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08/12/2022 | BELGIQUE | N°162/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 08 décembre 2022, 162/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 162/2022
du 8 décembre 2022
Numéro du rôle : 7612
En cause : le recours en annulation du chapitre 4 (articles 18 à 22) de la loi-programme du 20 décembre 2020, introduit par Matthias Dobbelaere-Welvaert et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge ém

érite J.-P. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le préside...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 162/2022
du 8 décembre 2022
Numéro du rôle : 7612
En cause : le recours en annulation du chapitre 4 (articles 18 à 22) de la loi-programme du 20 décembre 2020, introduit par Matthias Dobbelaere-Welvaert et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 29 juin 2021 et parvenue au greffe le 30 juin 2021, un recours en annulation du chapitre 4 (articles 18 à 22) de la loi-programme du 20 décembre 2020, publiée au Moniteur belge du 30 décembre 2020, a été introduit par Matthias Dobbelaere-Welvaert, la fondation privée « The Ministry of Privacy » et Nico Weymaere, assistés et représentés par Me C. Lardenoit et Me N. Somers, avocats au barreau d’Anvers.
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par J. De Vleeschouwer et A. Lauwens, conseillers au service juridique du SPF Finances, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 4 mai 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de
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la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 18 mai 2022 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande des parties requérantes à être entendues, la Cour, par ordonnance du 18 mai 2022, a fixé l’audience au 29 juin 2022.
À l’audience publique du 29 juin 2022 :
- ont comparu :
. Me C. Lardenoit et Me N. Somers, pour les parties requérantes;
. le conseiller J. De Vleeschouwer, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Y. Kherbache et M. Pâques ont fait rapport;
- les parties précitées ont été entendues;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
A.1. Les parties requérantes, à savoir deux personnes physiques et une personne morale, demandent l’annulation des articles 18 à 22 de la loi-programme du 20 décembre 2020.
A.2. À l’appui de leur recours en annulation, elles invoquent cinq moyens.
A.3.1. Le premier moyen est pris de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, des articles 7, 8, et 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 16, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 22 de la Constitution. L’obligation, pour les établissements financiers, de communiquer au point de contact central tenu par la Banque nationale de Belgique (ci-après : le PCC) les soldes périodiques des comptes bancaires et de paiement et le montant globalisé périodique de certains contrats financiers de tous les contribuables constitue une ingérence qui n’est justifiée ni raisonnablement ni nécessairement dans le droit au respect de la vie privée des personnes concernées, ainsi que des personnes avec qui celles-ci ont réalisé ces transactions financières.
Les articles attaqués donnent lieu à une centralisation automatique de différentes données financières au niveau du PCC, qui va au-delà de ce qui est strictement nécessaire. Déjà avant la modification législative attaquée, l’administration fiscale pouvait en effet, lorsqu’un contribuable refusait de communiquer certaines données dans le cadre d’une enquête, consulter le PCC pour vérifier l’(les) établissement(s) financier(s) auprès duquel (desquels)
la personne visée avait des comptes ou des produits financiers. Dans le cadre de leur pouvoir d’enquête, les agents compétents de l’administration fiscale pouvaient toujours réclamer auprès de cet (ces) établissement(s) financier(s)
les informations dont ils avaient besoin dans le cadre de leur enquête. Les travaux préparatoires relatifs aux articles attaqués ne démontrent nullement pourquoi et dans quelle mesure cette pratique existante était inefficace.
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Selon les parties requérantes, le législateur justifie cette ingérence en invoquant dans la loi-programme du 20 décembre 2020, d’une part, la lutte contre la fraude fiscale et, d’autre part, la crise sanitaire due au COVID-19.
Ces objectifs sont très vagues et sont formulés en des termes trop généraux. Il n’est par ailleurs pas démontré en quoi les articles attaqués contribuent à la réalisation de ces objectifs. L’administration fiscale pouvait déjà réclamer les soldes des comptes bancaires et les montants globalisés de certains contrats financiers des contribuables avant la proposition d’extension. Cela devait se faire par l’introduction d’une demande de renseignements auprès des établissements financiers, par le biais de la procédure par paliers prévue à l’article 322, § 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), à la condition que l’administration fiscale disposât d’indices de fraude fiscale. Les mêmes conditions sont applicables pour que l’administration fiscale puisse consulter le PCC
conformément à l’article 322, § 3, du CIR 1992. L’administration fiscale pouvait donc déjà réclamer les soldes des comptes de paiement et des comptes bancaires ainsi que les montants globalisés des contrats financiers auprès des établissements financiers (article 322, § 2, du CIR 1992), de sorte que l’extension de l’obligation de communiquer ces données au PCC n’était pas nécessaire.
Les parties requérantes estiment également que l’extension attaquée aura pour effet que la procédure par paliers, au sens de l’article 322, § 2, du CIR 1992, ne sera plus appliquée, de sorte qu’aucune notification simultanée de l’infraction ne sera envoyée au contribuable. L’administration fiscale voudra faire application immédiate de l’article 322, § 3, du CIR 1992, aussi parce que législateur n’a pas prévu de mécanisme de contrôle.
Selon les parties requérantes, le fait que des entités autres que le SPF Finances aient accès au PCC constitue en outre un risque d’usage inapproprié du PCC.
A.3.2. Le Conseil des ministres estime que les travaux préparatoires précisent clairement comment l’obligation de communication étendue de données au PCC contribuera à la recherche de la fraude fiscale. La finalité de l’extension des données est d’ordre préventif et doit permettre une plus grande transparence au niveau fiscal. Les articles attaqués permettent de lutter contre la fraude fiscale de manière efficace et à moindre coût. En outre, le rapport au Roi relatif à l’arrêté royal du 6 juin 2021 « modifiant l’arrêté royal du 7 avril 2019 relatif au fonctionnement du point de contact central des comptes et contrats financiers » (ci-après : l’arrêté royal du 6 juin 2021) apporte des clarifications sur les objectifs.
Le Conseil des ministres renvoie à la mission légale de l’administration fiscale et au fait que les lois fiscales sont d’ordre public. Les dispositions attaquées, qui accordent à l’administration fiscale des moyens supplémentaires pour renforcer la transparence fiscale, permettent à l’administration fiscale de remplir sa mission légale lorsque le contribuable omet de déclarer lui-même spontanément ses revenus. L’extension de l’obligation de communication au PCC est nécessaire dans une société démocratique et satisfait dès lors à l’article 5, paragraphe 1, c), du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) »
(ci-après : le RGPD). Ensuite, le Conseil des ministres fait référence au « Common Reporting Standard » (la norme commune de déclaration) (ci-après : le CRS), qui oblige les États membres de l’Union européenne à changer automatiquement les informations relatives aux soldes des comptes de non-résidents. Il est donc logique que l’administration fiscale puisse aussi consulter les soldes des comptes bancaires et de paiement belges pour permettre de lutter efficacement contre la fraude. Enfin, le Conseil des ministres estime que le PCC ne permet pas uniquement aux administrations fiscales un meilleur établissement et recouvrement de l’impôt et une lutte plus efficiente contre la fraude fiscale, il permet aussi que sa consultation par d’autres entités réponde à des missions d’intérêt public de la première importance. Le Conseil des ministres estime donc qu’il est suffisamment démontré que les objectifs visés sont atteints.
Le Conseil des ministres estime qu’un recours abusif au PCC est exclu. En ce qui concerne le recouvrement, l’article 75 du Code du 13 avril 2019 du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales (ci-
après : le Code du 13 avril 2019) prévoit que les receveurs n’ont la possibilité de consulter le PCC qu’avec l’autorisation d’un supérieur hiérarchique du grade de conseiller général. Du point de vue de l’établissement de l’impôt, il convient de rappeler que la procédure de consultation pour les agents taxateurs est encadrée de manière stricte; cette procédure ne change pas et reste la procédure par paliers, telle qu’elle est décrite aux articles 322, § 2, du CIR 1992 et 62bis du Code de la TVA. La situation est similaire en ce qui concerne les droits d’enregistrement et les droits de succession. La procédure stricte limite le risque d’utilisation disproportionnée des données répertoriées dans le PCC et garantit que les données soient utilisées efficacement pour l’objectif anti-fraude déclaré.
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A.3.3.1. Les parties requérantes réfutent l’argument du Conseil des ministres selon lequel les dispositions attaquées permettraient de lutter plus efficacement et à moindre coût contre la fraude fiscale. L’administration fiscale dispose en effet déjà, en sa qualité de receveur, d’un moyen très efficace et peu onéreux de recouvrement des impôts, à savoir la « saisie-arrêt fiscale simplifiée ». En outre, le receveur procédera toujours à des saisies bancaires « à l’aveugle », dès lors qu’une consultation du PCC porte sur des informations qui ne doivent être communiquées que tous les six mois.
