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22/09/2022 | BELGIQUE | N°109/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 22 septembre 2022, 109/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 109/2022
du 22 septembre 2022
Numéros du rôle : 7543 et 7544
En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile », posées par le Tribunal de police du Hainaut, division de Charleroi.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 j

anvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée d...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 109/2022
du 22 septembre 2022
Numéros du rôle : 7543 et 7544
En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile », posées par le Tribunal de police du Hainaut, division de Charleroi.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par deux jugements du 18 mars 2021, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour le 26 mars 2021, le Tribunal de police du Hainaut, division de Charleroi, a posé les questions préjudicielles suivantes :
« A) Questions relatives à la constitutionnalité de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile
1. Les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile violent-ils ou non les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, en combinaison avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et les principes généraux de légalité et de sécurité juridique, ainsi qu’avec :
- les articles 12, alinéa 1er, 15, 16, 22 et 26 de la Constitution, - les articles 5, 8 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, - l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention;
- l’article 2 du protocole additionnel n° 4 de la Convention;
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- les articles 9, 12, 17, 21, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
en ce qu’ils ne précisent pas à suffisance l’ensemble, ou à tout le moins, l’un ou plusieurs des éléments suivants :
- la notion de ‘ circonstances dangereuses ’;
- le temps durant lequel le pouvoir de police administrative conféré au ministre, à son délégué ou au bourgmestre peut s’exercer;
- la notion de ‘ protection de la population ’ ou le type de mesures destinées à atteindre cet objectif;
- la manière dont le ministre, son délégué, ou le bourgmestre doivent porter leurs décisions à la connaissance de leurs administrés;
- suivant quelles modalités le ministre, son délégué, ou le bourgmestre peuvent obliger la population ‘ à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés ’, lui ‘ assigner un lieu de séjour provisoire ’, et ‘ interdire tout déplacement ou mouvement de la population ’ ?
2. L’article 182 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile viole-t-il ou non les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les principes de légalité, de sécurité juridique, et de séparation des pouvoirs, en ce qu’il ne prévoit pas de garanties procédurales à la différence de l’article 181 de la même loi ou de l’article 134 de la Nouvelle loi communale, dispositions qui s’appliquent également dans des situations de nature exceptionnelle et urgente ?
3. L’article 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile viole-t-il ou non les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu’avec l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et les principes de personnalité, d’individualisation et de proportionnalité des peines, en ce qu’il sanctionne des mêmes peines sans distinction aucune le refus d’une part, et d’autre part, la négligence de se conformer aux mesures prises sur la base des articles 181 et 182 de la loi ?
4. L’article 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile (éventuellement examiné en combinaison avec l’article 13 de la loi du 20 mai 2020 portant des dispositions diverses en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 et les articles 138 et 140 du Code d’instruction criminelle) viole(n)t-il(s) ou non les articles 10 et 11 de la Constitution, lu(s) en combinaison avec l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et les principes de personnalité, d’individualisation et de proportionnalité des peines, en ce qu’il(s) ne permet(tent) pas au juge pénal de modérer l’amende et la peine d’emprisonnement prévues par cette disposition, lorsqu’existent des circonstances atténuantes ?
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B) Questions relatives à l’interprétation conforme de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile
L’article 182, lu le cas échéant conjointement avec l’article 187 de la loi du 15 mai 2007
relative à la sécurité civile qui prévoit des sanctions pénales, viole-t-il ou non, les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu’avec les principes généraux de la séparation des pouvoirs, de l’Etat de droit, de légalité et de sécurité juridique, lus en combinaison avec :
- les articles 12, alinéa ler, 15, 16, 22 et 26 de la Constitution;
- les articles 10 et 11 de la Constitution;
- les articles 5, 6, 8, 11 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme;
- l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention;
- l’article 2 du protocole additionnel n° 4 de la Convention;
- les articles 9, 12, 14, 17, 21 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
1. s’il est interprété en ce sens qu’il habiliterait le ministre de l’Intérieur à interdire ‘ tout mouvement ou déplacement de la population ’ sans avoir ordonné aux services opérationnels de la protection civile de mettre en œuvre une mission d’évacuation ou d’éloignement de la population en danger dans une zone délimitée en vue d’assurer la protection physique et matérielle de la population ?
2. s’il est interprété en ce sens qu’il habiliterait le ministre de l’Intérieur à interdire de manière générale la présence des citoyens ou les déplacements des citoyens sur la voie publique, ou certains de ces déplacements sur l’ensemble du territoire national ?
3. s’il est interprété en ce sens qu’il habiliterait le ministre de l’Intérieur à interdire de manière générale les rassemblements ou certains d’entre eux sur la voie publique sur l’ensemble du territoire national ?
4. s’il est interprété en ce sens qu’il habiliterait le ministre de l’Intérieur à interdire de manière générale les contacts humains entre citoyens ?
5. s’il est interprété en ce sens qu’il habiliterait à interdire et à sanctionner pénalement pour des motifs de santé publique le fait pour un couple de se rencontrer ? ». (R. 7543)
OU
5. s’il est interprété en ce sens qu’il habiliterait à interdire et à sanctionner pénalement pour des motifs de santé publique l'exercice d'une activité physique et/ou ludique sur la voie publique en compagnie de deux enfants ? ». (R. 7544)
Ces affaires, inscrites sous les numéros 7543 et 7544 du rôle de la Cour, ont été jointes.
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Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- l’ASBL « VDP & C° » et l’ASBL « Abiqua », assistées et représentées par Me A. Haddouchi et Me S. Verbist, avocats au barreau d’Anvers (dans l’affaire n° 7543);
- Karin Verelst, Glenn Van der Velde, Annouk Brebels, Matthias Dobbelaere-Welvaert, Marie Liégois, Jens Hermans et Sophie Verjans, assistés et représentés par Me J. De Groote, avocat au barreau de Termonde (dans les deux affaires);
- l’ASBL « Ligue des droits humains » et l’ASBL «Centre d’accueil d’information jeunesse de Bruxelles Nord-Ouest », assistées et représentées par Me P. Delgrange, Me L. Lambert et Me T. Mitevoy, avocats au barreau de Bruxelles (dans les deux affaires);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me N. Bonbled, Me S. De Meue et Me C. Dupret Torres, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 20 avril 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 4 mai 2022 et les affaires mises en délibéré.
À la suite des demandes de plusieurs parties à être entendues, la Cour, par ordonnance du 4 mai 2022, a fixé l’audience au 8 juin 2022.
À l’audience publique du 8 juin 2022 :
- ont comparu :
. Me J. Claes, avocat au barreau d’Anvers, loco Me S. Verbist, pour l’ASBL « VDP &
C° » et l’ASBL « Abiqua » (parties intervenantes dans l’affaire n° 7543);
. Me J. De Groote, pour Karin Verelst et autres (parties intervenantes dans les deux affaires);
. Me P. Delgrange, Me L. Lambert et Me T. Mitevoy, pour l’ASBL « Ligue des droits humains » et l’ASBL « Centre d’accueil d’information jeunesse de Bruxelles Nord-Ouest »
(parties intervenantes dans les deux affaires);
. Me N. Bonbled et Me C. Dupret Torres, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- les affaires ont été mises en délibéré.
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Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et les procédures antérieures
Le 23 mars 2020, le ministre de l’Intérieur prend un arrêté « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 », qui est publié le jour même au Moniteur belge. Le 17 avril 2020, le même ministre prend un autre arrêté, qui modifie entre autres les articles 5 et 8 de l’arrêté précité du 23 mars 2020.
Tant dans sa version initiale que dans sa version modifiée, l’article 5 de l’arrêté ministériel dispose que les « rassemblements » sont interdits, sauf dans les quelques circonstances qu’il énonce. Quant à l’article 8 du même arrêté, il dispose, tant dans sa version initiale que dans sa version modifiée, que les « personnes sont tenues de rester chez elles » et qu’il est « interdit de se trouver sur la voie publique et dans les lieux publics, sauf en cas de nécessité et pour des raisons urgentes » telles que celles qu’énonce cette disposition. Selon l’article 10, § 1er, du même arrêté ministériel, la personne qui enfreint les règles précitées encourt les peines établies à l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile » (ci-après : la loi du 15 mai 2007).
Le 31 mars 2020, à Châtelet, la police interpelle S.M., domiciliée à Charleroi, alors qu’elle est en train de discuter avec son ancien compagnon, lequel n’est pas domicilié à la même adresse qu’elle, dans une voiture stationnée sur la voie publique. Le 22 avril 2020, à Charleroi, la police interpelle F.B. alors qu’il est en train de jouer au football sur la voie publique à une centaine de mètres de son domicile avec deux jeunes enfants qui ne sont pas des membres de sa famille vivant sous son toit.
Par des assignations du 18 janvier 2021, S.M. et F.B. sont cités à comparaître devant le Tribunal de police du Hainaut, division de Charleroi par le ministère public, qui leur reproche d’avoir enfreint les interdictions et l’obligation édictées aux articles 5 et 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020, alors qu’ils ne se trouvaient pas dans l’une des situations justifiant le non-respect de ces règles. Après avoir observé que le tribunal correctionnel du Hainaut, division de Charleroi, par jugement du 9 février 2021, a décidé que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 habilitait le ministre de l’Intérieur à adopter ces règles, le Tribunal de police du Hainaut décide, d’office, de poser à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut.
III. En droit
-A-
Quant à l’intérêt des parties ayant déposé un mémoire en application de l’article 87, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle
A.1. Karin Verelst, Glenn Van der Velde, Annouk Brebels, Matthias Dobbelaere-Welvaert, Marie Liégeois, Jens Hermans et Sophie Verjans (ci-après : Karin Verelst et ses consorts) déduisent leur intérêt à adresser un mémoire à la Cour en application de l’article 87, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 1989) du fait que les dispositions législatives en cause autorisent des autorités administratives et des juridictions pénales à prendre des mesures privatives de liberté. Ils considèrent donc que ces dispositions législatives touchent à un aspect essentiel de la liberté de tout citoyen.
Les six premières personnes précitées ajoutent qu’elles ont introduit au Conseil d’État un recours en annulation de l’article 16 de l’arrêté ministériel du 18 octobre 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID–19 », relatif au couvre-feu. Elles considèrent que la réponse que la Cour donnera aux questions préjudicielles pourra influencer la décision du Conseil d’État, puisque l’arrêté qu’elles attaquent devant cette juridiction a été pris en application des articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007.
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Sophie Verjans, quant à elle, ajoute qu’elle a interjeté appel de sa condamnation par le Tribunal de police néerlandophone de Bruxelles pour non-respect de l’article 8 de l’arrêté ministériel du 18 mars 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 », et qu’elle pourrait obtenir son acquittement si la Cour jugeait que les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 sont inconstitutionnels, puisque ces dispositions constituent le fondement juridique de l’arrêté précité.
A.2. VDP & C° et Abiqua déduisent leur intérêt à adresser un mémoire à la Cour en application de l’article 87, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 de leur qualité de partie requérante dans des procédures juridictionnelles pendantes.
Le 11 décembre 2020, VDP & C° a introduit au Conseil d’État un recours en annulation de l’article 8 de l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 » et de l’article 4 de l’arrêté ministériel du 28 novembre 2020, dans la mesure où le second modifie le premier. Le même jour, la même société a aussi demandé au Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles de déclarer que l’arrêté du 28 novembre 2020 doit rester inappliqué en raison de son illégalité. Le 8 avril 2011, Abiqua a introduit au Conseil d’État un recours en annulation de l’article 6 de l’arrêté ministériel du 6 février 2021 « modifiant l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 ».
Les sociétés intervenantes observent que le préambule des trois arrêtés ministériels dont la légalité est contestée devant le Conseil d’État ou devant le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles contient une référence aux articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007, qui font l’objet des questions préjudicielles.
Elles soulignent qu’une décision de la section du contentieux administratif du Conseil d’État ou du Tribunal précité sur le fondement législatif de ces arrêtés dépend donc de la réponse que la Cour donnera à ces questions préjudicielles. Elles relèvent que, dans l’avis qu’elle a rendu le 23 avril 2021 sur un projet d’arrêté ministériel tendant à modifier l’arrêté précité du 28 octobre 2020, la section de législation du Conseil d’État n’a reconnu le pouvoir du ministre de l’Intérieur de prendre les mesures examinées que sous la réserve expresse de la réponse que la Cour donnera aux questions préjudicielles portant sur les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007.
A.3. L’ASBL « Ligue des droits humains » (ci-après : la Ligue) expose qu’elle justifie d’un intérêt à adresser un mémoire à la Cour en application de l’article 87, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, dès lors que les dispositions législatives en cause, qui établissent des sanctions pénales, sont, selon elle, susceptibles de porter une atteinte arbitraire aux droits d’un individu ou d’une collectivité ou aux principes d’égalité, de liberté et d’humanisme qu’elle a pour but statutaire de défendre. Elle précise que les dispositions en cause ne lui semblent pas constituer un fondement législatif suffisant pour restreindre des droits et libertés.
L’ASBL « Centre d’accueil et d’information jeunesse de Bruxelles » (ci-après : « Infor Jeunes Bruxelles »)
affirme que son but statutaire, qui consiste en substance à informer, à aider, à écouter, à conseiller et à défendre les jeunes, suffit à établir qu’il dispose d’un intérêt au sens de l’article 87, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
Ces deux associations ajoutent qu’elles ont introduit au Conseil d’État un recours en annulation de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-
19 », ainsi que des arrêtés ministériels des 3, 17 et 30 avril 2020 et 8, 15 et 20 mai 2020 qui ont modifié l’arrêté du 23 mars 2020. Elles considèrent que la réponse que la Cour donnera aux questions préjudicielles pourra influencer la décision du Conseil d’État, puisque tous les arrêtés précités ont été pris en application des articles 182
et 187 de la loi du 15 mai 2007.
