La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/12/2022 | BELGIQUE | N°171/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 22 décembre 2022, 171/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 171/2022
du 22 décembre 2022
Numéro du rôle : 7877
En cause : la demande de suspension du décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022 « relatif à la suspension de l’exécution des décisions d’expulsions administratives et judiciaires », introduite par l’ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires »
et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier F. Me

ersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivan...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 171/2022
du 22 décembre 2022
Numéro du rôle : 7877
En cause : la demande de suspension du décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022 « relatif à la suspension de l’exécution des décisions d’expulsions administratives et judiciaires », introduite par l’ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires »
et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la demande et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 19 octobre 2022 et parvenue au greffe le 20 octobre 2022, une demande de suspension du décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022 « relatif à la suspension de l’exécution des décisions d’expulsions administratives et judiciaires » (publié au Moniteur belge du 11 octobre 2022) a été introduite par l’ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires », Igor Pliner, Astrid Van Der Straten, Stéphane Devos et José Grandry, assistés et représentés par Me J.-M. Rigaux, avocat au barreau de Liège-Huy.
Par la même requête, les parties requérantes demandent également l’annulation du même décret.
Par ordonnance du 26 octobre 2022, la Cour a fixé l’audience pour les débats sur la demande de suspension au 23 novembre 2022, après avoir invité les autorités visées à l’article 76, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle à introduire, le 17 novembre 2022 au plus tard, leurs observations écrites éventuelles sous la forme d’un
2
mémoire, dont une copie serait envoyée dans le même délai aux parties requérantes, ainsi qu’au greffe de la Cour par courriel envoyé à l’adresse « griffie@const-court.be ».
Aucun mémoire n’a été introduit.
À l'audience publique du 23 novembre 2022 :
- ont comparu :
. Me J.-M. Rigaux et Me V. Paquet, avocat au barreau de Liège-Huy, pour les parties requérantes;
. Me M. Kaiser et Me C. Jadot, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement wallon;
- les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l'affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale précitée du 6 janvier 1989 relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’intérêt
A.1.1. Les parties requérantes font valoir que le recours est recevable ratione temporis.
A.1.2. Elles rappellent également que, par son arrêt n° 97/2022 du 14 juillet 2022, la Cour a reconnu l’intérêt à agir de la première partie requérante contre des mesures quasiment identiques. La première partie requérante a pour but statutaire « la défense du droit de propriété privée immobilière et mobilière », de sorte que les atteintes au droit de propriété qu’entraînent les dispositions attaquées justifient la recevabilité de son recours.
A.1.3. Les quatre autres parties requérantes sont des propriétaires qui mettent leur bien immobilier en location. Deux des propriétaires disposent d’un jugement prononçant la résiliation du bail, tandis que les deux autres sont en attente d’un jugement. Les parties requérantes estiment qu’elles disposent d’un intérêt à agir étant donné que ces jugements ne pourront pas être exécutés avant que la mesure d’interdiction temporaire des expulsions prenne fin, à savoir le 15 mars 2023.
Quant au caractère sérieux des moyens
A.2.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, d’une part, des articles 39 et 134
de la Constitution et, d’autre part, des articles 6 et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
Elles affirment que la Région wallonne s’estime compétente pour interdire temporairement les expulsions domiciliaires sur la base de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. Elles estiment que, dans son avis
3
n° 67.387/3 du 14 mai 2020 sur le projet à l’origine de l’arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 20 mai 2020 « interdisant temporairement les expulsions domiciliaires jusqu’au 31 août 2020 inclus », la section de législation du Conseil d’État doute que les régions soient compétentes pour régler la matière des expulsions des lieux occupés en vertu d’un contrat de bail.