A.3.3.2. Selon les parties requérantes, l’argument du Conseil des ministres selon lequel la fraude pourra être détectée plus rapidement en raison du rapport semestriel et de l’absence de seuil minimal n’est pas justifié non plus. Dès lors que le contrôle de la déclaration d’un contribuable porte sur un exercice d’imposition qui suit l’année des revenus, l’administration fiscale ne peut toujours pas agir promptement. Lors d’un examen portant sur l’année des revenus 2021, à savoir l’exercice d’imposition 2022, le PCC ne sera consulté qu’après l’introduction de la déclaration fiscale, à savoir au plus tôt aux alentours du mois de juillet 2022 (déclaration par le contribuable lui-
même) ou du mois d’octobre 2022 (déclaration par le mandataire). Toute consultation du PCC interviendra bien après la période sur laquelle porte l’examen, de sorte que l’on peut remettre en cause le fait que cette consultation offre un aperçu précis.
Par ailleurs, selon les parties requérantes, le Conseil des ministres oublie que la procédure par paliers qui est prévue à l’article 322, § 2, du CIR 1992 doit toujours être suivie. Une demande de renseignements devra toujours être adressée au contribuable, qui doit d’abord avoir la possibilité de répondre lui-même dans le délai légal prévu à l’article 316 du CIR 1992, et une demande de renseignements ne pourra être adressée à l’établissement financier que si le contribuable ne répond pas, fournit une réponse incomplète ou refuse de collaborer.
Les parties requérantes constatent également que, par l’arrêté royal du 6 juin 2021, il a été décidé de ne pas faire usage de la possibilité de faire fixer un seuil minimal par le Roi parce que cela aurait entraîné de sévères complications techniques pour les institutions financières. Il en résulte que tous les soldes et montants globalisés doivent être transmis au PCC, quel que soit leur montant. La loi du 8 juillet 2018 « portant organisation d’un point de contact central des comptes et contrats financiers et portant extension de l’accès au fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession, de règlement collectif de dettes et de protêt » (ci-après : la loi du 8 juillet 2018)
a été adaptée, de sorte que l’habilitation au Roi est devenue facultative. L’autorité de protection des données (ci-
après : l’APD) a jugé que l’absence de fixation d’un seuil minimal compromet encore davantage le test de proportionnalité que ce qui était déjà le cas dans la loi-programme du 20 décembre 2020 (avis n° 14/2021 du 5 février 2021). L’APD souligne expressément qu’elle ne considère pas ipso facto qu’une communication est disproportionnée ipso facto pour autant que toutes les garanties prévues par le RGPD soient respectées, mais uniquement dans la mesure où le champ d’application se limite aux grandes fortunes pour lesquelles la probabilité est la plus grande qu’il existe toutes sortes de constructions financières. Les parties requérantes observent également que les comptes bancaires des mineurs aussi sont visés, alors que, dans le RGPD, les mineurs sont considérés comme une catégorie de personnes fragiles qui nécessitent une protection supplémentaire.
A.3.3.3. Les parties requérantes observent en outre que le constat que les lois fiscales sont d’ordre public ne peut servir de prétexte pour justifier des mesures qui portent gravement atteinte aux droits et libertés. L’APD
souligne à juste titre que, pour remédier à la prétendue réticence des établissements financiers à collaborer avec l’administration fiscale, il faut plutôt veiller à instaurer un contrôle plus strict du respect des règles relatives à la transmission des données entre les établissements financiers et les autorités fiscales et judiciaires, plutôt que de procéder à une centralisation de données sensibles sur le plan du respect de la vie privée.
Selon les parties requérantes, le renvoi au CRS n’est pas pertinent non plus, dès lors que ce dernier a une tout autre finalité. La finalité du CRS s’inscrit dans le cadre d’un examen des revenus étrangers qui sont dissimulés par des résidents belges, que les agents belges ne sont pas habilités à contrôler en raison du principe de territorialité.
L’échange automatique de données par le CRS s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale transfrontalière internationale et l’échange des données concerne des informations relatives au « patrimoine étranger ».
A.4.1. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation des articles 10, 11, 22, 170 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8, 20, 21 et 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 16, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et avec l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment de la violation du droit à la
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protection de la vie privée et du droit à la protection des données à caractère personnel, eu égard à l’absence d’une notification simultanée au contribuable.
Si l’administration fiscale estime que la consultation du PCC est justifiée, le contribuable n’est pas informé simultanément des indices de fraude fiscale ni du moment de la consultation du PCC. Selon les parties requérantes, la notification simultanée est toutefois requise comme une garantie contre l’intervention publique arbitraire et dans le cadre de la levée du secret bancaire. Le pouvoir d’appréciation des autorités concernées n’est pas suffisamment délimité, étant donné qu’il n’y a pas de notification au contribuable des indices de fraude fiscale et qu’aucun contrôle juridictionnel effectif n’est prévu pour soumettre au contrôle d’un juge indépendant les indices de fraude fiscale et la demande de consultation du PCC.
A.4.2. En ce qui concerne l’établissement des impôts, le Conseil des ministres soutient que les dispositions attaquées doivent être comprises comme étant des mesures destinées à faciliter le recoupement des informations et à permettre de déterminer le montant des revenus imposables non déclarés. Seuls les soldes ou les montants globalisés peuvent être consultés auprès du PCC, selon la procédure par paliers existante qui est prévue dans le cadre d’une enquête bancaire (article 322, § 2, du CIR 1992). Par conséquent, l’administration fiscale devra d’abord s’adresser au contribuable lui-même, de sorte que ce dernier non seulement a l’opportunité de faire preuve de transparence, sans que d’autres données supplémentaires doivent être réclamées au PCC, mais est aussi informé des données complémentaires que l’administration fiscale souhaite obtenir. Pour avoir un aperçu des transactions individuelles qui ont effectivement été exécutées sur les comptes bancaires et de paiement au cours d’une période spécifique délimitée, il sera toujours nécessaire de procéder à une enquête bancaire complémentaire sur la base de l’article 322, § 2, du CIR 1992. Les dispositions attaquées n’affectent dès lors pas la procédure de l’enquête bancaire. Si, après que le PCC a été consulté, la présomption de fraude fiscale est confirmée ou s’il y a des signes ou des indices que des revenus n’ont pas été déclarés, une enquête complémentaire auprès des établissements financiers sera nécessaire, et le contribuable sera informé sans délai de la tenue de l’enquête bancaire.
En ce qui concerne le recouvrement de l’impôt, le receveur, en cas de non-paiement, épuisera d’abord les mesures de recouvrement amiable (articles 13 et 14 du Code du 13 avril 2019), avant de procéder au recouvrement forcé. Par conséquent, le PCC ne sera pas consulté si le contribuable procède à un paiement volontaire. Lorsque le receveur, au cours de l’enquête de recouvrement, constate l’existence d’un solde saisissable sur un des comptes bancaires et de paiement, il peut engager la procédure de la saisie-arrêt fiscale simplifiée, aux fins d’opérer une saisie-arrêt entre les mains de l’établissement financier. Conformément à l’article 21, § 3, du Code du 13 avril 2019, le contribuable est informé de la procédure de saisie et il peut former opposition contre celle-ci (articles 1539
à 1544 du Code judiciaire).
A.4.3. Les parties requérantes estiment que le renvoi, par le Conseil des ministres, à la notification qui est faite au contribuable lorsqu’une demande de renseignements est adressée à l’établissement financier (article 322, § 2, du CIR 1992) démontre uniquement que l’extension des données prévue par la loi du 8 juillet 2018 n’est ni nécessaire ni proportionnée. Le Conseil des ministres lui-même considère en effet qu’une demande de renseignements doit toujours être introduite auprès de l’établissement financier, afin que les soldes et les montants globalisés puissent également être connus.
A.5.1. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par les dispositions attaquées, des articles 10, 11, 13, 170 et 172 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les articles 6, paragraphe 1, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 20, 21, 47, 48, paragraphe 2, et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment avec le droit à un procès équitable et avec le droit à un accès effectif au juge, en raison de l’absence d’une notification préalable ou à tout le moins simultanée au contribuable.
Les dispositions attaquées permettent à l’administration fiscale de consulter le PCC si elle estime disposer d’indices de fraude fiscale (article 322, § 3, du CIR 1992), mais aucune obligation n’est prévue quant à une notification simultanée à la personne du contribuable, de sorte que ce dernier n’est pas informé de cette consultation, qu’il ne peut pas s’opposer à celle-ci ni se défendre et qu’il est, par conséquent, privé du droit de la soumettre au contrôle du juge. En outre, lorsqu’une des nombreuses personnes habilitées à recevoir l’information (comme les membres du personnel de la Banque nationale de Belgique, le receveur, les fonctionnaires de l’Administration générale des douanes et accises, le procureur du Roi, le juge d’instruction, les cours et tribunaux, le « Vlaamse Belastingdienst » (l’administration fiscale flamande), la sûreté de l’État, la Chambre nationale des huissiers de justice, ...) consulte le PCC sans qu’existent des indices de fraude fiscale, cette consultation ne doit
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pas non plus être notifiée, de sorte que le contribuable ne sera de nouveau pas informé de ce que des personnes habilitées à recevoir l’information connaissent ses données financières et de ce que de telles données seront échangées entre les fonctionnaires chargés de l’établissement et du recouvrement des impôts, sur la base de l’article 335 du CIR 1992.
