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13/10/2022 | BELGIQUE | N°120/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 13 octobre 2022, 120/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 120/2022
du 13 octobre 2022
Numéro du rôle : 7483
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l’aménagement du territoire, posées par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune et E. Bribosia, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, ass

istée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir déli...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 120/2022
du 13 octobre 2022
Numéro du rôle : 7483
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l’aménagement du territoire, posées par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, D. Pieters, S. de Bethune et E. Bribosia, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par arrêt n° 249.084 du 27 novembre 2020, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 décembre 2020, le Conseil d’État a posé les questions préjudicielles suivantes :
« En ce que l’article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l’aménagement du territoire coordonné par l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 avril 2004
pourrait être interprété comme autorisant le classement de salles entières, comprenant une multitude d’objets non répertoriés en tant que tels, d’un musée qui est un établissement scientifique et culturel de l’État fédéral, et comme autorisant ainsi l’intervention dans la gestion de cet établissement, viole-t-il les règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’État fédéral et de la Région de Bruxelles-Capitale et plus précisément les articles 127, § 1er, 1° et 135bis de la Constitution, les articles 4, 4°, et 6, § 1er, I, 7°, et 6bis, § 2, 4°, 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ? »;
« En ce que l’article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l’aménagement du territoire coordonné par l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 9 avril 2004
pourrait être interprété comme autorisant le classement d’un mode d’exposition muséale ou
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scénographie, ce qui constituerait un patrimoine culturel immatériel d’un musée, viole-t-il les règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’État fédéral et de la Région de Bruxelles-Capitale et plus précisément les articles 127, § 1er, 1°, et 135bis de la Constitution, les articles 4, 4°, et 6, § 1er, I, 7°, et 6bis, § 2, 4°, 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et les articles 4 et 4bis, 3°, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises et ce, alors même que l’article 4bis, 3°, de cette loi spéciale du 12 janvier 1989 limite la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale au patrimoine biculturel immatériel d’intérêt régional ? ».
Des mémoires ont été introduits par :
- le « War Heritage Institute », assisté et représenté par Me D. Lagasse, avocat au barreau de Bruxelles;
- la Région de Bruxelles-Capitale, représentée par son Gouvernement, assistée et représentée par Me J. Sautois, avocat au barreau de Bruxelles;
- la Régie des bâtiments, assistée et représentée par Me P. Coenraets et Me I. Najem, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me D. Lagasse.
La Région de Bruxelles-Capitale, représentée par son Gouvernement, a également introduit un mémoire en réponse.
Par ordonnance du 18 mai 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 8 juin 2022 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande d’une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 8 juin 2022, a fixé l'audience au 29 juin 2022.
À l'audience publique du 29 juin 2022 :
- ont comparu :
. Me D. Lagasse, pour le « War Heritage Institute » et le Conseil des ministres;
. Me J. Sautois, pour la Région de Bruxelles-Capitale, représentée par son Gouvernement;
. Me I. Najem, qui comparaissait également loco Me P. Coenraets, pour la Régie des bâtiments;
- les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
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- l'affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
Le bâtiment qui abrite le Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire est classé comme monument depuis 2004. Il est géré par le « War Heritage Institute », qui est un organisme de droit public placé sous la tutelle du ministre de la Défense. Celui-ci figure comme « établissement scientifique fédéral » dans l’article 1er de l’arrêté royal du 30 octobre 1996 « désignant les établissements scientifiques fédéraux ».
Par un arrêté du 1er juin 2017, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a entamé une procédure d’extension de classement, comme monument, aux éléments (mobiliers et objets) faisant intrinsèquement partie du décor scénographique des salles historique et technique situées dans les galeries courbes du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire, sur la base de l’article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l’aménagement du territoire. Par un arrêté du 16 mai 2019, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a procédé au classement effectif.
Le « War Heritage Institute » et l’État belge demandent l’annulation de ces deux arrêtés devant le Conseil d’État. Celui-ci pose à la Cour les deux questions préjudicielles reproduites plus haut sur la conformité de l’article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l’aménagement du territoire aux règles répartitrices de compétences.
III. En droit
-A-
Quant à la première question préjudicielle
A.1.1. À titre liminaire, le « War Heritage Institute » et le Conseil des ministres signalent que l’arrêté de classement attaqué devant le Conseil d’État porte, non pas sur des objets ou du mobilier, mais sur un mode d’exposition muséale. En effet, les objets peuvent être remplacés, pourvu que le décor scénographique reste en place. L’arrêté de classement vise ainsi le décor scénographique selon le principe de l’accumulation encyclopédique des collections de deux salles entières du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire. Les seuls objets qui font l’objet de plusieurs lignes dans l’arrêté de classement sont des vitrines. Pour le reste, l’arrêté de classement concerne des objets et du mobilier qui n’ont aucunement été conçus pour ces salles.
