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31/10/2019 | ANDORRE | N°38-2019

Andorre | Andorre, Tribunal supérieur de justice, Chambre criminelle, 31 octobre 2019, 38-2019


Rôle nº : TSJP 0000059/2019
Affaire nº : 6000156/2017

JUGEMENT 38-2019

PARTIES :

Appelant : MINISTÈRE PUBLIC

Intimée : Mme CHC
Avocat : M. MMR


COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : M. Yves PICOD
Magistrats : Mme Marie CONTE
Mme Fàtima RAMIREZ SOUTO


À Andorre-la-Vieille, le trente-et-un octobre deux mille dix-neuf

Dans le cadre du recours formé contre le jugement rendu par le Tribunal de Corts, le 7 mai 2019, dans l’affaire susmentionnée, engagée pour blanchiment d'argent ou de valeurs provenant du trafic

de drogue de façon habituelle, les membres de la Chambre criminelle du Tribunal Supérieur de Justice exprimés ci-dessus se so...

Rôle nº : TSJP 0000059/2019
Affaire nº : 6000156/2017

JUGEMENT 38-2019

PARTIES :

Appelant : MINISTÈRE PUBLIC

Intimée : Mme CHC
Avocat : M. MMR

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Président : M. Yves PICOD
Magistrats : Mme Marie CONTE
Mme Fàtima RAMIREZ SOUTO

À Andorre-la-Vieille, le trente-et-un octobre deux mille dix-neuf

Dans le cadre du recours formé contre le jugement rendu par le Tribunal de Corts, le 7 mai 2019, dans l’affaire susmentionnée, engagée pour blanchiment d'argent ou de valeurs provenant du trafic de drogue de façon habituelle, les membres de la Chambre criminelle du Tribunal Supérieur de Justice exprimés ci-dessus se sont constitués en vue de l’audience et prise de décision, M. Yves PICOD étant le rapporteur.

EXPOSÉ DES FAITS

I. ATTENDU : que le Tribunal de Corts a prononcé un jugement le 07-05-2019 avec le dispositif suivant :

« NOUS AVONS DÉCIDÉ :

D’acquitter l’accusée CHC du délit majeur continu de blanchiment d'argent ou de valeur provenant du trafic de drogue de façon habituelle, en raison de la prescription du délit, en déclarant d'office les frais de procédure encourus.

II. ATTENDU : que la condamnation est étayée par les faits avérés suivants :

Au cours des années 1997 à 1999, l’accusée CHC, née le 10 avril 1950 à S., Barcelone, Espagne, de nationalité andorrane et sans casier judiciaire, a facilité, en échange de rémunérations financières et de cadeaux, l'introduction dans le système bancaire andorran de près de 680 millions de pesetas – équivalant à 4 075 252,72 euros – provenant du trafic international de drogue d'organisations criminelles colombiennes, à la demande de JCM, mandaté par JUN, CRZ et OCZ – membres du cartel de M. condamnés aux États-Unis États dans le cadre de l'opération M. la DEA et la police colombienne – en tant que coparticipante au trafic de drogue avec le financement d’opérations et en tant qu'élément important dans l'aspect financier de l'« organisation criminelle, consacrée au blanchiment de fonds obtenus du trafic de drogue colombien par l'intermédiaire d'entreprises européennes, chargée de l'introduction dans le circuit bancaire d'espèces provenant de la vente de stupéfiants en Europe ; sa participation directe au financement de l'opération d'importation de cocaïne, qui s'est achevée le 5 juin 1999 par la confiscation de 804 kg de cocaïne sur le territoire français, a également été établie.

À cet effet, la mise en cause CHC a mis à la disposition de JCM, en toute opacité, les sociétés commerciales : T. SA, A. SLU, O. SA, A. SL, V. SL, N. SL, C. SA, I. SA, G. SA, M. SA, R. SA, U. SA, K. SA et X. SA, ainsi que l'ouverture de comptes bancaires dépendant de ces sociétés, dont CHC avait une procuration bancaire pour les gérer ; puis effectuer tous les dépôts et les opérations bancaires internationales que JCM lui a demandés, en utilisant à la fois les comptes sociaux et parfois ses propres comptes personnels, et deux comptes détenus par ses enfants, qu'elle a géré personnellement.

