Cour constitutionnelle
Arrêt n° 146/2022
du 10 novembre 2022
Numéro du rôle : 7706
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 2 de l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020 « relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 », confirmé par l’article 2 du décret du 3 décembre 2020
« portant confirmation des arrêtés du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au COVID-19 », posée par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters et E. Bribosia, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par l’arrêt n° 252.335 du 7 décembre 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 décembre 2021, le Conseil d’État a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 2 de l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020 ‘ relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 ’, confirmé par l’article 2
du décret du 3 décembre 2020 ‘ portant confirmation des arrêtés du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au COVID-19 ’, viole-t-il les règles répartitrices de compétences, en ce qu’en application des pouvoirs implicites reconnus par l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, il
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complète d’un paragraphe 4 l’article 14 des lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, afin d’y aménager, pour ce qui concerne certains actes, un régime de suspension des délais applicables au contentieux de l’annulation devant la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat, alors que la matière relève de la compétence de l’autorité fédérale, conformément à l’article 160 de la Constitution ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- la commune de Morlanwelz, assistée et représentée par Me N. Delhaise, avocat au barreau de Bruxelles;
- Bernard Wayembercg et Bernadette Wayembercg, assistés et représentés par Me J. Bouillard, avocat au barreau de Namur;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me E. Jacubowitz et Me C. Caillet, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me M. Uyttendaele, Me P. Minsier et Me E. Despy, avocats au barreau de Bruxelles.
Des mémoires en réponse ont été introduits par :
- Bernard Wayembercg et Bernadette Wayembercg;
- le Conseil des ministres.
Par ordonnance du 13 juillet 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs E. Bribosia et D. Pieters, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 1er août 2022 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 1er août 2022.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le 3 février 2020, la commune de Morlanwelz prend connaissance de l’arrêté du ministre de l’Aménagement du territoire du 21 janvier 2020 délivrant un permis d’urbanisation aux consorts Wayenbercg pour la création de trois parcelles destinées à l’habitat.
Par requête du 4 mai 2020, la commune de Morlanwelz introduit, devant le Conseil d’État, un recours en suspension et un recours en annulation dirigés contre le permis d’urbanisation précité.
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La commune de Morlanwelz estime que le délai de recours de 60 jours, prévu à l’article 4, § 1er, alinéa 3, de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 « déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État », a été suspendu par l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020
« relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 »
(ci-après : l’arrêté confirmé).
Par son arrêt n° 249.019 du 24 novembre 2020, le Conseil d’État écarte l’application de cet arrêté, au motif que le Gouvernement wallon ne pouvait se fonder sur les compétences implicites pour suspendre le délai de recours au Conseil d’État. En conséquence, le Conseil d’État juge que le recours en suspension est tardif.
Lors de l’examen du recours en annulation, le Conseil d’État constate que l’arrêté précité a été confirmé par l’article 2 du décret de la Région wallonne du 3 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au COVID-19 »
(ci-après : le décret du 3 décembre 2020).
À l’invitation des consorts Wayenbercg, parties intervenantes devant lui, le Conseil d’État pose, dès lors, la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
Quant à la question préjudicielle
A.1. Les parties intervenantes devant la juridiction a quo se prévalent du raisonnement sur les compétences implicites qu’a tenu le Conseil d’État dans son arrêt n° 249.019 du 24 novembre 2020, précité. Elles mettent en exergue le fait que le Conseil d’État a jugé que « la suspension des délais de recours au Conseil d’État et la prorogation de celle-ci, décidées par le Gouvernement wallon, n’apparaissent pas être nécessaires à l’exercice des compétences [de la Région wallonne], plus particulièrement à l’organisation des délais de rigueur applicables aux procédures administratives organisées par elle. Certes, la cohérence voulue par le Gouvernement wallon quant au sort des recours juridictionnels par rapport à celui qu’il organise pour les recours administratifs dont il a la compétence, est compréhensible. Un tel souhait ne justifie pas pour autant la nécessité de l’atteinte ainsi portée à la compétence fédérale en matière d’organisation de la procédure devant le Conseil d’État en vertu de l’article 160
de la Constitution ».
A.2. Le Conseil des ministres fait valoir que les conditions pour invoquer les compétences implicites ne sont pas remplies, de sorte qu’un tel empiétement sur la compétence fédérale n’est pas autorisé.
La mesure en cause n’est pas nécessaire, puisque (1) le recours au Conseil d’État n’intervient qu’après que la Région a exercé et épuisé sa compétence, de sorte qu’une suspension des délais de recours au Conseil d’État ne peut être conçue comme l’accessoire de la compétence de la Région, (2) le législateur fédéral a exercé sa compétence en adoptant l’arrêté de pouvoirs spéciaux n° 12, et (3) il est renvoyé à l’arrêt du Conseil d’État n° 249.019.
Ensuite, même si elle est limitée dans le temps, la suspension en cause n’a pas une incidence marginale, puisque (1) elle concerne l’ensemble des délais applicables au contentieux de l’annulation relatifs à des actes pris par des autorités régionales ou de la réglementation wallonne et que ceci entraîne une discordance avec le régime adopté au niveau fédéral, et (2) elle porte sur les délais de recours, c’est-à-dire sur des principes fondamentaux de la procédure devant le Conseil d’État auxquels il ne peut être dérogé par le biais des compétences implicites.
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Enfin, la matière ne se prête pas à un régime différencié, dès lors que les délais applicables à la procédure devant le Conseil d’État doivent être identiques sur le ressort national, et des différences en l’espèce sont de nature à créer une grande insécurité juridique. En outre, l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 du 21 avril 2020 « relatif à la prorogation des délais de procédure devant le Conseil d’État et la procédure écrite » (ci-après : l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12) a été adopté par l’autorité fédérale en vue de prolonger les délais applicables à l’introduction et au traitement des procédures devant le Conseil d’État.
A.3.1. La partie requérante devant la juridiction a quo soutient que le délai de recours au Conseil d’État a valablement été suspendu par l’arrêté confirmé. Elle reconnaît que l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 a prolongé les délais de recours au Conseil d’État. Cet arrêté produit ses effets du 9 avril au 3 mai 2020. Toutefois, selon elle, dès lors que cet arrêté royal est applicable « sans préjudice des régimes adoptés ou à adopter par les autorités compétentes », le Roi n’avait pas l’intention de remettre en cause le régime de suspension des délais de recours adopté par la Région wallonne.
