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24/11/2022 | BELGIQUE | N°153/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 24 novembre 2022, 153/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 153/2022
du 24 novembre 2022
Numéros du rôle : 7553 et 7554
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 4, 1°, de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 25 avril 2019 « réglant l’octroi des prestations familiales », posées par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin,

assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 153/2022
du 24 novembre 2022
Numéros du rôle : 7553 et 7554
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 4, 1°, de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 25 avril 2019 « réglant l’octroi des prestations familiales », posées par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia, W. Verrijdt et K. Jadin, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par deux jugements du 6 avril 2021, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 13 avril 2021, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1. L’article 4, 1° de l’ordonnance de la Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale du 25 avril 2019 réglant l’octroi des prestations familiales, lu seul ou en combinaison avec l’article 3, 4° de la même ordonnance, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il entraîne une différence de traitement entre les enfants qui résident en région bruxelloise mais qui n’y ont aucun domicile et les enfants qui ont un domicile en région bruxelloise et qui y résident également, en privant les premiers du bénéfice des allocations familiales prévues par l’ordonnance précitée, sans qu’existe pour ce faire une justification raisonnable ni aucun rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé et le but éventuellement visé, singulièrement pour ce qui concerne les enfants qui n’ont aucun domicile en Belgique ?
2. L’article 4, 1° de l’ordonnance de la Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale du 25 avril 2019 réglant l’octroi des prestations familiales, lu seul ou en combinaison avec l’article 3, 4° de la même ordonnance, viole-t-il les articles 22bis et 23 de la
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Constitution et l’obligation de standstill qu’il comporte, en ce qu’il réduit sensiblement le niveau de protection des enfants qui résident en région bruxelloise mais qui n’y ont aucun domicile, en ce qu’il les prive, à partir du 1er janvier 2020, des allocations familiales dont ils bénéficiaient précédemment en vertu de la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939, sans qu’existent pour ce faire des motifs liés à l’intérêt général, ni aucun rapport raisonnable de proportionnalité entre [le recul constaté (R.7553)][la réduction constatée (R.7554)] et les objectifs éventuellement poursuivis, singulièrement pour ce qui concerne les enfants qui n’ont aucun domicile en Belgique ?
3. L’article 4, 1° de l’ordonnance de la Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale du 25 avril 2019 réglant l’octroi des prestations familiales, lu seul ou en combinaison avec l’article 3, 4° de la même ordonnance, et/ou l’article 37 de la même ordonnance, viole(nt)-t-il(s) l’article 191 de la Constitution, lu seul ou en combinaison avec les articles 22bis et 23 de la Constitution et l’obligation de standstill qu’il comporte, en ce qu’il(s)
prive(nt), à partir du 1er janvier 2020, les enfants étrangers qui résident en région bruxelloise mais qui n’ont aucun domicile, des allocations familiales dont ils bénéficiaient précédemment en vertu de la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939, sans qu’existent pour ce faire une justification raisonnable, des motifs liés à l’intérêt général, ni aucun rapport raisonnable de proportionnalité entre le recul constaté et les objectifs éventuellement poursuivis, singulièrement lorsque l’absence de domicile dans leur chef résulte de l’irrégularité de leur séjour en Belgique ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7553 et 7554 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- S.C., agissant en son nom propre et en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, assistée et représentée par Me S. Janssens, avocat au barreau de Bruxelles (dans l’affaire n° 7553);
- le Collège réuni de la Commission communautaire commune, assisté et représenté par Me M. Kaiser, Me M. Verdussen et Me C. Jadot, avocats au barreau de Bruxelles (dans les deux affaires).
Par ordonnance du 21 septembre 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet, en remplacement du juge émérite J.-P. Moerman, et J. Moerman, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 12 octobre 2022 et les affaires mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré le 12 octobre 2022.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
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II. Les faits et les procédures antérieures
Dans l’affaire n° 7553
Le 8 mai 2019, l’Office des étrangers décide de mettre fin au droit de séjour de plus de trois mois de S.C. et de ses trois enfants (nés entre 2008 et 2015). Ces quatre personnes ont la nationalité d’un autre État membre de l’Union européenne et résident sur le territoire de la ville de Bruxelles depuis plusieurs années. Cette décision, prise en application de l’article 42bis, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers » (ci-après : la loi du 15 décembre 1980) et de l’article 42ter, § 1er, alinéa 1er, de la même loi, entraîne la radiation de ces personnes du registre des étrangers de la ville de Bruxelles, dans lequel elles étaient inscrites. Le 3 juin 2019, S.C. et ses enfants demandent au Conseil du contentieux des étrangers l’annulation de la décision du 8 mai 2019. Au vu de ce recours, la ville de Bruxelles délivre à S.C. et à ses enfants un « document spécial de séjour » conforme à l’annexe 35 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 « sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers », attestant le droit de ces personnes de demeurer sur le territoire du Royaume dans l’attente de la décision de la juridiction administrative précitée. Le 6 juillet 2019, S.C. donne naissance à son quatrième enfant.
