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22/09/2022 | BELGIQUE | N°112/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 22 septembre 2022, 112/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 112/2022
du 22 septembre 2022
Numéro du rôle : 7569
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 30 de la loi du 18 mai 1960
organique des Instituts de la Radiodiffusion-Télévision belge, posées par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir

délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par j...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 112/2022
du 22 septembre 2022
Numéro du rôle : 7569
En cause : les questions préjudicielles relatives à l’article 30 de la loi du 18 mai 1960
organique des Instituts de la Radiodiffusion-Télévision belge, posées par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, D. Pieters et S. de Bethune, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par jugement du 31 mars 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 avril 2021, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes :
- « (a) L’article 30 de la loi organique des instituts de radiodiffusion-télédiffusion belges du 18 mai 1960, en ce qu’il assimile la RTBF à l’Etat en ce qui concerne l’application des lois et règlements relatifs aux impôts directs de l’Etat et aux taxes ou impôts des provinces et des communales, (b) le principe général de droit ou la règle légale suivant lesquels les biens du domaine public de l’État et ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d’intérêt général ne sont, de leur nature, pas susceptibles d’être soumis à l’impôt et suivant lesquels ces biens ne sont soumis à l’impôt que si une disposition légale le prévoit expressément et la disposition de l’article 172, alinéa 2, de la Constitution, aux termes de laquelle nulle exemption ou modération d’impôt ne peut être établie que par une loi, ne leur est pas applicable, ou (c) la combinaison dudit article 30 et dudit principe général de droit ou de ladite règle légale, interprétés en ce sens que la RTBF est exonérée de toutes impositions communales pour les biens du domaine public et ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d’intérêt général, violent-ils l’article 170, § 4, de la Constitution et le principe de l’autonomie fiscale des communes ? »;
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- « (a) L’article 30 de la loi organique des instituts de radiodiffusion-télédiffusion belges du 18 mai 1960, en ce qu’il assimile la RTBF à l’Etat en ce qui concerne l’application des lois et règlements relatifs aux impôts directs de l’Etat et aux taxes ou impôts des provinces et des communales, (b) le principe général de droit ou la règle légale suivant lesquels les biens du domaine public de l’État et ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d’intérêt général ne sont, de leur nature, pas susceptibles d’être soumis à l’impôt et suivant lesquels ces biens ne sont soumis à l’impôt que si une disposition légale le prévoit expressément et la disposition de l’article 172, alinéa 2, de la Constitution, aux termes de laquelle nulle exemption ou modération d’impôt ne peut être établie que par une loi, ne leur est pas applicable, ou (c) la combinaison dudit article 30 et dudit principe général de droit ou de ladite règle légale, interprétés en ce sens que la RTBF est exonérée de toutes impositions communales pour les biens du domaine public et ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d’intérêt général, violent-ils les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu’ils créent une différence de traitement entre, d’une part, la RTBF et, d’autre part, les autres opérateurs économiques exerçant des activités analogues mais aussi la généralité des redevables des impôts communaux ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- la Radio-Télévision belge de la Communauté française, assistée et représentée par Me O. Bertin et Me C. Maczkovics, avocats au barreau de Bruxelles;
- la commune de Schaerbeek, assistée et représentée par Me N. Fortemps, avocat au barreau de Bruxelles;
- la SA de droit public « Vlaamse Radio- en Televisieomroeporganisatie », assistée et représentée par Me S. Sablon, avocat au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 20 avril 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 4 mai 2022 et l’affaire mise en délibéré.
À la suite de la demande d’une partie à être entendue, la Cour, par ordonnance du 4 mai 2022, a fixé l’audience au 15 juin 2022.
À l’audience publique du 15 juin 2022 :
- ont comparu :
. Me O. Bertin, pour la Radio-Télévision belge de la Communauté française;
. Me N. Fortemps, pour la commune de Schaerbeek;
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. Me L. Kell, avocat au barreau de Bruxelles, loco Me S. Sablon, pour la SA de droit public « Vlaamse Radio- en Televisieomroeporganisatie » (partie intervenante);
- les juges-rapporteurs T. Giet et S. de Bethune ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
La Radio-Télévision belge de la Communauté française (ci-après : la RTBF) est propriétaire de plusieurs immeubles situés sur le territoire de la commune de Schaerbeek, dans lesquels elle exerce son activité. Elle introduit plusieurs réclamations devant le collège des bourgmestre et échevins de cette commune dans le but de contester l’application à ces immeubles de la taxe communale sur les immeubles ou parties d’immeubles ayant une affectation de bureau pour, notamment, cinq exercices d’imposition entre 2008 et 2012. Ces réclamations sont successivement rejetées. En application des articles 1385decies et 1385undecies du Code judiciaire, la RTBF
introduit, contre chacune de ces décisions, un recours devant le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, qui joint les causes en raison de leur connexité.
Devant le juge a quo, la RTBF soutient qu’elle n’est pas redevable de la taxe communale précitée puisqu’en vertu de l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 organique des Instituts de la Radiodiffusion-Télévision belge (ci-
après : la loi du 18 mai 1960), elle est assimilée à l’État en ce qui concerne l’application des taxes et impôts communaux. Or, selon la RTBF, la Cour de cassation reconnaît l’existence d’un principe d’exonération fiscale des biens du domaine de l’État et de ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d’intérêt général, de telle sorte que, par l’effet de l’article 30 de la loi du 18 mai 1960, aucune taxe communale ne peut frapper les immeubles dans lesquels elle exerce son activité. La commune de Schaerbeek soutient que l’exonération fiscale générale des biens de l’État est consacrée uniquement par un arrêt isolé de la Cour de cassation du 23 février 2018 rendu sur les conclusions contraires de l’avocat général et que les travaux préparatoires de l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 ne font pas état d’une quelconque volonté du législateur d’accorder une telle exonération aux instituts qu’il vise. Elle souligne que cette jurisprudence constitue en toute hypothèse une restriction à l’autonomie fiscale des communes dont la nécessité n’est pas démontrée et qu’elle crée par ailleurs une différence de traitement non justifiée entre, d’une part, la RTBF et, d’autre part, les autres opérateurs économiques exerçant des activités analogues, mais aussi, plus généralement, les autres redevables d’impôts communaux.
