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19/01/2023 | BELGIQUE | N°12/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 19 janvier 2023, 12/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 12/2023
du 19 janvier 2023
Numéro du rôle : 7822
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, posée par la Cour d’appel d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée du président L. Lavrysen, du juge T. Giet, faisant fonction de président, et des juges Y. Kherbache, T. Detienne, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet d

e la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 28 juin 2022, dont l’expédition est parvenue ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 12/2023
du 19 janvier 2023
Numéro du rôle : 7822
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, posée par la Cour d’appel d’Anvers.
La Cour constitutionnelle,
composée du président L. Lavrysen, du juge T. Giet, faisant fonction de président, et des juges Y. Kherbache, T. Detienne, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 28 juin 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 juin 2022, la Cour d’appel d’Anvers a posé une question préjudicielle qui, par ordonnance de la Cour du 12 juillet 2022, a été reformulée comme suit :
« L’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’il existe une inégalité de traitement à l’égard de la personne dont la filiation cesse d’être établie avant l’âge de dix-
huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge et qui perd de plein droit sa nationalité, alors que, d’une part, une personne [dont la filiation cesse d’être établie] après l’âge de dix-huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge conserve sa nationalité et que, d’autre part, une personne n’est déchue de sa nationalité que pour les motifs mentionnés à l’article 23 du Code de la nationalité belge et à l’issue de la procédure ad hoc ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- S.I. et D.I., en leur qualité de représentants légaux d’A.I., assistés et représentés par Me K. Blomme, avocat au barreau de Flandre occidentale;
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- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Ronse, Me G. Vyncke et Me S. Vandoorne, avocats au barreau de Flandre occidentale.
Par ordonnance du 9 novembre 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs W. Verrijdt et T. Detienne, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 23 novembre 2022 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 23 novembre 2022.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
A.I. est née le 19 mars 2008, à Anvers. Sa mère, S.I., a la nationalité macédonienne. Le 26 mars 2008, D.V., qui est de nationalité belge, a reconnu A.I. comme étant sa fille. À la suite de cette reconnaissance, A.I. s’est vu octroyer la nationalité belge, conformément à l’article 8, § 1er, du Code de la nationalité belge.
Par jugement du 24 juin 2019, le tribunal correctionnel d’Anvers, division d’Anvers, a condamné S.I., D.V.
et D.I. pour faux en écriture. Selon le tribunal, il s’est avéré que le père biologique de A.I. n’est pas D.V., mais D.I., et que la reconnaissance par D.V. doit être considérée comme non avenue. L’officier de l’état civil a par ailleurs été autorisé à radier de l’acte de naissance de A.I. les mentions relatives à la reconnaissance et à l’identité de D.V, conformément à l’article 463 du Code d’instruction criminelle. Par arrêt du 16 janvier 2020, la Cour d’appel d’Anvers, siégeant en matière correctionnelle, a confirmé le jugement du 24 juin 2019, après que D.V. se fut pourvu en appel de celui-ci.
Le 27 février 2020, l’officier de l’état civil de la ville d’Anvers, district de Merksem, a modifié les actes de l’état civil de A.I., faisant suite au jugement, précité, du 24 juin 2019. En outre, la nationalité belge de A.I. a été radiée conformément à l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge.
Le 24 octobre 2020, S.I. et D.I. ont cité l’officier de l’état civil de la ville d’Anvers, district de Merksem, à comparaître devant le Tribunal de première instance d’Anvers, division d’Anvers, section du tribunal de la famille et de la jeunesse. Par jugement du 11 juin 2021, ce Tribunal a annulé la décision de l’officier de l’état civil de radier la nationalité belge de A.I. des actes de l’état civil, essentiellement parce que la perte de cette nationalité produirait à l’égard de A.I. des effets disproportionnés.
Le 28 juin 2021, le ministère public a interjeté appel du jugement du 11 juin 2021 devant la juridiction a quo.
Par son arrêt du 28 juin 2022, la juridiction a quo a posé la question préjudicielle précitée.
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III. En droit
-A-
A.1.1. Selon le Conseil des ministres, l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge est compatible avec les normes de contrôle citées dans la question préjudicielle, et cette question appelle donc une réponse négative.
A.1.2. Selon le Conseil des ministres, la différence de traitement en cause repose sur un critère de distinction objectif, à savoir l’âge de l’intéressée. La personne qui s’est vu attribuer la nationalité belge de son auteur ne perd cette nationalité que si elle n’a pas encore atteint l’âge de dix-huit ans et n’a pas non plus été émancipée au moment où la filiation cesse d’être établie.
