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29/09/2022 | BELGIQUE | N°117/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 29 septembre 2022, 117/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 117/2022
du 29 septembre 2022
Numéros du rôle : 7458 et 7503
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 2, 2°, de la loi du 5 mai 2014
« portant modification de la pension de retraite et de la pension de survie et instaurant l’allocation de transition dans le régime de pension des travailleurs salariés et portant suppression progressive des différences de traitement qui reposent sur la distinction entre ouvriers et employés en matière de pensions complémentaires », l’article 21, 3°, de la loi du 10 août

2015 « visant à relever l’âge légal de la pension de retraite et portant modificati...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 117/2022
du 29 septembre 2022
Numéros du rôle : 7458 et 7503
En cause : les questions préjudicielles concernant l’article 2, 2°, de la loi du 5 mai 2014
« portant modification de la pension de retraite et de la pension de survie et instaurant l’allocation de transition dans le régime de pension des travailleurs salariés et portant suppression progressive des différences de traitement qui reposent sur la distinction entre ouvriers et employés en matière de pensions complémentaires », l’article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 « visant à relever l’âge légal de la pension de retraite et portant modification des conditions d'accès à la pension de retraite anticipée et de l’âge minimum de la pension de survie » et l’article 21quater de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 « relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés », posées par la Cour du travail de Liège, division de Namur, et par le Tribunal du travail de Liège, division de Huy.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
1. Par arrêt du 1er octobre 2020, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 27 octobre 2020, la Cour du travail de Liège, division de Namur, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« - L’article 2, 2°, de la loi du 5 mai 2014 portant modification de la pension de retraite et de la pension de survie et instaurant l’allocation de transition dans le régime de pension des travailleurs salariés et portant suppression progressive des différences de traitement qui reposent sur la distinction entre ouvriers et employés en matière de pensions complémentaires et l’article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 visant à relever l’âge légal de la pension de retraite et portant modification des conditions d’accès à la pension de retraite anticipée et de l’âge minimum de la pension de survie, chacun pris isolément ou de façon combinée, violent-ils les
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articles 10, 11 et 23 de la Constitution lue (ou non) en combinaison avec les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en ce qu’ils créent des distinctions injustifiées entre d’une part les conjoints survivants qui ont pu bénéficier d’une pension de survie avant d’avoir atteint l’âge légal requis au moment du décès de leur époux (épouse), soit parce qu’ils avaient des enfants à charge, soit parce qu’ils ont pu reporter la prise de cours de la pension de survie au moment où l’âge était atteint et d’autre part les conjoints survivants qui n’ont pas atteint l’âge légal au moment du décès de leur époux (épouse) qui, du fait de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ne peuvent bénéficier que d’une allocation de transition, limitée dans le temps ?
- L’article 2, 2°, de la loi du 5 mai 2014 portant modification de la pension de retraite et de la pension de survie et instaurant l’allocation de transition dans le régime de pension des travailleurs salariés et portant suppression progressive des différences de traitement qui reposent sur la distinction entre ouvriers et employés en matière de pensions complémentaires et l’article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 visant à relever l’âge légal de la pension de retraite et portant modification des conditions d’accès à la pension de retraite anticipée et de l’âge minimum de la pension de survie, chacun pris isolément ou de façon combinée, violent-ils les articles 10, 11 et 23 de la Constitution lue (ou non) en combinaison avec les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en ce qu’il relève progressivement l’âge requis du conjoint survivant de 45 ans à 50 ans, pour l’octroi d’une pension de survie en fonction de la date du décès de l’époux ou épouse, créant une distinction injustifiée entre les conjoints survivants selon que leur époux (ou épouse) est décédé avant ou après l’entrée en vigueur de ces normes et dans [cette] dernière hypothèse, pour autant que le conjoint survivant ait atteint l’âge légal requis au moment du décès ? ».
2. Par jugement du 20 janvier 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 25 janvier 2021, le Tribunal du travail de Liège, division de Huy, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« a) L’article 2, 2°, de la loi du 5/05/2014 (plus amplement précisée ci-dessus) et l’article 21, 3°, de la loi du 10/08/2015 (plus amplement précisée ci-dessus), et l’article 2lquater de l’arrêté royal du 24/10/1967 n° 50 (plus amplement précisé ci-dessus), chacun pris isolément ou de façon combinée, violent-ils les articles 10, 11 et 23 de la Constitution lue (ou non) en combinaison avec les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en ce qu’ils créent des distinctions injustifiées entre
- d’une part les conjoints survivants qui ont pu bénéficier d’une pension de survie avant d’avoir atteint l’âge légal requis au moment du décès de leur époux (épouse), soit parce qu’ils avaient des enfants à charge, soit parce qu’ils ont pu reporter la prise de cours de la pension de survie au moment où l’âge était atteint et
- d’autre part les conjoints survivants qui n’ont pas atteint l’âge légal au moment du décès de leur époux (épouse) qui, du fait de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ne peuvent bénéficier que d’une allocation de transition, limitée dans le temps, et quand bien même ils ont des enfants à charge ?
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b) L’article 2, 2°, de la loi du 5/05/2014 (plus amplement précisée ci-dessus) et l’article 21, 3°, de la loi du 10/08/2015 (plus amplement précisée ci-dessus), et l’article 2lquater de l’arrêté royal du 24/10/1967 n° 50 (plus amplement précisé ci-dessus), chacun pris isolément ou de façon combinée, violent-ils les articles 10, 11 et 23 de la Constitution lue (ou non) en combinaison avec les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en ce qu’il relève[nt] progressivement l’âge requis du conjoint survivant de 45 ans à 50 ans, pour l’octroi d’une pension de survie en fonction de la date du décès du conjoint prémourant, créant une distinction injustifiée entre les conjoints survivants selon que leur conjoint est (pré)décédé avant ou après l’entrée en vigueur de ces nouvelles normes, et dans cette dernière hypothèse, pour autant que le conjoint survivant ait atteint l’âge légal requis au moment du décès ?
c) L’article 2, 2°, de la loi du 5/05/2014 (plus amplement précisée ci-dessus) et l’article 21, 3°, de la loi du 10/08/2015 (plus amplement précisée ci-dessus), et l’article 2lquater de l’arrêté royal du 24/10/1967 n° 50 (plus amplement précisé ci-dessus), chacun pris isolément ou de façon combinée, violent-ils les articles 10, 11 et 23 de la Constitution lue (ou non) en combinaison avec les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en ce qu’ils augmentent l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie et instaurent une allocation d’insertion temporaire, impliquant l’exclusion d’une catégorie de personnes (pouvant antérieurement à la réforme bénéficier d’une pension de survie) du droit de mener une vie [conforme] à la dignité humaine ?
d) L’article 2, 2°, de la loi du 5/05/2014 (plus amplement précisée ci-dessus) et l’article 21, 3°, de la loi du 10/08/2015 (plus amplement précisée ci-dessus), et l’article 2lquater de l’arrêté royal du 24/10/1967 n° 50 (plus amplement précisé ci-dessus), chacun pris isolément ou de façon combinée, violent-ils les articles 10, 11 et 23 de la Constitution lue (ou non) en combinaison avec les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, en ce qu’ils limitent à 2 ans l’allocation d’insertion dont peut bénéficier le conjoint survivant lorsqu’il a un enfant à charge et ce indépendamment de la date à laquelle ledit enfant ne sera plus à charge du conjoint survivant ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7458 et 7503 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires ont été introduits par :
- Paola Bonnano, assistée et représentée par Me D. Paulet, avocat au barreau de Namur (dans l’affaire n° 7458);
- Martine Hazée, assistée et représentée par Me V. Delfosse, avocat au barreau de Liège-Huy (dans l’affaire n° 7503);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me V. Pertry, avocat au barreau de Bruxelles (dans les deux affaires).
Par ordonnance du 18 mai 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception
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de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 8 juin 2022 et les affaires mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré le 8 juin 2022.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et les procédures antérieures
Affaire n° 7458
Le 8 août 2017, Paola Bonanno, qui est née le 13 novembre 1976, a trois enfants à charge et travaille à mi-
temps depuis la naissance de son plus jeune enfant, sollicite une pension de survie à la suite du décès de son conjoint, survenu le 29 avril 2017. Le Service fédéral des Pensions (ci-après : le SFP) décide qu’elle n’a pas droit à une pension de survie, mais bien à une allocation de transition pour une période de 24 mois. Paola Bonanno conteste cette décision du SFP devant le Tribunal du travail de Liège, division de Namur. Par un jugement du 19 septembre 2019, ce dernier juge le recours recevable et fondé. Le SFP fait appel de ce jugement devant la juridiction a quo.
La juridiction a quo observe que l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 « relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés » a été modifié par la loi du 5 mai 2014 « portant modification de la pension de retraite et de la pension de survie et instaurant l’allocation de transition dans le régime de pension des travailleurs salariés et portant suppression progressive des différences de traitement qui reposent sur la distinction entre ouvriers et employés en matière de pensions complémentaires » (ci-après : la loi du 5 mai 2014) et par la loi du 10 août 2015 « visant à relever l’âge légal de la pension de retraite et portant modification des conditions d’accès à la pension de retraite anticipée et de l’âge minimum de la pension de survie » (ci-après : la loi du 10 août 2015).
La juridiction a quo souligne que les lois du 5 mai 2014 et du 10 août 2015 ont apporté les modifications suivantes :
(1) l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie a progressivement été relevé, d’abord de 45 à 50 ans (loi du 5 mai 2014), puis de 50 à 55 ans (loi du 10 août 2015), (2) la dérogation à cette condition d’âge qui était prévue pour le conjoint survivant ayant un enfant à charge a été supprimée, (3) cette condition d’âge doit désormais être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé et (4) le conjoint survivant qui ne satisfait pas à cette condition d’âge a droit à une allocation de transition pendant une période de 12 mois (sans enfant à charge)
ou de 24 mois (avec enfant à charge). La juridiction a quo observe que, par son arrêt n° 135/2017 du 30 novembre 2017, la Cour a annulé les dispositions de la loi du 10 août 2015 qui relevaient à 55 ans l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie. Selon la juridiction a quo, la Cour ne s’est toutefois pas prononcée sur les autres modifications apportées par les lois du 5 mai 2014 et du 10 août 2015. La juridiction a quo se demande si ces modifications sont compatibles avec l’obligation de standstill contenue dans l’article 23 de la Constitution. Elle estime par ailleurs que l’absence de dispositions transitoires pour les conjoints survivants dont l’âge se rapproche de 45 ans peut heurter les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime. Elle pose donc les deux questions préjudicielles reproduites plus haut.