Le juge a quo constate que les biens immeubles concernés par la taxe communale précitée sont affectés au service public de radio et de télévision de la Communauté française, de telle sorte que, selon les enseignements de l’arrêt de la Cour de cassation précité du 23 février 2018, ils doivent être exonérés de la taxe communale litigieuse.
À la demande de la commune de Schaerbeek, le juge a quo pose les questions préjudicielles reproduites plus haut, après les avoir légèrement reformulées.
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III. En droit
-A–
Quant à la compétence de la Cour
A.1. La RTBF constate que les questions préjudicielles portent à la fois sur l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 et sur le principe général de droit ou la règle légale suivant lesquels les biens du domaine public de l’État et ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d’intérêt général ne sont, par leur nature, pas susceptibles d’être soumis à l’impôt et suivant lesquels ces biens ne sont soumis à l’impôt que si une disposition légale le prévoit expressément. En ce que les questions préjudicielles portent sur l’article 30 de la loi du 18 mai 1960, elles n’appellent pas de réponse puisque cette disposition se limite à assimiler la RTBF à l’État belge en ce qui concerne l’application des taxes et impôts communaux et elle ne confère, en elle-même, aucune exonération.
L’exonération visée par les questions préjudicielles est imputable uniquement à la jurisprudence de la Cour de cassation, que la Cour ne peut pas contrôler. Par ailleurs, en ce qu’elles portent sur le principe général de droit ou la règle légale précité, les questions préjudicielles ne relèvent pas de la compétence de la Cour puisqu’il ne s’agit pas de dispositions législatives formelles, comme le Conseil d’État l’a déjà constaté à plusieurs reprises.
A.2. La commune de Schaerbeek considère que l’exonération fiscale dont se prévaut la RTBF résulte de l’application combinée de l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 et du principe général de droit ou de la règle légale consacré par l’arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2018 et précisé par un arrêt de la Cour de cassation du 9 mai 2019 car, considéré isolément, ce principe ou cette règle légale n’exonère pas la RTBF de toute taxe communale. La commune de Schaerbeek considère par ailleurs que toutes les lois, tant au sens matériel que formel, peuvent faire l’objet du contrôle de la Cour, puisqu’il n’est pas exigé que cet objet soit le résultat de l’exercice de la fonction normative au sens strict. Partant, la Cour est compétente pour contrôler le principe ou la règle légale consacré par la Cour de cassation. Par ailleurs, la thèse défendue par la RTBF aboutit à faire bénéficier celle-ci d’un régime fiscal exorbitant du droit commun, échappant à tout contrôle de constitutionnalité.
Quant à l’intérêt de la partie intervenante
A.3.1. La « Vlaamse Radio- en Televisieomroeporganisatie » (ci-après : la VRT) estime qu’elle a intérêt à intervenir dans l’affaire présentement examinée car son statut juridique et son fonctionnement sont comparables à ceux de la RTBF à tous égards, notamment quant à l’exercice des missions de service public. La VRT trouve aussi son origine dans la loi du 18 mai 1960 et, partant, elle est aussi assimilée à l’État en vertu de l’article 30 de cette loi. Elle est également propriétaire de bureaux situés sur la commune de Schaerbeek, qui sont frappés de la même taxe que ceux de la RTBF. La VRT a, systématiquement, contesté l’application de celle-ci. Les contestations relatives aux exercices d’imposition 2008 et 2009 ont débouché sur un pourvoi en cassation actuellement pendant.
Des recours relatifs aux exercices 2010 à 2021 inclus sont actuellement pendants devant le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, qui a sursis à statuer en attendant l’issue de la procédure en cassation précitée. Partant, la VRT estime qu’elle dispose d’un intérêt légitime à introduire un mémoire dans le cadre de l’affaire présentement examinée, sur la base de l’article 87, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
A.3.2. L’intérêt de la VRT à intervenir dans la procédure n’est pas contesté.
Quant à la première question préjudicielle
A.4.1. La RTBF affirme que, selon une première interprétation, l’article 170, § 4, de la Constitution s’oppose à ce que le législateur décide lui-même du principe d’une taxe communale, à moins qu’il n’en démontre la nécessité. Or, l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 n’instaure aucun impôt au profit des communes, de telle sorte que la première question préjudicielle n’appelle pas de réponse ou qu’elle appelle à tout le moins une réponse négative.
A.4.2. Selon une seconde interprétation, l’article 170, § 4, de la Constitution impose au législateur de démontrer la nécessité de toute atteinte portée à l’autonomie fiscale communale, même à l’occasion de l’adoption
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d’une disposition législative qui ne crée aucun impôt. En l’espèce, l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 se limite à assimiler la RTBF à l’État et ne crée en lui-même aucune exonération, de telle sorte que cette disposition ne limite pas l’autonomie fiscale communale. L’exonération dont bénéficie la RTBF est issue d’un principe général de droit ou d’une règle légale selon le libellé des questions préjudicielles, de telle sorte qu’aucune nécessité au sens de l’article 170, § 4, précité, ne doit être démontrée. Par ailleurs, il faut constater que la condition de nécessité est de toute manière remplie en l’espèce. Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que la nécessité d’un régime d’exonération fiscale au profit d’entités de droit public est démontrée lorsque l’exemption est justifiée par l’exercice de missions de service public, puisqu’il convient que l’exercice du pouvoir fiscal communal n’entrave pas celles-ci. L’exonération fiscale dont bénéficie la RTBF ne concerne précisément que les biens affectés aux missions de service public qu’elle poursuit. Par ailleurs, la loi du 18 mai 1960 a pour objectif d’éviter que des prélèvements fiscaux des autorités locales n’entravent ces missions. Enfin, le principe général de droit ou la règle légale dégagé par la jurisprudence de la Cour de cassation dès 1890 se fonde également sur la condition de la nécessité d’utilité publique.