Le 11 février 2020, la caisse d’allocations familiales de S.C. décide que les enfants de cette dernière n’ont plus droit à des allocations familiales depuis le 1er janvier 2020. Elle fonde cette décision sur le fait que ces enfants ne sont plus inscrits dans aucun registre de la population tenu par une commune de la région bruxelloise depuis le 8 mai 2019, ainsi que sur l’article 4, 1°, de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 25 avril 2019 « réglant l’octroi des prestations familiales » (ci-après : l’ordonnance du 25 avril 2019), qui est entré en vigueur le 1er janvier 2020 et qui dispose qu’un enfant n’a droit à des prestations familiales que s’il est domicilié en région bruxelloise.
Saisi d’un recours tendant à l’annulation de cette décision du 11 février 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles observe qu’en 2020, S.C. et ses enfants n’ont cessé de résider en région bruxelloise. Il observe aussi que ces enfants ont été inscrits dans le « registre d’attente » à l’adresse de leur résidence bruxelloise le 6 octobre 2020 et que cette inscription permet de considérer qu’ils remplissent la condition de domicile précitée à partir de cette date. Le Tribunal juge qu’avant cette inscription, ces enfants ne remplissaient pas cette condition et qu’ils n’ont donc pas droit aux allocations familiales pour la partie de l’année 2020 antérieure au 1er octobre.
Le Tribunal s’interroge ensuite avec S.C. et ses enfants sur la constitutionnalité de la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019. Avant de décider de poser les questions préjudicielles reproduites plus haut, le Tribunal précise que, jusqu’à la fin de l’année 2019, c’est en vertu de la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939 (ci-après : la loi du 19 décembre 1939) que S.C. recevait des allocations familiales pour ses enfants. Il constate aussi que la condition de domicile précitée a pour effet de priver du droit aux allocations familiales les enfants étrangers en séjour irrégulier qui, en décembre 2019, bénéficiaient des allocations familiales en vertu de cette loi, alors que l’article 37 de cette ordonnance du 25 avril 2019 a pour but d’assurer ce droit à cette catégorie d’enfants dépourvus d’un titre de séjour.
Dans l’affaire n° 7554
En 2007, un homme et une femme, tous deux de nationalité congolaise, arrivent en Belgique avec leurs trois enfants mineurs, nés entre 2003 et 2005. Leur quatrième enfant naît à Bruxelles en 2008. À partir de 2009, la mère de ces enfants commence à travailler en région bruxelloise dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée et perçoit des allocations familiales au bénéfice de ses enfants, en application de la loi du 19 décembre 1939.
Le 22 octobre 2010, l’autorité administrative compétente refuse d’accorder à ces six personnes l’autorisation de séjourner sur le territoire du Royaume qu’ils avaient demandée en application de l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980. Par un arrêt du 23 juin 2011, le Conseil du contentieux des étrangers refuse d’annuler cette décision administrative. Par un arrêt du 19 juillet 2012, le Conseil d’État casse l’arrêt du 23 juin 2011, pour violation de l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980, et renvoie l’affaire à une autre chambre du Conseil du
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contentieux des étrangers. Par un arrêt du 10 octobre 2012, cette juridiction constate que la décision illégale du 22 octobre 2010 a été retirée.
Le 24 janvier 2020, la caisse d’allocations familiales de la famille précitée décide que les enfants n’ont plus droit à des allocations familiales depuis le 1er janvier 2020. Elle fonde cette décision sur le fait que ces enfants n’ont jamais été inscrits dans aucun registre belge de la population, ainsi que sur l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019, qui dispose qu’un enfant n’a droit à des prestations familiales que s’il est domicilié en région bruxelloise.
Saisi d’un recours tendant à l’annulation de cette décision du 24 janvier 2020, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles observe qu’en 2020, les enfants en question n’ont cessé de résider en région bruxelloise.
Il observe aussi qu’après avoir constaté que ces enfants disposaient d’une autorisation de séjour depuis le 7 septembre 2020 et qu’ils avaient ensuite été inscrits dans les registres de la population à l’adresse de leur résidence bruxelloise, la caisse d’allocations familiales a décidé, le 21 octobre 2020, de reconnaître leur droit aux allocations familiales à partir du 1er octobre 2020. Le Tribunal juge qu’avant cette inscription, ces enfants ne remplissaient pas la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019 et qu’ils n’avaient donc pas droit aux allocations familiales entre le 1er janvier et le 30 septembre 2020.
Le Tribunal décide dès lors de poser les questions préjudicielles reproduites plus haut.