Affaire n° 7503
Le 7 novembre 2017, Martine Hazée, qui est née le 11 mars 1972 et a un enfant à charge, sollicite une pension de survie à la suite du décès de son conjoint, survenu le 27 septembre 2017. Le SFP décide qu’elle n’a pas droit à une pension de survie, mais bien à une allocation de transition pour une période de 24 mois. Martine Hazée conteste cette décision du SFP devant la juridiction a quo.
La juridiction a quo constate que, sous l’empire de la législation qui était applicable avant les modifications apportées par les lois du 5 mai 2014 et du 10 août 2015, Martine Hazée aurait bénéficié d’une pension de survie,
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mais que tel n’est en revanche pas le cas sous l’empire de la législation actuelle. La juridiction a quo souligne ensuite que Martine Hazée n’exerçait pas d’activité professionnelle au moment du décès de son conjoint et que sa situation est similaire à celle qui a été mise en évidence par la Cour dans l’arrêt n° 135/2017 précité. La juridiction a quo décide donc de poser les quatre questions préjudicielles reproduites plus haut.
III. En droit
-A-
Quant aux exceptions soulevées par le Conseil des ministres
A.1.1. Selon le Conseil des ministres, les questions préjudicielles n’appellent pas de réponse en ce qu’elles portent sur le respect des articles 10 et 11 de la Constitution et des principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique, dès lors que les décisions de renvoi ne permettent pas de comprendre en quoi ces dispositions et principes seraient violés.
A.1.2. En outre, le Conseil des ministres fait valoir que la seconde question préjudicielle dans l’affaire n° 7458 est irrecevable car elle n’est pas utile à la solution du litige devant la juridiction a quo. Il constate que cette question préjudicielle porte sur le relèvement de 45 à 50 ans de la condition d’âge pour pouvoir prétendre à une pension de survie. Selon lui, dès lors que Paola Bonanno avait moins de 45 ans lors du décès de son conjoint, elle aurait uniquement pu, sous l’empire de la législation qui était précédemment applicable, prétendre à une pension de survie fondée non pas sur son âge, mais sur la dérogation à la condition d’âge pour les conjoints survivants ayant un enfant à charge, dont la suppression fait l’objet de la première question préjudicielle.
A.1.3. Enfin, le Conseil des ministres constate que la quatrième question préjudicielle dans l’affaire n° 7503
concerne la durée de l’allocation de transition, en ce qu’elle est limitée à 24 mois, quelle que soit la durée pendant laquelle le conjoint survivant a des enfants à charge. Il constate que l’allocation de transition a été instaurée par les articles 5 à 13 de la loi du 5 mai 2014, qui ne sont pas visés dans la question préjudicielle. Selon lui, dès lors que la discrimination alléguée ne trouve pas sa source dans les dispositions visées dans la question préjudicielle, cette dernière est irrecevable.
Quant au fond
A.2.1. Se référant à l’arrêt de la Cour n° 135/2017, le Conseil des ministres observe tout d’abord que le relèvement à 55 ans de la condition d’âge pour pouvoir prétendre à une pension de survie a été annulé pour les personnes qui ne sont pas actives ou qui sont actives de manière partielle sur le marché du travail et qui n’ont pas trouvé un emploi dans le délai de perception de l’allocation de transition. Selon lui, cet arrêt concerne les conjoints survivants dont le seul revenu consiste en des allocations de chômage ou d’assurance maladie invalidité. Il souligne que tel n’est pas le cas de Paola Bonanno et que tel n’est pas non plus le cas de Martine Hazée, qui, contrairement à ce qu’indique la décision de renvoi, exerçait bel et bien une activité professionnelle lors du décès de son conjoint.
A.2.2. En ce qui concerne la première question préjudicielle dans les affaires n os 7458 et 7503, le Conseil des ministres constate qu’elle invite la Cour à comparer les conjoints survivants qui relevaient de l’application de la législation antérieure à la loi du 5 mai 2014 et ceux qui relèvent de l’application de la législation postérieure aux lois du 5 mai 2014 et du 10 août 2015 : les dispositions en cause ont supprimé, pour le conjoint survivant qui n’avait pas atteint l’âge de 45 ans au moment du décès de son conjoint, les possibilités, qui s’offraient auparavant à lui, d’une part, de prétendre à une pension de survie dès qu’il atteignait l’âge de 45 ans et, d’autre part, de prétendre à une pension de survie avant l’âge de 45 ans s’il avait un enfant à charge.
Tout d’abord, le Conseil des ministres fait valoir que les dispositions en cause sont compatibles avec l’obligation de standstill contenue dans l’article 23 de la Constitution. À titre principal, il estime que les
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dispositions en cause n’entraînent pas un recul significatif du degré de protection offert au conjoint survivant. Il observe qu’auparavant, le conjoint survivant qui était âgé de moins de 45 ans et qui avait un enfant à charge pouvait certes prétendre à une pension de survie, mais que le cumul de celle-ci avec des revenus professionnels était limité, de sorte que le conjoint survivant quittait le marché du travail. Il souligne que, dans le régime actuel, le conjoint survivant qui n’a pas atteint l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie et qui a un enfant à charge bénéficie des mesures suivantes : (1) il bénéficie, pendant 24 mois, d’une allocation de transition cumulable sans limite avec des revenus professionnels, ce qui l’incite à continuer à travailler, lui permet ainsi de continuer à cotiser pour sa pension de retraite personnelle et favorise le droit au travail garanti par l’article 23 de la Constitution, (2) il a droit, à l’issue de la période d’octroi de l’allocation de transition, aux allocations de chômage sans devoir justifier des conditions de stage et (3) il a droit à une pension de survie ou de retraite au moment de sa retraite. En outre, le Conseil des ministres rappelle que, dans le régime antérieur, la pension de survie n’était pas garantie à vie, dès lors qu’elle n’était plus octroyée en cas de remariage du conjoint survivant. Par ailleurs, il observe que, par son arrêt n° 135/2017, la Cour a jugé que le relèvement à 55 ans de l’âge requis entraînait un recul significatif, mais qu’elle ne s’est pas prononcée sur les autres aspects de la réforme. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres, se référant au même arrêt, fait valoir qu’à supposer que les dispositions en cause entraînent un recul significatif, ce recul est justifié par un objectif d’intérêt général, à savoir maintenir au travail les personnes qui feraient le choix d’interrompre leur activité professionnelle en cas de décès de leur conjoint, et éviter ainsi les pièges à l’emploi. Il ajoute qu’un arrêt de la Cour du travail de Liège, division de Liège, du 4 décembre 2018 confirme que l’obligation de standstill est respectée.
Ensuite, le Conseil des ministres fait valoir que les dispositions en cause sont compatibles avec le principe d’égalité et de non-discrimination. Il constate que la question préjudicielle porte sur la comparaison entre les personnes qui relèvent du champ d’application des dispositions en cause et les personnes qui continuent à bénéficier de l’application des dispositions antérieures. À titre principal, il estime qu’une telle comparaison ne saurait aboutir à un constat de discrimination, à peine de rendre impossible toute modification législative. À titre subsidiaire, il fait valoir que la différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir la date du décès du conjoint prédécédé, qu’elle poursuit un objectif légitime et qu’elle est proportionnée au regard de cet objectif. Il se réfère à cet égard à son argumentation concernant le respect de l’obligation de standstill. Il ajoute que des besoins tels que la garde des enfants doivent être visés non pas par la réglementation en matière de pension mais par les régimes de soutien aux personnes actives sur le marché du travail. Selon le Conseil des ministres, il ressort de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 17 juillet 2014 en cause de Leone (C-173/13), d’une part, que l’octroi d’une pension de survie au conjoint survivant loin de l’âge de la retraite constituerait une discrimination indirecte et, d’autre part, que les mesures visant à remédier aux problèmes que les conjoints survivants peuvent rencontrer pendant leur carrière professionnelle ne relèvent pas du régime de pension de survie.
Par ailleurs, il précise que les dispositions en cause ont été unanimement approuvées par les partenaires sociaux.
Enfin, le Conseil des ministres fait valoir que les dispositions en cause sont compatibles avec les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime. Selon lui, ces principes ne sauraient être violés en l’espèce, dès lors que le décès du conjoint prédécédé est en principe imprévisible et que le conjoint survivant ne peut donc pas avoir d’attentes légitimes. Il ajoute qu’un conjoint survivant âgé de moins de 47 ans et 6 mois ne peut pas légitimement s’attendre à ne pas travailler et à percevoir une pension de survie pendant près de vingt ans. Le Conseil des ministres insiste en outre sur la progressivité du relèvement de l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie. Enfin, il rappelle que les dispositions en cause sont justifiées par un motif impérieux d’intérêt général.
A.2.3. En ce qui concerne la deuxième question préjudicielle dans les affaires nos 7458 et 7503, le Conseil des ministres souligne qu’elle porte sur le relèvement de 45 à 50 ans de l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie. Il fait valoir que ce relèvement respecte l’obligation de standstill. Selon lui, ce relèvement n’entraîne pas un recul significatif du degré de protection des conjoints survivants, dès lors qu’il est progressif, qu’il porte sur seulement cinq années et qu’il est compensé par l’allocation de transition à laquelle le conjoint survivant a droit, quel que soit son âge. Le Conseil des ministres se réfère en outre à son argumentation relative à la première question préjudicielle et il rappelle que les dispositions en cause sont justifiées par un objectif d’intérêt
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général. Ensuite, en ce qui concerne le respect du principe d’égalité et de non-discrimination, le Conseil des ministres développe une argumentation similaire à celle qu’il a développée dans le cadre de la première question préjudicielle. De plus, il insiste sur le fait que, à la différence des difficultés, mises en évidence par la Cour dans son arrêt n° 135/2017, auxquelles peut être confronté le conjoint survivant âgé de plus de 50 ans qui n’exerce pas d’activité professionnelle, le conjoint survivant actif et âgé de moins de 50 ans a encore toutes ses chances sur le marché de l’emploi. Enfin, en ce qui concerne le respect des principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime, il se réfère à son argumentation relative à la première question préjudicielle.
