Cour constitutionnelle
Arrêt n° 2/2023
du 12 janvier 2023
Numéro du rôle : 7661
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 4, § 1er, de la loi du 24 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 27 mars 2020
habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19
(II) », posée par la Cour de cassation.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 20 octobre 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 octobre 2021, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 4, § 1er, de la loi du 24 décembre 2020 portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures contre la propagation du coronavirus Covid-19 (II), viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que la suspension de la prescription de l’action publique instituée par l’article 3 de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 est applicable de manière générale, sans en excepter les procédures dont le jugement a accusé un retard pour des raisons étrangères à la crise sanitaire ayant justifié l’institution de ladite suspension ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- A.D., assisté et représenté par Me F. Blanmailland, avocat au barreau de Bruxelles;
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- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me N. Bonbled et Me C. Dupret Torres, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 12 octobre 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs E. Bribosia et D. Pieters, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 26 octobre 2022 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande du Conseil des ministres à être entendu, la Cour, par ordonnance du 26 octobre 2022, a fixé l’audience au 23 novembre 2022.
À l’audience publique du 23 novembre 2022 :
- ont comparu :
. Me F. Blanmailland, pour A.D.;
. Me N. Bonbled, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs E. Bribosia et D. Pieters ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 12 novembre 2020, la Cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle, reconnaît A.D. coupable de coups et blessures volontaires sur la personne d’un inspecteur de police et de participation à une association de malfaiteurs. Elle juge que le délai de prescription de l’action publique, lequel, en application de l’article 21, alinéa 1er, 4°, du titre préliminaire du Code de procédure pénale, aurait expiré le 29 juillet 2020, avait été suspendu en vertu de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 « portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19 » (ci-après : l’arrêté royal du 9 avril 2020), de sorte que la prescription ne pouvait être acquise que le 29 novembre 2020.
Le 27 novembre 2020, A.D. introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt précité.
Il fait grief à la Cour d’appel d’avoir décidé que la prescription de l’action publique a été suspendue durant 120 jours en application de l’article 3 de l’arrêté royal du 9 avril 2020, alors qu’elle aurait dû écarter l’application de cette disposition. A.D. estime que cette disposition est discriminatoire parce qu’elle traite de la même façon les justiciables dont le jugement a subi un retard en raison de la pandémie de Covid-19 et ceux qui, comme lui, n’ont pas subi un tel préjudice.
La Cour de cassation juge que l’arrêté royal du 9 avril 2020 ne peut être écarté en application de l’article 159
de la Constitution, dès lors qu’il a fait l’objet d’une confirmation législative (article 4, § 1er, de la loi du
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24 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19 (II) »).
À l’invitation du demandeur devant elle, la Cour de cassation pose, dès lors, la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. Selon la partie demanderesse devant la juridiction a quo, la suspension généralisée des délais de prescription de l’action publique en raison de la pandémie de Covid-19 conduit à traiter les justiciables de la même manière, sans les distinguer en fonction de l’incidence concrète de la pandémie sur la durée de traitement de leur affaire. La partie demanderesse devant la juridiction a quo estime qu’un raisonnement par analogie avec l’arrêt de la Cour de cassation du 19 août 2020 (P.20.0840.F ECLI:BE:CASS:2020:ARR.20200819.VAC.1) conduit au constat que cette identité de traitement est dépourvue de justification objective et raisonnable. Par cet arrêt, la Cour de cassation a jugé que les nécessités de la lutte contre la propagation de la Covid-19 ne sauraient justifier que les condamnés auxquels est octroyée l’interruption de l’exécution de la peine au sens de l’article 6, § 1er, de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 soient privés de l’imputation de la durée de cette interruption sur l’exécution de leur peine, alors que les détenus qui se voient octroyer un congé pénitentiaire n’en sont pas privés.
