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09/02/2023 | BELGIQUE | N°25/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 09 février 2023, 25/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 25/2023
du 9 février 2023
Numéro du rôle : 7891
En cause : la demande de suspension des articles 40 et 41 de la loi du 30 juillet 2022
« visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme II », introduite par la SA « Derby ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant

:
I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 25/2023
du 9 février 2023
Numéro du rôle : 7891
En cause : la demande de suspension des articles 40 et 41 de la loi du 30 juillet 2022
« visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme II », introduite par la SA « Derby ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 7 novembre 2022 et parvenue au greffe le 16 novembre 2022, la SA « Derby », assistée et représentée par Me P. Joassart, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit une demande de suspension des articles 40 et 41 de la loi du 30 juillet 2022 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme II » (publiée au Moniteur belge du 8 août 2022).
Par la même requête, la partie requérante demande également l’annulation des mêmes dispositions légales.
Par ordonnance du 23 novembre 2022, la Cour a fixé l’audience pour les débats sur la demande de suspension au 21 décembre 2022, après avoir invité les autorités visées à l’article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 15 décembre 2022 au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d’un mémoire, dont une copie serait envoyée dans le même délai à la partie requérante, ainsi qu’au greffe de la Cour par courriel envoyé à l’adresse « griffie@const-court.be ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Levert, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit des observations écrites.
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À l'audience publique du 21 décembre 2022 :
- ont comparu :
. Me P. Joassart et Me J. Vande Lanotte, avocat au barreau de Gand, pour la partie requérante;
. Me P. Levert, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs K. Jadin et D. Pieters ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l'affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt
A.1.1. La partie requérante expose qu’elle est active dans le domaine des jeux et paris, qu’elle est titulaire de licences F1 et F2 et qu’elle exploite des établissements de jeux de hasard de classe IV. Selon elle, les articles 40
et 41 de la loi du 30 juillet 2022 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme II » (ci-après :
la loi du 30 juillet 2022) affectent directement et défavorablement sa situation, dès lors que ces dispositions restreignent l’exercice de ses activités et lui imposent des obligations contraignantes.
A.1.2. Le Conseil des ministres fait valoir que l’article 40 de la loi du 30 juillet 2022 ne fait pas grief à la partie requérante. Il estime que cette disposition ne fait l’objet d’aucun moyen, ni d’aucune critique de la part de la partie requérante. Il ajoute que cette disposition se limite à mettre en œuvre le cadre légal en matière de protection des données. Il en conclut que le recours est partiellement irrecevable.
Quant au risque de préjudice grave difficilement réparable que l’application immédiate des dispositions attaquées pourrait causer
A.2.1. La partie requérante fait valoir que les établissements de jeux de hasard fixes de classe IV doivent, « depuis le 1er octobre 2022 (date d’entrée en vigueur de l’acte attaqué, article 16) », enregistrer les données des joueurs à la suite du contrôle EPIS (Excluded Persons Information System) et conserver une copie de ces données et de la pièce ayant permis l’identification de la personne concernée. La partie requérante produit un rapport établi par un cabinet de réviseurs d’entreprises qui analyse les conséquences de la mise en œuvre du contrôle EPIS sur sa situation financière. Elle souligne que l’estimation effectuée par ce rapport est évaluée à la date du 1er janvier 2024, mais que les conséquences décrites se produisent d’ores et déjà. S’appuyant sur ce rapport, elle fait valoir que la mesure aura pour elle les conséquences catastrophiques suivantes : (1) réduction annuelle de son résultat de 12,4 millions d’euros, (2) licenciement de 70 « équivalents temps plein », aboutissant à la perte définitive des emplois concernés et à une désorganisation totale et (3) fermeture de 95 agences de paris, aboutissant à la perte définitive des licences F2 correspondantes.
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A.2.2. Le Conseil des ministres souligne tout d’abord que les articles 40 et 41 de la loi du 30 juillet 2022
sont entrés en vigueur le 18 août 2022. Selon lui, lorsque la partie requérante fait référence à un « acte attaqué », elle semble en réalité renvoyer à l’arrêté royal du 20 mars 2022 « modifiant deux arrêtés royaux du 15 décembre 2004 en ce qui concerne le système EPIS et le registre d’accès ». Il en déduit que le caractère immédiat du préjudice allégué par la partie requérante ne découle pas des dispositions attaquées. Il ajoute que l’obligation d’enregistrement n’a pas été instaurée par les dispositions attaquées mais par l’article 31 de la loi du 7 mai 2019
« modifiant la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs, et insérant l’article 37/1 dans la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale ». Ensuite, le Conseil des ministres fait valoir que le rapport produit par la partie requérante n’est pas probant en l’espèce, dès lors que ce rapport n’analyse pas les répercussions particulières de l’article 41 de la loi du 30 juillet 2022 et qu’il n’aborde nullement l’article 40 de la même loi. Il ajoute que l’arrêt de la Cour statuant sur le recours en annulation sera rendu avant la date du 1er janvier 2024 visée par ce rapport. Enfin, il observe que le rapport ne s’étend pas aux états financiers de la partie requérante considérés dans leur ensemble. Le Conseil des ministres conclut que le risque de préjudice grave difficilement réparable n’est pas établi.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1. La partie requérante demande la suspension des articles 40 et 41 de la loi du 30 juillet 2022 « visant à rendre la justice plus humaine, plus rapide et plus ferme II » (ci-après : la loi du 30 juillet 2022). Ces dispositions modifient les articles 55 et 62 de la loi du 7 mai 1999 « sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs »
(ci-après : la loi du 7 mai 1999).
B.2.1. La loi du 7 mai 1999 se fonde sur le principe selon lequel l’exploitation de jeux de hasard est a priori interdite, mais elle prévoit des exceptions par un système d’autorisations sous la forme de licences octroyées par la Commission des jeux de hasard (Doc. parl., Chambre, 2008-2009, DOC 52-1992/001, pp. 3-4). Le législateur poursuit notamment un objectif de canalisation consistant à lutter contre l’offre de jeux de hasard illégale en autorisant une offre de jeux de hasard légale limitée (ibid., p. 4).
Les établissements de jeux de hasard autorisés par la loi du 7 mai 1999 sont répartis en quatre catégories (article 6, alinéa 1er, de cette loi) : les établissements de jeux de hasard de classe I ou casinos (article 28), les établissements de jeux de hasard de classe II ou salles de jeux automatiques (article 34), les établissements de jeux de hasard de classe III ou débits de boissons (article 39) et les établissements de jeux de hasard de classe IV ou « les endroits qui sont uniquement destinés à l’engagement de paris » (article 43/4).
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Aux termes de l’article 25 de la loi du 7 mai 1999, les quatre catégories d’établissements de jeux de hasard se distinguent, en outre, par le type de licence requise pour leur exploitation :
une licence A est requise pour exploiter un casino (article 25, alinéa 1er, 1), une licence B est requise pour exploiter une salle de jeux automatiques (article 25, alinéa 1er, 2), une licence C
est requise pour exploiter un débit de boissons (article 25, alinéa 1er, 3). La licence F1
(article 25, alinéa 1er, 6) permet l’exploitation de « l’organisation de paris ». La licence F2
(article 25, alinéa 1er, 7) permet « l’engagement de paris pour le compte de titulaires de licences de classe F1 » dans un établissement de jeux de hasard fixe ou mobile de classe IV et, en dehors d’un tel établissement, par les libraires et dans les hippodromes aux conditions fixées par l’article 43/4, § 5, 1° et 2°, de la loi du 7 mai 1999.
B.2.2. L’article 54 de la loi du 7 mai 1999 concerne les interdictions d’accéder à certains établissements de jeux de hasard et de pratiquer certains jeux de hasard qui sont applicables aux mineurs ou aux personnes de moins de 21 ans (article 54, § 1er), aux magistrats, aux notaires, aux huissiers et aux membres des services de police en dehors de l’exercice de leurs fonctions (article 54, § 2, alinéa 1er) et aux personnes exclues par la Commission des jeux de hasard (article 54, §§ 3 et 4).
Certaines de ces interdictions, notamment celles qui sont applicables aux personnes exclues par la Commission des jeux de hasard, portent uniquement sur les jeux de hasard « pour lesquels une obligation d’enregistrement existe ».
B.2.3. L’article 55 de la loi du 7 mai 1999 prévoit la création d’un système de traitement des informations concernant les personnes visées à l’article 54 de la même loi. Ce système de traitement est le système EPIS (Excluded Persons Information System), qui a été instauré par l’arrêté royal du 15 décembre 2004 « relatif à la création d’un système de traitement des informations concernant les joueurs exclus des salles de jeux de hasard de classe I et de classe II » (intitulé originaire).