A.2.4. En ce qui concerne la troisième question préjudicielle dans l’affaire n° 7503, le Conseil des ministres se réfère à son argumentation relative à la deuxième question préjudicielle.
A.2.5. En ce qui concerne la quatrième question préjudicielle dans l’affaire n° 7503, le Conseil des ministres fait valoir que l’obligation de standstill ne saurait être violée, dès lors que l’allocation de transition a été instaurée par la loi du 5 mai 2014 et qu’elle n’a jamais été raccourcie. En outre, le Conseil des ministres se réfère à l’argumentation qu’il a développée dans le cadre des deux premières questions préjudicielles. Enfin, à supposer que la question préjudicielle porte sur l’identité de traitement entre les conjoints survivants, quel que soit le nombre d’années pendant lesquelles ils ont des enfants à charge, le Conseil des ministres estime que la présence d’enfants à charge justifie l’octroi d’une allocation de transition pour une période plus longue, à savoir 24 mois, mais qu’elle n’implique pas que le conjoint survivant doive arrêter de travailler et percevoir une pension de survie pour le reste de sa carrière.
A.3. Paola Bonanno fait valoir que l’obligation de standstill s’oppose à ce que le législateur compétent réduise le niveau de protection offert par la législation applicable en matière de sécurité sociale sans que soient établis des motifs liés à l’intérêt général et sans que la mesure mise en œuvre respecte le principe de proportionnalité. Selon elle, la condition du caractère significatif du recul devrait être limitée aux situations dans lesquelles le législateur a prévu des mesures compensatoires ou alternatives. Toujours selon elle, si le législateur se limite à réduire le degré de protection d’un droit fondamental, tout recul, léger ou significatif, doit être justifié au regard des principes de légalité, de légitimité et de proportionnalité. En outre, elle estime que la marge d’appréciation du juge varie selon que le législateur a motivé ses choix au regard de l’obligation de standstill ou non. En l’espèce, Paola Bonanno fait valoir que la suppression de la dérogation à la condition d’âge lorsque le conjoint survivant a un enfant à charge entraîne un recul significatif du degré de protection des conjoints survivants et de leurs enfants. Selon elle, l’objectif poursuivi par le législateur, à savoir inciter les conjoints survivants à rester actifs sur le marché du travail ou à y entrer, n’est pas pertinent en ce qui concerne les conjoints survivants qui doivent s’occuper seuls d’un ou de plusieurs enfants à charge. Elle se réfère également à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2020 et aux conclusions de l’avocat général qui ont précédé cet arrêt. Enfin, Paola Bonanno souligne que le législateur n’a nullement expliqué en quoi le recul en cause permettrait d’atteindre l’objectif poursuivi et en quoi il constituerait la mesure la moins restrictive pour atteindre ce but. Selon elle, le recul en cause n’est ni pertinent, ni nécessaire, ni proportionné au sens strict. Elle estime que les dispositions en cause produisent des effets disproportionnés à l’égard des conjoints survivants qui ont un ou plusieurs enfants à charge, dès lors que ceux-ci se voient privés, pendant plus de vingt ans, d’une pension de survie à laquelle ils auraient eu droit dans le régime antérieur et qui a pu déterminer certains choix pendant la vie commune des époux.
De manière surabondante, elle souligne l’absence d’objectif budgétaire précis.
A.4. Martine Hazée fait valoir que les lois du 5 mai 2014 et du 10 août 2015 ont entraîné un recul significatif du degré de protection de ses droits et de ceux de son enfant, dès lors que, sous l’empire de la législation antérieure, elle aurait pu bénéficier d’une pension de survie non limitée dans le temps, eu égard à son âge au moment du décès de son conjoint et eu égard au fait qu’elle a un enfant à charge. Selon elle, la Cour, dans son arrêt n° 135/2017, n’a pas effectué son analyse en partant du prisme de l’enfant du bénéficiaire. Elle estime que l’objectif poursuivi par le législateur ne saurait justifier qu’une catégorie de personnes se voie exclue du droit de bénéficier d’une pension de survie jusqu’à l’âge de la retraite et se voie ainsi exclue du droit de mener une vie conforme à la dignité humaine, avec en outre des répercussions sur les enfants à charge. Selon elle, les dispositions en cause sont disproportionnées. Elle fait valoir que la limitation de l’allocation de transition à une période de 24 mois exclut indirectement les enfants des conjoints survivants du droit de mener une vie conforme à la dignité humaine à l’issue de cette période. Par ailleurs, elle souligne que les dispositions en cause font naître une différence de traitement entre les conjoints survivants ayant un enfant à charge et une différence de traitement entre les enfants
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des conjoints survivants, selon que le conjoint survivant a atteint ou non l’âge requis au moment du décès du conjoint prédécédé. Selon elle, ces différences de traitement ne poursuivent pas un objectif légitime, ne reposent pas sur un critère objectif et ne sont pas raisonnablement justifiées.
-B-
Quant aux dispositions en cause et à leur contexte
B.1. Les deux questions préjudicielles dans l’affaire n° 7458 portent sur l’article 2, 2°, de loi du 5 mai 2014 « portant modification de la pension de retraite et de la pension de survie et instaurant l’allocation de transition dans le régime de pension des travailleurs salariés et portant suppression progressive des différences de traitement qui reposent sur la distinction entre ouvriers et employés en matière de pensions complémentaires » (ci-après : la loi du 5 mai 2014)
et sur l’article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 « visant à relever l’âge légal de la pension de retraite et portant modification des conditions d’accès à la pension de retraite anticipée et de l’âge minimum de la pension de survie » (ci-après : la loi du 10 août 2015). Les quatre questions préjudicielles dans l’affaire n° 7503 portent sur les mêmes dispositions, ainsi que sur l’article 21quater de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 « relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés » (ci-après : l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967).
B.2.1. Les lois du 5 mai 2014 et du 10 août 2015 ont modifié plusieurs des conditions requises pour que le conjoint survivant puisse prétendre à une pension de survie.
B.2.2. Avant l’entrée en vigueur de l’article 2, 2°, en cause, de la loi du 5 mai 2014, l’article 16, § 1er, alinéa 2, de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 disposait :
« [La pension de survie] prend toutefois cours, au plus tôt, le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel le conjoint survivant atteint l’âge de 45 ans, à moins que celui-ci ne justifie d’une incapacité de travail permanente de 66 p.c. au moins, qu’il ait un enfant à charge ou que le conjoint décédé ait été occupé habituellement et en ordre principal comme ouvrier mineur du fond pendant au moins 20 années. Le Roi détermine la manière dont ces conditions sont prouvées ».
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L’article 2, 2°, en cause, de la loi du 5 mai 2014 a remplacé cet alinéa par l’alinéa suivant :
« [La pension de survie] prend toutefois cours, au plus tôt, le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel le conjoint survivant atteint l’âge de :
1° 45 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tard au 31 décembre 2015;
2° 45 ans et 6 mois, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2016
et au plus tard au 31 décembre 2016;
3° 46 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2017 et au plus tard au 31 décembre 2017;
4° 46 ans et 6 mois, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2018
et au plus tard au 31 décembre 2018;
5° 47 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2019 et au plus tard au 31 décembre 2019;
6° 47 ans et 6 mois, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2020
et au plus tard au 31 décembre 2020;
7° 48 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2021 et au plus tard au 31 décembre 2021;
8° 48 ans et 6 mois, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2022
et au plus tard au 31 décembre 2022;
9° 49 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2023 et au plus tard au 31 décembre 2023;
10° 49 ans et 6 mois, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2024
et au plus tard au 31 décembre 2024;
11° 50 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2025 ».
L’article 21, 1° et 2°, de la loi du 10 août 2015 a ensuite apporté à cet alinéa les modifications suivantes :
« 1° dans l’alinéa 2, le 11° est remplacé par ce qui suit :
‘ 11° 50 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2025 et au plus tard au 31 décembre 2025; ’;
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2° l’alinéa 2 est complété par les 12°, 13°, 14°, 15° et 16° rédigés comme suit :
‘ 12° 51 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2026 et au plus tard au 31 décembre 2026;
13° 52 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2027 et au plus tard au 31 décembre 2027;
14° 53 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2028 et au plus tard au 31 décembre 2028;
15° 54 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2029 et au plus tard au 31 décembre 2029;
16° 55 ans, lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2030 ’; ».
L’article 21, 3°, en cause, de la loi du 10 août 2015 a inséré un troisième alinéa nouveau à l’article 16, § 1er, de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, qui dispose :
« La pension de survie est accordée au conjoint survivant qui, à la date du décès de son époux ou épouse, a atteint l’âge visé à l’alinéa 2 ».
B.2.3. Par son arrêt n° 135/2017 du 30 novembre 2017, la Cour a annulé, notamment, l’article 21 de la loi du 10 août 2015 en ce qu’il relève « à 55 ans l’âge requis pour l’octroi d’une pension de survie pour les personnes visées en B.57.2 et B.57.3 ». Les considérants B.57.2 et B.57.3 de cet arrêt sont formulés comme suit :
« B.57.2. Toutefois, la mesure concerne également des personnes qui ne sont pas actives sur le marché de l’emploi ou n’y sont actives que de manière partielle et qui, bien qu’elles bénéficieront d’une allocation transitoire durant une à deux années selon leur situation familiale, pourront effectivement, au terme de cette période, se retrouver dans une situation de précarité que l’octroi d’une pension de survie a, en principe, précisément pour objectif d’éviter, en se voyant attribuer, à défaut d’avoir trouvé un emploi dans le délai de perception de l’allocation de transition, pour seul revenu le cas échéant des allocations de chômage ou d’assurance maladie invalidité alors que les charges familiales pouvaient, avant le décès, être également supportées par le revenu ou la pension perçue par le travailleur défunt.