A.1.3. Le Conseil des ministres expose que la différence de traitement en cause est raisonnablement justifiée.
Il relève du pouvoir d’appréciation du législateur de fixer les conditions auxquelles des personnes peuvent acquérir ou perdre la nationalité belge, comme la Cour l’a jugé par son arrêt n° 16/2018 du 7 février 2018
(ECLI:BE:GHCC:2018:ARR.016). Il ressort des travaux préparatoires du Code de la nationalité belge que le législateur avait l’intention de faire dépendre l’acquisition et la conservation de la nationalité belge de l’existence d’un lien effectif avec la Belgique, ainsi que de protéger l’unité de nationalité au sein d’une même famille. Par la disposition en cause, le législateur entendait également réduire le nombre de cas d’apatridie et de bipatridie (Doc. parl., Chambre, 1983-1984, n° 756/1, pp. 14 et 17-18). De tels objectifs sont légitimes, ce que la Cour de justice de l’Union européenne a par ailleurs confirmé par son arrêt du 12 mars 2019 en cause de Tjebbes e.a.
(C-221/17, ECLI:EU:C:2019:189, point 35).
La distinction en cause entre les personnes majeures et mineures est dès lors justifiée par le fait qu’un mineur peut avoir un lien plus limité avec la Belgique. En outre, un mineur est encore largement dépendant de ses parents, de sorte que l’unité de nationalité recherchée au sein de la famille est également dans l’intérêt de l’enfant. Les personnes majeures, par contre, peuvent être considérées comme disposant d’une certaine autonomie et ont tout intérêt à ce que leur nationalité ne puisse pas être modifiée sans leur consentement.
A.1.4. Le Conseil des ministres ajoute que la disposition en cause est proportionnée aux objectifs poursuivis, puisque le législateur a modéré les effets de la perte de la nationalité belge à l’égard des mineurs. La disposition en cause prévoit que, si la filiation cesse d’être établie avant l’âge de dix-huit ans, les actes qui ont été passés alors que la filiation était encore établie et dont la validité était subordonnée à la possession de la qualité de Belge ne peuvent être contestés pour le seul motif que la personne concernée n’avait pas cette nationalité. Il en va de même en ce qui concerne les droits acquis avant la même date.
A.2.1. Selon le Conseil des ministres, il est également raisonnablement justifié que la disposition en cause ne prévoie pas les mêmes garanties procédurales que l’article 23 du Code de la nationalité belge, qui règle la déchéance de la nationalité belge. Conformément à l’article 23, la déchéance ne peut être prononcée qu’à l’égard de personnes devenues belges après leur majorité par déclaration de nationalité ou par naturalisation, si ces personnes ont acquis la nationalité par la fraude ou qu’elles ont gravement manqué à leurs devoirs de citoyen belge. La disposition en cause concerne une autre forme d’acquisition de la nationalité, puisqu’elle se rapporte à des personnes qui se sont vu attribuer la nationalité belge pendant leur minorité sur la base de la nationalité d’un des auteurs. En outre, cette disposition n’a pas pour effet que le mineur concerné est déchu de sa nationalité belge, comme l’a également relevé la section de législation du Conseil d’État (Doc. parl., Chambre, 1983-1984, n° 756/1, p. 36). L’annulation de la filiation qui a fondé l’attribution de la nationalité belge a en effet un caractère déclaratif et un effet ex tunc.
Compte tenu de ces éléments, le Conseil des ministres estime que la différence de traitement en cause découle de l’application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes, ce qui n’est pas discriminatoire en soi. Il ne serait question d’une discrimination que si la différence de traitement qui découle de l’application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées, comme la Cour l’a jugé dans l’arrêt n° 16/2018, précité.
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A.2.2. Le Conseil des ministres expose ensuite que la disposition en cause ne produit pas des effets disproportionnés pour les mineurs concernés, même sur le plan procédural. Ils ont en effet la possibilité d’interjeter appel du jugement annulant la reconnaissance. Ils peuvent en outre contester la radiation de la nationalité belge en citant l’officier de l’état civil devant le tribunal de la famille, ce qui a d’ailleurs été fait dans le litige au fond.