Quant à la première question préjudicielle dans les affaires n os 7543 et 7544
A.4.1. Karin Verelst et ses consorts estiment que la question appelle une réponse affirmative.
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A.4.2. Ils exposent d’abord que l’article 187 de la Constitution empêche d’interpréter les articles 182 et 187
de la loi du 15 mai 2007 comme autorisant le ministre qu’ils désignent à suspendre les droits fondamentaux, en édictant par exemple une interdiction générale d’utiliser l’espace public ou une obligation de ne se déplacer que dans un périmètre déterminé.
Ils expliquent en outre que, si elles sont interprétées comme habilitant le ministre compétent à instaurer un couvre-feu, les dispositions législatives en cause violent l’article 187, lu isolément ou en combinaison avec l’article 12, alinéa 1er, de la Constitution.
A.4.3. Karin Verelst et ses consorts exposent ensuite que, dans la mesure où il ne détermine pas les limites temporelles ou spatiales des mesures d’évacuation et d’interdiction de déplacement que le ministre peut imposer à la population et où il permet l’adoption de mesures préventives et de police qui ne sont pas des mesures civiles, l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 viole l’article 187 de la Constitution, lu isolément ou en combinaison avec les articles 12, alinéa 1er, 14, 16, 22 et 26 de la Constitution, avec les articles 5, 8 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à cette Convention, avec l’article 2 du Protocole additionnel n° 4 à la même Convention et avec les articles 9, 12, 17 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Ils soulignent que les termes « circonstances dangereuses » et « protection de la population », employés à l’article 182 de la loi du 15 mai 2007, sont trop vagues.
Ils considèrent également que, pour les motifs qui sont exposés à propos de la dernière question préjudicielle posée dans les décisions de renvoi, les dispositions en cause n’offrent pas un fondement légal suffisamment clair en ce qui concerne l’adoption de mesures qui restreignent la protection de la vie privée et familiale, la protection du domicile, le droit de propriété et la liberté d’association.
A.5. VDP & C° et Abiqua soutiennent que les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 violent les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, en ce qu’ils ne précisent pas suffisamment les éléments essentiels qui doivent définir le comportement pénalement répréhensible. Les deux sociétés précisent néanmoins que l’article 187 est suffisamment clair, mais que c’est l’imprécision de certains termes de l’article 182 qui empêche le justiciable d’adapter son comportement aux interdits de la loi.
Elles exposent à ce sujet que la loi du 15 mai 2007, en particulier son article 182, n’est pas applicable aux crises de longue durée telles que les situations de pandémie. Elles déduisent, entre autres, de l’objectif de cette loi, de sa structure, des travaux préparatoires de son article 11, § 1er, 1°, des termes de son article 182, ainsi que de certaines mesures adoptées en application de cette dernière disposition pour limiter la propagation du « coronavirus COVID-19 » que cette loi n’est applicable qu’à des évènements graves et momentanés qui affectent une zone délimitée du territoire national.
Selon les deux sociétés intervenantes, le manque de clarté des mots « circonstances dangereuses », « s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés » et « interdire tout déplacement ou mouvement de la population » a permis à un ministre, qui s’est appuyé sur ces termes, de prendre plusieurs arrêtés ministériels instaurant un confinement généralisé sur l’ensemble du territoire et interdisant même à des personnes habitant dans une maison isolée construite sur une colline forestière de quitter leur domicile. Elles soulignent que la circonstance que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 habilite le ministre à prendre des mesures manifestement incompatibles avec ses termes et son objectif démontre que les termes de cette disposition législative ne sont pas suffisamment clairs pour permettre à toute personne de déterminer si son comportement l’expose à une sanction pénale.
A.6.1. La Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles » soutiennent que, si l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 est interprété comme s’appliquant aux situations d’épidémie et comme autorisant l’adoption de mesures sanitaires autres que des mesures d’évacuation valables quelques jours dans une zone géographique limitée, les articles 182
et 187 de cette loi violent les dispositions internationales mentionnées dans la première question, pour les motifs qui y sont indiqués.
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A.6.2. La Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles » reprochent d’abord à l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 de ne pas préciser ce que visent les termes « circonstances dangereuses ». Les deux associations estiment que la seule circonstance que plusieurs tribunaux ont décidé que cette disposition ne s’applique pas aux situations d’épidémie démontre que le champ d’application de l’habilitation prévue par cette disposition n’est pas défini de manière suffisamment précise. Elles considèrent aussi qu’en définissant la « situation d’urgence épidémique » dans la loi du 14 août 2021 « relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique » (ci-
après : la loi du 14 août 2021) et en concevant une procédure de déclaration d’une situation de ce type, le pouvoir législatif fédéral reconnaît implicitement que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 n’est pas conforme au principe de légalité.
A.6.3. La Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles » reprochent aussi à l’article 182 de la loi du 15 mai 2007
d’attribuer à un ministre l’exercice d’un pouvoir réglementaire. Les deux associations soutiennent que le pouvoir législatif ne peut déléguer directement un pouvoir à un ministre que lorsqu’il n’est pas possible de réunir le Conseil des ministres, et que seul le Roi est désigné par la Constitution pour exercer un pouvoir réglementaire. Elles considèrent aussi qu’en déléguant au Roi, et non à un ministre, le pouvoir de prendre les mesures mentionnées dans la loi du 14 août 2021, le pouvoir législatif fédéral reconnaît implicitement que l’habilitation au ministre que contient l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 n’est pas conforme à la Constitution.
A.6.4. La Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles » exposent ensuite que l’habilitation que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 confère au pouvoir exécutif aurait dû être davantage encadrée par la mention des objectifs à atteindre et par une liste limitative de mesures définies avec suffisamment de précision, à l’instar de ce qui est prévu par la loi du 14 août 2021. Les deux associations estiment que l’existence de controverses juridiques relatives aux mesures que le ministre peut prendre en vertu de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 démontre le manque de précision de l’habilitation.
Elles considèrent que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 vise uniquement la protection matérielle de la population, et non le contrôle ou le maintien de l’ordre.
Elles rappellent aussi que c’est au pouvoir législatif qu’il revient de définir les aspects essentiels des comportements qu’il érige en infraction. Elles estiment qu’en l’espèce, le pouvoir législatif aurait dû indiquer les éléments essentiels des comportements que le ministre est habilité à interdire ou à imposer en vertu de l’article 182
de la loi du 15 mai 2007, puisque, selon l’article 187 de la même loi, celui qui refuse ou néglige de respecter les mesures ministérielles peut être pénalement sanctionné.
Les deux associations intervenantes ajoutent que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 viole les articles 15, 16, 22 et 26 de la Constitution, puisqu’il habilite le ministre à prendre des mesures qui restreignent nécessairement les droits fondamentaux.
A.7.1. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle appelle une réponse négative parce que les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007, qui doivent s’interpréter strictement, sont compatibles avec le principe de la légalité en matière pénale.
A.7.2. Le Conseil des ministres expose que, compte tenu des circonstances exceptionnelles dans lesquelles les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 sont applicables, la délégation au ministre que ces dispositions contiennent est suffisamment précise, et il énonce les éléments essentiels de l’incrimination en cause ainsi que les sanctions qui s’y rapportent.
Il estime que la loi indique clairement l’objectif poursuivi, à savoir le respect par les citoyens de mesures destinées à assurer la protection de la population en cas de circonstances dangereuses par le contrôle et le maintien de l’ordre dans des zones affectées par une catastrophe ou un incident, tels qu’une épidémie. Le Conseil des ministres relève aussi que l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 énonce clairement la substance des comportements punissables, à savoir le refus ou la négligence de se conformer à des mesures de crise dont le contenu précis dépend de la nature de l’incident ou de la calamité qui les justifient. Il souligne qu’une définition législative plus précise des comportements ordonnés ou interdits par de telles mesures compromettrait leur efficacité. Le Conseil des ministres indique que le taux de la peine liée aux comportements réprimés est aussi clairement indiqué par la loi.
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Le Conseil des ministres soutient qu’il est impossible pour le pouvoir législatif d’envisager et donc de lister l’ensemble des mesures concrètes qui peuvent être prises pour protéger la population en cas de circonstances dangereuses très diverses. Il estime que, si le pouvoir législatif procédait de la sorte, il empêcherait les autorités d’ajuster rapidement leurs décisions aux nécessités de la gestion d’une crise. Le Conseil des ministres considère que le nombre important de modifications successives apportées à l’arrêté ministériel du 28 octobre « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 » démontre la nécessité pour les autorités de pouvoir répondre rapidement et de manière flexible aux évolutions successives d’une situation de crise visée à l’article 182 de la loi du 15 mai 2007, telle une épidémie.
A.7.3. Le Conseil des ministres expose en outre que, compte tenu des enseignements de la section de législation du Conseil d’État, le pouvoir législatif peut attribuer un pouvoir réglementaire à un ministre lorsqu’il existe des raisons objectives qui requièrent une intervention urgente du pouvoir exécutif, comme dans le cas d’une épidémie. Il observe que le Conseil d’État n’a émis aucune objection à ce sujet lors des travaux préparatoires de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007.
Le Conseil des ministres ajoute qu’il est logique d’habiliter le ministre de l’Intérieur à prendre des mesures de sécurité civile comme l’éloignement, l’évacuation et le confinement, eu égard aux pouvoirs de police administrative qui lui ont été attribués au fil du temps par des lois antérieures, telles que la loi du 31 décembre 1963 « sur la protection civile » et la loi du 5 août 1992 « sur la fonction de police ».
Quant à la deuxième question préjudicielle dans les affaires n os 7543 et 7544
A.8.1. VDP & C° et Abiqua soutiennent que la question appelle une réponse affirmative. Ces deux sociétés estiment que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il n’énonce aucune garantie procédurale du type de celles dont il est question à l’article 181, § 1er, de la même loi et à l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale.
A.8.2. Les deux sociétés intervenantes exposent d’abord que les circonstances dans lesquelles le ministre peut exercer le pouvoir de réquisition qui lui est attribué par l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 sont des circonstances dangereuses au sens de l’article 182 de la même loi. Elles observent que ni cette loi ni ses travaux préparatoires ne justifient objectivement et raisonnablement la décision de ne pas assortir le pouvoir que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 confère au ministre de garanties procédurales identiques à celles que prévoit l’article 181, § 1er, de la même loi.
A.8.3. Les deux sociétés intervenantes exposent ensuite qu’en vertu de l’article 182, alinéa 2, de la loi du 15 mai 2007, le bourgmestre peut, dans des circonstances identiques à celles qui sont mentionnées à l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale, prendre des mesures limitant radicalement des droits fondamentaux sans devoir se justifier à ce propos devant le conseil communal, alors qu’il devrait communiquer ces mesures à cette assemblée et l’informer des raisons pour lesquelles elle n’est pas consultée s’il prenait ce type de mesure en vertu de cette dernière disposition.
A.9.1. La Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles » soutiennent aussi que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007
viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.9.2. Les deux associations considèrent que les personnes visées par les mesures prises en application de cette disposition législative se trouvent dans une situation comparable à celle des personnes qui sont visées par les mesures prises en application de l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 ou en application de l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale, puisqu’il s’agit dans tous les cas de mesures urgentes qui portent atteinte aux droits fondamentaux.
Elles estiment que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 fait naître une différence de traitement discriminatoire entre les deux catégories de personnes précitées parce que les mesures que cette disposition législative prévoit ne font l’objet ni d’un encadrement a priori similaire à celui que définit l’arrêté royal du 25 avril 2014 « fixant les modalités du pouvoir de réquisition visé à l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 relative à la
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sécurité civile » ni d’un contrôle a posteriori par une assemblée démocratiquement élue du type de celui qu’exige l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale.
A.9.3. Les deux associations intervenantes soulignent que les trois dispositions législatives précitées habilitent le pouvoir exécutif à prendre des mesures en cas de circonstances dangereuses.
Elles observent aussi que l’encadrement de la délégation au Roi que contient l’article 1er de la loi sanitaire du 1er septembre 1945 présente des similitudes avec les garanties qui découlent de l’article 181, § 1er, de la loi du 15 mai 2007.
Elles relèvent enfin que la circonstance que d’autres lois contiendraient des délégations au pouvoir exécutif en matière sanitaire ne peut suffire à considérer que la différence de traitement qui résulte de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 est proportionnée, dès lors que ces délégations ne sont pas comparables à celle que contient la disposition législative en cause et qu’elles ne sont elles-mêmes pas nécessairement proportionnées.
A.10.1. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.10.2. Il expose d’abord que, compte tenu des importantes différences entre les mesures de réquisition visées à l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 et les mesures que le ministre est habilité à prendre en vertu de l’article 182 de la même loi, la situation des personnes visées par les premières mesures n’est pas comparable à celle des personnes visées par les secondes. Le Conseil des ministres considère que ces différences suffisent à établir à tout le moins que la disposition législative en cause n’est pas discriminatoire.
Le Conseil des ministres relève à ce propos que la réquisition ministérielle est une mesure individuelle qui porte grandement atteinte à la liberté individuelle et au droit de propriété et dont les modalités d’adoption doivent donc être préalablement réglées par voie de disposition générale, afin d’éviter la discrimination et l’arbitraire. Il souligne que les mesures ministérielles adoptées en vertu de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007, en revanche, ont généralement un caractère réglementaire et ne portent pas directement atteinte au droit de propriété. Il remarque aussi que, tant en ce qui concerne ces dernières mesures qu’en ce qui concerne la réquisition, la loi laisse au ministre de l’Intérieur une importante marge d’appréciation, puisque les pouvoirs qui lui sont attribués concernent le domaine du maintien de l’ordre.
A.10.3.1. Le Conseil des ministres expose ensuite que la situation des personnes visées par les mesures que le ministre est habilité à prendre en vertu de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 n’est pas comparable à la situation des personnes visées par les mesures que le bourgmestre peut prendre en vertu de l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale.