Pour rendre possibles les virements internationaux, la mise en cause Concepció CHC a personnellement déposé sur des comptes bancaires andorrans d'importantes sommes d'argent que JCM lui a envoyées, ceci, malgré les montants qui se comptaient en millions de pesetas et était consciente que JCM ne dirigeait aucune entreprise tangible qui pourrait générer ce montant de trésorerie de façon illicite.

Ainsi, en 1997, 1998 et 1999, CHC a effectué des opérations à travers les différentes banques et comptes suivants :

N° de compte XXXX1 au nom de la société A., SLU, nº XXXX2 au nom de la société A., SL, nº XXXX3 sous la titularité de V., SL et nº AAXXXXX1 et XXXXX-0 détenu par CHC dans la banque J. :
- 18.02.1997.- Dépôt en espèces de 14 600 000 ESP et virement de 14 455 000 ESP sur le compte XYYX B. de L. (Suisse).
- 12.09.1997.- Dépôt en espèces de 4 500 000 ESP sur le compte XXXX2 et conversion en dollars américains (29 761,90 USD) et dépôt en espèces de 20 000 000 ESP sur le compte XXXX1 et conversion en dollars américains (132 275,13 USD).
- 13.09.1997.- Dépôt en espèces de 29 800 000 ESP sur le compte XXXX2.
- 15.09.1997.- Conversion de 29 000 000 ESP en dollars américains (192 627,03 USD) et remboursement en espèces de 420 000 ESP, compte XXXX2. Dépôt de 132 275,13 USD – compte XXXX2 – provenant du transfert du compte XXXX1, et débit d’un chèque bancaire de 350 000 USD émis en faveur du commerçant étranger R. LLC de G. (Suisse), avec JCM comme représentant.
- 03.11.1997 – Dépôt en espèces de 50 005 000 ESP sur le compte numéroté AA-XXXXX1 et conversion en dollars américains (338 524,04 USD). Virement de 176 500 USD (+200,50 USD de commission bancaire) sur le compte 01.XXX-0XXXXX de la BF, au profit de la société GA. SA, étant une société écran de M., contrôlée par les cartels colombiens de la drogue.
- 05.11.1997.- Remboursement en espèces de 1 980 000 ESP compte AAXXXXXX1.
- 10.11.1997.- Virement de 142 403 USD (+ 597 USD de commissions bancaires) sur le compte XXX.XXX-Y de C. au profit de la société R. LLC, dont JCM est le représentant.
- 22.05.1998.- Dépôt en espèces de 15 020 000 ESP, sur le compte AAXXXXX1-retrait de 40 000 ESP pour détection de fausse monnaie, le 23 dépôt de 150 000 ESP Le 25 mai suivant, virement de 101 200 USD en faveur de la compagnie F. sur le compte XXXXX4 de C.de G. (Suisse).
- 25.06.1998.- Dépôt en espèces de 18 000 000 ESP, virement sur un compte de dépôt de 3 500 000 ESP et le 26, virement de 15 000 000 ESP au profit de la société F., sur le compte XXXXX5Y de P.de G. (Suisse).
- 10.06.1998.- Paiement en espèces de 29 983 000 ESP sur le compte XXXX2 qui, une fois convertis en dollars, sont transférés sur le compte YYXXXX, depuis lequel, le lendemain (le 12), 195 000 USD sont transférés sur le compte XXXXYY, propriété de la société commerciale T. del C. de G. (Suisse).