A.1.2. Le « War Heritage Institute » et le Conseil des ministres renvoient au principe de loyauté fédérale visé à l’article 143 de la Constitution et au principe de proportionnalité, inhérent à tout exercice de compétence.
Ils font également référence à l’arrêt de la Cour n° 25/2010 du 17 mars 2010 dont il ressort que, sur la base de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), la compétence des régions en matière de monuments et sites ne s’étend que de manière limitée aux objets mobiliers situés dans un bâtiment classé.
Selon le « War Heritage Institute » et le Conseil des ministres, les conditions qui découlent de cette disposition ne sont pas réunies. Tout d’abord, le classement effectué par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas nécessaire à l’exercice de sa compétence en matière de monuments et sites. En effet, si le but du classement est d’assurer la conservation, l’entretien et, éventuellement, la restauration des biens
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concernés, force est de constater que ces missions sont déjà assurées par le « War Heritage Institute ». Ensuite, le classement du mode d’exposition des collections de deux salles entières d’un musée relevant d’un établissement culturel et scientifique fédéral ne se prête pas à un règlement différencié, compte tenu des conséquences importantes que ce classement a sur le fonctionnement du musée lui-même. En classant un décor scénographique, l’arrêté de classement litigieux fige le mode d’exposition des collections complètes de deux salles, entraînant l’interdiction de déplacer les biens concernés, et empêche de ce fait le « War Heritage Institute » de réaliser ses missions légales. Enfin, l’incidence du classement sur la compétence fédérale relative aux établissements culturels et scientifiques fédéraux n’est pas marginale. S’il fallait admettre que le Gouvernement de la Région de Bruxelles-
Capitale peut classer les collections d’un musée uniquement en raison du lien historique qui existe entre le musée et le bâtiment classé qui l’abrite, il pourrait alors intervenir dans la gestion de nombreux autres musées fédéraux situés sur le territoire de la Région.
A.2. La Régie des bâtiments allègue que les objets et concepts visés par l’arrêté de classement attaqué devant le Conseil d’État ne sont ni des immeubles par nature, ni des immeubles par destination. Ces objets sont des meubles qui garnissent le musée, à l’instar des collections de tous les musées, et qui peuvent être librement déplacés et remplacés. En classant de tels objets, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a donc empiété sur la compétence de l’autorité fédérale sans que les conditions de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 soient réunies.
A.3. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale précise qu’il a pris l’arrêté de classement attaqué devant le Conseil d’État sur la base de sa compétence en matière de monuments et sites et qu’il ressort de cet arrêté que les biens classés sont des biens corporels qui font partie intégrante du bâtiment classé qu’est le Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire. Le classement ne porte donc pas sur un mode d’exposition muséale.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale renvoie à l’arrêt n° 25/2010, précité. L’exercice utile de la compétence régionale en matière de monuments et sites suppose qu’elle s’exerce à l’égard de tous les biens corporels qui font partie intégrante d’un monument et qui forment avec celui-ci un ensemble indissociable. Le monument et ces biens corporels doivent être pareillement protégés. Cette compétence s’exerce d’ailleurs à l’égard de l’ensemble des biens immeubles (en ce compris les éléments qui en font partie intégrante), et ce même si le bien appartient à l’autorité fédérale ou fait partie de collections dont la gestion a été confiée à un établissement scientifique fédéral.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que les arrêtés attaqués devant le Conseil d’État n’ont ni pour objet ni pour effet de régler l’organisation, le fonctionnement, les missions ou les activités du « War Heritage Institute ». Le classement a pour seul objet d’assurer la protection de certains biens corporels situés dans un musée géré par le « War Heritage Institute », en ce que ces biens font partie intégrante du bâtiment classé qui les abrite. Certes, le classement produit des effets sur les biens qu’il vise, puisque le gestionnaire du musée devra intégrer ces effets comme autant de contraintes pesant sur le monument lui-même. De tels effets sont toutefois insuffisants pour conclure à un excès de compétence de la Région de Bruxelles-Capitale. Ces effets sont, en effet, propres à la procédure de classement et sont inhérents à la compétence des régions en matière de monuments et sites.