Partant, la première question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.5.1. À titre principal, la commune de Schaerbeek soutient que l’article 170, § 4, de la Constitution s’oppose à ce qu’une exception à la compétence fiscale des communes soit prévue par un principe ou par une règle légale qui ne soit pas une disposition législative formelle adoptée par l’autorité fédérale. Puisque l’exonération fiscale dont se prévaut la RTBF ne découle pas du seul article 30 de la loi du 18 mai 1960, mais de la combinaison de ce dernier avec le principe ou la règle légale consacré par la Cour de cassation, l’article 170, § 4, est violé en l’espèce.
A.5.2. À titre subsidiaire, la commune de Schaerbeek soutient que l’exonération fiscale dont se prévaut la RTBF est imputable au législateur décrétal de la Communauté française, qui a maintenu en vigueur l’article 30 de la loi 18 mai 1960 en s’abstenant de l’abroger par le décret du 12 décembre 1977 « portant statut de la Radio-
Télévision belge de la Communauté culturelle française (R.T.B.F.) » (ci-après : le décret du 12 décembre 1977), puis par le décret du 14 juillet 1997 « portant statut de la Radio-Télévision belge de la Communauté française (RTBF) » (ci-après : le décret du 14 juillet 1997). Partant, la Communauté française ne pourrait fonder ce système que sur la base de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, dont les conditions d’application ne sont pas respectées en l’espèce. En effet, les travaux préparatoires des décrets du 12 décembre 1977 et du 14 juillet 1997 n’avancent aucune justification au recours à l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980
pour maintenir en vigueur l’article 30 de la loi du 18 mai 1960. Ensuite, la jurisprudence invoquée par la RTBF
pour justifier l’exonération fiscale dont elle se prévaut est limitée aux autorités publiques au sens strict. Elle ne s’étend pas aux autres personnes morales de droit public ni aux personnes morales de droit privé chargées de missions de service public. Par ailleurs, les missions de service public de la RTBF sont financées par les subventions de la Communauté française et par les recettes d’activités commerciales, qui sont développées avec une certaine liberté. La RTBF est aussi assujettie à l’impôt fédéral sur ses résultats. En outre, la commune de Schaerbeek soutient que l’exonération fiscale dont se prévaut la RTBF prive les communes de recettes fiscales nécessaires à l’exercice de leurs missions de service public, alors que, contrairement à la RTBF, elles ne bénéficient pas de dotations et de subventions suffisantes pour financer l’ensemble de leurs missions d’intérêt communal et qu’elles ne peuvent pas exercer d’activités commerciales. Enfin, la commune de Schaerbeek soutient que les taxes communales poursuivent d’autres objectifs que des objectifs strictement financiers, notamment d’incitation, de dissuasion et de compensation.
La commune de Schaerbeek affirme par ailleurs que l’exonération en cause constitue une aide d’État nouvelle qui est contraire aux articles 106 et 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), puisqu’elle supprime une charge qui devrait normalement grever le budget de la RTBF, qui est une entreprise au sens du TFUE en matière d’aides d’État, et qui a pour corollaire la diminution à due concurrence des recettes fiscales de la commune. Cette mesure est aussi de nature à favoriser la RTBF au détriment de ses concurrents, ce qui emporte des distorsions de concurrence. Cette aide d’État n’est en outre pas conçue comme une compensation des coûts liés à l’exécution des missions de service public de la RTBF, puisque celles-ci sont financées par des subventions et par des recettes commerciales. Par ailleurs, l’exonération en cause n’est pas une aide d’État existante, mais bien une aide nouvelle, puisque le législateur décrétal de la Communauté française s’est approprié l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 en le maintenant en vigueur et que le principe ou la règle légale
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précité a été consacré par l’arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2018. À certains égards, cette exonération peut aussi être considérée comme une aide existante. Pour ces raisons, la commune de Schaerbeek demande que la Cour pose une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
A.5.3. À titre encore plus subsidiaire, à supposer que l’exonération fiscale en cause soit imputable au législateur fédéral, et non au législateur décrétal de la Communauté française, il y a lieu de constater que la condition de nécessité, imposée par l’article 170, § 4, de la Constitution, n’est pas respectée. La commune de Schaerbeek renvoie à cet égard aux développements consacrés au non-respect des conditions d’application de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980.
Partant, la première question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.6. La VRT considère que l’autonomie fiscale des communes est subordonnée à la compétence fiscale de l’autorité fédérale et à celle des régions. Ce caractère subordonné ressort de la Constitution elle-même, notamment de ses articles 170, § 4, et 159, dans le but de protéger les institutions qui exercent des missions de service public.
L’assimilation de la VRT et de la RTBF à l’État, en vertu de l’article 30 de la loi du 18 mai 1960, poursuit précisément ce but. Dans les travaux préparatoires de cette loi, le législateur a souligné l’importance des missions de service public confiées au prédécesseur de ces institutions. Le fait que le statut juridique de la RTBF et de la VRT a évolué au fil des années n’a pas eu pour conséquence de modifier leurs missions ni leurs caractéristiques spécifiques. Dans ces mêmes travaux préparatoires, il a été souligné que les biens immobiliers des Instituts de la Radiodiffusion-Télévision belge de l’époque étaient des outils essentiels pour assurer le service public, de telle sorte que les biens immobiliers de la VRT et de la RTBF doivent être considérés comme des biens destinés à un service public appartenant au domaine public, ainsi que l’ont mis en évidence deux arrêts de la Cour de cassation du 23 novembre 2018. Partant, il est justifié que le législateur exempte la VRT et la RTBF des taxes communales par un mécanisme d’assimilation à l’État. Il est en effet admis que l’utilisation d’un bien du domaine public, de même que l’utilisation intégrale d’un bien du domaine privé pour un service d’utilité publique, justifie en soi l’exonération d’une taxe, sans qu’il soit nécessaire d’apporter des justifications supplémentaires.
