant qu’il soit satisfait à certaines conditions.
Les travaux préparatoires mentionnent à cet égard :
« Il s’agit plus particulièrement, en ce qui concerne la Constitution, du principe de légalité formelle [...] et, en ce qui concerne les conventions en matière de droits de l’homme, du principe de légitimité [...], du principe de légalité matérielle [...], et du principe de proportionnalité [...] »
(Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 94).
Et :
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« Le principe de proportionnalité est lui aussi un principe général en matière de limitatio ns des droits fondamentaux. Traditionnellement, on considère que ces limitations sont soumises à trois conditions : celles d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité au sens strict. Les restrictions aux droits fondamentaux doivent être adéquates pour atteindre le but légitime poursuivi, elles doivent être nécessaires pour atteindre ce but, ce qui est parfois défini comme étant l’exigence du moyen le moins intrusif (doctrine dite ‘ least restrictive alternative ’) et, enfin, elles doivent être proportionnées au sens strict, ce qui implique une mise en balance des intérêts en cause : il doit exister un équilibre raisonnable, ou ‘ fair balance ’, entre, d’une part, la protection des libertés et droits fondamentaux individuels et, d’autre part, l’intérêt sociétal qui est servi par la limitation » (ibid., p. 98).
B.50.1. L’article 4, § 2, de la loi du 14 août 2021 dispose explicitement que les mesures de police administrative doivent être « nécessaires, adéquates et proportionnelles [lire :
proportionnées] à l’objectif poursuivi ». Il dispose ensuite que les mesures de police administrative peuvent être prises pour une durée maximale de trois mois et qu’elles peuvent ensuite être prolongées pour une durée maximale de trois mois, ce qui nécessitera un nouveau contrôle de proportionnalité de la part du pouvoir exécutif.
B.50.2. De plus, le législateur a prévu plusieurs garanties procédurales qui doivent permettre au pouvoir exécutif d’effectuer une mise en balance raisonnable de tous les intérêts en cause : la délibération en Conseil des ministres, la concertation avec les entités fédérées et la concertation au sein des organes compétents dans le cadre de la gestion de crise (article 4, § 1er).
Les travaux préparatoires mentionnent à cet égard :
« Une telle concertation est une condition impérative pour que ces mesures puissent se concilier avec le principe de proportionnalité.
Cette obligation de concertation n’exclut pas, au demeurant, que l’autorité fédérale, compte tenu de l’imbrication des compétences, organise la concertation au sein du comité de concertation, créé par les articles 31 et 31/1 de la loi du 9 août 1980 ‘ de réformes institutionnelles ’, et cherche à parvenir à un consensus en ce qui concerne les mesures à prendre » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, pp. 76-77).
B.50.3. Enfin, il ressort également des travaux préparatoires que le principe de proportionnalité et le principe de précaution seront appliqués conjointement :
« La Cour de justice de l’UE relève que ce principe implique que
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‘ 47. (...) lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, des mesures de protection peuvent être prises sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées. Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué, en raison de la nature non concluante des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives.
48. Ledit principe doit, en outre, être appliqué en tenant compte du principe de proportionnalité, lequel exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénie nts causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés ’. La section du contentie ux administratif du Conseil d’État a, elle aussi, dans sa jurisprudence relative aux mesures COVID, souligné expressément l’importance du principe de précaution.
Au regard de tous ces éléments, le pouvoir exécutif qui entend faire usage de cette délégation devra, pour chaque mesure, examiner concrètement s’il est satisfait au principe de proportionnalité » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p.101).
B.51.1. L’habilitation que l’article 4 confère au Roi, au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux bourgmestres à prendre les mesures de police administrative énumérées à l’article 5 vise à protéger la santé publique. Une telle habilitation, conçue in abstracto, permet l’adoption de mesures de police administrative qui seraient nécessaires pour atteindre cet objectif et proportionnées, puisque le législateur a souhaité ménager un équilibre raisonnab le entre, d’une part, la protection des droits et libertés fondamentaux individuels et, d’autre part, l’intérêt sociétal visé par la limitation.
Ni la loi du 14 août 2021 ni l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique ne donnent immédiatement lieu à des mesures de police administrative, étant donné que l’article 4 de la loi du 14 août 2021 se borne à déléguer au Roi, au ministre de l’Intérie ur, aux gouverneurs et aux bourgmestres la compétence de prendre des mesures de police administrative.
B.51.2. Ce sont les auteurs des arrêtés imposant les mesures de police administrative énumérées à l’article 5 qui devront apprécier in concreto la proportionnalité des dispositio ns qu’ils prendront.
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B.51.3. La circonstance que cette appréciation in concreto ne relève pas de la compétence de la Cour, dès lors qu’il n’appartient pas à la Cour de présumer de l’exécution de l’habilita tio n contenue dans la loi du 14 août 2021, ne prive pas la disposition attaquée de son caractère proportionné.
Lorsque le législateur accorde une délégation, il y a lieu de considérer qu’il n’entend habiliter le délégué à faire usage de sa compétence que d’une manière conforme aux dispositions de la Constitution dont la Cour garantit le respect.
Il appartient au juge compétent, à savoir la section du contentieux administratif du Conseil d’État ou le juge judiciaire, de contrôler, le cas échéant, si et dans quelle mesure le délégué a excédé les conditions de l’habilitation qui lui a été conférée.
B.51.4. La circonstance que les mesures de police administrative prises ne seraient pas nécessaires dans certaines communes relève, une nouvelle fois, non pas de l’appréciation in abstracto que le législateur doit faire, mais bien d’une appréciation in concreto. Les griefs invoqués par les parties requérantes ne sont pas dirigés contre la loi du 14 août 2021, mais contre les mesures de police administrative à déterminer, à l’égard desquelles la Cour n’est pas compétente.
