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10/11/2022 | BELGIQUE | N°145/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 10 novembre 2022, 145/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 145/2022
du 10 novembre 2022
Numéro du rôle : 7688
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 59 du Code des impôts sur les revenus 1992 (exercices d’imposition 2017 et 2018), posée par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir d

élibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par ...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 145/2022
du 10 novembre 2022
Numéro du rôle : 7688
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 59 du Code des impôts sur les revenus 1992 (exercices d’imposition 2017 et 2018), posée par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges T. Giet, M. Pâques, T. Detienne, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 24 novembre 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 décembre 2021, le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 59 du Code des impôts sur les revenus 1992 (tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017 et 2018), dans l’interprétation selon laquelle il doit toujours être tenu compte, lors du calcul de la limite de 80 %, des pensions extra-légales déjà constituées en dehors de l’entreprise (même lorsque l’entreprise n’a pas fait usage de la possibilité prévue par l’article 35, § 3, de l’AR/CIR 1992 de valoriser (à raison de 10 ans maximum) l’activité professionnelle antérieure exercée en dehors de l’entreprise), viole-t-il le principe d’égalité établi dans les articles 10 et 11, ainsi que les articles 170 et 172 de la Constitution, en ce qu’il crée une distinction injustifiée entre des entreprises qui versent des primes dans le cadre d’un contrat individuel relatif à des engagements de pension au profit de leur dirigeant, une entreprise ne pouvant pas déduire les primes à titre de frais professionnels parce que son dirigeant a déjà constitué partiellement un capital de pension extra-légale en dehors de l’entreprise, alors qu’une autre entreprise peut déduire les primes à titre de frais professionnels parce que son dirigeant y a travaillé durant toute sa carrière, compte tenu du fait qu’en définitive (donc tout au long d’une carrière professionnelle de 40 ans), les deux dirigeants d’entreprise constituent un même capital de pension extra-légale (donc de la même importance) ? ».
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Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- la SRL « Carrix », assistée et représentée par Me C. Hendrickx, avocat au barreau de Bruxelles;
- l’ASBL « Assuralia », la SA « AG Insurance », la SA « Allianz Benelux », la SA « AXA Belgium », la SA « Baloise Belgium », la SA « KBC Assurances » et la SC « P&V Assurances », assistées et représentées par Me A. Huyghe et Me M. Krug, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me G. Leyns, avocat au barreau de Gand.
Par ordonnance du 13 juillet 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs S. de Bethune et T. Giet, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 1er août 2022 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite des demandes de différentes parties à être entendues, la Cour, par ordonnance du 22 août 2022, a fixé l'audience au 21 septembre 2022.
À l’audience publique du 21 septembre 2022 :
- ont comparu :
. Me C. Hendrickx, pour la SRL « Carrix »;
. Me A. Huyghe et Me M. Krug, pour l’ASBL « Assuralia », la SA « AG Insurance », la SA « Allianz Benelux », la SA « AXA Belgium », la SA « Baloise Belgium », la SA « KBC Assurances » et la SC « P&V Assurances » (parties intervenantes);
. Me G. Leyns, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs S. de Bethune et T. Giet ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l'affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
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II. Les faits et la procédure antérieure
En février 2016, la SRL « Carrix » a conclu un contrat d’engagement individuel de pension (ci-après : contrat EIP) au profit de son dirigeant, qui était à la tête de l’entreprise depuis sa création en 2006. Celle-ci a décidé de payer en 2016 à la fois une prime annuelle récurrente et une prime pour compenser les années travaillées dans l’entreprise avant la conclusion du contrat EIP (ce qu’on appelle le « backservice »). La prime annuelle récurrente a été fixée à 5 830,96 euros (y compris une prime de garantie complémentaire de 830,96 euros) et la prime destinée à compenser les années travaillées dans l’entreprise avant la conclusion du contrat EIP à 41 000 euros. En 2017, l’entreprise a payé la prime récurrente de 5 830,96 euros. L’entreprise a déduit les primes versées à titre de frais professionnels pour les exercices d’imposition 2017 et 2018.
Par des avis de rectification du 8 novembre 2019 concernant les exercices d’imposition 2017 et 2018, l’administration fiscale a rejeté la déduction des primes précitées au motif que la limite de 80 % était dépassée. Le 18 décembre 2019 et le 13 janvier 2020, l’administration fiscale a établi une cotisation supplémentaire à l’impôt des sociétés à charge de l’entreprise. Cette dernière a introduit une réclamation motivée contre les deux cotisations supplémentaires. Par une décision administrative du 20 mars 2020, la réclamation a été acceptée en ce qui concerne la partie de la prime relative à la garantie complémentaire (830,96 euros) pour les exercices d’imposition 2017 et 2018. Pour le surplus, l’administration a rejeté la réclamation. Le 22 juin 2020, l’entreprise a porté l’affaire devant le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division de Gand, à savoir le juge a quo.
Le juge a quo constate que les parties ne sont pas d’accord sur la déductibilité des primes versées par l’entreprise dans le cadre du contrat EIP, et en particulier au sujet de la méthode de calcul de la limite de 80 %.
L’article 59, § 1er, alinéa 1er, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992) dispose que les cotisations et primes patronales versées en application d’un engagement de pension collectif ou individuel ne sont déductibles à titre de frais professionnels qu’à condition que les prestations légales et extra-légales en cas de retraite, exprimées en rentes annuelles, ne dépassent pas 80 % de la dernière rémunération brute annuelle normale et doivent tenir compte d’une durée normale d’activité professionnelle. L’administration fiscale est d’avis que, pour calculer cette limite de 80 %, il faut toujours tenir compte de toutes les prestations extra-légales qui ont déjà été constituées en dehors de l’entreprise concernée. Selon l’entreprise, il ne faut tenir compte de ces prestations que pour autant qu’elles soient valorisées au sein de l’entreprise pour le dirigeant, en application de l’article 35, § 3, de l’arrêté royal d’exécution du CIR 1992.