A.2.3. En ce qui concerne l’intérêt de l’enfant, le Conseil des ministres observe que l’officier de l’état civil est tenu par le caractère déclaratif de la décision judiciaire annulant la reconnaissance. L’officier de l’état civil ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, de sorte qu’il ne lui appartient pas non plus de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi qu’il résulte également de l’arrêt de la Cour n° 58/2020 du 7 mai 2020 (ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.058). C’est au juge qui se prononce sur la filiation qu’il incombe de procéder à une telle mise en balance. Du reste, l’annulation d’une reconnaissance de complaisance est toujours dans l’intérêt de l’enfant, puisque chaque enfant a le droit de connaître et de faire constater sa filiation. De plus, les règles tant du droit de la filiation que de celui de la nationalité et du séjour touchent à l’ordre public, si bien que le législateur est en droit de lutter contre les reconnaissances frauduleuses qui visent simplement à contourner ces règles. Si l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération à cet égard, il ne revêt toutefois pas un caractère absolu. Le Conseil des ministres souligne enfin que c’est à l’Office des étrangers qu’il revient d’accorder ou non un droit de séjour aux mineurs concernés, et qu’il peut, pour ce faire, tenir compte également de l’intérêt supérieur de l’enfant.
A.3.1. Les parties intimées devant la juridiction a quo estiment que la différence de traitement que l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge fait naître entre les personnes qui se sont vu attribuer la nationalité belge de l’auteur et dont la filiation cesse d’être établie, selon que ces personnes sont majeures ou mineures, n’est pas raisonnablement justifiée. Cette disposition n’est donc pas compatible avec le principe d’égalité et de non-
discrimination, tel qu’il est garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution. Les parties intimées devant la juridiction a quo estiment que la disposition en cause est aussi, pour les mêmes motifs, contraire à l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant.
A.3.2. Selon les parties intimées devant la juridiction a quo, le législateur ne justifie pas la différence de traitement en cause par la poursuite d’un objectif légitime. Le doute quant à la question de savoir si, par la suite, le mineur résidera effectivement en Belgique n’est de toute façon pas une motivation concluante, puisqu’il est justement plus probable qu’un mineur qui suit l’enseignement obligatoire réside sur le territoire belge. Ce faisant, l’intéressé noue également des liens sociaux, qui impliquent qu’il doit a fortiori conserver sa nationalité si la personne qui l’a reconnu est déchue de sa nationalité.
A.3.3. Les parties intimées devant la juridiction a quo font par ailleurs valoir que sur le plan procédural aussi, il existe une différence de traitement injustifiée entre, d’une part, les personnes qui perdent la nationalité belge sur la base de la disposition en cause et, d’autre part, les personnes qui sont déchues de la nationalité belge conformément à l’article 23 du Code de la nationalité belge. Cette dernière disposition prévoit en effet une procédure judiciaire préalable dans le cadre de laquelle la déchéance doit être poursuivie par le ministère public.
De plus, les manquements reprochés doivent être spécifiés de manière précise dans l’exploit de citation et la juridiction compétente peut en apprécier la gravité. La disposition en cause ne contient par contre aucune garantie procédurale. Elle ne permet pas non plus à un juge d’apprécier la proportionnalité de la perte de la nationalité belge en tenant compte de la situation concrète de la personne concernée. La possibilité d’introduire ultérieurement une procédure devant le tribunal de la famille contre l’officier de l’état civil, ainsi que l’ont fait les parties intimées devant la juridiction a quo, ne suffit pas pour qu’il y soit remédié.
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-B-
B.1. La question préjudicielle porte sur la perte de la nationalité belge par un mineur lorsque la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée cesse d’être établie.
B.2.1. L’article 8 du Code de la nationalité belge dispose :
« § 1er. Sont Belges :
1° l’enfant né en Belgique d’un auteur belge;
2° l’enfant né à l’étranger :
a) d’un auteur belge né en Belgique ou dans des territoires soumis à la souveraineté belge ou confiés à l’administration de la Belgique;
b) d’un auteur belge ayant fait dans un délai de cinq ans à dater de la naissance une déclaration réclamant, pour son enfant, l’attribution de la nationalité belge;
c) d’un auteur belge, à condition que l’enfant ne possède pas, ou ne conserve pas jusqu’à l’âge de dix-huit ans ou son émancipation avant cet âge, une autre nationalité.
La déclaration visée à l’alinéa 1er, 2°, b, est faite, et, sur la base de celle-ci, un acte de nationalité est établi conformément à l’article un 22, § 4.
La déclaration a effet à compter de l’établissement de l’acte de nationalité.