A.3.2. Elle fait valoir que la Région wallonne a adopté l’arrêté confirmé et l’article 2 du décret du 3 décembre 2020 dans le cadre de ses compétences implicites. Elle indique que la section de législation du Conseil d’État a confirmé cette analyse.
Selon elle, ces deux normes sont nécessaires à l’exercice des compétences régionales. Leur objectif est de garantir le droit fondamental d’accès à la justice. Elle estime que cette finalité ne pouvait être atteinte par un recours au seul arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12, dès lors que le régime de suspension temporaire des délais de recours mis en place par ce dernier arrêté diverge de celui qui est mis en place par l’arrêté confirmé, en ce qu’il est plus restrictif quant à la durée de la suspension des délais. La partie requérante devant la juridiction a quo estime que cette différence entre les régimes de suspension des délais crée des inégalités entre les citoyens.
La partie requérante devant la juridiction a quo expose que la matière se prête à un régime différencié, dès lors que la suspension des délais de recours au Conseil d’État ne concerne que les actes des autorités administratives relevant de la réglementation de la Région wallonne. En outre, selon elle, l’empiétement sur les compétences de l’autorité fédérale a un impact marginal, dès lors que la suspension des délais ne s’applique que pour une période très limitée. Elle estime, de surcroît, qu’en indiquant que le régime mis en place par l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 s’appliquait sans préjudice des régimes adoptés ou à adopter par les autorités compétentes, le Roi a reconnu que l’arrêté confirmé répondait aux trois conditions de la théorie des compétences implicites.
A.4. Le Gouvernement wallon soutient que les conditions pour invoquer les compétences implicites ont été justifiées dans le préambule de l’arrêté confirmé et dans le commentaire de l’article 2 du décret du 3 décembre 2020. La section de législation du Conseil d’État a d’ailleurs expressément admis le recours aux compétences implicites dans les circonstances d’espèce.
Tout d’abord, la condition de nécessité est remplie et il n’y a pas de « double emploi » par rapport à la mesure fédérale : la mesure en cause a sorti ses effets du 18 mars au 16 avril 2020, soit principalement avant la mesure fédérale, laquelle a sorti ses effets entre le 9 avril et le 3 mai 2020. Les mesures sont en outre distinctes, puisque la Région wallonne a opté pour une suspension de trente jours de tous les délais de recours devant le Conseil d’État, expirant ou non durant cette période de trente jours, alors que l’autorité fédérale a de son côté prorogé de trente jours les seuls délais qui arrivaient à échéance entre le 9 avril et le 3 mai 2020. La volonté de la Région wallonne d’assurer la cohérence entre les recours internes et les recours externes est non seulement compréhensible, mais aussi pertinente au regard de la nécessité d’assurer l’exercice effectif du droit d’accès à un juge des destinataires des actes adoptés par la Région wallonne. Dans son arrêt n° 249.019, le Conseil d’État n’a pas tenu compte de cette nécessité, alors que la section de législation du Conseil d’État l’a admise dans son avis postérieur à cet arrêt. Enfin, la mesure en cause n’a suspendu les délais de recours qu’entre le 18 mars et le 16 avril 2020, de sorte qu’elle ne peut heurter la volonté du législateur fédéral de ne pas prolonger la suspension des délais au-delà du 3 mai 2020.
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Ensuite, la matière se prête à un régime différencié. En précisant que la prorogation des délais prévue par l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 – lequel a été confirmé par la loi du 24 décembre 2020 – était d’application « [s]ans préjudice des régimes adoptés ou à adopter par les autorités compétentes », l’autorité fédérale a admis que des régimes spécifiques pouvaient exister en cette matière, qui, partant, pouvait faire l’objet d’un régime différencié. En outre, le décret d’habilitation du 17 mars 2020 « octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 » permettait au Gouvernement d’agir dans toutes les matières relevant de la Région wallonne, y compris dans les matières réservées au législateur.
Enfin, l’impact de la mesure est marginal : la Région wallonne n’empiète sur la compétence fédérale qu’à l’égard d’une seule et unique règle de procédure, qui porte sur les délais d’introduction du recours, pendant un court laps de temps, et qui ne concerne qu’un nombre limité d’actes administratifs susceptibles de recours devant le Conseil d’État, à savoir les actes administratifs adoptés par les autorités administratives relevant de la Région wallonne ou en application de la législation wallonne.
A.5. Le Conseil des ministres répond que le simple fait que des différences existent entre les deux régimes n’empêche pas la mesure en cause de faire double emploi avec l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12. Il estime que l’arrêté confirmé, dès lors qu’il prévoit un régime de suspension des délais propre à la Région wallonne alors que l’ensemble des citoyens sont affectés de la même manière par les mesures fédérales, génère des inégalités entre les citoyens.
Par ailleurs, compte tenu du respect des règles répartitrices de compétences, c’est en premier lieu au législateur fédéral qu’il revient de garantir que tout justiciable dispose d’un accès effectif au Conseil d’État.
En outre, la section de législation du Conseil d’État, dans ses observations relatives au décret du 3 décembre 2020, a reconnu uniquement le caractère nécessaire de la confirmation de la disposition en cause, et non la nécessité d’une telle suspension des délais. Enfin, il n’appartient ni à la Région wallonne ni à la partie requérante devant la juridiction a quo de substituer leur appréciation à celle de l’autorité fédérale quant à l’opportunité de cette suspension.
Les termes « sans préjudice des régimes adoptés ou à adopter par les autorités compétentes » ne peuvent constituer une « habilitation » de la part du législateur fédéral à régler cette matière de manière différenciée : en effet, ces termes doivent être interprétés dans leur contexte, à savoir qu’ils visaient à inviter les autorités fédérées à s’inspirer des mesures fédérales pour régler les services relevant de leur compétence, sans toutefois viser les délais de recours au Conseil d’État. Pour le surplus, le législateur fédéral ne pourrait autoriser les entités fédérées à empiéter sur sa propre compétence sans respecter les conditions prévues aux articles 10 et 19 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Enfin, l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 n’avait pas encore été publié lorsque le Gouvernement wallon a adopté l’arrêté confirmé, de sorte que les termes utilisés dans l’arrêté royal ne sauraient démontrer que l’arrêté confirmé a été adopté parce que la matière se prête à un régime différencié.