III. En droit
-A-
Quant à la première question préjudicielle
A.1.1. S.C. et ses enfants soutiennent que la première question préjudicielle dans l’affaire n° 7553 appelle une réponse affirmative.
A.1.2. Ils observent que la différence de traitement décrite dans cette question n’a pas été justifiée lors des travaux préparatoires de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 25 avril 2019, en dépit de deux recommandations formulées par la section de législation du Conseil d’État à propos des notions de « Registre national des personnes physiques » et de « domicile », utilisées dans les dispositions législatives en cause.
S.C. et ses enfants déduisent de cette absence de justification que la Cour n’est en mesure de se prononcer ni sur le but de la différence de traitement en cause, ni sur la constitutionnalité des dispositions législatives conçues pour atteindre ce but. Ils estiment que seul un objectif d’intérêt général pourrait raisonnablement fonder une différence de traitement qui n’a pas été justifiée lors des travaux préparatoires.
Selon S.C. et ses enfants, le refus d’accorder des prestations familiales aux enfants qui ne sont pas inscrits dans les registres de la population ne pourrait être justifié par la seule volonté de déterminer un facteur de rattachement de l’enfant à la législation de la Commission communautaire commune, puisque la Communauté flamande, la Région wallonne et la Communauté germanophone ont, comme le prévoit l’accord de coopération signé le 6 septembre 2017 par les quatre composantes précitées de l’État fédéral, retenu une combinaison de facteurs de rattachement ne subordonnant pas l’octroi d’allocations familiales à une inscription de l’enfant dans les registres de la population.
S.C. et ses enfants ajoutent que la différence de traitement décrite dans la question préjudicielle est d’autant moins justifiable qu’elle découle du statut administratif d’un enfant, que ce dernier n’est pas en mesure de modifier seul. Ils relèvent aussi qu’il ne ressort pas des travaux préparatoires que l’intérêt supérieur de l’enfant qui réside en région bruxelloise sans y être domicilié a été pris en compte.
A.2. Le Collège réuni de la Commission communautaire commune (ci-après : le Collège) soutient que la première question préjudicielle dans les affaires nos 7553 et 7554 appelle une réponse négative.
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A.3. Il souligne d’abord que c’est l’inscription dans le Registre national des personnes physiques découlant d’une inscription dans le registre de la population d’une commune de la région bruxelloise qui constitue le critère objectif de distinction à l’origine de la différence de traitement décrite dans les questions préjudicielles examinées.
A.4.1. Le Collège expose ensuite que ce critère de distinction est pertinent au regard du but des dispositions législatives en cause.
A.4.2.1. Il affirme que la condition de domicile qui est énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019 a pour but de réserver le droit aux prestations familiales aux enfants qui se trouvent officiellement et réellement sur le territoire de la région bruxelloise. Il considère que le fait de subordonner l’octroi de ces prestations à l’inscription de l’enfant dans le Registre national des personnes physiques qui découle de son inscription dans le registre de la population tenu par une commune de cette région vise à éviter la fraude parce que l’inscription dans le Registre national permet de rattacher l’enfant à cette région de manière certaine.
A.4.2.2. S.C. et ses enfants répondent que le fait de subordonner l’octroi des prestations familiales à l’inscription précitée de l’enfant dans le Registre national des personnes physiques ne constitue pas une mesure pertinente de lutte contre la fraude. Ils remarquent que, contrairement à la condition d’inscription dans un registre communal, la condition de résidence effective est directement liée à une situation factuelle et ne permet pas des manipulations destinées à percevoir des allocations de même nature dans deux régions différentes.
A.4.3.1. Le Collège allègue aussi que, lors des travaux préparatoires de l’ordonnance du 25 avril 2019, la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de cette ordonnance a été justifiée par la circonstance que les prestations familiales en question sont financées par les « moyens généraux ». Cette condition viserait donc à n’octroyer ce type de prestations qu’aux enfants qui sont suffisamment rattachés au territoire de la région bruxelloise, afin de ne pas compromettre l’équilibre financier du régime conçu par la Commission communautaire commune.
A.4.3.2. S.C. et ses enfants répliquent que le Collège fait une lecture erronée des travaux préparatoires, et que ce n’est pas la condition de domicile qui a été justifiée par la circonstance que les prestations familiales en question sont financées par les « moyens généraux », mais plutôt la condition relative au titre de séjour pour les enfants étrangers, énoncée à l’article 4, 2°, de l’ordonnance du 25 avril 2019. Ils ajoutent que les régimes d’allocations familiales qui étaient en vigueur avant la sixième réforme de l’État étaient déjà financés par le budget général, de sorte que le mode de financement des prestations familiales ne peut pas justifier la différence de traitement décrite dans la question préjudicielle.