En premier lieu, il souligne que les relations institutionnelles entre le pouvoir exécutif fédéral et la Chambre des représentants diffèrent fondamentalement des relations institutionnelles entre un bourgmestre et le conseil communal.
En deuxième lieu, il rappelle que le pouvoir conféré au ministre par l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 est substantiellement différent du pouvoir attribué au bourgmestre par l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale, puisque le premier relève de la police administrative spéciale, tandis que le second relève de la police administrative générale. Il précise que ces deux pouvoirs ne sont pas comparables, puisque celui qui est attribué au ministre vise la protection matérielle de la population et a été explicitement distingué des mesures de police administrative générale lors des travaux préparatoires de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007.
En troisième lieu, il observe en troisième lieu que l’objectif que le ministre poursuit lorsqu’il prend des mesures en exécution de cette disposition législative est très différent de l’objectif que poursuit le bourgmestre lorsqu’il applique l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale. Il relève que le ministre a pour mission de protéger la population et de rétablir l’ordre public troublé par des circonstances dangereuses telles que des menaces d’attentats terroristes, des évènements calamiteux, des catastrophes et des sinistres comme des incendies, des inondations, des crises d’ordre sanitaire ou des accidents graves, tandis que le pouvoir précité du bourgmestre concerne des évènements graves, nouveaux, soudains et imprévus, localisés sur le territoire d’une seule commune et qui appellent une réaction rapide en vue d’éviter que les habitants soient exposés à des dangers ou à des dommages.
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A.10.3.2. Le Conseil des ministres expose ensuite, à titre subsidiaire, que même à supposer que la Cour estime que la situation des personnes visées par les mesures ministérielles prises en exécution de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 est comparable à la situation des personnes visées par les mesures prises en exécution de l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale, elle devrait constater que la différence de traitement entre ces deux catégories de personnes est objectivement et raisonnablement justifiée.
Le Conseil des ministres relève que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 a pour objectif d’assurer la protection de la population dans des circonstances dangereuses qui sont exceptionnelles. Il rappelle que les mesures de police administrative que le ministre peut prendre en application de cette disposition législative doivent toujours être nécessaires, adéquates, proportionnées à l’objectif poursuivi et conformes aux normes de valeur supérieure.
Le Conseil des ministres observe enfin que plusieurs normes fédérales, régionales ou communautaires attribuent et réservent au pouvoir exécutif de larges compétences de police administrative spéciale dans le domaine de la santé publique.
Quant à la troisième question préjudicielle dans les affaires n os 7543 et 7544
A.11.1. Karin Verelst et ses consorts estiment que la question appelle une réponse affirmative.
A.11.2. Ils considèrent qu’une personne qui ne respecte pas un ordre ou une interdiction par manque de précaution ou de prudence doit être traitée différemment d’une personne qui ne respecte pas cet ordre ou cette interdiction parce qu’elle est animée d’une intention criminelle. Ils estiment qu’en ce qu’il ne permet pas de traiter différemment ces deux catégories de personnes, l’article 187 de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 182 de la même loi, viole le principe d’égalité et de non-discrimination.
Ils exposent que, même lorsque la négligence de se conformer à une loi est érigée en infraction, l’auteur du délit ne peut être puni que s’il a connaissance du fait de l’infraction. Ils ajoutent que la négligence consiste en un défaut de prévoyance ou de précaution et que les concepts de négligence et d’intention doivent toujours être bien distingués parce qu’ils renvoient à des comportements qui emportent des appréciations morales différentes.
A.12.1. VDP & C° et Abiqua soutiennent que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative. Les sociétés intervenantes estiment que l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il dispose que la personne qui néglige de se conformer aux mesures prises en application de l’article 182 de la même loi est punie des mêmes peines que celle qui refuse de se conformer à ces mesures.
A.12.2. Les sociétés intervenantes exposent que ces deux catégories de personnes se trouvent dans des situations essentiellement différentes. Elles considèrent que ce refus et cette négligence ne peuvent pas être traités de la même manière parce que ces deux délits n’appartiennent pas à la même catégorie de délits et parce que les contributions de leurs auteurs respectifs ont des caractères différents.
Elles précisent que le refus est un délit d’action qui suppose un acte positif d’une personne qui choisit de ne pas respecter une mesure, alors que la négligence est un délit d’abstention commis par une personne qui s’abstient de respecter la mesure par son comportement passif.
A.13.1. La Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles » soutiennent aussi que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.13.2. Les deux associations intervenantes considèrent que l’infraction décrite à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 ne peut être qualifiée d’« infraction réglementaire », puisque le texte mentionne explicitement le « refus » et la « négligence » de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 182 de la même loi. Elles précisent que le refus traduit une volonté délibérée et un acte posé en connaissance de cause, tandis que la négligence s’apparente au défaut de prévoyance ou de précaution ou au non-
respect non intentionnel des mesures.
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A.13.3. Les deux associations soutiennent que la situation de la personne qui refuse délibérément de se conformer à ce type de mesure est essentiellement différente de la situation de la personne qui ne se conforme pas à ce type de mesure en raison d’une simple négligence, en ce que ce refus est plus grave que cette négligence.
A.13.4. Les deux associations exposent ensuite qu’il n’est pas raisonnablement justifié d’exposer l’auteur d’une telle négligence, même légère, aux mêmes peines que l’auteur d’un refus de se conformer à ces mesures.
Elles observent que les travaux préparatoires de la loi du 15 mai 2007 ne permettent pas d’identifier l’objectif légitime que poursuit l’identité de traitement mise en cause dans la question préjudicielle.
Elles ajoutent qu’à supposer que l’objectif poursuivi soit de faire respecter des mesures ministérielles prises pour assurer le droit à la santé des citoyens, l’identité de répression pénale entre des comportements très différents n’est pas raisonnablement proportionnée à la réalisation de cet objectif. Les associations intervenantes précisent que l’instrument pénal doit toujours rester le moyen ultime d’atteindre un objectif parce qu’il est celui qui porte le plus atteinte aux libertés. Elles considèrent que la stigmatisation pénale d’une négligence même légère est disproportionnée.
A.14.1. Le Conseil des ministres expose à titre principal que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, d’une part, parce que ni le texte de ces questions ni les motifs des décisions de renvoi n’identifient des catégories de personnes dont la situation devrait être examinée à la lumière du principe d’égalité et de non-
discrimination et, d’autre part, parce que ce texte et ces motifs ne permettent pas non plus de comprendre en quoi la disposition législative en cause serait incompatible avec les dispositions internationales et les principes mentionnés dans la question préjudicielle.
A.14.2.1. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres expose que la question préjudicielle appelle une réponse négative parce que l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il traite la personne poursuivie pour avoir négligé de se conformer aux mesures prises en application de l’article 182 de la même loi de la même manière que celle qui est poursuivie pour avoir refusé de se conformer à ces mesures.
A.14.2.2. Le Conseil des ministres allègue que rien n’interdit de réprimer une désobéissance involontaire de la même manière que la désobéissance intentionnelle. Il relève que ni la section de législation du Conseil d’État ni le Conseil supérieur de la justice n’ont émis la moindre critique sur la règle similaire à celle de l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 qui figurait dans l’avant-projet de loi à l’origine de la loi du 14 août 2021.
Il note aussi que l’élément fautif de l’incrimination décrite à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007
peut se déduire du simple constat que la personne poursuivie n’a pas respecté les mesures ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi.
A.14.2.3. Le Conseil des ministres considère qu’au regard de la loi du 15 mai 2007, la situation de la personne qui adopte intentionnellement un comportement incivique n’est pas essentiellement différente de la situation de la personne dont l’incivisme résulte d’une négligence. Il précise que, compte tenu du fait que les mesures ordonnées en application de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 visent à assurer la protection de la population en cas de circonstances dangereuses, les conséquences d’un comportement égoïste sur la politique que traduisent ces mesures sont les mêmes que celles d’un comportement négligent ou involontaire révélant du désintérêt pour le sort de ses concitoyens.
A.14.2.4. Le Conseil des ministres ajoute qu’il est raisonnablement justifié et proportionné de traiter de la même manière celui qui refuse de se conformer aux mesures précitées et celui qui néglige de le faire.
Il commence par souligner que l’objectif légitime de cette identité de traitement est d’assurer le respect de mesures de police spéciale qui tendent à éviter le chaos ou le désordre dans des circonstances dangereuses constitutives d’une crise. Il soutient que l’objectif fondamental de l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 est de protéger le droit à la vie et le droit à la santé, et que, par son effet de dissuasion, la répression pénale est l’instrument
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le plus efficace pour protéger ces droits fondamentaux, qui sont mis en danger par les circonstances justifiant l’adoption de mesures visées à l’article 182 de cette loi.
Le Conseil des ministres observe enfin que le tribunal dispose de plusieurs instruments pour tenir compte de la nature et de la gravité du comportement réprimé lorsqu’il doit décider de la hauteur de la peine à infliger. Il souligne que les peines minimales et maximales que fixe l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 laissent au juge un grand pouvoir d’appréciation, qui lui permet, entre autres, de prendre en considération l’évolution des comportements réprimés. Il remarque que le tribunal peut aussi envisager une peine de surveillance électronique, une peine de travail ou une peine de probation autonome, voire une suspension du prononcé ou un sursis à l’exécution de la peine.
Quant à la quatrième question préjudicielle dans les affaires n os 7543 et 7544
A.15.1. Karin Verelst et ses consorts estiment que la question appelle une réponse affirmative.
A.15.2. Ils exposent que l’article 13 de la loi du 20 mai 2020 « portant des dispositions diverses en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 » (ci-après : la loi du 20 mai 2020) viole l’article 13 de la Constitution en ce qu’il attribue temporairement au tribunal de police la compétence de juger ceux qui enfreignent les ordres ministériels donnés en application des articles 181 et 182 de la loi du 15 mai 2007.
A.16.1. VDP & C° et Abiqua soutiennent que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.16.2. Les sociétés intervenantes estiment d’abord que l’article 13 de la loi du 20 mai 2020 ne respecte pas le « principe de bonne réglementation » parce que l’extension précitée de la compétence du tribunal de police est sans rapport avec l’objectif poursuivi par cette loi et parce que les auteurs de la version néerlandaise de cette disposition législative ont utilisé le mot « contraventions » pour qualifier des infractions qui sont en réalité des délits.
A.16.3. Les sociétés intervenantes exposent ensuite qu’en attribuant au tribunal de police la compétence de juger ceux qui enfreignent les ordres ministériels donnés en application de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007, l’article 187 de cette loi, lu en combinaison avec l’article 13 de la loi du 20 mai 2020, viole l’article 13, lu en combinaison avec les articles 10 et 11, de la Constitution. Elles soutiennent qu’en dérogeant à l’article 179 du Code d’instruction criminelle, cette attribution de compétence prive ces personnes de l’accès à leur juge naturel, au profit d’un juge qui, comme le montrent les peines de prison excessives prononcées depuis lors par les tribunaux de police, n’est pas habitué au jugement des délits.
A.16.4. Les sociétés intervenantes considèrent enfin que l’article 13 de la loi du 20 mai 2020 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il fait naître une différence de traitement discriminatoire entre, d’une part, les auteurs des délits visés à l’article 187 de la loi du 15 mai 2007, qui sont désormais jugés par le tribunal de police et, d’autre part, les auteurs d’autres délits, qui restent jugés par le tribunal correctionnel, en application de l’article 179 du Code d’instruction criminelle.
A.17.1. La Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles » soutiennent aussi que la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.17.2. Les deux associations intervenantes exposent dans un premier temps que la situation de l’auteur d’une infraction à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 est comparable à la situation des personnes qui commettent une infraction au Code pénal, telle que celles qui sont établies aux articles 546/1, 545 et 563bis de ce Code, de même qu’à la situation des auteurs de délits visés à l’article 138 du Code d’instruction criminelle qui peuvent bénéficier de circonstances atténuantes au sens de l’article 85 du Code pénal.
Elles relèvent ensuite que l’impossibilité pour le tribunal de police de tenir compte de telles circonstances au moment de déterminer la peine à infliger à l’auteur d’une infraction visée à l’article 13 de la loi du 20 mai 2020
ne peut être pertinemment justifiée par le seul fait que l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 laisse au juge une
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grande latitude dans le choix de la peine. Elles remarquent à ce sujet que de nombreuses dispositions du Code pénal ou de lois pénales particulières dont le non-respect est de la compétence du tribunal correctionnel en application de l’article 138 du Code d’instruction criminelle laissent au juge une plus grande latitude encore dans le choix de la peine à infliger, alors que celui-ci peut, au bénéfice des auteurs des infractions concernées, admettre des circonstances atténuantes l’autorisant à réduire la peine en dessous du minimum prévu par ces dispositions.
Les associations intervenantes soutiennent enfin qu’à supposer que l’interdiction faite au tribunal compétent d’admettre des circonstances atténuantes au bénéfice de la personne qui ne s’est pas conformée aux mesures prises en application de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 ait pout but de protéger la sécurité et la santé de la population, la différence de traitement qui en résulte n’est ni nécessaire ni proportionnée au regard de l’ampleur des restrictions aux droits fondamentaux qui résultent de ces mesures et de la hauteur des peines minimales établies par l’article 187, alinéa 1er, de la même loi. Les associations intervenantes remarquent aussi qu’à la suite de l’avis du Conseil supérieur de la justice relatif à l’avant-projet de loi qui est à l’origine de la loi du 14 août 2021, le pouvoir législatif a retenu, pour cette loi, une peine d’amende minimale moins forte que celle qui est établie à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 et que cette loi autorise le tribunal compétent à admettre des circonstances atténuantes au sens de l’article 85 du Code pénal. Elles observent aussi, de manière plus générale, que les peines alternatives ainsi que la suspension du prononcé et le sursis au sens de la loi du 29 juin 1964
« concernant la suspension, le sursis et la probation » (ci-après : la loi du 29 juin 1964) n’ont pas le même objectif que les circonstances atténuantes, qui autorisent le tribunal à infliger une peine inférieure au minimum légal. Les associations intervenantes remarquent également que la loi sanitaire du 1er septembre 1945, qui attribue au Roi le pouvoir de prendre des mesures de lutte contre les épidémies, autorise le tribunal compétent pour juger les infractions à ces mesures à infliger, en cas de circonstances atténuantes, une peine moins forte que la peine minimale prévue par cette loi.