Le fait que la mesure attaquée ne concerne qu’une seule règle de procédure et est limitée dans le temps ne permet pas de considérer qu’elle n’a qu’un impact limité sur la compétence fédérale.
Quant au maintien des effets
A.6. La partie requérante devant la juridiction a quo énonce neuf raisons pour lesquelles les effets de la disposition en cause devraient être maintenus si la Cour devait conclure à une violation des règles répartitrices de compétence.
Premièrement, la section de législation du Conseil d’État a conclu à la constitutionnalité de l’arrêté confirmé, de sorte que les justiciables pouvaient légitimement considérer que les délais de recours au Conseil d’État étaient suspendus de la manière prévue par cet arrêté.
Deuxièmement, le Gouvernement wallon a adopté des circulaires expliquant la portée et la justification de l’arrêté confirmé, de sorte que les justiciables nourrissaient une attente légitime quant à l’application de l’arrêté.
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Troisièmement, la partie requérante devant la juridiction a quo estime qu’elle ne peut être pénalisée en raison d’une erreur du Gouvernement wallon, d’autant que son droit d’accès à la justice en serait affecté.
Quatrièmement, les justiciables ont bénéficié d’une prorogation des délais devant les juridictions judiciaires en vertu de l’arrêté royal n° 2 du 9 avril 2020 « concernant la prorogation des délais de prescription et les autres délais pour ester en justice ainsi que la prorogation des délais de procédure et la procédure écrite devant les cours et tribunaux ». Cet arrêté avait pour objectif d’éviter des applications divergentes de la notion de force majeure, de sorte que, selon la partie requérante devant la juridiction a quo, il ne serait pas cohérent de lui imposer de démontrer l’existence d’un cas de force majeure pour justifier du caractère raisonnable du délai d’introduction de son recours au Conseil d’État. Elle estime qu’il en résulterait une différence de traitement.
Cinquièmement, elle considère que le maintien des effets, quant à lui, garantirait l’égalité entre les justiciables, lesquels se sont fiés aux différents textes légaux suspendant les délais de recours sans se demander si ces textes étaient conformes à la Constitution.
Sixièmement, selon la partie requérante devant la juridiction a quo, le maintien des effets est d’autant plus requis qu’il concerne une période durant laquelle la vie en société a été fortement perturbée.
Septièmement, en l’absence de maintien des effets, les justiciables subiraient les conséquences de la carence de l’autorité fédérale, laquelle a perdu de vue les délais relatifs aux procédures devant le Conseil d’État, alors qu’elle a immédiatement suspendu les délais propres aux procédures judiciaires.
Huitièmement, le maintien des effets est d’autant plus impérieux que l’autorité fédérale a, par la suite, également suspendu le délai de recours devant le Conseil d’État pour des raisons liées à la pandémie.
Neuvièmement, étant donné que les communes ont été au centre de la gestion de la pandémie, il serait injuste d’occulter les difficultés qu’elles ont subies et la charge de travail qui leur a été imposée. À l’instar d’autres mesures adoptées par le Gouvernement wallon, l’arrêté confirmé a été adopté dans le but de permettre aux communes d’assumer leur charge de travail durant la pandémie.
A.7. En ce qui concerne la demande de maintien des effets, le Conseil des ministres s’en réfère à la sagesse de la Cour, dès lors que tant le maintien des effets qu’une application rétroactive des effets d’un arrêt d’annulation affecteraient les justiciables. Ne varierait que la catégorie des justiciables affectés. Il souligne cependant que, dès lors que l’application de l’arrêté confirmé a été écartée par le Conseil d’État en vertu de l’article 159 de la Constitution, des conséquences similaires à celles qui résulteraient d’une annulation rétroactive ont déjà été constatées dans certaines affaires.
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. La question préjudicielle porte sur l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020 « relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences
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de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 »
confirmé par l’article 2 du décret de la Région wallonne du 3 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au COVID-19 » (ci-après, respectivement : l’arrêté confirmé et le décret du 3 décembre 2020).
B.2. Dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, la Région wallonne a adopté le décret du 17 mars 2020 « octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 » (ci-après : le décret du 17 mars 2020), « afin de permettre aux autorités wallonnes de prendre dans l’urgence, quasi en temps réel, toute mesure permettant de réagir aux effets de cette crise » (Doc. parl., Parlement wallon, 2019-2020, n° 135/1, p. 3). De la sorte, « le Parlement habilite le gouvernement à prendre des arrêtés dans des matières réservées par la Constitution à la norme législative, ce procédé étant admis dans des circonstances exceptionnelles ou particulières » (ibid.).
Le décret du 17 mars 2020 octroie ainsi au Gouvernement wallon les « pouvoirs spéciaux »
lui permettant de « réagir à la pandémie Covid-19 », de « prendre toutes les mesures utiles pour prévenir et traiter toute situation qui pose problème dans le cadre strict de la pandémie Covid-19
et de ses conséquences et qui doit être réglée en urgence sous peine de péril grave » (article 1er, § 1er), et, « en cas d’ajournement du Parlement wallon dû à la pandémie de Covid-19, aux seules fins d’assurer la continuité du service public malgré la pandémie de Covid-19 et dans la mesure où l’urgence de son action est motivée », de « prendre toutes les mesures utiles dans les matières qui relèvent de la compétence de la Région wallonne » (article 2, § 1er, alinéa 1er).
Les arrêtés adoptés en vertu de ces deux dispositions « peuvent abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions décrétales en vigueur, même dans les matières qui sont expressément réservées au décret par la Constitution » (articles 1er, § 2, alinéa 1er, et 2, § 2, alinéa 1er). Ces arrêtés « peuvent être adoptés sans que les avis légalement ou réglementairement requis soient préalablement recueillis », y compris les avis de la section de législation du Conseil d’État « dans les cas spécialement motivés par le Gouvernement »
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(article 3, § 1er). Ils sont communiqués, avant leur publication au Moniteur belge, au président du Parlement wallon (article 3, § 2).
Ces arrêtés doivent être confirmés par décret dans un délai d’un an à partir de leur entrée en vigueur; à défaut de confirmation dans le délai visé à l’alinéa 1er, ils sont réputés n’avoir jamais produit leurs effets (article 4).