Elle fait valoir que, dans le cadre de l’affaire pendante devant la juridiction a quo, les dates de l’audience de plaidoiries devant la Cour d’appel de Bruxelles ont été fixées aux 8 et 9 octobre 2020, lors de l’audience du 22 novembre 2019. La fixation du calendrier est, par conséquent, antérieure à la pandémie de Covid-19. Ni les dates de l’audience de plaidoiries ni la date du prononcé de l’arrêt n’ont été reportées en raison de la pandémie.
Elle en infère que la disposition en cause entraîne une restriction disproportionnée des droits des personnes poursuivies, dès lors qu’elle prolonge le délai, pour toutes les affaires indistinctement, alors que ces dernières n’ont pas toutes été affectées par la pandémie.
A.1.2. En outre, elle expose que, dans l’avis qu’elle a rendu sur le projet d’arrêté royal qui est devenu l’arrêté royal du 9 avril 2020, la section de législation du Conseil d’État s’est interrogée sur la compatibilité, avec le principe d’égalité, de la différence de traitement entre les délais de prescription, qui sont suspendus, et les délais de recours contre une condamnation pénale, qui ne sont pas suspendus (CE, avis n° 67.181/1 du 3 avril 2020).
La partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient que cette différence de traitement est discriminatoire et qu’elle viole le principe d’égalité des armes qui découle du droit fondamental à un procès équitable.
A.2.1. À titre principal, le Conseil des ministres fait valoir que les justiciables relevant des deux catégories identifiées dans la question préjudicielle ne se trouvent pas dans des situations essentiellement différentes. Il rappelle que l’objectif poursuivi par la mesure est de garantir l’application effective des lois pénales, de protéger la société et de garantir l’État de droit, compte tenu de la limitation des activités des instances judiciaires aux affaires les plus urgentes et les plus importantes. Selon lui, la question de savoir si un jugement a connu un retard en raison de la crise sanitaire ou non n’est pas un critère de distinction pertinent au regard de cet objectif. Il lui paraît hasardeux de déterminer à l’avance les affaires susceptibles d’être impactées ou non par la crise sanitaire.
La mesure part au contraire du postulat que la crise a impacté le fonctionnement des juridictions de manière générale. Il s’ensuit que toutes les affaires sont susceptibles d’avoir accusé un retard sur cette base.
A.2.2. Il soutient que l’on ne peut pas davantage distinguer les deux catégories de justiciables visées dans la question préjudicielle selon que la fixation pour plaidoiries de la procédure a eu lieu ou non au jour de l’entrée en vigueur de la mesure de suspension. Ce critère n’est pas pertinent. Le Roi ne pouvait exclure que des actes
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suspensifs ou interruptifs de la procédure puissent intervenir avant l’audience ou encore qu’une audience puisse être remise ou postposée sine die, surtout au cours d’une période de crise.
Le Conseil des ministres estime que cette distinction revient à prévoir une exception à la mesure de suspension du délai de prescription de l’action publique pour les affaires déjà fixées, de sorte que les justiciables dont l’action publique aurait dû être prescrite entre le 9 avril 2020 et le 17 juillet 2020 mais dont l’audience de plaidoiries n’était pas fixée n’auraient pas pu bénéficier de cette prescription. Il considère que cette différence de traitement n’est ni justifiable ni susceptible d’être mise en œuvre en pratique.
A.2.3. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que l’identité de traitement entre les deux catégories de justiciables en cause est raisonnablement justifiée.
Il rappelle que le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer les règles de la prescription.
Selon le Conseil des ministres, étant donné l’impact considérable de la crise sanitaire sur les juridictions, y compris sur les juridictions pénales, que ce soit au stade de l’information, de l’instruction ou des poursuites, le législateur a raisonnablement pu estimer qu’une suspension générale des délais de prescription de l’action publique était justifiée par la nécessité de garantir l’application effective des lois pénales, de protéger la société et de garantir l’État de droit, compte tenu de la limitation des activités des instances judiciaires aux affaires les plus urgentes et les plus importantes.
Le Conseil des ministres réitère l’argumentation qu’il a développée à titre principal.