Selon le juge a quo, l’interprétation que l’administration fiscale donne à l’article 59 du CIR 1992 entraîne une différence de traitement entre deux catégories d’entreprises qui se trouvent dans des situations comparables.
Ainsi, le point de vue de l’administration a pour effet que les primes versées par une entreprise dans le cadre d’un contrat EIP au profit d’un dirigeant qui y a travaillé pendant toute sa carrière sont déductibles, alors que les primes versées par une entreprise au profit d’un dirigeant qui a déjà constitué un capital de pension complémentaire en dehors de l’entreprise concernée ne sont pas déductibles.
Se demandant si cette différence de traitement est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution ainsi qu’avec les articles 170 et 172 de celle-ci, le juge a quo décide de poser à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. Dans son mémoire, le Conseil des ministres fait valoir que, pour calculer la limite de 80 % en ce qui concerne la déductibilité des cotisations et primes patronales versées dans le cadre des engagements de pension complémentaire, il faut tenir compte du montant total des pensions légales et des pensions extra-légales calculées sur une base annuelle. Selon le Conseil des ministres, il découle de l’article 59, § 1er, 2°, et § 4, du CIR 1992 que
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toutes les pensions légales et extra-légales doivent être prises en considération dans le contrôle de la limite de 80 %
et donc pas uniquement les pensions extra-légales qui sont constituées durant l’activité professionnelle actuelle.
Cette interprétation correspond également à l’objectif du législateur, à savoir empêcher la constitution, en exemption d’impôt, de capitaux de pension anormalement élevés. S’il n’était pas tenu compte du capital de pension complémentaire constitué au sein d’une entreprise précédente, il serait possible de constituer au profit d’un dirigeant d’entreprise, par le biais de cotisations patronales déductibles à l’impôt des sociétés, un capital de pension complémentaire plus important que celui qui est prévu par l’article 59, § 1er, alinéa 1er, 2°, du CIR 1992, alors que l’objectif de la limite de 80 % est précisément d’éviter la constitution de pensions excessives par le biais de primes déductibles fiscalement.
A.1.2. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle n’est pas utile à la solution du litige au fond et n’appelle dès lors pas de réponse. Il souligne que le dirigeant de la SRL « Carrix » avait déjà constitué un capital de pension complémentaire qui dépasse en tout état de cause la limite de 80 %. Même si le dirigeant avait eu une carrière complète dans l’entreprise, la déduction fiscale des primes aurait été rejetée dans son intégralité pour les exercices d’imposition 2017 et 2018.
Dans son mémoire en réponse, le Conseil des ministres souligne également que la SRL « Carrix » soulève dans son mémoire une seconde prétendue violation du principe d’égalité, qu’elle déduit de la différence de traitement au sein de la catégorie des entreprises contribuables qui versent des primes de pension au profit de dirigeants d’entreprise qui n’ont pas une carrière complète dans leur entreprise actuelle. L’entreprise semble suggérer en outre une violation du principe de la sécurité juridique et du principe de la confiance légitime. De plus, le Conseil des ministres indique que les parties intervenantes estiment qu’il y a aussi une égalité de traitement de situations différentes. En ce que la SRL « Carrix » et les parties intervenantes dénoncent une violation envers d’autres catégories d’entreprises ou sur la base d’autres motifs juridiques, la Cour ne doit pas examiner les moyens concernés. En effet, les parties ne peuvent pas modifier la question préjudicielle posée par le juge a quo. Enfin, le Conseil des ministres souligne, dans son mémoire, que tant la SRL « Carrix » que les parties intervenantes soumettent à la Cour l’examen non pas de l’article 59 du CIR 1992, mais de la manière dont la limite de 80 % doit être appliquée. Le calcul de la limite de 80 % figurant à l’article 35 de l’arrêté royal d’exécution du CIR 1992 (ci-
après : l’AR/CIR 1992) et non dans une norme législative, la question préjudicielle est irrecevable pour cause d’incompétence de la Cour.
A.1.3. Le Conseil des ministres est d’accord avec le juge a quo pour dire que les catégories de contribuables mentionnées dans la question préjudicielle se trouvent dans la même situation. Il souligne que, contrairement à ce que prétend la SRL « Carrix », ces deux catégories de contribuables sont traitées de manière égale. Tant l’entreprise qui verse des primes au profit d’un dirigeant qui y a toujours travaillé que l’entreprise qui verse des primes au profit d’un dirigeant qui a déjà constitué un capital de pension complémentaire en dehors de l’entreprise doivent tenir compte des capitaux de pension constitués dans le passé (au sein de l’entreprise concernée ou en dehors de celle-ci). Dès lors que des catégories égales de contribuables sont traitées de manière égale, il n’y a pas de violation du principe d’égalité. Le refus éventuel d’accorder la déduction fiscale résulte alors non pas du fait que le dirigeant d’entreprise a une carrière incomplète au sein de l’entreprise pour laquelle il travaille, mais du fait que le dirigeant d’entreprise a déjà constitué dans le passé un capital de pension complémentaire qui dépasse la limite totale de 80 %. Même si un dirigeant accomplit une carrière complète au sein d’une entreprise, mais que la constitution d’une pension complémentaire s’est principalement effectuée par des primes versées durant les premières années de sa carrière ou si, dans les premières années de sa carrière, le dirigeant bénéficiait d’une rémunération plus élevée que durant les dernières années de sa carrière, aucune prime déductible fiscalement ne pourra plus, dans certains cas, être versée durant les dernières années de sa carrière, puisque la limite totale de 80 % aura déjà été atteinte.