Comme la RTBF, la VRT utilise ses bureaux pour assurer les missions de service public poursuivies selon les modalités des contrats de gestion successifs. Ces missions ne peuvent être assurées que par un financement public. L’Union européenne a d’ailleurs établi un cadre dans lequel les États membres sont autorisés à financer les opérateurs du service public. En particulier, le financement de la VRT fait l’objet d’une enquête continue de la part de la Commission européenne, qui n’a d’ailleurs pas donné suite à une plainte de la commune de Schaerbeek contre la VRT, ce qui s’explique sans doute par le fait que la Commission n’a pas estimé que le financement de la VRT fausse le marché intérieur. Partant, il y a lieu de répondre par la négative à la première question préjudicielle.
A.7.1. Dans son mémoire en réponse, la RTBF insiste sur la nécessité évidente de restreindre le pouvoir fiscal communal par l’exonération fiscale en cause. Elle souligne que les travaux préparatoires de la loi du 18 mai 1960 et ceux de la loi du 18 juin 1930 « sur la fondation de l’Institut national belge de radio-diffusion (INR) » (ci-
après : la loi du 18 juin 1930) ne développent pas la nécessité de cette exonération parce que celle-ci s’explique d’elle-même et ne requiert pas d’explications supplémentaires. Par ailleurs, la Cour a déjà identifié l’objectif poursuivi par le législateur dans des hypothèses comparables. En outre, dans l’hypothèse où les biens de la RTBF
seraient frappés d’impôts communaux, les subventions octroyées à la RTBF seraient détournées de leurs finalités au profit d’autres entités de droit public. Le pouvoir subsidiant devrait corrélativement augmenter les subsides pour financer un service équivalent. Enfin, la RTBF et la VRT poursuivent des objectifs d’intérêt général qui dépassent largement l’intérêt communal, de telle sorte que des limitations au pouvoir fiscal des communes se justifient.
A.7.2. La RTBF soutient par ailleurs que la Communauté française n’est pas compétente pour restreindre l’autonomie communale sur la base de l’article 170, § 4, de la Constitution. L’article 30 de la loi du 18 mai 1960
a bien été adopté par l’autorité fédérale. En laissant subsister cette disposition, la Communauté française n’a pas, elle-même, créé l’exonération fiscale en cause. En outre, le principe ou la règle légale dégagé par la Cour de cassation ne peut pas être imputé à la Communauté française.
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A.7.3. Enfin, la RTBF allègue que le régime fiscal qui lui est applicable est compatible avec le droit de l’Union européenne relatif aux aides d’État, puisque seule la Commission européenne dispose du pouvoir de déclarer une aide compatible avec le marché intérieur commun, sous le contrôle des juridictions de l’Union, de telle sorte que les juridictions nationales ne sont pas habilitées à interroger la Cour de justice de l’Union sur la compatibilité d’une aide avec les règles du marché intérieur. Du reste, l’éventuelle aide d’État qui découle de l’exonération fiscale en cause doit être considérée comme une aide existante, prévue par la loi du 18 mai 1960, celle-ci prolongeant l’exonération prévue par la loi du 18 juin 1930, de telle sorte que cette aide ne devait en toute hypothèse pas être notifiée préalablement à la Commission européenne, comme l’exige l’article 108, paragraphe 3, du TFUE pour les aides d’État nouvelles. La RTBF constate par ailleurs que, dans le cadre d’une enquête relative au système de financement de la RTBF, la Commission européenne n’a émis aucune remarque au sujet de l’exonération fiscale en cause.
A.8. Dans son mémoire en réponse, la commune de Schaerbeek soutient que le simple fait qu’un bien relève du service public ne suffit pas à justifier une exonération fiscale. La jurisprudence citée par la VRT pour étayer cette affirmation n’a pas la portée que celle-ci lui confère. Enfin, la commune de Schaerbeek soutient que la Commission européenne n’a pas donné suite à la plainte contre la VRT uniquement parce que la commune n’a pas été considérée comme une partie intéressée au sens du droit de l’Union européenne, de telle sorte qu’il n’est pas possible de tirer de conclusion à partir du rejet de cette plainte.
A.9. Dans son mémoire en réponse, la VRT affirme que le législateur a adopté toute une série de dispositions légales dans le but de faire bénéficier certaines entités de droit public d’une exonération fiscale. D’ailleurs, au moment de l’adoption de la loi du 18 mai 1960, la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’exonération dont bénéficie l’État était déjà établie, de telle sorte que le législateur a adopté l’article 30 de cette loi précisément dans ce but. En outre, l’affirmation de la commune de Schaerbeek, selon laquelle l’exonération fiscale en cause constituerait une aide d’État nouvelle contraire à l’article 108 du TFUE, ne peut être suivie, dès lors qu’il ressort d’une décision de la Commission européenne de 2008 que cette exonération constitue une aide d’État existante.
Pour cette raison, il n’y a pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne, qui n’est pas compétente en la matière. En toute hypothèse, ce régime d’exonération apparaît conforme avec le droit de l’Union européenne et fait l’objet d’un contrôle permanent de la Commission européenne.