Selon le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, à supposer que l’article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l’aménagement du territoire (ci-après : le CoBAT) empiète sur la compétence fédérale en matière d’établissements scientifiques et culturels fédéraux, les conditions d’application de la théorie des pouvoirs implicites sont remplies. La disposition en cause n’a en effet qu’une incidence marginale sur la compétence fédérale, dès lors qu’elle ne vise à s’appliquer qu’à certaines situations déterminées. Ainsi faut-il que l’immeuble qui abrite les installations ou les éléments décoratifs soit protégé au titre de monument et que le mobilier ou les objets en question puissent être considérés comme des installations ou des éléments décoratifs faisant partie intégrante de la réalisation protégée.
Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale allègue enfin qu’en ce qu’elle permet de protéger les biens mobiliers qui font partie intégrante d’un bâtiment classé comme monument et relevant d’un établissement scientifique fédéral, la disposition en cause n’a pas pour effet de rendre impossible ou exagérément difficile l’exercice, par l’autorité fédérale, de sa compétence en matière d’établissements scientifiques et culturels, d’autant moins lorsque lesdits établissements et leur ministre de tutelle peuvent faire valoir leur point de vue à la fois lors
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de la procédure de classement et, une fois le classement décidé, notamment en vue de la conception d’un plan de gestion patrimoniale.
Quant à la seconde question préjudicielle
A.4. Le « War Heritage Institute » et le Conseil des ministres allèguent que la compétence que la Région de Bruxelles-Capitale tient de l’article 4bis, 3°, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises se limite au patrimoine biculturel immatériel d’intérêt régional. Elle ne s’étend pas au patrimoine culturel immatériel d’intérêt national, dont relève manifestement le mode d’exposition muséale classé en l’espèce.
Le « War Heritage Institute » et le Conseil des ministres rappellent que la compétence des régions en matière de monuments et sites ne s’étend que de manière limitée aux objets mobiliers situés dans un bâtiment classé. Pour que ces objets soient considérés comme faisant partie intégrante du bâtiment, il faut qu’ils soient liés à la réalisation du bâtiment classé, ce qui n’est pas le cas des collections du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire. En outre, en classant un mode d’exposition muséal, c’est-à-dire un patrimoine culturel immatériel, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale interfère directement dans la gestion du musée. Une telle intervention n’est pas marginale.
À titre infiniment subsidiaire, le Conseil des ministres estime qu’il y aurait lieu à tout le moins d’imposer au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale de se concerter avec l’autorité fédérale pour exercer sa compétence.
A.5. La Régie des bâtiments développe une argumentation analogue à celle du « War Heritage Institute » et du Conseil des ministres. Selon elle, la jurisprudence du Conseil d’État relative au Palais Stoclet n’est pas transposable en l’espèce, dès lors que les objets ou concepts classés n’ont aucun lien avec le bâtiment qui les abrite.
Par ailleurs, cette jurisprudence ne saurait s’appliquer à des objets non corporels.
A.6. Le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient qu’en ce qu’elle sous-entend que le classement litigieux porte exclusivement sur un élément relevant du patrimoine culturel immatériel, la seconde question préjudicielle repose sur une prémisse inexacte. Elle n’est dès lors pas utile à la solution du litige et n’appelle pas de réponse.
À titre subsidiaire, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale allègue que des biens corporels peuvent être classés pour autant qu’ils fassent partie intégrante d’un monument, au sens de l’article 206, 1°, a), du CoBAT, ce qu’il appartient au Conseil d’État de contrôler, et ce qu’ils soient associés ou non à un concept muséographique qui relèverait du patrimoine immatériel.
À titre encore plus subsidiaire, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale soutient que la Région de Bruxelles-Capitale est compétente en tout état de cause pour régler la protection du patrimoine biculturel, sur la base de l’article 4bis de la loi spéciale du 8 août 1980.
-B–
Quant à la première question préjudicielle
B.1. Le Conseil d’État demande à la Cour si l’article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l’aménagement du territoire (ci-après : le CoBAT), « interprété comme autorisant le classement de salles entières, comprenant une multitude d’objets non répertoriés en tant que tels, d’un
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musée qui est un établissement scientifique […] de l’État fédéral, et comme autorisant ainsi l’intervention dans la gestion de cet établissement », est conforme aux règles de répartition des compétences et, plus particulièrement, aux articles 127, § 1er, 1°, et 135bis de la Constitution et aux articles 4, 4°, 6, § 1er, I, 7°, 6bis, § 2, 4°, et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980).
