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12/01/2023 | BELGIQUE | N°5/2023

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 12 janvier 2023, 5/2023


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 5/2023
du 12 janvier 2023
Numéro du rôle : 7807
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 14, § 1er, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, et à l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 « portant création de l’Autorité de protection des données », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges Y. Kherbache, T. Detienne, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du gref

fier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrê...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 5/2023
du 12 janvier 2023
Numéro du rôle : 7807
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 14, § 1er, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, et à l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 « portant création de l’Autorité de protection des données », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges Y. Kherbache, T. Detienne, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt n° 253.657 du 5 mai 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 mai 2022, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 14, § 1er, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, lu en combinaison avec l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 ‘ portant création de l’Autorité de protection des données ’, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 78, paragraphe 1, du règlement général sur la protection des données, en ce que ces dispositions législatives sont interprétées en ce sens que le Conseil d’État, section du contentieux administratif, n’a pas compétence pour statuer sur un recours en annulation introduit par un tiers intéressé contre une décision de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- la SA « Informex », assistée et représentée par Me O. Sasserath et Me R. Robijns, avocats au barreau de Bruxelles;
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- l’Autorité de protection des données, assistée et représentée par Me J. Roets et Me E. Cloots, avocats au barreau d’Anvers;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me N. Bonbled et Me S. de Meue, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 26 octobre 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs W. Verrijdt et T. Detienne, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 9 novembre 2022 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 9 novembre 2022.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le litige au fond porte sur l’accès de certaines compagnies d’assurances aux données à caractère personnel figurant dans la Banque-carrefour des véhicules. Cet accès s’effectue via une plateforme d’informations gérée par la SA « Informex ».
Par sa décision n° 34/2020 du 23 juin 2020, la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données a décidé à ce sujet :
« - que l’utilisation de données à caractère personnel obtenues via la Banque-carrefour des véhicules par des clients d’Informex SA, à savoir des compagnies d’assurance, en vue d’établir des offres de prix personnalisées, constitue une violation des articles 5.1 b) et 6.1 du RGPD ainsi que de l’article 25 de l’arrêté royal du 8 juillet 2013 portant exécution de la loi du 19 mai 2010 portant création de la Banque-Carrefour des Véhicules. La Chambre Contentieuse ordonne donc au défendeur, conformément à l’article 58.2, d) du RGPD et à l’article 100, § 1er, 9° de la LCA, en sa qualité de responsable du traitement des données à caractère personnel susmentionnées, de mettre le traitement en conformité dans les six mois de la notification de la présente décision et d’en informer la Chambre Contentieuse dans le même délai;
- en vertu de l’article 100, § 1er, 5° de la LCA, de formuler une réprimande à l’égard du défendeur suite à la violation des articles 12, 13 et 14 du RGPD, et
- d’ordonner au défendeur, conformément à l’article 58.2, d) du RGPD et à l’article 100, § 1er, 9° de la LCA, de mettre les informations qu’il fournit au sujet de ses traitements en conformité avec les articles 12 à 14 inclus du RGPD, et ce dans les trois mois de la notification de la présente décision, et d’en informer la Chambre Contentieuse dans le même délai ».
Le défendeur visé dans cette décision est le Service public fédéral Mobilité et Transports, qui, aux termes de la même décision, « est le responsable du traitement des données à caractère personnel contenues dans la Banque-
carrefour des véhicules ».
Le 22 juillet 2020, la SA « Informex » a introduit un recours devant la Cour des marchés contre cette décision de la chambre contentieuse. Par un arrêt du 28 octobre 2020, la Cour des marchés a rejeté ce recours pour irrecevabilité, principalement parce que la décision du 23 juin 2020 avait été prise à l’égard du Service public fédéral Mobilité et Transports, et non à l’égard de la SA « Informex », qui n’était pas partie à la procédure devant la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données. Selon la Cour des marchés, l’article 108, § 1er,
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de la loi du 3 décembre 2017 « portant création de l’Autorité de protection des données » (ci-après : la loi du 3 décembre 2017) confère exclusivement aux parties devant la chambre contentieuse le droit d’introduire le recours visé dans cette disposition.