A.2.2. Selon les parties requérantes, l’article 6 de la loi spéciale du 8 août 1980 prévoit que les régions sont compétentes en matière de règles relatives à la location de biens ou de parties de biens destinés à l’habitation. Or, l’expulsion n’a jamais été réglée dans les textes relatifs aux contrats de bail, mais dans le Code judiciaire. Il résulte de l’intention du législateur que l’expulsion est une mesure d’exécution visée par le Code judiciaire, réservée au législateur fédéral. Les parties requérantes soutiennent que la Région wallonne ne peut pas, dans ce cadre, invoquer l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 pour empiéter sur la compétence de l’autorité fédérale en matière de justice, car l’impact des dispositions attaquées sur cette compétence n’est pas marginal dès lors qu’elles privent le juge de paix de l’intégralité de la compétence que lui attribue l’article 1344quater, § 1er, du Code judiciaire. Elles considèrent que, par son arrêt n° 97/2022 du 14 juillet 2022, la Cour a jugé que le report temporaire de l’exécution des décisions judiciaires d’expulsion est un régime dérogatoire au Code judiciaire qui ne peut être mis en place que dans des circonstances exceptionnelles. Selon les parties requérantes, les circonstances de la pandémie de Covid-19 ne sont pas comparables à celles de la crise énergétique. Elles font valoir que la santé publique n’est pas en cause. En outre, la Belgique a subi plusieurs crises énergétiques et économiques sans qu’aient été adoptées des mesures de suspension des expulsions. Sans dénaturer la notion de circonstances exceptionnelles, l’on ne peut admettre que les autorités publiques disposent de la faculté de suspendre l’exécution des décisions judiciaires d’expulsion à chaque nouvelle crise économique. Les parties requérantes considèrent que la mesure pourrait devenir structurelle, ce qui permet de douter de son caractère marginal.
Les parties requérantes affirment également que si l’objectif de la mesure est la protection des locataires faibles pendant la période d’hiver, il n’est pas nécessaire de faire référence à une crise économique ou énergétique.
Si, en revanche, l’objectif est la protection des locataires faibles de toute crise économique ou énergétique, il n’y a pas lieu de suspendre les expulsions de manière temporaire pendant l’hiver et cette mesure pourrait être prise à tout moment de l’année.
A.3.1. Les parties requérantes prennent un second moyen de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, du principe général du droit de la séparation des pouvoirs et de l’article 144 de la Constitution ainsi que de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
A.3.2. Dans une première branche, les parties requérantes font valoir qu’en privant les juridictions judiciaires d’une partie de leur compétence en matière d’expulsion des locataires, les dispositions attaquées portent une atteinte disproportionnée au principe de la séparation des pouvoirs et ne respectent pas les conditions de la théorie des compétences implicites, en particulier l’exigence de nécessité.
Les parties requérantes fondent leur raisonnement sur l’avis de la section de législation n° 67.387/3 et l’arrêt de la Cour n° 97/2022, précités. Elles estiment que, dans cet arrêt, la Cour a jugé que le pouvoir exécutif peut suspendre l’exécution des décisions judiciaires d’expulsion lorsque les six conditions suivantes sont réunies : la mesure est strictement temporaire; elle ne vise qu’une période restreinte; elle sert un intérêt général supérieur; elle permet de faire face à une situation imprévue et très urgente; la situation revêt un caractère exceptionnel et l’autorité ne dispose pas de l’expérience requise pour estimer avec justesse les effets prévus de la mesure; la mesure a pour objectif de protéger la santé et de protéger le droit au logement de personnes fragilisées dans le contexte de crise.
Les parties requérantes estiment que les dispositions attaquées ne satisfont à aucune de ces conditions.
A.3.3. Dans une seconde branche, les parties requérantes exposent que les dispositions attaquées portent une atteinte discriminatoire au droit de propriété.
Elles estiment que la mesure ne poursuit pas un but légitime. Elles font valoir que la mesure n’a qu’une portée symbolique. Elles doutent que le droit de propriété puisse légitimement être limité par les dispositions attaquées dès lors que les circonstances économiques changent, parfois de manière importante. Elles estiment qu’il n’y a pas de garanties que la mesure ne soit pas étendue. Elles font également valoir qu’il existe un risque de remise en cause
4
du droit de propriété dans sa substance même. Elles considèrent que la situation était beaucoup plus objectivable dans le cadre de la lutte contre les conséquences de la pandémie de Covid-19.
Elles soutiennent que l’objectif poursuivi n’est pas un objectif d’intérêt général, mais un objectif strictement financier qui est presque de nature à ressembler à un impôt déguisé. Selon elles, la Région wallonne préfère que les propriétaires privés supportent le coût de plusieurs mois de loyer et de charges locatives plutôt que de prendre en charge, elle-même, les locataires expulsés.