L’habilitation conférée au Gouvernement par le décret du 17 mars 2020 est valable trois mois à dater de son entrée en vigueur, ce délai étant prorogeable une fois pour une durée équivalente (article 5). Cette habilitation est donc, « conformément au principe de proportionnalité », « strictement limitée dans le temps, au regard des circonstances sanitaires exceptionnelles qui la justifient » (Doc. parl., Parlement wallon, 2019-2020, n° 135/1, p. 3).
B.3.1. L’arrêté confirmé a été pris en vertu de l’habilitation contenue dans le décret du 17 mars 2020, sur la base de la considération que la pandémie du coronavirus Covid-19 « est de nature à affecter le bon fonctionnement des différents services publics et également à priver les citoyens de la possibilité de faire utilement et effectivement valoir leurs droits dans le cadre des procédure et recours administratifs » (Moniteur belge du 20 mars 2020, deuxième édition, p. 16592).
Tel qu’il a été pris dans sa version initiale, l’arrêté confirmé disposait :
« Article 1er. Les délais de rigueur et de recours fixés par les décrets et règlements de la Région wallonne ou pris en vertu de ceux-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, sont suspendus à partir du 18 mars 2020 pour une durée de 30 jours prorogeable deux fois pour une même durée par un arrêté par lequel le gouvernement en justifie la nécessité au regard de l’évolution des conditions sanitaires.
Art. 2. L’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat du 12 janvier 1973, est complété par un paragraphe 4 ainsi rédigé :
‘ § 4. Les délais applicables au contentieux de l’annulation devant la section du contentieux administratif relatifs à des actes pris par des autorités administratives ou de la réglementation de la Région wallonne sont suspendus à partir du 18 mars 2020 et pour une
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durée de 30 jours prorogeable deux fois pour une même durée par un arrêté par lequel le Gouvernement en justifie la nécessité au regard de l’évolution des conditions sanitaires.
Le Gouvernement peut décider de lever cette suspension avant l’échéance du délai visé à l’alinéa 1er ’.
Art. 3. Le Gouvernement, par arrêté, constate la fin de la période de suspension visée aux articles 1 et 2.
Art. 4. Le présent arrêté entre en vigueur le lendemain du jour de sa signature ».
B.3.2. Conformément à l’article 2 de l’arrêté confirmé, les délais de recours applicables au contentieux de l’annulation devant le Conseil d’État relatifs à des actes pris par des autorités administratives ou de la réglementation de la Région wallonne ont été suspendus pour une durée de trente jours, entre le 18 mars et le 16 avril 2020 inclus.
B.3.3. Le préambule de l’arrêté confirmé indique que la suspension des délais de recours en annulation au Conseil d’État est directement liée à la suspension de tous les délais de rigueur fixés dans l’ensemble de la législation et de la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celles-ci, ainsi que des délais de rigueur fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 :
« Considérant la qualification de l’OMS du coronavirus COVID-19 comme une pandémie en date du 11 mars 2020;
Considérant [que] les mesures, actuelles et à venir, prises pour limiter la propagation du virus dans la population sont de nature à ralentir toute forme d’activité sur le territoire de la Région wallonne, à affecter le bon fonctionnement des différents services publics, voire à paralyser certains services;
Que cette dernière est de nature à affecter le bon fonctionnement des différents services publics et également à priver les citoyens de la possibilité de faire utilement et effectivement valoir leurs droits dans le cadre des procédures et recours administratifs;
Considérant qu’il convient, afin de garantir la continuité du service public, de garantir le principe d’égalité et de préserver la sécurité juridique, de prendre des mesures qui visent à ce qu’aucun citoyen ne soit entravé ni dans l’exercice de ses droits ni dans l’accomplissement de ses obligations du fait des impacts de la crise sanitaire sur le fonctionnement quotidien des
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Services publics ou du fait qu’il n’ait pas été lui-même dans une situation qui lui permette d’exercer ceux-ci;
Considérant, qu’il convient également de veiller à ce que les services publics soient en mesure de traiter effectivement [les] procédures administratives et les recours relevant de leur responsabilité, tout en évitant que des décisions ne soient prises par défaut dans le cas d’une impossibilité de traitement dans les délais requis;
Considérant, dès lors, qu’il convient de suspendre tous les délais de rigueur fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980;
Qu’il est proposé que ces délais soient suspendus à partir du 18 mars 2020 et pour une durée de 30 jours prorogeable deux fois pour une même durée par un arrêté par lequel le gouvernement en justifie la nécessité au regard de l’évolution des conditions sanitaires. Ces délais recommenceront à courir le lendemain de la publication au Moniteur belge de l’arrêté du Gouvernement constatant la fin de la période de suspension;
Que le Gouvernement peut être appelé à décider de la date d’entrée en vigueur d’un arrêté, il est raisonnable de l’autoriser, dans les circonstances actuelles, de décider de la date à laquelle il cessera de produire ses effets;
Qu’en effet, la mesure visée dans le présent arrêté de pouvoirs spéciaux est à ce point exceptionnelle qu’il s’indique d’y mettre fin dès qu’il apparaît qu’elle ne se justifie plus ou de la prolonger;
[...]
Que par ailleurs, le dispositif ici mis en œuvre n’aurait de sens s’il ne s’appliquait pas également aux recours qui peuvent être introduits à l’encontre d’actes des autorités administratives relevant de la législation wallonne devant le Conseil d’Etat;
Qu’à ce titre, il convient de modifier l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat du 12 janvier 1973 afin de consacrer, dans les mêmes conditions, la suspension pour la même période de la saisine de la juridiction administrative;
Que cette mesure se justifie sur la base de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles; qu’elle est nécessaire à l’exercice des compétences régionales car le dispositif ici mis en œuvre serait privé de cohérence si un recours externe contre un acte administratif était traité différemment d’un recours interne, qu’elle se prête à un traitement différencié dès lors qu’elle ne concerne que les actes des autorités administratives relevant du
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droit de la Région wallonne et revêt un impact marginal dès lors qu’elle ne s’appliquera que pendant une période très limitée dans le temps » (Moniteur belge du 20 mars 2020, p. 16593).
B.3.4. L’article 3 de l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 3 du 18 mars 2020 « concernant les matières transférées à la Région wallonne en vertu de l’article 138 de la Constitution et relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 »
(ci-après : l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 3), qui n’est pas en cause, prévoit également, pour les matières transférées à la Région en vertu de l’article 138 de la Constitution, que les délais de recours applicables au contentieux de l’annulation devant le Conseil d’État sont suspendus pour une durée de trente jours, entre le 18 mars et le 16 avril 2020 inclus.