Les actes attaqués devant le Conseil d’État portent sur le classement par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale de biens mobiliers conservés par un établissement scientifique fédéral. La Cour limite son examen à cette situation.
B.2. L’article 206, 1°, a), du CoBAT dispose :
« Pour l’application du présent titre, il faut entendre par :
1° patrimoine immobilier : l’ensemble des biens immeubles qui présentent un intérêt historique, archéologique, artistique, esthétique, scientifique, social, technique, paysager, urbanistique ou folklorique, à savoir :
a) au titre de monument : toute réalisation particulièrement remarquable, y compris les installations ou les éléments décoratifs faisant partie intégrante de cette réalisation ».
Sur la base de cette disposition, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale peut classer des biens mobiliers en tant qu’ils font partie intégrante d’un monument.
B.3. En région bilingue de Bruxelles-Capitale, la matière relative au patrimoine culturel, à l’exception des monuments et des sites, est réglée par plusieurs législateurs.
La Communauté française et la Communauté flamande sont compétentes à l’égard du patrimoine culturel relevant des institutions qui, en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou à l’autre communauté (article 127 de la Constitution et article 4, 4°, de la loi spéciale du 8 août 1980).
La Région de Bruxelles-Capitale est compétente à l’égard du patrimoine biculturel mobilier et immatériel, pour autant qu’il soit d’intérêt régional, comme la Cour l’a jugé par son arrêt
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n° 71/2021 du 20 mai 2021 (article 4bis, 3°, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises (ci-après : la loi spéciale du 12 janvier 1989), pris en application de l’article 135bis de la Constitution).
Le patrimoine culturel qui ne relève pas des compétences de la Communauté française, de la Communauté flamande ou de la Région de Bruxelles-Capitale ressortit à la compétence résiduelle de l’autorité fédérale. Cette dernière est ainsi compétente à l’égard du patrimoine biculturel ayant une envergure nationale ou internationale et, en particulier, à l’égard des biens mobiliers qui relèvent d’un établissement scientifique ou culturel fédéral.
B.4. La Région de Bruxelles-Capitale est compétente en matière de monuments et de sites (article 6, § 1er, I, 7°, de la loi spéciale du 8 août 1980, lu en combinaison avec l’article 4, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989).
B.5. En ce qu’il qualifie de monuments « les installations ou les éléments décoratifs faisant partie intégrante » d’une réalisation particulièrement remarquable, l’article 206, 1°, a), du CoBAT règle, pour ce qui concerne la protection des biens mobiliers relevant d’un établissement scientifique fédéral, une matière qui ressortit à la compétence de l’autorité fédérale.
B.6. L’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, lu en combinaison avec l’article 4, alinéa 1er, de la loi spéciale du 12 janvier 1989, permet néanmoins à la Région de Bruxelles-
Capitale d’adopter des dispositions ordonnancielles dans une matière qui relève de la compétence de l’autorité fédérale, à condition que ces dispositions soient nécessaires à l’exercice des compétences de la Région, que cette matière se prête à un règlement différencié et que l’incidence de ces dispositions sur la matière fédérale ne soit que marginale.
B.7. Par son arrêt n° 25/2010 du 17 mars 2010, la Cour a jugé qu’en vue d’exercer utilement sa compétence en matière de monuments et de sites, une région peut, en vertu de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 « estimer nécessaire que soient également protégés, outre les biens immobiliers, les biens culturels qui en font partie intégrante, y compris l’équipement complémentaire et les éléments décoratifs », dès lors que ces objets « sont, de par leur nature, tellement attachés à un monument, dont ils contribuent à déterminer la valeur socio-
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culturelle, artistique ou historique, qu’ils doivent être protégés en même temps que le monument ».
La Région de Bruxelles-Capitale est dès lors compétente pour régler la protection des biens mobiliers faisant partie intégrante d’un monument.
B.8. Dès lors qu’elle se fonde sur l’exercice de compétences implicites, la compétence du législateur ordonnanciel de protéger les biens mobiliers associés à un bien immobilier doit se limiter aux seuls biens qui font partie intégrante de ce bien immobilier et cette notion doit faire l’objet d’une interprétation stricte.