En outre, elles rappellent que certains propriétaires privés se trouvent dans une situation de précarité en raison du remboursement de leur emprunt ou en raison de la crise économique. Il est bien plus difficile de mettre en vente un bien occupé par un locataire insolvable et inexpulsable pendant quatre mois et demi que si le locataire a pu être expulsé.
Elles exposent qu’un propriétaire peut souhaiter occuper personnellement son bien, quelles qu’en soient les raisons ou en faire profiter un membre de sa famille.
Dès lors que ce bien devient totalement indisponible pendant une période de quatre mois et demi, les propriétaires sont obligés de trouver d’autres solutions pour eux-mêmes ou pour des personnes de leur entourage.
Selon les parties requérantes, la mesure attaquée est sans relation directe avec l’émergence de la crise énergétique et ses répercussions économiques importantes sur les ménages.
Les parties requérantes en infèrent que la mesure produit des effets disproportionnés.
Enfin, les parties requérantes soutiennent que si les propriétaires devaient, sur la base du principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, assigner les autorités publiques devant les juridictions judiciaires pour obtenir une compensation au cas où la mesure ne serait pas censurée par la Cour Constitutionnelle, cela impliquerait une dépense d’énergie et financière très importante, en plus des pertes qu’ils vont subir en raison de l’exécution de la mesure attaquée.
Quant au risque de préjudice grave et difficilement réparable
A.4.1. La demande en suspension et le recours en annulation sont introduits par l’ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires » (ci-après : le « SNPC ») ainsi que par quatre propriétaires qui mettent leur bien en location. Deux des propriétaires disposent d’un jugement prononçant la résiliation du bail; les deux autres sont en attente d’un jugement. Ces jugements ne pourront pas être exécutés avant que la mesure d’interdiction temporaire des expulsions prenne fin, à savoir le 15 mars 2023.
A.4.2. Selon l’ASBL « SNPC », la Cour a jugé, par son arrêt n° 46/2021 du 11 mars 2021, qu’une association de fait pouvait demander la suspension d’une norme législative dans l’intérêt de ses membres.
Le « SNPC » estime que, lorsqu’une association a pour but statutaire la défense d’un droit essentiel et qu’elle peut établir que la violation de ce droit risque de causer un préjudice grave difficilement réparable à ses membres, la Cour considère que l’association peut subir un préjudice grave et difficilement réparable. Elle fait valoir qu’en l’espèce un droit essentiel, à savoir le droit de propriété, est susceptible d’être violé, de sorte qu’elle risque de subir un préjudice grave difficilement réparable.
Elle soutient que le recours en suspension permettrait d’éviter cette violation du droit de propriété alors que le recours en annulation interviendrait après que le préjudice grave et difficilement réparable est consommé.
Elle expose que les propriétaires-bailleurs membres de son association subiront un risque de pertes financières, à savoir le risque d’absence temporaire de paiement des loyers et des provisions de charges. Elle met également en exergue le risque qu’il incombe à ses membres de payer des charges de copropriété sans garantie d’être remboursés par les locataires.
En outre, le « SNPC » considère que les dispositions attaquées risquent également de provoquer un préjudice qui n’est pas de nature financière, dès lors qu’elles portent atteinte aux prérogatives inhérentes du droit de propriété. Elle fait valoir que les propriétaires concernés seront dans l’impossibilité de trouver un autre locataire ou de vendre le bien dans un délai raisonnable. Ils ne pourront, selon le « SNPC », pas davantage occuper le bien
5
eux-mêmes ou le faire occuper par une personne de leur famille. Le « SNPC » estime qu’il faudrait plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après la fin de la période d’interdiction des expulsions pour que les propriétaires puissent à nouveau exercer leurs prérogatives.
A.4.3. Les quatre parties requérantes personnes physiques estiment qu’elles sont individuellement exposées au risque de préjudice grave et difficilement réparable que décrit le « SNPC » concernant ses membres.
-B-
Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte
B.1.1. Les parties requérantes demandent la suspension des articles 1er et 2 du décret de la Région wallonne du 22 septembre 2022 « relatif à la suspension de l’exécution des décisions d’expulsions administratives et judiciaires » (ci-après : le décret du 22 septembre 2022). Le décret a été publié au Moniteur belge du 11 octobre 2022 et est entré en vigueur le 21 octobre 2022.
B.1.2. L’article 1er du décret du 22 septembre 2022 dispose :
« § 1. L’exécution de toutes les décisions judiciaires et administratives ordonnant une expulsion de domicile est suspendue du 1er novembre 2022 au 15 mars 2023.
§ 2. Par dérogation au paragraphe 1er, les décisions judiciaires et administratives ordonnant une expulsion de domicile pour des raisons de sécurité publique, de péril imminent pour la santé physique et mentale des occupants ou de dégradations volontaires du bien peuvent être exécutées ».
L’article 2 du même décret dispose :
« Du 1er novembre 2022 au 15 mars 2023, les forces de police sont chargées de veiller à l’interdiction des expulsions physiques domiciliaires, au besoin par la contrainte et/ou la force ».
B.1.3. Les travaux préparatoires exposent :
« La crise énergétique entraîne une très forte augmentation des prix du gaz et de l’électricité et de nombreux citoyens sont fortement impactés et feront face à de grandes difficultés pour honorer le paiement de leurs charges énergétiques et de leur loyer. Il en découle une forte
6
probabilité que les impayés de loyer augmentent de manière significative conduisant ainsi à l’expulsion des ménages déjà fortement impactés et précarisés par la crise énergétique.
Eu égard à ces éléments, il convient de prendre une mesure permettant de limiter le risque de paupérisation et d’éviter de mettre ces ménages encore plus en difficulté en les privant de leur logement.
Cette mesure se justifie sur la base de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Elle est en effet nécessaire à l’exercice des compétences régionales, car le dispositif ici mis en œuvre vise les conséquences de l’application du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation et du Code wallon de l’Habitation durable. Cette mesure revêt un impact marginal dès lors qu’elle ne s’appliquera que pendant une période très limitée dans le temps.
La suspension de l’exécution des décisions d’expulsion vise tant les décisions déjà prises et dont l’exécution est imminente que les décisions futures qui pourraient être prises durant la crise énergétique dès lors qu’il est nécessaire d’avoir une mesure qui s’applique instantanément et uniformément à l’ensemble des décisions d’expulsion judiciaires et administratives découlant d’une législation relevant de la Région wallonne.
Cette mesure de suspension de l’exécution des décisions d’expulsion ne remet pas en cause le respect des décisions judiciaires, car il s’agit d’une suspension de l’exécution des décisions et non d’une annulation de ces décisions.
La mesure de suspension ne concerne par ailleurs que les expulsions décidées sur base d’une matière ressortissant à la compétence de la Région wallonne. Elle ne concerne dès lors pas les décisions d’expulsions urgentes prises notamment pour des raisons intrafamiliales telles que les violences conjugales » (Doc. parl., Parlement wallon, 2022-2023, n° 1028/1, p. 3).
Quant aux conditions de la suspension
B.2. Aux termes de l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, deux conditions doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée :
- des moyens sérieux doivent être invoqués;
- l’application immédiate de la règle attaquée risque de causer un préjudice grave et difficilement réparable.
7
Les deux conditions étant cumulatives, la constatation que l’une de ces deux conditions n’est pas remplie entraîne le rejet de la demande de suspension.
Quant au risque de préjudice grave et difficilement réparable
B.3. La suspension par la Cour d’une disposition législative doit permettre d’éviter que l’application immédiate de cette norme cause aux parties requérantes un préjudice grave, qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement l’être en cas d’annulation de ladite norme.
Il ressort de l’article 22 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 que, pour satisfaire à la deuxième condition de l’article 20, 1°, de cette loi, les personnes qui forment une demande de suspension doivent exposer, dans leur requête, des faits concrets et précis qui prouvent à suffisance que l’application immédiate des dispositions dont elles demandent l’annulation risque de leur causer un préjudice grave et difficilement réparable.