Quant à la seconde question préjudicielle
A.10.1. La RTBF soutient que la Cour a déjà été amenée, à plusieurs reprises, à examiner la compatibilité du régime fiscal d’entreprises de droit public – en l’occurrence Belgacom, les intercommunales, La Poste et la SNCB – avec le principe d’égalité et de non-discrimination. Elle a jugé que les contraintes de droit public pesant sur ces entreprises justifiaient le régime d’exonération dont elles bénéficiaient pour certains impôts. Ces justifications sont comparables à celle du régime fiscal de la RTBF, détaillé dans l’article 30 de la loi du 18 mai 1960, qui n’a pas été remis en cause par les modifications législatives et décrétales ultérieures. Antérieurement, l’Institut national belge de radiodiffusion, auquel la RTBF a succédé, bénéficiait d’une exonération inconditionnelle de l’application des taxes communales et provinciales, en application de l’article 15 de la loi du 18 juin 1930.
A.10.2. La RTBF affirme qu’elle poursuit plusieurs missions de service public, énumérées dans le contrat de gestion conclu pour les années 2007 à 2011 entre la RTBF et la Communauté française en vertu de l’article 8
du décret de la Communauté française du 14 juillet 1997, qui justifient le régime fiscal dont elle bénéficie. Il ne s’agit pas d’une exonération inconditionnelle, puisqu’elle ne vaut que pour les biens affectés à des missions de service public. La circonstance que la RTBF peut aussi exercer des activités commerciales est sans incidence à cet égard, puisque les produits éventuels générés par ces activités doivent être intégralement affectés à la réalisation de ses missions de service public, selon les décisions de la Commission européenne en la matière. Par ailleurs, la jurisprudence considère que l’exercice d’activités commerciales connexes à l’exercice de missions de service public n’a pas pour effet de supprimer le droit à l’exemption. Enfin, la RTBF soutient que certaines de ses activités commerciales sont exercées par d’autres entités.
Partant, la seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.
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A.11.1. La commune de Schaerbeek soutient que la disposition en cause crée une discrimination entre, d’une part, la RTBF et, d’autre part, tous les redevables d’impôts locaux, puisque seule la RTBF peut prétendre à une exonération de toute taxe ou impôt communal. Selon la commune de Schaerbeek, ces catégories de personnes sont comparables en ce qu’elles entretiennent chacune un lien personnel ou réel avec la commune et qu’elles sont susceptibles, du fait de ce rattachement, d’être redevables des taxes et impôts communaux. La RTBF est par ailleurs comparable à tout opérateur économique exerçant des activités analogues. La commune de Schaerbeek constate que ni la loi du 18 mai 1960, ni le décret du 14 juillet 1997, ni le décret du 12 septembre 1977 ne permettent d’identifier les raisons pour lesquelles la RTBF est assimilée à l’État et pour lesquelles il conviendrait de faire bénéficier cette dernière d’une telle exonération. Pour les mêmes raisons que celles qui sont développées dans le cadre de la première question préjudicielle, cette exonération ne peut se justifier en raison du nécessaire financement des missions de service public de la RTBF et constitue par ailleurs une aide d’État nouvelle et irrégulière.
A.11.2. L’exonération fiscale en cause entraîne en outre des effets disproportionnés, puisqu’elle prive les communes de recettes fiscales indispensables à la réalisation de missions d’intérêt communal et restreint le champ d’application des mesures d’incitation, de dissuasion et de compensation qu’elles peuvent instaurer par leurs règlements-taxes. Selon le juge a quo, cette exonération vaut, pour le surplus, de manière générale, c’est-à-dire pour tous les biens et toutes les activités de la RTBF, et pas seulement dans le cadre de ses missions d’intérêt général. Elle profite indubitablement à la RTBF dans l’exercice de ses missions commerciales, ce qui lui confère un avantage par rapport à ses concurrents.
Partant, la seconde question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.12. La VRT considère que les catégories de personnes visées par la seconde question préjudicielle ne sont pas suffisamment comparables, puisque la RTBF poursuit des missions de service public, ce qui implique un statut juridique propre ainsi que des obligations et des restrictions spécifiques. Même si des personnes privées étaient amenées à exercer des activités similaires, ces obligations et restrictions ne leur seraient pas applicables. Les travaux préparatoires de la loi du 18 mai 1960 confirment que les opérateurs privés ne sont pas comparables avec les Instituts de Radiodiffusion-Télévision belge, auxquels la RTBF et la VRT ont succédé. Par ailleurs, la Cour a jugé à plusieurs reprises que l’octroi d’une exonération fiscale à un organisme public accomplissant un service public ou une tâche d’intérêt général, sans que cette exonération soit étendue à des organismes privés qui, à certains égards, accomplissent des activités similaires, ne viole pas le principe d’égalité et de non-discrimination. Enfin, en raison du financement public qu’elles reçoivent, la RTBF et la VRT sont soumises à une supervision gouvernementale stricte, contrairement aux opérateurs privés.
Partant, la seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.13. Dans son mémoire en réponse, la RTBF soutient qu’en raison des missions de service public qu’elle poursuit et des multiples contraintes de gestion qui en découlent, elle ne se trouve pas dans une situation comparable à celle des contribuables susceptibles d’être redevables des taxes et impôts communaux et à celle des opérateurs économiques exerçant des activités similaires. La RTBF renvoie, dans ce cadre, à la jurisprudence de la Cour relative à d’autres entités de droit public. En ce qui concerne la privation de recettes communales découlant de l’exonération en cause, celle-ci résulte de la différence de niveaux de pouvoir concernés, de telle sorte que le service public fourni par la RTBF et la VRT prime l’intérêt communal.
A.14. Dans son mémoire en réponse, la commune de Schaerbeek affirme que la seule circonstance que la RTBF bénéficie d’un statut particulier et qu’elle est soumise à des contraintes spécifiques ne permet pas de conclure à la non-comparabilité des catégories de personnes visées par la question préjudicielle. La jurisprudence de la Cour citée par la RTBF n’aboutit d’ailleurs pas à une telle conclusion et n’a donc pas la portée générale que la RTBF lui confère. En outre, l’affirmation de la RTBF selon laquelle ses activités commerciales sont exercées par d’autres entités est erronée, car la RTBF contrôle en réalité ces entités.