Celui à qui la nationalité belge a été attribuée en vertu du premier alinéa, 2°, c, conserve cette nationalité tant qu’il n’a pas été établi, avant qu’il n’ait atteint l’âge de dix-huit ans ou n’ait été émancipé avant cet âge, qu’il possède une nationalité étrangère.
§ 2. Pour l’application du paragraphe 1er, l’auteur doit avoir la nationalité belge au jour de la naissance de l’enfant ou, s’il est mort avant cette naissance, au jour de son décès.
§ 3. La filiation établie à l’égard d’un auteur belge après la date du jugement ou de l’arrêt homologuant ou prononçant l’adoption n’attribue la nationalité belge à l’enfant que si cette filiation est établie à l’égard de l’adoptant ou du conjoint de celui-ci.
§ 4. La personne à laquelle a été attribuée la nationalité belge de son auteur conserve cette nationalité si la filiation cesse d’être établie après qu’elle a atteint l’âge de dix-huit ans ou été émancipée avant cet âge. Si la filiation cesse d’être établie avant l’âge de dix-huit ans ou
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l’émancipation antérieure à cet âge, les actes passés avant que la filiation cesse d’être établie et dont la validité est subordonnée à la possession de la nationalité belge ne peuvent être contestés pour le seul motif que l’intéressé n’avait pas cette nationalité. Il en est de même des droits acquis avant la même date ».
B.2.2. L’article 23 du Code de la nationalité belge dispose :
« § 1er. Les Belges qui ne tiennent pas leur nationalité d’un auteur ou adoptant belge au jour de leur naissance et les Belges qui ne se sont pas vu attribuer leur nationalité en vertu des articles 11 et 11bis peuvent être déchus de la nationalité belge :
1° s’ils ont acquis la nationalité belge à la suite d’une conduite frauduleuse, par de fausses informations, par faux en écriture et/ou utilisation de documents faux ou falsifiés, par fraude à l’identité ou par fraude à l’obtention du droit de séjour;
2° s’ils manquent gravement à leurs devoirs de citoyen belge.
La Cour ne prononce pas la déchéance au cas où celle-ci aurait pour effet de rendre l’intéressé apatride, à moins que la nationalité n’ait été acquise à la suite d’une conduite frauduleuse, par de fausses informations ou par dissimulation d’un fait pertinent. Dans ce cas, même si l’intéressé n’a pas réussi à recouvrer sa nationalité d’origine, la déchéance de nationalité ne sera prononcée qu’à l’expiration d’un délai raisonnable accordé par la Cour à l’intéressé afin de lui permettre d’essayer de recouvrer sa nationalité d’origine.
§ 2. La déchéance est poursuivie par le ministère public. Les manquements reprochés sont spécifiés dans l’exploit de citation.
§ 3. L’action en déchéance se poursuit devant la Cour d’appel de la résidence principale en Belgique du défendeur ou, à défaut, devant la Cour d’appel de Bruxelles.
[...] ».
B.3. Selon la juridiction a quo, l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge fait tout d’abord naître une différence de traitement entre les personnes qui se sont vu attribuer la nationalité belge d’un de leurs auteurs et dont la filiation cesse d’être établie à l’égard de cet auteur, selon qu’elles ont atteint ou non l’âge de dix-huit ans ou selon qu’elles ont été émancipées avant cet âge ou non. Si la personne concernée est majeure ou émancipée au moment où la filiation cesse d’être établie, elle conserve la nationalité belge, alors que, dans la même situation, une personne mineure non émancipée perd la nationalité belge.
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La question préjudicielle porte également sur la différence de traitement entre, d’une part, les personnes qui perdent la nationalité belge conformément à l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge et, d’autre part, les personnes qui sont déchues de la nationalité belge conformément à l’article 23 du même Code, en ce que l’article 23, contrairement à l’article 8, § 4, prévoit des garanties procédurales vis-à-vis des personnes concernées.
La juridiction a quo demande à la Cour d’examiner la compatibilité de ces différences de traitement avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant, et avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.4.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine : les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-
discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.
Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4.2. L’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
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« 1. Tout enfant, sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’origine nationale ou sociale, la fortune ou la naissance, a droit, de la part de sa famille, de la société et de l’Etat, aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur.
2. Tout enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance et avoir un nom.
3. Tout enfant a le droit d’acquérir une nationalité ».
B.4.3. L’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant dispose :
« 1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
2. Les Etats parties veillent à mettre ces droits en oeuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l’enfant se trouverait apatride ».