A.18.1.1. Le Conseil des ministres expose, à titre principal, que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse.
A.18.1.2. En premier lieu, il observe que ni le libellé de ces questions ni les motifs des décisions de renvoi ne permettent d’identifier avec précision et certitude les catégories de personnes qui seraient traitées différemment par la loi.
Il remarque aussi que les motifs des décisions de renvoi ne permettent pas non plus de comprendre en quoi la disposition législative en cause violerait les autres normes de rang supérieur qui sont mentionnées dans la question.
A.18.1.3 En deuxième lieu, il soutient que si la question préjudicielle est interprétée comme interrogeant la Cour sur la constitutionnalité d’une différence de traitement entre, d’une part, la personne qui refuse ou néglige de se conformer à un arrêté ministériel pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 et portant des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus COVID-19 et, d’autre part, la personne qui commet une infraction définie dans le Code pénal ou un délit visé à l’article 138 du Code d’instruction criminelle, il y a lieu de constater que la différence de traitement critiquée ne résulte pas des dispositions législatives mentionnées dans cette question.
Le Conseil des ministres observe que l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 ne porte que sur l’incrimination et la peine et qu’il ne règle pas la question des circonstances atténuantes. Il souligne aussi que la liste des délits contenue dans l’article 138 du Code d’instruction criminelle n’est pas exhaustive, puisqu’elle renvoie aux délits dont la connaissance est attribuée au tribunal de police par une « disposition spéciale ». Il remarque ensuite que l’article 140 du même Code autorise le tribunal de police à réduire les peines en cas de circonstances atténuantes.
Il note enfin que l’article 13 de la loi du 20 mai 2020 peut être qualifié de « disposition spéciale » au sens de l’article 138, 15°, du Code d’instruction criminelle.
Le Conseil des ministres soutient que la différence de traitement précitée résulte en réalité de l’article 100 du Code pénal, selon lequel l’existence éventuelle de circonstances atténuantes n’autorise en principe pas le juge à réduire les peines établies par les lois autres que le Code pénal. Il ajoute que, si la question préjudicielle doit être comprise comme portant sur l’absence d’exception à ce principe, il est nécessaire d’étendre la portée de cette
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question à cette disposition législative, ce que les parties ne peuvent faire, et ce qui, en l’espèce, compromettrait le caractère contradictoire de la procédure.
A.18.2.1. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres expose que la question préjudicielle appelle une réponse négative parce que la disposition en cause ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.18.2.2. En premier lieu, il observe que la différence de traitement entre, d’une part, la personne qui refuse ou néglige de se conformer à un arrêté ministériel pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 et portant des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus COVID-19 et, d’autre part, la personne qui commet une infraction définie dans le Code pénal est raisonnablement justifiée.
Il rappelle qu’en écartant en principe le pouvoir du juge de tenir compte d’éventuelles circonstances atténuantes pour les infractions autres que celles qui sont définies dans le Code pénal, les auteurs de l’article 100
du Code pénal souhaitaient éviter de compromettre la répression effective des infractions définies dans les autres lois pénales. Le Conseil des ministres rappelle aussi que ce n’est qu’en cas de mesure manifestement déraisonnable que la Cour s’estime compétente pour remettre en cause la politique répressive menée par le pouvoir législatif, et en particulier sa décision de retirer au juge tout pouvoir d’appréciation. Il estime que, compte tenu de l’objectif poursuivi par l’article 187 de la loi du 15 mai 2007, à savoir la protection de la sécurité et de la santé de la population, la décision de ne pas autoriser le juge compétent à admettre des circonstances atténuantes au profit de la personne qui commet l’infraction définie dans cette disposition législative n’est pas manifestement déraisonnable. Il ajoute que cette disposition ne viole pas l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le Conseil des ministres remarque aussi que les peines de surveillance électronique, de travail et de probation autonome prévues par le Code pénal ainsi que la suspension du prononcé de la condamnation et le sursis à l’exécution des peines prévus par la loi du 29 juin 1964 permettent au tribunal compétent d’atténuer les sanctions prévues à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, même s’il ne peut admettre des circonstances atténuantes.
Le Conseil des ministres soutient enfin que les infractions définies aux articles 545, 546/1 et 563bis du Code pénal ne sont en rien comparables aux infractions résultant du non-respect des mesures ordonnées en application de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007.
A.18.2.3. En deuxième lieu, il observe que la différence de traitement entre, d’une part, les personnes qui refusent ou négligent de se conformer à un arrêté ministériel pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 et portant des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus COVID-19 et, d’autre part, les personnes qui commettent une infraction visée à l’article 138 du Code d’instruction criminelle est raisonnablement justifiée, dans la mesure où elle existe.
Le Conseil des ministres observe que, depuis l’entrée en vigueur de l’article 13 de la loi du 20 mai 2020, l’article 138, 15°, du Code d’instruction criminelle, qui attribue au tribunal de police la compétence de connaître des « délits dont la connaissance [lui] est attribuée par une disposition spéciale », concerne aussi les personnes relevant de la première catégorie précitée. Il observe aussi que ces dernières personnes se trouvent exactement dans la même situation que les auteurs de certains délits visés à l’article 138, 3° et 6°, du Code d’instruction criminelle quant à l’interdiction pour le tribunal de police d’admettre des circonstances atténuantes.
Quant aux cinq dernières questions préjudicielles dans les affaires n os 7543 et 7544
A.19.1. Karin Verelst et ses consorts estiment que les questions appellent une réponse affirmative.
A.19.2. Ils rappellent d’abord que, s’il est interprété comme attribuant au ministre le pouvoir de décider une interdiction générale de déplacement ou de séjour, l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole les articles 12 et 187 de la Constitution parce qu’il donne au ministre le pouvoir de suspendre celle-ci.
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A.19.3. Karin Verelst et ses consorts exposent ensuite que, s’il est interprété comme autorisant le ministre à interdire tout déplacement sans limite spatiale ou temporelle, l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007
viole l’article 22 de la Constitution. Ils précisent qu’une telle restriction au droit au respect de la vie privée n’est pas nécessaire. Ils reprochent aussi à la loi de ne pas garantir aux personnes concernées par une interdiction de ce type que cette mesure ne les empêchera pas de conserver une vie privée et familiale. Ils remarquent enfin que les nombreuses controverses relatives à la portée de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 et à l’interprétation des nombreuses mesures ministérielles prises en exécution de cette disposition suffisent à établir que la restriction du droit au respect de la vie privée qu’elle autorise n’est pas suffisamment prévisible.
Karin Verelst et ses consorts observent que nombre de mesures prises par le ministre entre mars et octobre 2020 réglaient la vie des ménages au point de porter atteinte au droit à la protection de la vie privée et familiale. Ils considèrent aussi que d’autres mesures qui ont été prises à cette époque sont incompatibles avec le principe d’égalité et de non-discrimination ainsi qu’avec la liberté d’association parce qu’elles restreignent davantage la liberté des ménages que la vie associative et qu’elles reviennent à instaurer une obligation d’association pour l’exercice de certaines activités. Ils soutiennent qu’en ce qu’il habilite le ministre à prendre de telles mesures, l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole les articles 10, 11 et 27 de la Constitution.
Ils ajoutent que le fait que certaines interdictions de déplacement décidées par le ministre compétent en mars et en avril 2020 posaient divers problèmes au regard du respect de la vie familiale démontre que la disposition législative en cause viole l’article 22 de la Constitution, dès lors qu’elle protège insuffisamment la vie familiale.
Karin Verelst et ses consorts exposent en outre que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole l’article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 « relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) », en ce qu’il n’encadre pas le traitement de données à caractère personnel et en ce qu’il est interprété comme autorisant le ministre à limiter l’interdiction de déplacement qu’il édicte aux personnes qui refusent de communiquer leurs données personnelles.
Karin Verelst et ses consorts ajoutent que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole aussi l’article 22 de la Constitution en ce qu’il est interprété comme autorisant le ministre à prendre des mesures d’interdiction de déplacement qui limitent la liberté d’entretenir des relations humaines au point de porter atteinte à la vie privée. Ils font référence, entre autres, au couvre-feu décidé en octobre 2020 par le ministre compétent et aux mesures qui exposent le citoyen à un contrôle permanent des motifs de ses déplacements dans le domaine public.
A.19.4. Selon Karin Verelst et ses consorts, l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole par ailleurs l’article 15, lu en combinaison avec l’article 22, de la Constitution parce qu’en habilitant le ministre à édicter des interdictions de rassemblements applicables aux domiciles et à leurs dépendances, il conduit à légitimer des visites domiciliaires, éventuellement nocturnes, sans autorisation d’un juge.
A.19.5. Karin Verelst et ses consorts soutiennent enfin que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007
viole également les articles 16 et 22 de la Constitution parce qu’il habilite le ministre compétent à interdire aux personnes qui sont propriétaires de plusieurs résidences de s’y rendre pour y séjourner ou même pour les entretenir.
A.20.1. En premier lieu, VDP & C° et Abiqua soutiennent que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 187, alinéa 1er, de la même loi, viole les articles 12, alinéa 2, et 14, lus en combinaison avec les articles 10 et 11, de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle il habilite le ministre à interdire tout « déplacement ou mouvement de la population » sans avoir ordonné aux services opérationnels de la protection civile d’évacuer ou d’éloigner la population en danger dans une zone délimitée en vue d’assurer sa protection physique et matérielle.
Les sociétés intervenantes considèrent que, vu le texte de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, ce type d’interdiction ne peut concerner que des « lieux ou régions » que le ministre a préalablement fait évacuer.
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Elles estiment qu’une autre interprétation de la disposition législative en cause serait contraire à l’objectif de « protection de la population », puisqu’elle reviendrait à donner au ministre le pouvoir de contraindre la population à demeurer dans des « lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés ».
A.20.2. En deuxième lieu, VDP & C° et Abiqua soutiennent que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 187, alinéa 1er, de la même loi, viole les articles 12, alinéa 2, et 14, lus en combinaison avec les articles 10 et 11, de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle il habilite le ministre à interdire de manière générale la présence ou les déplacements des citoyens sur la voie publique, ou certains de ces déplacements sur l’ensemble du territoire national.
Les sociétés intervenantes considèrent que le ministre ne peut fonder une telle interdiction générale sur l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, puisque cette disposition n’autorise l’interdiction de déplacements ou de mouvements que sur un territoire délimité qui a été évacué parce qu’il était particulièrement exposé, menacé ou sinistré.
A.20.3. En troisième lieu, VDP & C° et Abiqua soutiennent que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 187, alinéa 1er, de la même loi, viole les articles 12, alinéa 2, et 14, lus en combinaison avec les articles 10 et 11, de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle il habilite le ministre à interdire de manière générale les rassemblements ou certains d’entre eux sur la voie publique sur l’ensemble du territoire national.
Les sociétés intervenantes considèrent que le ministre ne peut interdire les rassemblements sur la voie publique en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 dans une zone du territoire qui n’a pas été préalablement évacuée. Elles ajoutent que le pouvoir qu’a le ministre d’obliger la population à s’éloigner de certains lieux ne l’autorise pas à interdire les rassemblements s’il n’assigne pas aux personnes visées un lieu de séjour provisoire.
A.20.4. En quatrième lieu, VDP & C° et Abiqua soutiennent que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 187, alinéa 1er, de la même loi, viole les articles 12, alinéa 2, et 14, lus en combinaison avec les articles 10 et 11, de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle il habilite le ministre à interdire de manière générale et à sanctionner les contacts humains entre citoyens.
Les sociétés intervenantes exposent que l’interdiction ministérielle des rassemblements, des activités culturelles, sociales, festives, folkloriques, sportives et récréatives à caractère privé, telles qu’une activité sportive en plein air avec des amis, ainsi que les restrictions prévues pour les promenades sont incompatibles avec le droit au respect de la vie privée, tel qu’il est reconnu à l’article 22 de la Constitution et à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les sociétés intervenantes précisent que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 ne peut constituer le fondement législatif requis de ces interdictions et restrictions ministérielles parce que l’habilitation qu’il contient n’est pas donnée au Gouvernement et qu’elle est formulée en des termes trop généraux qui sont susceptibles de différentes interprétations. Elles considèrent aussi que les mesures ministérielles, qui empêchent l’entretien de relations humaines, ne sont pas proportionnées à l’objectif de santé publique poursuivi par le ministre, parce qu’elles conduisent à interdire à des personnes qui entretiennent une relation durable de se rencontrer en plein air, alors que des personnes qui ne se connaissent pas sont autorisées à se rencontrer dans des lieux fermés, tels qu’un supermarché, un salon de coiffure, une librairie ou une station-service.
A.20.5. En cinquième lieu, VDP & C° et Abiqua soutiennent que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 187, alinéa 1er, de la même loi, viole les articles 12, alinéa 2, et 14, lus en combinaison avec les articles 10 et 11, de la Constitution, dans l’interprétation selon laquelle il habilite le ministre à interdire et à sanctionner pénalement l’exercice d’une activité physique ou ludique sur la voie publique en compagnie de deux enfants.
Les sociétés intervenantes exposent qu’une telle interdiction est incompatible avec le droit au respect de la vie privée, tel qu’il est reconnu à l’article 22 de la Constitution et à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et que les considérations mentionnées en A.20.4 valent aussi pour l’entretien d’un lien affectif avec ses propres enfants. Elles ajoutent que l’incrimination de ces comportements ne satisfait pas à l’exigence de légalité qui ressort des articles 12, alinéa 2, et 14, de la Constitution, dès lors que la disposition législative en cause confère une délégation illicite au ministre.