A.15. Dans son mémoire en réponse, la VRT soutient que la perte de recettes fiscales communales est raisonnablement justifiée, dès lors que le service public assuré par la RTBF et la VRT dépasse l’intérêt communal, que la RTBF et la VRT ne peuvent exercer des activités commerciales que si celles-ci profitent à leurs missions de service public et que l’exonération fiscale ne concerne que les taxes et impôts provinciaux et communaux, et non les autres formes de taxation.
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-B-
Quant à la disposition en cause
B.1.1. L’article 30 de la loi du 18 mai 1960 organique des Instituts de la Radiodiffusion-
Télévision belge (ci-après : la loi du 18 mai 1960) dispose :
« Les instituts sont assimilés à l’État, en ce qui concerne l’application des lois et règlements relatifs aux impôts directs de l’État et aux taxes ou impôts des provinces et des communes. Ils sont exonérés des taxes sur les installations radiophoniques émettrices et réceptrices ».
Les « instituts » auxquels la loi du 18 mai 1960 fait référence désignent les établissements publics « Radiodiffusion-Télévision belge, Émissions françaises », « Belgische Radio en Televisie Nederlandse uitzendingen » et « Radiodiffusion-Télévision belge – Institut des services communs » (articles 1er, § 1er, alinéa 1er, et 2, § 1er, alinéa 1er).
B.1.2. Le premier projet à l’origine de la loi du 18 mai 1960 exonérait les instituts précités de « tout impôt ou taxe au profit des provinces et des communes ». Dans son avis, le Conseil d’État a observé :
« L’article 26 exonère les instituts de tous impôts ou taxes au profit des provinces et communes. Cette disposition crée pour ces instituts un régime plus favorable que celui dont l’État lui-même jouit en ce qui concerne les impôts provinciaux et communaux. D’accord avec le Gouvernement, un autre texte est proposé ci-après » (CE, avis n° 6619/2 du 10 avril 1959, p. 45).
Le second projet à l’origine de la loi du 18 mai 1960 a tenu compte de la remarque du Conseil d’État et a assimilé les instituts précités à l’État en ce qui concerne l’application des règlements relatifs aux taxes ou impôts des provinces et des communes (Doc. parl., Sénat, 1958-1959, n° 317, p. 17).
B.1.3. Il ressort du libellé de l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 et des travaux préparatoires précités que la disposition en cause poursuit un objectif d’exonération fiscale. En
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effet, en alignant le régime fiscal des instituts sur celui de l’État, l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 tend à exonérer ceux-ci des impositions auxquelles l’État n’est pas soumis.
B.2.1. L’article 1er du décret de la Communauté française du 12 décembre 1977 « portant statut de la Radio-Télévision belge de la Communauté culturelle française (R.T.B.F.) » (ci-
après : le décret du 12 décembre 1977) », dispose :
« Il est institué sous la dénomination ‘ Radio-Télévision belge de la Communauté culturelle française ’ (R.T.B.F.) un établissement public doté de la personnalité juridique et dénommé ci-
après ‘ Institut ’
[…] ».
L’article 30 du décret du 12 décembre 1977 dispose :
« L’institut reprend les droits et obligations de l’institut d’émission ‘ Radiodiffusion-
Télévision belge, émissions françaises ’ visés dans la loi du 28 mai 1960 organique des instituts de la Radiodiffusion-Télévision belge et les lois postérieures ».
L’article 31 du décret du 12 décembre 1977 dispose :
« En tant qu’ils concernent l’Institut d’émission ‘ Radiodiffusion-Télévision belge, émissions françaises ’, sont abrogés les articles 1er; 9, § 2; 10; 11; 12, §§ 1er, 2, 3, 4 et 5; 13;
20; 21; 23; 24; 25, § 1er; 26; 27; 28; §§ 1er, 2, premier alinéa et 5; 29; 31; 32; 33; 34 de la loi du 18 juin 1960 organique des Instituts de la Radiodiffusion-Télévision
[…] ».
Par le décret du 12 décembre 1977, le législateur décrétal n’a donc pas abrogé l’article 30
de la loi du 18 mai 1960, contrairement à d’autres de ses dispositions.
B.2.2. Le décret du 12 décembre 1977 a été abrogé et remplacé par le décret de la Communauté française du 14 juillet 1997 « portant statut de la Radio-Télévision belge de la Communauté française (RTBF) » (ci-après : le décret du 14 juillet 1997), actuellement en vigueur. Ce décret n’a pas non plus abrogé l’article 30 de la loi du 18 mai 1960.
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B.2.3. Il ressort de ce qui précède que la Radio-Télévision belge de la Communauté française (ci-après : la RTBF) peut se prévaloir de l’article 30 de la loi du 18 mai 1960, en ce qu’elle a repris les droits et les obligations de l’institut d’émission « Radiodiffusion-Télévision belge, émissions françaises ».
Quant à la recevabilité des questions préjudicielles
B.3.1. La RTBF soutient que les questions préjudicielles sont irrecevables en ce qu’elles portent sur la jurisprudence de la Cour de cassation.
B.3.2. En vertu de l’article 142 de la Constitution et des articles 1er et 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour statue sur les recours en annulation de lois, décrets et ordonnances et sur les questions préjudicielles y relatives, posées par des juridictions.