B.5.1. L’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 7
de la Convention relative aux droits de l’enfant garantissent entre autres le droit qu’a tout enfant d’acquérir une nationalité.
B.5.2. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme contient notamment des garanties relatives à un procès équitable lorsque sont en jeu des contestations sur des droits et obligations de caractère civil ou sur le bien-fondé de toute accusation en matière pénale.
Cette disposition conventionnelle ne s’applique pas à des litiges relatifs à une perte de nationalité, puisque de tels litiges ne portent ni sur des droits et obligations de caractère civil ni sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale (voy. CEDH, 6 juillet 2006, Smirnov c. Russie, ECLI:CE:ECHR:2006:0706DEC001408504; CEDH, 14 juin 2011, Borisov c. Lituanie, ECLI:CE:ECHR:2011:0614JUD000995804). Néanmoins, le droit à un procès équitable est également garanti par un principe général de droit.
B.6.1. Lors de la détermination des conditions auxquelles la nationalité belge peut être attribuée et conservée, le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Lorsque les choix opérés par le législateur entraînent une différence de traitement, la Cour doit toutefois examiner si cette différence repose sur une justification raisonnable.
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B.6.2. Bien que la détermination des conditions auxquelles la nationalité belge peut être attribuée et conservée relève de la compétence souveraine du législateur, ce dernier est tenu à cet égard de respecter le droit de l’Union (CJCE, 19 octobre 2004, C-200/02, Zhu et Chen, ECLI:EU:C:2004:639, point 37; CJUE, 2 mars 2010, C-135/08, Rottmann, ECLI:EU:C:2010:104, points 41 et 45; grande chambre, 12 mars 2019, C-221/17, Tjebbes e.a., ECLI:EU:C:2019:189, point 30 ; grande chambre, 18 janvier 2022, C-118/20, JY, ECLI:EU:C:2022:34, point 37).
B.6.3. Par son arrêt du 12 mars 2019 en cause de Tjebbes e.a. (C-221/17), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé :
« 33. Dans ce contexte, la Cour a déjà jugé qu’il est légitime pour un État membre de vouloir protéger le rapport particulier de solidarité et de loyauté entre lui-même et ses ressortissants ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs, qui sont le fondement du lien de nationalité (arrêt du 2 mars 2010, Rottmann, C-135/08, EU:C:2010:104, point 51).
[...]
35. Ainsi que l’indique M. l’avocat général aux points 53 et 55 de ses conclusions, dans l’exercice de sa compétence lui permettant de définir les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité, il est légitime pour un État membre de considérer que la nationalité traduit la manifestation d’un lien effectif entre lui-même et ses ressortissants, et d’attacher en conséquence à l’absence ou à la cessation d’un tel lien effectif la perte de sa nationalité. Il est, de même, légitime qu’un État membre veuille protéger l’unité de nationalité au sein d’une même famille.
36. À cet égard, un critère, tel que celui prévu à l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité, fondé sur la résidence habituelle des ressortissants du Royaume des Pays-
Bas pendant une période ininterrompue de dix ans en dehors de cet État membre et des territoires auxquels le traité UE est applicable peut être considéré comme reflétant l’absence de ce lien effectif. De même, il peut être considéré, ainsi que l’indique le gouvernement néerlandais à propos de l’article 16, paragraphe 1, sous d), de cette loi, que l’absence de lien effectif entre les parents d’un enfant mineur et le Royaume des Pays-Bas implique, en principe, l’absence de ce lien entre cet enfant et cet État membre.
37. La légitimité, dans son principe, de la perte de la nationalité d’un État membre dans de telles situations est, d’ailleurs, corroborée par les dispositions de l’article 6 et de l’article 7, paragraphes 3 à 6, de la convention sur la réduction des cas d’apatridie, qui prévoient, dans des situations similaires, qu’un individu est susceptible de perdre la nationalité d’un État contractant, pour autant qu’il ne devient pas apatride. Ce risque d’apatridie est, en l’occurrence, écarté par les dispositions nationales en cause au principal, étant donné que leur application est
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subordonnée à la possession par la personne concernée, en plus de la nationalité néerlandaise, de celle d’un autre État. De même, l’article 7, paragraphe 1, sous e), et paragraphe 2, de la convention sur la nationalité dispose qu’un État partie peut prévoir la perte de sa nationalité, notamment, dans le cas d’un majeur, lorsque tout lien effectif est absent entre cet État et un ressortissant qui réside habituellement à l’étranger et, dans le cas d’un mineur, pour l’enfant dont les parents perdent la nationalité dudit État.