N° de compte XXXYYY au nom de V., SL, nº YYYXXX sous le nom commercial O. SA, nº XXYYXX au nom de CHC, nº JXXXXX au nom de JGH et JYYYYY au nom de GGH dans l'entité C. :

11.02.1997.- Virement de 14 170 000 ESP – 100 000 USD du compte XXXYYY sur le compte XYYX B.de L. (Suisse) en faveur de V. Dépôt en espèces de 14 000 000 ESP
- 11.03.1997.- Dépôt en espèces de 13 100 000 ESP sur le compte JXXXXX et conversion en dollars, 90 344,82 USD. Virement de 90 000 USD du compte XXYYXX en faveur de V. cpte. XYYX B. de L. (Suisse). Virement de 90 000 USD du compte JXXXXX sur le compte XXYYXX.
- 01.09.1997.- Dépôt en espèces de 9 960 000 ESP sur le compte XXYYXX qui reçoit deux virements en dollars sur le compte JXXXXX pour un total de 60 000 USD.
- 02.09.1997.- Dépôt en espèces de 29 997 999 ESP sur le compte JXXXXX, dont 17 590 200 ESP sur le compte XXXYYY et 10 193 700 ESP sur le compte XXYYXX avant la conversion en dollars américains. Virement de 126 000 USD du compte XXYYXX au profit du compte XXXXX5 ouvert en Suisse au nom de R. LLC et transfert de 66 000 USD sur le compte JXXXXX.
- 05.09.1997.- Virement de 95 000 USD du compte XXXYYY sur le compte XXXXX5-4 en faveur de R., LLC
- 10.09.1997.- Transfert de 3 073 000 ESP du compte XXXYYY sur le compte XXYYXX.
- 11.09.1997.- Dépôt en espèces de 20 000 000 ESP sur le compte XXYYXX et virement de 95 000 USD sur le compte XXXXX5 de C. en faveur de R., LLC. Transfert sur le compte XXXYYY de 3 000 000 ESP + 3 000 000 ESP + 24 000 USD et débit d’un chèque de 43 850 USD émis en faveur R., LLC, via l’U. de Z. (Suisse).
- 12.09.1997.- Dépôt en espèces de 14 000 000 ESP sur le compte JYYYYY, et une fois convertis en dollars américains, 90 000 USD sont transférés sur le compte XXXYYY à partir duquel le chèque de 90 000 USD est émis en faveur de R., LLC.
- 27.09.1998.- Dépôt en espèces de 24 969 000 ESP sur le compte XXXYYY, le 29 ils sont convertis en dollars américains et 166 666 USD sont transférés sur le compte XXXXXX6 appartenant à S., SL de la BF d'Uruguay.

N° de comptes ADXX 000X 0XXX XXXXXXX7, en faveur de N., compte crypté XXXXX8, propriété de CAF. Compte Crypté YXXXXY détenu par CHC dans la banque X. :

- 17.09.1997.- Dépôt en espèces de 24 995 000 ESP et transfert de 25 000 000 ESP sur le compte de CAF.
- 26.09.1997.- Conversion de l’argent du compte de CAF en monnaie américaine. Dépôt de 673,63 USD et ordre de virement international de 168 634,06 USD en faveur de R. LLC, contrôlé par JCM.

N° de comptes XXXXXX/11 et XXXXXX/11-2 sous la propriété de V. SL ouverts dans la banque B.- B. :

- 16.12.1999.- Dépôt en espèces de 11 000 000 ESP et 89 853,50 CHF sont transférés en faveur de la société B. SA, sur un compte dans l’U. SA de G. (Suisse).
- 28.12.1999 transfert de 1 000 000 ESP sur le compte 105312 d'A. en faveur de T.SA.

Avec cette opération, le capital déposé en espèces ou par virements internationaux sur les comptes bancaires détenus par CHC ou sous son contrôle, lié à JCM et provenant du trafic international de drogue des organisations criminelles colombiennes, s'élève à 678 065 000 ESP – 4 075 252,72 EUR –, les sommes de 644 525 182 ESP – 3 873 674,37 EUR – ayant été transférées aux sociétés contrôlées par JCM, directement ou via des prête-noms.