B.4.1. L’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 20 du 18 avril 2020
« prorogeant les délais prévus par l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2
du 18 mars 2020 relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 et par l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 3 du 18 mars 2020 concernant les matières transférées à la Région wallonne en vertu de l’article 138 de la Constitution et relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 » (ci-après : l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 20) a modifié l’arrêté confirmé et l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 3, et a prorogé la période de suspension prévue par ces arrêtés.
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L’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 20 dispose :
« Article 1er. A l’article 1er de l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 du 18 mars 2020, les mots ‘ pour une durée de 30 jours prorogeable deux fois pour une même durée par un arrêté par lequel le gouvernement en justifie la nécessité au regard de l’évolution des conditions sanitaires. ’ sont remplacés par les mots ‘ pour une première durée de 30 jours, prorogeable deux fois jusqu’à une date fixée par arrêté du Gouvernement ne pouvant à chaque fois excéder 30 jours et justifiant de la nécessité au regard de l’évolution des conditions sanitaires. ’.
Art. 2. A l’alinéa 1er du paragraphe 4 de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat du 12 janvier 1973, les mots ‘ pour une durée de 30 jours prorogeable deux fois pour une même durée par un arrêté par lequel le Gouvernement en justifie la nécessité au regard de l’évolution des conditions sanitaires ’ sont remplacés par les mots pour une première durée de 30 jours, prorogeable deux fois jusqu’à une date fixée par arrêté du Gouvernement ne pouvant à chaque fois excéder 30 jours et justifiant de la nécessité au regard de l’évolution des conditions sanitaires. ’.
Art. 3. Le délai prévu à l’article 1er de l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020 relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980
est prorogé d’une nouvelle période prenant cours le 17 avril 2020 et s’achevant le 30 avril 2020
inclus.
Art. 4. Le délai prévu au paragraphe 4 de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat du 12 janvier 1973, est prorogé d’une nouvelle période prenant cours le 17 avril 2020 et s’achevant le 30 avril 2020 inclus.
[...]
Art. 7. Le présent arrêté entre en vigueur le jour de sa signature ».
B.4.2. Conformément à l’article 4 de l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 20, la période de suspension des délais de recours applicables au contentieux de l’annulation devant le Conseil d’État, fixée à l’article 14, § 4, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973
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(ci-après : les lois coordonnées sur le Conseil d’État), tel qu’il a été inséré par l’article 2 de l’arrêté confirmé, a été prorogée du 17 avril au 30 avril 2020 inclus.
Les délais de recours applicables au contentieux de l’annulation devant le Conseil d’État relatifs à des actes pris par des autorités administratives ou de la réglementation de la Région wallonne ont dès lors été suspendus, en application de l’arrêté confirmé et de l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 20, du 18 mars 2020 au 30 avril 2020 inclus.
B.4.3. Le préambule de l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 20 indique :
« Considérant la décision du Gouvernement fédéral du 15 avril décidant de prolonger la période de confinement jusqu’au 3 mai inclus;
[...]
Considérant que la période de suspension initiale devait en principe se terminer le 16 avril 2020 à minuit;
Considérant néanmoins qu’il convient de proroger, pour une période s’étendant jusqu’au 3 mai inclus, la suspension de tous les délais de rigueur fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980;
Que, dès lors, le Gouvernement peut être appelé à décider de la date d’entrée en vigueur d’un arrêté, il est raisonnable de l’autoriser, dans les circonstances actuelles, à décider également de la date à laquelle il cessera de produire ses effets;
Qu’en effet, la mesure visée dans le présent arrêté de pouvoirs spéciaux est à ce point exceptionnelle qu’il s’indique d’y mettre fin dès qu’il apparaît qu’elle ne se justifie plus ou de la prolonger » (Moniteur belge du 22 avril 2020, pp. 27653-27654).
B.5.1. Conformément à l’article 4 du décret du 17 mars 2020, l’article 2 du décret du 3 décembre 2020 confirme l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 2, tandis que l’article 4, non en cause, du décret du 3 décembre 2020 confirme, notamment, les articles 2 et 4 de l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 20.
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Conformément à l’article 5 du décret du 17 mars 2020 « octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 pour les matières réglées par l’article 138 de la Constitution », l’article 2 du décret du 3 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux pris dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée au COVID-19 pour les matières visées à l’article 138 de la Constitution » confirme l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 3.
B.5.2. Les travaux préparatoires relatifs à l’article qui est devenu l’article 2 du décret du 3 décembre 2020 mentionnent des considérations identiques à celles du préambule de l’arrêté confirmé :
« Cet article vise à confirmer l’arrêté du Gouvernement wallon de pouvoirs spéciaux n° 2
du 18 mars 2020 relatif à la suspension temporaire des délais de rigueur et de recours fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, conformément à l’article 4 du décret du 17 mars 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19.
La crise sanitaire exceptionnelle liée au COVID-19 et les mesures prises pour limiter la propagation du virus dans la population ont été de nature à ralentir toute forme d’activité sur le territoire de la Région wallonne et à affecter le bon fonctionnement des différents services publics, voire à paralyser certains services.
Cette dernière était également susceptible de priver les citoyens de la possibilité de faire utilement et effectivement valoir leurs droits dans le cadre des procédures et recours administratifs.
Dès lors, afin de garantir la continuité du service public, de garantir le principe d’égalité et de préserver la sécurité juridique, il convenait de prendre des mesures qui visent à ce qu’aucun citoyen ne soit entravé ni dans l’exercice de ses droits ni dans l’accomplissement de ses obligations du fait des impacts de la crise sanitaire sur le fonctionnement quotidien des Services publics ou du fait qu’il n’ait pas été lui-même dans une situation qui lui permette d’exercer ceux-ci.
Il convenait également de veiller à ce que les services publics soient en mesure de traiter effectivement les recours et procédures administratives relevant de leur responsabilité, tout en évitant que des décisions ne soient prises par défaut dans le cas d’une impossibilité de traitement dans les délais requis.
[...]
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Compte tenu de ce qui précède, il est apparu nécessaire de suspendre tous les délais de rigueur fixés dans l’ensemble de la législation et la réglementation wallonnes ou adoptés en vertu de celle-ci ainsi que ceux fixés dans les lois et arrêtés royaux relevant des compétences de la Région wallonne en vertu de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, ainsi que les enquêtes publiques.