Le 20 août 2020, la SA « Informex » a également introduit un recours en annulation de la décision du 23 juin 2020 devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État. Cette dernière constate que la Cour des marchés a rejeté le recours de la SA « Informex » dirigé contre la même décision et pose dès lors la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. Selon le Conseil des ministres, la portée de la question préjudicielle doit être limitée à l’article 14, § 1er, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 (ci-après : les lois coordonnées sur le Conseil d’État). Pour la solution du litige au fond, il faut uniquement vérifier s’il est constitutionnel que le Conseil d’État ne puisse pas connaître d’un recours dirigé contre une décision de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données, qui constitue une autorité administrative au sens de l’article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°. Il n’est donc pas nécessaire de statuer également sur la compétence dont dispose la Cour des marchés conformément à l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017. Contrairement à ce que fait valoir l’Autorité de protection des données, la chambre contentieuse ne peut d’ailleurs pas être considérée comme un organe de la Chambre des représentants au sens de l’article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, ainsi qu’il est également confirmé dans la décision de renvoi.
Le Conseil des ministres relève que la partie requérante devant la juridiction a quo peut encore former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour des marchés. Le fait d’étendre la portée de la question préjudicielle à l’article 108, § 1er, reviendrait à utiliser abusivement le contentieux préjudiciel devant la Cour comme voie de recours contre cet arrêt. À tout le moins, une telle extension anticiperait une éventuelle procédure devant la Cour de cassation.
Toujours selon le Conseil des ministres, le point de vue de la partie requérante devant la juridiction a quo repose sur une lecture erronée des articles 14 et 19 des lois coordonnées sur le Conseil d’État. Le pouvoir de la section du contentieux administratif du Conseil d’État de connaître des recours en annulation des actes et des règlements d’autorités administratives revêt un caractère résiduel. L’objectif du législateur était d’attribuer à la Cour des marchés l’ensemble du contentieux relatif aux décisions de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données, si bien que de tels litiges ne peuvent en tout cas pas relever de la compétence résiduelle du Conseil d’État. Si, parallèlement à la Cour des marchés, le Conseil d’État était lui aussi partiellement compétent pour statuer sur de telles décisions, il existerait un risque de décisions contradictoires.
A.1.2. Le Conseil des ministres estime qu’il n’y a pas de violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 78, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) » (ci-après : le RGPD). Cette dernière disposition exige uniquement qu’une personne puisse former un recours juridictionnel effectif « contre une décision juridiquement contraignante […]
qui la concerne ». Il n’en résulte pas qu’un tel recours doive également être ouvert à une personne qui n’était pas partie à la procédure devant la chambre contentieuse, comme c’est le cas de la partie requérante dans le litige au fond, qui ne subit en effet pas de conséquences juridiquement contraignantes à la suite de la décision de la chambre contentieuse. En outre, le recours juridictionnel visé à l’article 78, paragraphe 1, du RGPD ne doit pas nécessairement consister en un recours en annulation devant le Conseil d’État. Le Conseil des ministres souligne du reste qu’un tiers intéressé dispose effectivement d’un recours effectif, puisqu’il peut introduire une action devant les cours et tribunaux afin de préserver ses droits subjectifs.
En ordre subsidiaire, le Conseil des ministres demande à la Cour de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne quant à l’interprétation de l’article 78, paragraphe 1, du RGPD.
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A.1.3. Selon le Conseil des ministres, il n’y a pas non plus de violation du principe d’égalité et de non-
discrimination. Ni la question préjudicielle, ni la décision de renvoi ne permettent d’identifier les catégories de personnes que la Cour est appelée à comparer. En ce que la question préjudicielle concerne la comparaison entre, d’une part, les tiers intéressés et, d’autre part, les parties à la procédure devant la chambre contentieuse, le Conseil des ministres relève que l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État traite ces catégories de personnes de la même manière. Aucune des deux ne dispose en effet d’un recours devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État contre des décisions de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données. Une éventuelle différence de traitement résulterait, non pas de l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, mais de l’article 108 de la loi du 3 décembre 2017, tel qu’il est interprété par la Cour des marchés, dont la Cour ne peut pas contrôler la constitutionnalité en l’espèce. Pour le surplus, aucune règle de droit ne s’oppose à ce qu’une juridiction autre que le Conseil d’État soit chargée de litiges du contentieux objectif. En outre, le choix de conférer des compétences spécifiques dans ce domaine à la Cour des marchés est raisonnablement justifié, ainsi qu’il ressort également des travaux préparatoires de la loi du 25 décembre 2016
« modifiant le statut juridique des détenus et la surveillance des prisons et portant des dispositions diverses en matière de justice » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1986/001, pp. 13-18).