B.57.3. En relevant l’âge requis pour l’octroi d’une pension de survie à 55 ans, la mesure porte ainsi atteinte de manière disproportionnée aux personnes qui, compte tenu de leur âge, se
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trouveront dans une situation particulièrement vulnérable pour trouver un emploi, ou à l’égard des personnes qui sont reconnues inaptes au travail.
En effet, en privant ces personnes d’une pension de survie jusqu’à l’âge de 55 ans alors qu’elles sont confrontées au veuvage et peuvent devoir assumer des charges financières qui étaient supportées par le revenu du conjoint avant qu’il ne décède, les dispositions attaquées peuvent les plonger dans une situation de précarité qui n’est pas raisonnablement justifiée par rapport aux objectifs poursuivis.
La circonstance que la mesure attaquée ne produira ses effets qu’en 2030 ne modifie rien à ce constat ».
B.2.4. Les articles 21, 21bis, 21ter et 21quinquies de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, tels qu’ils ont été insérés et modifiés par les lois du 5 mai 2014 et du 10 août 2015, et par la loi-programme du 27 décembre 2021 fixent les conditions auxquelles le conjoint survivant qui, au décès de son conjoint, n’a pas atteint l’âge requis pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie peut bénéficier d’une allocation de transition.
L’article 21ter de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, tel qu’il s’appliquait aux faits à l’origine des litiges au fond, prévoyait l’octroi d’une allocation de transition pour une durée de douze mois si, au moment du décès, aucun enfant pour lequel l’époux ou l’épouse percevait des allocations familiales n’est à charge. La durée de l’octroi de l’allocation était en revanche fixée à 24 mois s’il y a un ou plusieurs enfants à charge. L’article 109 de la loi-programme du 27 décembre 2021 a cependant porté la durée de l’octroi de l’allocation de transition à 18, 36
ou 48 mois, selon les cas. Sur la base de la disposition transitoire contenue dans l’article 111 de la même loi-programme, cette prolongation s’applique aussi aux allocations de transition qui sont octroyées à la suite du décès du conjoint prédécédé survenu avant le 1er octobre 2021 et dont la période d’octroi expire après cette date. En vertu de cette disposition, la prolongation de la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition n’est toutefois pas applicable ratione temporis aux litiges pendants devant les juridictions a quo.
L’article 109 de la loi-programme du 27 décembre 2021 a modifié l’article 21ter de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 comme suit :
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« § 1er. L’allocation de transition est octroyée pour une durée de :
1° 18 mois, si au moment du décès, aucun enfant n’est à charge pour lequel un des conjoints percevait des allocations familiales;
2° 36 mois, si au moment du décès, il y a un enfant à charge qui atteint l’âge de 13 ans au cours de l’année civile du décès et pour lequel un des conjoints percevait des allocations familiales;
3° 48 mois,
- si au moment du décès, il y a un enfant à charge qui n’atteint pas l’âge de 13 ans au cours de l’année civile du décès et pour lequel un des conjoints percevait des allocations familiales ou;
- si, au moment du décès, il y a un enfant en situation de handicap à charge, quel que soit l’âge de cet enfant, pour lequel un des conjoints percevait des allocations familiales ou;
- si un enfant posthume est né dans les trois cents jours suivant le décès.
Le Roi détermine la manière dont est prouvée la condition de la charge d’enfant et ce qu'il faut entendre par enfant en situation de handicap au sens de l’alinéa 1er.
[…] ».
À la différence de la pension de survie, qui, sauf dans les cas et sous les conditions déterminés par le Roi, n’est payable que si le conjoint survivant n’exerce pas d’activité professionnelle (article 25, alinéas 1er et 2, de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967), l’allocation de transition est payable même si le conjoint survivant exerce une activité professionnelle (article 25, alinéa 3, de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967).
B.2.5. La période d’octroi de l’allocation de transition étant, aux conditions fixées à l’article 38, § 1er, alinéa 1er, 1°, c), et § 3, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 « portant réglementation du chômage », assimilée à des journées de travail pour l’application des articles 30 à 36bis du même arrêté royal, le conjoint survivant qui n’a pas trouvé d’emploi à l’issue de cette période peut, le cas échéant, bénéficier d’allocations de chômage.
B.2.6. L’article 21quater, en cause, de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, tel qu’il a été inséré par la loi du 5 mai 2014 et modifié par la loi du 10 août 2015, prévoit notamment que
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le conjoint survivant non remarié qui a bénéficié ou aurait pu bénéficier d’une allocation de transition peut prétendre à une pension de survie lorsqu’il bénéficie d’une pension de retraite à charge d’un régime légal belge de pension, étant précisé que cette pension de survie prend cours à la date de prise de cours de la pension de retraite, ou à l’âge légal de la pension de retraite belge lorsque le conjoint survivant ne justifie pas d’une carrière professionnelle personnelle.
L’article 21quater dispose :
« Le conjoint survivant qui a bénéficié ou aurait pu bénéficier des dispositions du présent chapitre, peut prétendre aux dispositions du chapitre 3 en matière de pension de survie lorsqu’il bénéficie d’une pension de retraite à charge d’un régime légal belge de pension ou lorsqu’il bénéficie d’une pension de retraite pour motif de santé ou d’inaptitude physique dans le secteur public, à condition qu’il ne soit pas remarié à la date de prise de cours de la pension de survie.
Cette pension de survie prend cours :
1° à la date de prise de cours de sa pension de retraite belge, lorsque le conjoint survivant justifie d’une carrière professionnelle personnelle belge ou d’une carrière professionnelle personnelle en Belgique et à l’étranger;
2° à la date de prise de cours de sa pension de retraite octroyée à charge d’un régime de pension étranger lorsque le conjoint survivant justifie uniquement d’une carrière professionnelle personnelle à l’étranger;
3° à l’âge légal de la pension de retraite belge lorsque le conjoint survivant ne justifie pas d’une carrière professionnelle personnelle ».
B.3. Il ressort de ce qui précède qu’avant l’entrée en vigueur de l’article 2, 2°, en cause, de la loi du 5 mai 2014 et de l’article 21, 3°, en cause, de la loi du 10 août 2015, (1) l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie était en principe de 45 ans, (2) le conjoint survivant qui était âgé de moins de 45 ans au moment du décès de son conjoint pouvait néanmoins prétendre à une pension de survie s’il avait un enfant à charge, s’il justifiait d’une incapacité de travail permanente d’au moins 66 % ou si le conjoint prédécédé était occupé habituellement et en ordre principal comme ouvrier mineur du fond pendant au moins vingt années et (3) le conjoint survivant qui était âgé de moins de 45 ans au moment du décès de son conjoint pouvait prétendre à une pension de survie dès qu’il atteignait l’âge de 45 ans.
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En conséquence de l’entrée en vigueur des lois du 5 mai 2014 et du 10 août 2015, (1) l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie a progressivement été relevé, d’abord de 45 à 50 ans, puis de 50 à 55 ans, ce dernier relèvement ayant toutefois été annulé dans la mesure mentionnée en B.2.3, (2) il n’est plus dérogé à l’âge requis si le conjoint survivant a un enfant à charge, s’il justifie d’une incapacité de travail permanente d’au moins 66 % ou si le conjoint prédécédé était occupé habituellement et en ordre principal comme ouvrier mineur du fond pendant au moins vingt années, (3) le conjoint survivant qui, au moment du décès de son conjoint, n’a pas atteint l’âge requis pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie peut prétendre à une allocation de transition pour une période de 12 ou 24 mois, bénéficier, le cas échéant, d’allocations de chômage à l’issue de cette période et prétendre à une pension de survie lorsqu’il atteint l’âge de la retraite. Du fait de l’entrée en vigueur de la loi-programme du 27 décembre 2021, la durée de l’allocation de transition a été prolongée dans la mesure indiquée en B.2.4.
Quant à la recevabilité des questions préjudicielles
B.4. Il ressort du libellé des questions préjudicielles que la Cour est en substance interrogée sur la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime, (1) en ce que la condition de l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie doit désormais être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé et en ce qu’il n’est plus dérogé à cette condition d’âge lorsque le conjoint survivant a un enfant à charge, seule une allocation de transition temporaire étant désormais prévue pour le conjoint survivant qui ne satisfait pas à cette condition d’âge (première question préjudicielle dans les affaires nos 7458 et 7503), (2) en ce que l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie est progressivement relevé de 45 à 50 ans (seconde question préjudicielle dans l’affaire n° 7458 et deuxième et troisième questions préjudicielles dans l’affaire n° 7503) et (3) en ce que l’allocation de transition est octroyée pour une durée limitée à 24 mois lorsque le conjoint
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survivant a un enfant à charge, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant (quatrième question préjudicielle dans l’affaire n° 7503).
B.5.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la seconde question préjudicielle dans l’affaire n° 7458 n’est pas utile à la solution du litige devant la juridiction a quo, dès lors qu’elle porte sur le relèvement de 45 à 50 ans de la condition de l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie et que la partie intimée devant la juridiction a quo avait de toute façon moins de 45 ans lors du décès de son conjoint.
B.5.2. La seconde question préjudicielle dans l’affaire n° 7458 est en substance identique à la deuxième question préjudicielle dans l’affaire n° 7503, dont l’utilité n’est pas contestée par le Conseil des ministres.
Par conséquent, il n’y a pas lieu d’examiner l’exception soulevée par le Conseil des ministres.
B.6.1. Le Conseil des ministres fait valoir que la quatrième question préjudicielle dans l’affaire n° 7503 est irrecevable, dès lors que ce ne sont pas l’article 2, 2°, de la loi du 5 mai 2014, l’article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 et l’article 21quater de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 qui limitent à 24 mois la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition lorsqu’il y a un enfant à charge.
B.6.2. Les dispositions en cause ne concernent pas la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition. En ce qui concerne les litiges pendants devant les juridictions a quo, cette durée est réglée par l’article 21ter de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, tel qu’il a été inséré par l’article 8 de la loi du 5 mai 2014 et modifié par l’article 24 de la loi du 10 août 2015.