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A.21.1. La Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles » considèrent que les cinq dernières questions préjudicielles dans les deux affaires portent non pas sur l’application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, mais sur l’interprétation que l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 donne à cette disposition législative, de sorte que ces questions sont effectivement recevables.
Les associations intervenantes remarquent aussi, de manière générale, que c’est au pouvoir législatif qu’il revient de déterminer les éléments essentiels des mesures à prendre pour garantir le droit à la protection de la santé, le droit à la vie ou le droit à des conditions de travail sûres. Elles estiment que la trop large délégation au ministre que contient la disposition législative en cause entraîne une limitation des droits fondamentaux qui n’est ni nécessaire ni proportionnée. Elles ajoutent que la protection de la population contre le coronavirus ne suffit pas à justifier les mesures de confinement qui ont été prises sur la base de l’interprétation très large que le ministre a donnée à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007.
A.21.2. À propos de la première des cinq questions préjudicielles, la Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles »
soutiennent que, dans l’interprétation selon laquelle il habilite le ministre à interdire « tout mouvement ou déplacement de la population » sans avoir ordonné aux services opérationnels de la protection civile d’évacuer ou d’éloigner la population en danger dans une zone délimitée en vue d’assurer sa protection physique et matérielle, l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole le principe de légalité pénale qui découle des articles 12, alinéa 2, et 14, de la Constitution, ainsi que le principe de légalité des restrictions aux droits fondamentaux qui découle des articles 12, alinéa 1er, 15, 16, 22 et 26 de la Constitution, pour les motifs exposés en A.6.4.
A.21.3. À propos de la deuxième et de la troisième des cinq questions préjudicielles, les associations intervenantes considèrent que, dans l’interprétation selon laquelle il habilite le ministre à interdire de manière générale la présence ou les déplacements des citoyens sur la voie publique, certains déplacements sur l’ensemble du territoire national, ou les rassemblements ou certains d’entre eux sur la voie publique ou sur l’ensemble de ce territoire, l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole les principes mentionnés en A.21.2, pour les motifs exposés en A.6.4 et parce que seul le Roi peut être habilité par le pouvoir législatif à prendre de telles mesures réglementaires.
A.21.4. À propos de la quatrième des cinq questions préjudicielles, la Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles »
affirment que, dans l’interprétation selon laquelle il habilite le ministre à interdire de manière générale les contacts humains entre citoyens, l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole les principes mentionnés en A.21.2, pour les motifs exposés en A.6.4 et parce qu’une telle mesure est très éloignée de l’objectif d’évacuation et de sauvetage que poursuit le pouvoir législatif à travers la disposition législative en cause.
A.21.5. À propos de la dernière des cinq questions préjudicielles, la Ligue et « Infor Jeunes Bruxelles »
soutiennent que, dans l’interprétation selon laquelle il habilite le ministre à interdire et à sanctionner pénalement, pour des motifs de santé publique, l’exercice d’une activité physique et/ou ludique sur la voie publique en compagnie de deux enfants ou la rencontre d’un couple, l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 viole les principes mentionnés en A.21.2, pour les motifs exposés en A.6.4, parce que l’objectif poursuivi lors de l’adoption d’une telle mesure semble étranger aux objectifs précités d’évacuation et de sauvetage et parce qu’il s’agit d’une limitation des droits les plus fondamentaux du citoyen.
A.22.1. À titre principal, le Conseil des ministres expose que les questions préjudicielles sont irrecevables parce que la Cour n’est pas compétente pour y répondre. Il précise que ces questions ne portent pas sur la constitutionnalité des dispositions législatives en cause mais sur la validité de leur application, c’est-à-dire sur la constitutionnalité d’une série d’interdictions qui résultent objectivement, ou selon le Tribunal de police de Charleroi, de l’article 5, alinéa 2, et de l’article 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2010.
Le Conseil des ministres ajoute que la première de ces cinq questions résulte d’une lecture erronée de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007, puisque le pouvoir qu’il confère au ministre est indépendant des missions des services opérationnels de la protection civile.
A.22.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres expose que les questions préjudicielles appellent une réponse négative, en ce qu’elles ont pour objet l’étendue du pouvoir que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 confère au ministre.
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Il observe d’abord que cette disposition législative constitue le fondement légal des limitations que le ministre peut apporter à la liberté individuelle, au droit à l’inviolabilité du domicile, au droit de propriété, au droit au respect de la vie privée et familiale et à la liberté de réunion. Il rappelle aussi que cette disposition a déterminé les éléments essentiels de l’habilitation au ministre et a défini celle-ci de manière suffisamment précise.
Le Conseil des ministres souligne ensuite la légitimité de l’objectif de protection de la santé publique que poursuit l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007. Il rappelle, à cet égard, que le droit à la protection de la santé, reconnu par l’article 23 de la Constitution, et le droit à la vie, reconnu à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, obligent les autorités à poursuivre cet objectif.
Le Conseil des ministres démontre enfin que le pouvoir que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007
confère au ministre est nécessaire et proportionné. Il rappelle que le fait que des mesures prises en exécution de cette disposition limitent des droits fondamentaux n’entraîne pas en soi une violation de ces droits. Il relève à ce sujet que les pouvoirs de police administrative qui sont attribués au ministre visent à garantir l’équilibre des droits de chacun et la sécurité commune et qu’ils contribuent à la protection des droits et libertés individuels. Le Conseil des ministres considère que le maintien de l’ordre dans des circonstances exceptionnelles est un objectif qui justifie l’attribution au ministre du pouvoir d’interdire tout mouvement ou rassemblement sur l’ensemble du territoire. Il remarque que la Cour européenne des droits de l’homme et la section de législation du Conseil d’État n’exigent pas que la loi attribuant des pouvoirs de maintien de l’ordre à une autorité administrative appelée à prendre des mesures en cas de crise sanitaire envisage toutes les situations de désordre possibles et toutes les mesures utiles au rétablissement de l’ordre. Le Conseil des ministres rappelle aussi que, lorsqu’il attribue une compétence à un ministre, le pouvoir législatif est présumé habiliter le ministre à n’agir que dans le respect de la Constitution. Il ajoute que, pour être conforme aux principes généraux de bonne administration, toute mesure de police administrative doit être nécessaire, adéquate et proportionnée à l’objectif poursuivi. Il observe enfin que des restrictions importantes de déplacement sont des mesures habituelles de protection de la population contre les dangers épidémiques, qui peuvent s’appliquer à l’ensemble d’un territoire national dans le contexte d’une pandémie.
-B-
Quant aux dispositions en cause
B.1.1. Les articles 181 et 182 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile » (ci-
après : la loi du 15 mai 2007) composent le titre XI de cette loi (« De la réquisition et de l’évacuation »).
B.1.2. L’article 182 de la loi du 15 mai 2007 confère au ministre de l’Intérieur, à son délégué et au bourgmestre une compétence en matière de police administrative en vue d’assurer la protection de la population en cas de circonstances dangereuses.
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Tel qu’il a été modifié par l’article 110 de la loi du 21 décembre 2013 « portant des dispositions diverses Intérieur » (ci-après : la loi du 21 décembre 2013), il dispose :
« Le ministre ou son délégué peut, en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population, obliger celle-ci à s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées par cette mesure; il peut, pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population.
Le même pouvoir est reconnu au bourgmestre ».
B.1.3. L’article 187 de la loi du 15 mai 2007, qui forme le titre XIII (« Des dispositions pénales »), dispose :
« Le refus ou la négligence de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 181, § 1er et 182 sera puni, en temps de paix, d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six à cinq cents euros, ou d’une de ces peines seulement.
En temps de guerre ou aux époques y assimilées, le refus ou la négligence de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 185 sera puni d’un emprisonnement de trois mois à six mois et d’une amende de cinq cents à mille euros, ou d’une de ces peines seulement.
Le ministre ou, le cas échéant, le bourgmestre ou le commandant de zone pourra, en outre, faire procéder d’office à l’exécution desdites mesures, aux frais des réfractaires ou des défaillants ».
Quant à la première question préjudicielle dans les affaires nos 7543 et 7544
B.2. La première question préjudicielle porte sur la compatibilité des articles 182, alinéa 1er, et 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 avec l’article 12, alinéa 2, et avec l’article 14, de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 12, alinéa 1er, 15, 16, 22 et 26 de la Constitution, avec les articles 5, 7, 8 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à ladite Convention, avec l’article 2 du Protocole n° 4 à la même Convention et avec les articles 9, 12, 15, 17 et 21
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que les dispositions législatives précitées habilitent un ministre, son délégué ou le bourgmestre à prendre certaines mesures.
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Plus particulièrement, la constitutionnalité de ces dispositions est mise en cause, d’une part, parce que les notions de « circonstances dangereuses » et de « protection de la population » qui sont employées à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 pour déterminer les contours de l’habilitation conférée au ministre manqueraient de clarté et, d’autre part, parce que les dispositions en cause ne régleraient pas la durée des mesures que le ministre, son délégué ou le bourgmestre sont habilités à prendre en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, ni les modalités de leurs décisions, ni la manière dont celles-ci doivent être communiquées aux personnes concernées.
B.3. L’article 12, alinéa 2, de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit ».
L’article 14 de la Constitution dispose :
« Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi ».
L’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :
« Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise ».
L’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où
l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l’application d’une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».
B.4.1. L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 érige en infraction le « refus » ou la « négligence » de se conformer, en temps de paix, aux « mesures ordonnées » par le ministre
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compétent ou son délégué en application de l’article 182 de cette loi. Le non-respect des mesures ordonnées est puni d’une peine d’emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six à cinq cents euros, ou d’une de ces peines seulement.
B.4.2. Dès lors que les peines se trouvent fixées dans une disposition législative, l’article 14 de la Constitution, qui consacre le principe de légalité des peines, n’est pas violé.
B.5.1. En ce qu’ils exigent que toute infraction soit prévue par une norme suffisamment claire, prévisible et accessible, l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont une portée analogue à celle de l’article 12, alinéa 2, de la Constitution. Les garanties fournies par ces dispositions, qui visent l’aspect substantiel du principe de légalité des incriminations, forment dès lors, dans cette mesure, un tout indissociable.
B.5.2. En attribuant au pouvoir législatif la compétence de déterminer dans quels cas des poursuites pénales sont possibles, l’article 12, alinéa 2, de la Constitution garantit à tout justiciable qu’aucun comportement ne sera punissable qu’en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.
En outre, le principe de légalité en matière pénale qui découle de la disposition constitutionnelle et des dispositions internationales précitées procède de l’idée que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est punissable ou non. Il exige que le législateur indique, en des termes suffisamment précis, clairs et offrant la sécurité juridique, quels faits sont sanctionnés, afin, d’une part, que celui qui adopte un comportement puisse évaluer préalablement, de manière satisfaisante, quelle sera la conséquence pénale de ce comportement et afin, d’autre part, que ne soit pas laissé au juge un trop grand pouvoir d’appréciation.
Toutefois, le principe de légalité en matière pénale n’empêche pas que la loi attribue un pouvoir d’appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité des lois,
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de la diversité des situations auxquelles elles s’appliquent et de l’évolution des comportements qu’elles répriment.
La condition qu’une infraction doit être clairement définie par la loi se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les juridictions, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale.
Ce n’est qu’en examinant une disposition pénale spécifique qu’il est possible de déterminer, en tenant compte des éléments propres aux infractions qu’elle entend réprimer, si les termes généraux utilisés par le législateur sont à ce point vagues qu’ils méconnaîtraient le principe de légalité en matière pénale.
B.5.3. En outre, le principe de légalité en matière pénale ne va pas jusqu’à obliger le législateur à régler lui-même chaque aspect de l’incrimination. Une délégation à une autre autorité n’est pas contraire à ce principe, pour autant que l’habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur.
B.6.1. Sur la base de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007, le ministre compétent, son délégué ou le bourgmestre peut, en cas de « circonstances dangereuses » et « en vue d’assurer la protection de la population » :
- obliger la population à « s’éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés »;
- « assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes visées » par cette obligation d’éloignement; et
- « pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population ».
Par ailleurs, la « sécurité civile » au sens de la loi du 15 mai 2007 « comprend l’ensemble des mesures et des moyens civils nécessaires pour accomplir les missions visées par la loi afin
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de secourir et de protéger en tous temps les personnes, leurs biens et leur espace de vie »
(article 3, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007).
B.6.2. Pour limiter sur le territoire belge la propagation du coronavirus qui est à l’origine de la pandémie de la COVID-19, le ministre de l’Intérieur a pris une série d’arrêtés ministériels fondés, entre autres, sur l’article 182 de la loi du 15 mai 2007.
B.6.3. Dans les affaires pendantes devant lui, le juge a quo est amené à appliquer l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 », tel qu’il a été modifié par l’arrêté ministériel du 24 mars 2020
(affaire 7543) et par des arrêtés ministériels du 24 mars 2020, du 3 avril 2020 et du 17 avril 2020 (affaire 7544).
Il ressort des décisions de renvoi que les situations incriminées qui sont en cause sont le fait « d’avoir été trouvée dans un véhicule en compagnie d’une autre personne non domiciliée sous son toit pour discuter » et le fait d’« avoir joué au football avec des enfants sur la voie publique » dans un contexte de pandémie, ce qui constitue une infraction à l’interdiction de se rassembler (article 5 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020) et à l’interdiction de se trouver sur la voie publique ou dans les lieux publics sauf en cas de nécessité et pour des raisons urgentes (article 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020).