A.1.4. Dans la mesure où la Cour constaterait que l’article 108 de la loi du 3 décembre 2017, dans l’interprétation soumise à la Cour, est inconstitutionnel, le Conseil des ministres expose que cette disposition est également susceptible d’une autre interprétation, qui est conforme à la Constitution. Cette disposition concerne en effet uniquement la notification de la décision de la chambre contentieuse aux parties à la phase contentieuse administrative. Elle ne limite pas la compétence de la Cour des marchés aux recours introduits par ces parties. Il ne ressort pas non plus des travaux préparatoires de la loi du 3 décembre 2017 que le législateur avait l’intention de conférer une portée restrictive à la faculté de recours devant la Cour des marchés.
A.2.1. L’Autorité de protection des données souligne en premier lieu que ni la Cour des marchés ni le Conseil d’État ne sont habilités à connaître d’un recours en annulation d’une décision de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données introduit par un tiers qui n’était pas partie à la procédure devant la chambre contentieuse. L’Autorité de protection des données se rallie à l’interprétation selon laquelle l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 confère exclusivement un droit de recours aux parties à la phase contentieuse administrative. En outre, l’Autorité de protection des données doit être considérée comme un organe d’une assemblée législative au sens de l’article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, de sorte que ce dernier ne peut être saisi que des recours dirigés contre des décisions de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données qui portent sur les marchés publics et les membres du personnel, ainsi que sur le recrutement, la désignation, la nomination dans une fonction publique ou les mesures ayant un caractère disciplinaire. Cette disposition ne comporte donc pas non plus un fondement juridique pour un recours introduit par un tiers intéressé contre une décision de la chambre contentieuse.
A.2.2. L’Autorité de protection des données ajoute que l’examen de la question préjudicielle nécessite que les articles 10 et 11 de la Constitution soient lus en combinaison avec l’article 78, paragraphe 1, du RGPD, compte tenu de la primauté du droit de l’Union européenne et de l’effet direct de cette dernière disposition. En outre, l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État ne fait pas naître de différence de traitement entre les parties à la procédure devant la chambre contentieuse et les tiers intéressés. Partant, il n’y a pas lieu d’effectuer un contrôle au regard du principe d’égalité et de non-discrimination en tant que tel.
A.2.3. Selon l’Autorité de protection des données, l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 78, paragraphe 1, du RGPD. Ni cette disposition ni les considérants du RGPD ne permettent de déduire que des tiers intéressés devraient avoir le droit d’attaquer des décisions d’une autorité de contrôle. En effet, l’article 78, paragraphe 1, accorde uniquement aux destinataires d’une décision de la chambre contentieuse, à savoir le responsable du traitement et le plaignant, le droit de contester cette décision en droit. À titre surabondant, l’Autorité de protection des données relève que l’incompétence du Conseil d’État ne produit pas non plus des effets disproportionnés pour les tiers intéressés. Ceux-ci ont en effet la possibilité d’introduire une action civile devant les cours et tribunaux, s’ils estiment que la décision de la chambre contentieuse viole leurs droits subjectifs.
A.2.4. L’Autorité de protection des données souligne que la question préjudicielle présentement examinée ne saurait être comparée à la question préjudicielle qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour n° 74/2020 du 28 mai
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2020 (ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.074). Cet arrêt portait sur un recours en annulation introduit par le destinataire de la décision attaquée, et non par un tiers intéressé. En outre, dans cet arrêt, la Cour ne devait pas tenir compte du RGPD, puisque ce règlement n’était pas applicable au litige au fond.