A.5.1. Le Collège expose enfin que la différence de traitement décrite dans la première question préjudicielle des affaires nos 7553 et 7554 ne produit pas des effets disproportionnés.
A.5.2. Il soutient que cette différence de traitement est justifiée par les objectifs d’intérêt général mentionnés en A.4.2.1 et A.4.3.1.
A.5.3.1. Il estime aussi que, compte tenu des limites budgétaires du régime de prestations familiales conçu par la Commission communautaire commune, il est raisonnable de réserver le bénéfice de ces prestations aux enfants domiciliés sur le territoire de la région bruxelloise, puisque le montant des moyens financiers octroyés à la Commission communautaire commune à ce sujet est calculé sur la base du nombre de ces enfants. Le Collège précise, à cet égard, que la part de la Commission communautaire commune dans la dotation fédérale dont il est question à l’article 47/5 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions, inséré par l’article 47 de la loi spéciale du 6 janvier 2014 portant réforme du financement des communautés et des régions, élargissement de l’autonomie fiscale des régions et financement des nouvelles compétences, varie notamment en fonction du « nombre d’habitants » de la région bruxelloise ayant moins de dix-
neuf ans.
A.5.3.2. S.C. et ses enfants rétorquent que le mode de répartition de cette dotation fédérale ne peut justifier la différence de traitement en cause par des motifs budgétaires, dès lors que la part de cette dotation qui est allouée à la Commission communautaire commune est sans lien avec le nombre d’enfants domiciliés sur le territoire de la
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région bruxelloise ou avec le nombre d’enfants bénéficiaires des prestations familiales en application de l’ordonnance du 25 avril 2019.
A.5.4. Afin de démontrer le caractère proportionné de la mesure en cause, le Collège relève aussi que les recommandations formulées par la section de législation du Conseil d’État à propos des notions de « Registre national des personnes physiques » et de « domicile », utilisées dans les dispositions législatives en cause, ne signifient pas que la Commission communautaire commune doit accorder le droit aux prestations familiales aux enfants dont la résidence effective en région bruxelloise ne ressort pas du Registre national des personnes physiques.
A.5.5.1. Le Collège remarque, en outre, que la condition d’inscription dans le Registre national des personnes physiques est raisonnable au regard de l’exigence de sécurité juridique. Elle permettrait aux organismes d’allocations familiales de disposer d’une information « authentique » relative à l’identification des personnes physiques lors du traitement d’une demande d’octroi des prestations familiales, étant entendu que ces organismes peuvent constater que les données de ce registre ne correspondent pas à la résidence réelle de l’enfant concerné.
Il ajoute que l’article 7 de l’arrêté royal du 16 juillet 1992 « relatif aux registres de la population et au registre des étrangers » oblige toute personne qui réside sur le territoire du Royaume à demander son inscription dans les registres de la population et qu’il est exceptionnel qu’une personne qui réside régulièrement en Belgique ne soit pas inscrite dans le Registre national des personnes physiques.
A.5.5.2. S.C. et ses enfants allèguent que, contrairement à ce qu’affirme le Collège, nombreuses sont les personnes qui ne sont pas inscrites dans le Registre national des personnes physiques. Ils estiment, à ce sujet, que la condition d’inscription dans ce registre a pour effet d’aggraver la précarité de certaines familles.
A.5.6.1. Le Collège relève, enfin, que les prestations familiales créées par l’ordonnance du 25 avril 2019
sont exclusivement financées par les pouvoirs publics et que leur octroi n’est pas subordonné au paiement de cotisations sociales.
S’appuyant sur l’arrêt de la Cour n° 12/2013 du 21 février 2013, qui concerne le régime de sécurité sociale non contributif organisé par la loi du 20 juillet 1971 « instituant des prestations familiales garanties » (ci-après : la loi du 20 juillet 1971), le Collège estime que les prestations familiales peuvent être réservées aux enfants qui sont supposés être installés en Belgique pour une durée significative.
A.5.6.2. S.C. et ses enfants répondent que, par l’arrêt n° 12/2013, la Cour ne s’est pas prononcée sur la constitutionnalité d’une condition de ce type, mais sur une condition de résidence.
Quant à la deuxième question préjudicielle
A.6. S.C. et ses enfants soutiennent que la deuxième question préjudicielle dans l’affaire n° 7553 appelle une réponse affirmative, tandis que le Collège soutient que cette question ainsi que la deuxième question préjudicielle dans l’affaire n° 7554 appellent des réponses négatives.
A.7.1. S.C. et ses enfants exposent que la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019 et définie par l’article 3, 4°, de la même ordonnance réduit significativement le degré de protection des enfants qui ne sont pas inscrits dans les registres de la population, puisque cette nouvelle condition a pour effet de les priver de prestations familiales auxquelles ils avaient droit avant que l’ordonnance précitée remplace, pour la région bruxelloise, la loi du 19 décembre 1939 et la loi du 20 juillet 1971.