[...]
39. Dans ces conditions, le droit de l’Union ne s’oppose pas, par principe, à ce que, dans des situations telles que celles visées à l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité et à l’article 16, paragraphe 1, sous d), de cette loi, un État membre prévoie, pour des motifs d’intérêt général, la perte de sa nationalité, quand bien même cette perte entraîne, pour la personne concernée, celle de son statut de citoyen de l’Union.
40. Toutefois, il appartient aux autorités nationales compétentes et aux juridictions nationales de vérifier si la perte de la nationalité de l’État membre concerné, lorsqu’elle entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits qui en découlent, respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences qu’elle comporte sur la situation de la personne concernée et, le cas échéant, des membres de sa famille, au regard du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2010, Rottmann, C-135/08, EU:C:2010:104, points 55 et 56).
41. La perte de plein droit de la nationalité d’un État membre serait incompatible avec le principe de proportionnalité si les règles nationales pertinentes ne permettaient, à aucun moment, un examen individuel des conséquences que comporte cette perte pour les personnes concernées au regard du droit de l’Union.
42. Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle la perte de la nationalité d’un État membre intervient de plein droit et entraîne la perte du statut de citoyen de l’Union, les autorités et les juridictions nationales compétentes doivent être en mesure d’examiner, de manière incidente, les conséquences de cette perte de nationalité et, le cas échéant, de faire recouvrer ex tunc la nationalité à la personne concernée, à l’occasion de la demande, par celle-ci, d’un document de voyage ou de tout autre document attestant de sa nationalité.
[...]
44. Un tel examen exige une appréciation de la situation individuelle de la personne concernée ainsi que de celle de sa famille afin de déterminer si la perte de la nationalité de l’État membre concerné, lorsqu’elle emporte celle du statut de citoyen de l’Union, a des conséquences qui affecteraient de manière disproportionnée, par rapport à l’objectif poursuivi par le législateur national, le développement normal de sa vie familiale et professionnelle, au regard du droit de l’Union. De telles conséquences ne sauraient être hypothétiques ou éventuelles.
45. Dans le cadre de cet examen de proportionnalité, il incombe, en particulier, aux autorités nationales compétentes et, le cas échéant, aux juridictions nationales de s’assurer qu’une telle perte de nationalité est conforme aux droits fondamentaux garantis par la Charte
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dont la Cour assure le respect et, tout particulièrement, au droit au respect de la vie familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la Charte, cet article devant être lu en combinaison avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte (arrêt du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a., C-133/15, EU:C:2017:354, point 70).
46. S’agissant des circonstances relatives à la situation individuelle de la personne concernée, susceptibles d’être pertinentes aux fins de l’appréciation que les autorités nationales compétentes et les juridictions nationales doivent effectuer en l’occurrence, il y a lieu de mentionner, notamment, le fait que, à la suite de la perte de plein droit de la nationalité néerlandaise et du statut de citoyen de l’Union, la personne concernée se verrait exposée à des limitations dans l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres comportant, le cas échéant, des difficultés particulières pour continuer à se rendre aux Pays-Bas ou dans un autre État membre afin d’y maintenir des liens effectifs et réguliers avec des membres de sa famille, d’y exercer son activité professionnelle ou d’y entreprendre les démarches nécessaires pour y exercer une telle activité. Sont également pertinents, d’une part, le fait que la personne concernée n’aurait pas pu renoncer à la nationalité d’un État tiers et, de ce fait, relève de l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la loi sur la nationalité et, d’autre part, le risque sérieux de détérioration substantielle de sa sécurité ou de sa liberté d’aller et venir auquel serait exposée la personne concernée en raison de l’impossibilité pour elle de bénéficier, sur le territoire de l’État tiers où cette personne réside, de la protection consulaire au titre de l’article 20, paragraphe 2, sous c), TFUE.
47. S’agissant de personnes mineures, les autorités administratives ou judiciaires compétentes se doivent, en outre, de prendre en compte, dans le cadre de leur examen individuel, l’existence éventuelle de circonstances dont il découle que la perte, par le mineur concerné, de sa nationalité néerlandaise, qui est attachée par le législateur national à la perte de la nationalité néerlandaise de l’un de ses parents aux fins de préserver l’unité de nationalité au sein de la famille, ne correspond pas, en raison des conséquences d’une telle perte pour ce mineur au regard du droit de l’Union, à l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que consacré à l’article 24 de la Charte.
48. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 20 TFUE, lu à la lumière des articles 7 et 24 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui prévoit, sous certaines conditions, la perte de plein droit de la nationalité de cet État membre, entraînant, s’agissant des personnes n’ayant pas également la nationalité d’un autre État membre, la perte de leur statut de citoyen de l’Union et des droits qui y sont attachés, pour autant que les autorités nationales compétentes, y compris, le cas échéant, les juridictions nationales, sont en mesure d’examiner, de manière incidente, les conséquences de cette perte de nationalité et, éventuellement, de faire recouvrer ex tunc la nationalité aux personnes concernées, à l’occasion de la demande, par celles-ci, d’un document de voyage ou de tout autre document attestant de leur nationalité. Dans le cadre de cet examen, ces autorités et juridictions doivent vérifier si la perte de la nationalité de l’État membre concerné, qui emporte celle du statut de citoyen de l’Union, respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences qu’elle comporte sur la situation de chaque personne concernée et, le cas échéant, sur celle des membres de sa famille au regard du droit de l’Union ».
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B.7.1. Le Conseil des ministres fait valoir que, par la disposition en cause, le législateur visait notamment à faire dépendre l’attribution et la conservation de la nationalité belge de l’existence d’un lien effectif avec la société belge, ainsi qu’à protéger l’unité de nationalité au sein d’une même famille. De tels objectifs sont légitimes (voyez également l’arrêt de la Cour de justice du 12 mars 2019, précité, point 35).
B.7.2. Au regard de ces objectifs, il est raisonnablement justifié qu’un mineur non émancipé qui s’est vu attribuer la nationalité belge de l’un de ses auteurs perde de plein droit cette nationalité lorsque la filiation cesse d’être établie, alors que, dans la même situation, une personne majeure ou un mineur émancipé conserve cette nationalité. Contrairement à une personne majeure ou à un mineur émancipé, un mineur non émancipé est en effet sous l’autorité parentale et se trouve en principe dans une situation de dépendance tant juridique que matérielle vis-à-vis de ses parents.
B.7.3. Par ailleurs, la disposition en cause prévoit que, lorsqu’un mineur non émancipé perd la nationalité belge, « les actes passés avant que la filiation cesse d’être établie et dont la validité est subordonnée à la possession de la nationalité belge ne peuvent être contestés pour le seul motif que l’intéressé n’avait pas cette nationalité ». Il en est de même « des droits acquis avant la même date ». La perte de la nationalité belge ne produit donc des effets que pour l’avenir.
En outre, l’article 17 du Code de la nationalité belge permet à « la personne de bonne foi à qui la nationalité belge a été octroyée erronément et qui a, de façon constante durant au moins dix années, été considérée comme Belge par les autorités belges » [...] d’acquérir la nationalité belge « si la nationalité belge lui est contestée », en faisant une déclaration conformément à l’article 15 du même Code avant l’expiration d’un délai d’un an prenant cours à partir de la date à laquelle une autorité belge conteste définitivement la nationalité. Ce délai est prorogé « jusqu’à l’âge de dix-neuf ans si le déclarant est une personne dont la filiation à l’égard d’un auteur belge a cessé d’être établie alors qu’il n’était pas émancipé et n’avait pas atteint l’âge de dix-huit ans ».
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B.8.1. Il n’est cependant pas proportionné aux objectifs poursuivis par le législateur de priver le mineur concerné de la possibilité de contester la perte de plein droit de la nationalité belge et de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte, si les effets concrets de celle-ci s’avèrent excessifs (voyez également l’arrêt de la Cour de justice du 12 mars 2019, précité, points 40 à 47). Par ailleurs, tout mineur qui perd la nationalité belge en application de la disposition en cause ne peut invoquer l’article 17, précité, du Code de la nationalité belge pour encore acquérir cette nationalité.
Lors de l’examen du caractère excessif ou non des effets, le juge doit apprécier la situation individuelle du mineur, et plus spécialement l’impact de la perte de la nationalité belge et des droits qui en découlent sur sa vie privée et familiale et sur son développement personnel, notamment à la lumière des possibilités de séjour légal dont le mineur dispose en sa qualité d’étranger. À cet égard, il convient de tenir compte en particulier de l’article 22bis, alinéa 4, de la Constitution, qui prévoit que, dans toute décision qui le concerne, l’intérêt de l’enfant est pris en considération de manière primordiale.