Il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire n° 7503 que la juridiction a quo interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime, de la limitation de la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition à 24 mois lorsque le conjoint survivant ne satisfait pas à la condition de l’âge requis pour bénéficier de l’octroi d’une pension de survie et qu’il a un enfant à charge, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant. L’absence
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d’un renvoi à l’article 21ter de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, tel qu’il a été inséré par l’article 8 de la loi du 5 mai 2014 et modifié par l’article 24 de la loi du 10 août 2015, résulte manifestement d’une erreur matérielle de la part de la juridiction a quo.
Il ressort du mémoire du Conseil des ministres qu’il a pu exposer utilement son point de vue en ce qui concerne la quatrième question préjudicielle.
B.6.3. La quatrième question préjudicielle dans l’affaire n° 7503 doit être comprise en ce sens que la Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la sécurité juridique et de la confiance légitime, de l’article 2, 2°, de la loi du 5 mai 2014, de l’article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015, de l’article 21quater de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 et de l’article 21ter de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, tel qu’il a été inséré par l’article 8 de la loi du 5 mai 2014 et modifié par l’article 24 de la loi du 10 août 2015.
B.6.4. L’exception est rejetée.
B.7.1. Le Conseil des ministres fait valoir que les questions préjudicielles n’appellent pas de réponse en ce qu’elles portent sur le respect des articles 10 et 11 de la Constitution et des principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique. Selon lui, les décisions de renvoi ne permettent pas de comprendre en quoi ces dispositions et principes seraient violés.
B.7.2. Il ressort du libellé des deux questions préjudicielles dans l’affaire n° 7458 et des trois premières questions préjudicielles dans l’affaire n° 7503 qu’en ce qui concerne le contrôle au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour est invitée à comparer les conjoints survivants qui se sont vu appliquer les règles antérieures à l’entrée en vigueur des dispositions en cause et ceux qui se voient appliquer les règles résultant des modifications apportées par les dispositions en cause.
Il ressort du libellé de la quatrième question préjudicielle et de la motivation de la décision de renvoi dans l’affaire n° 7503 qu’en ce qui concerne le contrôle au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité, avec le principe
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d’égalité et de non-discrimination, de l’identité de traitement entre des personnes relevant de catégories fondamentalement différentes, en ce que l’allocation de transition temporaire au bénéfice du conjoint survivant ayant un enfant à charge est limitée à 24 mois, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant.
En outre, il ressort du libellé des questions préjudicielles et des motifs des décisions de renvoi que la Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité des mesures transitoires prévues par les dispositions en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique.
B.7.3. L’exception est rejetée.
B.8. La Cour examine conjointement les deux questions préjudicielles dans l’affaire n° 7458 et les quatre questions préjudicielles dans l’affaire n° 7503.
Quant au fond
B.9. Il ressort des questions préjudicielles et des motifs des décisions de renvoi que la Cour doit examiner la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, en ce qu’elles relèvent de 45 à 50 ans la condition de l’âge requis pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie, en ce qu’elles prévoient que cette condition d’âge doit désormais être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé, en ce qu’elles suppriment la dérogation à cette condition d’âge qui était prévue lorsqu’il y avait un enfant à charge et en ce que la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition temporaire est limitée à 24 mois lorsque le conjoint survivant a un enfant à charge, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant.
La Cour n’est en revanche pas interrogée sur la suppression des dérogations à cette condition d’âge qui étaient prévues lorsque le conjoint survivant justifiait d’une incapacité de travail permanente d’au moins 66 % et lorsque le conjoint prédécédé était occupé habituellement et en ordre principal comme ouvrier mineur de fond pendant au moins 20 années.
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B.10. L’article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et ils déterminent les conditions de leur exercice. L’article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu’impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l’alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.
B.11. L’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement le degré de protection offert par la législation applicable sans qu’existent pour ce faire des motifs d’intérêt général.
B.12.1. L’article 10 de la Constitution dispose :
« Il n’y a dans l’État aucune distinction d’ordres.
Les Belges sont égaux devant la loi; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers.
L’égalité des femmes et des hommes est garantie ».
L’article 11 de la Constitution dispose :
« La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. A cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques ».
B.12.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
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L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
En ce qui concerne la compatibilité des dispositions en cause avec l’article 23 de la Constitution
B.13. La pension de survie procure un revenu au conjoint survivant qui risquerait de se retrouver sans ressources après le décès de son époux ou son épouse. La pension de survie repose sur un mécanisme de solidarité destiné à assurer que le conjoint survivant puisse ainsi continuer à pourvoir à sa subsistance et ne soit pas exposé à des difficultés matérielles en raison du décès.
Lorsque le législateur décide d’accorder une pension de survie au conjoint survivant d’un travailleur décédé, il le fait aussi dans le but de garantir une certaine sécurité d’existence aux personnes qui ont pu dépendre financièrement, au moins partiellement, de leur conjoint et parce que, souvent, elles n’ont pas eu de revenus propres et n’ont pas eu la possibilité de se constituer une retraite personnelle et risquent de se trouver dans une situation matérielle précaire à la suite du décès. En outre, le législateur garantit de cette manière aussi indirectement la sécurité d’existence des personnes qui sont à charge du conjoint survivant.
B.14.1. L’exposé des motifs relatif au projet à l’origine de la loi du 5 mai 2014 indique :
« Des études ont montré que la pension de survie belge constitue actuellement un piège à l’inactivité qui concerne surtout les femmes plus jeunes (les pensions de survie sont prises majoritairement par les femmes) bien que cette prestation parvienne à les mettre à l’abri de la pauvreté et de la précarité.
En effet, il semble que la combinaison de la pension de survie, qui est une bonne protection de base, avec les plafonds de cumul pour les revenus professionnels pousse les femmes soit à ne plus travailler soit à diminuer leur activité professionnelle afin de bénéficier de leur pension
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de survie. Par ailleurs, la différence entre le montant de la pension de survie et le salaire dont bénéficieraient ces femmes si elles étaient actives est souvent trop mince. C’est ainsi qu’une minorité parmi ces personnes est absente du marché du travail depuis pas mal de temps.
Cette situation empêche de ce fait le développement et la valorisation économique des talents et conduit donc à une perte pour notre société, pour l’économie du pays et surtout pour les femmes elles-mêmes qui se constituent moins ou, dans certains cas, ne se constituent plus du tout de droits individuels à la pension de retraite alors que le système belge de pension tend vers plus d’individualisation des droits.
L’objectif poursuivi par la réforme de la pension de survie est de mettre fin à ce piège à l’inactivité pour les personnes qui sont encore en âge de travailler et de favoriser l’égalité des chances socio-économiques entre hommes et femmes.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement a décidé d’instaurer une allocation temporaire dite allocation de transition. À l’échéance de cette allocation de transition et à défaut d’emploi, un droit au chômage sera ouvert immédiatement sans période d’attente et avec un accompagnement adapté afin de les soutenir dans leur recherche d’emploi.
En outre, pour inciter les bénéficiaires de l’allocation de transition à rester actifs sur le marché du travail ou à y entrer, il est prévu que les plafonds de cumul avec les revenus issus du travail ne seront pas d’application : l’allocation de transition sera cumulable sans limite avec les revenus professionnels.
[…]
Par ailleurs, l’âge minimum requis pour l’octroi de la pension de survie sera augmenté progressivement de 6 mois chaque année: ainsi, il passera de 45 ans (lorsque le décès du conjoint intervient au plus tard au 31 décembre 2015) à 50 ans (lorsque le décès du conjoint intervient au plus tôt au 1er janvier 2025).
Par conséquent, si le conjoint survivant n’a pas atteint l’âge requis pour la pension de survie, il obtiendra l’allocation de transition si les autres conditions relatives à cette prestation sont remplies.
[…]
La durée de l’allocation de transition, qui est par nature temporaire, sera soit de 24 mois soit de 12 mois selon que le conjoint survivant a ou non au moment du décès la charge d’un enfant pour lequel l’époux ou l’épouse perçoit des allocations familiales. Si un enfant posthume naît dans les trois cents jours du décès, cette allocation est toutefois également due durant 24 mois.
Contrairement à la pension de survie dont le paiement peut être suspendu dans certaines hypothèses (cumul autorisé avec certaines prestations de sécurité sociale mais limité dans le temps, cumul avec des revenus fondés sur le travail également limité par application de plafonds de revenus, …), le paiement de l’allocation de transition est maintenu même en cas d’exercice d’une activité professionnelle ou de perception de certaines prestations de sécurité sociale
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(indemnité de maladie, allocation de chômage, …) ou de jouissance d’une pension de retraite pour motif de santé ou d’inaptitude physique dans le secteur public ou d’une pension de survie fondée sur l’activité du même conjoint décédé (en vertu d’une législation belge ou étrangère).
Concernant le calcul de l’allocation de transition, le droit à l’allocation de transition est calculé par rapport à l’ensemble des rémunérations brutes réelles, fictives et forfaitaires du travailleur décédé » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3399/001, pp. 4-7).
« L’article 2, 2° remplace l’article 16, alinéa 2, de l’arrêté royal n° 50 qui prévoit l’âge auquel prend cours la pension de survie. Actuellement, l’âge fixé est de 45 ans mais, dans le but d’inciter les personnes - surtout les femmes qui sont les plus touchées - à exercer une activité professionnelle même en cas de bénéfice d’une prestation pour conjoint survivant, l’âge pour l’octroi de la pension de survie est augmenté progressivement de 45 ans à 50 ans, à raison d’une augmentation de 6 mois par année » (ibid., p. 12).
« L’article 12 [devenu l’article 11] complète l’article 25 de l’arrêté royal n° 50 afin de prévoir que l’allocation de transition est cumulable sans limite avec les revenus issus du travail, avec certaines prestations de sécurité sociale comme les indemnités pour maladie ou pour cause de chômage involontaire ainsi qu’avec une pension de retraite pour motif de santé ou d’inaptitude physique dans le secteur public ou avec une pension de survie ou un avantage y tenant lieu fondé sur l’activité du même travailleur décédé par application d’une législation belge ou étrangère.
Cette disposition diffère de celle applicable en matière de pension de survie dont le cumul avec des revenus professionnels est limité et dont le cumul avec d’autres prestations de sécurité sociale est autorisé mais limité dans le temps (12 mois calendriers).