A.2.5. Pour autant que la Cour estime que l’article 78, paragraphe 1, du RGPD n’est pas suffisamment clair, l’Autorité de protection des données demande qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation de cette disposition.
A.2.6. À supposer que la Cour décide qu’une des dispositions en cause comporte une lacune inconstitutionnelle, l’Autorité de protection des données estime, en ordre subsidiaire, qu’il appartient exclusivement au législateur de combler cette lacune. Dans un tel cas, il existerait en effet plusieurs possibilités pour remédier à la situation inconstitutionnelle. Le législateur pourrait ainsi choisir d’étendre le recours devant la Cour des marchés qui est prévu par l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 aux personnes qui n’étaient pas parties à la procédure devant la chambre contentieuse. Ce faisant, il devrait effectuer plusieurs choix politiques, en ce qui concerne notamment le délai, l’intérêt et les formalités. Le législateur pourrait également instaurer pour les tiers intéressés la faculté d’introduire un recours en annulation devant le Conseil d’État.
A.3.1. En ce qui concerne la recevabilité et la portée de la question préjudicielle, la partie requérante devant la juridiction a quo expose qu’elle doit disposer d’un recours objectif soit devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État, soit devant la Cour des marchés. La Cour doit donc contrôler tant l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État que l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017. Les compétences des deux juridictions ne sauraient être examinées séparément.
A.3.2. En ordre principal, la partie requérante devant la juridiction a quo expose que, si l’interprétation de l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 qui est soumise à la Cour est admise, l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il résulte de cette disposition que la section du contentieux administratif du Conseil d’État n’est pas compétente pour statuer sur un recours introduit par un tiers intéressé contre une décision de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données. C’est en effet la section du contentieux administratif du Conseil d’État qui, en règle, est la juridiction compétente pour connaître des recours dirigés contre des actes d’autorités administratives, ces recours pouvant être introduits par toute personne justifiant d’un intérêt. Selon la partie requérante devant la juridiction a quo, il n’est pas raisonnablement justifié qu’un tel recours ne puisse pas être introduit contre une décision de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données, qui doit également être considérée comme une autorité administrative. Contrairement à ce que soutient l’Autorité de protection des données, l’arrêt de la Cour n° 74/2020, précité, est effectivement pertinent au regard de l’affaire présentement examinée, puisqu’il ressort de cet arrêt qu’un recours en annulation devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État doit être ouvert à toute personne lésée par une décision de l’Autorité de protection des données.
En outre, l’interprétation soumise à la Cour entraîne également une discrimination entre, d’une part, les parties à la procédure devant la chambre contentieuse, qui peuvent introduire un recours devant la Cour des marchés, et, d’autre part, les tiers intéressés, qui ne disposent d’aucune possibilité de recours. Au demeurant, la chambre contentieuse choisit elle-même qui est partie à la phase contentieuse administrative. Il ne saurait être admis qu’elle puisse de ce fait déterminer elle-même qui peut ou ne peut pas former un recours contre ses décisions.
A.3.3. Selon la partie requérante devant la juridiction a quo, le risque de décisions contradictoires si tant le Conseil d’État que la Cour des marchés pouvaient se prononcer sur des décisions de la chambre contentieuse ne saurait justifier qu’un tiers intéressé soit privé de l’accès au Conseil d’État. De plus, il n’est pas pertinent qu’un tiers intéressé puisse introduire une action devant le juge civil. Une telle action, qui vise à préserver des droits subjectifs, ne saurait être comparée à un recours en annulation dans le cadre d’un contentieux objectif. Un jugement du juge civil produit uniquement des effets inter partes, alors que la décision de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données a des conséquences dans la pratique pour un grand nombre de personnes, qui ne peuvent pas toutes être parties à la procédure devant le juge civil. Il existerait par ailleurs des décisions contradictoires dans le cas d’une condamnation du responsable du traitement par le juge civil, sans annulation de la décision de la chambre contentieuse. La circonstance qu’un justiciable est libre de saisir le juge civil ne peut donc pas suffire pour priver ce justiciable d’un recours objectif.
