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22/07/2022 | BELGIQUE | N°100/2022

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 22 juillet 2022, 100/2022


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 100/2022
du 22 juillet 2022
Numéro du rôle : 7513
En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 3 et 4 de la loi du 12 janvier 2017 « modifiant la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit », posées par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée du président P. Nihoul, de la juge J. Moerman, faisant fonction de présidente, et des juges J.-P. Moerman, Y. Kherbache, D. Pieters, E. Bribosia et W. Verrijdt, assist

ée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en a...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 100/2022
du 22 juillet 2022
Numéro du rôle : 7513
En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 3 et 4 de la loi du 12 janvier 2017 « modifiant la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit », posées par le Conseil d’État.
La Cour constitutionnelle,
composée du président P. Nihoul, de la juge J. Moerman, faisant fonction de présidente, et des juges J.-P. Moerman, Y. Kherbache, D. Pieters, E. Bribosia et W. Verrijdt, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par l’arrêt n° 249.648 du 29 janvier 2021, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 10 février 2021, le Conseil d’État a posé les questions préjudicielles suivantes :
« 1. Les articles 3 et 4 de la loi du 12 janvier 2017 modifiant la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit, interprétés en ce sens que les nouvelles conditions de recevabilité introduites par 1’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 ne s’appliquent pas de manière rétroactive à la requérante qui remplissait ces nouvelles conditions lorsqu’elle a introduit une demande initiale de pension jugée irrecevable au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions de l’article 1er, § 4, de la loi du 15 mars 1954 précitée avant sa modification par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017, pour la période allant de la date d’introduction de sa demande initiale de pension au 1er février 2017, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’ils traitent différemment, d’une part, les personnes ayant introduit à la même période que la requérante leur demande de pension et qui remplissaient les anciennes conditions de nationalité et de résidence jugées discriminatoires par la Cour constitutionnelle et trop strictes par le législateur, lesquelles ont eu droit au bénéfice de cette pension à dater du premier jour du mois de l’introduction de leur demande, et, d’autre
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part, la requérante, qui n’y aurait droit qu’à dater du 1er février 2017 en raison du seul fait qu’elle ne remplissait pas les anciennes conditions de nationalité et de résidence jugées discriminatoires par la Cour constitutionnelle et trop strictes par le législateur ?
2. En cas de réponse négative à la première question, les articles 3 et 4 de la loi du 12 janvier 2017 modifiant la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit, interprétés en ce sens que les nouvelles conditions de recevabilité introduites par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 ne s’appliquent qu’à partir du 1er février 2017 au demandeur qui remplissait ces nouvelles conditions lorsqu’il a introduit une demande initiale de pension jugée irrecevable au motif qu’il ne remplissait pas les conditions de l’article 1er, § 4, de la loi du 15 mars 1954 précitée avant sa modification par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’ils impliquent que lui soit appliqué, avant le 1er février 2017, l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954 tel qu’il était en vigueur avant d’être modifié par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017, lequel, pour bénéficier d’une pension de dédommagement, imposait aux personnes victimes civiles de la guerre ayant la nationalité belge au moment de la demande de pension mais qui n’avaient pas cette nationalité au moment du fait dommageable ou qui n’avaient pas introduit une demande de naturalisation avant le 10 mai 1940, qui n’ont pas accompli leur 22e année avant le 10 mai 1940, ont eu leur résidence habituelle en Belgique depuis le 1er janvier 1931 et ont acquis la nationalité belge avant le 1er janvier 1960, une condition de résidence ininterrompue en Belgique depuis le 1er janvier 1931 jusqu’au jour de la demande de pension, alors que cette condition n’était pas exigée des personnes victimes civiles de la guerre qui avaient la nationalité belge au moment du fait dommageable ou qui avaient introduit une demande de naturalisation avant le 10 mai 1940 ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- Madeleine Goldmann, assistée et représentée par Me S. Kaisergruber, avocat au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me P. Slegers et Me S. Ben Messaoud, avocats au barreau de Bruxelles.
Par ordonnance du 18 mai 2022, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et J. Moerman, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 8 juin 2022 et l’affaire mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 8 juin 2022.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
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II. Les faits et la procédure antérieure
Madeleine Goldmann naît le 6 janvier 1939 à Bruxelles. À partir de 1942, elle vit cachée pour échapper à l’application des lois défavorables aux juifs. Ses parents sont déportés et assassinés à Auschwitz. Elle continue à vivre en Belgique et acquiert la nationalité belge en 1958. À l’issue de ses études, elle travaille quelques années en Belgique avant d’accepter un emploi temporaire aux États-Unis d’Amérique, où elle séjourne de 1966 à 1975.