En outre, la loi du 14 août 2021 n’oblige pas l’autorité fédérale à prendre des mesures de police administrative qui s’appliqueraient systématiquement à l’ensemble du territoire. Il n’est pas exclu que l’autorité fédérale puisse, si cela s’avère nécessaire, prendre des mesures pour un territoire plus restreint. La loi du 14 août 2021 n’exclut pas non plus l’existence de règles différentes selon les communes et les provinces. C’est dans cette optique que l’article 4, § 2, de la loi du 14 août 2021 prévoit que les gouverneurs et bourgmestres peuvent prendre, lorsque les circonstances locales l’exigent, des mesures renforcées, qui doivent s’entendre comme « des mesures plus sévères ou supplémentaires, qui s’inscrivent dans les catégories visées à l’article 5, § 1er, et qui n’ont pas (encore) été prises par le ministre de l’Intérieur » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 112).
B.51.5. Le troisième moyen dans l’affaire n° 7753, en ses deuxième et troisième branches, n’est pas fondé.
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B.52.1. Le cinquième moyen dans l’affaire n° 7753 est pris de la violation, par l’article 4, § 4, de la loi du 14 août 2021, de l’article 32 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce que la dissimulation des avis sur la base desquels les arrêtés royaux visés à l’article 4, § 1er, de la loi du 14 août 2021
sont pris entraverait l’accès au juge (première branche du moyen). Il y aurait par ailleurs également violation du droit d’accès au juge, en ce qu’aucun avis ne serait prescrit à l’article 4, § 4, de la loi du 14 août 2021 en ce qui concerne les mesures prises par arrêté ministériel ou par un gouverneur ou un bourgmestre (seconde branche du moyen).
B.52.2.1. En ce qui concerne la première branche du moyen, l’article 32 de la Constitutio n dispose :
« Chacun a le droit de consulter chaque document administratif et de s'en faire remettre copie, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 ».
Selon le Constituant, par « document administratif », il faut entendre toute informatio n, sous quelque forme que ce soit, dont les autorités administratives disposent :
« Il concerne toutes les informations disponibles, quel que soit le support : documents écrits, enregistrements sonores et visuels y compris les données reprises dans le traiteme nt automatisé de l’information. Les rapports, les études, même de commissions consultatives non officielles, certains comptes rendus et procès-verbaux, les statistiques, les directives administratives, les circulaires, les contrats et licences, les registres d’enquête publique, les cahiers d’examen, les films, les photos, etc. dont dispose une autorité sont en règle générale publics, sauf lorsqu’un des motifs d’exception doit être appliqué » (Doc. Parl., Chambre, 1992-1993, n° 839/1, p. 5).
En déclarant, à l’article 32 de la Constitution, que chaque document administratif – notion qui, selon le Constituant, doit être interprétée très largement – est en principe public, le Constituant a érigé le droit à la publicité des documents administratifs en un droit fondamenta l.
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B.52.2.2. Le régime légal prévu à l’article 4, § 4, de la loi du 14 août 2021 en ce qui concerne la communication au président de la Chambre des représentants des avis sur la base desquels l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique a été pris ne porte nullement atteinte à l’applicabilité de la législation en matière de publicité.
Tout justiciable a le droit de demander à consulter les avis et, en cas de refus, il peut introduire un recours contre ce refus auprès de l’instance de recours concernée. La décision de l’instance de recours peut ensuite être attaquée à son tour devant la section du contentie ux administratif du Conseil d’État et, dans ce contexte, le défaut de motivation formelle et matérielle peut être invoqué.
B.52.3.1. En ce qui concerne la seconde branche du moyen, il suffit de constater que le droit d’accès à un juge, consacré par l’article 13 de la Constitution et garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui a une portée analogue, n’entraîne pas l’obligation de recueillir des avis préalablement à l’adoption de mesures de police administrative par le ministre, ou par le bourgmestre ou le gouverneur. La Cour n’aperçoit pas non plus en quoi le fait de ne pas recueillir un avis porterait atteinte au droit des justiciables à la protection juridictionnelle. Les actes administratifs qui contiennent les mesures de police administrative peuvent être attaqués devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État et doivent satisfaire aux principes de bonne administration (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 20) et à la publicité de l’administration.
B.52.3.2. En outre, les mesures de police administrative ne peuvent être prises par arrêté ministériel qu’« en cas de péril imminent » et que si ces mesures « ne peuvent souffrir aucun retard » (article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021). Compte tenu de l’urgence des mesures concernées, il est raisonnablement justifié de ne pas prévoir l’obligation de recueillir un avis préalable. En juger autrement pourrait compromettre l’utilité de la compétence dérogatoire conférée au ministre.
B.52.4. Le cinquième moyen dans l’affaire n° 7753 n’est pas fondé.
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B.53.1. Les parties requérantes dans les affaires nos 7633, 7753 et 7757 contestent l’habilitation conférée par l’article 4 de la loi du 14 août 2021 au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux bourgmestres de prendre les mesures de police administrative visées par cette loi.
B.53.2. En vertu de l’article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021, le ministre qui a l’Intérieur dans ses attributions peut prendre des mesures de police administrative sous certaines conditions. L’arrêté ministériel est délibéré en Conseil des ministres. L’article 4, § 2, de cette même loi habilite les gouverneurs et les bourgmestres, sous certaines conditions, à prendre des mesures renforcées par rapport aux mesures fédérales.
B.53.3. Selon les parties requérantes, une telle habilitation viole les articles 10, 11, 12 et 14 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 33, 37, 105 et 108 de la Constitutio n.
Contrairement à ce que le Conseil des ministres fait valoir, les griefs sont recevables.