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A.3.4. Selon la partie requérante devant la juridiction a quo, l’absence d’une voie de recours est contraire non seulement aux articles 10 et 11 de la Constitution, mais aussi à l’article 78, paragraphe 1, du RGPD. Cette dernière disposition exige qu’il existe un recours effectif contre un acte administratif de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données, ouvert à toute personne qui subit des conséquences juridiques résultant de cet acte, qu’elle soit partie ou non à la phase contentieuse administrative. Par ailleurs, les dispositions en cause violent également les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention.
A.3.5. En ordre subsidiaire, la partie requérante devant la juridiction a quo fait valoir que l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017, dans l’interprétation soumise à la Cour, n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, avec l’article 78, paragraphe 1, du RGPD, avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme ni avec l’article 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention. Dès lors qu’un tiers intéressé n’a pas la possibilité d’introduire un recours en annulation devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État, ce tiers intéressé doit avoir accès à la Cour des marchés.
A.3.6. Enfin, la partie requérante devant la juridiction a quo n’est pas d’accord avec le point de vue de l’Autorité de protection des données selon lequel, dans la mesure où la Cour constaterait une lacune inconstitutionnelle, il appartiendrait exclusivement au législateur d’y remédier. Le législateur a en effet déjà choisi d’attribuer à la Cour des marchés la compétence de trancher les litiges objectifs relatifs aux décisions de la chambre contentieuse, et la règle procédurale existante peut également être appliquée aux tiers intéressés. Il serait donc logique de prévoir, pour les tiers intéressés, un délai de recours de trente jours à partir de la publication, par analogie avec le régime applicable aux parties à la procédure devant la chambre contentieuse.
-B-
Quant aux dispositions en cause et à leur contexte
B.1. La question préjudicielle porte sur la possibilité, pour un tiers intéressé, d’introduire un recours contre une décision de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données.
B.2.1. L’article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973
(ci-après : les lois coordonnées sur le Conseil d’État), dispose :
« Si le contentieux n'est pas attribué par la loi à une autre juridiction, la section statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements :
1° des diverses autorités administratives;
2° des assemblées législatives ou de leurs organes, en ce compris les médiateurs institués auprès de ces assemblées, de la Cour des comptes et de la Cour constitutionnelle, du Conseil d'Etat et des juridictions administratives ainsi que des organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice, relatifs aux marchés publics, aux membres de leur personnel,
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ainsi qu'au recrutement, à la désignation, à la nomination dans une fonction publique ou aux mesures ayant un caractère disciplinaire.
Les irrégularités visées à l'alinéa 1er ne donnent lieu à une annulation que si elles ont été susceptibles d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise, ont privé les intéressés d'une garantie ou ont pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte.
L'article 159 de la Constitution s'applique également aux actes et règlements visés à l'alinéa 1er, 2° ».
B.2.2. L’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État a connu de nombreuses modifications, en conséquence notamment de plusieurs arrêts rendus par la Cour (arrêts nos 33/94 du 26 avril 1994 (ECLI:BE:GHCC:1994:ARR.033), 31/96 du 15 mai 1996
(ECLI:BE:GHCC:1996:ARR.031), 54/2002 du 13 mars 2002
(ECLI:BE:GHCC:2002:ARR.054), 89/2004 du 19 mai 2004
(ECLI:BE:GHCC:2004:ARR.089), 93/2004 du 26 mai 2004
(ECLI:BE:GHCC:2004:ARR.093), 79/2010 du 1er juillet 2010
(ECLI:BE:GHCC:2010:ARR.079), 36/2011 du 10 mars 2011
(ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.036) et 161/2011 du 20 octobre 2011
(ECLI:BE:GHCC:2011:ARR.161)). Le législateur a, sans affecter la notion même d’« autorité administrative », progressivement élargi la compétence du Conseil d’État à des actes administratifs accomplis par des autorités étrangères au pouvoir exécutif et aux organes qui en relèvent. Cette extension porte notamment sur les actes et règlements de la Chambre des représentants et de ses organes, pour autant qu’ils concernent les marchés publics et les membres du personnel.
B.3.1. L’article 108 de la loi du 3 décembre 2017 « portant création de l’Autorité de protection des données » (ci-après : la loi du 3 décembre 2017) dispose :
« § 1er. La chambre contentieuse informe les parties de sa décision et de la possibilité de recours dans un délai de trente jours, à compter de la notification à la Cour des marchés.
