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15/09/2022 | BELGIQUE | N°104/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 15 septembre 2022, 104/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 104/2022
du 15 septembre 2022
Numéro du rôle : 7533
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 103, § 1er, 1°, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, posée par le Tribunal du travail de Liège, division de Huy.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J. Moerman, Y. Kherbache, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989
sur la Cour

constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, pré...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 104/2022
du 15 septembre 2022
Numéro du rôle : 7533
En cause : la question préjudicielle concernant l’article 103, § 1er, 1°, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, posée par le Tribunal du travail de Liège, division de Huy.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, des juges J. Moerman, Y. Kherbache, E. Bribosia et W. Verrijdt, et, conformément à l’article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989
sur la Cour constitutionnelle, du juge émérite J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par jugement du 12 mars 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 15 mars 2021, le Tribunal du travail de Liège, division de Huy, a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, interprété en ce sens qu’il entraîne la suspension complète des indemnités d’incapacité de travail pour travailleur indépendant en cas de perception d’une rémunération garantie sans distinguer selon que cette dernière a été calculée sur la base d’une partie ou, au contraire, de la totalité de leurs activités, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’il traite ainsi de manière identique tous les travailleurs sans avoir égard au fait que ceux-ci exercent une seule ou plusieurs activités distinctes ? ».
Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me V. Pertry, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire.
Par ordonnance du 8 juin 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait
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tenue, à moins que le Conseil des ministres n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendu, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 29 juin 2022 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 29 juin 2022.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
La partie défenderesse devant la juridiction a quo est logopède sous le statut d’indépendant à titre principal et exerce en outre une activité salariée à titre complémentaire à temps partiel. Le 22 septembre 2019, elle tombe en incapacité de travail et en informe sa mutuelle, l’Union nationale des mutualités libres. Par décision du 21 octobre 2019, cette dernière l’informe qu’elle a droit, en sa qualité d’indépendante, à une indemnité de 37,35 euros par jour. Pour la période du 22 septembre 2019 au 24 octobre 2019, la partie défenderesse devant la juridiction a quo perçoit 1 045,80 euros de sa mutuelle. En outre, pour la période du 22 septembre 2019 au 21 octobre 2019, elle perçoit 656 euros à titre de salaire garanti dans le cadre de son activité salariée complémentaire. Par décision du 18 décembre 2019, l’Union nationale des mutualités libres lui demande de rembourser 933,75 euros, à savoir l’intégralité des indemnités qui lui ont été versées pour la période couverte par le salaire garanti. Par requête du 3 juillet 2020, l’Union nationale des mutualités libres saisit la juridiction a quo et demande que la partie défenderesse devant la juridiction a quo soit condamnée à rembourser cette somme. La juridiction a quo constate que l’article 28 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 « instituant une assurance indemnités et une assurance maternité en faveur des travailleurs indépendants et des conjoints aidants » (ci-après : l’arrêté royal du 20 juillet 1971) prévoit que les prestations sont en principe refusées pour les périodes visées à l’article 103
de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après : la loi du 14 juillet 1994), notamment pour la période pour laquelle le travailleur a droit à une rémunération. La juridiction a quo souligne que l’article 103 de la loi du 14 juillet 1994 ne prend pas en considération les carrières mixtes, à savoir soit la situation où une personne est occupée sous plusieurs contrats de travail à temps partiel, soit la situation où une personne exerce une activité sous le statut d’indépendant et une autre sous celui de salarié. Elle constate que la première de ces deux situations a fait l’objet de l’arrêt de la Cour n° 141/2014 du 25 septembre 2014 et elle se demande si cet arrêt pourrait être transposé à la seconde situation. Selon la juridiction a quo, une application stricte de l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994 aboutit à la perte de la totalité des indemnités d’incapacité de travail lorsque le travailleur perçoit un salaire garanti, sans distinguer selon que ce dernier concerne la totalité ou une partie des activités du travailleur. Elle considère qu’il pourrait en résulter une discrimination et elle pose donc la question préjudicielle reproduite plus haut.
III. En droit
-A-
A.1.1. À titre principal, le Conseil des ministres fait valoir que la question préjudicielle n’appelle pas de réponse, dès lors que l’éventuelle discrimination ne résulte pas de l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994. Selon lui, c’est en réalité l’article 28 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 qui interdit au travailleur indépendant exerçant en outre une activité salariée à titre complémentaire de cumuler une indemnité d’incapacité de travail dans le régime des travailleurs indépendants avec un salaire garanti. Le Conseil des ministres observe qu’en
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l’absence de l’article 28 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971, rien ne s’opposerait à un tel cumul. Il souligne que cet article renvoie à l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994 uniquement pour déterminer les périodes durant lesquelles un travailleur indépendant ne peut pas bénéficier d’une indemnité d’incapacité de travail. Il observe que l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994 interdit, en lui-même, uniquement au travailleur salarié de percevoir une indemnité d’incapacité de travail dans le régime des travailleurs salariés pour la période durant laquelle il a droit à une rémunération. Selon lui, cette disposition vise à interdire un cumul dans le régime des travailleurs salariés et non dans celui des travailleurs indépendants. Enfin, le Conseil des ministres rappelle que la Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité d’un arrêté royal.