Le Conseil d’État a jugé en la matière :
« Pour qu’un objet puisse être considéré comme faisant ‘ partie intégrante ’ d’une réalisation architecturale, il faut qu’existe un lien entre celle-ci et celui-là; […] ce lien n’est défini ni par le législateur régional ni par la Convention de Grenade, […] de laquelle est issue la disposition concernée; […] pour déterminer la nature de ce lien, il y a lieu d’avoir égard aux objectifs de la législation sur la conservation du patrimoine immobilier, lesquels sont révélés par les motifs qui, selon l’article 206, 1, a, du CoBAT, justifient le classement, à savoir l’intérêt historique, archéologique, artistique, esthétique, social, technique ou folklorique; […] il en résulte que ce lien peut être notamment de nature historique, esthétique et artistique; […]
certains objets sont, de par leur nature, tellement attachés à un monument, dont ils contribuent à déterminer la valeur socioculturelle, artistique ou historique, que, pour être pleine et entière, la protection du bâtiment comme monument doit s’étendre à ces objets, indépendamment de la valeur intrinsèque qu’ils pourraient avoir de manière isolée par rapport à l’ensemble dans lequel ils s’insèrent; […] s’avèrent indifférentes à cet égard leur qualification en droit civil et l’identité de leurs propriétaires, ces considérations étant dépourvues de pertinence pour délimiter la partie de l’ensemble qui mérite la protection au titre de monument historique » (CE, arrêt n° 210.958
du 2 février 2011).
Il ressort de ce même arrêt que, pour être considérés comme faisant « partie intégrante »
d’une réalisation architecturale, les objets doivent présenter un lien indissociable avec l’immeuble qui les abrite et ils doivent être protégés in situ avec celui-ci, leur déplacement étant de nature à porter atteinte à l’intégrité de la réalisation remarquable à protéger. Par contre, il n’est pas exigé « que ces objets revêtent en outre la qualité d’immeuble par nature ou par destination » (Cass., 13 juin 2013, C.12.0091.F).
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B.9. Il appartient au Conseil d’État de vérifier si les biens mobiliers classés par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale font effectivement partie intégrante du bâtiment qui les abrite et, si tel est le cas, de vérifier, dans le cadre de la loyauté fédérale, si ce classement ne rend pas impossible ou exagérément difficile l’exercice par l’autorité fédérale de sa compétence en matière de gestion des établissements scientifiques fédéraux.
B.10. La première question préjudicielle n’appelle dès lors pas de réponse.
Quant à la seconde question préjudicielle
B.11. Le Conseil d’État demande à la Cour si l’article 206, 1°, a), du CoBAT, interprété « comme autorisant le classement d’un mode d’exposition muséale ou scénographie, ce qui constituerait un patrimoine culturel immatériel d’un musée », est conforme aux règles de répartition des compétences et, plus particulièrement, aux articles 127, § 1er, 1°, et 135bis de la Constitution, aux articles 4, 4°, 6, § 1er, I, 7°, 6bis, § 2, 4°, et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, et aux articles 4 et 4bis, 3°, de la loi spéciale du 12 janvier 1989, « et ce, alors même que l’article 4bis, 3°, de cette loi spéciale du 12 janvier 1989 limite la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale au patrimoine biculturel immatériel d’intérêt régional ».
B.12. Il ressort de l’arrêt de renvoi que les arrêtés attaqués devant le Conseil d’État procèdent, sur la base de l’article 206, 1°, a), du CoBAT, au classement par extension comme monument d’éléments qui sont des objets et du mobilier « faisant intrinsèquement partie du décor scénographique des salles historique et technique situées dans les galeries courbes du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire ». Il s’ensuit que le classement litigieux porte non pas sur un mode d’exposition muséale ou une scénographie, mais sur des biens corporels qualifiés d’« installations ou éléments décoratifs faisant partie intégrante de la réalisation architecturale dont ils constituent le décor scénographique ».
B.13. La seconde question préjudicielle, qui interroge la Cour sur la conformité aux règles répartitrices de compétences de la disposition en cause en ce qu’elle autoriserait le classement
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d’un « mode d’exposition muséale ou scénographie », ne saurait dès lors présenter d’utilité pour la solution du litige pendant devant la juridiction a quo.
La seconde question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
Les questions préjudicielles n’appellent pas de réponse.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 octobre 2022.
Le greffier, Le président,
F. Meersschaut P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 120/2022
Date de la décision : 13/10/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Les deux questions préjudicielles n'appellent pas de réponse

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles relatives à l'article 206, 1°, a), du Code bruxellois de l'aménagement du territoire, posées par le Conseil d'État. Région de Bruxelles-Capitale - Aménagement du territoire - Protection du patrimoine immobilier - Classement par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale de biens mobiliers conservés par un établissement scientifique fédéral - Règles répartitrices de compétences


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-10-13;120.2022 ?

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