Sauf les exceptions prévues par la loi ou sauf si la chambre contentieuse en décide autrement par décision spécialement motivée, la décision est exécutoire par provision, nonobstant recours.
La décision d'effacement des données conformément à l'article 100, § 1er, 10°, n'est pas exécutoire par provision.
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§ 2. Un recours peut être introduit contre les décisions de la chambre contentieuse en vertu des articles 71 et 90 devant la Cour des marchés qui traite l'affaire selon les formes du référé conformément aux articles 1035 à 1038, 1040 et 1041 du Code judiciaire ».
B.3.2. La Cour des marchés est une section de la Cour d’appel de Bruxelles, composée des chambres qui traitent les affaires des marchés (article 101, alinéa 4, du Code judiciaire). Elle siège toujours au nombre de trois conseillers (article 109bis, § 2, du Code judiciaire). Les conseillers qui siègent prioritairement à la Cour des marchés doivent posséder quinze années au moins d’expérience professionnelle utile attestant d’une connaissance spécialisée du droit économique, financier ou des marchés (article 207, § 3, 4°, du Code judiciaire).
B.3.3. Selon l’exposé des motifs de la loi du 3 décembre 2017, l’article 108, précité, dispose qu’après notification de la décision, « un recours contre une décision de la chambre contentieuse peut être formé devant la Cour des marchés » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2648/001, p. 53).
Le rapport fait au nom de la commission de la Justice mentionne, au sujet de cette même disposition :
« Cet article règle la notification de la décision de la chambre contentieuse, le caractère exécutoire de cette décision et désigne la juridiction de recours compétente (c’est-à-dire la Cour des marchés) » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2648/006, p. 36).
Ce rapport mentionne également :
« Pour le reste, le secrétaire d’État signale qu’un recours juridictionnel peut être formé auprès de la Cour des marchés qui peut connaître de recours de plein contentieux contre les décisions de la chambre contentieuse » (ibid. p. 5).
« Le secrétaire d’État fait observer que c’est sciemment qu’il a été choisi de retenir la Cour des marchés comme juridiction compétente pour connaître des recours formés contre les décisions de la chambre contentieuse. Il indique que, dans la majorité des cas, les parties concernées sont des acteurs économiques (entreprises) et que la Cour a acquis une grande expérience et une grande expertise dans la collaboration avec ces parties. Le secrétaire d’État dit être ouvert aux suggestions d’alternatives » (ibid. p. 18).
Plusieurs amendements ont été introduits en vue d’attribuer à une autre juridiction, à savoir le tribunal de première instance ou la Cour d’appel de Bruxelles, la compétence de connaître
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des recours dirigés contre les décisions de la chambre contentieuse (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-2648/003, pp. 17-18; ibid., DOC 54-2648/004, pp. 4-5; ibid., DOC 54-2648/005, pp. 18-21). Aucun de ces amendements n’a été adopté.
Quant au fond
B.4.1. La Cour doit se prononcer sur la différence de traitement entre, d’une part, les parties à la procédure devant la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données et, d’autre part, les « tiers intéressés », en ce qui concerne la possibilité d’introduire un recours contre une décision de la chambre contentieuse. Il ressort de la motivation de la décision de renvoi qu’il faut entendre par « tiers intéressé » la personne qui n’était pas partie à la procédure devant la chambre contentieuse et qui n’est dès lors pas non plus la destinataire de la décision prise par la chambre contentieuse, mais qui subit néanmoins des conséquences défavorables en raison de cette décision et qui, dans cette mesure, justifie d’un intérêt à son annulation.