A.2.1. La SRL « Carrix » souligne qu’il a été généralement admis, donc également par l’administration fiscale, que, pour calculer la limite de 80 % relative à la déductibilité de primes dans le cadre d’engagements de pension complémentaire constitués au profit d’un dirigeant d’entreprise, il ne faut tenir compte que des capitaux de pension complémentaire qui ont été constitués au sein de l’entreprise concernée. C’est ce que l’entreprise déduit de la pratique fiscale, de la circulaire n° Ci.RH.243/376.395 du 4 février 1987, du commentaire administratif relatif à l’article 59 du CIR 1992, de la doctrine et d’un avis rendu le 22 juin 2004 par un groupe de travail chargé d’étudier la règle des 80 %, composé de membres de la Commission des pensions complémentaires et du Conseil des pensions complémentaires. En donnant une nouvelle interprétation au calcul de la limite de 80 %, l’administration fiscale viole le principe de la sécurité juridique et le principe de la confiance légitime.
Selon la SRL « Carrix », l’article 59, § 4, du CIR 1992 ne prévoit d’ailleurs rien concernant l’obligation de prendre en compte ou non les droits de pension complémentaire constitués antérieurement.
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A.2.2. La SRL « Carrix » estime qu’aucun motif raisonnable ne justifie la différence de traitement constatée par le juge a quo entre deux catégories de contribuables qui se trouvent dans la même situation. Compte tenu de l’objectif du législateur lorsqu’il a établi la limite de 80 %, à savoir empêcher la constitution, en exemption d’impôt, de capitaux de pension anormalement élevés, il est sans importance que les dirigeants concernés aient travaillé dans une ou plusieurs entreprises durant leur carrière. La limite au-delà de laquelle un capital de pension complémentaire peut être considéré à la date de la mise à la retraite comme étant excessif, compte tenu de l’ensemble de la carrière, est la même. Le critère de distinction, à savoir le fait d’avoir travaillé ou non dans une ou plusieurs entreprises durant la carrière, n’est ni pertinent, ni adéquat pour atteindre le but poursuivi par le législateur. En outre, l’article 59 du CIR 1992, dans sa nouvelle interprétation, a des conséquences particulièrement néfastes sur la mobilité professionnelle et sur l’emploi des personnes de plus de 45 ans, de sorte que la différence de traitement n’est pas non plus proportionnée. Enfin, les conséquences néfastes seront encore plus importantes si la rémunération du dirigeant dans l’entreprise actuelle est inférieure à celle qu’il percevait dans l’entreprise précédente.
A.2.3. Selon la SRL « Carrix », la nouvelle interprétation de la règle de 80 % crée encore une seconde discrimination, à savoir entre les entreprises qui valorisent au profit de leur dirigeant l’activité professionnelle antérieure exercée en dehors de l’entreprise à raison de 10 ans maximum, en application de l’article 35, § 3, de l’AR/CIR 1992, et les entreprises qui ne procèdent pas à une telle valorisation. La SRL « Carrix » estime qu’en raison de la nouvelle interprétation de l’article 59 du CIR 1992, les entreprises doivent toujours tenir compte, pour calculer la limite de 80 %, de toutes les pensions complémentaires constituées en dehors de l’entreprise, indépendamment de la question de savoir si elles ont valorisé des années de carrière effectuées en dehors de l’entreprise. Des contribuables qui se trouvent dans des situations différentes sont donc traités de manière égale.
Selon la SRL « Carrix », cette discrimination n’est pas non plus justifiée de façon objective ni raisonnable.
A.2.4. La SRL « Carrix » estime qu’une interprétation conforme à la Constitution de l’article 59 du CIR 1992 est possible si cette disposition est interprétée en ce sens que seuls les capitaux de pension complémentaire qui correspondent aux années de carrière effectuées au sein d’une entreprise (complétées ou non avec les années de carrière accomplies en dehors de l’entreprise, en étant toutefois valorisées à raison de 10 ans maximum) doivent être pris en compte dans le calcul de la limite de 80 % relative à la déductibilité des primes payées par l’entreprise.
A.2.5. Quant à l’exception selon laquelle la réponse à la question n’est pas utile à la solution du litige au fond, la SRL « Carrix » considère que le juge a quo a décidé à juste titre de poser une question préjudicielle concernant l’article 59 du CIR 1992. La nouvelle interprétation administrative de l’article 59 du CIR 1992, qui est applicable au litige au fond, a donné lieu en effet à une situation d’insécurité juridique.
A.3.1. Dans leur mémoire en intervention, l’ASBL « Assuralia », la SA « AG Insurance », la SA « Allianz Benelux », la SA « AXA Belgium », la SA « Baloise Belgium », la SA « KBC Assurances » et la SC « P&V
Assurances » (ci-après : les parties intervenantes) exposent que la limite de 80 % comporte un plafond pour le montant de la pension extra-légale qui peut être constituée par le biais de primes de pension déductibles fiscalement. C’est ainsi que la somme de la pension légale et de la pension extra-légale du bénéficiaire ne peut, lors de la mise à la retraite, excéder 80 % de la dernière rémunération brute annuelle normale avant la retraite. Un des paramètres qu’il convient de prendre en compte pour calculer la limite de 80 % est la fraction de carrière.
Conformément à l’article 35, § 2, 2°, de l’AR/CIR 1992, la fraction a pour numérateur le nombre d’années de la durée normale d’activité professionnelle réellement accomplies et restant à accomplir dans l’entreprise où il travaille et pour dénominateur le nombre d’années de la durée normale d’activité professionnelle (soit 40 ans). Si le dirigeant concerné n’a pas travaillé durant toute sa carrière dans la même entreprise, cette dernière peut, conformément à l’article 59, § 1er, alinéa 3, du CIR 1992, lu en combinaison avec l’article 35, § 3, de l’AR/CIR 1992, ajouter au numérateur dix années maximum d’activité professionnelle antérieure. Dans ce cas, les capitaux de pension complémentaire constitués durant ces années de carrière valorisées doivent être pris en compte dans le calcul de la limite de 80 %.