A.5.2. Selon le Conseil des ministres, le PCC ne pourra, en ce qui concerne l’établissement des impôts, être consulté par l’administration fiscale qu’après que le contribuable lui-même sera resté en défaut de faire la transparence sur ses revenus. Le PCC ne peut en effet être consulté qu’après que le contribuable lui-même a d’abord eu la possibilité de faire preuve de transparence. En ce qui concerne le recouvrement des impôts, le receveur ne consultera le PCC que si, après le recouvrement amiable, le contribuable reste en défaut de régler ses dettes fiscales.
A.5.3. Les parties requérantes réfutent les points de vue défendus par le Conseil des ministres et estiment que l’extension de l’obligation de communication au PCC n’est pas justifiée par l’objectif d’obtenir une idée précise des revenus du contribuable.
A.6.1. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce que, dans le cadre de la levée du secret bancaire, le contribuable a la possibilité de réagir à temps et dans un délai raisonnable pour contester devant un juge indépendant la légalité des indices de fraude fiscale et la demande de renseignements adressée à l’établissement financier, alors qu’il ne peut le faire lorsque l’administration fiscale consulte le PCC et que les soldes de tous les comptes bancaires et de paiement et les montants globalisés de certains contrats financiers sont également mis à disposition.
Dans la notification, l’administration fiscale doit informer le contribuable de l’enquête qu’elle a menée et qui a révélé des indices de fraude fiscale, de sorte que le contribuable a la possibilité de réagir à temps et de contester la légalité de ces indices de fraude fiscale. À défaut d’une notification, la légalité des indices ne peut être contrôlée.
La différence de traitement n’est pas justifiée, dès lors que, dans les deux cas, il existe une présomption de fraude fiscale à l’égard du contribuable, mais que les conséquences sont totalement différentes selon qu’il y a eu notification ou non.
A.6.2. Le Conseil des ministres souligne que le contribuable sera déjà informé de la tenue de l’enquête, dès lors que l’administration fiscale doit d’abord adresser la demande de renseignements complémentaire au contribuable lui-même, avant de pouvoir consulter le PCC. Si le contribuable fait preuve de suffisamment de transparence et qu’il peut démontrer qu’il n’y a pas d’indices de fraude fiscale, l’administration fiscale ne sera pas contrainte de consulter également le PCC.
A.6.3. Les parties requérantes constatent que le Conseil des ministres confirme à nouveau l’absence de nécessité lorsqu’il soutient qu’une demande de renseignements doit être introduite auprès de l’établissement financier après consultation des soldes. Lorsqu’une demande de renseignements est adressée à un établissement financier, une notification doit en effet bel et bien être envoyée au contribuable.
A.7.1. Les parties requérantes prennent un dernier moyen de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec les articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dès lors que la consultation du PCC
fondée sur l’article 322, § 3, du CIR 1992 porte sur les comptes bancaires et de paiement belges et sur certains contrats financiers, alors que la consultation du PCC fondée sur l’article 322, § 5, du CIR 1992 porte sur des comptes de paiement étrangers auxquels l’administration fiscale n’a pas accès. La justification de cette différence de traitement, qui fait référence à la décision de mettre un terme à la procédure de régularisation des revenus non déclarés, ne peut être suivie. Jusqu’au 31 décembre 2023, il est en effet encore possible de procéder à des régularisations, alors que les données qui doivent être communiquées au PCC portent sur les années 2020, 2021, 2022, 2023 et suivantes.
A.7.2. Le Conseil des ministres renvoie aux travaux préparatoires et constate que les parties requérantes négligent le fait que la régularisation fiscale est possible non seulement en ce qui concerne des revenus placés à l’étranger, mais également en ce qui concerne les revenus qui n’ont pas été déclarés et qui se trouvent sur des comptes bancaires et de paiement belges. Les dispositions attaquées visent à faire régulariser plus rapidement les revenus placés sur des comptes belges sans avoir été déclarés.
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Au niveau international, il existe déjà un échange automatique des données financières grâce à l’instauration du CRS, de sorte qu’il n’est plus possible de traiter les données du PCC avec un plus grand « souci de protection des données » que les données financières échangées au niveau international. Dès lors que l’obligation de communication au PCC est étendue, la différence de traitement entre les comptes belges et les comptes étrangers n’existe plus.
A.7.3. Les parties requérantes soutiennent que le PCC ne peut être consulté que s’il existe des indices de fraude fiscale. Par conséquent, S’il n’existe pas d’indices de fraude fiscale, le PCC ne pourra pas être consulté. Le Conseil des ministres argue qu’il y a beaucoup d’argent non déclaré sur les comptes belges en raison de l’absence d’échange automatique de données, alors que cet échange automatique est prévu en ce qui concerne les comptes étrangers. Les parties requérantes en déduisent qu’en ce que le secret bancaire ne peut pas être levé en raison de l’absence d’indices de fraude fiscale, l’administration fiscale ne peut pas consulter ces données financières et ces comptes resteraient sous le radar. De ce fait, les titulaires de comptes belges placent leur argent non déclaré sur des comptes belges parce qu’il n’est pas prévu d’échange automatique de données en ce qui concerne ces comptes.
Selon les parties requérantes, le Conseil des ministres néglige ainsi les obligations qui incombent aux établissements financiers de définir des politiques, des procédures et des mesures de contrôle interne, en exécution de l’article 8 de la loi du 18 septembre 2017 « relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces ».
-B-
Quant aux dispositions attaquées
B.1. Les parties requérantes demandent l’annulation des articles 18 à 22 de la loi-
programme du 20 décembre 2020. Les articles attaqués font tous partie du chapitre 4
(« Transmission au point de contact central du solde des comptes bancaires et de paiement, et des contrats financiers ») du titre 2 (« Finances ») de la loi-programme précitée. Ces articles sont entrés en vigueur le 31 décembre 2020, en vertu de l’article 21 de ladite loi.
B.2.1. L’article 322, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu’il a été modifié par l’article 18 de la loi-programme attaquée, dispose actuellement :
« Tout établissement de banque, de change, de crédit et d’épargne est tenu de communiquer au Point de contact central tenu par la Banque nationale de Belgique conformément à la loi du 8 juillet 2018 portant organisation d’un Point de contact central des comptes et contrats financiers et portant extension de l’accès du fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession, de règlement collectif de dettes et de protêt, les données visées à l’article 4 de cette loi qui se rapportent aux comptes bancaires et de paiement au sens de l’article 2, 7°, de la même loi et aux contrats financiers au sens de l’article 2, 10°, de la même loi.
L’article 5 de la loi précitée du 8 juillet 2018 s’applique à ces données.
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Cette obligation ne s’applique que lorsque la communication de ces données n’est pas déjà rendue obligatoire par la loi précitée du 8 juillet 2018.
Lorsque l’agent désigné par le ministre, visé au paragraphe 2, alinéa 3, a constaté que l’enquête visée au paragraphe 2, a révélé un ou plusieurs indices de fraude fiscale, il peut demander au point de contact central les données disponibles relatives à ce contribuable. Le cas échéant, les données d’identification relatives à un numéro de compte découvert lors de l’enquête précitée et dont le contribuable n’identifie pas le titulaire, peuvent être demandées auprès du point de contact central.
Dans le seul but de respecter les obligations du présent paragraphe, les établissements de banque, de change, de crédit et d'épargne et la Banque Nationale de Belgique ont l'autorisation d'utiliser le numéro d'identification dans le Registre national des personnes physiques pour identifier les clients ».
B.2.2. L’article 62bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : le Code de la TVA), tel qu’il a été modifié par l’article 19 de la loi-programme attaquée, dispose :
« Par dérogation aux articles 61, § 1er, et 62, § 1er, les agents de l'administration en charge de la taxe sur la valeur ajoutée ne peuvent exiger, en vue de vérifier la correcte application de la taxe à charge de tiers, la communication des livres et documents autres que ceux visés à l'article 60, § 4, alinéa 1er, et la fourniture de renseignements de la Banque de La Poste, des établissements de banque, de change, de crédit et d'épargne, que lorsqu'ils agissent en vertu d'une autorisation délivrée par le fonctionnaire désigné à cet effet par le Ministre des Finances.
Les agents de l’administration en charge de la taxe sur la valeur ajoutée avec le grade de conseiller général au moins ont l’autorisation de demander, lorsque l’administration dispose d’un ou de plusieurs indices de fraude fiscale, les données disponibles visées à l’article 322, § 3, alinéa 1er , du Code des impôts sur les revenus 1992, relatives à un redevable au point de contact central de la Banque Nationale de Belgique.