L’objectif est de permettre au bénéficiaire de l’allocation de transition de maintenir ou de reprendre une activité professionnelle afin de se constituer des droits individuels à la pension »
(ibid., p. 16).
B.14.2. À la suite du débat, le vice-premier ministre et ministre des Pensions a apporté les précisions suivantes :
« Les règles actuellement prévues dans le régime des pensions de survie se fondent sur une société appliquant le modèle du soutien de famille, dans le cadre duquel l’homme travaille, à l’inverse de la femme; en cas de décès prématuré de l’homme, la femme devait réclamer une pension dérivée, étant donné qu’elle n’avait pas constitué personnellement de droits. Dans l’intervalle, la société a fondamentalement évolué : dans la plupart des cas, les deux conjoints sont à présent actifs sur le marché du travail. Dans ce contexte modifié, l’interdiction de cumul d’une pension de survie et de revenus professionnels engendre un risque d’inactivité du conjoint survivant qui, à un moment de crise, lors du décès de son conjoint, opte souvent pour la sécurité de la pension de survie plutôt que pour un travail rémunéré. Ce piège à l’emploi est désormais éliminé par la limitation du régime des pensions de survie; l’allocation de transition facilite le
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passage à la nouvelle situation de vie, à savoir du fait que l’allocation de transition et d’autres revenus peuvent être cumulés.
[…]
Le ministre tient tout d’abord à insister sur le fait que la présente réforme de la pension de survie ne vise pas tant à remettre au travail les bénéficiaires d’une pension de survie, mais à les inciter à continuer à travailler à l’issue de la période de transition. Il faut bien avoir à l’esprit que les personnes concernées, et statistiquement il s’agit surtout de femmes, sont, au moment du décès de leur conjoint, la plupart du temps dans la vie active. La réforme de la pension de survie concerne aussi bien les indépendants que les fonctionnaires, mais fait l’objet de projets de loi distincts en ce qui concerne ces deux catégories.
Là où l’ancienne réglementation incitait les personnes frappées par le décès de leur conjoint à abandonner définitivement et de manière précipitée quasi toute activité professionnelle, le nouveau régime organise les choses de manière à permettre, à terme, le maintien à l’emploi.
C’est dans cet esprit qu’est conçue l’allocation de transition : permettre aux intéressé(e)s de faire face, pendant une période d’un an ou deux, aux difficultés financières et familiales faisant suite au décès. Une avancée notable réside dans le fait que les plafonds de cumul avec les revenus tirés de l’activité professionnelle ne seront plus d’application, à la différence de la règle qui prévaut actuellement. Le calcul de l’allocation sera en outre basé sur la carrière entière du conjoint décédé, et non sur la période de vie commune.
[…]
Concernant les aspects budgétaires : la mesure entraînera un coût de 3,6 millions d’euros en 2015, année de son entrée en vigueur, mais elle représentera une économie de 12,975 millions d’euros en 2020. Il convient toutefois de souligner que l’objectif du nouveau dispositif n’est pas budgétaire, mais de lutter contre l’effet de piège à l’emploi du régime actuel.
De manière plus générale, les mesures prises par le gouvernement en matière de sécurité sociale, et spécialement dans le secteur des pensions, ne visent pas tant à diminuer les dépenses (pour rappel, celles-ci sont déjà couvertes pour près d’un tiers par des recettes qui ne proviennent pas des cotisations sur le travail), qu’à inciter les personnes à travailler davantage et plus longtemps, ce qui, à terme, contribuera à garantir des niveaux de pension corrects sans entraîner un accroissement de la pression fiscale.
Le nouveau régime garantira par ailleurs certains droits additionnels par rapport à la situation actuelle : dans l’ancien système de la pension de survie, aucun droit additionnel en termes de pension légale n’était constitué pendant toute la durée de l’octroi de la pension de survie. Dorénavant, outre le fait qu’on espère que la plupart des personnes concernées seront incitées à conserver une activité professionnelle, pour ceux qui ne le pourront pas, les allocations de chômage seront prises en compte pour la constitution de droits additionnels pour la pension légale. A l’âge légal de la pension, cela devrait représenter un avantage significatif pour les intéressés.
[…]
Le rythme du relèvement progressif de l’âge minimum requis pour l’octroi de la pension de survie, qui passera de 45 à 50 ans sur une période étalée sur 10 ans, est le même que celui
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qui a été retenu pour le relèvement progressif de l’âge de la pension anticipée. Un relèvement plus rapide de l’âge minimal requis, appelé par certains intervenants, aurait été un choix dangereux : au sein des familles, des choix sont faits quant à l’activité professionnelle des conjoints, certains faisant alors le choix d’interrompre plus ou moins durablement leur carrière professionnelle. Il ne serait pas correct de modifier drastiquement les règles en la matière, et d’en arriver à devoir confronter ces personnes aux choix qu’elles ont faits précisément au moment du décès du conjoint ayant conservé son activité professionnelle.
En faveur de cette tranche d’âge, c’est même la logique inverse que le gouvernement préfère privilégier : sachant que beaucoup de veufs et veuves de plus de 45 ans renoncent, à l’heure actuelle, à la pension de survie parce que celle-ci est inférieure aux revenus qu’ils tirent de leur activité professionnelle, le projet de loi confère au Roi une habilitation en vue de permettre aux conjoints survivants remplissant la condition d’âge pour bénéficier de la pension de survie d’opter pour l’allocation de transition. Concernant les données chiffrées, au 1er janvier 2013, chez les travailleurs salariés de moins de 45 ans, 4 198 bénéficiaient d’une pension de survie, dont 175 hommes et 4 023 femmes, pour les indépendants, il s’agit de 709 bénéficiaires, dont 21 hommes et 688 femmes. Le ministre précise qu’il n’existe pas de données concernant le nombre de bénéficiaires potentiels qui renoncent, dans le régime actuel, à la pension de survie » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3399/003, p. 4 et pp. 13 à 17).
B.14.3. À propos de l’article 21, 3°, en cause, de la loi du 10 août 2015, l’exposé des motifs relatif au projet à l’origine de cette loi indique :
« L’article 21, 3°, ajoute un nouvel alinéa dans l’article 16, § 1er, qui prévoit expressément que c’est à la date du décès de son époux ou épouse que le conjoint survivant doit satisfaire à la condition d’âge pour pouvoir bénéficier de la pension de survie.
Ainsi, si un travailleur salarié décède le 3 février 2016, son conjoint survivant obtiendra une pension de survie (sous réserve de satisfaire aux autres conditions d’octroi de la pension de survie), s’il atteint l’âge de 45 ans et 6 mois à la date du décès, donc au 3 février 2016. À défaut de remplir cette condition d’âge, le conjoint survivant pourra bénéficier d’une allocation de transition si les conditions d’octroi de cette prestation sont remplies.
Cette précision apportée par l’article 21, 3°, évite tout problème d’interprétation » (Doc.
parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1180/001, pp. 27-28).
B.14.4. Il ressort de ce qui précède que ce ne sont pas en premier lieu les motifs budgétaires qui ont justifié l’adoption des dispositions en cause mais le souci de maintenir au travail les personnes qui feraient le choix d’interrompre leur activité professionnelle en cas de décès de leur conjoint, et d’éviter ainsi le piège à l’emploi. Le législateur souhaite ainsi inciter les personnes à exercer une activité professionnelle, même lorsque celles-ci bénéficient d’une allocation pour conjoint survivant.
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B.15. En ce qu’elles relèvent de 45 à 50 ans la condition de l’âge requis pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie, en ce qu’elles prévoient que cette condition d’âge doit désormais être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé, en ce qu’elles suppriment la dérogation à cette condition d’âge qui était prévue lorsqu’il y avait un enfant à charge et en ce que la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition est limitée à 24 mois lorsque le conjoint survivant a un enfant à charge, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant, les dispositions en cause réduisent le degré de protection des conjoints survivants en matière de sécurité sociale.
B.16. Sans qu’il soit nécessaire de déterminer si les dispositions en cause entraînent ou non un recul significatif du degré de protection des conjoints survivants en matière de sécurité sociale, il suffit de constater qu’elles sont justifiées par un objectif d’intérêt général.
B.17. L’article 2, 2°, de loi du 5 mai 2014, l’article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 et les articles 21ter et 21quater de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 sont compatibles avec l’article 23 de la Constitution.
En ce qui concerne la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution
B.18.1. La Cour examine à présent la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique.
B.18.2. Le législateur dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu pour déterminer sa politique dans les matières socio-économiques, ce qui est notamment le cas lorsqu’il s’agit de la politique relative aux pensions de survie qui sont en partie financées par des deniers publics.
Il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation à celle du législateur, pour autant que ce choix ne procède pas d’une appréciation manifestement erronée. La Cour ne peut sanctionner une réglementation que lorsque celle-ci établit une distinction pour laquelle il
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n’existe aucune justification objective et raisonnable, ou traite de la même manière des situations fondamentalement différentes, sans justification objective et raisonnable.
I. Le relèvement de 45 à 50 ans de la condition de l’âge requis pour bénéficier de l’octroi d’une pension de survie, qui doit être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé
B.19.1 À peine de rendre impossible toute modification de la loi, il ne peut être soutenu qu’une disposition nouvelle violerait le principe d’égalité et de non-discrimination par cela seul qu’elle modifie les conditions d’application de la législation ancienne. Le propre d’une nouvelle législation est d’établir une distinction entre les personnes qui relevaient du champ d’application de la règle antérieure et les personnes qui relèvent du champ d’application de la nouvelle règle.
B.19.2. Il appartient en principe au législateur, lorsqu’il décide d’introduire une nouvelle réglementation, d’estimer s’il est nécessaire ou opportun d’assortir celle-ci de dispositions transitoires. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’est violé que si le régime transitoire ou son absence entraîne une différence de traitement dénuée de justification raisonnable ou s’il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime.