Les parties intervenantes font valoir que, pour établir le numérateur de la fraction de carrière, il est particulièrement pertinent de savoir si le dirigeant concerné a travaillé au sein de la même entreprise ou non durant toute sa carrière. Si tel est le cas, le numérateur de la fraction de carrière est égal à son dénominateur. Si tel n’est pas le cas, l’entreprise dans laquelle le dirigeant travaille actuellement peut, à titre optionnel, ajouter au maximum dix années d’activité professionnelle antérieure effectuée dans une autre entreprise au numérateur de la fraction de carrière.
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Selon les parties intervenantes, l’article 59, § 4, du CIR 1992 ne dit rien explicitement sur l’obligation ou non de prendre en compte les conventions de pension conclues dans le cadre d’une activité professionnelle antérieure effectuée dans une autre entreprise. Elles soulignent qu’il ressort de la pratique de l’administration fiscale et d’un avis du 22 juin 2004 du groupe de travail chargé d’étudier la règle de 80 % que, pour calculer la limite de 80 %, il ne faut pas tenir compte d’un éventuel capital de pension constitué au profit du dirigeant dans une entreprise précédente. En donnant à l’article 59 du CIR 1992 une nouvelle interprétation, l’administration fiscale viole le principe de la sécurité juridique. L’article 59, § 4, du CIR 1992 précise en revanche explicitement les types ou les régimes de pension qui doivent être pris en compte ou non pour calculer la limite de 80 %.
A.3.2. Selon les parties intervenantes, cette nouvelle interprétation fait naître une inégalité de traitement fiscal entre une entreprise qui conclut une convention de pension au profit d’un dirigeant qui y a déjà travaillé depuis le début de sa carrière ou, à tout le moins, depuis de nombreuses années, et une entreprise qui conclut une convention de pension au profit d’un dirigeant qui a effectué une activité professionnelle antérieure au sein d’une autre entreprise. Dans la seconde situation, l’entreprise actuelle ne peut plus constituer, dans de nombreux cas, qu’une toute petite pension extra-légale au profit du dirigeant par le biais de primes fiscalement déductibles, ou ne peut pas le faire du tout, alors que les primes de pension auraient été intégralement déductibles si le même dirigeant avait toujours travaillé au sein de la même entreprise. Cette différence de traitement fiscal est encore plus importante si la rémunération du dirigeant dans l’entreprise actuelle est inférieure à celle qu’il touchait dans son entreprise précédente. Contrairement à ce qu’affirme le Conseil des ministres, la différence de traitement réside non pas dans le fait que les pensions extra-légales doivent être prises en compte ou non, mais dans le fait que, selon que le dirigeant pour qui une pension complémentaire est constituée a toujours travaillé ou non au sein de la même entreprise, l’entreprise qui paie les primes de pension peut déduire celles-ci ou non à titre de frais professionnels.
Les parties intervenantes soulignent qu’au regard de l’objectif poursuivi par le législateur lorsqu’il a instauré la limite de 80 %, les deux catégories d’entreprises se trouvent dans des situations comparables. Le capital de pension qui est jugé « excessif » par le législateur est le même pour deux dirigeants d’entreprise différents qui ont accompli la même durée de carrière et qui ont toujours perçu la même rémunération brute annuelle et pour lesquels le même nombre d’années de carrière est financé. Compte tenu de l’objectif du législateur, la question de savoir si les dirigeants ont, durant leur carrière, travaillé dans une ou plusieurs entreprises n’est ni pertinente ni adéquate.
En outre, la différence de traitement fiscal des deux catégories d’entreprise a des effets disproportionnés. Elle pénalise ainsi non seulement la mobilité professionnelle, mais il est aussi moins intéressant pour les entreprises d’engager des travailleurs « plus âgés » (par exemple, les plus de 45 ans) si une pension extra-légale a déjà été constituée pour ces personnes dans l’entreprise où elles travaillaient précédemment. Par ailleurs, la non-
déductibilité des primes de pension aura aussi des incidences négatives sur le choix d’une entreprise de conclure ou non un contrat EIP. Il devient dès lors moins intéressant pour les travailleurs plus âgés de fonder leur propre entreprise pour y poursuivre leur carrière en tant que dirigeant. En ce que l’article 59 du CIR 1992 est interprété dans le sens de l’administration fiscale, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative, selon les parties intervenantes.
A.3.3. Dans leur mémoire, les parties intervenantes exposent que l’interprétation donnée par l’administration fiscale à l’article 59 du CIR 1992 crée une seconde discrimination, en ce que les entreprises qui se trouvent dans des situations différentes sont traitées de manière égale. Selon les parties intervenantes, l’entreprise qui verse des primes de pension au profit d’un dirigeant qui y a toujours travaillé se trouve dans une situation différente de celle d’une entreprise qui verse des primes au profit d’un dirigeant qui a déjà constitué un capital de pension complémentaire au sein d’une autre entreprise. Même si tous les autres paramètres sont identiques, la limite de 80 % à prendre en compte pour la seconde catégorie d’entreprises est en tout état de cause – en raison de la différence dans le calcul du numérateur de la fraction de carrière – inférieure à celle à prendre en compte pour la première catégorie d’entreprises. En revanche, pour calculer la limite de 80 %, toutes les entreprises doivent toujours tenir compte de toutes les pensions extra-légales constituées durant les années déjà accomplies par le dirigeant, et donc indépendamment du point de savoir si les primes de pension portent sur des années travaillées au sein de la même entreprise ou au sein de plusieurs entreprises.
Même si l’entreprise dont le dirigeant a déjà constitué un capital de pension complémentaire au sein d’une entreprise précédente fait usage de l’option permettant de valoriser l’activité professionnelle antérieure à raison de
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dix ans maximum, l’égalité de traitement de situations différentes continue de découler de l’article 59 du CIR 1992, tel qu’il est interprété par l’administration fiscale.