Lorsqu’une partie requérante dénonce, dans le cadre d’un recours en annulation, la violatio n des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec d’autres dispositio ns constitutionnelles ou internationales ou avec des principes généraux du droit garantissant un droit fondamental, le moyen consiste en effet à considérer qu’une différence de traitement est créée dès lors que la disposition qu’elle attaque par son recours la prive de l’exercice de ce droit fondamental, alors que cette garantie s’applique sans restriction à tout autre citoyen.
Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-discrimination. Les articles 12 et 14 de la Constitution garantissent que le législa te ur détermine les éléments essentiels de l’incrimination et des poursuites pénales (article 12, alinéa 2) ainsi que des peines (article 14).
L’article 33 de la Constitution dispose :
« Tous les pouvoirs émanent de la Nation.
Ils sont exercés de la manière établie par la Constitution ».
L’article 37 de la Constitution dispose :
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« Au Roi appartient le pouvoir exécutif fédéral, tel qu’il est réglé par la Constitution ».
L’article 105 de la Constitution dispose :
« Le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même ».
L’article 108 de la Constitution dispose :
« Le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution ».
B.53.4. Lorsqu’une disposition constitutionnelle spécifique, tel l’article 12 de la Constitution, offre la garantie que les éléments essentiels d’une matière donnée doivent être déterminés par une assemblée délibérante démocratiquement élue, elle englobe la garantie offerte par les autres dispositions qui règlent les rapports entre les pouvoirs législatif et exécutif.
Ceci vaut également en ce qui concerne les principes de légalité et de séparation des pouvoirs qui sont invoqués dans les griefs.
B.53.5. Par son arrêt n° 109/2022 du 22 septembre 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.109), en B.8.2, la Cour a jugé, lors du contrôle au regard de l’article 12 de la Constitution d’une autre disposition, à savoir l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile », qu’une habilitation directe accordée par le législateur au ministre ou à son délégué peut être justifiée à titre exceptionnel « [s’il] existe des raisons objectives requérant une intervention urgente du pouvoir exécutif, en ce que tout retard peut aggraver la situation de risque ou d’urgence existante ».
L’habilitation conférée au ministre compétent par l’article 4, § 1er, alinéa 3, de la loi du 14 août 2021 constitue une dérogation au premier alinéa de cette même disposition, qui habilite en premier lieu le Roi à prendre les mesures de police administrative nécessaires. Il s’agit des mesures qui sont délimitées précisément à l’article 5, § 1er, de la même loi. Cette dérogation n’est applicable qu’« en cas de péril imminent » et qu’aux « mesures qui ne peuvent souffr ir
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aucun retard ». L’arrêté ministériel ne peut être pris qu’après délibération en Conseil des ministres.
L’habilitation conférée aux gouverneurs et aux bourgmestres par l’article 4, § 2, de la loi du 14 août 2021 n’est elle aussi applicable qu’en second lieu, « [l]orsque les circonstances locales l’exigent » et « chacun pour son propre territoire ». Il s’agit des mesures qui sont délimitées précisément à l’article 5, § 2, de la même loi. Elles doivent être conformes aux « éventuelles instructions du ministre » et être prises en concertation avec les autorités de contrôle compétentes.
Les mesures prises sur la base des habilitations attaquées peuvent être contestées devant le Conseil d’État, section du contentieux administratif, et devant le juge ordinaire, qui jugeront si elles satisfont au principe de légalité matérielle, au principe de légitimité et au principe de proportionnalité. Ce contrôle de légalité comprend également la question de savoir si les conditions d’habilitation sont remplies.
B.53.6. Le cinquième moyen dans l’affaire n° 7633, le quatrième moyen dans l’affa ire n° 7753 et le quatrième moyen, troisième et quatrième branches, dans l’affaire n° 7757 ne sont pas fondés.
B.54.1. Dans leur troisième moyen, en sa première branche, les parties requérantes dans l’affaire n° 7757 soutiennent que l’habilitation des gouverneurs et bourgmestres à prendre des mesures de police administrative « chacun pour son propre territoire » ferait naître entre les Belges une différence de traitement fondée sur leur localisation, ce qui semble contradicto ire avec la volonté de gérer la crise de manière cohérente et coordonnée. Des particularités locales éventuelles ne pourraient pas justifier a priori l’habilitation des gouverneurs et bourgmestres à prendre des mesures de police administrative pour toutes les situations d’urgence épidémiq ue futures.
B.54.2. La loi du 14 août 2021 n’a pas pour conséquence de limiter directement les droits fondamentaux. La loi du 14 août 2021 se borne à habiliter le Roi, le ministre de l’Intérieur, les gouverneurs ou les bourgmestres à prendre les mesures de police administrative énumérées à l’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021, qui sont adaptées aux besoins de la situatio n d’urgence épidémique déclarée à ce moment et à l’intention de protéger la santé publique.
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Pour apprécier la différence de traitement soulevée au moyen, il y a lieu de tenir compte aussi de l’article 162, alinéa 2, 3°, de la Constitution, qui dispose que la loi consacre le principe de la décentralisation d’attributions vers les institutions provinciales et communales. En outre, l’attribution aux bourgmestres et aux gouverneurs de compétences dans le domaine de la police administrative, de manière décentralisée ou déconcentrée, selon le cas, est un mode d’organisation administrative conforme à la Nouvelle loi communale (article 133) et à la loi provinciale (article 128), à laquelle la loi attaquée se réfère explicitement (article 6, § 3). Il s’ensuit que l’attribution de compétences aux gouverneurs et aux bourgmestres et la conséquence que les mesures visées peuvent être différentes d’une province à l’autre ou d’une commune à l’autre ne sont pas contraires, en soi, à la Constitution.