B.7.1. Par un arrêt du 28 septembre 2021 (P.21.1129.N), la Cour de cassation a jugé que l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 constitue un fondement légal des articles 5 et 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 » :
« L’interdiction de se rassembler et l’interdiction de se trouver sans nécessité sur la voie publique et dans les lieux publics, définies aux articles 5 et 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020, visent à enrayer la poursuite de la propagation du coronavirus COVID-19 en minimisant les contacts entre les personnes afin de réduire ainsi les risques de contagion. Ces mesures visent dès lors à éviter une utilisation non nécessaire de l’espace public qui constituerait une menace au sens de l’article 182 de la loi relative à la sécurité civile. Cette disposition procure donc une
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base légale à l’interdiction de se rassembler et de se déplacer édictée par les articles 5 et 8 de l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 ». (traduction libre)
Par un arrêt du 10 novembre 2021 (P.21.0931.F), la Cour de cassation a précisé :
« La loi vise à assurer la protection de la population lorsque celle-ci est menacée par des calamités ou des situations néfastes, quelle que soit la nature du désastre ainsi visé.
Une situation d’urgence née d’une épidémie ou d’une pandémie ayant le potentiel d’une menace mortelle pour l’ensemble de la population, telle la pandémie liée au coronavirus Covid-19, doit être considérée comme constitutive d’une calamité ou d’une situation néfaste pouvant conduire à une situation menaçant des personnes.
Partant, ladite pandémie peut justifier l’adoption de mesures en application de l’article 182, alinéa 1er, précité.
Sans doute, les termes des préventions, soit l’interdiction de se rassembler et de se trouver sans motif sur la voie publique, ne se retrouvent pas littéralement dans la description des mesures de réquisition et d’évacuation de la population confiées par la loi au ministre.
Mais n’ayant d’autres finalités que d’éviter la propagation d’un virus calamiteux par la limitation des contacts entre les personnes afin de réduire le risque de contagion associé à la pandémie, les interdictions visées par la poursuite ressortissent à la compétence ministérielle d’interdiction ou d’injonction à la population lorsque, à la suite d’une calamité ou d’une situation néfaste et afin de protéger la sécurité civile des citoyens, il est nécessaire de les éloigner d’endroits où leur santé et sécurité sont menacées ou de leur interdire de se déplacer.
Pareilles mesures répondent dès lors au prescrit de l’article 182 de la loi qui permet d’interdire à la population de fréquenter des lieux particulièrement exposés au danger ».
B.7.2. Par l’arrêt n° 248.818 du 30 octobre 2020, rendu en assemblée générale, la section du contentieux administratif du Conseil d’État a jugé, à propos de l’arrêté ministériel du 18 octobre 2020 « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 » comportant une mesure de fermeture des établissements relevant du secteur horeca et des autres établissements de restauration et débits de boissons :
« La fermeture imposée semble, sans que cela puisse être sérieusement dénié, - et c’est également l’unique objectif de la mesure - servir la sécurité civile et donc la protection de la population. En effet, la mesure implique a contrario que les citoyens ne sont pas autorisés ou n’ont pas la possibilité d’entrer dans ces lieux ou établissements (restaurants et cafés), sauf, et
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en étant strictement limités à celle-ci, pour l’activité autorisée (repas à emporter), qui par sa nature est de courte durée, et en outre uniquement dans le respect des dispositions énoncées au chapitre 9 de l’arrêté attaqué, relatives aux responsabilités individuelles de toute personne (articles 26 à 28 de l’arrêté attaqué). Dans cet esprit, il semble que l’on puisse voir dans la fermeture imposée une interdiction de déplacement au sens de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 en vertu duquel le ministre peut, en cas de circonstances dangereuses, obliger la population, en vue d'assurer sa protection, à s'éloigner des lieux particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, et même, ce qui est le cas lors d’un confinement (total), pour le même motif, interdire tout déplacement ou mouvement de la population » (C.E., assemblée générale, n° 248.818 du 30 octobre 2020) (traduction libre).
B.8.1. L’article 182 de la loi du 15 mai 2007 confère au ministre compétent, à son délégué ou au bourgmestre un pouvoir étendu pour prendre des mesures de police administrative en matière de sécurité civile, lorsque les conditions fixées par cette disposition sont réunies.
B.8.2. Les termes « circonstances dangereuses » et « protection de la population » qui sont employés à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 confèrent notamment au ministre une habilitation étendue. Cette disposition lui permet de prendre les mesures appropriées de police administrative dans des circonstances généralement urgentes afin de préserver la sécurité civile. Cet objectif existe depuis longtemps. Ainsi, l’article 1er de la loi du 31 décembre 1963
« sur la protection civile » dispose que la protection civile comprend l’ensemble des mesures et des moyens destinés à assurer la protection et la survie de la population, ainsi que la sauvegarde du patrimoine national en cas de conflit armé. Cette disposition vise aussi, ce qui est important en l’espèce, à secourir les personnes et à protéger les biens en tout temps lors d’événements calamiteux, de catastrophes et de sinistres. Le ministre de l’Intérieur est de longue date chargé de la coordination de cette politique. Ainsi, l’article 4 de la loi du 31 décembre 1963 dispose que ce ministre organise les moyens et provoque les mesures nécessaires à la protection civile pour l’ensemble du territoire national. Il coordonne la préparation et l’application de ces mesures, au sein tant des divers départements ministériels que des organismes publics.
Dès lors qu’il s’agit de situations de risque et d’urgence de natures différentes qui ne sauraient être définies de manière exhaustive et détaillée par le législateur, ce dernier a pu délibérément choisir des termes larges pour permettre d’agir adéquatement face à ces risques.
Exceptionnellement, une habilitation directe accordée au ministre ou à son délégué peut être
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justifiée si, comme en l’espèce, il existe des raisons objectives requérant une intervention urgente du pouvoir exécutif, en ce que tout retard peut aggraver la situation de risque ou d’urgence existante (voy. C.E., section législation, avis n° 68.936/AG du 7 avril 2021, points 58-67). L’habilitation accordée par le législateur n’est toutefois pas illimitée. En effet, les mesures à prendre doivent, compte tenu de toutes les circonstances, parmi lesquelles l’urgence de l’intervention, l’étendue de la connaissance du risque et du caractère approprié des mesures qui peuvent être prises, être raisonnablement alignées sur la nature, l’étendue et la durée probable des circonstances qui menacent la population.
Afin de garantir l’efficacité des mesures, il relève aussi du pouvoir d’appréciation du législateur de décider si un manquement aux mesures de police administrative adoptées sur la base de l’article 182 de la loi du 15 mai 2017 doit faire l’objet d’une répression et, le cas échéant, s’il est opportun d’opter pour des sanctions pénales sensu stricto ou pour des sanctions administratives.
B.8.3. Compte tenu de l’objectif décrit ci-dessus, de l’évolution constante des circonstances, des incertitudes y afférentes et de la technicité des mesures à prendre, les articles 182 et 187, précités, de la loi du 15 mai 2007 fixent à suffisance les limites de l’action du pouvoir exécutif. L’article 187 prévoit aussi les composantes essentielles de l’incrimination, qui consiste dans le refus ou la négligence de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 182. La lecture de ces dispositions législatives en combinaison avec les arrêtés ministériels pris en exécution de celles-ci permet, en ce que ces arrêtés ministériels sont rédigés dans des termes suffisamment clairs et précis – ce qui relève de l’appréciation du juge compétent -, d’établir quel comportement est incriminé et quel comportement ne l’est pas.
B.8.4. Dès lors que le législateur a précisé lui-même le but et les limites dans lesquels l’habilitation attaquée a été accordée, ainsi que le comportement jugé infractionnel, les composantes essentielles de l’incrimination ont été fixées par la loi et il est, de ce fait, satisfait au principe de légalité contenu dans l’article 12, alinéa 2, de la Constitution.
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En outre, les mesures prises par le ministre peuvent être contestées devant le Conseil d’État, section du contentieux administratif, et devant le juge ordinaire, qui jugeront si elles répondent au principe de légalité matérielle, au principe de légitimité et au principe de proportionnalité.
B.9.1. L’article 12, alinéa 1er, de la Constitution dispose :
« La liberté individuelle est garantie ».
B.9.2. L’article 15 de la Constitution dispose :
« Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit ».
B.9.3. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
Cette disposition attribue au pouvoir législatif la compétence de déterminer les cas et modalités dans lesquels une expropriation peut avoir lieu. Elle ne lui interdit toutefois pas d’habiliter un organe du pouvoir exécutif à régler ces cas et modalités, pour autant que cette habilitation contienne des précisions suffisantes.
B.9.4. L’article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent la protection de ce droit ».
Cette disposition attribue au pouvoir législatif la compétence de déterminer dans quels cas et à quelles conditions il peut être porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale.
Elle ne lui interdit toutefois pas d’habiliter un organe du pouvoir exécutif à régler ces cas et
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conditions, pour autant qu’il définisse cette habilitation en des termes suffisamment précis et que celle-ci porte sur l’exécution de mesures dont il a préalablement fixé les éléments essentiels.
B.9.5. L’article 26 de la Constitution dispose :
« Les Belges ont le droit de s’assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l’exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable.
Cette disposition ne s’applique point aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police ».
B.10. Les articles 5, 7, 8 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 1er du Premier Protocole additionnel à ladite Convention, l’article 2 du Protocole n° 4
à la même Convention et les articles 9, 12, 15, 17 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne réservent aucune compétence au pouvoir législatif.
B.11. Pour autant que l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 habilite le ministre à prendre des mesures limitant les droits et libertés reconnus par les dispositions constitutionnelles et internationales mentionnées en B.9 à B.10, la lecture combinée de l’article 12, alinéa 2, de la Constitution et de ces dispositions ne permet pas de considérer que l’habilitation conférée au ministre par l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 est excessive, pour les motifs mentionnés dans la réponse à la première question préjudicielle posée dans chacune des deux décisions de renvoi.
B.12. Les articles 182, alinéa 1er, et 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 sont compatibles avec les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les dispositions constitutionnelles et internationales mentionnées en B.2.
Quant à la deuxième question préjudicielle dans les affaires nos 7543 et 7544
B.13.1. La deuxième question préjudicielle posée dans chacune des deux décisions de renvoi porte sur la compatibilité de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 avec les articles 10 et
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11 de la Constitution, lus en combinaison avec, entre autres, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.
B.13.2. L’article 14 de cette Convention dispose :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
La question préjudicielle n’indique pas quel est le droit ou la liberté reconnu par cette Convention dont la jouissance ne serait pas assurée sans distinction par la disposition législative en cause.
En ce qu’elle porte sur la compatibilité de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, la question préjudicielle est irrecevable.
B.14. Le juge a quo demande à la Cour si l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec les principes de légalité, de la sécurité juridique et de la séparation des pouvoirs, en ce qu’il ferait naître une différence de traitement entre, d’une part, les personnes qui font l’objet de poursuites pénales pour ne pas avoir respecté une interdiction de déplacement ou une limitation de mouvement décidée par le ministre de l’Intérieur sur la base de cette disposition et, d’autre part, les personnes qui font l’objet de poursuites pénales pour ne pas avoir respecté une réquisition du ministre de l’Intérieur au sens de l’article 181, § 1er, de la même loi ou une ordonnance de police prise par le bourgmestre en application de l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale.
La Cour est invitée à comparer ces dispositions dans la mesure où l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 ne prévoit aucune garantie procédurale ni contrôle a posteriori, à l’inverse de l’article 181, § 1er, de la même loi et de l’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale.
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B.15.1. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.15.2. L’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit également le principe d’égalité et de non-discrimination, mais il n’ajoute rien aux articles 10 et 11 de la Constitution.
B.16.1. L’article 181, § 1er, de la loi du 15 mai 2007 dispose :
« Le ministre ou son délégué peut, lors des interventions effectuées dans le cadre des missions visées à l’article 11, en l’absence de services publics disponibles et à défaut de moyens suffisants, procéder à la réquisition des personnes et des choses qu’il juge nécessaire.
Le même pouvoir est reconnu au bourgmestre ainsi qu’au commandant de zone et, par délégation de ce dernier, aux officiers lors d’interventions de ces services dans le cadre de leurs missions.
Le Roi fixe la procédure et les modalités de la réquisition ».
Les missions visées à l’article 11 de la même loi dans le cadre desquelles la réquisition doit s’inscrire sont le sauvetage de personnes et l’assistance aux personnes dans des circonstances dangereuses et la protection de leurs biens, l’aide médicale urgente, la lutte contre l’incendie et l’explosion et leurs conséquences, la lutte contre la pollution et contre la libération de substances dangereuses, en ce compris les substances radioactives et les rayons ionisants, et l’appui logistique.
B.16.2. L’article 181 de la loi du 15 mai 2007, dans sa rédaction originale, ne chargeait pas le Roi de fixer la procédure et les modalités de la réquisition. Cette disposition a été insérée lors de la modification de cet article par l’article 109 de la loi du 21 décembre 2013 « portant des dispositions diverses Intérieur ». À cette occasion, il a été souligné que la réquisition
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représentait une « atteinte importante [aux] droits fondamentaux » (Doc. parl., Chambre, 2013-
2014, DOC 53-3113/001, p. 44).
Le Roi a fixé cette procédure et ces modalités par l’arrêté royal du 25 avril 2014 « fixant les modalités du pouvoir de réquisition visé à l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile ». En vertu de l’article 2 de cet arrêté royal, deux catégories de personnes peuvent faire l’objet d’une réquisition, à savoir « [t]oute personne physique majeure se trouvant sur le territoire belge, sauf convention internationale contraire en ce qui concerne les personnes de nationalité étrangère » et « [t]oute personne morale dont le siège social ou d’exploitation est établi sur le territoire belge, sauf convention internationale contraire en ce qui concerne les personnes morales étrangères ». En vertu de l’article 4 du même arrêté royal, un ordre de réquisition doit, sauf en cas d’extrême urgence, être formulé par écrit et être signé par l’autorité requérante. L’ordre mentionne au minimum les circonstances justifiant la réquisition, la nature, la quantité et la durée des prestations imposées, et les conditions dans lesquelles les prestations doivent être effectuées.
En vertu de l’article 6 du même arrêté royal, l’autorité requérante délivre un reçu ou une preuve des prestations fournies aux personnes requises ou aux personnes ayant la jouissance effective du bien réquisitionné. En vertu de l’article 8 du même arrêté royal, l’autorité et les personnes concernées peuvent conclure un accord concernant l’indemnité. En l’absence d’accord, l’autorité requérante fixe elle-même le montant de l’indemnité, les personnes concernées pouvant toutefois contester ce montant par courrier recommandé adressé à l’autorité requérante dans les 30 jours de la notification de cette décision sous peine de déchéance.
B.16.3. L’article 181, § 1er, alinéa 3, de la loi du 15 mai 2007 impose uniquement au Roi de fixer la procédure et les modalités de la réquisition. Il ne L’oblige par contre pas à prévoir des « garanties procédurales » ou un « contrôle a posteriori ». L’arrêté royal du 25 avril 2014
précité ne contient pas non plus de telles garanties procédurales ni un contrôle a posteriori.
Dans cette mesure, il n’existe donc pas de différence de traitement entre les personnes concernées par un ordre de réquisition au sens de l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 et les
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personnes concernées par une interdiction de déplacement ou une limitation de mouvement au sens de la disposition en cause.
B.16.4. En ce que la disposition en cause n’oblige pas le Roi à fixer « la procédure et les modalités » de l’interdiction de déplacement ou de la limitation de mouvement, il existe en revanche une différence de traitement entre les personnes concernées par cette interdiction ou par cette limitation et les personnes concernées par un ordre de réquisition.
Par ailleurs, eu égard à l’article 108 de la Constitution, le Roi peut adopter les règlements et arrêtés nécessaires à l’exécution de la disposition en cause, même en l’absence d’une telle habilitation.
B.16.5. Une réquisition de personnes physiques constitue une mesure à portée individuelle, qui vise à ce que l’intéressé prête son assistance, le plus souvent sur le lieu de la catastrophe ou de la circonstance dangereuse. Les personnes qui font l’objet d’une telle mesure doivent effectuer des activités spécifiques qui peuvent les exposer à des risques de maladie, de blessure et de décès, risques que l’autorité veut précisément éviter à l’égard des personnes à qui elle impose une interdiction ou une limitation au sens de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007.
Les natures différentes de ces deux mesures justifient le choix du législateur de ne soumettre à des règles procédurales détaillées que l’ordre de réquisition.
B.17.1. L’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale dispose :
« En cas d’émeutes, d’attroupements hostiles, d’atteintes graves portées à la paix publique ou d’autres événements imprévus, lorsque le moindre retard pourrait occasionner des dangers ou des dommages pour les habitants, le bourgmestre peut faire des ordonnances de police, à charge d’en donner sur le champ communication au conseil, en y joignant les motifs pour lesquels il a cru devoir se dispenser de recourir au conseil. Ces ordonnances cesseront immédiatement d’avoir effet si elles ne sont confirmées par le conseil à sa plus prochaine réunion ».
Cette disposition s’inscrit dans le cadre de la répartition des compétences entre le conseil communal et le bourgmestre en matière de police administrative. En vertu de l’article 119 de la Nouvelle loi communale, le pouvoir de « faire » les ordonnances de police communale revient en principe au conseil communal. En vertu de l’article 133, alinéa 2, de la même loi, le bourgmestre est chargé de leur exécution. L’article 133, alinéa 3, de la même loi précise que le
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bourgmestre est l’autorité responsable en matière de police administrative sur le territoire de la commune, sans préjudice des compétences du ministre de l’Intérieur et du gouverneur de province. En vertu de l’article 133bis de la même loi, le conseil communal a le droit d’être informé par le bourgmestre de la manière dont celui-ci exerce les pouvoirs visés à l’article 133, alinéas 2 et 3, sans que ce même conseil communal puisse empiéter de quelque manière que ce soit sur ces pouvoirs.
L’article 134 de la Nouvelle loi communale déroge à cette répartition normale des compétences, mais seulement lorsque l’une des situations mentionnées dans cette disposition se présente et dans la mesure où le moindre retard pourrait occasionner des dangers ou des dommages pour les habitants. En pareil cas, le bourgmestre peut lui-même « faire » des ordonnances de police, mais il doit en informer le conseil communal sans délai. Les ordonnances de police édictées par le bourgmestre deviennent immédiatement caduques si elles ne sont pas confirmées par le conseil communal lors de sa prochaine réunion.
B.17.2. L’article 134, § 1er, de la Nouvelle loi communale permet donc au conseil communal de contrôler l’exercice temporaire par le bourgmestre d’un pouvoir réglementaire qui, dans des circonstances normales, revient au conseil communal lui-même.
Lorsqu’il décide en revanche une interdiction de déplacement ou une limitation de mouvement au sens de la disposition en cause, le ministre de l’Intérieur n’exerce pas un pouvoir qui, dans des circonstances normales, revient au législateur fédéral. Il n’est donc pas nécessaire de prévoir que ce législateur contrôle l’exercice temporaire de ce pouvoir par le ministre.
B.17.3. Bien qu’ils confèrent tous deux un pouvoir de police dans des situations d’urgence, l’article 134 de la Nouvelle loi communale et la disposition en cause ont des champs d’application différents. L’article 134 de la Nouvelle loi communale est applicable aux « émeutes, [aux] attroupements hostiles, [aux] atteintes graves portées à la paix publique ou [à]
d’autres événements imprévus ». La disposition en cause, quant à elle, est applicable « en cas de circonstances dangereuses » qui participent de la sécurité civile. À cet égard, il peut s’agir
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notamment d’incendies, d’inondations et d’autres fléaux de même nature (Doc. parl., Sénat, 1961-1962, n° 338, p. 2).
En outre, les mesures que les autorités compétentes peuvent prendre sur la base de ces deux dispositions diffèrent elles aussi. Le bourgmestre dispose, en vertu de l’article 134 de la Nouvelle loi communale, d’un pouvoir plus étendu, qui consiste à prendre tous les règlements de police susceptibles de remédier à la présente situation de crise.
Si le bourgmestre doit prendre une mesure dans une situation de crise autre qu’une émeute, un attroupement hostile ou une atteinte grave à la paix publique, mais relevant plutôt du champ d’application de la disposition en cause, c’est cette dernière disposition qu’il doit utiliser comme fondement légal. Dans ce cas, il ne peut pas faire usage de l’article 134 de la Nouvelle loi communale et ne peut prendre que des mesures qui limitent la liberté de mouvement.
L’obligation d’informer le conseil communal sans délai quant aux mesures prises n’est alors pas applicable non plus.
B.17.4. La Chambre des représentants exerce déjà le contrôle politique ordinaire sur le ministre de l’Intérieur. En vertu de l’article 100, alinéa 2, de la Constitution, la Chambre des représentants peut requérir la présence des ministres. En vertu de l’article 101 de la Constitution, les ministres sont responsables devant la Chambre des représentants.
B.17.5. Par ailleurs, il y a lieu de relever que lorsqu’un législateur délègue, il faut supposer, sauf indications contraires, qu’il entend exclusivement habiliter le délégué à faire de son pouvoir un usage conforme à la Constitution. C’est au juge compétent qu’il appartient de contrôler si le délégué a excédé ou non les termes de l’habilitation qui lui a été conférée.
Ainsi, tout comme chaque pouvoir de police administrative, le pouvoir du ministre de l’Intérieur de décider une interdiction ou une limitation sur la base de la disposition en cause est limité par le principe de proportionnalité. Une telle mesure doit être pertinente et adéquate par rapport à la circonstance dangereuse à laquelle le ministre entend faire face. Il doit également être établi qu’une mesure qui limiterait la liberté de mouvement de manière moins
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sévère ne permettrait pas de résoudre la situation de crise. Enfin, la mesure prise ne peut pas porter une atteinte excessive à d’autres intérêts légitimes.
B.18. Le contrôle de la disposition en cause au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes de légalité, de la sécurité juridique et de la séparation des pouvoirs, ne conduit pas à une autre conclusion. En effet, ces principes, en soi, n’emportent pas l’obligation d’assortir la législation de garanties procédurales ni de soumettre des mesures de police administrative à un contrôle parlementaire a posteriori.
B.19. L’article 182 de la loi du 15 mai 2007 est donc compatible avec les articles 10 et 11
de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de la légalité, de la sécurité juridique et de la séparation des pouvoirs en ce qu’il n’entoure pas de garanties procédurales ni d’un contrôle parlementaire a posteriori l’interdiction de déplacement ou la limitation de mouvement décidée par le ministre de l’Intérieur.
Quant à la quatrième question préjudicielle dans les affaires nos 7543 et 7544
B.20. Il ressort des motifs de chacune des deux décisions de renvoi que la Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cette disposition législative n’autorise pas le juge compétent pour connaître des infractions qu’elle instaure à tenir compte de circonstances atténuantes qui lui permettraient de condamner la personne qui a refusé ou négligé de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi, à une peine d’amende ou à une peine d’emprisonnement moins forte que les peines minimales établies par la disposition législative en cause.
Il ressort aussi des motifs des décisions de renvoi que la Cour est invitée à se prononcer sur la différence de traitement que l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 ferait ainsi naître entre, d’une part, les personnes reconnues coupables d’avoir refusé ou négligé de se conformer à un arrêté ministériel qui, pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même
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loi, porte des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus COVID-19 et, d’autre part, les personnes qui sont reconnues coupables d’une infraction définie dans le Code pénal ou d’un délit visé à l’article 138 du Code d’instruction criminelle, dans la mesure où
seules les personnes de la seconde catégorie pourraient faire valoir des circonstances atténuantes autorisant le juge à prononcer une peine d’amende ou d’emprisonnement moins forte que les peines minimales que la loi établit pour les infractions commises.
B.21.1. Le Code pénal se compose de deux livres. Le premier (« Des infractions et de la répression en général ») énonce un grand nombre de règles générales, qui sont en principe applicables à toutes les infractions définies par les lois pénales (Cass., 26 octobre 2010, P.09.1627.N). Ces règles générales sont donc, en principe, applicables entre autres aux nombreuses infractions qui sont définies dans le livre II du Code pénal (« Des infractions et de leur répression en particulier »).
B.21.2. Les articles 85 et 100 du Code pénal font partie du premier livre de ce Code.
B.21.3. L’article 85, alinéa 1er, de ce Code, tel qu’il a été remplacé par l’article 7 de la loi du 17 avril 2002 « instaurant la peine de travail comme peine autonome en matière correctionnelle et de police », puis modifié par l’article 55 de la loi du 5 février 2016
« modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice », dispose :
« S’il existe des circonstances atténuantes, les peines d’emprisonnement, […] et les peines d’amende pourront respectivement être réduites au-dessous de huit jours, […] et de vingt-six euros, sans qu’elles puissent être inférieures aux peines de police ».
Cette disposition concerne la réduction des peines correctionnelles (Cass., 5 juin 2007, P.06.1655.N). L’infraction que la loi punit d’une peine de ce type est un délit (article 1er, alinéa 2, du Code pénal).
B.21.4.1. L’article 100 du Code pénal dispose :
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« À défaut de dispositions contraires dans les lois et règlements particuliers, les dispositions du premier livre du présent code seront appliquées aux infractions prévues par ces lois et règlements, à l’exception du chapitre VII et de l’article 85 ».
B.21.4.2. Par cette disposition, le législateur n’a pas opté pour étendre de manière générale l’application des circonstances atténuantes applicables aux délits, visées à l’article 85 du Code pénal, à toutes les lois pénales spéciales (Doc. parl., Chambre, 1866-1867, séance du 22 février 1867, n° 95, p. 6).
Le législateur est parti du constat qu’ « admettre, pour toutes les infractions, la diminution [de la peine] résultant des circonstances atténuantes, peut avoir des conséquences fâcheuses au point de vue de la répression », craignant que « les juges ne soient trop facilement disposés à admettre des circonstances atténuantes et à rendre ainsi la pénalité inefficace » (Doc. parl., Sénat, 1862-1863, séance du 20 décembre 1862, n° 19, pp. 4-5).
Concernant l’admission des circonstances atténuantes, il a été souligné :
« Depuis un assez grand nombre d’années, chaque fois qu’une loi a été votée, l’attention du législateur a été appelée sur l’admission des circonstances atténuantes. Plusieurs lois ont investi le juge de la faculté d’en tenir compte, par un texte formel, tandis que d’autres lois n’en autorisaient pas l’application.
Ce fait démontre à lui seul qu’il est des matières où elles ne doivent pas pouvoir être admises par le juge, et que, par conséquent, une disposition générale à cet égard dépasserait le but » (Doc. parl., Chambre, 1866-1867, séance du 28 novembre 1866, n° 27, p. 14).
B.21.5. Il résulte de ce qui précède qu’une personne reconnue coupable d’une infraction qui, en vertu d’une disposition du livre II du Code pénal, est réprimée par une peine correctionnelle peut, sauf si cette disposition en dispose autrement, faire valoir des circonstances atténuantes autorisant le juge à prononcer, en application de l’article 85, alinéa 1er, de ce Code, une peine d’amende ou d’emprisonnement moins forte que les peines minimales que le livre II établit pour ce délit.
Par contre, il résulte de l’article 100 du Code pénal que la personne reconnue coupable d’un délit qui est défini par une loi autre que le Code pénal ne peut faire valoir des circonstances
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atténuantes autorisant le juge à prononcer, en application de l’article 85, alinéa 1er, de ce Code, une peine moins forte que la peine minimale établie par cette autre loi que si cette dernière loi le prévoit.
B.22.1. Conformément à l’article 138, 15°, du Code d’instruction criminelle, tel qu’il a été modifié par l’article 2 de la loi du 30 décembre 2009 « portant des dispositions diverses en matière de Justice (I) », le tribunal de police est compétent à l’égard des « délits dont la connaissance leur est attribuée par une disposition spéciale ».