Selon les parties intervenantes, l’égalité de traitement n’est pas adéquate pour atteindre l’objectif poursuivi par la limite de 80 %. Si l’on veut éviter que le total des prestations légales et extra-légales au moment de la mise à la retraite dépasse 80 % de la dernière rémunération brute annuelle normale, il y a lieu, dans le cas d’une carrière qui s’est déroulée dans plusieurs entreprises, de tenir compte uniquement, pour une partie déterminée de la carrière, des pensions extra-légales qui portent sur cette partie de la carrière. Compte tenu de l’incidence sur la mobilité professionnelle et sur l’emploi des dirigeants d’entreprise plus âgés, l’égalité de traitement n’est pas non plus proportionnée au regard de l’objectif poursuivi par la loi. Enfin, l’interprétation donnée par l’administration fiscale à l’article 59 du CIR 1992 viderait aussi complètement de sa substance le caractère optionnel de la valorisation des années de carrière dans une activité professionnelle antérieure.
A.3.4. Toutefois, l’article 59 du CIR 1992 est susceptible également, selon les parties intervenantes, de recevoir une interprétation conforme à la Constitution. Cette disposition n’exige en effet pas (et en tout cas pas explicitement) que les pensions extra-légales constituées par le dirigeant d’entreprise durant une activité professionnelle antérieure soient également prises en compte pour calculer la limite de 80 % dans l’entreprise où
le dirigeant concerné travaille actuellement.
A.3.5. Dans leur mémoire en réponse, les parties intervenantes soutiennent que le Conseil des ministres fait abstraction du fait que le contrôle de la limite de 80 %, nonobstant l’objectif du législateur, a lieu non pas au moment de la mise à la retraite, mais déjà (et uniquement) durant la carrière de l’intéressé. En effet, la sanction en cas de dépassement de la limite de 80 % consiste en ce que les primes de pension ne sont pas fiscalement déductibles à titre de frais professionnels durant la constitution de la pension extra-légale. Au cours de la carrière, il n’est pas toujours possible de tenir compte de la durée de la carrière complète de l’intéressé, notamment si celui-
ci change d’entreprise en cours de route. Ce n’est que si le dirigeant, au moment de conclure la convention de pension, a toujours travaillé au sein de la même entreprise que toute la durée de la carrière peut être financée, conformément à l’article 59, § 1er, alinéa 3, du CIR 1992, et que le numérateur de la fraction de carrière est égal à son dénominateur.
A.3.6. Quant à l’exception selon laquelle la réponse à la question n’est pas utile à la solution du litige au fond, les parties intervenantes attirent l’attention sur la jurisprudence de la Cour dont il apparaît qu’il suffit que le juge a quo ait des doutes sur la constitutionnalité d’une disposition qu’il doit appliquer pour que la question préjudicielle soit utile. Selon les parties intervenantes, ce n’est que lorsque la question posée ne présente, sans nul doute raisonnable, aucun lien avec le litige dont le juge a quo est saisi que la Cour juge que cette question n’appelle pas de réponse.
Les parties intervenantes estiment qu’en l’espèce, il est clair que, dans le litige au fond, le juge a quo avait des doutes sur la constitutionnalité de la disposition qu’il devait appliquer, à savoir l’article 59 du CIR 1992, tel qu’il est interprété par l’administration fiscale. Le Conseil des ministres assimile à tort la pertinence de la question préjudicielle à l’appréciation en fait en attirant l’attention, dans le litige au fond, sur le capital de pension maximal autorisé. En outre, selon les parties intervenantes, la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution d’autres litiges pendants analogues.
-B-
B.1. Par la question préjudicielle, le juge a quo souhaite savoir si l’article 59 du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : le CIR 1992), tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017 et 2018 et interprété en ce sens qu’il doit toujours être tenu compte, lors du calcul de la limite de 80 %, des pensions extra-légales déjà constituées en dehors de l’entreprise, même lorsque l’entreprise n’a pas fait usage de la possibilité prévue par l’article 35, § 3, de
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l’arrêté royal d’exécution du CIR 1992 (ci-après : l’AR/CIR 1992) de valoriser, à raison de dix ans maximum, l’activité professionnelle antérieure exercée en dehors de l’entreprise, est compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination établi par les articles 10 et 11 de la Constitution, ainsi qu’avec les articles 170 et 172 de celle-ci. Selon le juge a quo, l’article 59
du CIR 1992, dans l’interprétation précitée, crée une différence de traitement entre les entreprises qui versent des primes dans le cadre d’un contrat individuel relatif à des engagements de pension au profit de leur dirigeant, une entreprise ne pouvant pas déduire les primes à titre de frais professionnels parce que son dirigeant a déjà constitué partiellement un capital de pension extra-légale en dehors de l’entreprise, alors qu’une autre entreprise peut déduire les primes à titre de frais professionnels parce que son dirigeant y a travaillé durant toute sa carrière. Le juge a quo prend en compte à cet égard le fait que les deux catégories d’entreprises ont constitué le même capital de pension extra-légale tout au long d’une carrière professionnelle complète de 40 ans.
B.2.1. Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la question préjudicielle porte essentiellement sur ce qu’on appelle la méthode de calcul de la « limite de 80 % » pour la déductibilité fiscale des primes qu’une entreprise verse dans le cadre d’un contrat individuel relatif à des engagements de pension au profit de son dirigeant.
B.2.2. Conformément à l’article 52, 3°, b), deuxième tiret, du CIR 1992, tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017 et 2018, les cotisations et primes patronales - sous réserve des dispositions des articles 53 à 66bis du CIR 1992 - versées en exécution d’un engagement individuel de pension complémentaire de retraite et/ou de survie, en vue de la constitution d’une rente ou d’un capital en cas de vie ou de décès, constituent des frais professionnels.