L’autorisation visée à l’alinéa précédent est uniquement octroyée lorsque tous les autres moyens légaux nécessaires pour l’obtention des renseignements ou informations requis, sauf le droit de visite prévu à l’article 63 ont été épuisés et, ce après avoir interrogé le redevable. A
l’occasion de cette interrogation, il est communiqué au redevable qu’à défaut de réponse, il sera procédé à la consultation du point de contact central visé à l’alinéa 2.
La consultation du point de contact central visé à l’alinéa 2, a lieu selon les modalités prévues en application de l’article 322, § 3, alinéa 3, 3°, du Code des impôts sur les revenus 1992 ».
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B.2.3.1. L’article 4 de la loi du 8 juillet 2018 « portant organisation d’un point de contact central des comptes et contrats financiers et portant extension de l’accès au fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession, de règlement collectif de dettes et de protêt » (ci-après :
la loi du 8 juillet 2018), tel qu’il avait été modifié par l’article 20 de la loi-programme attaquée, disposait (modifications en italique) :
« Chaque redevable d’information communique sans délai les informations suivantes au PCC, en ce qui concerne chacun de ses clients :
1° l’ouverture ou la fermeture de chaque compte bancaire ou de paiement dont le client est titulaire ou co-titulaire, l’octroi ou la révocation d’une procuration à un ou plusieurs mandataires sur ce compte bancaire ou de paiement et l’identité de ce ou ces mandataire(s), de même que le solde périodique de ce compte bancaire ou de paiement, ainsi que sa date et le numéro de ce compte bancaire ou de paiement;
2° l’existence d’une ou plusieurs transactions financières impliquant des espèces effectuées par le redevable d’information, par lesquelles des espèces ont été versées ou retirées par son client ou pour son compte ainsi que, dans ce dernier cas, l’identité de la personne physique qui a effectivement versé ou reçu les espèces pour compte de ce client, ainsi que sa date;
3° l’existence ou la fin de l’existence d’une relation contractuelle avec le client, de même que le montant globalisé périodique , exprimé en euros, sur lequel porte l’ensemble des différents contrats financiers visés à l’article 4, alinéa 1er, 3°, b), et 4, alinéa 1er , 3°, c), conclus avec ce client, ainsi que sa date, en ce qui concerne chacun des types des contrats financiers suivants :
a) la location de coffres, visée à l’article 4, alinéa 1er , 14), de la loi du 25 avril 2014
relative au statut et au contrôle des établissements de crédit et des sociétés de bourse;
b) le contrat d’assurance-vie qui relève de la branche 21 visée à l’annexe II de la loi du 13 mars 2016 relative au statut et au contrôle des entreprises d’assurance ou de réassurance, ainsi que le contrat d’assurance relevant des branches 23, 25 ou 26 visée à l’annexe II précitée et dont le risque de placement est supporté par le preneur d’assurance, à l’exception toutefois des assurances décès ainsi que des contrats conclus dans le cadre d’un des trois piliers du système belge des pensions;
c) la convention portant sur des services d’investissement et/ou des services auxiliaires visés à l’article 1er , § 3, alinéa 2, de la loi précitée du 25 avril 2014, en ce compris la tenue pour les besoins du client de dépôts à vue ou à terme renouvelable en attente d’affectation à l’acquisition d’instruments financiers ou de restitution, conformément à l’article 533, § 1er , de la même loi;
d) le crédit hypothécaire, tel que visé à l’article I.9, 53/3° du Code de droit économique, quelle qu’en soit la qualification ou la forme, consenti à une personne physique qui agit
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principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales;
e) la convention de vente à tempérament, à savoir toute convention, quelle qu’en soit la qualification ou la forme, en vertu de laquelle un crédit est consenti à une personne physique qui agit principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales, qui doit normalement emporter acquisition de biens meubles corporels ou prestation de services, vendus par le prêteur ou l’intermédiaire de crédit et dont le prix s’acquitte par versements périodiques;
f) la convention de location-financement, à savoir toute convention qui répond aux critères établis à l’article 95, § 1er, de l’arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du Code des sociétés pour la rubrique III.D ‘ Location-financement et droits similaires ’, étant toutefois entendu que les mots ‘ la société ’ dans la rubrique III.D précitée doivent être lus comme ‘ le client ’ pour la présente définition;
g) la convention de prêt à tempérament, à savoir toute convention, quelle qu’en soit la qualification ou la forme, en vertu de laquelle un crédit est consenti à une personne physique qui agit principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales et aux termes de laquelle une somme d’argent ou un autre moyen de paiement est mis à la disposition du preneur de crédit qui s’engage à rembourser le prêt par versements périodiques;
h) l’ouverture de crédit, à savoir toute convention, quelle qu’en soit la qualification ou la forme, en vertu de laquelle un crédit est consenti à une personne physique qui agit principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales et aux termes de laquelle un pouvoir d’achat, une somme d’argent ou tout autre moyen de paiement est mis à la disposition du preneur de crédit, qui peut l’utiliser en faisant un ou plusieurs prélèvements de crédit notamment à l’aide d’un instrument de paiement ou d’une autre manière, et qui s’engage à rembourser selon les conditions convenues;
i) toute autre convention que visée aux points c) à h) ci-dessus, en vertu de laquelle un prêteur met des fonds à disposition d’une personne physique ou morale, y compris les facilités de découvert non autorisées sur un compte, ou s’engage à mettre des fonds à disposition d’une entreprise à condition que ceux-ci soient remboursés à terme, ou se porte garant d’une entreprise;
j) ainsi que toute autre convention ou transaction dont la connaissance de l’existence est pertinente pour l’exécution de ses missions légales par une personne habilitée à recevoir l’information. Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres et après avis de la Cellule de Traitement des Informations Financières et de la BNB, la liste des conventions et transactions concernées.
[...]
Le Roi détermine, en outre, par arrêté délibéré en Conseil des ministres :
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- la périodicité suivant laquelle le solde des comptes bancaires et de paiement et le montant globalisé des contrats financiers doivent être arrêtés par le redevable d’information en vue de leur communication conformément à l’alinéa 1er , 1° et 3°;
- le montant minimum en dessous duquel le solde et le montant visés au tiret précédent ne doivent pas être communiqués au PCC par le redevable d’information ».
B.2.3.2. L’article 4 de la loi du 8 juillet 2018 a ensuite été modifié à nouveau par l’article 115 de la loi du 27 juin 2021 « portant des dispositions fiscales diverses et modifiant la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces » (ci-après : la loi du 27 juin 2021) et par l’article 3 de la loi du 2 décembre 2021 « modifiant la loi du 8 juillet 2018 portant organisation d’un point de contact central des comptes et contrats financiers et portant extension de l’accès au fichier central des avis de saisie, de délégation, de cession, de règlement collectif de dettes et de protêt » (ci-après : la loi du 2 décembre 2021). L’article 4
dispose actuellement (modifications en italique) :
« Chaque redevable d’information communique sans délai les informations suivantes au PCC, en ce qui concerne chacun de ses clients :
1° l’ouverture ou la fermeture de chaque compte bancaire ou de paiement dont le client est titulaire ou co-titulaire, l’octroi ou la révocation d’une procuration à un ou plusieurs mandataires sur ce compte bancaire ou de paiement et l’identité de ce ou ces mandataire(s), de même que le solde périodique de ce compte bancaire ou de paiement, ainsi que sa date et le numéro de ce compte bancaire ou de paiement;
2° l’existence d’une ou plusieurs transactions financières impliquant des espèces effectuées par le redevable d’information, par lesquelles des espèces ont été versées ou retirées par son client ou pour son compte ainsi que, dans ce dernier cas, l’identité de la personne physique qui a effectivement versé ou reçu les espèces pour compte de ce client, ainsi que sa date;
3° l’existence ou la fin de l’existence d’une relation contractuelle avec le client, de même que le montant globalisé périodique, exprimé en euros, sur lequel porte l’ensemble des différents contrats financiers visés aux b) et c) ci-dessous, conclus avec ce client, ainsi que sa date, en ce qui concerne chacun des types des contrats financiers suivants :
a) la location de coffres, visée à l’article 4, alinéa 1er, 14), de la loi du 25 avril 2014
relative au statut et au contrôle des établissements de crédit et des sociétés de bourse;
b) le contrat d’assurance-vie qui relève de la branche 21 visée à l’annexe II de la loi du 13 mars 2016 relative au statut et au contrôle des entreprises d’assurance ou de réassurance, ainsi que le contrat d’assurance relevant des branches 23, 25 ou 26 visée à l’annexe II précitée
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et dont le risque de placement est supporté par le preneur d’assurance, à l’exception toutefois des assurances décès ainsi que des contrats conclus dans le cadre d’un des trois piliers du système belge des pensions;
c) la convention portant sur des services d’investissement et/ou des services auxiliaires visés à l’article 1er, § 3, alinéa 2, de la loi précitée du 25 avril 2014, en ce compris la tenue pour les besoins du client de dépôts à vue ou à terme renouvelable en attente d’affectation à l’acquisition d’instruments financiers ou de restitution, conformément à l’article 533, § 1er, de la même loi;