L’article 140 du Code d’instruction criminelle, tel qu’il a été modifié par l’article 1er, 83°, de la loi du 10 juillet 1967, dispose :
« Chaque fois qu’il est saisi de délits en vertu de l’article 138, le tribunal de police applique aux prévenus les peines portées par la loi contre ces délits ou peut réduire ces peines en constatant l’existence d’une excuse ou de circonstances atténuantes, si elles sont légalement admissibles ».
L’article 13 de la loi du 20 mai 2020 « portant des dispositions diverses en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 » (ci-après : la loi du 20 mai 2020) dispose :
« Sans préjudice des articles 137 et 138 du Code d’instruction criminelle, le tribunal de police connait des infractions visées à l’article 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile dans la mesure où celles-ci concernent le refus ou la négligence de se conformer aux mesures définies dans un arrêté ministériel pris en application de l’article 182 de la même loi et portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 ».
B.22.2. Il résulte des dispositions précitées qu’en l’absence d’une disposition expresse dans la loi pénale particulière, les dispositions du Code pénal relatives aux circonstances atténuantes ne peuvent être appliquées (article 100 du Code pénal).
L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 100 du Code pénal, a dès lors pour conséquence d’empêcher le juge d’apprécier l’ensemble des circonstances de la cause, en tenant compte de circonstances atténuantes qui l’autoriseraient, le
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cas échéant, à prononcer, en application de l’article 85, alinéa 1er, de ce Code, une peine moins forte que les peines minimales établies à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007.
B.23. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.24.1. Sous la réserve qu’il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut déterminer lui-même la politique répressive et limiter ainsi le pouvoir d’appréciation du juge.
Il revient dès lors au législateur d’apprécier s’il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général. Cette sévérité doit s’apprécier dans son ensemble, au regard des différents éléments du régime répressif créé, et elle peut notamment porter sur la faculté offerte au juge, s’il existe des circonstances atténuantes, d’infliger une peine moins forte que les peines minimales prévues par la loi.
B.24.2. Le principe de la proportionnalité des peines fait partie intégrante de notre système juridique qui, en règle, permet au juge de choisir la peine entre un minimum et un maximum, de tenir compte de circonstances atténuantes et d’ordonner le sursis et la suspension du prononcé, le juge pouvant ainsi individualiser la peine dans une certaine mesure, en infligeant celle qu’il estime proportionnée à l’ensemble des éléments de la cause.
Cette prise en compte de la proportionnalité de la peine, par la possibilité de tenir compte de circonstances atténuantes, est toutefois exclue pour l’infraction visée à l’article 187,
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alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007. Non seulement les sanctions pénales que cette disposition prévoit s’appliquent à la personne reconnue coupable d’avoir refusé ou négligé de se conformer à un arrêté ministériel pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, mais la possibilité de modérer ces sanctions, par la prise en compte de circonstances atténuantes, est inexistante.
B.24.3. Si, comme il est dit en B.24.1, c’est au législateur qu’il appartient d’apprécier s’il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l’intérêt général, il convient d’apprécier si son choix n’est pas manifestement déraisonnable.
Il ressort en effet des travaux préparatoires cités en B.21.4.2 qu’en adoptant l’article 100
du Code pénal, le législateur a certes exclu une application automatique des circonstances atténuantes aux infractions prévues par les lois pénales spéciales, mais il a voulu permettre que le législateur émette un choix, pour chaque loi pénale spéciale, quant à l’admission de circonstances atténuantes.
Par ailleurs, en ce qui concerne les communautés et les régions, l’article 11, alinéa 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles prévoit que, dans les limites des compétences des communautés et des régions, les décrets peuvent ériger en infraction les manquements à leurs dispositions et établir les peines punissant ces manquements. Les dispositions du livre premier du Code pénal, dont l’article 85 relatif aux circonstances atténuantes, s’y appliquent, sauf les exceptions qui peuvent être prévues par décret pour des infractions particulières. En ce qui concerne les décrets et ordonnances, la règle est donc que les circonstances atténuantes sont applicables, sauf si cela est exclu dans le décret concerné ou dans l’ordonnance concernée.
B.25.1. Il appartient à la Cour d’examiner en l’espèce si, au regard du principe d’égalité et de non-discrimination, le choix du législateur de ne pas permettre au juge de tenir compte des circonstances atténuantes n’est pas manifestement déraisonnable.
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B.25.2. En vertu de l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, la personne reconnue coupable d’avoir refusé ou négligé de se conformer à un arrêté ministériel qui, pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, porte des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus COVID-19 est considérée comme ayant refusé ou négligé de se conformer à une règle adoptée « en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population ».
Sous réserve de ce qui sera dit concernant la troisième question préjudicielle, le législateur permet ainsi de qualifier un comportement de refus ou de négligence, indépendamment du degré d’imputabilité dans le cas concret de délit considéré comme nuisant particulièrement à l’intérêt général. Un tel régime témoigne d’une sévérité accrue du législateur, d’autant que les comportements érigés en infraction, lorsqu’ils ont lieu en dehors des « circonstances dangereuses » visées à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, relèvent de la vie courante des citoyens.
B.25.3. L’on n’aperçoit pas, en l’espèce, pour quelle raison l’exclusion de l’application de circonstances atténuantes serait justifiée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. Par ailleurs, l’infraction visée à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 ne requiert aucun élément moral particulier.
Il est dès lors manifestement déraisonnable de ne pas autoriser le juge compétent pour connaître de ce type de délits à appliquer l’article 85 du Code pénal.
B.26. L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 100 du Code pénal, n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il ne permet pas au juge compétent pour connaître des infractions qu’il instaure d’appliquer l’article 85 du Code pénal.
Il découle de ce constat que le juge qui se prononce sur les délits visés à l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, qui portent sur le refus ou la négligence de se conformer à un arrêté ministériel qui, pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai
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2007, porte des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus COVID-19, doit pouvoir tenir compte de circonstances atténuantes à l’égard des faits dont il est saisi.
Quant à la troisième question préjudicielle dans les affaires nos 7543 et 7544
B.27. Il ressort des motifs des deux décisions de renvoi que la Cour est aussi interrogée sur la compatibilité de l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que cette disposition législative expose la personne qui néglige de se conformer aux mesures ministérielles ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi à une peine aussi forte que celle qu’encourt la personne qui refuse de se conformer aux mêmes mesures.
B.28. L’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« Toutes les personnes […] ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi […] ».
B.29.1. L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 autorise le juge compétent à infliger à la personne qui, en temps de paix, néglige de se conformer aux mesures ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi une peine aussi forte que celle qu’il pourrait infliger à la personne qui, dans les mêmes circonstances, refuse de se conformer à ces mesures.
Comme il est dit en B.25.2, en traitant de la même manière celui qui refuse et celui qui néglige de se comporter conformément aux mesures ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi, le législateur érige en infraction un comportement de refus ou de négligence, indépendamment d’un élément intentionnel, et sanctionne un comportement qui, en dehors des « circonstances dangereuses » visées à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, relève de la vie courante des citoyens, ce qui témoigne d’une sévérité accrue du législateur.
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B.29.2. En ce qu’il renvoie à l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, l’article 187, alinéa 1er, de la même loi tend à assurer le respect de décisions prises par l’autorité compétente « en cas de circonstances dangereuses, en vue d’assurer la protection de la population ».
Le législateur a pu estimer que le comportement de la personne qui néglige de se conformer aux mesures prises dans des circonstances exceptionnelles de ce type nuit autant aux intérêts de la collectivité que le comportement de la personne qui refuse de se conformer à ces mesures.
Compte tenu de ce qui est dit en B.26 concernant l’admission des circonstances atténuantes, le fait que les deux catégories de personnes décrites en B.27 soient, au regard de la mesure critiquée, considérées comme relevant d’un même comportement répréhensible n’empêchera pas le juge de tenir compte, le cas échéant, de circonstances atténuantes lui permettant, au regard de l’ensemble des circonstances d’espèce, de prononcer une peine d’amende ou d’emprisonnement moins forte que les peines minimales que la loi établit pour les infractions commises.
B.30. Compte tenu de ce qui est dit en B.26 et en B.29.2, l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qu’il traite la personne qui néglige de se conformer aux mesures ministérielles ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi de la même manière que la personne qui refuse de se conformer à ces mesures.
Quant aux cinq dernières questions préjudicielles dans les affaires nos 7543 et 7544
B.31. Il ressort des motifs de chacune des deux décisions de renvoi que les cinq dernières questions préjudicielles invitent en substance la Cour à examiner si, en ce qu’il « habiliterait »
le ministre compétent à interdire divers comportements qui, lorsqu’ils sont adoptés, exposeraient son auteur aux peines établies par l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, l’article 182, alinéa 1er, de la même loi viole l’article 12, alinéa 2, de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et
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politiques, au motif que le contenu de ces interdictions ministérielles ou les modalités de leur adoption seraient incompatibles avec diverses autres règles énoncées par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l’homme et certains de ses protocoles additionnels, ainsi que par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
B.32.1. Comme il est dit en B.5.3, l’article 12, alinéa 2, de la Constitution n’interdit pas au législateur d’habiliter un organe du pouvoir exécutif à préciser les contours d’une infraction qu’il instaure, pour autant qu’il définisse cette habilitation en des termes suffisamment précis et que celle-ci porte sur l’exécution de mesures dont il a préalablement fixé les éléments essentiels.
B.32.2. Comme il est dit en B.8.3 et B.8.4, le législateur a déterminé les éléments essentiels des mesures que le ministre est habilité à prendre en exécution de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, et les termes « circonstances dangereuses » et « protection de la population » qui sont employés dans cette disposition sont, eu égard au contexte, suffisamment précis pour déterminer les contours de cette habilitation.
Les cinq dernières questions préjudicielles n’invitent pas la Cour à examiner si d’autres termes de cette disposition sont suffisamment précis.
B.33. Ces questions préjudicielles invitent la Cour à juger si le contenu de mesures qu’un ministre aurait prises en exécution de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, ou la manière dont ces mesures auraient été prises, est compatible avec diverses règles énoncées par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l’homme et par certains de ses protocoles additionnels, ainsi que par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
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B.34.1. La Cour est uniquement compétente pour répondre aux questions préjudicielles qui portent sur la validité de normes adoptées par un législateur (article 142, alinéa 2, de la Constitution; article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle).
B.34.2. L’examen de la compatibilité du contenu d’interdictions qui auraient été édictées par un ministre en exécution de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, ou de la manière dont ces interdictions auraient été décidées, avec des règles énoncées par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l’homme et par certains de ses protocoles additionnels, ainsi que par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne relève pas de la compétence de la Cour.
B.35. Les cinq dernières questions préjudicielles sont irrecevables.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
1. Les articles 182, alinéa 1er, et 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile » ne violent pas les articles 12, alinéa 2, et 14, de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 12, alinéa 1er, 15, 16, 22 et 26 de la Constitution, avec les articles 5, 7, 8 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à ladite Convention, avec l’article 2 du Protocole n° 4 à la même Convention et avec les articles 9, 12, 15, 17 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
2. En ce qu’elle porte sur la compatibilité de l’article 182 de la loi du 15 mai 2007 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, la deuxième question préjudicielle dans les affaires nos 7543
et 7544 est irrecevable.
3. L’article 182 de la loi du 15 mai 2007 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec les principes de légalité, de la sécurité juridique et de la séparation des pouvoirs, en ce qu’il n’entoure pas de garanties procédurales ni d’un contrôle parlementaire a posteriori l’interdiction de déplacement ou la limitation de mouvement décidée par le ministre de l’Intérieur.
4. L’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l’article 100
du Code pénal, en ce qu’il s’applique au refus ou à la négligence de se conformer à un arrêté ministériel qui, pris en application de l’article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, porte des mesures d’urgence visant à limiter la propagation du coronavirus COVID-19, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il ne permet pas au juge compétent pour connaître des infractions qu’il instaure de tenir compte de circonstances atténuantes à l’égard des faits dont il est saisi.
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5. En ce qu’il traite la personne qui néglige de se conformer aux mesures ministérielles ordonnées en application de l’article 182, alinéa 1er, de la même loi de la même manière que la personne qui refuse de se conformer à ces mesures, l’article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 26
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
6. Les cinq dernières questions préjudicielles dans les affaires nos 7543 et 7544 sont irrecevables.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 septembre 2022.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 109/2022
Date de la décision : 22/09/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

1. Non-violation (articles 182, alinéa 1er, et 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007) 2. Irrecevabilité de la deuxième question préjudicielle dans les affaires nos 7543 et 7544 (en ce qu'elle porte sur la compatibilité de l'article 182 de la loi du 15 mai 2007 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme) 3. Non-violation (article 182 de la loi du 15 mai 2007, en ce qu'il n'entoure pas de garanties procédurales ni d'un contrôle parlementaire a posteriori l'ordre d'éloignement donné par le ministre de l'Intérieur) 4. Violation (article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, lu en combinaison avec l'article 100 du Code pénal, en ce qu'il s'applique au refus ou à la négligence de se conformer à un arrêté ministériel qui, pris en application de l'article 182, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, porte des mesures d'urgence visant à limiter la propagation du coronavirus COVID-19, en ce qu'il ne permet pas au juge compétent pour connaître des infractions qu'il instaure de tenir compte de circonstances atténuantes à l'égard des faits dont il est saisi) 5. Non-violation (article 187, alinéa 1er, de la loi du 15 mai 2007, en ce qu'il traite la personne qui néglige de se conformer aux mesures ministérielles ordonnées en application de l'article 182, alinéa 1er, de la même loi de la même manière que la personne qui refuse de se conformer à ces mesures) 6. Irrecevabilité des cinq dernières questions préjudicielles dans les affaires nos 7543 et 7544

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles concernant les articles 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 « relative à la sécurité civile », posées par le Tribunal de police du Hainaut, division de Charleroi. Sécurité civile - Circonstances dangereuses - Protection de la population - Mesures visant à lutter contre la propagation du COVID-19 - 1. Habilitation au ministre - 2. Poursuites et sanctions - Circonstances atténuantes


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-09-22;109.2022 ?

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