B.2.3. L’article 59 du CIR 1992, tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017
et 2018 (ci-après : la disposition en cause), dispose :
« § 1er. Les cotisations et primes patronales visées à l’article 52, 3°, b, ne sont déductibles à titre de frais professionnels qu’aux conditions et dans les limites suivantes :
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1° il faut qu’elles soient versées à titre définitif à une entreprise d’assurance ou à une institution de prévoyance ou à une institution de retraite professionnelle établie dans un état membre de l’Espace économique européen;
2° les prestations légales et extra-légales en cas de retraite, exprimées en rentes annuelles, ne peuvent dépasser 80 p.c. de la dernière rémunération brute annuelle normale et doivent tenir compte d’une durée normale d’activité professionnelle.
Pour les contrats qui ne sont pas des engagements de type ‘ prestations définies ’, les prestations extra-légales y afférentes sont déterminées en tenant compte des caractéristiques du contrat, des réserves acquises afférentes au contrat et des paramètres suivants :
- le taux des augmentations des rémunérations, y compris l’indexation;
- le taux de capitalisation à appliquer aux réserves acquises;
- le taux des participations aux bénéfices;
3° les prestations légales et complémentaires en cas d’incapacité de travail, exprimées en rentes annuelles, ne peuvent excéder la rémunération brute annuelle normale;
4° l’employeur doit produire les éléments justificatifs dans les formes et les délais déterminés par le Roi;
5° les informations demandées en application de l’arrêté royal du 25 avril 2007 portant exécution de l’article 306 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, doivent avoir été fournies.
Pour vérifier si les limites visées à l’alinéa 1er, 2° et 3°, sont respectées, les prestations y visées qui sont liquidées en capital, sont à convertir en rentes à l’aide des données qui figurent au tableau fixé par le Roi, qui, sans tenir compte d’une réversibilité ou de l’indexation des rentes différées dans la limite de 2 % par an à compter de leur prise en de cours, indique pour différents âges à la prise de cours de la rente, le capital censé nécessaire pour payer par douzièmes et à terme échu une rente annuelle de 1 euro. Les données du tableau peuvent être adaptées s’il y a lieu pour tenir compte de la réversibilité ou de l’indexation des rentes différées dans la limite de 2 % par an à compter de leur prise de cours.
Les prestations qui correspondent aux années de service déjà prestées, peuvent être financées sous la forme d’une ou plusieurs cotisations ou primes. Les années de service prestées en dehors de l’entreprise ne sont prises en compte qu’à concurrence de 10 années réellement prestées au maximum. Les prestations qui se rapportent à 5 ans maximum d’activité professionnelle restant encore à prester jusqu’à l’âge normal de la retraite peuvent également être financées sous la forme d’une ou plusieurs cotisations ou primes.
§ 2. Une indexation des rentes visées au § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°, est permise.
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§ 3. Les limites visées au § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°, s’appliquent, d’une part aux cotisations et primes relatives aux assurances complémentaires contre la vieillesse et le décès prématuré et aux engagements de pensions complémentaires et, d’autre part, aux cotisations et primes relatives aux engagements qui doivent être considérés comme un complément aux indemnités légales en cas de décès ou d’incapacité de travail par suite d’un accident du travail ou d’un accident ou bien d’une maladie professionnelle ou d’une maladie. Pour le calcul de ces limites, les cotisations et primes visées à l’article 52, 3°, b, troisième tiret, versées en exécution d’un engagement de solidarité sont réparties, suivant leur objet, entre chacune de ces catégories.
§ 4. En ce qui concerne les cotisations et primes patronales relatives aux assurances complémentaires contre la vieillesse et le décès prématuré et aux engagements de pension complémentaire, la limite de 80 p.c. visée au § 1er, alinéa 1er, 2°, doit s’apprécier au regard de l’ensemble des pensions légales et des pensions extra-légales exprimées en rentes annuelles.
Les prestations résultant de l’épargne-pension et de contrats individuels d’assurance-vie autres que ceux conclus en exécution d’un engagement individuel de pension complémentaire de retraite et/ou de survie, n’entrent pas en ligne de compte.
Les pensions extra-légales comprennent notamment les pensions :
- constituées au moyen de cotisations personnelles visées à l’article 52, 7°bis, ou à l’article 1453;
- constituées au moyen de cotisations patronales;
- attribuées par l’employeur en exécution d’une obligation contractuelle.
Pour les cotisations et primes patronales relatives aux engagements qui doivent être considérés comme un complément aux indemnités légales en cas de décès ou d’incapacité de travail par suite d’un accident du travail ou d’un accident ou bien d’une maladie professionnelle ou d’une maladie, la limite à la rémunération brute annuelle normale doit s’apprécier au regard de l’ensemble des prestations légales en cas d’incapacité de travail et des prestations extra-
légales en cas d’incapacité de travail exprimées en rentes annuelles.
Les prestations extra-légales en cas d’incapacité de travail comprennent notamment :
- les prestations en cas d’incapacité de travail constituées au moyen de cotisations patronales;
- les prestations attribuées par l’employeur en exécution d’une obligation contractuelle.
§ 5. Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres :
1° ce qu’il faut entendre par ‘ rémunération brute annuelle normale ’, ‘ dernière rémunération brute annuelle normale ’ et ‘ durée normale d’activité professionnelle ’ au sens du § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°;
2° les différents taux visés au § 1er, alinéa 1er, 2°.
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Il saisira les Chambres législatives, immédiatement si elles sont réunies, sinon dès l’ouverture de leur plus prochaine session, d’un projet de loi de confirmation des arrêtés pris en exécution de l’alinéa 1er, 2°.
Il détermine les conditions et le mode d’application de la présente disposition.
§ 6. Les avances sur prestations, la mise en gage des droits à la pension pour sûreté d’un emprunt et l’affectation de la valeur de rachat à la reconstitution d’un emprunt hypothécaire ne font pas obstacle au caractère définitif du versement des cotisations et des primes requis par le § 1er, alinéa 1er, 1°, lorsqu’elles sont consenties pour permettre au travailleur d’acquérir, de construire, d’améliorer, de restaurer ou de transformer des biens immobiliers situés dans un État membre de l’Espace économique européen et productifs de revenus imposables en Belgique ou dans un autre État membre de l’Espace économique européen et pour autant que les avances et les prêts soient remboursés dès que les biens précités sortent du patrimoine du travailleur.