Depuis son retour, elle a toujours vécu en Belgique.
Le 27 mai 2005, Madeleine Goldmann introduit une demande de pension d’invalidité au titre de victime civile de la guerre 1940-1945. Le 30 octobre 2008, la Commission civile d’invalidité de Bruxelles décide que cette demande est irrecevable au motif que la demanderesse n’a pas eu sa résidence habituelle en Belgique sans interruption depuis sa naissance. Le 5 octobre 2011, la Commission supérieure d’appel de Bruxelles confirme cette décision, qu’elle fonde sur la condition de résidence énoncée à l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954 « relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit », tel qu’il a été remplacé par l’article 1er de la loi du 17 février 1975 modifiant la loi précitée.
Le 3 décembre 2015, la Cour rend l’arrêt n° 172/2015, par lequel elle juge que l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, tel qu’il a été remplacé par l’article 1er de la loi du 17 février 1975, viole les articles 10
et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et avec l’article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « en ce qu’il impose au demandeur de façon générale et en toute circonstance d’avoir conservé sur le territoire national sa résidence habituelle de manière ininterrompue à compter du 1er janvier 1931 ou de sa naissance ».
Considérant que cet arrêt est un élément nouveau au sens de l’article 26 de la loi du 15 mars 1954, Madeleine Goldmann introduit, le 24 février 2016, une demande de révision de la décision précitée du 30 octobre 2008. Le 23 octobre 2018, la Commission civile d’invalidité de Bruxelles fait droit à cette demande et décide d’allouer une pension annuelle d’invalidité à Madeleine Goldmann, à partir du 1er février 2017. La commission fonde sa décision sur le fait que la modification de la condition de résidence établie par l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954 par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 « modifiant la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit » a pour effet que l’octroi d’une pension à Madeleine Goldmann n’est plus subordonné à la condition d’avoir eu sa résidence habituelle en Belgique de manière ininterrompue depuis sa naissance, mais uniquement à la condition d’avoir eu sa résidence habituelle sur le territoire au moment où se sont produits les faits de guerre justifiant la demande de dédommagement.
Le 17 janvier 2019, Madeleine Goldmann introduit un recours contre cette dernière décision en ce que celle-
ci ne lui reconnaît un droit à la pension qu’à partir du 1er février 2017. Elle soutient, à titre principal, qu’en application de l’article 11, alinéa 1er, de la loi du 15 mars 1954, ce droit aurait dû lui être reconnu à compter du premier jour du mois de l’introduction de sa première demande de pension, soit le 1er mai 2005. À titre subsidiaire, elle soutient que ce droit aurait dû lui être reconnu le 1er mai 2016, en application de l’article 3, § 1er, alinéa 2, de la loi du 12 janvier 2017. Le 16 avril 2019, la Commission supérieure d’appel de Bruxelles déclare que ce recours n’est pas fondé. Elle considère que la décision précitée du 30 octobre 2008 est une décision exécutoire non conforme à l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017, et observe que, selon l’article 3, § 2, de cette loi, lorsqu’une telle décision est révisée afin qu’il soit tenu compte de la modification législative apportée par l’article 2, le droit au bénéfice de cette modification est reconnu à partir du premier jour du mois au cours duquel la demande de révision de la décision exécutoire a été formulée. La Commission supérieure d’appel de Bruxelles estime que la demande du 24 février 2016 est une demande de révision au sens de l’article 3, § 2, de la loi du 12 janvier 2017, mais elle considère que la modification législative apportée par l’article 2 de cette loi n’est applicable qu’à partir du jour de l’entrée en vigueur de cette loi, soit le 1er février 2017, de sorte que la révision de la décision précitée ne peut sortir ses effets avant cette date.
Examinant le recours en cassation dirigé contre la décision rendue le 16 avril 2019 par la Commission supérieure d’appel de Bruxelles, la section du contentieux administratif du Conseil d’État juge que la demande de révision du 24 février 2016 est une « demande en cours » au sens de l’article 3, § 3, de la loi du 12 janvier 2017, et que, selon cette disposition, une pension ne peut être octroyée à la suite d’une telle demande qu’à partir de
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l’entrée en vigueur de cette loi, soit le 1er février 2017. Considérant que la décision du 16 avril 2019 ne viole pas les articles 3 et 4 de la loi du 12 janvier 2017, le Conseil d’État estime utile de poser à la Cour les questions préjudicielles reproduites plus haut, qui lui sont suggérées par Madeleine Goldmann.