Selon la juridiction a quo, l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État et l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 ont pour effet qu’un tiers intéressé ne peut pas introduire devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État, ni devant la Cour des marchés un recours dirigé contre une décision de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données. Dans l’interprétation soumise à la Cour, il résulte plus précisément de l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 qu’un recours devant la Cour des marchés n’est ouvert qu’aux parties à la procédure devant la chambre contentieuse. Cette interprétation repose sur le texte de l’alinéa 1er de cette disposition, selon lequel la chambre contentieuse « informe les parties de sa décision et de la possibilité de recours dans un délai de trente jours, à compter de la notification à la Cour des marchés ». Selon la juridiction a quo, un tiers intéressé ne peut pas non plus introduire un recours en annulation fondé sur l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, étant donné que l’objectif du législateur était de rendre la Cour des marchés exclusivement compétente pour connaître des recours dirigés contre des décisions de la chambre contentieuse.
B.4.2. La juridiction a quo invite la Cour à contrôler cette différence de traitement au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 78,
10
paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE
(règlement général sur la protection des données) » (ci-après : le RGPD).
B.5. Selon le Conseil des ministres et l’Autorité de protection des données, la question préjudicielle n’est recevable qu’en ce qu’elle porte sur l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État. Ils font valoir qu’il n’est pas utile pour la solution du litige au fond d’examiner également la constitutionnalité de l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017, puisque cette disposition concerne la procédure devant la Cour des marchés, et non celle devant la juridiction a quo. Même si la Cour constatait l’inconstitutionnalité de l’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017, la juridiction a quo devrait se déclarer incompétente.
Cette exception est liée à la portée des dispositions en cause et à leur connexité. Son examen se confond avec celui du fond de l’affaire.
B.6. La partie requérante devant la juridiction a quo fait valoir que les dispositions en cause, dans l’interprétation soumise à la Cour, ne sont pas compatibles avec les articles 6 et 13
de la Convention européenne des droits de l’homme, ni avec l’article 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention. Il n’appartient toutefois pas à une partie devant la juridiction a quo de définir l’objet et l’étendue de la question préjudicielle.
B.7.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
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B.7.2. L’article 78, paragraphe 1, du RGPD dispose :
« Sans préjudice de tout autre recours administratif ou extrajudiciaire, toute personne physique ou morale a le droit de former un recours juridictionnel effectif contre une décision juridiquement contraignante d’une autorité de contrôle qui la concerne ».
B.8.1. Ainsi que la Cour l’a jugé notamment par son arrêt n° 74/2020 du 28 mai 2020
(ECLI:BE:GHCC:2020:ARR.074), le fait que les assemblées législatives disposent dans l’exercice de leur mission de la plus large indépendance relève des principes de base de la structure démocratique de l’État. Il en découle qu’une assemblée législative doit pouvoir régler elle-même les matières qui lui ont été confiées et exercer ses compétences de manière autonome. Ce principe a pour effet que lorsque des assemblées législatives ou l’un de leurs organes posent des actes qui sont liés à leur activité politique ou législative, ces actes peuvent être soustraits au contrôle juridictionnel.
Toutefois, la nécessité de sauvegarder cette indépendance ne justifie pas d’exclure tout recours contre les décisions d’un organe de la Chambre des représentants, lorsque cet organe exerce une compétence qui n’est pas liée à l’activité politique ou législative de la Chambre des représentants.
B.8.2. En l’espèce, il n’est pas nécessaire de déterminer si la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données doit être considérée comme une autorité qui fait partie du pouvoir exécutif, ainsi que le considèrent la juridiction a quo, le Conseil des ministres et la partie requérante dans le litige au fond, ou comme un organe lié à la Chambre des représentants, comme le fait valoir l’Autorité de protection des données. Il suffit en effet de constater que le législateur a prévu, dans l’article 108 de la loi du 3 décembre 2017, que les décisions de la chambre contentieuse peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel.
B.9.1. Lorsque le législateur prévoit une faculté du recours, il ne peut priver une catégorie déterminée de justiciables de cette faculté sans justification raisonnable.
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B.9.2. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.3.3 que le législateur a choisi délibérément de désigner la Cour des marchés, et non donc le Conseil d’État, comme juridiction exclusivement compétente pour connaître, dans le cadre d’un contentieux objectif et de pleine juridiction, des litiges relatifs aux décisions de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données. Plusieurs propositions d’attribuer cette compétence à une autre juridiction ont été rejetées. Ce choix a été dicté par le constat que les intéressés sont en général des acteurs économiques, ainsi que par l’expérience et l’expertise de la Cour des marchés. Le législateur a donc voulu, à l’égard des décisions de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données, créer une possibilité de recours spécifique devant une juridiction spécialisée.