Ces délais se sont vu suspendus à partir du 18 mars 2020 et pour une durée de 30 jours prorogeable deux fois pour une même durée par un arrêté par lequel le Gouvernement en justifie la nécessité au regard de l’évolution des conditions sanitaires.
[...]
Enfin, le dispositif mis en œuvre s’appliquait également aux recours qui pouvaient être introduits à l’encontre d’actes des autorités administratives relevant de la législation wallonne devant le Conseil d’État.
A ce titre, l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’État du 12 janvier 1973 s’est vu modifié afin de consacrer, dans les mêmes conditions, la suspension pour la même période de la saisine de la juridiction administrative. Cette mesure se justifie sur la base de l’article 10
de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
En effet, la mesure était rendue nécessaire à l’exercice des compétences régionales, en ce compris dans des matières transférées à la Région wallonne en vertu de l’article 138 de la Constitution, car le dispositif ici mis en œuvre serait privé de cohérence si un recours externe contre un acte administratif était traité différemment d’un recours interne. Elle se prête à un traitement différencié dès lors qu’elle ne concerne que les actes des autorités administratives relevant du droit de la Région wallonne et [...] revêt un impact marginal dès lors qu’elle ne s’appliquera que pendant une période très limitée dans le temps » (Doc. parl., Parlement wallon, 2020-2021, n° 292/1, p. 17).
B.6.1. Par ailleurs, l’article 3 de la loi du 27 mars 2020 « habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du virus COVID-19 (I) » (ci-après : la loi du 27 mars 2020) accorde au Roi les « pouvoirs spéciaux » lui permettant, « dans le respect des principes fondamentaux d’indépendance et d’impartialité et en tenant compte des droits de la défense des justiciables », d’« adapter la compétence, le fonctionnement, la procédure, y compris les délais prévus par la loi, de la section du contentieux administratif du Conseil d’État et des juridictions administratives afin d’assurer le bon fonctionnement de ces instances et plus particulièrement la continuité de l’administration de la justice et de leurs autres missions ».
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Les travaux préparatoires relatifs à la proposition de loi qui est à l’origine de l’article 3 de la loi du 27 mars 2020 exposent :
« Le bon fonctionnement du Conseil d’État et des juridictions administratives, est assuré en prévoyant la possibilité d’adapter la compétence, le fonctionnement et la procédure. Les mesures peuvent comprendre, entre autres, des dispositions visant à assurer une protection juridique aux parties qui peuvent démontrer qu’elles n’ont pas pu respecter certains délais de procédure en raison de mesures prises pour se conformer aux directives émises par les autorités publiques pour lutter contre le coronavirus » (Doc. parl., Chambre, 2019-2020, DOC 55-
1104/001, p. 8).
B.6.2.1. Conformément à l’habilitation contenue dans cette disposition, l’article 1er de l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 du 21 avril 2020 « concernant la prorogation des délais de procédure devant le Conseil d’État et la procédure écrite » (ci-après : l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12) dispose :
« Sans préjudice des régimes adoptés ou à adopter par les autorités compétentes, les délais, applicables à l’introduction et au traitement des procédures devant la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat, qui arrivent à échéance pendant la période s’étendant du 9 avril 2020 au 3 mai 2020 inclus, date ultime que le Roi peut adapter par arrêté délibéré en Conseil des ministres, et dont l’expiration peut ou pourrait entraîner la forclusion ou une autre sanction à défaut de traitement dans les délais, sont prolongés de plein droit de trente jours à l’issue de cette période prolongée s’il échet.
L’alinéa 1er ne s’applique pas aux demandes de suspension d’extrême urgence et aux demandes de mesures provisoires d’extrême urgence introduites au cours de la période visée à l’alinéa 1er ».
L’article 1er de l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 prévoit ainsi, pour les délais applicables à l’introduction et au traitement des procédures devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État venant à échéance entre le 9 avril et le 3 mai 2020, une prolongation de trente jours à l’issue de cette période. Cette mesure ne s’applique cependant pas aux demandes de suspension d’extrême urgence ni aux demandes de mesures provisoires d’extrême urgence introduites pendant cette période.
B.6.2.2. Dans le rapport au Roi ayant précédé l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12, il est exposé :
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« Depuis que les prescriptions de sécurité plus sévères imposées par le Gouvernement et les restrictions de la vie publique et de la liberté de mouvement qui en découlent sont entrées en vigueur, le risque est devenu réel que des actes de procédure requis devant des organes juridictionnels ne puissent pas être accomplis dans les délais. Certes, la force majeure suspend tout délai, mais il est évident qu’il y aura grand débat quant à la question de savoir si les mesures de lutte contre le coronavirus constituent en toutes circonstances pareille forme, a fortiori une forme stricte, de force majeure.
Pour le Conseil d’État également, le risque est réel que des actes de procédure ne puissent pas être accomplis dans les délais.
Pour ce motif, il faut éviter des effets juridiques préjudiciables durant toute cette période, ce qui signifie que les délais de forclusion procéduraux qui arrivent à échéance pendant cette période de crise, doivent être prorogés. Cela s’applique également aux délais de forclusion qui font l’objet d’une sanction analogue, comme par exemple l’écartement d’office des débats d’un mémoire tardif.
À l’instar des procédures devant les cours et tribunaux, le présent projet prévoit dès lors une prorogation des délais de trente jours.
Ce délai de trente jours – et donc pas d’un mois comme il est prévu pour les cours et tribunaux – répond aux prescriptions spécifiques en matière de calcul des délais qui s’appliquent au Conseil d’État.
Cette prorogation s’applique tant aux délais dans lesquels les parties doivent introduire leur demande – en règle générale respectivement soixante ou trente jours – qu’à ceux dans lesquels les parties doivent déposer leurs mémoires, demander la poursuite de la procédure ou accomplir d’autres actes de procédure (par exemple l’introduction d’une demande en intervention). Dans l’intérêt de la sécurité juridique, pareille réglementation simple et uniforme, en quelque sorte ‘ forfaitaire ’, s’impose, parce qu’elle défend au mieux les intérêts juridiques et parce qu’elle offre de ce fait à chacun la possibilité d’agir encore dans un délai raisonnable une fois terminée la période de crise actuelle. Par conséquent, afin d’éviter que, par exemple, le jour où prendra fin la crise soit d’emblée celui où il faudrait agir in extremis, ce qui pourrait être le cas si les délais sont suspendus, il est opté pour la prorogation de trente jours des délais venant à échéance dans la période visée à l’article 1er.
