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12/01/2023 | BELGIQUE | N°6/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 12 janvier 2023, 6/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 6/2023
du 12 janvier 2023
Numéro du rôle : 7884
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 2 de la loi du 26 juin 1990 « relative à la protection de la personne des malades mentaux », posée par le Juge de paix du second canton de Namur.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et D. Pieters, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt

suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 3 novembre 202...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 6/2023
du 12 janvier 2023
Numéro du rôle : 7884
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 2 de la loi du 26 juin 1990 « relative à la protection de la personne des malades mentaux », posée par le Juge de paix du second canton de Namur.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache et D. Pieters, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 3 novembre 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 novembre 2022, le Juge de paix du second canton de Namur a posé la question préjudicielle suivante :
« Dans l’interprétation selon laquelle la mise en observation en institution psychiatrique ne peut être confirmée dès lors que l’état de l’intéressé résulte d’une assuétude éthylique, toxicologique ou médicamenteuse, l’article 2 de la Loi du 26 juin 1990, respecte-t-il le prescrit des articles 10 et 11 de la Constitution Belge ? ».
Le 17 novembre 2022, en application de l’article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs M. Pâques et Y. Kherbache ont informé la Cour qu’ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l’examen de l’affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire.
Aucun mémoire n’a été introduit.
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Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 28 octobre 2022, le procureur du Roi près le Tribunal de première instance de Namur ordonne, vu l’urgence, la mise en observation de la partie défenderesse devant le juge a quo dans un établissement psychiatrique, sur la base de la loi du 26 juin 1990 « relative à la protection de la personne des malades mentaux »
(ci-après : la loi du 26 juin 1990). Le même jour, il saisit le juge a quo d’une requête demandant le maintien de cette mise en observation. Avant de statuer sur cette demande, le juge a quo pose à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1. Dans leurs conclusions prises en application de l’article 72 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs ont fait savoir qu’ils pourraient être amenés à proposer à la Cour de mettre fin à la procédure par un arrêt rendu sur procédure préliminaire considérant que l’article 2 de la loi du 26 juin 1990 est manifestement compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.2. Aucun mémoire justificatif n’a été introduit.
-B-
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article 2 de la loi du 26 juin 1990 « relative à la protection de la personne des malades mentaux » (ci-après : la loi du 26 juin 1990), qui dispose :
« Les mesures de protection ne peuvent être prises, à défaut de tout autre traitement approprié, à l’égard d’un malade mental, que si son état le requiert, soit qu’il mette gravement en péril sa santé et sa sécurité, soit qu’il constitue une menace grave pour la vie ou l’intégrité d’autrui.
L’inadaptation aux valeurs morales, sociales, religieuses, politiques ou autres, ne peut être en soi considérée comme une maladie mentale ».
B.2. Il ressort du libellé de la question préjudicielle et des motifs de la décision de renvoi que la Cour est invitée à comparer, d’une part, les personnes atteintes d’une maladie mentale au sens de l’article 2 de la loi du 26 juin 1990 et, d’autre part, les personnes atteintes d’une
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assuétude éthylique, toxicologique ou médicamenteuse. Dans l’interprétation du juge a quo, les personnes relevant de la seconde catégorie ne peuvent jamais être considérées comme malades mentales au sens de la disposition en cause, de sorte que les mesures de protection prévues par la loi du 26 juin 1990 ne peuvent jamais être prises à leur égard. La Cour est interrogée sur la compatibilité de cette différence de traitement avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.3.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
B.3.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4. Il ressort tant du texte de la loi du 26 juin 1990 lui-même que des travaux préparatoires que le législateur a entendu conférer à la maladie mentale un caractère prépondérant pour justifier l’adoption de mesures qui s’inscrivent dans une logique thérapeutique (Doc. parl., Sénat, 1988-1989, n° 733-2, p. 9).
Les travaux préparatoires relatifs à la disposition en cause indiquent :
« En outre, les mesures visées dans le projet ne s’appliquent qu’à un malade mental. Les commissaires n’ont pas voulu définir ce qu’il convenait d’entendre par malade mental. Au cours de la discussion, certaines indications ont bien été fournies, mais celles-ci ne peuvent avoir qu’une valeur d'exemple.
Ainsi, l’on a souligné que le projet ne concernait que les personnes touchées par une maladie mentale grave, et donc pas celles qui souffrent d’un trouble mental quelconque, lequel peut d’ailleurs n’être que passager. Le texte ne vise pas non plus les personnes souffrant d'une simple sénilité.