Ces personnes doivent notamment faire la démonstration de l’existence du risque de préjudice, de sa gravité et de son lien avec l’application des dispositions attaquées.
B.4.1. Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième parties requérantes font valoir que l’application immédiate des dispositions attaquées entraîne un risque d’absence temporaire de paiement des loyers et des provisions de charges. Elles allèguent également qu’elles risquent de devoir payer les charges de copropriété sans garantie d’être remboursées par les locataires.
Elles soutiennent encore que les propriétaires concernés seront dans l’impossibilité de trouver un autre locataire ou de vendre le bien dans un délai raisonnable.
B.4.2. Le simple risque de subir une perte financière ne constitue pas, en principe, un risque de préjudice grave difficilement réparable. Si la Cour annulait les dispositions attaquées, les préjudices financiers allégués, à supposer qu’ils se produisent réellement, seraient réparables.
8
B.5.1. En outre, les deuxième, troisième, quatrième et cinquième parties requérantes font valoir qu’il résulte des dispositions attaquées que, durant la période concernée, elles ne pourront pas occuper elles-mêmes le bien loué ou permettre à des membres de leur famille ou de leur entourage de l’occuper.
B.5.2. Dès lors que les parties requérantes ne renvoient pas à des faits concrets qui démontreraient leur intention d’occuper les biens mis en location ou de permettre à des membres de leur famille ou de leur entourage d’occuper le bien, le préjudice allégué est purement hypothétique et, partant, il ne peut pas être invoqué à l’appui de leur demande de suspension. De surcroît, les parties requérantes ne démontrent pas davantage qu’elles-mêmes ou que des membres de leur famille ou de leur entourage seraient obligés de quitter leur domicile dans un délai qui arriverait à échéance avant qu’il soit possible d’expulser le locataire qui a cessé de payer son loyer. Il s’ensuit que les préjudices invoqués par les parties requérantes n’ont pas un effet tel qu’ils puissent être considérés comme des préjudices graves.
B.6. Dans son arrêt n° 46/2021 du 11 mars 2021, invoqué par les parties requérantes, la Cour a jugé que le risque de préjudice grave et difficilement réparable était établi à l’égard des parties requérantes personnes physiques. Il s’ensuit qu’il n’était pas utile que l’association de fait requérante démontre l’existence d’un risque de préjudice grave et difficilement réparable dans son chef.
Toutefois, dès lors que les deuxième, troisième, quatrième et cinquième parties requérantes n’ont pas établi l’existence d’un risque de préjudice grave et difficilement réparable, il convient d’examiner si la première partie requérante apporte la preuve que les dispositions attaquées lui causent un risque de préjudice grave et difficilement réparable.
B.7. La première partie requérante a, notamment, pour but statutaire « la défense du droit de propriété privée immobilière et mobilière », en ce compris « l’introduction devant les juridictions pénales, civiles et administratives tant régionales, nationales, qu’internationales de toutes les actions en justice qui se justifieraient par la défense de son objet ».
9
B.8. Lorsqu’il s’agit d’apprécier la gravité et le caractère difficilement réparable d’un préjudice, une association sans but lucratif qui défend des principes ou protège un intérêt collectif ne peut être confondue avec les personnes affectées dans leur situation personnelle, auxquelles ces principes ou cet intérêt sont relatifs.
Le préjudice invoqué par la première partie requérante en ce qui concerne chacune des dispositions dont la suspension est demandée est le préjudice matériel que pourraient subir individuellement ses membres identifiables - personnes physiques ou morales - en tant que propriétaires-bailleurs. Le préjudice subi par la première partie requérante elle-même est, par contre, un préjudice purement moral qui découle de l’adoption ou de l’application de dispositions législatives qui peuvent affecter les intérêts individuels de ses membres. Semblable préjudice disparaîtrait en l’espèce par l’éventuelle annulation des dispositions attaquées et n’est donc pas difficilement réparable.
B.9. Étant donné que l’une des conditions requises par l’article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 n’est pas remplie, la demande de suspension ne peut être accueillie.
10
Par ces motifs,
la Cour
rejette la demande de suspension.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 décembre 2022.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 171/2022
Date de la décision : 22/12/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-12-22;171.2022 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award