B.3.3. L’article 30 de la loi du 18 mai 1960 assimile la RTBF à l’État en ce qui concerne, notamment, « l’application des règlements relatifs aux taxes ou impôts des communes ». Par un arrêt du 23 février 2018, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles qui annulait plusieurs cotisations à une taxe communale en raison de l’assimilation de la RTBF à l’État prévue par l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 (Cass., 23 février 2018, F.16.0102.F).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé que « les biens du domaine public de l’État et ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d’intérêt général ne sont, de leur nature, pas susceptibles d’être soumis à l’impôt. Il s’ensuit que, d’une part, ces biens ne sont soumis à l’impôt que si une disposition légale le prévoit expressément, d’autre part, la disposition de l’article 172, alinéa 2, de la Constitution, aux termes de laquelle nulle exemption ou modération ne peut être établie que par une loi, ne leur est pas applicable ».
Par un arrêt du 9 mai 2019, la Cour de cassation a jugé, de manière similaire, que « l’impôt est un prélèvement pratiqué par voie d’autorité par l’État, les régions, les communautés, les
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provinces, les agglomérations et fédérations de communes ou les communes sur les ressources des personnes qui vivent sur leur territoire ou y possèdent des intérêts, pour être affectés aux services d’utilité publique. Partant, dans l’exercice de son activité de gestion ou d’administration des services publics fédéraux, l’État n’est pas susceptible d’être soumis à l’impôt » (Cass., 9 mai 2019, F.18.0010.F).
B.3.4. C’est à cette jurisprudence que la juridiction a quo fait référence dans la question préjudicielle, lorsqu’elle interprète l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 en ce sens qu’il exonère la RTBF de toute imposition communale sur les biens du domaine public et ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d’intérêt général.
B.4. La Cour examine les questions qui lui sont posées, non pour se prononcer sur la jurisprudence de la Cour de cassation, ce qui ne relève pas de sa compétence, mais en se plaçant dans l’hypothèse, postulée par les questions préjudicielles, selon laquelle la disposition en cause doit recevoir l’interprétation qui y est formulée.
B.5. L’exception d’irrecevabilité est rejetée.
Quant au fond
En ce qui concerne la demande de question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne
B.6. La commune de Schaerbeek soutient que l’exonération fiscale prévue par la disposition en cause serait contraire aux articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), en ce qu’elle constitue une aide nouvelle ou existante, interdite par ces dispositions. Partant, elle demande qu’une question préjudicielle soit posée à la Cour de justice de l’Union européenne.
B.7.1. L’article 267 du TFUE habilite la Cour de justice à statuer, à titre préjudiciel, aussi bien sur l’interprétation des traités et des actes des institutions de l’Union européenne que sur
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la validité de ces actes. En vertu du troisième alinéa de cette disposition, une juridiction nationale est tenue de saisir la Cour de justice lorsque ses décisions – comme celles de la Cour constitutionnelle – ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne. En cas de doute sur l’interprétation ou sur la validité d’une disposition du droit de l’Union européenne importante pour la solution d’un litige pendant devant une telle juridiction nationale, celle-ci doit, même d’office, poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
B.7.2. Les articles 107 et 108 du TFUE disposent que, sauf dérogations prévues par le Traité, les aides accordées par les États qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions sont incompatibles avec le marché intérieur. Ces dispositions prévoient une procédure suivant laquelle la Commission européenne est chargée, en même temps que les États membres, de l’examen permanent des régimes d’aide existants dans les États. Si elle constate, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, qu’une aide n’est pas compatible avec le marché intérieur, elle « décide que l’État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine ». Cette décision n’a pas d’effet rétroactif.
En vertu des mêmes dispositions, les aides nouvelles doivent être notifiées à la Commission avant leur exécution, et la Commission juge de leur compatibilité avec les dispositions de droit européen. En cas de défaut de notification par l’État concerné, il appartient aussi, en dernière instance, à la Commission, sous le contrôle des juridictions européennes, de décider de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur.
B.7.3. Il résulte de cette procédure qu’une mesure qualifiée d’aide d’État au sens des articles 107 et 108 du TFUE ne saurait être considérée, a priori, sans décision de la Commission européenne, comme contraire au marché intérieur. Lorsque la Commission décide que tel est le cas concernant une aide existante, l’aide est supprimée ou modifiée dans un délai déterminé par elle. Lorsqu’il s’agit d’une aide nouvelle, le seul défaut de notification préalable à la Commission ne la rend pas incompatible avec le marché intérieur. Lorsqu’une aide nouvelle mise à exécution sans notification est jugée contraire au marché intérieur par la Commission, celle-ci en exige en principe la récupération.
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B.7.4. Partant, la Cour de justice « n’est pas compétente pour statuer sur la compatibilité d’une mesure nationale avec le droit de l’Union. Elle ne saurait davantage se prononcer sur la compatibilité d’une aide d’État ou d’un régime d’aides avec le marché intérieur, l’appréciation de cette compatibilité relevant de la compétence exclusive de la Commission européenne, agissant sous le contrôle du juge de l’Union (arrêt Fallimento Traghetti del Mediterraneo, C-140/09, EU:C:2010:335, point 22 et jurisprudence citée) » (CJUE, 16 juillet 2015, C-39/14, BVVG Bodenverwertungs- und -verwaltungs GmbH, point 19).
B.8. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
En ce qui concerne la première question préjudicielle
B.9. La première question préjudicielle porte sur la compatibilité de la disposition en cause avec l’article 170, § 4, de la Constitution, en ce qu’elle limite l’autonomie fiscale des communes.
B.10. L’article 170, § 4, de la Constitution dispose actuellement :
« Aucune charge, aucune imposition ne peut être établie par l’agglomération, par la fédération de communes et par la commune que par une décision de leur conseil.
La loi détermine, relativement aux impositions visées à l’alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée ».
Au moment de l’adoption de la loi du 18 mai 1960, l’article 110, alinéas 3 et 4, de la Constitution disposait :
« Aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil communal.
La loi détermine les exceptions dont l’expérience démontrera la nécessité, relativement aux impositions provinciales et communales ».