Cette période supplémentaire de trente jours permet aux parties – tant aux particuliers qu’à leurs avocats – et aux instances concernées – comme les greffes – de se concerter et de se réorganiser afin que les significations, notifications, dépôts de mémoires, communications, etc.
puissent à nouveau se faire aisément, et ce pour éviter l’apparition d’un ‘ goulet d’étranglement ’ lors du seul jour qui suit immédiatement la fin de la crise ou au cours d’une brève période consécutive à cet événement.
La réglementation proposée sera sans doute perçue dans certains cas comme généreuse, mais les circonstances actuelles ne permettent pas d’appliquer un dosage ‘ d’apothicaire ’ pour établir la proportion parfaite ou, le cas échéant, la prorogation pour chacune des nombreuses situations et chacun des délais fixés par la loi séparément.
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En outre, cette réglementation poursuit une égalité de traitement des justiciables impliqués dans des procédures devant le juge judiciaire et des acteurs d’une procédure devant le Conseil d’État.
La réglementation envisagée rejoint dès lors, rappelons-le, en tous points, sur le fond, celle qui est envisagée pour les cours et tribunaux.
Enfin, conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le fait que des situations différentes doivent être traitées différemment n’empêche pas, si nécessaire, d’appréhender leur diversité en faisant usage de catégories qui ne correspondent à la réalité que de manière simplifiée et approximative.
Par ailleurs, il ne faut pas non plus perdre de vue qu’il s’agit ici d’une mesure d’urgence, par hypothèse temporaire » (Moniteur belge du 22 avril 2020, pp. 27761-27762).
B.6.2.3. L’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 prévoyait également, entre le 9 avril et le 3 mai 2020, des règles dérogatoires pour le traitement des demandes de suspension d’extrême urgence (article 2) et pour la tenue d’une audience publique (article 3), ou pour la communication électronique (articles 4 et 5) devant le Conseil d’État.
La période visée aux articles 2, 3, 4 et 5 de l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 a été prolongée jusqu’au 18 mai 2020 inclus par l’arrêté royal du 4 mai 2020 « prorogeant certaines mesures prises par l’arrêté royal n° 12 du 21 avril 2020 concernant la prorogation des délais de procédure devant le Conseil d’Etat et la procédure écrite », puis jusqu’au 30 juin 2020 inclus par l’arrêté royal du 18 mai 2020 « prorogeant certaines mesures prises par l’arrêté royal n° 12
du 21 avril 2020 concernant la prorogation des délais de procédure devant le Conseil d’Etat et la procédure écrite ».
Cependant, les délais d’introduction et de traitement des procédures visées à l’article 1er de l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12 n’ont pas été prolongés.
Le rapport au Roi ayant précédé l’arrêté royal précité du 4 mai 2020 indique à cet égard :
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« Les dispositions de l’article 1er de l’AR n° 12 ne sont pas prolongées du fait qu’il ne peut y avoir d’insécurité juridique sur une période plus longue en ce qui concerne les actes visés de l’autorité » (Moniteur belge, 4 mai 2020, p. 30338).
B.6.3. L’article 2 de la loi du 24 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés royaux pris en application de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 (I) » a confirmé l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12, ainsi que les arrêtés précités des 4 et 18 mai 2020.
Quant au fond
B.7. Par son arrêt n° 69/2022 du 19 mai 2022, la Cour a annulé les articles 2 et 4 du décret du 3 décembre 2020 et a maintenu les effets des dispositions annulées.
Dans cet arrêt, la Cour a jugé que :
« B.14. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10, 11 et 160 de la Constitution et des articles 10 et 19, § 1er, alinéa 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, en ce que la disposition attaquée, en confirmant l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 2, empiète sur la compétence réservée au législateur fédéral, sans que les conditions pour invoquer les compétences implicites soient remplies.
[...]
B.18. L’article 160 de la Constitution dispose :
‘ Il y a pour toute la Belgique un Conseil d’Etat, dont la composition, la compétence et le fonctionnement sont déterminés par la loi. Toutefois, la loi peut attribuer au Roi le pouvoir de régler la procédure conformément aux principes qu’elle fixe.
Le Conseil d’Etat statue par voie d’arrêt en tant que juridiction administrative et donne des avis dans les cas déterminés par la loi.
[...] ’.
Cette disposition réserve à l’autorité fédérale la compétence de déterminer la composition, la compétence et le fonctionnement du Conseil d’État, y compris les règles de la procédure, et
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de définir les cas dans lesquels le Conseil d’État statue par voie d’arrêt en tant que juridiction administrative et donne des avis.
B.19. En confirmant un arrêté qui modifie, dans l’article 14, § 4, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, les règles générales de procédure applicables au délai de recours en annulation devant le Conseil d’État, le législateur décrétal empiète sur la compétence qui est réservée à l’autorité fédérale par l’article 160 de la Constitution.
B.20.1. L’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 permet cependant au décret de disposer dans des matières pour lesquelles les Parlements ne sont pas compétents, y compris, conformément à l’article 19, § 1er, alinéa 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980, pour régler des matières que la Constitution a réservées au législateur fédéral.
Dans le cadre de l’attribution de pouvoirs spéciaux, les mesures prises par les gouvernements fédérés doivent s’inscrire dans les compétences des communautés et des régions. Ces gouvernements peuvent dès lors, dans ce cadre, adopter des dispositions dans des matières pour lesquelles leurs parlements ne sont pas compétents, pour autant qu’ils agissent, conformément à une habilitation législative et moyennant une confirmation législative, dans le respect des conditions prévues à l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.20.2. Pour que l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 puisse s’appliquer, il est requis que la réglementation adoptée soit nécessaire à l’exercice des compétences de la région, que la matière se prête à un régime différencié et que l’incidence des dispositions attaquées sur la matière ne soit que marginale.
B.21.1. Comme il est dit en B.3.3 et en B.5.2, l’arrêté confirmé et la disposition attaquée sont justifiées par l’objectif légitime de ‘ garantir la continuité du service public, de garantir le principe d’égalité et de préserver la sécurité juridique, de prendre des mesures qui visent à ce qu’aucun citoyen ne soit entravé ni dans l’exercice de ses droits ni dans l’accomplissement de ses obligations du fait des impacts de la crise sanitaire sur le fonctionnement quotidien des Services publics ou du fait qu’il n’ait pas été lui-même dans une situation qui lui permette d’exercer ceux-ci ’.