III. En droit
-A-
Quant à la première question préjudicielle
A.1.1. Selon Madeleine Goldmann, la question appelle une réponse affirmative.
A.1.2. Elle estime qu’elle se trouve dans une situation comparable à celle des autres victimes de la guerre 1940-1945 qui, en 2005, ont introduit une demande de pension d’invalidité en application de la loi du 15 mars 1954 et qui remplissaient alors les conditions de nationalité et de résidence énoncées à l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de cette loi, tel qu’il était libellé avant sa modification par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017.
A.1.3. Madeleine Goldmann expose que la différence de traitement que les articles 3 et 4 de cette dernière loi font naître entre les deux catégories de personnes considérées ne repose sur aucun critère objectif et raisonnable.
Elle souligne que le compte rendu des travaux préparatoires de la loi du 12 janvier 2017 ne contient aucun commentaire de ces deux dispositions législatives. Elle déduit par contre de ces travaux que le pouvoir législatif considère désormais que les conditions de nationalité et de résidence énoncées à l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, tel qu’il était libellé à la suite de sa modification par l’article 1er de la loi du 17 février 1975, ne sont plus raisonnablement justifiées. Elle remarque que la modification de cette dernière disposition par la loi du 12 janvier 2017 a pour but de permettre l’octroi d’une pension d’invalidité aux victimes qui, comme elle, ont séjourné à l’étranger. Elle soutient qu’au vu de cet objectif, rien ne peut justifier que le bénéfice de cette pension accordé à ce type de victimes ne rétroagisse pas, à l’instar de ce qui est prévu pour les victimes qui n’ont pas séjourné à l’étranger. Elle précise que des considérations d’ordre budgétaire ne peuvent justifier le non-respect du principe d’égalité et de non-discrimination. Elle ajoute que le pouvoir législatif, pour respecter ce principe, ne pouvait assouplir les conditions d’octroi de la pension sans adopter un régime transitoire permettant l’application rétroactive de cette réforme aux personnes qui avaient déjà demandé une pension d’invalidité et auxquelles l’octroi de celle-ci avait été refusé parce qu’elles ne remplissaient pas les conditions énoncées dans la version antérieure de la loi.
Madeleine Goldmann considère enfin que la différence de traitement soulevée dans la question préjudicielle est d’autant moins justifiée qu’elle a pour effet de lui rendre applicable l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, tel qu’il était en vigueur jusqu’au 1er février 2017, alors que, par l’arrêt n° 172/2015, la Cour a jugé que cette disposition était inconstitutionnelle. Elle prétend que ce constat d’inconstitutionnalité a un effet rétroactif erga omnes, de sorte que cette version de cette disposition législative n’est plus applicable. Elle ajoute qu’à la suite de cet arrêt, elle pouvait légitimement s’attendre à une décision lui reconnaissant le bénéfice de la pension demandée, à compter de sa première demande de 2005.
Madeleine Goldmann précise qu’elle ne pense pas que les autorités publiques seraient obligées de rechercher les personnes qui ne remplissaient pas les conditions énoncées par l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, tel qu’il était en vigueur jusqu’au 1er février 2017, afin de les informer du fait qu’à la suite de l’entrée en vigueur de l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017, elles remplissent désormais les conditions énoncées par cette disposition de la loi du 15 mars 1954. Elle ne remet pas en cause la règle exprimée à l’article 3, § 2, de la loi du 12 mars 2017, selon laquelle c’est à ces personnes qu’il revient de s’informer des modifications
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législatives et d’entreprendre les démarches nécessaires à la révision d’une décision de refus antérieure qui serait incompatible avec les nouvelles conditions légales.
A.1.4. Madeleine Goldmann expose aussi que l’absence de justification raisonnable de la différence de traitement en cause a nécessairement des conséquences disproportionnées à l’objectif poursuivi.
Elle relève que la non-rétroactivité de la modification des conditions d’octroi de la pension résultant de l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 a des effets disproportionnés sur sa situation personnelle.
A.2.1. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.2.2. Il commence par rappeler que l’exigence de sécurité juridique et le principe de l’égalité des Belges devant la loi commandent au pouvoir législatif de ne conférer un effet rétroactif à une nouvelle loi qu’à titre exceptionnel.
Il précise qu’en l’espèce, la rétroactivité de la modification législative apportée par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 ferait naître une différence de traitement entre deux catégories de victimes qui ne remplissaient pas les conditions énoncées dans la version précédente de l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954 :
d’une part, celles qui avaient quand même introduit une demande de pension et, d’autre part, celles qui n’avaient pas introduit une telle demande. Le Conseil des ministres note qu’à défaut de point de repère dans le passé pour ces dernières, il ne serait pas possible de faire rétroagir la loi nouvelle à leur profit. Il se demande aussi comment les autorités pourraient retrouver la trace des victimes qui n’avaient pas introduit de demande parce qu’elles ne remplissaient pas les conditions anciennes, mais qui pourraient bénéficier d’une éventuelle rétroactivité de la loi nouvelle, que souhaite Madeleine Goldmann.
A.2.3. Le Conseil des ministres rappelle ensuite que le pouvoir législatif, lorsqu’il modifie une loi, n’est en principe pas tenu d’organiser un régime transitoire.
Il note cependant que la loi du 12 janvier 2017 ménage un équilibre entre l’application immédiate des nouvelles règles et la préservation des intérêts des victimes concernées. Elle dispense notamment celles qui avaient introduit une demande de révision avant l’entrée en vigueur de cette loi d’introduire une nouvelle demande et leur garantit que cette demande sera examinée compte tenu des nouvelles règles, afin qu’elles puissent bénéficier des nouvelles conditions légales à partir du 1er février 2017. Le Conseil des ministres reconnaît que le pouvoir législatif a par contre décidé de ne pas conférer d’effet rétroactif à la loi précitée. Il observe que le pouvoir législatif a choisi de ne pas modifier les droits passés, pour que les victimes qui, en raison des anciennes conditions, n’avaient pu obtenir la pension demandée ou ne l’avaient pas demandée puissent profiter des nouvelles conditions, plus souples. Il considère que la rétroactivité des nouvelles conditions aurait posé des problèmes pratiques, créé de l’insécurité juridique et fait naître des situations discriminatoires.
A.2.4. Le Conseil des ministres souligne aussi qu’aux termes de l’article 26 de la loi du 15 mars 1954, la révision d’une décision antérieure ne sort ses effets qu’au premier jour du mois de la demande en révision. Il ajoute qu’une décision de révision ne vaut que pour l’avenir et qu’une demande de révision n’est pas une voie de recours contre une décision de refus de pension.
A.2.5. Le Conseil des ministres observe enfin que les personnes qui estiment avoir été affectées par l’inconstitutionnalité constatée par la Cour dans l’arrêt n° 172/2015 pouvaient introduire un recours en annulation en application de l’article 4, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, un recours juridictionnel en application de l’article 18 de la même loi, ou intenter une action en réparation du dommage subi sur la base de l’article 1382 du Code civil.
Il remarque que la modification que l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 apporte à l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954 fait plus que remédier à l’inconstitutionnalité constatée par l’arrêt n° 172/2015, et que la situation examinée par la Cour dans cette affaire différait de celle de Madeleine Goldmann.
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Quant à la deuxième question préjudicielle
A.3. Madeleine Goldmann soutient, à titre principal, que la deuxième question préjudicielle n’appelle pas de réponse, puisque la première question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.4.1. À titre subsidiaire, Madeleine Goldmann expose que la deuxième question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
A.4.2. Elle commence par déduire de l’arrêt n° 172/2015 de la Cour ainsi que des motifs la décision de renvoi que cette question préjudicielle invite indirectement la Cour à statuer sur la compatibilité, avec les seuls articles 10
et 11 de la Constitution, de l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, tel qu’il était libellé avant son remplacement par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017.
A.4.3. Madeleine Goldmann observe ensuite que la question préjudicielle invite la Cour à statuer sur deux différences de traitement.
Elle estime que la première de ces différences est identique à celle qui constitue l’objet de la première question préjudicielle et confirme que les deux catégories de personnes concernées par cette différence de traitement se trouvent dans des situations comparables au regard de la norme en cause.
En ce qui concerne la deuxième différence de traitement, Madeleine Goldmann soutient que les personnes qui ont droit à une pension d’invalidité en application de la loi du 15 mars 1954 et qui ont séjourné dans un État non membre de l’Union européenne sont dans une situation comparable à celle des personnes qui ont droit à la même pension mais qui n’ont pas séjourné à l’étranger ou qui, avant ou après leur demande de pension, ont séjourné dans un autre État membre de l’Union européenne.
A.4.4. Madeleine Goldmann expose ensuite qu’au regard de l’objectif poursuivi par la loi du 12 janvier 2017, il n’est pas objectivement et raisonnablement justifié d’accorder à cette dernière catégorie de personnes une pension d’invalidité à partir du premier jour du mois de l’introduction de leur demande, alors que les personnes qui ont introduit une demande de ce type après avoir séjourné dans un État non membre de l’Union européenne n’ont droit à cette pension qu’à partir du 1er février 2017.
Elle rappelle que l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 est fondé sur l’idée que la condition d’une résidence ininterrompue en Belgique manque de pertinence. Elle souligne que cette loi ne fait, à cet égard, aucune distinction entre, d’une part, les bénéficiaires d’une pension qui ont séjourné dans un autre État membre de l’Union européenne et, d’autre part, ceux qui ont séjourné dans un État non membre de l’Union. Elle estime donc que rien ne permet de justifier que ces derniers ne puissent bénéficier de cette pension de la même manière que les premiers.
Madeleine Goldmann considère enfin que la Cour a déjà répondu, à tout le moins partiellement, à la deuxième question préjudicielle, par l’arrêt n° 172/2005, et que les motifs de cet arrêt ne permettent pas à la Cour de répondre par la négative à cette question. Elle précise qu’en ce qui concerne l’existence ou l’étendue du droit à une pension d’invalidité instituée par la loi du 15 mars 1954, une différence de traitement entre victimes belges ne pourrait être justifiée que par une absence d’attaches suffisantes avec la « communauté nationale ». Elle remarque que le lieu d’un séjour à l’étranger est à cet égard sans importance.
A.5.1. Selon le Conseil des ministres, la deuxième question préjudicielle appelle une réponse négative.
A.5.2. Il observe d’abord que la question porte sur les conditions d’octroi de la pension d’invalidité énoncées à l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, telles qu’elles étaient applicables avant l’entrée en vigueur de l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017.
A.5.3. Il expose ensuite, à titre principal, que la différence de traitement critiquée peut être comprise de deux manières.
Si elle est comprise comme opposant les personnes qui ont introduit une demande de pension avant l’entrée en vigueur de la loi du 12 janvier 2017 aux personnes qui ont introduit une telle demande après cette entrée en
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vigueur, elle revient à comparer la situation de bénéficiaires d’une loi ancienne avec celle de bénéficiaires d’une loi nouvelle. Le Conseil des ministres estime qu’une telle différence de traitement n’est pas discriminatoire.
Si la différence de traitement résulte du fait que les conditions d’octroi de la pension énoncées à l’article 2
de la loi du 12 janvier 2017 ne sont pas applicables à la période antérieure à l’entrée en vigueur de cette loi, le fait de la soulever revient à critiquer l’absence de rétroactivité de cette loi. Le Conseil des ministres renvoie alors aux observations qu’il a formulées à propos de la première question préjudicielle.
A.5.4. Le Conseil des ministres expose ensuite, à titre subsidiaire, que la condition de résidence énoncée à l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, tel qu’il était applicable avant l’entrée en vigueur de l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017, est proportionnée à l’objectif que poursuivait alors le pouvoir législatif. Il rappelle que ce dernier dispose d’un large pouvoir d’appréciation d’opportunité politique lorsqu’il détermine les conditions d’octroi des avantages sociaux qu’il institue. Il rappelle qu’en l’espèce, le pouvoir législatif a souhaité subordonner l’octroi d’une pension d’invalidité à l’existence d’un attachement suffisant avec la Belgique.
Le Conseil des ministres affirme que la Cour de justice de l’Union européenne, par l’arrêt Nerkowska du 22 mai 2008, a jugé que cette condition est pertinente et qu’elle constitue une « considération objective d’intérêt général ». Il ajoute que cette condition n’est pas disproportionnée lorsqu’elle est appliquée à une personne qui ne peut se prévaloir d’un droit à la libre circulation ou d’un droit d’établissement sur le territoire de l’État où elle réside.
-B-
B.1.1. La loi du 15 mars 1954 « relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit » (ci-après : loi du 15 mars 1954) énonce, entre autres, les conditions d’obtention d’une pension d’invalidité destinée à réparer un dommage résultant d’un fait de guerre.
B.1.2. À l’origine, l’article 1er, § 4, de cette loi disposait :
« La loi ne s’applique qu’aux Belges.