A.1.2. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir que l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994 est compatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination. Après avoir souligné que la décision de renvoi ne détermine pas clairement si la question préjudicielle porte sur une différence de traitement ou sur une identité de traitement et qu’elle n’identifie pas clairement les catégories comparées, le Conseil des ministres indique qu’il comprend que la question préjudicielle porte sur l’identité de traitement entre les travailleurs salariés qui exercent une seule activité et les travailleurs salariés qui exercent plusieurs activités. Selon lui, dès lors que la question préjudicielle vise l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994, elle ne peut en effet que porter sur une comparaison entre des travailleurs salariés. Le Conseil des ministres fait valoir que la réponse à cette question ne présente pas d’utilité en l’espèce, dès lors que la partie défenderesse devant la juridiction a quo est indépendante.
Enfin, il se réfère à l’arrêt n° 141/2014, précité, par lequel la Cour a jugé que l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors qu’il peut être interprété comme permettant l’application du principe du pro rata temporis dans le cas d’un travailleur occupé dans les liens de plusieurs contrats de travail à temps partiel.
-B-
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article 103, § 1er, 1°, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après : la loi du 14 juillet 1994), dans sa version antérieure à la modification apportée par l’article 31 de la loi du 28 février 2022 « portant des dispositions diverses en matière sociale ».
L’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994, qui s’applique à l’assurance indemnités dans le régime des travailleurs salariés, dispose :
« Le travailleur ne peut prétendre aux indemnités :
1° pour la période pour laquelle il a droit à une rémunération. La notion de rémunération est déterminée par l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs.
Toutefois, le Roi peut étendre ou limiter la notion ainsi définie ».
B.2. Il ressort du libellé de la question préjudicielle et des motifs de la décision de renvoi que la Cour est interrogée sur la compatibilité de l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cette disposition s’oppose à ce qu’une personne qui travaille à titre principal sous le statut d’indépendant et qui exerce en outre
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une activité salariée à titre complémentaire puisse bénéficier d’indemnités d’incapacité de travail dans le régime des travailleurs indépendants pour la période durant laquelle elle perçoit un salaire garanti dans le cadre de son activité salariée complémentaire.
B.3. Le Conseil des ministres fait valoir que l’interdiction, pour la personne qui travaille à titre principal sous le statut d’indépendant et qui exerce en outre une activité salariée à titre complémentaire, de bénéficier d’indemnités d’incapacité de travail dans le régime des travailleurs indépendants pour la période durant laquelle elle perçoit un salaire garanti résulte, non pas de l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994, mais de l’article 28 de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 « instituant une assurance indemnités et une assurance maternité en faveur des travailleurs indépendants et des conjoints aidants » (ci-après : l’arrêté royal du 20 juillet 1971).
B.4. L’article 86, § 3, de la loi du 14 juillet 1994 dispose :
« Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, prévoir une assurance indemnités en faveur des travailleurs indépendants et des aidants soumis à la législation organisant le statut social des travailleurs indépendants ainsi que des conjoints aidants visés à l’article 7bis de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants.
Il fixe les conditions dans lesquelles cette assurance est applicable, l’importance des indemnités payées et le montant de la subvention de l’Etat destinée à cette assurance.
[…] ».
En application de cette disposition, l’assurance indemnités bénéficiant aux travailleurs indépendants est organisée par l’arrêté royal du 20 juillet 1971.
B.5. L’article 28, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 20 juillet 1971, tel qu’il est applicable dans l’affaire devant la juridiction a quo, dispose :
« Les prestations sont refusées pour les périodes visées à l’article 103 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994, sauf s’il s’agit d’une période couverte par une rémunération acquise par une activité en application des articles 22, 23 et 23bis ».
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L’article 28, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 détermine ainsi les périodes pour lesquelles les indemnités d’incapacité de travail dans le régime des travailleurs indépendants ne sont pas octroyées.
L’interdiction, pour la personne qui travaille à titre principal sous le statut d’indépendant et qui exerce en outre une activité salariée à titre complémentaire, de bénéficier d’indemnités d’incapacité de travail dans le régime des travailleurs indépendants pour la période durant laquelle elle perçoit un salaire garanti résulte de l’article 28, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 20 juillet 1971. Cette interdiction résulte en effet du choix effectué par le Roi lorsqu’Il a fixé les périodes pour lesquelles les indemnités d’incapacité de travail dans le régime des travailleurs indépendants ne sont pas octroyées. En l’espèce, bien que l’article 28, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 20 juillet 1971 renvoie notamment à l’article 103, § 1er, 1°, de la loi du 14 juillet 1994, l’examen de la compatibilité de l’interdiction précitée avec les articles 10 et 11 de la Constitution n’emporterait aucune appréciation de la constitutionnalité de cette disposition législative.
B.6. Ni la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle ni aucune autre disposition constitutionnelle ou législative ne confèrent à la Cour le pouvoir de statuer sur la compatibilité d’un arrêté royal avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
En l’espèce, cette compétence appartient à la juridiction a quo en vertu de l’article 159 de la Constitution.
B.7. La question préjudicielle ne relève pas de la compétence de la Cour.
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Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
La question préjudicielle ne relève pas de la compétence de la Cour.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 15 septembre 2022.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 104/2022
Date de la décision : 15/09/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-09-15;104.2022 ?

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