En ce qui concerne l’empiètement sur la compétence fédérale de régler les délais de recours en annulation devant le Conseil d’État, il est avancé que l’intervention de la Région wallonne est ‘ nécessaire à l’exercice des compétences régionales car le dispositif ici mis en œuvre serait privé de cohérence si un recours externe contre un acte administratif était traité différemment d’un recours interne ’.
Le dispositif de suspension mis en place se fonde par conséquent sur l’idée d’un parallélisme indispensable entre, d’une part, la suspension des délais de rigueur fixés par ou en vertu de la législation wallonne et, d’autre part, la suspension des délais concernant les recours en annulation introduits devant le Conseil d’État à l’encontre des actes des autorités administratives relevant de la législation wallonne.
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Cette position ne peut être suivie. En effet, le fait de suspendre les délais de rigueur ‘ internes ’ applicables aux procédures administratives traitées par les autorités relevant de la législation wallonne a pour conséquence de suspendre les délais applicables à l’adoption d’actes qui pourraient faire l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État, de sorte que cette mesure suffit pour postposer, par voie de conséquence, la prise de cours des délais de recours ‘ externes ’ en annulation devant le Conseil d’État à l’égard de ces actes. Comme le Conseil d’État l’a jugé, par son arrêt n° 249.019 du 24 novembre 2020, la suspension des délais de rigueur, applicables à la seule action administrative régionale ‘ n’infère aucune conséquence nécessaire sur la prise de cours et la computation des délais applicables à la procédure juridictionnelle devant le Conseil d’État ’.
Une mesure de suspension des délais de recours en annulation devant le Conseil d’État, qui est une matière relevant de l’autorité fédérale, n’était donc pas nécessaire à l’exercice des compétences de la Région wallonne.
B.21.2. Le caractère non nécessaire de la mesure attaquée pour l’exercice des compétences de la Région wallonne est encore confirmé par le fait que l’autorité fédérale a elle-même adopté une mesure de prorogation des délais de recours en annulation devant le Conseil d’État, dans l’article 1er de l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12, confirmé par la loi du 24 décembre 2020.
Contrairement à ce qu’allègue le Gouvernement wallon, les termes ‘ sans préjudice des régimes adoptés ou à adopter par les autorités compétentes ’, contenus dans l’article 1er de l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n° 12, ne peuvent constituer une habilitation qui serait donnée par le législateur fédéral d’empiéter sur sa propre compétence, dès lors que l’autorité fédérale, les communautés et les régions ne peuvent pas renoncer, abandonner ou échanger une compétence qui leur a été attribuée par la Constitution ou par la loi spéciale de réformes institutionnelles.
B.22.1. On ne peut davantage suivre l’argumentation de la Région wallonne selon laquelle la matière se prêterait à un traitement différencié dès lors qu’elle ne concerne que les actes des autorités administratives relevant du droit de la Région wallonne, ni l’allégation selon laquelle cette mesure n’aurait qu’un impact marginal dès lors qu’elle ne s’appliquerait que pour une période très limitée dans le temps.
B.22.2. La circonstance que la mesure attaquée ne concerne que les actes des autorités administratives relevant du droit de la Région wallonne ne signifie pas que la matière des délais relatifs aux recours en annulation devant le Conseil d’État se prête à un traitement différencié.
En effet, comme il a déjà été exposé en B.6, l’autorité fédérale a adopté un dispositif visant à éviter pour les justiciables que la crise sanitaire ait des effets juridiques préjudiciables en ce qui concerne les délais de procédure devant le Conseil d’État. La mesure fédérale de prorogation des délais de procédure expirant entre le 9 avril et le 3 mai 2020, pour une durée de trente jours à l’issue de cette période, poursuit le même objectif que la mesure attaquée, et elle est, comme la mesure attaquée, limitée dans le temps.
Bien qu’ils poursuivent des objectifs identiques et qu’ils constituent des mesures exceptionnelles, le dispositif fédéral et le dispositif régional étaient cependant distincts dans
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leur conception, leurs effets et leur période de référence, puisqu’il s’agissait, d’une part, d’une prorogation forfaitaire des seuls délais de procédure venus à échéance pendant une période donnée (entre le 9 avril et le 3 mai 2020), pour une durée de trente jours à l’issue de cette période, à l’exclusion des demandes de suspension d’extrême urgence et des demandes de mesures provisoires d’extrême urgence introduites pendant cette période, et, d’autre part, d’une suspension généralisée des délais de recours en annulation devant le Conseil d’État pendant une période donnée (entre le 18 mars et le 30 avril 2020).
Non seulement la mesure attaquée n’était pas nécessaire à l’exercice des compétences régionales, comme il est dit en B.21.1, mais, combinée avec la mesure fédérale de prorogation des délais de procédure, elle a pour effet de créer une insécurité juridique quant à la computation des délais pour les justiciables, qui sont soumis à des traitements procéduraux distincts quant aux délais de recours et de procédure devant le Conseil d’État, selon qu’ils sont ou non parties à un contentieux portant sur des actes des autorités administratives relevant du droit de la Région wallonne.
B.22.3. Enfin, le fait qu’une mesure s’applique pendant une période très limitée dans le temps ne signifie pas nécessairement que son impact est marginal.
Compte tenu des conséquences de la mesure attaquée au niveau de la sécurité juridique, l’impact de cette mesure, laquelle touche aux règles fondamentales de la computation des délais de recours devant le Conseil d’État, même si elle est limitée dans le temps, ne peut pas être considéré comme étant marginal.
B.23. Le moyen est fondé. Il y a dès lors lieu d’annuler l’article 2 du décret du 3 décembre 2020, en ce qu’il confirme l’article 2 de l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 2.
B.24. Doivent également être annulées les dispositions indissociablement liées à la disposition annulée, à savoir l’article 4 du décret du 3 décembre 2020, en ce qu’il confirme les articles 2 et 4 de l’arrêté wallon de pouvoirs spéciaux n° 20. »
B.8. Par le même arrêt, la Cour a maintenu les effets des dispositions annulées de sorte que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
La question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 10 novembre 2022.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul