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09/02/2023 | BELGIQUE | N°23/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 09 février 2023, 23/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 23/2023
du 9 février 2023
Numéro du rôle : 7814
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 59, § 1er, 2°, et § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992 (exercices d’imposition 2017 et 2018), posée par le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,r> après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle e...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 23/2023
du 9 février 2023
Numéro du rôle : 7814
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 59, § 1er, 2°, et § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992 (exercices d’imposition 2017 et 2018), posée par le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, J. Moerman, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 23 mai 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 31 mai 2022, le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 59, § 1er, 2°, et § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992 viole-t-il le principe d’égalité consacré par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution à l’égard de l’employeur, dans l’hypothèse où l’employé de celui-ci est occupé par différents employeurs, en ce que, pour apprécier la limite de 80 % prévue par ces dispositions, il est tenu compte, d’une part, de la dernière rémunération brute annuelle normale par employeur et, d’autre part, de l'ensemble des pensions légales et des pensions extra-légales exprimées en rentes annuelles qui ont été constituées auprès des différents employeurs ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- la SA « Group Depré », assistée et représentée par Me D. Jaecques, avocat au barreau de Flandre occidentale;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me G. Leyns, avocat au barreau de Gand.
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Par ordonnance du 7 décembre 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs J. Moerman et K. Jadin, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 21 décembre 2022 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 21 décembre 2022.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Devant le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges, la SA « Group Depré »
conteste deux cotisations à l’impôt des sociétés, après que sa réclamation a été rejetée. La contestation porte sur la déduction de cotisations versées pour les pensions extra-légales de deux travailleurs. Ceux-ci sont occupés à temps partiel par la SA « Group Depré » et à temps partiel par une société filiale de la SA « Group Depré ».
L’administration fait valoir qu’en ce qui concerne la pension légale et les pensions extra-légales exprimées en rentes annuelles, il faut tenir compte du montant total et qu’il n’y a pas de répartition au prorata, ce que conteste la SA « Group Depré ». Ceci amène le Tribunal de première instance à poser la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. La SA « Group Depré » fait valoir que la limite de 80 % doit être calculée par entreprise de façon cohérente. Selon elle, s’il n’est pas tenu compte de la rémunération intégrale dans le calcul, mais uniquement de la rémunération par entreprise, les montants visés à l’article 59, § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-
après : le CIR 1992) ne peuvent pas non plus être pris en compte dans leur intégralité, mais seulement au prorata de la rémunération qui est prise en compte par entreprise pour calculer la limite de 80 %. Dès lors que l’article 59
du CIR 1992 ne prévoit pas une règle de répartition entre les différents employeurs, il y a une lacune inconstitutionnelle.
A.2. Selon le Conseil des ministres, la question est irrecevable. La juridiction a quo considère à tort que, pour apprécier la limite de 80 %, il y a lieu de tenir compte de la dernière rémunération brute annuelle normale par employeur. Ceci ne ressort toutefois nullement des dispositions en cause, qui soulignent précisément le caractère global de la limite. La question porte en réalité sur l’application des dispositions en cause, de sorte que la Cour n’est pas compétente.
En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, étant donné que, dans le litige au fond, aucun capital de pension extra-légal n’a été constitué via des primes versées par l’autre employeur des travailleurs concernés.
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-B-
B.1. Par la question préjudicielle, le juge a quo souhaite savoir si l’article 59 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017 et 2018, est compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.
B.2.1. Comme il ressort de la décision de renvoi, la question préjudicielle porte essentiellement sur la méthode de calcul de ce qu’on appelle la « limite de 80 % » pour la déductibilité fiscale des primes qu’une entreprise verse dans le cadre d’un contrat individuel relatif à des engagements de pension au profit de son travailleur.
B.2.2. Conformément à l’article 52, 3°, b), deuxième tiret, du CIR 1992, tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017 et 2018, les cotisations et primes patronales - sous réserve des dispositions des articles 53 à 66bis du CIR 1992 - versées en exécution d’un engagement individuel de pension complémentaire de retraite et/ou de survie, en vue de la constitution d’une rente ou d’un capital en cas de vie ou de décès, constituent des frais professionnels.
B.2.3. L’article 59 du CIR 1992, tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017
et 2018 (ci-après : la disposition en cause), dispose :
« § 1er. Les cotisations et primes patronales visées à l’article 52, 3°, b, ne sont déductibles à titre de frais professionnels qu’aux conditions et dans les limites suivantes :
1° il faut qu’elles soient versées à titre définitif à une entreprise d’assurance ou à une institution de prévoyance ou à une institution de retraite professionnelle établie dans un État membre de l’Espace économique européen;
2° les prestations légales et extra-légales en cas de retraite, exprimées en rentes annuelles, ne peuvent dépasser 80 p.c. de la dernière rémunération brute annuelle normale et doivent tenir compte d’une durée normale d’activité professionnelle.
Pour les contrats qui ne sont pas des engagements de type ‘ prestations définies ’, les prestations extra-légales y afférentes sont déterminées en tenant compte des caractéristiques du contrat, des réserves acquises afférentes au contrat et des paramètres suivants :
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- le taux des augmentations des rémunérations, y compris l’indexation;
- le taux de capitalisation à appliquer aux réserves acquises;
- le taux des participations aux bénéfices;
3° les prestations légales et complémentaires en cas d’incapacité de travail, exprimées en rentes annuelles, ne peuvent excéder la rémunération brute annuelle normale;
4° l’employeur doit produire les éléments justificatifs dans les formes et les délais déterminés par le Roi;
5° les informations demandées en application de l’arrêté royal du 25 avril 2007 portant exécution de l’article 306 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, doivent avoir été fournies.
Pour vérifier si les limites visées à l’alinéa 1er, 2° et 3°, sont respectées, les prestations y visées qui sont liquidées en capital, sont à convertir en rentes à l’aide des données qui figurent au tableau fixé par le Roi, qui, sans tenir compte d’une réversibilité ou de l’indexation des rentes différées dans la limite de 2 % par an à compter de leur prise de cours, indique pour différents âges à la prise de cours de la rente, le capital censé nécessaire pour payer par douzièmes et à terme échu une rente annuelle de 1 euro. Les données du tableau peuvent être adaptées s’il y a lieu pour tenir compte de la réversibilité ou de l’indexation des rentes différées dans la limite de 2 % par an à compter de leur prise de cours.
Les prestations qui correspondent aux années de service déjà prestées, peuvent être financées sous la forme d’une ou plusieurs cotisations ou primes. Les années de service prestées en dehors de l’entreprise ne sont prises en compte qu’à concurrence de 10 années réellement prestées au maximum. Les prestations qui se rapportent à 5 ans maximum d’activité professionnelle restant encore à prester jusqu’à l’âge normal de la retraite peuvent également être financées sous la forme d’une ou plusieurs cotisations ou primes.
§ 2. Une indexation des rentes visées au § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°, est permise.
§ 3. Les limites visées au § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°, s’appliquent, d’une part aux cotisations et primes relatives aux assurances complémentaires contre la vieillesse et le décès prématuré et aux engagements de pensions complémentaires et, d’autre part, aux cotisations et primes relatives aux engagements qui doivent être considérés comme un complément aux indemnités légales en cas de décès ou d’incapacité de travail par suite d’un accident du travail ou d’un accident ou bien d’une maladie professionnelle ou d’une maladie. Pour le calcul de ces limites, les cotisations et primes visées à l’article 52, 3°, b, troisième tiret, versées en exécution d’un engagement de solidarité sont réparties, suivant leur objet, entre chacune de ces catégories.
§ 4. En ce qui concerne les cotisations et primes patronales relatives aux assurances complémentaires contre la vieillesse et le décès prématuré et aux engagements de pension complémentaire, la limite de 80 p.c. visée au § 1er, alinéa 1er, 2°, doit s’apprécier au regard de
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l’ensemble des pensions légales et des pensions extra-légales exprimées en rentes annuelles.
Les prestations résultant de l’épargne-pension et de contrats individuels d’assurance-vie autres que ceux conclus en exécution d’un engagement individuel de pension complémentaire de retraite et/ou de survie, n’entrent pas en ligne de compte.
Les pensions extra-légales comprennent notamment les pensions :
- constituées au moyen de cotisations personnelles visées à l’article 52, 7°bis, ou à l’article 1453;
- constituées au moyen de cotisations patronales;
- attribuées par l’employeur en exécution d’une obligation contractuelle.