d) le crédit hypothécaire, tel que visé à l’article I.9, 53/3° du Code de droit économique, quelle qu’en soit la qualification ou la forme, consenti à une personne physique qui agit principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales;
e) la convention de vente à tempérament, à savoir toute convention, quelle qu’en soit la qualification ou la forme, en vertu de laquelle un crédit est consenti à une personne physique qui agit principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales, qui doit normalement emporter acquisition de biens meubles corporels ou prestation de services, vendus par le prêteur ou l’intermédiaire de crédit et dont le prix s’acquitte par versements périodiques;
f) la convention de location-financement, à savoir toute convention qui répond aux critères établis à l’article 3:89 de l’arrêté royal du 29 avril 2019 portant exécution du Code des sociétés et des associations pour la rubrique III.D ‘ Location-financement et droits similaires ’, étant toutefois entendu que les mots ‘ la société ’ dans la rubrique III.D précitée doivent être lus comme ‘ le client ’ pour la présente définition;
g) la convention de prêt à tempérament, à savoir toute convention, quelle qu’en soit la qualification ou la forme, en vertu de laquelle un crédit est consenti à une personne physique qui agit principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales et aux termes de laquelle une somme d’argent ou un autre moyen de paiement est mis à la disposition du preneur de crédit qui s’engage à rembourser le prêt par versements périodiques;
h) l’ouverture de crédit, à savoir toute convention, quelle qu’en soit la qualification ou la forme, en vertu de laquelle un crédit est consenti à une personne physique qui agit principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales, professionnelles ou artisanales et aux termes de laquelle un pouvoir d’achat, une somme d’argent ou tout autre moyen de paiement est mis à la disposition du preneur de crédit, qui peut l’utiliser en faisant un ou plusieurs prélèvements de crédit notamment à l’aide d’un instrument de paiement ou d’une autre manière, et qui s’engage à rembourser selon les conditions convenues;
i) toute autre convention que visée aux points c) à h) ci-dessus, en vertu de laquelle un prêteur met des fonds à disposition d’une personne physique ou morale, y compris les facilités de découvert non autorisées sur un compte, ou s’engage à mettre des fonds à disposition d’une entreprise à condition que ceux-ci soient remboursés à terme, ou se porte garant d’une entreprise;
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j) ainsi que toute autre convention ou transaction dont la connaissance de l’existence est pertinente pour l’exécution de ses missions légales par une personne habilitée à recevoir l’information. Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres et après avis de la Cellule de Traitement des Informations Financières et de la BNB, la liste des conventions et transactions concernées.
[...]
Le Roi détermine, en outre, par arrêté délibéré en Conseil des ministres :
- la périodicité suivant laquelle le solde des comptes bancaires et de paiement et le montant globalisé des contrats financiers doivent être arrêtés par le redevable d’information en vue de leur communication conformément à l’alinéa 1er, 1° et 3°;
Le Roi peut déterminer, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, le montant minimum en dessous duquel le solde et le montant visés à l’alinéa 6 ne doivent pas être communiqués au PCC par le redevable d’information ».
B.2.4. L’article 21 de la loi-programme attaquée dispose :
« Les dispositions du présent chapitre entrent en vigueur le 31 décembre 2020 ».
B.2.5. L’article 22 de la loi-programme attaquée dispose :
« La première communication par les redevables d’information des soldes des comptes bancaires et de paiement, ainsi que des montants globalisés des contrats financiers pour les années 2020 et 2021 devra être effectuée au plus tard le 31 janvier 2022.
[...] ».
B.3.1. Par les dispositions attaquées, le législateur vise à encourager la lutte contre la fraude fiscale, en renforçant la transparence relative aux données du contribuable, qui sont collectées au niveau du point de contact central (ci-après : le PCC). Le PCC est une banque de données électronique tenue par la Banque nationale de Belgique qui répertorie toutes sortes de données financières, de comptes ou encore de contrats qui sont détenus en Belgique auprès d’établissements financiers tant par des résidents que par des non-résidents.
Les travaux préparatoires de la loi-programme du 20 décembre 2020 mentionnent :
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« Conformément à l’accord du gouvernement, la lutte contre la fraude est inscrite comme une priorité dans la mesure où la fraude sape le système fiscal. Particulièrement dans les conditions actuelles, avec la crise sanitaire due au COVID-19, toute personne se doit de contribuer au nécessaire financement de nos soins de santé et du plan de relance. Compte tenu de cet objectif, une des mesures de transparence et de prévention proposées est, dans le cadre de la faculté existante pour l’administration fiscale de consulter le Point de contact central (PCC) d’élargir cette consultation aux données relatives au solde des comptes bancaires et de paiement et des contrats qui devront désormais être communiquées au PCC. Après l’élargissement du PCC, l’administration pourra consulter ces données supplémentaires, dans les conditions déjà établies par l’article 322, § 2, du Code des impôts sur les revenus 1992.
Le principe est désormais inscrit dans l’article 322, § 3, du Code précité, qui exige la communication par les redevables de l’information (tout établissement de banque, de change, de crédit et d’épargne) de toutes les données visées à l’article 4 de la loi du 8 juillet 2018 portant organisation d’un Point de contact central des avis de saisie, de délégation, de cession, de règlement collectif de dettes et de protêt (loi-cadre PCC) concernant les comptes bancaires et de paiement, ainsi que les contrats financiers expressément repris dans la loi. [...]
C’est précisément dans la loi-cadre PCC que l’obligation de communiquer le solde périodique des comptes bancaires et de paiement ainsi que le montant globalisé d’un ensemble de contrats financiers expressément visés.
Ainsi, l’article 322, § 3, alinéa 1er, CIR 92 a été réécrit de manière à pouvoir, sans entraîner aucune modification au champ d’application des dispositions existantes, opérer un alignement total entre les dispositions fiscales régissant la consultation par le Service public fédéral Finances du PCC et la loi cadre PCC du 8 juillet 2018, et ce afin d’éviter toute discordance dans les termes employés dans les deux législations précitées.
[...]
Ainsi, l’administration fiscale pourra consulter auprès du PCC, sur la base des articles 322, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1992 et 75 du Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales, le solde des comptes et le montant globalisé des contrats des contribuables dans le cadre du recouvrement des créances gérées par l’Administration générale de la Perception et du Recouvrement.
L’administration fiscale pourra également consulter les données évoquées supra dans le cadre de la taxation en vue de la vérification de l’impôt dû (impôts sur les revenus, taxes assimilées aux impôts sur les revenus et TVA) par un contribuable déterminé mais uniquement si des investigations préalables auront été effectuées (procédure par paliers).
[...]
Les modifications apportées à l’article 4 de la loi cadre-PCC constituent le cœur du dispositif qui permet de mettre en place la consultation par le SPF Finances des soldes des comptes bancaires et de paiement et du montant globalisé des contrats financiers, contractés par
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les redevables des informations avec leurs clients. Ainsi, l’article 4, 1° et 3°, de la même loi est modifié pour imposer la communication des soldes des comptes bancaires et de paiement et des montants globalisés des contrats financiers visés à l’article 4, alinéa 1er, 3°, b) et à l’article 4, alinéa 1er, 3°, c), au PCC par les redevables d’information, au sens de l’article 2, 4°, de la même loi » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1662/001, pp. 32-34).
Les travaux préparatoires de la loi du 2 décembre 2021 mentionnent à cet égard :
« La transformation du PCC d’une base de données actualisée une fois par an seulement en une base de données dynamique et actualisée en permanence, couplée à la possibilité désormais offerte aux personnes habilitées à recevoir l’information d’accéder à l’information recueillie par le PCC sans délai, via des connexions informatiques instantanées, a grandement amélioré l’efficacité des outils dont les autorités disposent dans leur lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la grande criminalité.
Elle améliore de même la perception de l’arriéré d’impôt dû et la récupération du montant des amendes, des saisies et des confiscations en matière pénale » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2244/001, p. 4).
B.3.2. Le PCC a été créé par l’article 55 de la loi du 14 avril 2011 « portant des dispositions diverses » et avait initialement pour objectif de permettre à l’administration fiscale « de retrouver rapidement les numéros de compte cachés » (Doc. parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-1208/012, p. 23). Les établissements de banque, de change, de crédit et d’épargne devaient communiquer chaque année au PCC les numéros de tous les comptes bancaires et l’existence de certains types de contrats financiers existant à un moment quelconque de l’année civile révolue au nom de personnes physiques et morales, installées en Belgique ou non. Lors de sa création, le PCC a été considéré comme une banque de données purement fiscale, uniquement accessible pour les besoins des services de contrôle et du recouvrement en matière d’impôts sur les revenus.