La limite visée à l’alinéa 1er doit être inscrite dans les règlements d’assurance de groupe, les contrats d’assurance, les règlements de pension, les engagements de pension complémentaire visés dans la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale et les conventions de pension complémentaire pour les travailleurs indépendants visées dans la loi-programme (I) du 24 décembre 2002 ».
En vertu du paragraphe 1er, alinéa 1er, 2°, de la disposition en cause, les cotisations et primes patronales versées en exécution d’un contrat individuel relatif à des engagements de pension ne peuvent être déduites à titre de frais professionnels qu’à la condition que les prestations légales et extra-légales en cas de retraite, exprimées en rentes annuelles, ne puissent dépasser 80 % de la dernière rémunération brute annuelle normale. Ces prestations légales et extra-légales doivent être calculées sur la base de la durée normale d’une activité professionnelle. Sur la base du paragraphe 1er, dernier alinéa, de la disposition en cause, les prestations qui correspondent aux années de service déjà accomplies peuvent être financées sous la forme d’une ou plusieurs cotisations ou primes. Les années de service accomplies en dehors de l’entreprise sont prises en compte seulement à hauteur de dix années au maximum réellement accomplies.
En vertu du paragraphe 4, alinéa 1er, de la disposition en cause, il convient, en ce qui concerne les cotisations et primes relatives aux engagements de pension complémentaire, d’apprécier la limite de 80 % au regard de l’ensemble des pensions légales et des pensions extra-légales exprimées en rentes annuelles. Les prestations résultant de l’épargne-pension et de contrats individuels d’assurances-vie autres que ceux qui sont conclus en exécution d’un
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engagement individuel de pension complémentaire de retraite et/ou de survie, n’entrent pas en ligne de compte.
Sur la base du paragraphe 4, alinéa 2, de la disposition en cause, les pensions extra-légales comprennent notamment les pensions constituées au moyen de cotisations patronales.
En vertu du paragraphe 5, alinéa 1er, de la disposition en cause, le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, ce qu’il faut entendre par « rémunération brute annuelle normale », « dernière rémunération brute annuelle normale » et par « durée normale d’activité professionnelle » au sens du paragraphe 1er, alinéa 1er, 2°, de la même disposition et ce qu’il faut entendre par les différents taux visés au paragraphe 1er, alinéa 1er, 2°.
L’article 34 de l’AR/CIR 1992, tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017
et 2018, dispose :
« Pour l’application des articles 52, 3°, b, et 5°, et 59, du Code des impôts sur les revenus 1992 et de la présente section, on entend :
1° par rémunération brute annuelle normale : le montant global brut de toutes les sommes qui, avant déduction des retenues obligatoirement effectuées en exécution de la législation sociale ou d’un statut légal ou réglementaire y assimilé, sont attribuées ou payées au travailleur pendant une année déterminée, autrement qu’à titre exceptionnel ou occasionnel;
2° par dernière rémunération brute annuelle normale : la rémunération brute annuelle qui, eu égard aux rémunérations antérieures du travailleur, peut être considérée comme normale et qui lui a été payée ou attribuée pendant la dernière année antérieure à sa mise à la retraite, année pendant laquelle il a eu une activité professionnelle normale;
3° par durée normale d’activité professionnelle : 40 ans ou, pour les professions dont l’employeur et le travailleur intéressés établissent que la carrière complète s’étend sur moins ou plus de 40 ans, le nombre d’années de cette carrière complète ».
L’article 35 de l’AR/CIR 1992, tel qu’il était applicable aux exercices d’imposition 2017
et 2018, dispose :
« […]
§ 2. La déduction à titre de frais professionnels des cotisations et primes patronales visées au § 1er n’est admise que pendant la durée normale d’activité professionnelle de chaque
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travailleur et dans la mesure où par travailleur, lesdites cotisations et primes, majorées des cotisations et primes personnelles visées à l’article 1451, 1°, du même Code :
1° ne dépassent pas, par année, les montants dus en vertu du règlement, d’assurance de groupe, du contrat d’assurance, du règlement, de pension, de l’engagement de pension complémentaire ou de l’engagement de solidarité et qui, en ce qui concerne les engagements collectifs, sont accessibles de manière identique et non discriminatoire à tout le personnel de l’entreprise ou à une catégorie spécifique de ce personnel;
2° donnent droit à des prestations, participations bénéficiaires comprises, dont le montant, en rente annuelle viagère ou converti en rente annuelle viagère, majoré de la pension légale, n’excède pas 80 p.c. de la rémunération brute annuelle normale du travailleur pendant l’année concernée, multipliée par une fraction qui a pour numérateur le nombre d’années de la durée normale d’activité professionnelle réellement accomplies et restant à accomplir dans l’entreprise et pour dénominateur le nombre d’années de la durée normale d’activité professionnelle.
§ 3. Pour les travailleurs qui effectuent au sein de l’entreprise une carrière incomplète, il peut être tenu compte au numérateur de la fraction visée au § 2, 2°, d’une durée d’activité professionnelle supérieure à celle qu’ils presteront dans cette entreprise, à condition que les prestations visées au § 2, 2°, se rapportent à 10 ans maximum d’une activité professionnelle antérieure réellement prestée ou à 5 ans maximum d’activité professionnelle restant encore à prester jusqu’à l’âge normal de la retraite et que le nombre total des années ainsi pris en considération ne dépasse pas le nombre d’années de la durée normale de leur activité professionnelle. En pareil cas, les règlements, contrats, engagements de pension complémentaire et engagements de solidarité visés au § 1er, 2°, doivent en outre mentionner de manière explicite les conditions auxquelles de telles cotisations et primes sont accordées.