En outre, cette loi ne détermine pas le champ d’application personnel des mesures de police administrative à prendre. Les seuls destinataires de la loi du 14 août 2021 sont le Roi, le minis tre de l’Intérieur, les gouverneurs et les bourgmestres, de sorte que la violation éventuelle du principe d’égalité et de non-discrimination ne pourrait découler, le cas échéant, que de l’arrêté ou du règlement imposant les mesures de police administrative et non de la loi du 14 août 2021
proprement dite.
Partant, la critique formulée par les parties requérantes doit en réalité être considérée comme une critique dirigée contre les mesures de police administrative précitées. Or, la Cour n’est pas compétente pour apprécier des modalités d’exécution de dispositions législatives. S’il en résulte une différence de traitement, il revient au juge compétent d’examiner celle-ci au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.54.3. Le troisième moyen dans l’affaire n° 7757, en sa première branche, n’est pas fondé.
6. En ce qui concerne les restrictions apportées aux droits fondamentaux par les mesures de police administrative (article 5 de la loi du 14 août 2021)
B.55.1. L’article 5 de la loi du 14 août 2021 prévoit de nombreuses mesures de police administrative qui peuvent être prises dans le cadre de la situation d’urgence épidémique. Dans
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le premier paragraphe, il énumère les catégories de mesures qui peuvent être prises par le Roi ou, le cas échéant, exceptionnellement, par le ministre de l’Intérieur. Dans le deuxième paragraphe, il énumère les catégories de mesures qui peuvent être prises par les gouverneurs et les bourgmestres. Il confère au Roi, au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux bourgmestres le pouvoir de prendre des mesures de police administrative susceptibles de restreindre l’exercice de plusieurs droits et libertés fondamentaux.
B.55.2. Les travaux préparatoires mentionnent à cet égard :
« Les mesures de police qui peuvent être prises à l’occasion d’une situation d’urgence épidémique peuvent être diverses et doivent être adaptées en fonction de la situation d’urgence épidémique. L’objet de l’article 5 est d’énumérer une liste de catégories de mesures auxquelles devront se rapporter les mesures prises par le Roi, le ministre de l’Intérieur, les gouverneurs ou les bourgmestres. Il a pour but d’éclairer la disposition qui le précède (l’article 4). En effet, ce texte ayant vocation à s’appliquer à chaque situation déclarée par le Roi comme une situatio n d’urgence épidémique et chaque épidémie ayant ses spécificités, l’autorité de police administrative compétente doit conserver, au sein des catégories énumérées, une marge de manœuvre lui permettant de prendre les mesures concrètes visant à prévenir, gérer ou faire cesser la situation d’urgence et rétablir la salubrité publique aussi vite que possible pour revenir à une situation normale.
Les différentes catégories de mesures énumérées [...] peuvent être combinées entre elles, mais également avec d’autres mesures qui s’imposeraient sur la base d’une autre réglementation. Il doit en effet être possible d’appliquer de manière cumulative toutes les mesures nécessaires afin d’agir de manière efficace face à la situation d’urgence dans laquelle le pays se retrouve, tout en respectant le principe de proportionnalité et en tenant compte de l’évolution de la situation. Il est en effet indispensable de maintenir un équilibre entre l’atteinte apportée aux droits et libertés individuelles en vue de garantir la salubrité publique et le droit à la vie, et la gravité des mesures prises pour mettre fin à la situation d’urgence épidémique »
(Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 22).
B.56.1. Les différents moyens et branches de moyens sont pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit à la santé et avec le droit à l’épanouissement social et culturel (premier et deuxième moyens dans l’affaire n° 7633, première et deuxième branches du moyen unique dans l’affaire n° 7731 et moyen unique dans l’affaire n° 7751), avec le droit au respect du domicile et avec le droit à la vie familia le (troisième moyen dans l’affaire n° 7633), avec le principe de la dignité humaine (moyen unique dans l’affaire n° 7655), avec le droit à la liberté personnelle (quatrième branche du deuxième moyen dans l’affaire n° 7759) et avec le droit d’accès au juge (première et deuxième branches
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du deuxième moyen dans l’affaire n° 7758 et deuxième branche du deuxième moyen dans l’affaire n° 7759).
B.56.2. Est également dénoncée la restriction directe apportée aux droits fondamentaux et principes, à savoir la violation du principe de légalité formelle (premier, quatrième et cinquiè me moyens dans l’affaire n° 7633, moyen unique dans l’affaire n° 7655, deuxième branche du premier moyen dans l’affaire n° 7753, premier moyen et première branche du troisième moyen dans l’affaire n° 7757 et premier moyen dans l’affaire n° 7758), du principe de légalité matérielle (moyen unique dans l’affaire n° 7655, première branche du troisième moyen dans l’affaire n° 7753 et premier moyen dans l’affaire n° 7757), du principe de légalité en matière pénale (première branche du sixième moyen dans l’affaire n° 7753, cinquième moyen dans l’affaire n° 7757 et première branche du deuxième moyen dans l’affaire n° 7759), du droit à la santé (moyen unique dans l’affaire n° 7751 et premier moyen dans l’affaire n° 7752), de la publicité de l’administration (cinquième moyen dans l’affaire n° 7753) et du droit d’accès au juge (septième moyen dans l’affaire n° 7753).
B.57. Les mesures de police administrative pouvant être prises, qui sont énumérées à l’article 5 de la loi du 14 août 2021, doivent être considérées comme des limitations in abstracto aux droits fondamentaux, de sorte que le contrôle exercé par la Cour doit se limiter à un examen in abstracto.