La création du point de contact central visait à permettre à l’administration fiscale de procéder à un contrôle et à une perception plus efficaces des impôts sur les revenus dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale et à permettre également de lever le « secret bancaire »
(article 318 du CIR 1992) en cas d’indices de fraude fiscale ou lorsque l’administration envisage de déterminer d’office la base imposable sur le fondement de signes et d’indices (article 322, § 2, du CIR 1992).
B.3.3. Toutefois, diverses évolutions de droit européen et internationales, en particulier la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 « modifiant la
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directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE », ont nécessité la mise en place d’un nouveau cadre juridique pour le PCC. Le nouveau cadre juridique a été défini dans la loi du 8 juillet 2018, de sorte que le PCC a été extrait de la sphère fiscale et adapté aux besoins d’autres intéressés.
Le législateur entendait faire du PCC « un instrument performant dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, contre le financement du terrorisme et de la grande criminalité et contre la fraude fiscale » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-3114/001, p. 6).
Les travaux préparatoires de la loi du 8 juillet 2018 mentionnent :
« La finalité du PCC consiste essentiellement à rassembler les informations relatives aux comptes et contrats financiers existant en Belgique dans une base de données structurée unique, afin de fournir rapidement les informations qui sont nécessaires aux autorités, personnes et organismes que le législateur a déjà habilités et pourrait habiliter dans le futur par le biais de législations spécifiques à demander ces informations, pour la réalisation de leurs missions d’intérêt général » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, DOC 54-3114/001, p. 7).
B.3.4. Les dispositions attaquées se situent donc après la création du PCC et de son nouveau cadre organique (la loi du 8 juillet 2018). Les parties requérantes ne remettent pas en question la finalité du traitement des données par le PCC, mais le devoir renforcé d’information de la part des redevables.
Quant à la recevabilité
B.4. Les cinq moyens sont dirigés contre les articles 18 à 22 de la loi-programme, attaquée, du 20 décembre 2020, dont l’article 20 a été modifié ensuite par l’article 115 de la loi du 27 juin 2021, entrée en vigueur le 30 juin 2021 (B.2.3.2).
À partir de cette date, le recours a donc perdu partiellement son objet en tant qu’il est dirigé contre l’article 20. En effet, aucune des parties requérantes n’a introduit un recours contre l’article 115 de la loi du 27 juin 2021 dans le délai de six mois à compter de sa publication au Moniteur belge le 30 juin 2021.
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En outre, il ne semble pas que le Roi ait donné exécution à l’article 4, alinéa 6, de la loi du 8 juillet 2018. La Cour constate en particulier que le choix du Roi de ne pas exécuter la disposition précitée (Rapport au Roi, arrêté royal du 6 juin 2021 « modifiant l’arrêté royal du 7 avril 2019 relatif au fonctionnement du point de contact central des comptes et contrats financiers » (ci-après : l’arrêté royal du 6 juin 2021)) a conduit à la modification législative du 27 juin 2021 (Doc. parl., Chambre, 2020--2021, DOC 55-1993/001, p. 60).
Dès lors que l’article 20 de la loi du 8 juillet 2018 n’a pas été exécuté avant l’entrée en vigueur de l’article 115 de la loi du 27 juin 2021, disposition qui n’a pas été attaquée, les parties requérantes ne justifient pas d’un intérêt à demander l’annulation de cette disposition en tout ou partie.
B.5.1. Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens portent sur l’éventuelle violation du droit au respect de la vie privée (deuxième moyen), du droit d’accès au juge (troisième moyen) et du principe d’égalité (quatrième et cinquième moyens).
B.5.2. Un recours dirigé contre la violation d’un droit fondamental qui ne résulte pas de la loi attaquée mais qui est déjà contenue dans une loi antérieure n’est pas recevable.
Toutefois, si, dans une législation nouvelle, le législateur reprenait une disposition ancienne et s’appropriait de cette manière son contenu, un recours pourrait être introduit contre la disposition reprise, dans les six mois de sa publication.
B.5.3. Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens concernent cependant des modalités qui existaient dès la naissance du PCC, notamment pour ce qui concerne la procédure par paliers dans le cadre de la levée du secret bancaire (article 322, § 2, du CIR 1992), lequel prévoit que le contribuable est d’abord invité à fournir des informations et que ce n’est que lorsque celui-ci dissimule les informations ou refuse de les communiquer qu’une autorisation de levée du secret bancaire peut être donnée et que des informations peuvent être réclamées à l’établissement financier (quatrième et cinquième moyens) et la consultation du PCC sans
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notification simultanée au contribuable (deuxième et troisième moyens), et que les dispositions attaquées ne modifient pas (article 322, § 3, du CIR 1992) (B.3.4).
En ce que les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens critiquent des modalités qui existaient déjà, le recours en annulation a été introduit tardivement et est donc irrecevable.
Quant au fond
B.6. Le premier moyen porte sur l’éventuelle violation du droit à la protection de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel.
Selon les parties requérantes, l’obligation pour les établissements financiers de communiquer au PCC les soldes périodiques des comptes bancaires et de paiement et le montant globalisé périodique de certains contrats financiers de tous les contribuables constitue une ingérence illicite dans le droit au respect de la vie privée des personnes concernées, ainsi que des personnes avec qui celles-ci ont réalisé ces transactions financières. L’extension des données financières à communiquer au PCC ne serait pas strictement nécessaire dans une société démocratique parce que les objectifs pourraient aussi être atteints par d’autres moyens moins sensibles quant au respect de la vie privée. En outre, le risque d’un recours abusif au PCC serait accru.
B.7.1. À l’appui de leur recours en annulation, les parties requérantes invoquent différentes dispositions nationales et internationales.
B.7.2. L’article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
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B.7.3. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un tout indissociable.
B.7.4. L’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose :
« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ».
L’article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose :
« 1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.
2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification.
3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante ».
Les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après :
la Charte) ont, en ce qui concerne le traitement des données à caractère personnel, une portée analogue à celle de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CJUE, grande chambre, 9 novembre 2010, C-92/09 et C-93/09, Volker und Markus Schecke GbR et autres) et de l’article 22 de la Constitution. Il en va de même pour l’article 16, paragraphe 1,
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du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et pour l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
L’article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose :
« Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».
B.7.5. L’article 16, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose :
« Toute personne a droit à la protection de ses données personnelles ».
B.7.6. L’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« 1. Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.
2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ».
B.8.1. Le droit au respect de la vie privée, tel qu’il est garanti par les dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées, a pour but essentiel de protéger les personnes contre les ingérences dans leur vie privée. Ce droit a une portée étendue et englobe notamment la protection des données à caractère personnel et des informations financières personnelles.
B.8.2. Les droits que garantissent l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne sont toutefois pas absolus. Ils n’excluent pas une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, mais exigent que cette ingérence soit prévue par une disposition législative suffisamment précise, qu’elle réponde à un besoin social impérieux dans une société démocratique et qu’elle soit proportionnée à l’objectif légitime qu’elle poursuit.
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Le législateur dispose en la matière d’une marge d’appréciation. Cette marge n’est toutefois pas illimitée : pour qu’une norme soit compatible avec le droit au respect de la vie privée, il faut que le législateur ait établi un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause.
B.8.3. La collecte et le traitement de données relatives aux comptes et aux transactions financières constituent une ingérence dans le droit au respect de la vie privée des personnes concernées, ainsi que des personnes avec qui celles-ci ont réalisé des opérations financières.
La Cour doit dès lors veiller à ce que le législateur, lorsqu’il crée pour l’administration fiscale des possibilités supplémentaires de prendre connaissance de données relatives aux comptes et transactions financières, respecte les conditions dans lesquelles une telle ingérence dans le droit au respect de la vie privée, et le cas échéant de la vie familiale, est admissible au regard de l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8 et 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 16, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et avec l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
B.9. L’article 322, § 2, du CIR 1992 autorise l’administration fiscale, dans le cadre des impôts sur les revenus, sous certaines conditions, à exiger des établissements financiers la communication de données financières concernant l’un de leurs clients dans deux hypothèses :
la première, lorsque l’administration dispose d’un ou de plusieurs indices de fraude fiscale, la seconde, lorsque l’administration envisage de déterminer la base imposable conformément à l’article 341 du CIR 1992.
L’article 62bis, alinéa 2, du Code de la TVA autorise l’administration fiscale, dans le cadre de la taxe sur la valeur ajoutée, sous certaines conditions, et lorsqu’elle dispose d’un ou de plusieurs indices de fraude fiscale, à réclamer auprès du PCC les données financières visées à l’article 322, § 3, alinéa 1er, du CIR 1992 concernant l’un des clients de ces établissements.
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Les données financières qui doivent être communiquées sont celles qui sont visées à l’article 4 de la loi du 8 juillet 2018. N’est toutefois contestée que l’extension des données soumises à l’obligation de déclaration par la loi-programme du 20 décembre 2020, attaquée.
La Cour limite donc son examen à l’obligation de communiquer les soldes des comptes bancaires et de paiement et les montants globalisés de certains contrats financiers.