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Un membre a rappelé que les mesures à prendre s’accompagnent d’une privation de liberté, laquelle doit rester l’exception. Le projet ne vise donc pas les personnes souffrant simplement de troubles mentaux, car cela donnerait un sens par trop large au champ d’application.
À un certain moment, un membre a proposé que les mesures de protection en question ne puissent être appliquées qu’au malade mental incapable de juger par lui-même. Cette proposition n’a pas été adoptée, parce que cette spécification, qui est inhérente à l’état d’un malade mental, n’aurait rien apporté au texte et qu’elle est, en outre, difficile à définir. L’état d’un malade mental est, en effet, sujet à des variations. Il pourrait donc arriver que le simple défaut de consentement de sa part soit déjà en soi interprété comme un signe que la personne intéressée dispose d’une capacité suffisante de juger par elle-même.
Un membre en a conclu que le malade mental est celui qui n’est pas capable de juger par lui-même. Le juge est tenu, en tout cas, de fonder sa décision sur une motivation suffisante, laquelle devra faire apparaître cet élément.
Au cours d’une discussion ultérieure, un membre a remarqué que la notion de malade mental ne pouvait être définie de manière trop restrictive. Il pense notamment à certains troubles qui ne relèvent pas de la pathologie d’une maladie, mais plutôt de la pathologie des traumatismes, provoqués surtout par des accidents. D’une part, il est exact qu’assez fréquemment, certains cas urgents de traumatologie se produisent sans qu’il se justifie de prendre des mesures de protection, sauf éventuellement des mesures temporaires en vue d’assurer la sécurité des biens. D’autre part, il est tout aussi exact que ces personnes peuvent être affectées de troubles psychiques permanents.
Les membres ont été d’accord pour considérer que la disposition de l’article 2 peut s’appliquer dès qu’une personne manifeste une psycho-pathologie répondant aux conditions posées par cet article, ce qui peut donc être le cas pour des états post-traumatiques comme pour des handicapés mentaux. Lorsque les conditions prévues à l’article 2 sont réunies, la loi peut par conséquent s’appliquer à tous les malades mentaux, indépendamment des causes qui donnent lieu à cette application » (ibid., pp. 12-13).
À propos du second alinéa de la disposition en cause, il a été exposé :
« Un autre membre a souligné que, dans tous les cas, il devait s’agir d’un malade mental.
Strictement parlant, le premier alinéa de l’article 2 pourrait suffire. Toutefois, étant donné qu’il peut exister en psychiatrie certaines tendances qui considèrent un comportement inadapté comme étant le symptôme d’une maladie mentale, il est bon que le deuxième alinéa exclue une telle possibilité afin d’éviter des diagnostics un peu trop faciles qui seraient fondés sur une telle inadaptation.
Il peut malgré tout arriver que l’inadaptation soit considérée comme le signe d’une maladie mentale, mais uniquement lorsqu’elle est associée à de nombreux autres symptômes. En l’absence de ceux-ci, elle ne pourra jamais être la cause d’une privation liberté au sens de la loi.
Il faut au moins – et nécessairement – qu’il y ait un lien entre l’inadaptation et la maladie mentale.
Tous les membres ont souscrit à ce point de vue » (ibid., p. 16).
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Lors de discussions antérieures dans le cadre de l’élaboration de la loi du 26 juin 1990, il a aussi été exposé :
« La notion de ‘ malade mental ’ a d’abord été examinée par la commission. Plusieurs membres ont demandé quand une personne doit être considérée comme un malade mental.
Qu’en est-il par exemple des alcooliques chroniques et des toxicomanes ? S’agit-il de malades mentaux ?
Selon le représentant du département de la Santé publique, certaines personnes atteintes d’alcoolisme ou de toxicomanie graves peuvent être considérées comme des malades mentaux » (Doc. parl., Chambre, 1974-1975, n° 279/8, p. 5).
B.5. Il ressort de ce qui précède qu’il ne peut pas être exclu qu’une personne atteinte d’une assuétude éthylique, toxicologique ou médicamenteuse, lorsque celle-ci est grave, puisse, le cas échéant, être considérée comme une personne malade mentale au sens de la disposition en cause, ce qu’il appartient au juge compétent d’apprécier in concreto.
B.6. Il s’ensuit que la différence de traitement en cause est inexistante.
B.7. L’article 2 de la loi du 26 juin 1990 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 2 de la loi du 26 juin 1990 « relative à la protection de la personne des malades mentaux » ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 12 janvier 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 6/2023
Date de la décision : 12/01/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-01-12;6.2023 ?

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