Cet examen in abstracto suppose également que la proposition des parties requérantes dans les premier et troisième moyens dans l’affaire n° 7633 de formuler une réserve d’interpréta tio n quant à l’article 5, § 1er, b), d), e) et h), et § 2, a), c), d) et g), ou à l’article 5, § 1er, h), et § 2, d), de la loi du 14 août 2021, de sorte que le Roi ne serait pas autorisé à imposer une obligatio n vaccinale directe ou indirecte, ni habilité à prescrire l’utilisation du Covid Safe Ticket, ni encore à déterminer qui l’on peut recevoir à son domicile, ne saurait être suivie. En effet, la loi du 14 août 2021 ne prévoit pas une obligation vaccinale directe ou indirecte, ni une obligatio n d’utiliser le Covid Safe Ticket, et ne détermine pas qui l’on peut recevoir à son domicile. Ces mesures ne peuvent être fixées que dans une autre réglementation, comme les arrêtés et règlements du pouvoir exécutif par lesquels les mesures de police administrative sont prises (article 4, §§ 1er et 2).
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L’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique ne fixe pas, en soi, les mesures de police administrative. Ni la loi du 14 août 2021, ni l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique, ni la loi de confirmation ne comportent des mesures qui pourraient limiter les droits fondamentaux. En ce qui concerne les arrêtés royaux et, le cas échéant, les arrêtés ministériels et les règlements provinciaux ou communaux qui fixent les mesures de police administrative, la section du contentieux administratif du Conseil d’État et les cours et tribunaux ordinaires demeurent compétents (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 17).
B.58. En outre, aucun des droits et libertés fondamentaux mentionnés dans les différe nte s requêtes n’est absolu. Des limitations sont admises pour autant que certaines conditions soient remplies, telles que le respect du principe de légalité formelle, du principe de légalité matérielle, du principe de la légitimité et du principe de proportionnalité.
Par ailleurs, les garanties contenues dans une disposition conventionnelle liant la Belgiq ue et ayant une portée analogue à celle d’une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles concernées. Il s’ensuit que, dans le contrôle qu’elle exerce au regard des dispositions constitutionne lles invoquées, la Cour tient compte des dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues et, partant, des conditions de restriction conventionnelles qui s’appliquent également en ce qui concerne les droits fondamentaux visés au titre II de la Constitution.
B.59.1. Selon les parties requérantes dans l’affaire n° 7758, l’article 5, §§ 1er et 2, viole la liberté d’entreprendre consacrée par l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et par l’article II.3 du Code de droit économique.
B.59.2. La liberté de commerce et d'industrie et la liberté d'entreprendre sont des principes généraux de droit qui sont également inscrits à l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et à l'article II.3 du Code de droit économique, qui dispose que chacun est libre d’exercer l’activité économique de son choix.
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B.59.3. La loi du 28 février 2013, qui a introduit l’article II.3 du Code de droit économique, a abrogé le décret dit d’Allarde des 2-17 mars 1791. Ce décret, qui garantissait la liberté de commerce et d’industrie, a régulièrement servi de norme de référence à la Cour dans son contrôle du respect des articles 10 et 11 de la Constitution.
La liberté d’entreprendre, visée par l’article II.3 du Code de droit économique, doit s’exercer « dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif général de l’union économique et de l’unité monétaire tel qu’établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi » (article II.4 du même Code).
La liberté d’entreprendre doit par conséquent être lue en combinaison avec les dispositio ns de droit de l’Union européenne applicables, ainsi qu’avec l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, au regard duquel la Cour peut effectuer directement un contrôle, comme règle répartitrice de compétences.
Enfin, la liberté d’entreprendre est également garantie par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
B.59.4. Les parties requérantes dans l’affaire n° 7758 invoquent la violation du principe de légalité formelle qui, selon elles, serait lié à la liberté d’entreprendre.
B.59.5. La liberté d’entreprendre ne peut être conçue comme une liberté absolue. Elle ne fait pas obstacle à ce que le législateur compétent règle l’activité économique des personnes et des entreprises. Le législateur ne violerait la liberté de commerce et d’industrie visée à l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles que s’il limitait la liberté d’entreprendre sans aucune nécessité ou si cette limitation était disproportionnée au but poursuivi.
B.59.6. Une délégation au Gouvernement dans une matière qui n’est pas réservée au législateur n’est pas, en soi, constitutive d’une violation de l’article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
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B.60.1. Le principe de légalité formelle garantit aux citoyens que les questions fondamentales ne sont soumises qu’à des règles adoptées par une « assemblée délibérante, démocratiquement élue ».
Plusieurs dispositions de la Constitution réservent au législateur compétent le pouvoir de fixer dans quels cas et à quelles conditions il peut être porté atteinte aux droits fondamenta ux concernés. Le principe de légalité formelle garantit ainsi à tout citoyen qu’aucune ingérence dans l’exercice de ce droit ne peut avoir lieu qu’en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.
Une délégation à un autre pouvoir n’est toutefois pas contraire au principe de légalité formelle, pour autant que l’habitation soit définie de manière suffisamment précise et qu’elle porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur.
B.60.2. L’article 5 de la loi du 14 août 2021 habilite explicitement et sans équivoque le Roi, le ministre de l’Intérieur, les gouverneurs et les bourgmestres à prendre des mesures de police administrative lorsqu’une situation d’urgence épidémique est déclarée ou maintenue. Le pouvoir exécutif, qui fait usage de cette habilitation, « devra également veiller à ce que les mesures de police administratives qu’il édicte lui-même soient aussi suffisamment accessibles et formulées de manière suffisamment précise pour rendre leur application suffisamme nt prévisible » (avis de la section de législation du Conseil d’État n° 68.936/AG du 7 avril 2021, Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 99).