B.10.1. Compte tenu de l’objectif selon lequel « toute personne se doit de contribuer au nécessaire financement de nos soins de santé et du plan de relance » (Doc. parl.,Chambre, 2020-2021, DOC 55-1662/001, p. 32), une des mesures de transparence et de prévention proposées est « d’élargir cette consultation [du PCC] aux données relatives au solde des comptes bancaires et de paiement et des contrats qui devront désormais être communiquées au [PCC]. Après [l’élargissement du PCC], l’administration pourra consulter ces données supplémentaires, dans les conditions déjà établies par l’article 322, § 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1662/001, p. 32). Il s’agit d’une « mesure d’ordre préventif [qui] permet d’assurer une plus grande transparence et doit favoriser l’efficience d’autres mesures » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1662/010, p. 11).
Les travaux préparatoires de la loi-programme du 20 décembre 2020 mentionnent en outre :
« Elle constitue en outre un instrument de lutte efficace - et à moindre coût - contre la fraude fiscale, [...] en permettant d’appréhender beaucoup plus facilement qu’actuellement les montants se trouvant sur un compte bancaire par exemple.
La consultation du solde des comptes permettra ainsi au receveur qui souhaite procéder à une saisie-arrêt simplifiée de l’effectuer sur des comptes dont le dernier solde est suffisant pour contribuer à apurer les dettes, et d’éviter ainsi autant que possible des démarches aussi coûteuses et énergivores qu’inutiles.
Cette mesure, concomitante à la décision de mettre un terme à la procédure de régularisation de revenus non déclarés, doit encourager les contribuables négligents à se mettre sans délai en ordre du point de vue fiscal, ce qui constitue un pas important vers davantage de justice fiscale » (Doc. parl., Chambre, 2020-2021, DOC 55-1662/010, pp. 11-12).
B.10.2. Selon les travaux préparatoires, le PCC a différentes finalités :
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« Par ailleurs, cette consultation du solde des comptes et des montants globalisés de certains contrats financiers ne bénéficie pas uniquement aux autorités fiscales mais également au pouvoir judiciaire (ministère public, juges d’instruction, cours et tribunaux agissant en matière pénale), par exemple dans le cadre des enquêtes visant à récupérer les amendes pénales et à réaliser les saisies et confiscations ordonnées par la Justice, dans la lutte contre l’insolvabilité organisée et dans la mise à nu des filières de la grande criminalité financière, à la cellule de traitement des informations financières dans le cadre des enquêtes sur le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la grande criminalité, aux services de renseignement et de sécurité ou encore aux notaires dans le cadre de successions ouvertes, en leur permettant de détecter d’éventuelles donations extra-réservataires ou d’appréhender plus aisément la composition exacte du patrimoine à déclarer dans le cadre des droits de succession »
(ibid., p. 12).
Toutes ces finalités doivent donc être prises en compte, et pas seulement la finalité du contrôle des impôts sur les revenus.
B.11.1. Comme il est dit en B.3.1, le législateur, pour justifier les modifications attaquées, invoque, entre autres, la lutte contre la fraude fiscale. La fraude sape en effet le système fiscal.
Il se réfère aussi à la crise sanitaire due au COVID-19 et à la recherche d’une plus grande transparence en ce qui concerne les données du contribuable, afin de garantir un système fiscal plus juste et une plus grande efficacité en matière de perception des dettes fiscales.
Des événements passagers, tels qu’une crise sanitaire, ne peuvent toutefois pas justifier l’introduction de mesures permanentes.
B.11.2. Les travaux préparatoires de la loi du 2 décembre 2021 mentionnent :
« Par ailleurs, il apparaît de l’avis n° 122/2020 du 26 novembre 2020 de l’Autorité de protection des données, relatif au Chapitre 4 du Titre 2 de la loi-programme du 20 décembre 2020, qui porte sur la communication au PCC du solde des comptes bancaires et de paiement et du montant globalisé de certains contrats financiers, qu’une clarification de la nécessité du traitement de ces données à caractère personnel s’impose en l’occurrence.
[...]
Dans le contexte du traitement des données, il est important de souligner les tâches légales que l’administration fiscale est tenue d’accomplir. Cela concerne une multitude de tâches qui, dans le cadre d’une imposition correcte, vont des enquêtes fiscales à la perception et au recouvrement des dettes fiscales. À cet égard, il est primordial de souligner qu’en Belgique, le
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droit fiscal est d’ordre public. Ces lois sont réputées ‘ toucher aux intérêts essentiels de l’État ou de la communauté, ou sont basées sur les fondements économiques ou juridiques de la société ’. [...] La pratique a notamment montré que la longue procédure que l’administration fiscale devrait suivre pour obtenir les informations complémentaires similaires à celles reçues du PCC, compromettrait la bonne exécution de ces missions légales, telles que définies dans les lois fiscales d’ordre public donc. En effet, il ne faut pas oublier qu’il y a souvent une réticence considérable, par exemple, à coopérer à une enquête fiscale qui pourrait mettre au jour une fraude fiscale. L’affirmation de l’Autorité de protection des données [...] ne tient pas compte des nécessités de l’enquête fiscale et des missions légales effectuées par l’administration fiscale, et ne peut donc être soutenue, compte tenu des défis auxquels l’administration fiscale est confrontée. En outre, les limitations territoriales, temporelles et matérielles des compétences fiscales ont une incidence sur la protection des données et, à cette fin, il est utile de se référer à la loi du 3 août 2012 portant des dispositions relatives aux traitements de données à caractère personnel réalisés par le Service public fédéral Finances dans le cadre de ses missions, qui s’applique en conséquence en vue de la protection et du traitement des données à caractère personnel » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2244/001, pp. 5-6).
B.11.3. L’extension des données devant être communiquées crée une plus grande transparence au niveau fiscal et permet également de lutter efficacement et à moindre coût contre la fraude fiscale.
En outre, le PCC ne bénéficie pas uniquement à l’administration fiscale; d’autres entités aussi (les personnes habilitées à recevoir l’information (article 2, 5°, de la loi du 8 juillet 2018)), comme les autorités judiciaires, la Cellule de traitement des informations financières et les services de renseignement et de sécurité peuvent consulter le PCC, ce qui permet de répondre à des missions d’intérêt public de la première importance et de contribuer à la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2244/001, pp. 8-9).
B.11.4. Le « Common Reporting Standard » (norme commune en matière de déclaration)
(ci-après : le CRS), sur la base de la Convention conjointe OCDE/Conseil de l’Europe du 25 janvier 1988 concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale et de la directive 2014/107/UE du Conseil du 9 décembre 2014 « modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal », impose la communication des informations financières à des États tiers ou aux États membres de l’Union européenne concernant leurs résidents fiscaux, en ce compris le solde des comptes que ceux-ci détiennent en Belgique. La loi du 16 décembre 2015 « réglant la communication des renseignements relatifs aux comptes financiers, par les institutions financières belges et le
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SPF Finances, dans le cadre d’un échange automatique de renseignements au niveau international et à des fins fiscales » traite des soldes (article 5, § 2, f), de la loi précitée).
Il est donc raisonnablement justifié que les soldes des comptes bancaires et de paiement et les montants globalisés de certains contrats financiers de résidents soient répertoriés au niveau du PCC, lorsqu’une même information est échangée sur les soldes des comptes bancaires et de paiement de non-résidents.
B.11.5. L’absence d’un montant minimal en ce qui concerne les soldes et les montants globalisés ne conduit pas à une autre conclusion. Initialement, le Roi avait été habilité à fixer ce montant minimal. Toutefois, le Roi a estimé que la fixation de ce seuil minimal « entraînerait de sévères complications techniques pour les redevables de l’information, de sorte que la communication au PCC de tous les soldes et montants globalisés, quel qu’en soit le montant, est privilégiée » (Rapport au Roi, arrêté royal du 6 juin 2021). À la suite de l’avis émis par la section de législation du Conseil d’État (n° 68.960/2 du 29 mars 2021), il a été décidé d’adapter l’article 4 de la loi du 8 juillet 2018 (article 115 de la loi du 27 juin 2021) et de préciser que l’habilitation qui a été conférée au Roi ne revêt qu’un caractère facultatif.
L’absence d’un seuil minimal doit être mise en balance avec la périodicité introduite des soldes et des montants globalisés de certains contrats financiers. L’imposition d’un seuil minimal, associée au fait que, pour les comptes bancaires et de paiement, il n’y a qu’une communication semestrielle et, pour les contrats financiers, une communication annuelle, peut constituer un sérieux obstacle à certaines finalités du PCC, telles qu’elles sont énumérées en B.10.1. Ce n’est pas parce que le compte ou contrat présente un solde faible qu’il n’y a eu sur ces comptes ou contrats aucune transaction ou que peu de transactions, ni qu’aucune transaction ne peut avoir lieu sur ceux-ci à l’avenir. Les recherches sur le blanchiment d’argent et le financement de terrorisme ont en effet révélé que les organisations criminelles effectuent souvent un grand nombre de transactions d’un montant relativement faible. Un solde suffisant conforme à un seuil minimal fixé n’est pas toujours un facteur pertinent au regard de la finalité de la consultation. Une multitude de comptes à petit solde peut constituer un paramètre important dans l’appréciation par les autorités judiciaires de l’opportunité ou non d’ouvrir une enquête.