Pour les cotisations et primes patronales relatives aux engagements qui doivent être considérés comme un complément aux indemnités légales en cas de décès ou d’incapacité de travail par suite d’un accident du travail ou d’un accident ou bien d’une maladie professionnelle ou d’une maladie, la limite à la rémunération brute annuelle normale doit s’apprécier au regard de l’ensemble des prestations légales en cas d’incapacité de travail et des prestations extra-
légales en cas d’incapacité de travail exprimées en rentes annuelles.
Les prestations extra-légales en cas d’incapacité de travail comprennent notamment :
- les prestations en cas d’incapacité de travail constituées au moyen de cotisations patronales;
- les prestations attribuées par l’employeur en exécution d’une obligation contractuelle.
§ 5. Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres :
1° ce qu’il faut entendre par ‘ rémunération brute annuelle normale ’, ‘ dernière rémunération brute annuelle normale ’ et ‘ durée normale d’activité professionnelle ’ au sens du § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°;
2° les différents taux visés au § 1er, alinéa 1er, 2°.
Il saisira les Chambres législatives, immédiatement si elles sont réunies, sinon dès l’ouverture de leur plus prochaine session, d’un projet de loi de confirmation des arrêtés pris en exécution de l’alinéa 1er, 2°.
Il détermine les conditions et le mode d’application de la présente disposition.
§ 6. Les avances sur prestations, la mise en gage des droits à la pension pour sûreté d’un emprunt et l’affectation de la valeur de rachat à la reconstitution d’un emprunt hypothécaire ne font pas obstacle au caractère définitif du versement des cotisations et des primes requis par le § 1er, alinéa 1er, 1°, lorsqu’elles sont consenties pour permettre au travailleur d’acquérir, de construire, d’améliorer, de restaurer ou de transformer des biens immobiliers situés dans un État membre de l’Espace économique européen et productifs de revenus imposables en Belgique ou dans un autre État membre de l’Espace économique européen et pour autant que
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les avances et les prêts soient remboursés dès que les biens précités sortent du patrimoine du travailleur.
La limite visée à l’alinéa 1er doit être inscrite dans les règlements d’assurance de groupe, les contrats d’assurance, les règlements de pension, les engagements de pension complémentaire visés dans la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale et les conventions de pension complémentaire pour les travailleurs indépendants visées dans la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 ».
En vertu du paragraphe 1er, alinéa 1er, 2°, de la disposition en cause, les cotisations et primes patronales versées en exécution d’un contrat individuel relatif à des engagements de pension ne peuvent être déduites à titre de frais professionnels qu’à la condition que les prestations légales et extra-légales en cas de retraite, exprimées en rentes annuelles, ne dépassent pas 80 % de la dernière rémunération brute annuelle normale.
En vertu du paragraphe 4, alinéa 1er, de la disposition en cause, il convient, en ce qui concerne les cotisations et primes relatives aux engagements de pension complémentaire, d’apprécier la limite de 80 % au regard de l’ensemble des pensions légales et des pensions extra-légales exprimées en rentes annuelles.
Sur la base du paragraphe 4, alinéa 2, de la disposition en cause, les pensions extra-légales comprennent notamment les pensions constituées au moyen de cotisations patronales.
En vertu du paragraphe 5, alinéa 1er, de la disposition en cause, le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, ce qu’il faut entendre par « rémunération brute annuelle normale », « dernière rémunération brute annuelle normale » et par « durée normale d’activité professionnelle » au sens du paragraphe 1er, alinéa 1er, 2°, de la même disposition et ce qu’il faut entendre par les différents taux visés au paragraphe 1er, alinéa 1er, 2°.
L’article 34 de l’arrêté royal d’exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-
après : l’AR/CIR 1992), tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017 et 2018, dispose :
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« Pour l’application des articles 52, 3°, b, et 5°, et 59, du Code des impôts sur les revenus 1992 et de la présente section, on entend :
1° par rémunération brute annuelle normale : le montant global brut de toutes les sommes qui, avant déduction des retenues obligatoirement effectuées en exécution de la législation sociale ou d’un statut légal ou réglementaire y assimilé, sont attribuées ou payées au travailleur pendant une année déterminée, autrement qu’à titre exceptionnel ou occasionnel;
2° par dernière rémunération brute annuelle normale : la rémunération brute annuelle qui, eu égard aux rémunérations antérieures du travailleur, peut être considérée comme normale et qui lui a été payée ou attribuée pendant la dernière année antérieure à sa mise à la retraite, année pendant laquelle il a eu une activité professionnelle normale;
3° par durée normale d’activité professionnelle : 40 ans ou, pour les professions dont l’employeur et le travailleur intéressés établissent que la carrière complète s’étend sur moins ou plus de 40 ans, le nombre d’années de cette carrière complète ».