Un tel examen exige en outre qu’il soit vérifié si le mineur concerné ne risque pas de devenir apatride du fait de la perte de la nationalité belge, en particulier lorsqu’il est né à l’étranger. Dans ce cas, il ne pourra effectivement pas invoquer l’article 10, alinéa 1er, du Code de la nationalité belge, qui prévoit qu’est Belge « l’enfant né en Belgique et qui, à un moment quelconque avant l’âge de dix-huit ans ou l’émancipation antérieure à cet âge, serait apatride s’il n’avait cette nationalité ».,
B.8.2. Cette possibilité doit également exister lorsque, comme c’est le cas dans le litige au fond, le lien de filiation initial a été établi sur la base d’une reconnaissance de complaisance dont la nullité a été prononcée ultérieurement. Il est certes justifié, comme le fait valoir le Conseil des ministres, que le législateur tente de lutter contre la pratique des reconnaissances visant uniquement à l’obtention d’un avantage en matière de séjour, en prévoyant l’annulation de telles reconnaissances et une incrimination vis-à-vis de l’auteur de la reconnaissance et des personnes qui donnent leur consentement préalable à la reconnaissance (voyez les articles 330/1
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à 330/3 de l’ancien Code civil et les articles 79ter-bis et 79quater de la loi du 15 décembre 1980
« sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers »). Toutefois, le comportement des parents dans le cadre de l’octroi de la nationalité belge à leur enfant est indépendant des conséquences concrètes que l’enfant mineur pourra ensuite subir du fait de la perte de cette nationalité. Il est parfaitement possible que cet enfant, en mettant à profit les droits résultant de la nationalité belge, ait participé assez longtemps à la vie sociale en Belgique, par exemple en y habitant, en y allant à l’école et en y développant une vie sociale. L’enfant n’est du reste pas responsable du fait qu’à sa naissance, ses parents aient frauduleusement fait en sorte, en vue de bénéficier d’un permis de séjour, que la nationalité belge lui soit attribuée.
B.9.1. L’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, en ce qu’il ne prévoit pas de possibilité pour un mineur de demander à une juridiction l’annulation rétroactive de la perte de plein droit de la nationalité belge lorsque les conséquences concrètes de cette perte sont disproportionnées, est incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.9.2. Il incombe au législateur de prévoir une telle possibilité de recours. Celui-ci doit à cet égard veiller à ce que le mineur concerné dispose de garanties procédurales suffisantes, ce qui implique entre autres que ce mineur soit formellement informé de la perte de sa nationalité belge et de la possibilité de contester cette perte devant le juge.
Dans l’attente de l’intervention du législateur, il revient à la juridiction a quo de mettre fin à l’inconstitutionnalité constatée par la Cour, en évaluant, dans le cadre de l’action introduite contre l’officier de l’état civil dans le litige au fond, les conséquences de la perte de la nationalité belge et en ordonnant, le cas échéant, la modification des actes de l’état civil de la mineure concernée, compte tenu de ce qui est dit en B.8.1.
B.10. Comme il est dit en B.3, la juridiction a quo demande aussi à la Cour d’examiner la différence de traitement entre, d’une part, les personnes qui perdent la nationalité belge conformément à l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge et, d’autre part, les personnes
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qui sont déchues de la nationalité belge conformément à l’article 23 du même Code, en ce qui concerne les garanties procédurales dont les deux catégories de personnes disposent ou non.
Eu égard au constat d’inconstitutionnalité fait en B.9.1, l’examen de cette différence de traitement n’est manifestement plus utile à la solution du litige au fond.
Dans cette mesure, la question préjudicielle n’appelle dès lors pas de réponse.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité, pour un mineur non émancipé qui a perdu de plein droit la nationalité belge parce que la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée a cessé d’être établie, de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte lorsque les conséquences concrètes de celle-ci sont disproportionnées.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 janvier 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 12/2023
Date de la décision : 19/01/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, en ce qu'il ne prévoit pas la possibilité, pour un mineur non émancipé qui a perdu de plein droit la nationalité belge parce que la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée a cessé d'être établie, de demander à une juridiction d'annuler rétroactivement cette perte lorsque les conséquences concrètes de celle-ci sont disproportionnées)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, posée par la Cour d'appel d'Anvers. Droit public - Nationalité - Attribution en raison de la nationalité belge du père ou de la mère - Perte de plein droit de la nationalité pour la personne dont la filiation cesse d'être établie avant l'âge de dix-huit ans - Voies de recours


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-01-19;12.2023 ?

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