B.60.3. L’article 5 de la loi du 14 août 2021 énonce une liste limitative de mesures de police administrative, qui ont été décrites de manière suffisamment précise. La loi du 14 août 2021 définit aussi suffisamment les circonstances dans lesquelles ces mesures de police administrative peuvent être prises, à savoir dans une situation d’urgence épidémique dont l’existence doit être confirmée par le législateur. La définition de « situation d’urgence épidémique » sert à délimiter le champ d’application de la loi du 14 août 2021 aux situatio ns d’urgence sanitaire causées par une maladie infectieuse.
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En outre, les mesures doivent être fondées sur des données scientifiques. Les travaux préparatoires mentionnent, à cet égard :
« Les mesures doivent être basées sur les connaissances scientifiques les plus récentes et doivent reposer sur des motifs matériels valables, dont l’existence factuelle peut être supposée et peut être prise en compte en justice pour justifier la décision » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 7).
B.60.4. Enfin, les diverses mesures de police administrative prises in concreto peuvent être attaquées devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État et contestées devant les cours et tribunaux ordinaires.
B.60.5. Partant, les éléments essentiels des mesures de police administrative à prendre par le pouvoir exécutif sont dûment définis, de sorte qu’il est satisfait au principe de légalité formelle.
B.61.1. Le principe de légalité matérielle impose que l’ingérence dans le droit fondamenta l soit définie en des termes clairs et suffisamment précis qui permettent d’appréhender de manière prévisible les hypothèses dans lesquelles le législateur autorise une pareille ingérence.
Les travaux préparatoires mentionnent, à cet égard :
« Le principe [de légalité matérielle] ne s’oppose pas à une délégation de compétences à une autorité administrative, à condition que celle-ci soit suffisamment encadrée dans la loi »
(avis de la section de législation du Conseil d’État, n° 68.936/AG du 7 avril 2021, Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, p. 97).
B.61.2. En soi, l’article 5 de la loi du 14 août 2021 ne prévoit pas des mesures de police administrative, il prévoit uniquement les catégories dont devront relever les futures mesures que les autorités concernées prendront. La loi du 14 août 2021 ne détermine donc pas le champ d’application personnel des mesures de police administrative à prendre. Les seuls destinataires de la loi du 14 août 2021 sont le Roi, le ministre de l’Intérieur, les gouverneurs et les bourgmestres, de sorte que la violation éventuelle des droits fondamentaux ne pourrait découler, le cas échéant, que de l’arrêté ou du règlement imposant les mesures de police administrative et non de la loi du 14 août 2021 proprement dite.
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B.61.3. Partant, la critique formulée par les parties requérantes doit être considérée, en réalité, comme une critique dirigée contre les mesures de police administrative précitées. Or, la Cour n’est pas compétente pour connaître des modalités d’exécution de dispositio ns législatives.
B.61.4. L’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021, lu en combinaison avec les autres dispositions de cette loi ne viole pas le principe de légalité matérielle.
B.62. Les divers moyens et branches de moyens dirigés contre l’article 5 ne sont pas fondés.
7 En ce qui concerne les dispositions pénales
B.63. Le sixième moyen dans l’affaire n° 7753 est pris de la violation des articles 10, 11, 12 et 14 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 190 de la Constitution. Selon les parties requérantes, le principe de légalité en matière pénale exigerait que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés et au moyen de quelle sanction (première branche), et l’article 6 de la loi du 14 août 2021 serait contraire au principe de proportionnalité et au principe d’égalité, en ce qu’il n’aurait pas prévu des catégories fondées sur la gravité des infractions (seconde branche).
Le cinquième moyen dans l’affaire n° 7757 est pris de la violation de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Unio n européenne, des articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, de l’article 2 du Code pénal et du principe de légalité en matière pénale. Selon les parties requérantes, les mesures de police administrative ne seraient pas claires, alors que leur non-respect est passible de sanctions (première branche); l’article 6 de la loi du 14 août 2021 ne ferait pas de distinction entre les contraventions et les délits, alors que le juge de police est toujours compétent (deuxiè me
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branche); et il serait impossible d’établir un lien entre les faits punissables et les peines (troisième branche).
Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7759 est divisé en cinq branches, dont seules les trois premières sont pertinentes au regard de l’article 6 de la loi du 14 août 2021. En sa première branche, le moyen est pris de la violation des articles 12, 14 et 15 de la Constitution, du principe de légalité, du principe lex certa et du principe de la sécurité juridique. L’article 6 de la loi du 14 août 2021 ne précise pas si l’infraction constitue une contravention ou un délit et si elle est punie d’une peine de police ou d’une peine correctionnelle. La deuxième branche est fondée sur le constat que seul le législateur peut modifier la compétence des cours et tribunaux. Le deuxième moyen, en sa troisième branche, est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que l’effacement automatique des peines ne serait possible que pour les contraventions, alors que, dans la loi du 14 août 2021, il est appliqué tant aux contraventio ns qu’aux délits.
B.64.1. Les moyens présentement examinés portent sur l’article 6 de la loi du 14 août 2021, lequel énumère les peines en cas d’infractions aux mesures de police administrative prises en application des articles 4 et 5 de cette loi.
B.64.2. Les travaux préparatoires précisent à ce sujet :
« Les sanctions prévues pour les infractions aux mesures prises par le Roi, le ministre de l’Intérieur, les bourgmestres ou les gouverneurs en application du présent projet de loi, visent à permettre une différenciation optimale et un contrôle ciblé et efficace, en fonction des exigences d’une situation d’urgence épidémique.
Le premier paragraphe prévoit non seulement les possibilités traditionnelles d’une amende ou d’une peine de prison, mais aussi des alternatives sous la forme d’une peine de travail, d’une peine de probation autonome ou d’une peine sous surveillance électronique. De cette manière, lors de la détermination de la sanction, il peut être tenu compte du contexte spécifique, des circonstances ou de la situation (problématique) lors de la commission d’une infraction. [...] La panoplie de sanctions possibles et de peines est suffisamment large pour permettre une action diversifiée et modulaire, en fonction de la gravité ou de la phase de la situation d’urgence épidémique, de l’importance de la mesure violée ou de la nature de l’infraction. [...]