Il soutient, en outre, que les enseignements de l’arrêt de la Cour de cassation du 19 août 2020 (P.20.0840.F)
ne sont pas transposables à l’examen de la question préjudicielle, dès lors que le demandeur devant la juridiction a quo ne critique pas la mise en place d’une cause de suspension de la prescription de l’action publique, mais son application aux prévenus dont l’affaire avait été introduite avant la crise sanitaire et fixée pour plaidoiries après la fin du délai de suspension de la prescription.
Le Conseil des ministres expose également que l’arrêt du 19 août 2020 porte sur une cause de suspension de l’exécution de la peine. Il est par conséquent étranger aux règles de prescription de l’action publique. En outre, l’arrêt du 19 août 2020 ne conclut pas qu’il y avait lieu de prévoir une exception à l’application de cette mesure générale pour une catégorie déterminée de condamnés.
A.3.1. La partie demanderesse devant la juridiction a quo répond que les deux catégories de justiciables en cause sont faciles à distinguer. Elle fait valoir que l’identification des affaires concernées ou non par des retards dus à la crise sanitaire n’aurait pas généré un excès de travail, étant donné que les magistrats doivent, en temps normal, analyser les actes susceptibles d’influencer le cours de la prescription et qu’il appartient au prévenu qui se prévaut d’une exception à la règle générale de démontrer que cette exception lui est applicable.
A.3.2. La partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient également que la mesure a été prise sans qu’il ait été procédé à un examen de proportionnalité, étant donné qu’elle n’est pas focalisée sur les circonstances qui affectent le fonctionnement des juridictions ou des services d’enquête. La partie demanderesse devant la juridiction a quo estime qu’il est possible de raisonner par analogie avec le contrôle de proportionnalité effectué par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt du 6 octobre 2020 (C-623/17, Privacy International, ECLI:EU:C:2020:790, points 64 à 87) relatif à une réglementation nationale qui imposait la transmission généralisée de données à caractère personnel aux services de sécurité. Elle fait valoir que ni le rapport au Roi ni les travaux préparatoires de la législation qui confirme l’arrêté royal du 9 avril 2020 ne permettent de comprendre la justification de la mesure.
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-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. La question préjudicielle porte sur la compatibilité de l’article 4, § 1er, de la loi du 24 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures contre la propagation du coronavirus Covid-19 (II) » (ci-après : la loi du 24 décembre 2020) avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la suspension de la prescription de l’action publique instituée par l’article 3 de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 « portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19 » (ci-après : l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020)
est applicable de manière générale, sans que soient exceptées les procédures dont le jugement a accusé un retard pour des raisons étrangères à la crise sanitaire qui a justifié l’institution de la suspension.
B.2.1. L’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 a été pris en vertu de la délégation contenue dans les articles 2, alinéa 1er, et 5, § 1er, 7°, de la loi du 27 mars 2020 « habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du virus COVID-19 (II) » (ci-après : la loi du 27 mars 2020).
Cette loi a été prise dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19.
B.2.2. Afin de permettre à la Belgique de réagir face à la pandémie de Covid-19 et d’en gérer les conséquences, le Roi pouvait, par arrêté délibéré en Conseil des ministres (article 2, alinéa 1er), prendre des mesures visant à garantir le bon fonctionnement des instances judiciaires, et plus particulièrement la continuité de l’administration de la justice, tant en matière civile qu’en matière pénale, dans le respect des principes fondamentaux d’indépendance et d’impartialité du pouvoir judiciaire et dans le respect des droits de la défense des justiciables. À cette fin, Il pouvait notamment adapter l’organisation de la compétence et la procédure, en ce compris les délais prévus par la loi (article 5, § 1er, 7°).
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B.2.3. Les arrêtés de pouvoirs spéciaux pouvaient abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions légales en vigueur, même dans les matières qui sont expressément réservées à la loi par la Constitution (article 5, § 2).