B.9.3. Au regard des objectifs poursuivis par le législateur, il n’est pas pertinent que le recours objectif ainsi prévu contre les décisions de la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données ne soit pas ouvert aux justiciables qui subissent un préjudice personnel, direct, certain, actuel et légitime à la suite d’une telle décision, même s’ils n’étaient pas parties à la phase contentieuse administrative qui a conduit à cette décision. L’intérêt protégé par l’instauration de ce recours est aussi réel et aussi légitime pour de tels justiciables que pour les destinataires de la décision de la chambre contentieuse, en ce qu’ils justifient tous d’un intérêt à l’annulation de cette décision. Au demeurant, les travaux préparatoires de la loi du 3 décembre 2017 ne permettent pas de déduire que le législateur avait effectivement l’intention d’exclure les tiers intéressés du recours devant la Cour des marchés et, a fortiori, ces travaux préparatoires ne permettent pas d’identifier les motifs qui justifieraient une telle exclusion.
B.10.1. Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement soumise à la Cour est incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.10.2. La lecture combinée de ces dispositions avec l’article 78, paragraphe 1, du RGPD
ne saurait aboutir à un constat d’inconstitutionnalité plus étendu. Pour cette raison, la question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne suggérée par le Conseil des ministres et l’Autorité de protection des données ne doit pas être posée.
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B.11.1. L’inconstitutionnalité constatée résulte, non pas de l’article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, mais de l’article 108 de la loi du 3 décembre 2017, en ce que cette disposition ne comporte pas une règle en vertu de laquelle les personnes intéressées qui n’étaient pas parties à la procédure devant la chambre contentieuse peuvent introduire un recours devant la Cour des marchés. Comme il est dit en B.9.2, le législateur entendait en effet attribuer exclusivement à la Cour des marchés les litiges objectifs relatifs aux décisions de la chambre contentieuse.
Il appartient au législateur de combler cette lacune dans l’article 108 de la loi du 3 décembre 2017, en prévoyant notamment un régime spécifique de délai pour les tiers intéressés, à qui la chambre contentieuse ne peut pas notifier individuellement la décision, ni la possibilité d’introduire un recours contre cette décision devant la Cour des marchés.
B.11.2. Afin de garantir, dans l’attente d’une intervention du législateur, à ces tiers intéressés le droit à un recours effectif devant la juridiction compétente, ceux-ci doivent disposer, par analogie avec la règle existante figurant dans l’article 108, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 3 décembre 2017, d’un délai de trente jours pour introduire un recours devant la Cour des marchés contre une décision de la chambre contentieuse, qui prend cours le jour où ils peuvent être réputés avoir pris connaissance de cette décision et au plus tôt le jour de la publication du présent arrêt au Moniteur belge.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
1. L’article 14, § 1er, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
2. L’article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 « portant création de l’Autorité de protection des données » viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cette disposition ne comporte pas une règle en vertu de laquelle les personnes intéressées qui n’étaient pas parties à la procédure devant la chambre contentieuse de l’Autorité de protection des données peuvent introduire un recours devant la Cour des marchés contre la décision prise par la chambre contentieuse.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 12 janvier 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 5/2023
Date de la décision : 12/01/2023
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

1. Non-violation (article 14, § 1er, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d'État) 2. Violation (article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017, en ce que cette disposition ne comporte pas une règle en vertu de laquelle les personnes intéressées qui n'étaient pas parties à la procédure devant la chambre contentieuse de l'Autorité de protection des données peuvent introduire un recours devant la Cour des marchés contre la décision prise par la chambre contentieuse)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 14, § 1er, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973, et à l'article 108, § 1er, de la loi du 3 décembre 2017 « portant création de l'Autorité de protection des données », posée par le Conseil d'État. Conseil d'État - Section du contentieux administratif - Cour des marchés - Possibilité pour un tiers intéressé d'introduire un recours contre une décision de la chambre contentieuse de l'Autorité de protection des données


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2023-01-12;5.2023 ?

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