Le bénéfice obtenu par la mise en cause CHC s’élevant à un montant de 195 064,32 EUR, auquel il faut ajouter le bénéfice obtenu par la cession et/ou la mise à disposition de toutes les sociétés andorranes, par montants d’au moins 20 000 000 et 14 000 000 ESP – équivalent à 204 344,16 EUR – selon les documents privés joints au dossier avec deux autres documents privés qui élargissent les sociétés acquises, sans préciser cependant le paiement reçu avant la signature, ainsi que le cadeau d'un voyage à B. (Congo) ».

III. ATTENDU : que contre la peine indiquée le ministère public a formé un recours, au moyen d’un écrit daté du 22 mai 2019, vu qu’il considère les faits comme constitutifs d'un délit majeur continu de blanchiment d'argent ou de valeurs provenant du trafic de drogue de façon habituelle, visé aux articles 409 et 410 du Code pénal de 2005, étant le plus favorable selon la jurisprudence consolidée, dont CHC est considérée responsable en tant qu’auteure, la révocation de la peine objet du recours étant demandée ainsi que le rejet de la question préalable de prescription avec le renvoi de la procédure devant le Tribunal de Corts aux fins de l’audition dans le cadre de cette affaire.

IV. ATTENDU : que la défense de CHC s'oppose au recours, considérant que :

1- Elle n'a pas formé de recours contre le jugement du 7 mai 2019, étant entendu que, contrairement au ministère public, le Tribunal de Corts a fait une interprétation correcte, cohérente et adéquate du délai de prescription applicable à la présente affaire, élément suffisamment et dûment argumenté dans le jugement faisant l’objet du recours.

2- Il est à noter que la décision a quo rendue par le Tribunal est conforme aux réserves faites par les défenses, et malgré ce que prétend le ministère public, rien de plus ne peut en être déduit.

3- On comprend donc que le ministère public axe à tort son discours sur un principe général d'application temporaire du droit pénal. Vu le temps écoulé entre la prétendue commission des faits par Mme. CHC et la poursuite de celle-ci, deux législations pénales temporairement différentes – le Code pénal de 1990 ou le Code pénal de 2005 – pourraient être appliquées aux actes commis, tenant compte du fait qu'en général, l'application d'une loi pénale doit être totale.

Ceci doit être entendu indépendamment du fait que la qualification qui peut être accordée aux actes prétendument commis à un moment donné peut être plus avantageuse au regard d'une loi pénale postérieure et en vigueur au moment du procès, en ce qui concerne la prescription de cette loi postérieure, seuls les termes relatifs à la prescription seront assumés dans la mesure où ils sont plus avantageux que ceux contenus dans la loi pénale en vigueur à la date de la prétendue commission des faits.

Le Tribunal de Corts n'applique pas le Code pénal de 1990 dans son intégralité comme le prétend l’appelant, mais contrairement à ce qui est dit dans l'acte de recours, il applique précisément le Code pénal avec lequel le ministère public qualifie les faits, celui de 2005 à l'exception, pour ce qui est exposé, de la Loi affectant la prescription, qui applique exceptionnellement celle de 1990 puisqu’il s’agit de la Loi Pénale au moment de la commission présumée des faits et est plus bénéfique pour l’accusée que la loi ultérieure en matière de prescription que prévoit le Code Pénal de 2005.

Pour tout ce qui précède, elle demande le rejet du recours formé par le ministère public, tout en confirmant l'acquittement de sa cliente en raison de la prescription du délit.

À titre subsidiaire, et dans le cas où le tribunal ne prenne pas en compte ce qui a été demandé précédemment, nous comprenons que la prescription de l'action pénale pour les faits faisant l'objet de l’enquête relative à sa cliente devrait également être admise.