Ils soulignent que ces deux lois ne subordonnaient pas l’octroi d’allocations familiales au respect d’une condition de domicile en lien avec l’enfant.
A.7.2. Le Collège considère que la réduction du degré de protection des enfants précités n’est pas significative.
Il rappelle d’abord que le régime des prestations familiales instauré par l’ordonnance du 25 avril 2019 se distingue sur plusieurs points fondamentaux des régimes fédéraux qui étaient applicables auparavant, de sorte qu’il
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est malaisé de comparer un aspect particulier du nouveau régime avec les règles qui étaient applicables antérieurement.
Le Collège relève ensuite que la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019 ne concerne que les enfants qui ne sont inscrits ni dans le registre de la population ou dans le registre des étrangers ni dans le registre d’attente. Le Collège relève aussi que cette condition de domicile ne prive généralement les enfants concernés du droit aux prestations familiales que pour une courte période et de manière tout à fait exceptionnelle, puisque cette privation résulte d’une situation dans laquelle l’enfant ne peut être inscrit dans les registres précités. Le Collège souligne que les ménages concernés doivent rapidement effectuer les démarches nécessaires pour obtenir cette inscription.
Le Collège note, en outre, que l’accès aux prestations familiales prévues par l’ordonnance du 25 avril 2019
est plus large que l’accès aux deux régimes fédéraux qui étaient en vigueur auparavant. Il précise que de nombreuses conditions d’octroi que devaient remplir les attributaires d’allocations familiales ou les demandeurs de prestations familiales garanties ne figurent pas dans le nouveau régime applicable en région bruxelloise. Un enfant y a désormais droit aux prestations familiales quelle que soit la situation socioprofessionnelle de ses parents et sans que l’attributaire ou le demandeur doive remplir des conditions relatives à la durée de sa résidence ou au montant de ses revenus.
Le Collège précise aussi que la condition de domicile en cause ne constitue pas une condition totalement nouvelle. Il relève que, sous le régime de la loi du 19 décembre 1939, l’attributaire des allocations familiales devait nécessairement être inscrit dans le Registre national des personnes physiques, puisqu’il était généralement salarié, indépendant, pensionné ou invalide. Le Collège relève aussi que nombre de dispositions de ce régime prévoyaient déjà l’inscription de l’enfant bénéficiaire des allocations dans le Registre national des personnes physiques. Il observe enfin que les articles 1er et 2 de la loi du 20 juillet 1971 subordonnaient l’octroi de prestations familiales garanties à la détention d’un titre de séjour, et, partant, à une inscription dans les registres de la population, ou à une résidence effective dont le respect était vérifié par consultation du Registre national des personnes physiques.
A.7.3. S.C. et ses enfants contestent le caractère temporaire et exceptionnel de la privation du droit aux prestations familiales qu’entraîne l’application de la condition de domicile en cause. Ils soulignent que c’est pour des raisons indépendantes de leur volonté que les enfants concernés se trouvent soudainement privés des allocations familiales dont ils bénéficiaient auparavant. Ils remarquent que ces enfants ne sont pas responsables du fait qu’ils ne sont pas inscrits dans les registres de la population et que ce défaut d’inscription n’est pas nécessairement dû à une négligence des ménages concernés.
A.8.1. S.C. et ses enfants précisent que les dispositions législatives en cause leur sont applicables en vertu des articles 3, paragraphe 1, j), et 11 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 29 avril 2004 « portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale », puisqu’ils résident à Bruxelles et ont fait usage de leur droit à la libre circulation dans l’Union européenne.
A.8.2. Le Collège se demande si S.C. et ses enfants peuvent se prévaloir de leur résidence en Belgique pour démontrer l’application de ce règlement, dès lors qu’ils ne sont plus autorisés à séjourner sur le territoire de cet État.
A.9.1. S.C. et ses enfants soutiennent que les travaux préparatoires de l’ordonnance du 25 avril 2019 ne mentionnent aucun motif permettant de justifier la réduction du degré de protection décrite en A.6.2. Ils ajoutent que le souci de sauvegarder les finances de l’État ne pourrait constituer un tel motif en l’espèce, dès lors que le non-respect de la nouvelle condition de domicile n’empêche pas l’allocataire de travailler régulièrement en Belgique.
A.9.2. Le Collège estime, de son côté, que, même si on considère que la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019, telle qu’elle est définie à l’article 3, 4°, de la même ordonnance, réduit significativement le degré de protection des enfants précités, cette réduction est justifiée par deux motifs impérieux d’intérêt général : d’une part, la préservation de l’équilibre budgétaire du secteur des allocations familiales et, d’autre part, le souci de sécurité juridique lors de l’identification des enfants qui ont droit aux prestations familiales.