Pour vérifier si la limite fixée au § 2, 2° est respectée, les prestations en capital sont à convertir en rente à l’aide des données qui figurent au tableau ci-après, adaptées s’il y a lieu pour tenir compte de la réversibilité ou de l’indexation des rentes différées dans la limite de 2 p.c. par an à compter de leur prise de cours.
[…] ».
En vertu de l’article 195, § 1er, du CIR 1992, les dirigeants d’entreprise sont assimilés à des travailleurs pour l’application des dispositions en matière de frais professionnels et leurs rémunérations ainsi que les charges sociales y afférentes sont considérées comme des frais professionnels. Les versements d’assurance ou de prévoyance sociale ne sont toutefois déduits que pour autant qu’ils se rapportent à des rémunérations qui sont allouées ou attribuées régulièrement et au moins une fois par mois avant la fin de la période imposable au cours de laquelle l’activité rémunérée a été exercée et à condition que ces rémunérations soient imputées par la société sur les résultats de cette période.
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B.2.4. La limite de 80 % a été insérée par l’article 5 de la loi du 27 décembre 1984
« portant des dispositions fiscales » dans l’ancien article 45, 3°, b), du Code des impôts sur les revenus 1964 (actuellement l’article 59, § 1er, alinéa 1er, 2°, du CIR 1992).
Il ressort de l’exposé des motifs relatif au projet de loi que l’objectif du législateur était de remédier à « certaines distorsions existant dans les différents modes de constitution en exemption d’impôt des capitaux tenant lieu de rentes ou de pensions » (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n° 1010/1, p. 1). Le législateur estimait par ailleurs que « la modification de régime proposée […] ne peut se réaliser sans certaines adaptations destinées à empêcher la constitution en exemption d’impôt de capitaux anormalement élevés » (ibid., p. 5). Dans son avis sur le projet de loi, la section de législation du Conseil d’État a confirmé que ce projet « tendrait à éviter la déductibilité de pensions jugées excessives » (ibid., p. 22).
Le projet de loi initial n’a toutefois pas défini la limite au-dessus de laquelle les capitaux de pension constitués seraient considérés comme « excessifs ». La section de législation du Conseil d’État a fait observer à cet égard que, « pour respecter le prescrit de l’article 110
[actuellement article 170] de la Constitution, cette limite doit être exprimée par la loi » (ibid., p. 22). La limite de 80 % a finalement été insérée dans l’article 5 du projet de loi à la suite d’un amendement déposé par plusieurs députés (Doc. parl., Chambre, 1984-1985, n° 1010/4, p. 7;
n° 1010/13, pp. 56 et 122).
En ce qui concerne la sanction qui s’appliquerait si les capitaux de pension constitués étaient supérieurs à la limite de 80 %, le ministre des Finances a déclaré que « la partie dépassant la limite est rejetée en tant que dépense déductible » (Doc. parl., Chambre, 1984-
1985, n° 1010/13, p. 59). Il a spécifié par ailleurs que « le montant alloué ‘ en trop ’ sera ajouté au bénéfice imposable de l’entreprise » (ibid.).
B.3. Le Conseil des ministres objecte dans son mémoire que la réponse à la question préjudicielle n’est pas utile pour trancher le litige au fond et que la question, pour cette raison, n’appelle pas de réponse.
Selon le Conseil des ministres, ce qui n’est pas contesté par la partie demanderesse dans le litige soumis au juge a quo, il ressort des avis de rectification, dans lesquels l’administration
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fiscale a rejeté la déduction des primes que la partie demanderesse devant le juge a quo avait versées dans le cadre d’un contrat individuel relatif à des engagements de pension au cours des exercices d’imposition 2017 et 2018 au profit de son dirigeant, qu’une fraction de carrière de 33,33/40 a été utilisée pour les deux exercices d’imposition dont il est question. De cette manière, la limite de 80 % a été établie sur un capital de pension maximum autorisé qui s’élevait respectivement à 210 841,34 euros (exercice d’imposition 2017) et à 198 646,40 euros (exercice d’imposition 2018).
À supposer que le dirigeant ait accompli une carrière complète au sein de la partie demanderesse devant le juge a quo et qu’une fraction de carrière de 40/40 ait donc été appliquée, la limite de 80 % aurait été établie sur un capital de pension maximum autorisé qui aurait atteint respectivement 253 034,91 euros (exercice d’imposition 2017) et 238 399,52 euros (exercice d’imposition 2018).
Le Conseil des ministres objecte que, puisqu’un capital de pension complémentaire d’un montant de 336 835,74 euros avait déjà été constitué au profit du dirigeant de la partie demanderesse dans le litige soumis au juge a quo, la limite de 80 % était dépassée en toute hypothèse, même si le dirigeant avait accompli une carrière complète au sein de l’entreprise.
La déduction fiscale, à titre de frais professionnels, des primes versées au cours des exercices d’imposition 2017 et 2018 aurait donc été rejetée tant dans le cas d’une carrière complète que dans celui d’une carrière incomplète.
Selon le Conseil des ministres, la différence de traitement soumise par le juge a quo n’est donc pas pertinente pour la solution du litige au fond.
B.4 C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse.
Ce n’est dès lors pas à la Cour, mais à la juridiction a quo, qu’il appartient de vérifier dans quelle mesure la limite de 80 % serait dépassée dans le litige au fond si le dirigeant avait accompli une carrière complète au lieu d’une carrière incomplète au sein de l’entreprise, et donc de vérifier si la déduction fiscale des primes aurait également été rejetée dans le premier cas.
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Par ailleurs, la Cour ne dispose pas des données nécessaires pour vérifier l’exactitude des montants cités par le Conseil des ministres.
B.5. Compte tenu de ces éléments, l’affaire doit être renvoyée à la juridiction a quo afin qu’elle puisse déterminer dans quelle mesure la réponse à la question préjudicielle est encore utile.
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Par ces motifs,
la Cour
renvoie l’affaire à la juridiction a quo.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 10 novembre 2022.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux L. Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 145/2022
Date de la décision : 10/11/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-11-10;145.2022 ?

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