FONDEMENTS JURIDIQUES

I. CONSIDÉRANT : que dans sa version de 1990, le Code Pénal de la Principauté d’Andorre vise le blanchiment ou les valeurs en ses articles 145 (blanchiment ordinaire) et 146 (blanchiment qualifié), dans les termes suivants :

« Article 145

Quiconque commet un acte visant à dissimuler l'origine d'argent ou de valeurs mobilières provenant d'un délit de trafic de drogue, d'enlèvement, de vente illégale d'armes, de proxénétisme ou de terrorisme, ou utilise cet argent sera puni d'une peine pouvant aller jusqu'à huit ans d’emprisonnement et d'un amende pouvant aller jusqu'à 20 000 000 ESP.

Article 146

Lorsque, dans les cas de l'article précédent, la personne a agi à but lucratif ou faisait partie d'une association visant à commettre des délits ou à blanchir de l'argent ou de valeurs de crimes commis à l'étranger, la peine imposée pourra être de dix ans d'emprisonnement et une amende de jusqu'à 80 000 000 ESP. »

La réglementation de la prescription est régulée dans le Code pénal de 1990 en son article 30 selon le libellé suivant :

« La prescription annule la responsabilité pénale au cours des délais suivants :

1. Quinze ans pour les infractions passibles d'une peine de dix ans ou plus.

2. Six ans pour les autres délits volontaires majeurs ».
[...]

Il s’avère que le délit majeur de blanchiment ordinaire visé à l'article 145 du Code pénal de 1990 prescrit au bout de 6 ans et qu’en outre, le délit de blanchiment qualifié, dans un but lucratif et qui est visé à l'article 146 du Code pénal de 1990 prescrit au bout de 15 ans.

En revanche, dans sa version ultérieure, le Code pénal du 21 février 2005, en vigueur depuis le 23 septembre 2005, condamne le blanchiment ordinaire à l'article 409 d'une peine de 1 à 5 ans d'emprisonnement, tandis que l'article 410 condamne le blanchiment qualifié d'une peine de 3 à 8 ans d’emprisonnement.

Selon l'article 409, « Quiconque convertit ou transmet de l'argent, des biens ou des valeurs mobilières provenant de toute activité délictueuse ayant été sanctionnée d'une peine d'emprisonnement dont la durée minimale est supérieure à six mois, ou de tout délit lié à la prostitution, à la propriété intellectuelle et industrielle, au délit d'initié, à la manipulation de marché, à la traite des êtres humains pour leur exploitation par le travail, au trafic illégal de drogues toxiques, à l'environnement et aux ressources naturelles, aux associations illicites, à l’extorsion et aux exactions illégales, à la corruption et au trafic d'influence ou à la contrefaçon de documents, en en connaissant leur origine, dans le but d’occulter ou de dissimuler leur origine illicite ou d'aider toute personne ayant participé à la commission du crime à se soustraire aux conséquences juridiques de ses actes, doit être puni d'une peine d’emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende pouvant aller jusqu'à trois fois sa valeur. »

Selon l'article 410, une peine d'emprisonnement de trois à huit ans est prononcée lorsque l'une des circonstances suivantes se produit : a) Lorsque le délit est commis à travers un groupe organisé. b) Lorsque le sujet agit habituellement (...)

Dès lors, les deux types de blanchiment, c'est-à-dire ordinaire comme qualifié, sont des délits majeurs passibles d'une peine inférieure à dix ans et, par conséquent, prescrivent au bout de 10 ans, conformément à l'article 81 dudit code pénal de 2005 qui indique :

« La prescription de l'action pénale annule la responsabilité pénale au cours des délais suivants : a) Trente ans pour les délits qui sont passibles d’une peine dont la limite maximale est de dix ans ou plus. b) Dix ans pour les autres délits majeurs. c) Quatre ans pour les délits mineurs. d) Six mois pour les délits de calomnie, d'insulte et de diffamation et pour les infractions pénales (...)

II. CONSIDÉRANT : que si l'on tient compte du fait que les faits du dossier sont constitutifs du délit majeur continu de blanchiment d'argent ou de valeurs issues du trafic de drogue de façon habituelle, visé aux articles 409 et 410 du Code pénal de 2005, s’agissant du texte le plus favorable au contrevenant, la prescription serait de 10 ans. Par conséquent, le crime n'aurait pas prescrit.

Si l'on considère, au contraire, que le droit en vigueur au moment des faits doit être appliqué, comme le fait le jugement du TC faisant l’objet du recours, ceux-ci doivent être préalablement qualifiés pour appliquer le délai de prescription, qui est lié à cette qualification.

En ce sens, le Tribunal de Corts qualifie les faits de blanchiment ordinaire de l'article 145 du CP pour appliquer un délai de prescription de 6 ans et considérer qu'ils ont prescrit. Sans pour autant s’anticiper dans l'appréciation des éléments sous-jacents, il existe une suspicion que Mme. CHC aurait agi dans un but lucratif, c'est-à-dire dans le cadre de l'article 146 du Code pénal et non de l’article 145 : l’écrit de qualification provisoire relate que de 1997 à 1999, elle aurait facilité l'introduction d'argent en échange de rétributions économiques et de cadeaux. Elle aurait notamment obtenu en cadeau un voyage au Congo. Il semble donc dans cette chambre que l'existence probable d'un but lucratif de la part de la personne mise en cause permet d'appliquer la qualification de l'article 146 du Code pénal, qui impliquerait un délai de prescription de 15 ans et non de 6 ans, défavorable au défendeur.

III. CONSIDÉRANT : que selon l'article 83 du Code en vigueur, «La prescription est interrompue par la poursuite de l'inculpé ou lorsque la procédure est dirigée contre le coupable et par tout acte ultérieur de la procédure quel que soit l'état dans lequel se trouve l’affaire. Le délai de prescription est également interrompu par la comparution de la personne lésée. Une fois l'interruption intervenue, le délai de prescription sera recalculé depuis le début ».

Dans cette procédure, l’arrêt du 18 octobre 2006 décrétant le contrôle des comptes avait un caractère incriminant à l'égard de CHC puisque les comptes courants des sociétés dont elle était titulaire et à travers lesquels les fonds prétendument criminels sont véhiculés, faisaient l'objet d'une enquête. Si l'on prend comme référence la date du 28 septembre 1999 comme dies a quo, les faits n'ont aucunement été prescrits.

La chambre pénale ne peut suivre l'interprétation restrictive, formulée par la défense, de l'article 83 du Code pénal, selon laquelle le législateur aurait voulu distinguer entre délits et contraventions, et aurait mal rédigé le texte pénal, compte tenu de deux préceptes traditionnels : « Ubi lex non distinguit, non distinguere debemus » ainsi que « interpretacio cessat in claris ».

IV. CONSIDÉRANT : en conclusion, malgré l'ancienneté des faits de procédure, la chambre pénale considère que ceux-ci n'ont pas été prescrits, et annule la décision du Tribunal de Corts en ce qui concerne la question préalable de prescription et renvoie la procédure au Tribunal de Corts afin que se tienne l'audience dans le cadre de la présente affaire.

Vu la Constitution, le Code pénal, le Code de procédure pénale, la jurisprudence applicable et les autres sources de droit de la Principauté d'Andorre, les magistrats de la Chambre pénale du Tribunal Supérieur de Justice d'Andorre,


AVONS DÉCIDÉ :

1) D’ADMETTRE le recours formé par le ministère public.

2) D’annuler le jugement faisant l’objet du recours en ce qui concerne la question préalable de prescription et de renvoyer la procédure au Tribunal de Corts afin que se tienne l'audience dans le cadre de la présente cause.

3) De déclarer d'office les frais de procédure occasionnés par les ressources déployées.

Ce jugement est définitif et exécutoire.

Ainsi, par notre jugement, établi définitivement, nous l’ordonnons et le signons.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 38-2019
Date de la décision : 31/10/2019
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

Blanchiment d’argent – trafic de produits stupéfiants – prescription


Origine de la décision
Date de l'import : 20/09/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ad;tribunal.superieur.justice;arret;2019-10-31;38.2019 ?
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