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B.11.1. Conformément à cette disposition, la commune dispose d’une compétence fiscale autonome, sauf lorsque la loi a déterminé ou détermine ultérieurement les exceptions dont la nécessité est démontrée.
La loi prise sur cette base constitutionnelle doit être interprétée restrictivement dès lors qu’elle limite l’autonomie fiscale des communes.
B.11.2. Contrairement à ce que soutient la commune de Schaerbeek, la circonstance que le législateur décrétal de la Communauté française n’a pas, par ses décrets du 12 décembre 1977
et du 14 juillet 1997, abrogé l’article 30 de la loi du 18 mai 1960, n’entraîne pas une appropriation, par ce législateur décrétal, du contenu de cette disposition. Partant, il faut considérer que l’exonération qu’elle contient est bien imputable à la loi du 18 mai 1960.
B.11.3. Comme il est dit en B.1.3, l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 tend à exonérer les « instituts » qu’il vise des impositions auxquelles l’État n’est pas soumis, notamment en matière de taxes et d’impôts communaux. Le législateur a ainsi fait usage du pouvoir que lui donnait l’article 110, alinéas 3 et 4, ancien, de la Constitution, pour éviter que les missions accordées aux « instituts » précités ne soient compromises par des impôts dus à d’autres pouvoirs taxateurs.
B.12. Comme il est dit en B.2.3, l’assimilation prévue par l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 est désormais applicable à la RTBF. Il appartient à la Cour de vérifier si la condition de « nécessité », précitée, demeure démontrée.
B.13.1. L’assimilation prévue par l’article 30 de la loi du 18 mai 1960 peut être considérée comme nécessaire, dès lors que la RTBF assure un service public, que ses biens sont affectés à un service rendu à la population et que son statut distinct justifie qu’elle soit soumise à des règles particulières : s’il est exact en effet que certaines de ses activités sont semblables à celle d’autres opérateurs, il reste qu’elle est tenue, conformément au décret du 14 juillet 1997 et au contrat de gestion conclu en vertu de celui-ci, à un certain nombre d’obligations de service
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public qui ne pèsent pas sur ces autres opérateurs, ni sur les autres redevables des impôts communaux.
B.13.2. Par ailleurs, la RTBF est notamment financée par une subvention affectée annuellement par la Communauté française, allouée en contrepartie de l’exécution de sa mission de service public conformément au contrat de gestion, ainsi que par les recettes de ses activités commerciales, étant entendu que les bénéfices nets de ces activités doivent être affectés intégralement au financement du coût net de sa mission de service public.
B.13.3. Enfin, contrairement à ce qui était prévu par la loi du 18 juin 1930 « sur la fondation de l’Institut national belge de radiodiffusion (INR) », la RTBF n’est pas exonérée de manière inconditionnelle des impositions communales. L’article 30, précité, se limite à assimiler le régime fiscal de la RTBF à celui de l’État, tel qu’il est interprété par la Cour de cassation.
B.14. Partant, le législateur a raisonnablement pu considérer comme nécessaire le principe de l’assimilation du régime fiscal de la RTBF à celui de l’État afin d’éviter que les missions de service public confiées à la RTBF soient compromises par des impôts dus à d’autres pouvoirs taxateurs.
B.15. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.
En ce qui concerne la seconde question préjudicielle
B.16. La seconde question préjudicielle porte sur la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu’elle crée une différence de traitement entre la RTBF et, d’une part, les opérateurs économiques exerçant des activités analogues et, d’autre part, la généralité des redevables des impôts communaux.
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B.17.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination. L’article 172 de la Constitution est une application particulière de ce principe en matière fiscale.
Le principe d’égalité en matière fiscale n’interdit pas au législateur de traiter de manière différente certaines contribuables, pour autant que la différence de traitement ainsi créée puisse se justifier raisonnablement.
B.17.2. Contrairement à ce que soutiennent la RTBF et la VRT, les catégories de personnes visées dans la seconde question préjudicielle sont suffisamment comparables. La RTBF exerce des activités de radio-télévision sur le même marché que d’autres opérateurs, et ce dans un contexte concurrentiel. Par ailleurs, elle est propriétaire d’immeubles de bureaux sur le territoire de la commune de Schaerbeek, comme peuvent l’être des personnes morales de droit privé.
B.18.1. La différence de traitement mentionnée en B.16 repose sur un critère objectif, à savoir le fait que la première catégorie de personnes mentionnée assure le service public de radio et de télévision de la Communauté française de Belgique, alors que les autres catégories de personnes ne sont pas chargées d’une telle mission.
B.18.2. Par rapport à l’objectif de l’article 30 de la loi du 18 mai 1960, à savoir éviter que les missions accordées à la RTBF soient compromises par des impôts dus à d’autres pouvoirs taxateurs, il est pertinent d’assimiler le régime fiscal de celle-ci en matière d’impôts communaux à celui de l’État, eu égard aux exonérations dont il bénéficie en matière fiscale.
B.18.3. Enfin, compte tenu du fait que les autres opérateurs de radio-télévision et, plus généralement, les personnes morales de droit privé propriétaires de bureaux sur le territoire de la commune de Schaerbeek, n’ont pas l’obligation d’assurer le service public de radio-télévision en Communauté française, l’assimilation du régime fiscal de la RTBF à celui de l’État en matière d’impositions communales n’a pas d’effets disproportionnés pour ces autres personnes morales, étant donné que cette mission entraîne un grand nombre d’obligations qui ne leur incombent pas.
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B.19. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 30 de la loi du 18 mai 1960 organique des Instituts de la Radiodiffusion-
Télévision belge ne viole pas les articles 10, 11, 170, § 4, et 172 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 septembre 2022.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 112/2022
Date de la décision : 22/09/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-09-22;112.2022 ?

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