A.9.3. S.C. et ses enfants contestent la pertinence de ces deux motifs.
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Ils soulignent d’abord que le mode de calcul de la part de la dotation fédérale relative aux prestations familiales qui revient à la Commission communautaire commune tient compte des enfants résidant en région bruxelloise qui n’ont pas droit aux prestations familiales en raison du statut social particulier de leurs parents et que ce même mode de calcul ne tient pas compte des enfants âgés de plus de dix-huit ans qui ont effectivement droit à des prestations familiales en application de l’ordonnance du 25 avril 2019.
S.C. et ses enfants relèvent aussi que la sécurité juridique pourrait être assurée de manière plus adéquate si la réglementation autorisait la preuve, par toute voie de droit, de la résidence habituelle de l’enfant lorsque celui-ci n’est pas inscrit dans les registres de la population.
Quant à la troisième question préjudicielle
A.10. S.C. et ses enfants soutiennent que la troisième question préjudicielle dans l’affaire n° 7553 appelle une réponse affirmative.
Ils exposent que l’article 37 de l’ordonnance du 25 avril 2019 a pour but de garantir le paiement des prestations familiales prévues par celle-ci aux enfants étrangers dépourvus du titre de séjour requis par l’article 4, 2°, de la même ordonnance qui, en application de la législation antérieure, ont bénéficié d’allocations familiales lors du mois qui a précédé l’entrée en vigueur de cette ordonnance.
Ils remarquent que la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019 prive la « mesure de sauvegarde » de l’article 37 de la même ordonnance de tout effet, puisqu’un enfant dépourvu de titre de séjour ne peut être inscrit dans le Registre national des personnes physiques et qu’il ne peut donc satisfaire à cette condition.
Ils notent cependant que cette condition est inconstitutionnelle, pour les motifs exposés à propos des première et deuxième questions préjudicielles dans l’affaire n° 7553.
A.11. Le Collège soutient que la troisième question préjudicielle dans les affaires nos 7553 et 7554 appelle une réponse négative.
Il affirme que les enfants que l’article 37 de l’ordonnance du 25 avril 2019 a pour but de protéger en leur garantissant le paiement des prestations familiales même lorsqu’ils ne remplissent pas la condition énoncée à l’article 4, 2°, de cette ordonnance sont uniquement les enfants étrangers qui sont temporairement dépourvus du titre de séjour requis par cette disposition, tels que ceux qui détiennent un titre de séjour temporaire et qui sont dans l’attente d’une décision d’octroi ou de renouvellement d’un titre de séjour. Le Collège souligne que les enfants qui sont dans cette situation peuvent satisfaire à la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019, puisque les personnes sans titre de séjour mais inscrites dans le registre d’attente sont aussi inscrites dans le Registre national des personnes physiques.
Le Collège ajoute que la condition de domicile précitée reste justifiée en ce qu’elle s’applique aux enfants visés à l’article 37 de l’ordonnance du 25 avril 2019, compte tenu de l’objectif d’intérêt général qui sous-tend cette condition et des limites budgétaires du régime de prestations familiales applicables en région bruxelloise. Il rappelle enfin que, pour les raisons détaillées dans les observations relatives à la deuxième question préjudicielle, cette condition respecte l’obligation de standstill qui découle de l’article 23 de la Constitution.
-B-
B.1. L’ordonnance de la Commission communautaire commune du 25 avril 2019 « réglant l’octroi des prestations familiales » (ci-après : l’ordonnance du 25 avril 2019) fixe « les droits aux prestations familiales en région bilingue de Bruxelles-Capitale » (article 2 de la même ordonnance).
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Parmi ces prestations familiales figurent les allocations familiales (articles 7 à 14 de l’ordonnance du 25 avril 2019).
B.2.1. L’article 4 de l’ordonnance du 25 avril 2019 dispose :
« Ouvre droit aux prestations familiales, l’enfant :
1° ayant son domicile en région bilingue de Bruxelles-Capitale;
2° belge ou étranger bénéficiaire d’un titre de séjour;
3° répondant aux conditions fixées par l’article 25 ou 26 ».
B.2.2. Aux termes de l’article 3, 4°, de la même ordonnance, le « domicile » au sens de la disposition précitée s’entend du « lieu où la personne a sa résidence principale selon les informations fournies par le Registre national des personnes physiques et où elle a effectivement son principal établissement ».
Le « Registre national des personnes physiques » est défini par la même ordonnance comme « le registre organisé par la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques » (article 3, 3°, de l’ordonnance du 25 avril 2019).
B.3. Les dispositions législatives précitées sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020
(article 40 de l’ordonnance du 25 avril 2019).