Le paragraphe 2 prévoit que l’incrimination et la répression des infractions commises dans un contexte d’emploi se feront conformément au Code pénal social, compte tenu de la nature spécifique des infractions et du contexte souvent complexe d’une entreprise ou d’un service.
[...]
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[...]
Le paragraphe 3 prévoit que toutes les infractions aux mesures prises par le Roi, le ministre de l’Intérieur, les gouverneurs ou les bourgmestres, à l’exception des infractions de droit pénal social, relèvent de la compétence du tribunal de police, indépendamment de la peine infligée, du fonctionnaire qui constate l’infraction ou des règles qui ont été enfreintes » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1951/001, pp. 26-27).
B.65.1. En substance, la première branche du sixième moyen dans l’affaire n° 7753, les première et troisième branches du cinquième moyen dans l’affaire n° 7757 et la première branche du deuxième moyen dans l’affaire n° 7759 portent sur la violation du principe de légalité en matière pénale, lu en combinaison ou non avec d’autres droits fondamentaux, en ce que l’article 6 précité ne définit pas avec suffisamment de clarté et de précision les infractio ns ainsi que les peines qui y sont attachées ni quelle autorité est chargée d’établir le lien entre les unes et les autres.
B.65.2. L’article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit ».
B.65.3. L’article 14 de la Constitution dispose :
« Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu d’une loi ».
B.65.4. L’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infrac tio n a été commise ».
B.65.5. L’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De
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même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où
l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l’applica tio n d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».
B.65.6. L’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit internatio na l.
De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où
l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée.
2. Le présent article ne porte pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était crimine lle d’après les principes généraux reconnus par l’ensemble des nations.
3. L’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction ».
B.66. Dès lors que les peines se trouvent fixées dans une disposition législative, à savoir l’article 6, § 1er, de la loi du 14 août 2021, l’article 14 de la Constitution, qui consacre le principe de la légalité des peines, n’est pas violé.
B.67.1. En ce qu’ils exigent que toute infraction soit prévue par une norme suffisamme nt claire, prévisible et accessible, l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont une portée analogue à celle de l’article 12, alinéa 2, de la Constitution. Les garanties fournies par ces dispositions, qui visent l’aspect substantiel du principe de légalité des incriminations, forment dès lors, dans cette mesure, un tout indissociable.
B.67.2. En attribuant au pouvoir législatif la compétence de déterminer dans quels cas des poursuites pénales sont possibles, l’article 12, alinéa 2, de la Constitution garantit à tout justiciable qu’aucun comportement ne sera punissable qu’en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.
En outre, le principe de légalité en matière pénale qui découle de la dispositio n constitutionnelle et des dispositions internationales précitées procède de l’idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un
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comportement, si celui-ci est punissable ou non. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d’une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d’autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d’appréciation.
Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n’empêche pas que la loi attribue un pouvoir d’appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois, de la diversité des situations auxquelles elles s’appliquent et de l’évolution des comportements qu’elles répriment.
La condition qu’une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.
Ce n’est qu’en examinant une disposition pénale spécifique qu’il est possible de déterminer, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu’elle entend réprimer, si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu’ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.
B.67.3. Par ailleurs, le principe de légalité en matière pénale ne va pas jusqu’à obliger le législateur à régler lui-même chaque aspect de l’incrimination. Une délégation à une autre autorité n’est pas contraire à ce principe, pour autant que l’habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur.
B.68.1. L’habilitation contenue dans l’article 6 de la loi du 14 août 2021 est définie en des termes suffisamment précis, étant donné que cette même loi détermine l’objectif poursuivi et les limites de l’habilitation.
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Ainsi, l’article 6, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 14 août 2021 décrit les comportements qui constituent une infraction, à savoir « les infractions aux mesures prises en application des articles 4 et 5 ».
L’article 4, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 habilite le Roi, le ministre de l’Intérie ur, les bourgmestres ou les gouverneurs à prendre, dans le cas d’une situation d’urgence épidémique, les mesures de police administrative nécessaires pour prévenir ou pour limiter les conséquences de la situation d’urgence épidémique sur la santé publique. L’article 5, §§ 1er et 2, de la loi du 14 août 2021 énonce des catégories de mesures de police administrative pouvant être imposées par ces mêmes autorités. Sur la base des articles précités, les autorités habilitées peuvent identifier de manière suffisamment claire les comportements qui constituent une infraction ou qui sont passibles de sanctions.
B.68.2. Par ailleurs, l’article 6 permet d’associer les peines énumérées aux faits punissables décrits de manière plus précise. L’article 6 formule clairement et concrètement la nature des peines (amende, peine de travail, peine de probation autonome, peine de surveilla nce électronique et peine d’emprisonnement), les peines maximale et minimale de chacune des sanctions, les possibilités de cumuler les peines énumérées, le lien avec le Code pénal social, le tribunal compétent, le lien avec le livre Ier du Code pénal et les procédures d’inscription et d’effacement des condamnations dans le casier judiciaire. L’article 8 indique du reste les autorités compétentes pour constater l’infraction.
B.68.3. En outre, l’habilitation porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur.
Ainsi, l’article 6, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 14 août 2021 mentionne les infractions qui sont passibles de sanctions sur la base d’une habilitation spécifique et suffisamment précise du législateur. Le législateur a indiqué, par catégorie de mesures, l’objet que ces mesures doivent avoir ainsi que la portée de celles-ci. Par ailleurs, le législateur donne également plusieurs exemples, notamment en ce qui concerne les mesures de protection de la santé publique. Enfin, la durée des mesures de police administrative est limitée, puisqu’elles sont adoptées pour une durée maximale de trois mois et qu’elles ne peuvent sortir leurs effets que pour autant que la situation d’urgence épidémique soit déclarée ou maintenue.