Ce principe est étroitement lié au principe de la sécurité juridique, qui interdit au législateur de porter atteinte, sans justification objective et raisonnable, à l’intérêt que possèdent les sujets de droit d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.20. Comme il est dit en B.2.2, les dispositions en cause ont relevé la condition de l’âge requis pour bénéficier de l’octroi d’une pension de survie, qui, depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions, doit être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé. Eu égard au rythme très progressif du relèvement de 45 à 50 ans de l’âge requis pour pouvoir prétendre à une pension de survie, les dispositions en cause ne portent pas une atteinte disproportionnée aux attentes légitimes des personnes concernées.
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Les dispositions en cause sont également raisonnablement justifiées par l’objectif du législateur d’inciter le conjoint survivant à maintenir une activité professionnelle dès lors qu’il est encore en âge de travailler et qu’il peut ainsi bénéficier de ressources liées au travail et cotiser au système des pensions plutôt que d’abandonner son activité ou de la réduire significativement au profit d’une pension de survie à charge de la collectivité.
La situation des conjoints survivants aptes au travail et âgés de moins de 50 ans au moment du décès de leur conjoint se distingue de celle des personnes visées aux considérants B.57.2 et B.57.3 de l’arrêt de la Cour n° 135/2017, précité.
B.21. En ce qu’ils relèvent de 45 à 50 ans la condition de l’âge requis pour l’octroi d’une pension de survie, qui doit être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé, l’article 2, 2°, de la loi du 5 mai 2014, l’article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 et les articles 21ter et 21quater de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique.
II. La situation du conjoint survivant qui a un enfant à charge
B.22. Les dispositions en cause non seulement relèvent – certes progressivement – de 45
à 50 ans la condition de l’âge requis pour bénéficier de l’octroi d’une pension de survie, qui doit être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé, mais elles suppriment également la dérogation à la condition d’âge lorsque le conjoint survivant a un enfant à charge. Le conjoint survivant qui ne satisfait pas à la condition d’âge au moment du décès du conjoint prédécédé et qui a un ou plusieurs enfants à charge perçoit, en lieu et place d’une pension de survie, une allocation de transition temporaire, laquelle était limitée à 24 mois au moment des faits qui sont à l’origine des litiges au fond, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant.
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B.23.1. Comme il est dit en B.14.4, le législateur a adopté la réforme du régime de la pension de survie dans le souci de maintenir au travail les personnes qui feraient le choix d’interrompre leur activité professionnelle après le décès de leur conjoint, et d’éviter ainsi le piège à l’emploi.
Il ressort de l’exposé des motifs relatif au projet à l’origine de la loi du 5 mai 2014 que l’objectif de la réforme était surtout d’éviter que des « femmes plus jeunes » tombent dans le piège à l’emploi. À cet égard, le vice-premier ministre et ministre des Pensions a observé qu’au 1er janvier 2013, et donc préalablement à l’adoption des dispositions en cause, chez les travailleurs salariés de moins de 45 ans, 4 198 bénéficiaient d’une pension de survie, dont 175 hommes et 4 023 femmes (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3399/003, p. 17).
B.23.2. Comme il est dit en B.19.1, à peine de rendre impossible toute modification de la loi, il ne peut être soutenu qu’une disposition nouvelle violerait le principe d’égalité et de non-
discrimination au seul motif qu’elle modifie les conditions d’application de la législation ancienne.
Lorsqu’il adopte une nouvelle législation légale, le législateur doit tenir compte des exigences qui découlent du principe d’égalité et de non-discrimination à l’égard des catégories de personnes qui relèvent du champ d’application de la nouvelle législation.
B.24.1. En raison de l’octroi d’une allocation de transition limitée à 24 mois, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant, tous les conjoints survivants ayant un enfant à charge et qui, au moment du décès de leur conjoint, n’ont pas encore atteint l’âge requis pour bénéficier de l’octroi d’une pension de survie sont traités de la même manière, quelles que soient leurs possibilités de parvenir à trouver un emploi ou de combiner un emploi avec les charges familiales.
B.24.2. À l’occasion du débat au sein de la commission compétente, préalable à l’adoption de la loi du 5 mai 2014, un certain nombre de membres ont attiré l’attention sur les effets pervers que pourrait avoir la réforme de la pension de survie pour le conjoint survivant ayant un ou plusieurs enfants à charge, et en particulier pour les femmes avec un ou plusieurs enfants à
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charge qui, préalablement au décès du conjoint prédécédé, n’étaient pas actives sur le marché de l’emploi ou n’y étaient actives que de manière partielle. Selon les membres concernés de la commission, ce groupe de personnes pourrait, à la suite de la réforme, se retrouver dans une situation financière précaire si, à l’issue de la période pendant laquelle l’allocation de transition leur est accordée, limitée à 24 mois, elles ne parviennent pas à trouver un emploi ou à combiner un emploi avec les charges familiales.
Ainsi, un membre a estimé :
« [le] projet de loi […] aura pour effet de faire basculer davantage de personnes dans la pauvreté. Le ministre présente ce projet comme une réforme logique qui générera une activation justifiée, sans tenir compte du fait que beaucoup de personnes se trouvent dans une situation difficile; la pension de survie peut être une bouée de sauvetage importante pour ceux qui vivent dans des conditions précaires. […]
[…]
Le délai maximum de 2 ans prévu pour l’allocation de transition accordée à une personne qui vit un drame personnel et se retrouve isolée avec des enfants à charge est très court. Par ailleurs, cette décision est manifestement défavorable aux femmes, puisque 97 % des bénéficiaires d’une pension de survie dans le régime des salariés sont des femmes. Les possibilités d’activation peuvent du reste fortement varier : les personnes qui ne disposent que d’un faible capital social et intellectuel et vivent dans une région fortement touchée par le chômage auront des difficultés à trouver un emploi dans un délai si court.
[…] Certaines personnes peuvent choisir librement entre une pension de survie et un emploi rémunéré, mais […] pour beaucoup d’autres, ce n’est pas le cas : elles ne parviennent pas à trouver un emploi ou leurs conditions d’existence ne le leur permettent pas (parce qu’elles ne trouvent pas de place d’accueil pour leur enfant, par exemple). […] Le gouvernement aurait dû opter pour la différenciation » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3399/003, pp. 6
et 13).
Un autre membre de la commission a estimé :
« Il convient de vérifier que la durée limitée de cette allocation (un ou deux ans) ne posera pas de problèmes pour certains groupes, en particulier pour les personnes qui n’étaient pas actives sur le marché du travail avant le décès de leur conjoint. Pour la fixation de la durée de cette allocation, il faudra envisager d’également tenir compte à l’avenir d’autres facteurs, tels que la constitution d’une carrière ou son absence, s’il appert que la vulnérabilité de certains groupes devait s’accroître » (ibid., p. 8).
Un troisième membre a observé :
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« À la suite du décès de leur conjoint, les personnes peuvent se trouver dans une situation financière précaire, ainsi que le ministre le reconnaît » (ibid., p. 9).
Le membre s’est dès lors interrogé sur la limitation d’un régime constituant un filet de sécurité contre la pauvreté, vu qu’il s’agissait d’une mesure d’économie sévère, en particulier à l’égard des parents isolés. Étant donné que 97 % des bénéficiaires d’une pension de survie dans le régime des travailleurs salariés sont des femmes, le membre a estimé que la réforme proposée pénalise également les femmes. Le membre a conclu :
« La réforme à l’examen ne se base que sur les capacités théoriques des personnes et néglige par conséquent le fait qu’en pratique, de nombreuses personnes éprouvent des difficultés à trouver un emploi après le décès de leur partenaire et risquent, avec la disparition de la pension de survie, de tomber dans la pauvreté » (ibid., p. 10).
B.24.3. En ce qui concerne les éventuels effets pervers que pourrait avoir cette réforme, le vice-premier ministre et ministre des Pensions a estimé :
« Certains intervenants ont estimé que la réforme ne tenait pas compte des réalités concrètes auxquelles sont confrontés les conjoints survivants ayant charge d’enfants, et notamment le coût ou l’insuffisance des places pour l’accueil de l’enfance. Outre le fait que la matière de l’accueil de la petite enfance est une matière qui relève des compétences des Communautés, on doit rappeler que l’État fédéral, au travers de la réglementation en matière d’allocations familiales, intervient déjà fortement en faveur des enfants dont l’un des parents est décédé : alors que le montant normal des prestations familiales en faveur du premier enfant est de 90,28 euros par mois, il est porté à 346 euros par mois lorsqu’un des parents est décédé.
Maintenant que la matière des allocations familiales va faire l’objet d’un transfert de compétences en faveur des Communautés et de la Commission communautaire commune, qui pourront ou non prendre des initiatives complémentaires sur ce plan, d’aucuns plaident pour que l’État fédéral prévoie - dans le cadre de la pension de survie - une intervention majorée pour les conjoints survivants ayant charge d’enfants. Le ministre estime, pour sa part, que ce serait une erreur : la pension de survie compense la perte de revenu liée à la disparition d’un des conjoints, et la question de l’assistance à apporter aux familles avec enfants confrontées au décès d’un des parents doit être réglée dans le cadre du régime des allocations familiales, et l’a été de manière appropriée jusqu’à présent.
Un autre aspect qui relève également, en partie, de la compétence des entités fédérées, est celui de l’accompagnement et de l’activation des bénéficiaires d’une allocation de transition.
Le projet prévoit en effet que ceux-ci seront accompagnés dans leur retour ou leur maintien à l’emploi. Sur ce plan, les Régions prendront en toute autonomie leurs responsabilités, mais la ministre fédérale de l’Emploi prendra également des initiatives dans le cadre de ses compétences propres dès que le présent projet de loi sera adopté. Il est notamment prévu
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d’assimiler la période pendant laquelle est versée l’allocation de transition à la période d’attente pour l’octroi des allocations de chômage; autrement dit, à l’échéance de la période de transition et à défaut d’emploi, le droit au chômage sera ouvert immédiatement sans période d’attente.
Ceci devrait valoir également pour les indépendants qui se retrouveraient sans activité professionnelle à l’issue de la période de transition » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3399/003, pp. 15 et 16).