Avant sa modification par l’article 40 de la loi du 30 juillet 2022, l’article 55 de la loi du 7 mai 1999 disposait :
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« Il est créé, auprès du service public fédéral Justice, un système de traitement des informations concernant les personnes visées à l’article 54.
Les finalités de ce système sont :
1° de permettre à la commission des jeux de hasard d’exercer les missions qui lui sont attribuées par la présente loi;
2° de permettre aux exploitants et au personnel des établissements de jeux de hasard de contrôler le respect des exclusions visées à l’article 54.
Pour chaque personne, les informations suivantes font l’objet d’un traitement :
1° les nom et prénoms;
2° le lieu et la date de naissance;
3° la nationalité;
4° le numéro d’identification visé à l’article 8 de la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques ou, en l’absence de ce numéro, le numéro octroyé en vertu de l’arrêté royal du 8 février 1991 relatif à la composition et aux modalités d’attribution du numéro d’identification des personnes physiques qui ne sont pas inscrites au Registre national des personnes physiques;
5° la profession;
6° s’il échet, les décisions d’exclusion visées à l’article 54, § 3 et § 4 prononcées par la commission des jeux de hasard, la date et les fondements de cette décision.
L’accès permanent en ligne à toutes les catégories d’informations mentionnées à l’alinéa 3
est accordé à la commission des jeux de hasard contre paiement d’une contribution.
Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres et après avis de la Commission de la protection de la vie privée le montant de la contribution visée à l’alinéa 4, les modalités de gestion du système de traitement des informations, les modalités de traitement des informations et les modalités d’accès au système ».
B.2.4. L’article 62 de la loi du 7 mai 1999 impose à certains établissements de jeux de hasard de conserver une copie du document d’identité que le joueur doit présenter et de tenir un registre reprenant certaines informations relatives aux joueurs.
Auparavant applicable aux seuls établissements de jeux de hasard de classes I et II, l’article 62 de la loi du 7 mai 1999 a également été rendu applicable aux établissements de jeux de hasard fixes de classe IV par l’article 31 de la loi du 7 mai 2019 « modifiant la loi du 7 mai
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1999 sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs, et insérant l’article 37/1 dans la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale » (ci-après : la loi du 7 mai 2019).
En soumettant les établissements de jeux de hasard fixes de classe IV à l’obligation d’enregistrement prévue à l’article 62 de la loi du 7 mai 1999, l’article 31 de la loi du 7 mai 2019 a également rendu applicable à ces établissements les interdictions d’accès visées à l’article 54, §§ 3 et 4, de la loi du 7 mai 1999.
Tel qu’il avait été modifié par l’article 31 de la loi du 7 mai 2019, l’article 62 de la loi du 7 mai 1999 disposait :
« Complémentairement à ce qui est prévu à l’article 54, l’accès aux salles de jeux des établissements de jeux de hasard des classes I, II et aux établissements de jeux de hasard fixes de classe IV n’est autorisé que sur présentation, par la personne concernée, d’un document d’identité et moyennant l’inscription, par l’exploitant, des nom complet, prénoms, date de naissance, lieu de naissance, profession et de l’adresse de cette personne dans un registre.
L’exploitant fait signer ce registre par la personne concernée.
Une copie de la pièce ayant servi à l’identification du joueur doit être conservée pendant au moins cinq ans à dater de la dernière activité de jeu de celui-ci.
Le Roi détermine les modalités pratiques d’admission et d’enregistrement des joueurs.
Il arrête les conditions d’accès aux registres.
L’absence de tenue ou la tenue incorrecte de ce registre de même que sa non-
communication aux autorités, son altération ou sa disparition peut entraîner le retrait de la licence de classe I, II ou de classe IV pour les établissements de jeux de hasard fixes par la commission.
Le Roi détermine les modalités d’admission et d’enregistrement des joueurs pour la pratique de jeux de hasard via un réseau de communication électronique ainsi que les conditions que le registre doit remplir ».
B.3. Par son arrêt n° 177/2021 du 9 décembre 2021 (ECLI:BE:GHCC:2021:ARR.177), la Cour a annulé l’article 31 de la loi du 7 mai 2019 « uniquement en ce qu’il ne prévoit pas de durée maximale de conservation des données à caractère personnel inscrites dans le registre visé à l’article 62 de la loi du 7 mai 1999 ‘ sur les jeux de hasard, les paris, les établissements
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de jeux de hasard et la protection des joueurs ’ et en ce qu’il ne prévoit pas de durée maximale de conservation de la copie de la pièce ayant servi à l’identification du joueur ».