Quant à la première question préjudicielle
B.4. Il ressort des motifs des deux décisions de renvoi que la Cour est invitée à vérifier si, en réservant le droit aux allocations familiales aux « enfants » qui ont leur « domicile » en région bilingue de Bruxelles-Capitale, l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019, lu en combinaison avec l’article 3, 4°, de la même ordonnance, est compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination, tel qu’il découle des articles 10 et 11 de la Constitution, en
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ce que ces dispositions législatives feraient naître une différence de traitement discriminatoire entre deux catégories d’« enfants » étrangers auxquels s’applique l’ordonnance précitée et qui résident effectivement et principalement en région bilingue de Bruxelles-Capitale : d’une part, ceux qui sont inscrits dans les registres de la population que tient la commune de leur résidence et, d’autre part, ceux qui ne sont inscrits dans aucun des registres de la population tenus par une commune belge.
B.5.1. Le « lieu où la personne a sa résidence principale selon les informations fournies par le Registre national des personnes physiques », dont il est question à l’article 3, 4°, de l’ordonnance du 25 avril 2019, cité en B.2.2, est le « domicile légal » au sens de l’article 1er, 4°, de l’accord de coopération « portant sur les facteurs de rattachement, la gestion des charges du passé, l’échange des données en matière de prestations familiales et les modalités concernant le transfert de compétence entre caisses d’allocations familiales », que la Commission communautaire commune a conclu le 6 septembre 2017 avec la Communauté flamande, la Région wallonne et la Communauté germanophone (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2018-2019, n° B-160/1, p. 11).
Cet accord de coopération définit le « domicile légal » comme « le lieu où une personne est inscrite à titre principal sur les registres de la population, conformément à l’article 32, 3°, du Code judiciaire ».
Lesdits registres auxquels renvoie cette dernière définition sont « les registres tels que définis à l’article 1er, [alinéa 1er,] 1° [,] de la loi du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes d’étranger et aux documents de séjour et modifiant la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques » (article 1er, 3°, de l’accord de coopération du 6 septembre 2017).
Tel qu’il a été complété par l’article 8 de la loi du 4 mai 2016 « relative à l’internement et à diverses dispositions en matière de Justice », l’article 32, 3°, du Code judiciaire définit le « domicile » comme « le lieu où la personne est inscrite à titre principal sur les registres de la population ».
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B.5.2. L’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi du 19 juillet 1991 « relative aux registres de la population, aux cartes d’identité, aux cartes des étrangers et aux documents de séjour »
dispose, depuis sa modification par l’article 9 de la loi du 9 novembre 2015 « portant dispositions diverses Intérieur » :
« Dans chaque commune sont tenus :
1° des registres de la population dans lesquels sont inscrits au lieu où ils ont établi leur résidence principale, qu’ils y soient présents ou qu’ils en soient temporairement absents, les Belges et les étrangers admis ou autorisés à séjourner plus de trois mois dans le Royaume, autorisés à s’y établir, ou les étrangers inscrits pour une autre raison conformément aux dispositions de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, à l’exception des étrangers qui sont inscrits au registre d’attente visé au 2° ainsi que les personnes visées à l’article 2bis de la loi du 8 août 1983 organisant un Registre national des personnes physiques;
[…] ».
B.5.3. Les « personnes inscrites aux registres de la population et au registre des étrangers visés à l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi du 19 juillet 1991 » sont « inscrites au Registre national des personnes physiques » (article 2, § 1er, 1°, de la loi du 8 août 1983
« organisant un Registre national des personnes physiques », tel qu’il a été remplacé par l’article 3 de la loi du 25 novembre 2018 « portant des dispositions diverses concernant le Registre national et les registres de population »).
La « résidence principale » est l’une des informations qui sont enregistrées dans le Registre national des personnes physiques pour chaque personne inscrite dans les registres visés à l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi du 19 juillet 1991 (article 3, alinéa 1er, 5°, de la loi du 8 août 1983, tel qu’il a été modifié par l’article 6, 1°, de la loi du 25 novembre 2018).
B.6. Il résulte de ce qui précède que l’« enfant » étranger auquel s’applique l’ordonnance du 25 avril 2019, qui a sa résidence principale effective en région bilingue de Bruxelles-
Capitale et qui est inscrit dans les registres de la population que la commune de sa résidence tient en application de l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi du 19 juillet 1991, remplit la condition énoncée à l’article 4, 1°, de la même ordonnance.
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Il résulte aussi de ce qui précède que l’« enfant » étranger auquel s’applique la même ordonnance, qui a aussi sa résidence principale effective en région bilingue de Bruxelles-
Capitale mais qui n’est pas inscrit dans les registres de la population que les communes belges tiennent en application de la disposition précitée de la loi du 19 juillet 1991, ne remplit pas la condition énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019, de sorte qu’il n’a pas droit aux allocations familiales prévues par cette ordonnance.