B.24.4. Comme il est dit en B.2.4, la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition qui est accordée aux personnes ayant un ou plusieurs enfants à charge a été prolongée, par la loi-programme du 27 décembre 2021, de 24 mois à 36 mois (lorsque l’enfant à charge de l’ayant droit a plus de treize ans) ou à 48 mois (lorsque l’enfant à charge de l’ayant droit a moins de treize ans ou est porteur d’un handicap). En ce qui concerne cette prolongation, l’exposé des motifs du projet à l’origine de cette loi-programme mentionne :
« Le présent chapitre modifie la réglementation du régime de pension du secteur public, la réglementation du régime de pension des travailleurs salariés et du régime de pension des travailleurs indépendants afin de prolonger la durée de l’allocation de transition et introduit une minimum allocation de transition garantie dans la réglementation de pension des travailleurs salariés.
La durée actuelle de l’allocation de transition est trop courte sur les plans humain et financier, surtout si les ayants droit d’une allocation de transition ont un ou plusieurs (jeunes)
enfants à charge.
Pour les ayants droit d’une allocation de transition qui n’ont pas d’enfant à charge, la durée actuelle de l’allocation de transition est portée de 12 mois à 18 mois.
Lorsqu’un ou plusieurs enfants sont à charge de l’ayant droit d’une allocation de transition, la durée de cette allocation est actuellement de 24 mois, sans qu’il ne soit tenu compte de l’âge de l’enfant ou des enfants à charge.
À l’avenir, une distinction sera établie au niveau de la durée de l’allocation de transition selon que l’enfant à charge de l’ayant droit à l’allocation de transition soit âgé de plus ou moins de 13 ans au cours de l’année civile du décès du donnant droit. Dans ces situations, la durée de l’allocation de transition sera désormais respectivement de 36 mois et de 48 mois. La charge d’un enfant reste liée à la perception des allocations familiales.
Cette distinction réalisée sur la base de l’âge de l’enfant se justifie par le fait qu’un enfant de plus de 13 ans peut être considéré comme plus autonome qu’un enfant de moins de 13 ans.
Il s’agit d’un âge généralement associé au passage de l’école primaire à l’école secondaire et est également utilisé dans les réglementations relatives aux allocations familiales.
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Néanmoins, il ne sera pas tenu compte de l’âge d’un enfant à charge lorsque celui-ci est porteur d’un handicap dans la mesure où cet enfant, quel que soit son âge, doit souvent bénéficier d’une attention particulière et d’une aide importante. Dans ce cas, l’allocation de transition sera donc toujours accordée pour une durée de 48 mois » (Doc. parl., Chambre, 2021-
2022, DOC 55-2349/001, pp. 100-101).
Lors de l’examen du projet de loi au sein de la commission compétente, la ministre des Pensions a ajouté :
« Avec le projet de loi-programme à l’examen, le gouvernement modernise l’allocation de transition qui a remplacé la pension de survie pour les jeunes veuves et veufs en 2015.
Cependant, la réalité de ces citoyens n’a pas été suffisamment prise en compte à l’époque »
(Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2349/011, p. 11).
La ministre a précisé qu’elle attache une importance particulière à la situation des femmes et à leur protection sociale. Elle a conclu :
« La durée actuelle de l’allocation de transition est tout simplement trop courte, sur le plan humain et le plan financier, surtout pour les bénéficiaires qui ont un ou plusieurs (jeunes)
enfants à charge. C’est pourquoi la durée est prolongée » (ibid.).
À la suite du débat avec les membres de la commission, la ministre des Pensions a estimé :
« Plusieurs membres ont souligné que l’allocation de transition peut être cumulée avec des revenus, en particulier des revenus issus du travail. Pour les pensions de survie, un autre cadre légal est d’application. La ministre fait observer aux membres que le conjoint survivant, la plupart du temps une femme, perd une source de revenus alors que les factures – loyer, remboursement d’un crédit hypothécaire, frais scolaires – ne diminuent pas. L’objectif de l’allocation de transition est d’éviter qu’un drame financier vienne s’ajouter au drame familial.
C’est pourquoi le projet prévoit une allocation minimale de 1 416 euros.
[…] Parmi les conjoints survivants, principalement des veuves, 65 % restent aussi actifs sur le marché du travail qu’avant le drame, et que seuls 23 % travaillent davantage. Par conséquent, l’allocation de transition ne crée pas un piège à l’emploi. Ce problème se présente par contre pour la pension de survie, qui ne peut pas être cumulée avec d’autres revenus. La ministre estime qu’il convient de ne pas confondre ces deux dossiers. Avec l’allocation de survie, le gouvernement entend éviter que des ménages tombent dans la pauvreté et que des enfants, en plus de perdre un parent, perdent également leur maison ou doivent renoncer à leurs hobbys. C’est une question de justice sociale » (ibid., p. 20).
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B.25.1. Compte tenu de ce qui est dit en B.13, il est raisonnablement justifié d’inciter le conjoint survivant à maintenir une activité professionnelle, dès lors qu’il est encore en âge de travailler et peut ainsi bénéficier de ressources liées au travail et cotiser au système des pensions plutôt qu’abandonner son activité au profit d’une pension de survie à charge de la collectivité.
B.25.2. Les dispositions en cause concernent toutefois aussi des personnes qui ont des charges familiales et qui, bien qu’elles bénéficieront d’une allocation de transition temporaire, limitée à 24 mois, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant, pourront effectivement, au terme de cette période, se retrouver dans une situation de précarité que l’octroi d’une pension de survie a, en principe, précisément pour objectif d’éviter, lorsque ces personnes ne parviennent pas à combiner un emploi avec les charges familiales.
En outre, les dispositions en cause affectent en particulier les femmes ayant un ou plusieurs enfants à charge qui n’étaient pas, préalablement au décès du conjoint prédécédé, actives sur le marché de l’emploi ou n’y étaient actives que de manière partielle. À défaut d’avoir trouvé un emploi ou un emploi adapté aux charges familiales dans le délai de perception de l’allocation de transition, elles ne bénéficieront en effet comme seul revenu que des allocations de chômage, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant, alors que les charges familiales pouvaient, avant le décès, être également supportées par le revenu que le conjoint prédécédé percevait.
B.25.3. Bien qu’elles poursuivent un but légitime, les dispositions en cause, par l’octroi d’une allocation de transition temporaire limitée à 24 mois, affectent de manière disproportionnée la catégorie précitée des personnes qui se trouvent dans une situation particulièrement vulnérable, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant. Comme il est dit en B.24.3, le législateur a par ailleurs prolongé, au bénéfice du conjoint survivant qui a un enfant à charge et n’a pas encore atteint l’âge minimum requis pour bénéficier de l’octroi de la pension de survie, la durée de l’allocation de transition de 24 mois à 36 ou 48 mois, en fonction de l’âge de l’enfant et de ses besoins.
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B.26. En ce qu’elles prévoient pour la catégorie de personnes visée en B.25.2 l’octroi d’une allocation de transition temporaire limitée à 24 mois, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant, si le conjoint survivant a un enfant à charge et n’a pas encore atteint l’âge minimum requis pour l’octroi de la pension de survie, les dispositions en cause ne sont pas compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
- En ce qu’ils relèvent de 45 à 50 ans la condition de l’âge requis pour bénéficier de l’octroi d’une pension de survie, qui doit être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé, et en ce qu’ils ont supprimé la dérogation à la condition d’âge lorsque le conjoint survivant a un enfant à charge, l’article 2, 2°, de loi du 5 mai 2014 « portant modification de la pension de retraite et de la pension de survie et instaurant l’allocation de transition dans le régime de pension des travailleurs salariés et portant suppression progressive des différences de traitement qui reposent sur la distinction entre ouvriers et employés en matière de pensions complémentaires », l’article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 « visant à relever l’âge légal de la pension de retraite et portant modification des conditions d’accès à la pension de retraite anticipée et de l’âge minimum de la pension de survie » et les articles 21ter et 21quater de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 « relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés » ne violent pas les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique.
- En ce qu’elles limitent à 24 mois la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition temporaire à la catégorie de personnes visée en B.25.2, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant, les mêmes dispositions ne violent pas l’article 23 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec les principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique.
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- En ce qu’elles limitent à 24 mois la durée de la période d’octroi de l’allocation de transition temporaire à l’égard des personnes relevant de la catégorie visée en B.25.2, et ce, indépendamment de l’âge de l’enfant, les mêmes dispositions violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 29 septembre 2022.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 117/2022
Date de la décision : 29/09/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

- Non-violation (article 2, 2°, de loi du 5 mai 2014 , article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 et les articles 21ter et 21quater de l'arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967, en ce qu'ils relèvent de 45 à 50 ans la condition de l'âge requis pour bénéficier de l'octroi d'une pension de survie, qui doit être acquise au moment du décès du conjoint prédécédé, et en ce qu'ils ont supprimé la dérogation à la condition d'âge lorsque le conjoint survivant a un enfant à charge) - Non-violation (les mêmes dispositions, en ce qu'elles limitent à 24 mois la durée de la période d'octroi de l'allocation de transition temporaire à la catégorie de personnes visée en B.25.2, et ce, indépendamment de l'âge de l'enfant) - Violation (les mêmes dispositions, en ce qu'elles limitent à 24 mois la durée de la période d'octroi de l'allocation de transition temporaire à l'égard des personnes relevant de la catégorie visée en B.25.2, et ce, indépendamment de l'âge de l'enfant)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles concernant l'article 2, 2°, de la loi du 5 mai 2014 « portant modification de la pension de retraite et de la pension de survie et instaurant l'allocation de transition dans le régime de pension des travailleurs salariés et portant suppression progressive des différences de traitement qui reposent sur la distinction entre ouvriers et employés en matière de pensions complémentaires », l'article 21, 3°, de la loi du 10 août 2015 « visant à relever l'âge légal de la pension de retraite et portant modification des conditions d'accès à la pension de retraite anticipée et de l'âge minimum de la pension de survie » et l'article 21quater de l'arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 « relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés », posées par la Cour du travail de Liège, division de Namur, et par le Tribunal du travail de Liège, division de Huy. Droit social - Sécurité sociale - Pension de survie - Réformes - 1. Age minimum - 2. Suppression de la dérogation à la condition d'âge pour enfant à charge - 3. Durée de la période d'octroi de l'allocation de transition temporaire


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-09-29;117.2022 ?

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