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B.69. Compte tenu du contexte de la pandémie, de l’évolution constante des circonstance s, des incertitudes à ce sujet et de la technicité des mesures à prendre, la loi du 14 août 2021
délimite suffisamment l’action du pouvoir exécutif. La lecture des articles attaqués de la loi du 14 août 2021 en combinaison avec les arrêtés royaux, les arrêtés ministériels et les règlements provinciaux et communaux pris en exécution de la loi du 14 août 2021 permet d’établir que tel comportement est incriminé dans la situation visée et que tel autre ne l’est pas, dans la mesure où les arrêtés d’exécution et règlements sont rédigés dans des termes suffisamment clairs et précis – ce qui relève de l’appréciation du juge compétent.
Dès lors que le législateur a précisé lui-même l’objectif de l’habilitation attaquée et les limites dans lesquelles elle a été accordée, ainsi que le comportement jugé infractionnel, les composantes essentielles de l’incrimination ont été fixées par la loi, de sorte qu’il est satisfa it au principe de légalité contenu dans l’article 12, alinéa 2, de la Constitution.
B.70. Le sixième moyen dans l’affaire n° 7753, en sa première branche, le cinquiè me moyen dans l’affaire n° 7757, en ses première et troisième branches, et le deuxième moyen dans l’affaire n° 7759, en sa première branche, ne sont pas fondés.
B.71.1. Le sixième moyen dans l’affaire n° 7753, en sa deuxième branche, est pris de la violation du principe d’égalité et de proportionnalité, en ce que toutes les infractions aux mesures de police administrative pourraient être punies des mêmes sanctions et qu’il ne serait pas prévu des catégories différenciées selon la gravité des infractions. Dans la deuxième branche du cinquième moyen dans l’affaire n° 7757, il est souligné qu’aucune distinction n’est faite entre les contraventions et les délits, alors que le juge de police serait toujours compétent.
Dans la deuxième branche du deuxième moyen dans l’affaire n° 7759, les parties requérantes font valoir que seul le législateur pourrait modifier la compétence des cours et tribunaux, et que les contraventions relèvent de la compétence du tribunal de police, et les délits de celle du tribunal correctionnel.
B.71.2. Comme il est dit dans les travaux préparatoires, les sanctions prescrites pour les infractions « visent à permettre une différenciation optimale et un contrôle ciblé et efficace, en
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fonction des exigences d’une situation d’urgence épidémique » (Doc. parl., Chambre, 2020-
2021, DOC 55-1951/001, p. 26).
Par ailleurs, outre les possibilités classiques d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement, sont également prévues d’autres peines qui permettent de sanctionner tout en tenant compte « du contexte spécifique, des circonstances ou de la situatio n (problématique) » (ibid.). Le spectre de sanctions et de peines possibles « est suffisamme nt large pour permettre une action diversifiée et modulaire, en fonction de la gravité ou de la phase de la situation d’urgence épidémique, de l’importance de la mesure violée ou de la nature de l’infraction » (ibid., pp. 26-27).
B.71.3. Le juge peut dès lors, en fonction de la gravité de la situation, infliger une sanction adaptée afin que celle-ci soit proportionnée à la nature de l’infraction, à la gravité ou à la phase de la situation d’urgence épidémique et à l’importance de la mesure de police administrative violée.
Il ressort par ailleurs de l’article 6, § 3, de la loi du 14 août 2021 que le tribunal de police est compétent pour connaître « des infractions visées au paragraphe 1er, y compris les infractions décrites dans les ordonnances arrêtées par les gouverneurs et les commissa ires d’arrondissement en vertu des articles 128 et 139 de la loi provinciale ».
Sans qu’il soit nécessaire de déterminer si les « infractions aux mesures prises en application des articles 4 et 5 » doivent être considérées comme des contraventions ou comme des délits, il suffit de constater que le juge de police, en vertu des articles 137 et 138 du Code d’instruction criminelle, peut connaître tant des contraventions que des délits. Les peines mentionnées à l’article 6, § 1er, peuvent donc être infligées par le tribunal de police à titre de peine principale, de sorte qu’il n’y a pas lieu de prévoir des catégories de peines distinctes.
B.72. Le sixième moyen dans l’affaire n° 7753, en sa deuxième branche, le cinquiè me moyen dans l’affaire n° 7757, en sa deuxième branche, et le deuxième moyen dans l’affa ire n° 7759, en sa deuxième branche, ne sont pas fondés.
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B.73.1. Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7759, en sa troisième branche, est pris de la violation du principe d’égalité et de non-discrimination, en ce qu’il n’existerait pas d’effacement des délits en ce qui concerne les mesures fondées sur la loi du 15 mai 2007
« relative à la sécurité civile », alors qu’un tel effacement existe pour les délits portant sur des mesures de police administrative fondées sur la loi du 14 août 2021.
B.73.2. Sans qu’il soit nécessaire de déterminer si les infractions aux mesures de police administrative doivent être considérées comme des contraventions ou comme des délits, il suffit de constater que l’éventuel effacement est lié à l’action diversifiée et modulaire du juge de police souhaitée explicitement par le législateur, à la possibilité d’infliger des peines légères et à celle d’intervenir plus sévèrement en cas de récidive.
B.73.3. Le deuxième moyen dans l’affaire n° 7759, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
La Cour
rejette les recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allema nde, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionne lle, le 2 mars 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 33/2023
Date de la décision : 02/03/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-03-02;33.2023 ?

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