B.7. Il résulte de ce qui est exposé en B.5 que cette différence de traitement découle des mots « selon les informations fournies par le Registre national des personnes physiques »
contenus dans l’article 3, 4°, de l’ordonnance du 25 avril 2019.
B.8.1. L’article 10, alinéa 2, de la Constitution dispose :
« Les Belges sont égaux devant la loi; […] ».
L’article 11 de la Constitution dispose :
« La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination […] ».
B.8.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.8.3. L’article 191 de la Constitution dispose :
« Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi ».
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B.9.1. L’ordonnance du 25 avril 2019 détermine les conditions de l’exercice du « droit aux prestations familiales », qui est reconnu par l’article 23, alinéa 3, 6°, de la Constitution.
Comme les autres « droits économiques et sociaux » cités à l’article 23, alinéa 3, de la Constitution, le « droit aux prestations familiales » doit être garanti en vue de permettre à chacun de « mener une vie conforme à la dignité humaine », mentionné à l’article 23, alinéa 1er, de la Constitution.
B.9.2. Le « droit aux prestations familiales » est le droit de recevoir des pouvoirs publics compétents une contribution financière destinée à couvrir au moins partiellement les frais d’entretien et d’éducation d’un enfant (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2240/1, p. 2; ibid., 2013-
2014, n° 5-2232/5, pp. 91-92).
B.10. Lors des travaux préparatoires de l’ordonnance du 25 avril 2019, ni la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de cette ordonnance ni la différence de traitement décrite en B.6
n’ont été justifiées.
En revanche, les travaux préparatoires de l’article 37 font apparaître que le législateur ordonnanciel entendait explicitement éviter que des enfants étrangers qui avaient droit aux prestations familiales en décembre 2019 perdent ce droit à cause de l’introduction de l’exigence de la régularité du séjour :
« Il prévoit par ailleurs une mesure de sauvegarde des droits des enfants étrangers bénéficiaires d’allocations familiales d’un régime belge pour le mois de décembre 2019. La régularité de leur séjour, condition non prévue par les législations remplacées par la présente ordonnance, est présumée » (Doc. parl., Assemblée réunie de la Commission communautaire commune, 2018-2019, n° B-160/1, p. 7).
B.11. Dans la mesure où elle subordonne le droit d’un enfant aux allocations familiales à l’inscription de celui-ci dans les registres de la population, cette condition a pour effet qu’un enfant étranger auquel l’ordonnance du 25 avril 2019 peut s’appliquer, qui réside effectivement et principalement en région bilingue de Bruxelles-Capitale et qui ne peut être rattaché à aucun des régimes de prestations familiales applicables dans les autres régions du Royaume peut être privé
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du droit aux prestations familiales reconnu par l’article 23, alinéa 3, 6°, de la Constitution tant au profit des Belges que des étrangers parce qu’il n’est pas inscrit dans les registres précités.
B.12. Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement décrite en B.6 n’est pas raisonnablement justifiée.
Quant aux deuxième et troisième questions préjudicielles
B.13. Ces questions préjudicielles invitent aussi la Cour à statuer sur la constitutionnalité de la condition de domicile énoncée à l’article 4, 1°, de l’ordonnance du 25 avril 2019, en ce que la définition du domicile mentionnée à l’article 3, 4°, de la même ordonnance a pour effet de priver du droit aux allocations familiales les enfants étrangers qui résident effectivement et principalement en région bilingue de Bruxelles-Capitale mais qui ne sont pas inscrits dans les registres de la population au sens de l’article 1er, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la loi du 19 juillet 1991.
B.14. Compte tenu de la réponse donnée à la première question préjudicielle, les deuxième et troisième questions préjudicielles n’appellent pas de réponse.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
1. Les mots « selon les informations fournies par le Registre national des personnes physiques » contenus dans l’article 3, 4°, de l’ordonnance de la Commission communautaire commune du 25 avril 2019 « réglant l’octroi des prestations familiales » violent les articles 10
et 11 de la Constitution.
2. Les deuxième et troisième questions préjudicielles n’appellent pas de réponse.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 novembre 2022.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 153/2022
Date de la décision : 24/11/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

1. Violation (les mots « selon les informations fournies par le Registre national des personnes physiques » contenus dans l'article 3, 4°, de l'ordonnance de la Commission communautaire commune du 25 avril 2019) 2. Les deuxième et troisième questions préjudicielles n'appellent pas de réponse

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles relatives à l'article 4, 1°, de l'ordonnance de la Commission communautaire commune du 25 avril 2019 « réglant l'octroi des prestations familiales », posées par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Sécurité sociale - Bruxelles-Capitale - Commission communautaire commune - Allocations familiales - Exclusion - Enfants étrangers inscrits à aucun des registres de la population tenus par une commune belge


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-11-24;153.2022 ?

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