B.4. Afin d’« étendre le champ d’application du système EPIS (Excluded Persons Information System) de la Commission des jeux de hasard aux établissements de jeux de hasard fixes de classe IV (agences de paris) » (rapport au Roi, Moniteur belge, 28 mars 2022, seconde édition, p. 25478), le Roi a pris l’arrêté royal du 20 mars 2022 « modifiant deux arrêtés royaux du 15 décembre 2004 en ce qui concerne le système EPIS et le registre d’accès » (ci-après :
l’arrêté royal du 20 mars 2022), qui, en vertu de son article 16, est entré en vigueur le 1er octobre 2022. L’arrêté royal du 20 mars 2022 modifie l’intitulé et plusieurs dispositions de deux arrêtés royaux : d’une part, l’arrêté royal, mentionné en B.2.3, du 15 décembre 2004
« relatif à la création d’un système de traitement des informations concernant les joueurs exclus des établissements de jeux de hasard de classe I, de classe II et des établissements de jeux de hasard fixes de classe IV » (nouvel intitulé) et, d’autre part, l’arrêté royal du 15 décembre 2004
« relatif au registre d’accès aux salles de jeux des établissements de jeux de hasard de classe I, II et aux établissements de jeux de hasard fixes de classe IV » (nouvel intitulé). Quelques modifications supplémentaires ont ensuite encore été apportées à ces deux arrêtés royaux par l’arrêté royal du 6 septembre 2022 « corrigeant trois erreurs matérielles dans deux arrêtés royaux du 15 décembre 2004 en ce qui concerne le système EPIS et le registre d’accès » (ci-
après : l’arrêté royal du 6 septembre 2022), qui est aussi entré en vigueur le 1er octobre 2022.
Tels qu’ils ont été modifiés par les arrêtés royaux du 20 mars 2022 et du 6 septembre 2022, les articles 1er et 5 de l’arrêté royal du 15 décembre 2004 « relatif à la création d’un système de traitement des informations concernant les joueurs exclus des établissements de jeux de hasard de classe I, de classe II et des établissements de jeux de hasard fixes de classe IV »
disposent :
« Article 1er. Le système visé à l’article 55 de la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs porte la dénomination EPIS, Excluded Persons Information System.
L’accès aux établissements de jeux de hasard de classe I, classe II et aux établissements de jeux de hasard fixes de classe IV et la pratique des jeux de hasard doivent être refusés aux personnes figurant dans le système d’information EPIS, conformément à l’article 54, de la loi
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du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs.
La Commission des jeux de hasard utilise le système d’information EPIS pour participer au contrôle du respect des exclusions des personnes visées à l’article 54 de la loi du 7 mai 1999
sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs ».
« Art. 5. L’exploitant d’un établissement de jeux de hasard de classe I, II, ou d’un établissement de jeux de hasard fixes de classe IV ou une personne déléguée par celui-ci, doit introduire le nom, le prénom, la date de naissance et, si disponible, le numéro du Registre national du joueur, dans le système EPIS avant que le joueur puisse entrer dans la salle de jeux.
Si cette personne figure dans EPIS, le terme ‘ oui ’ apparaît sur l’écran. Dans les autres cas, le terme ‘ non ’ apparaît.
En vue de l’enregistrement du joueur et de la consultation du système d’information EPIS, l’exploitant d’un établissement de jeux de hasard de classe I, II, ou d’un établissement de jeux de hasard fixe de classe IV ou une personne déléguée par celui-ci est autorisé à collecter le numéro de Registre national du joueur visé à l’alinéa 1er ».
Tel qu’il a été modifié par l’arrêté royal du 20 mars 2022, l’article 4 de l’arrêté royal du 15 décembre 2004 « relatif au registre d’accès aux salles de jeux des établissements de jeux de hasard de classe I, II et aux établissements de jeux de hasard fixes de classe IV » dispose :
« L’exploitant d’un établissement de jeux de hasard de classe I, II, et d’un établissement de jeux de hasard fixe de classe IV, ou une personne déléguée par celui-ci, doit procéder au contrôle de l’identité de toute personne désirant accéder aux salles de jeux.