L’article 35 de l’AR/CIR 1992, tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017
et 2018, dispose :
« […]
§ 2. La déduction à titre de frais professionnels des cotisations et primes patronales visées au § 1er n’est admise que pendant la durée normale d’activité professionnelle de chaque travailleur et dans la mesure où par travailleur, lesdites cotisations et primes, majorées des cotisations et primes personnelles visées à l’article 1451, 1°, du même Code :
1° ne dépassent pas, par année, les montants dus en vertu du règlement d’assurance de groupe, du contrat d’assurance, du règlement de pension, de l’engagement de pension complémentaire ou de l’engagement de solidarité et qui, en ce qui concerne les engagements collectifs, sont accessibles de manière identique et non discriminatoire à tout le personnel de l’entreprise ou à une catégorie spécifique de ce personnel;
2° donnent droit à des prestations, participations bénéficiaires comprises, dont le montant, en rente annuelle viagère ou converti en rente annuelle viagère, majoré de la pension légale, n’excède pas 80 p.c. de la rémunération brute annuelle normale du travailleur pendant l’année concernée, multipliée par une fraction qui a pour numérateur le nombre d’années de la durée normale d’activité professionnelle réellement accomplies et restant à accomplir dans l’entreprise et pour dénominateur le nombre d’années de la durée normale d’activité professionnelle.
§ 3. Pour les travailleurs qui effectuent au sein de l’entreprise une carrière incomplète, il peut être tenu compte au numérateur de la fraction visée au § 2, 2°, d’une durée d’activité professionnelle supérieure à celle qu’ils presteront dans cette entreprise, à condition que les prestations visées au § 2, 2°, se rapportent à 10 ans maximum d’une activité professionnelle antérieure réellement prestée ou à 5 ans maximum d’activité professionnelle restant encore à prester jusqu’à l’âge normal de la retraite et que le nombre total des années ainsi pris en considération ne dépasse pas le nombre d’années de la durée normale de leur activité
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professionnelle. En pareil cas, les règlements, contrats, engagements de pension complémentaire et engagements de solidarité visés au § 1er, 2°, doivent en outre mentionner de manière explicite les conditions auxquelles de telles cotisations et primes sont accordées.
Pour vérifier si la limite fixée au § 2, 2° est respectée, les prestations en capital sont à convertir en rente à l’aide des données qui figurent au tableau ci-après, adaptées s’il y a lieu pour tenir compte de la réversibilité ou de l’indexation des rentes différées dans la limite de 2 p.c. par an à compter de leur prise de cours.
[…] ».
B.2.4. La limite de 80 % a été insérée par l’article 5 de la loi du 27 décembre 1984
« portant des dispositions fiscales » dans l’ancien article 45, 3°, b), du Code des impôts sur les revenus 1964 (actuellement l’article 59, § 1er, alinéa 1er, 2°, du CIR 1992).
Il ressort de l’exposé des motifs relatif au projet de loi que l’objectif du législateur était de remédier à « certaines distorsions existant dans les différents modes de constitution en exemption d’impôt des capitaux tenant lieu de rentes ou de pensions » (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n° 1010/1, p. 1). Le législateur estimait par ailleurs que « la modification de régime proposée […] ne peut se réaliser sans certaines adaptations destinées à empêcher la constitution en exemption d’impôt de capitaux anormalement élevés » (ibid., p. 5). Dans son avis sur le projet de loi, la section de législation du Conseil d’État a confirmé que ce projet « tendrait à éviter la déductibilité de pensions jugées excessives » (ibid., p. 22).
Le projet de loi initial n’a toutefois pas défini la limite au-dessus de laquelle les capitaux de pension constitués seraient considérés comme « excessifs ». La section de législation du Conseil d’État a observé à cet égard que, « pour respecter le prescrit de l’article 110
[actuellement article 170] de la Constitution, cette limite doit être exprimée par la loi » (ibid., p. 22). La limite de 80 % a finalement été insérée dans l’article 5 du projet de loi à la suite d’un amendement déposé par plusieurs députés (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n° 1010/4, p. 7;
n° 1010/13, pp. 56 et 122).
En ce qui concerne la sanction qui s’appliquerait si les capitaux de pension constitués étaient supérieurs à la limite de 80 %, le ministre des Finances a déclaré que « la partie dépassant la limite est rejetée en tant que dépense déductible » (Doc. parl., Chambre,
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1984-1985, n° 1010/13, p. 59). Il a spécifié par ailleurs que « le montant alloué ‘ en trop ’ sera ajouté au bénéfice imposable de l’entreprise » (ibid.).
Quant à la compétence de la Cour
B.3.1. Selon la juridiction a quo, dans l’interprétation selon laquelle, pour apprécier la limite de 80 %, il est tenu compte, d’une part, de la dernière rémunération brute annuelle normale par employeur et, d’autre part, de l’ensemble des pensions légales et des pensions extra-légales exprimées en rentes annuelles qui ont été constituées auprès d’employeurs différents, la disposition en cause crée une différence de traitement entre les employeurs selon que leur travailleur est également occupé par d’autres employeurs ou non. Dans l’interprétation précitée, dans le cas d’un travailleur qui est occupé pour un certain pourcentage de temps, le montant total déductible est en effet plus élevé si le travailleur n’est occupé que par un seul employeur que si l’occupation est répartie entre plusieurs employeurs.
B.3.2. Le Conseil des ministres fait valoir que la question préjudicielle est irrecevable, parce que la différence de traitement mentionnée dans cette question résulterait, non pas de la disposition en cause, mais de son exécution et de son application.
B.4.1. La Cour ne peut se prononcer sur le caractère justifié ou non d’une différence de traitement au regard des dispositions de la Constitution qu’elle est habilitée à faire respecter que si cette différence de traitement est imputable à une norme législative. Ni l’article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, ni aucune autre disposition constitutionnelle ou législative ne confèrent à la Cour le pouvoir de statuer, à titre préjudiciel, sur la question de savoir si un arrêté royal est compatible ou non avec ces dispositions de la Constitution.
Il peut être déduit des motifs de la décision de renvoi et des mémoires des parties que la Cour est en réalité interrogée sur l’absence d’une règle spécifique permettant de déterminer la limite de 80 % lorsque, comme c’est le cas dans l’affaire soumise à la juridiction a quo, un travailleur est occupé par différents employeurs.
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B.4.2. Comme il ressort de ce qui est dit en B.2.3, le législateur a fixé les éléments essentiels de la déductibilité et a habilité par ailleurs le Roi, d’une part, à déterminer « ce qu’il faut entendre par ‘ rémunération brute annuelle normale ’, ‘ dernière rémunération brute annuelle normale ’ et ‘ durée normale d’activité professionnelle ’ au sens du § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°, [de l’article 59 du CIR 1992] » et, d’autre part, à déterminer les conditions et le mode d’application de l’article 59 du CIR 1992.
B.4.3. Il appartient dès lors au Roi de prendre les mesures d’exécution nécessaires. Des manquements à cette obligation ne peuvent toutefois pas être imputés à la législation relative à la limite de 80 %, mais ils relèvent de l’exécution de celle-ci, sur laquelle la Cour ne peut pas se prononcer.
B.4.4. Enfin, il y a lieu de relever que, lorsqu’un législateur délègue, il faut supposer, sauf indications contraires, qu’il entend exclusivement habiliter le délégué à faire de son pouvoir un usage conforme à la Constitution. C’est au juge compétent qu’il appartient de contrôler si le délégué a excédé ou non les termes de l’habilitation qui lui a été conférée.
B.5. La question préjudicielle ne relève pas de la compétence de la Cour. L’exception est fondée.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
La question préjudicielle ne relève pas de la compétence de la Cour.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 9 février 2023.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 23/2023
Date de la décision : 09/02/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

La question préjudicielle ne relève pas de la compétence de la Cour

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 59, § 1er, 2°, et § 4, du Code des impôts sur les revenus 1992 (exercices d'imposition 2017 et 2018), posée par le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges. Droit fiscal - Frais professionnels - Cotisations et primes patronales - Limitation de la déductibilité à 80 % - Pensions extra-légales - Travailleur occupé par différents employeurs


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-02-09;23.2023 ?

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