Les arrêtés de pouvoirs spéciaux devaient être confirmés dans un délai d’un an à compter de leur entrée en vigueur, sans quoi ils étaient réputés ne jamais avoir produit d’effets (article 7, alinéas 2 et 3).
Les pouvoirs spéciaux ont expiré le 30 juin 2020 (article 7, alinéa 1er).
B.3.1. Aux termes des articles 1er, alinéa 1er, et 3 de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020, les délais de prescription de l’action publique relative aux infractions au Code pénal et aux infractions aux lois particulières sont suspendus pour un délai égal à la durée de la période du 18 mars 2020 au 3 mai 2020 inclus, complétée d’une période d’un mois.
Conformément à l’article 1er, alinéa 3, de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020, cette période a été prolongée à deux reprises jusqu’au 17 juin 2020 (arrêtés royaux du 28 avril 2020 et du 13 mai 2020).
Il en résulte que la période de suspension du délai de prescription de l’action publique a couru jusqu’au 17 juillet 2020.
B.3.2. Dans le rapport au Roi de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020, il est exposé :
« […] il faut des dispositions portant sur la suspension des délais de prescription.
Afin de garantir le bon fonctionnement des instances judiciaires tout en protégeant le personnel et les justiciables contre les risques d’infection par le coronavirus, et afin d’assurer la continuité du processus judiciaire au niveau pénal, il s’impose d’adapter la procédure pénale, en ce compris les délais prévus par la loi.
Une cause de suspension des délais de prescription est prévue en matière pénale pour un délai égal à la durée de la crise de coronavirus, complétée d’un mois.
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[…] cette cause de suspension fait obstacle à l’écoulement des délais de prescription de l’action publique. Pendant ces délais de prescription, qui varient selon la gravité de l’infraction (crime, délit, contravention), l’action publique doit être menée à bien.
Or, les instances judiciaires sont contraintes par la crise liée à la pandémie de coronavirus, de limiter drastiquement leurs activités aux affaires les plus urgentes et les plus importantes.
Elles ne sont plus en mesure d’assumer leurs missions habituelles, en particulier d’exercer les poursuites des infractions, en tenant compte des priorités de politique criminelle qui leur ont été confiées avant l’arrivée de la pandémie. Dès lors, pour garantir l’application effective des lois pénales, protéger la société et garantir l’état de droit, il est nécessaire de suspendre légalement et pour une durée limitée, l’effet d’écoulement du temps sur la prescription des infractions.
[…]
Art. 3. Compte tenu du fait que de nombreuses affaires pénales ne peuvent être poursuivies ni en termes de procédure pénale ni en termes d’exécution, cet article prévoit que les délais de prescription sont suspendus pour une certaine durée. La durée est fixée à la période de la crise, complétée d’un mois. Ce délai supplémentaire d’un mois est justifié par le fait qu’après la fin de la crise, ces cas d’enquête, de procès et d’exécution ne peuvent être traités ou récupérés immédiatement en un seul jour. »
B.4. L’article 4 de la loi du 24 décembre 2020 confirme l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020
ainsi que les arrêtés royaux du 28 avril 2020 et du 13 mai 2020, qui ont prolongé la durée de la période de suspension de la prescription de l’action publique.
La loi du 24 décembre 2020 est entrée en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge, à savoir le 15 janvier 2021 (article 34).
Quant au fond
B.5. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 4, § 1er, de la loi du 24 décembre 2020 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que la suspension de la prescription de l’action publique introduite par l’article 3 de l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020
s’applique de manière générale, sans que soient exclues les procédures dont le jugement a subi un retard pour des motifs qui sont étrangers à la crise sanitaire qui a justifié l’introduction de cette suspension.
B.6. Dans son mémoire, la partie demanderesse devant la juridiction a quo soutient que la disposition en cause fait naître une discrimination entre les personnes auxquelles sont
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applicables les délais de prescription, qui sont suspendus, et les personnes auxquelles sont applicables les délais de recours contre une condamnation pénale, qui ne sont pas suspendus.