A cette fin, il demande au client d’exhiber sa carte d’identité ou une pièce ayant servi à l’identification.
Préalablement à l’inscription du joueur dans le registre d’accès, l’exploitant d’un l’établissement de jeux de hasard de classe I, II ou d’un établissement de jeux de hasard fixe de classe IV ou une personne déléguée par celui-ci contrôle, par l’intermédiaire du système de traitement des informations prévu à l’article 55 de la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs, si l’accès à cet établissement de jeux de hasard n’est pas interdit au joueur conformément aux exclusions visées à l’article 54 de la loi précitée ».
B.5.1. L’article 40, attaqué, de la loi du 30 juillet 2022 modifie l’article 55 de la loi du 7 mai 1999 : (1) il insère un nouvel alinéa précisant que la Commission des jeux de hasard est le responsable du traitement du système EPIS, (2) il apporte plusieurs modifications formelles liées à l’insertion de ce nouvel alinéa et (3) il remplace la référence à la Commission de la protection de la vie privée par une référence à l’Autorité de protection des données.
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L’article 40, attaqué, de la loi du 30 juillet 2022 dispose :
« À l’article 55 de la loi du 7 mai 1999 sur les jeux de hasard, les paris, les établissements de jeux de hasard et la protection des joueurs, modifié par l’arrêté royal du 4 avril 2003 et par la loi du 10 janvier 2010, les modifications suivantes sont apportées :
1° un alinéa rédigé comme suit est inséré entre les alinéas 1er et 2 :
‘ La commission est le responsable du traitement du système de traitement des informations visé à l’alinéa 1er ’;
2° dans l’alinéa 4 ancien, devenant l’alinéa 5, les mots ‘ l’alinéa 3 ’ sont remplacés par les mots ‘ l’alinéa 4 ’;
3° dans l’alinéa 5 ancien, devenant l’alinéa 6, les mots ‘ la Commission de la protection de la vie privée ’ sont remplacés par les mots ‘ l’Autorité de protection des données, ’ et les mots ‘ l’alinéa 4 ’ sont remplacés par les mots ‘ l’alinéa 5 ’ ».
B.5.2. L’article 41, attaqué, de la loi du 30 juillet 2022 apporte les modifications suivantes à l’article 62 de la loi du 7 mai 1999 : (1) une photographie de la personne concernée doit désormais être prise à chaque visite et être conservée dans le registre, (2) il est précisé que le registre a pour finalité de permettre à la Commission des jeux de hasard de vérifier a posteriori si les consultations du système EPIS ont bien été réalisées et (3) la durée de conservation des données à caractère personnel inscrites dans le registre et la durée maximale de conservation de la copie de la pièce ayant servi à l’identification du joueur sont fixées à dix années à dater de la dernière activité de jeu de la personne concernée.
L’article 41, attaqué, de la loi du 30 juillet 2022 dispose :
« À l’article 62 de la même loi, modifié par la loi du 10 janvier 2010 et par l’article 31 de la loi du 7 mai 2019, annulé lui-même sous certaines conditions par l’arrêt n° 177/2021 de la Cour constitutionnelle, les modifications suivantes sont apportées :
1° l’alinéa 1er est complété par la phrase suivante : ‘ A chaque visite de la personne concernée, une photographie de cette personne est prise et conservée dans le registre ’;
2° il est inséré, entre l’alinéa 1er et l’alinéa 2, deux alinéas rédigés comme suit :
‘ La finalité de ce registre est de permettre à la commission de vérifier a posteriori si les consultations du système de traitement des informations visé à l’article 55 ont bien été réalisées
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sur les joueurs qui fréquentent les établissements de jeux de hasard de classe I, II, ou d’un établissement de jeux de hasard fixe de classe IV.
Les données à caractère personnel inscrites dans le registre sont conservées pendant une période de dix ans à dater de la dernière activité de jeu de la personne concernée ’;
3° dans l’alinéa 3 ancien, devenant l’alinéa 5, les mots ‘ pendant au moins cinq ans ’ sont remplacés par les mots ‘ pour une durée de maximum dix ans ’ ».
B.5.3. À défaut de disposition contraire, les articles 40 et 41 de la loi du 30 juillet 2022
sont entrés en vigueur dix jours après la publication de celle-ci au Moniteur belge du 8 août 2022, à savoir le 18 août 2022, en vertu de l’article 4, alinéa 2, de la loi du 31 mai 1961
« relative à l’emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l’entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires ».
Quant à l’intérêt
B.6.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la partie requérante n’a pas intérêt à demander l’annulation et la suspension de l’article 40 de la loi du 30 juillet 2022.
B.6.2 La demande de suspension étant subordonnée au recours en annulation, la recevabilité de celui-ci, et en particulier l’existence de l’intérêt requis, doit être vérifiée dès l’examen de la demande de suspension.
B.6.3. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.6.4. Au stade actuel de la procédure et compte tenu des limites de l’examen auquel la Cour peut procéder dans le cadre d’une demande de suspension, il y a lieu de constater que la
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partie requérante ne démontre pas en quoi l’article 40 de la loi du 30 juillet 2022, qui apporte à l’article 55 de la loi du 7 mai 1999 les modifications mentionnées en B.5.1, pourrait affecter directement et défavorablement sa situation.
B.6.5. L’examen limité de la recevabilité du recours en annulation auquel la Cour a pu procéder dans le cadre de la demande de suspension fait apparaître que, à ce stade de la procédure, le recours en annulation et donc la demande de suspension doivent être considérés comme irrecevables en ce qu’ils sont dirigés contre l’article 40 de la loi du 30 juillet 2022.
Quant aux conditions de la suspension
B.7. Aux termes de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, deux conditions doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée :
- des moyens sérieux doivent être invoqués;
- l’application immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l’une de ces deux conditions n’est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.
En ce qui concerne le risque de préjudice grave difficilement réparable que l’application immédiate des dispositions attaquées pourrait causer
B.8. La suspension par la Cour d’une disposition législative doit permettre d’éviter que l’application immédiate de cette norme cause à la partie requérante un préjudice grave, qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement l’être en cas d’annulation de ladite norme.
Il ressort de l’article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, pour satisfaire à la deuxième condition de l’article 20, 1°, de cette loi, la personne qui forme une demande de
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suspension doit exposer, dans sa requête, des faits concrets et précis qui prouvent à suffisance que l’application immédiate des dispositions dont elle demande l’annulation risque de lui causer un préjudice grave difficilement réparable.
Cette personne doit notamment faire la démonstration de l’existence du risque de préjudice, de sa gravité et de son lien avec l’application des dispositions attaquées.
B.9. Au titre de risque de préjudice grave difficilement réparable que l’application immédiate des dispositions attaquées pourrait causer, la partie requérante invoque, en s’appuyant sur un rapport établi par un cabinet de réviseurs d’entreprises, une réduction annuelle de son résultat de 12,4 millions d’euros, le licenciement de 70 « équivalents temps plein » et la fermeture de 95 agences de paris.
B.10. Il ressort de la requête et du rapport précité, déposé à l’appui de celle-ci, que le risque de préjudice allégué par la partie requérante, à supposer qu’il soit établi, résulte des obligations pour les établissements de jeux de hasard fixes de classe IV de tenir le registre prévu à l’article 62 de la loi du 7 mai 1999, de conserver une copie de la pièce ayant servi à l’identification du joueur et de contrôler via le système EPIS le respect des exclusions applicables prévues à l’article 54 de la même loi.
Comme il est dit en B.2.4, c’est l’article 31 de la loi du 7 mai 2019, partiellement annulé par l’arrêt de la Cour n° 177/2021, précité, qui a rendu l’article 62 de la loi du 7 mai 1999
applicable aux établissements de jeux de hasard fixes de classe IV et qui a ainsi rendu applicable à ces établissements les interdictions d’accès visées à l’article 54, §§ 3 et 4, de la loi du 7 mai 1999. Comme il est dit en B.4, c’est l’arrêté royal du 20 mars 2022 qui a étendu aux établissements de jeux de hasard fixes de classe IV le champ d’application des dispositions réglementaires relatives au système EPIS.
Il s’ensuit que le risque de préjudice allégué par la partie requérante, à supposer qu’il soit établi, ne résulte pas de l’application immédiate de l’article 41 de la loi du 30 juillet 2022.
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B.11. Une des conditions pour pouvoir conclure à une suspension n’étant pas remplie, il y a lieu de rejeter la demande de suspension.
14
Par ces motifs,
la Cour
rejette la demande de suspension.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 février 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25/2023
Date de la décision : 09/02/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-02-09;25.2023 ?

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