Cette qualité doit exister :
a) dans le chef de la victime au moment de la décision d’octroi de la pension ou à celui du décès si elle est décédée avant reconnaissance de ses droits; il faut cependant qu’elle ait eu cette qualité au moment du fait dommageable ou qu’elle ait introduit une demande de naturalisation avant le 10 mai 1940;
[…] ».
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B.1.3. Le « fait dommageable » au sens de la loi du 15 mars 1954 est « l’atteinte à l’intégrité physique de la personne par le fait de guerre », dans les conditions énoncées par celle-ci (article 1er, § 2).
B.1.4. Avant le 10 mai 1940, il fallait en principe être âgé d’au moins trente ans accomplis pour obtenir la « grande naturalisation », et d’au moins vingt-deux ans accomplis pour obtenir la « naturalisation ordinaire » (article 12, alinéa 1er, 1°, et article 13, de la loi sur l’acquisition, la perte et le recouvrement de la nationalité, telle qu’elle résulte de la coordination par un arrêté royal du 14 décembre 1932). L’épouse de l’étranger devenu Belge par naturalisation, ainsi que les enfants majeurs ou émancipés de ce dernier pouvaient, dans certaines circonstances précisées par la loi, obtenir la naturalisation sans devoir remplir ces conditions d’âge (article 15
de la même loi).
B.2. L’article 1er de la loi du 17 février 1975 « modifiant la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit » (ci-après : loi du 17 février 1975) a remplacé l’article 1er, § 4, de la loi du 15 mars 1954
par le texte suivant :
« La loi ne s’applique qu’aux Belges.
Cette qualité doit exister :
a) dans le chef de la victime, au moment de la décision d’octroi de la pension ou à celui du décès si elle est décédée avant reconnaissance de ses droits; il faut cependant qu’elle ait eu cette qualité au moment du fait dommageable ou qu’elle ait introduit une demande de naturalisation avant le 10 mai 1940, ou qu’elle réalise les conditions suivantes : n’avoir pas accompli sa vingt-deuxième année au 10 mai 1940, être devenue Belge avant le 1er janvier 1960 et avoir eu sa résidence habituelle en Belgique sans interruption depuis le 1er janvier 1931
ou depuis sa naissance, si la victime n’était pas encore née à cette date;
[…] ».
B.3.1. L’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 « modifiant la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit » (ci-après : loi du 12 janvier 2017) remplace l’article 1er, § 4, de la loi du 15 mars 1954
par le texte suivant :
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« La loi ne s’applique qu’aux Belges.
Cette qualité doit exister :
a) dans le chef de la victime, au moment de la décision d’octroi de la pension ou à celui du décès si elle est décédée avant reconnaissance de ses droits; la victime devait cependant posséder cette qualité au moment du fait dommageable ou doit avoir introduit une demande de naturalisation avant le 10 mai 1940, ou doit réunir les conditions suivantes : n’avoir pas accompli sa vingt-deuxième année au 10 mai 1940, être devenue Belge avant le 1er janvier 2003 et avoir eu sa résidence habituelle en Belgique au moment des faits de guerre, définis à l’article 2 de la loi du 15 mars 1954;
[…] ».
B.3.2. L’article 3 de la loi du 12 janvier 2017 dispose :
« § 1er. Pour bénéficier de l’avantage visé à l’article 2, l’intéressé introduit une demande conformément à l’article 19 de la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit.
La demande produit ses effets le premier jour du trimestre qui suit celui durant lequel la demande a été introduite.
§ 2. Les décisions exécutoires qui ne sont pas conformes à l’article 2 sont révisées à la demande des intéressés et leur droit au bénéfice de cette modification est reconnu à dater du premier jour du mois au cours duquel la demande de révision a été effectuée.
§ 3. Les demandes en cours et celles pour lesquelles aucune décision définitive n’a été rendue ne doivent pas être renouvelées. Il ne leur sera cependant donné suite qu’à partir de l’entrée en vigueur de la présente loi ».
B.3.3. L’article 4 de la loi du 12 janvier 2017 dispose :
« La présente loi entre en vigueur le premier jour du mois qui suit celui de sa publication au Moniteur belge ».
B.4.1. Les deux questions préjudicielles invitent la Cour à statuer sur la compatibilité d’une différence de traitement avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
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L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-
discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Quant à la première question préjudicielle
B.5. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la Cour est invitée à statuer sur la constitutionnalité des articles 3 et 4 de la loi du 12 janvier 2017, en ce que ces dispositions législatives feraient naître une différence de traitement entre des personnes qui étaient âgées de moins de 2 ans le 10 mai 1940, qui sont devenues Belges entre la fin de la guerre 1940-1945 et le 1er janvier 1960 et qui ont introduit une demande de pension d’invalidité au titre de victime civile de la guerre 1940-1945 le 27 mai 2005 :
- d’une part, celles qui ont eu leur résidence habituelle en Belgique sans interruption depuis leur naissance et qui remplissaient donc toutes les conditions d’octroi de la pension énoncées à l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, tel qu’il était libellé à l’époque;
- d’autre part, celles qui, après être devenues Belges, ont cessé de résider habituellement en Belgique durant quelques années, et qui, de ce fait, ne remplissaient pas la condition de « résidence habituelle » « sans interruption » énoncée par cette même disposition législative.
Ces deux catégories de personnes seraient traitées différemment par les dispositions législatives en cause, en ce que ces dernières ne reconnaîtraient le droit au bénéfice de la pension demandée pour la période du 27 mai 2005 au 1er février 2017 qu’aux personnes relevant de la première de ces deux catégories.
B.6. Les articles 3 et 4 de la loi du 12 janvier 2017 n’ont pas produit d’effets avant le 1er février 2017.
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Ces dispositions législatives ne reconnaissent le droit au bénéfice de la pension précitée à aucune des deux catégories de personnes décrites en B.5.
La différence de traitement soulevée dans la question préjudicielle ne provient donc pas des dispositions législatives en cause.
B.7. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.
Quant à la seconde question préjudicielle
B.8. Il ressort des motifs de la décision de renvoi et des développements de la question préjudicielle que la Cour est invitée à statuer sur la constitutionnalité de l’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, tel qu’il était libellé avant son remplacement par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017, en ce que cette disposition législative fait naître une différence de traitement entre des personnes nées en Belgique moins de deux ans avant le 10 mai 1940 et ayant habituellement résidé en Belgique depuis leur naissance qui ont demandé en 2005 une pension d’invalidité au titre de victime civile de la guerre 1940-1945 : d’une part, celles qui étaient déjà Belges au moment du « fait dommageable » et, d’autre part, celles qui n’ont acquis cette nationalité qu’entre la fin de la guerre et le 1er janvier 1960.
En cas d’application de la disposition législative en cause, les personnes relevant de la seconde catégorie, à la différence des personnes relevant de la première catégorie, ne peuvent obtenir une pension d’invalidité que si leur résidence habituelle était située en Belgique « sans interruption » entre leur naissance et le moment auquel elles ont demandé cette pension.
B.9.1. L’exposé des motifs du projet de loi qui est à l’origine de la loi du 15 mars 1954
mentionne :
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« Les hostilités eurent, dès le début, un caractère total. Toutes les forces des belligérants furent jetées dans la bataille. Les populations civiles ne purent y échapper. Tout comme les militaires, elles furent mêlées à la bataille, dans une mesure jusqu’alors inconnue.
C’est pourquoi plus nombreux que jamais sont les Belges que la dernière guerre a atteints dans leur intégrité physique.
La solidarité, liant entre eux tous les citoyens d’une même communauté nationale, engage l’État à réparer, dans la mesure du possible, les dommages causés aux victimes de cette guerre »
(Doc. parl., Chambre, 1950-1951, n° 411, p. 1).
C’est afin de faire bénéficier de cette solidarité nationale ceux qui, avant la survenance du « fait dommageable », étaient suffisamment membres de la collectivité pour demander la naturalisation et qui l’ont d’ailleurs obtenue avant l’indemnisation, qu’il fut décidé d’étendre le champ d’application personnel du régime d’indemnisation aux victimes qui n’étaient pas Belges au moment du « fait dommageable » et qui avaient introduit une demande de naturalisation avant le 10 mai 1940 (Annales, Sénat, 28 janvier 1954, pp. 605 et 607).
B.9.2. La loi du 17 février 1975 a une nouvelle fois étendu ce champ d’application personnel, en accordant aussi le bénéfice d’un dédommagement étatique aux victimes qui n’étaient pas encore Belges au moment du « fait dommageable », qui n’avaient pas atteint l’âge de vingt-deux ans accomplis au 10 mai 1940, qui étaient devenues Belges avant le 1er janvier 1960 et qui avaient eu leur « résidence habituelle en Belgique sans interruption » depuis le 1er janvier 1931, ou depuis leur naissance si elles n’étaient pas encore nées à cette date.
L’objectif était de tenir compte de la « situation des personnes qui, au 10 mai 1940, n’avaient pas atteint l’âge prévu pour l’option (16 ans) ou pour la demande de naturalisation (22 ans) et n’[avaient] atteint l’âge requis que pendant ou après l’occupation », et de leur « accorder le bénéfice de la solidarité nationale qui est à la base de la législation sur la réparation des dommages de guerre aux personnes physiques » (Doc. parl., Sénat, 1971-1972, n° 390, p. 2;
Doc. parl., Sénat, 1973-1974, n° 138, pp. 1-2; Doc. parl., Sénat, S.E. 1974, n° 360/1, p. 2; ibid., n° 360/2, p. 1).
Il s’agissait, plus généralement, de « remédier à la situation de certains étrangers ou apatrides spécialement dignes d’intérêt […] pratiquement intégrés dès avant le sinistre dans la
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communauté nationale et possédant désormais la nationalité belge » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1974, 360/1, p. 1).
B.9.3. En ce qui concerne les demandeurs d’une pension qui étaient âgés de moins de deux ans le 10 mai 1940, la condition de résidence habituelle en Belgique ne vaut que pour ceux qui ne sont devenus Belges qu’après la survenance du « fait dommageable ».
Cette condition peut se justifier au regard de l’objectif légitime de réserver le bénéfice de la « solidarité nationale » aux personnes réellement intégrées dans la « communauté nationale ».
B.9.4. En revanche, les travaux préparatoires de la loi du 17 février 1975 ne permettent pas de comprendre en quoi cet objectif justifierait que le bénéfice de cette solidarité puisse être refusé à des personnes qui ont habituellement résidé en Belgique entre la survenance du « fait dommageable » et l’introduction de leur demande de pension, pour le seul motif que ces personnes n’y ont pas habituellement résidé sans interruption.
B.9.5. La modification qu’apporte l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 à la disposition législative en cause a entre autres pour objet de supprimer toute condition de résidence pour la période postérieure aux « faits de guerre » qui sont à l’origine du « fait dommageable ».
L’octroi d’un dédommagement prévu par la loi du 15 mars 1954 au nom de la solidarité nationale peut être réservé aux personnes qui démontrent l’existence d’un « lien fort » avec l’État, ce qui, en ce qui concerne les personnes qui n’ont acquis la nationalité belge qu’après la guerre, revient à démontrer l’existence d’« attaches avec la communauté nationale » (Doc.
parl., Chambre, 2015-2016, n° 1697/1, pp. 4-5).
Toutefois, pour des personnes qui sont devenues Belges avant le 1er janvier 1960, ces attaches résultent à suffisance du fait que ces personnes ont eu leur résidence habituelle en Belgique pendant la guerre. Une condition de résidence ininterrompue n’est plus pertinente, dès lors que « tant le traumatisme que les aléas de la vie personnelle ou professionnelle ont pu […]
amener des victimes à quitter le territoire national pour des périodes plus ou moins longues »
(ibid., pp. 4-5).
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B.9.6. Il résulte de ce qui précède que la différence de traitement décrite en B.8 est dépourvue de justification raisonnable.
15
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954 « relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit », tel qu’il était libellé avant son remplacement par l’article 2 de la loi du 12 janvier 2017 « modifiant la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit », viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les mots « sans interruption » s’appliquent à la victime.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 juillet 2022.
Le greffier, Le président,
P.-Y. Dutilleux P. Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 100/2022
Date de la décision : 22/07/2022
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

Violation (art. 1er, § 4, alinéa 2, a), de la loi du 15 mars 1954, tel qu'il était libellé avant son remplacement par l'art 2 de la loi du 12 janvier 2017, en ce que les mots « sans interruption » s'appliquent à la victime)

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - les questions préjudicielles concernant les articles 3 et 4 de la loi du 12 janvier 2017 « modifiant la loi du 15 mars 1954 relative aux pensions de dédommagement des victimes civiles de la guerre 1940-1945 et de leurs ayants droit », posées par le Conseil d'État. Droit social - Sécurité sociale - Pensions - Victimes civiles de la seconde guerre mondiale - Conditions - Résidence ininterrompue en Belgique


Origine de la décision
Date de l'import : 30/05/2023
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2022-07-22;100.2022 ?

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