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B.11.6. L’article 35 de la loi du 22 février 1998 « fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique » prévoit que la Banque nationale de Belgique (ci-après : la BNB) et les membres de ses organes et de son personnel sont tenus au secret professionnel et ne peuvent divulguer à quelque personne ou autorité que ce soit les informations confidentielles dont ils ont eu connaissance en raison de leurs fonctions, sauf dans les cas où la communication de telles informations est prévue ou autorisée par ou en vertu de la loi. L’article 2, 5°, de la loi du 8 juillet 2018 prévoit explicitement à cette fin que par la notion de « personne habilitée à recevoir l’information », il faut entendre « toute personne physique ou morale explicitement habilitée par le législateur à demander l’information reprise dans le PCC en vue de l’exécution des missions d’intérêt général qui lui sont confiées par le législateur après avis de l’Autorité de protection des données ».
L’article 8, § 2, de la loi du 8 juillet 2018 prévoit que chaque personne habilitée à recevoir l’information est responsable du respect des conditions de la législation relative au PCC et de la législation protectrice de la vie privée.
« [...] Dans ce cadre, chaque personne habilitée à recevoir l’information définit et met en œuvre des politiques, des procédures et des mesures de contrôle interne efficaces et proportionnées à sa nature et à sa taille, et prend toutes les mesures techniques et organisationnelles appropriées pour garantir, sous sa responsabilité exclusive, que :
1° quiconque introduit une demande d’information auprès du PCC en son nom est identifié sans équivoque et légitimé avant qu’il puisse obtenir accès au PCC;
2° toute demande d’information introduite en son nom auprès du PCC est légitime et motivée et respecte la finalité définie par le législateur;
3° toutes les demandes d’information introduites en son nom auprès du PCC sont enregistrées et peuvent être tracées;
4° la confidentialité des informations obtenues du PCC est sauvegardée et que ces informations ne sont pas ensuite utilisées, retraitées ou diffusées par elle à des fins non compatibles avec la finalité pour laquelle elle les a initialement demandées au PCC ».
L’article 8, §§ 3 et 4, de la loi du 8 juillet 2018 détaille des conditions similaires à l’égard des organisations centralisatrices, en précisant que l’on entend par organisation centralisatrice « toute organisation habilitée par le Roi à centraliser les demandes d’information du PCC
provenant d'une catégorie spécifique de personnes habilitées à recevoir l’information »
(article 2, 6°, de la loi du 8 juillet 2018). « Toute catégorie de personnes habilitées à recevoir
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l’information qui compte plus de cinq personnes est tenue d’introduire ses demandes d’information du PCC via une organisation centralisatrice » (article 6, alinéa 2, de la loi du 8 juillet 2018).
B.11.7 En ce qui concerne spécifiquement la procédure de consultation pour les agents fiscaux, celle-ci demeure encadrée de manière stricte (article 322 du CIR 1992 et article 62bis du Code de la TVA), pour éviter tout usage inapproprié des données consultées.
Ainsi, il résulte de l’article 322, § 3, alinéa 4, du CIR 1992 que seul l’agent désigné à cette fin par le ministre conformément aux conditions prévues par l’article 322, § 2, alinéa 3, peut demander au PCC les données disponibles relatives à un contribuable, et ce, uniquement lorsque l’agent dispose d’un ou de plusieurs indices de fraude fiscale. L’article 322, § 2, alinéa 3, du CIR 1992 dispose :
« L’agent désigné par le ministre peut uniquement accorder l’autorisation :
1° après que l’agent qui mène l’enquête a réclamé au cours de l’enquête les informations et données relatives aux comptes, par le biais d’une demande de renseignements telle que visée à l’article 316, et a stipulé clairement à cette occasion qu’il peut requérir l’application de l’article 322, § 2, si le contribuable dissimule les informations demandées ou s’il refuse de les communiquer. La mission visée à l’alinéa 2 ne peut prendre cours qu’à l’expiration du délai visé à l’article 316;
2° après avoir constaté que l’enquête effectuée implique une application éventuelle de l’article 341 ou qu’elle a fourni un ou plusieurs indices de fraude fiscale ou qu’il y a des indices que les dispositions des articles 326/1 à 326/9 n’ont pas été correctement respectées et qu’il existe des présomptions que le contribuable dissimule des données à ce sujet auprès d’un établissement visé à l’alinéa 2 ou refuse de les communiquer lui-même ».
Il résulte également de l’article 62bis, alinéas 2, 3 et 4, du Code de la TVA que l’agent autorisé ne peut pas consulter le PCC sans que le contribuable en ait été informé (B.2.2).
Les travaux préparatoires mentionnent à cet égard :
« En ce qui concerne l’impôt sur les revenus, le fonctionnaire visé doit avoir au moins le titre de Conseiller, alors qu’en matière de taxe sur la valeur ajoutée, il doit avoir le titre de Conseiller général. En outre, l’administration fiscale doit d’abord avoir interrogé le contribuable avant de procéder à la consultation du PCC à défaut de réponse du contribuable ou si les réponses ne lui apparaissent pas complètes ou exactes. La situation est également
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similaire en ce qui concerne les droits d’enregistrement, pour l’établissement ou le recouvrement desquels le PCC peut être consulté, mais uniquement après autorisation d’un fonctionnaire de grade de Conseiller général. Enfin, le PCC peut être également consulté, après autorisation également d’un Conseiller général par les fonctionnaires de l’Administration générale de la Documentation patrimoniale dans le cadre de la déclaration de succession. Cette procédure stricte limite le risque d’utilisation disproportionnée des données dans le PCC et garantit en même temps que les données soient utilisées efficacement pour l’objectif anti-fraude déclaré » (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2244/001, p. 7).
En ce qui concerne la procédure de recouvrement des dettes fiscales et non fiscales également, l’article 75 de la loi du 13 avril 2019 « introduisant le Code du recouvrement amiable et forcé des créances fiscales et non fiscales » prévoit que les receveurs de l’Administration générale de la Perception et du Recouvrement n’ont la possibilité de consulter le PCC qu’avec l’autorisation d’un supérieur hiérarchique du grade de conseiller général.
B.11.8. Pour contrôler le respect de l’article 8, §§ 2, 3 et 4, de la loi du 8 juillet 2018, le paragraphe 1er prévoit que toute personne enregistrée dans le PCC reçoit, en principe sur demande écrite adressée à la BNB, communication de la liste de tous les organismes, autorités et personnes qui ont reçu communication de ses données au cours des six mois calendrier précédant la date de sa demande.
Sur la base de cette liste, toute personne enregistrée dans le PCC peut vérifier elle-même quels organismes, autorités et personnes ont réclamé ses données.
B.11.9. À des fins de protection des droits de toute personne enregistrée dans le PCC, le législateur a en outre prévu une obligation de secret pour toutes les personnes habilitées à recevoir l’information et organisations centralisatrices (article 8, § 2, 4°, et § 4, 4°, de la loi du 8 juillet 2018). Chaque personne habilitée à recevoir l’information est ainsi tenue de garantir la confidentialité des informations obtenues du PCC, et ne peut pas ensuite utiliser, retraiter ou diffuser ces informations à des fins non compatibles avec la finalité pour laquelle elle les a initialement demandées au PCC. Chaque organisation centralisatrice doit également sauvegarder la confidentialité des informations obtenues du PCC, ce qui implique que l’organisation centralisatrice ne communique cette information qu’à la personne habilitée à recevoir l’information qui l’a demandée, qu’elle n’utilise et ne retraite pas ensuite cette information, et qu’elle détruise sans délai et irrévocablement cette information dès qu’elle l’a communiquée à la personne habilitée à recevoir l’information qui l’a demandée.
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B.11.10. Toutes les conditions procédurales et concrètes précitées constituent des garanties importantes contre des ingérences arbitraires dans la vie privée des personnes enregistrées dans le PCC et des personnes avec qui celles-ci ont réalisé des opérations financières.
B.11.11. S’il s’avérait toutefois que les personnes habilitées à recevoir l’information font un usage inapproprié des informations acquises, il s’agirait d’un manquement qui découle non pas des articles attaqués de la loi-programme, mais de l’attitude et des actes commis par les personnes habilitées à recevoir l’information elles-mêmes. Il appartient non pas à la Cour mais au juge compétent de sanctionner une telle attitude ou de tels actes.
B.12. Les articles attaqués ne violent pas l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec les articles 7, 8 et 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 16, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et avec l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 8 décembre 2022.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 162/2022
Date de la décision : 08/12/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-12-08;162.2022 ?

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