La question préjudicielle porte sur l’identité de traitement entre deux catégories de personnes : celles dont le jugement a accusé un retard pour des raisons étrangères à la crise sanitaire et celles dont le jugement a accusé un retard imputable à cette crise sanitaire, eu égard au fait que celle-ci a justifié l’instauration de la suspension en cause.
La partie demanderesse devant la juridiction a quo ne peut modifier le contenu de la question préjudicielle. La Cour limite son examen à l’identité de traitement soulevée dans la question préjudicielle.
B.7. Il ressort de la motivation de l’arrêt de renvoi et de l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 12 novembre 2020 que le dernier acte interruptif de la prescription date du 29 juillet 2015, de sorte que, si l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 n’était pas entré en vigueur, l’action publique aurait été prescrite le 29 juillet 2020. Il ressort des pièces transmises par la juridiction a quo que, lors de l’audience du 22 novembre 2019, l’audience de plaidoiries a été fixée à deux dates ultérieures au 29 juillet 2020, à savoir les 8 et 9 octobre 2020. En d’autres termes, sur la base de ce calendrier, l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles n’aurait pas pu être prononcé avant le 29 juillet 2020, date à laquelle l’action publique aurait été prescrite.
La Cour limite son examen à cette hypothèse.
B.8. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de
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non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.9.1. Le Conseil des ministres fait valoir qu’il est impossible de faire le départ entre les affaires qui ont connu un retard dans leur traitement en raison de la pandémie et celles pour lesquelles ce retard est imputable à une cause distincte, de sorte que les personnes qui relèvent des deux catégories identifiées dans la question préjudicielle ne se trouveraient pas dans des situations fondamentalement différentes.
B.9.2. Il ressort de ce qui est dit en B.7 que, si la pandémie de Covid-19 et l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 n’avaient pas existé, l’action publique dirigée contre la partie demanderesse devant la juridiction a quo aurait été prescrite sur la base du calendrier fixé, à moins que fût survenue une éventuelle cause de suspension ou d’interruption du délai de prescription.
Dès lors que l’audience de plaidoiries a été fixée avant le commencement de la pandémie de Covid-19 en Belgique, les retards qu’a connus la procédure dirigée contre la partie demanderesse devant la juridiction a quo ne sont aucunement liés à cette pandémie.
Il ressort de ce qui précède que la catégorie de personnes dont relève la partie demanderesse devant la juridiction a quo se trouve dans une situation fondamentalement différente de celle des personnes dont l’affaire a subi un retard imputable à la pandémie, alors que la disposition en cause s’applique indistinctement à ces deux catégories de personnes.
B.10. Comme il est dit en B.3.2, l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 a pour objectif de garantir l’application effective des lois pénales, de protéger la société et de garantir l’État de droit, étant donné que la crise liée à la pandémie de Covid-19 a contraint les instances judiciaires à limiter drastiquement leurs activités aux affaires les plus urgentes et les plus importantes. Ces objectifs sont légitimes.
B.11. Le législateur a pu raisonnablement estimer que, dans les circonstances exposées en B.10, il n’était pas nécessaire ni réalisable d’exiger de ces instances qu’elles déterminent au cas par cas si la pandémie avait eu une incidence concrète sur le traitement d’une affaire pour
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décider que la prescription de l’action publique était suspendue dans cette affaire. En outre, étant donné que l’arrêté royal n° 3 du 9 avril 2020 a pour objectifs de garantir le bon fonctionnement des instances judiciaires et d’assurer la continuité du processus judiciaire au niveau pénal, il n’est pas déraisonnable d’éviter d’imposer une charge de travail supplémentaire aux instances judiciaires.
B.12. Il résulte de ce qui précède que l’article 4, § 1er, de la loi du 24 décembre 2020 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 4, § 1er, de la loi du 24 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures contre la propagation du coronavirus Covid-19 (II) » ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 12 janvier 2023.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul