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06/12/2023 | FRANCE | N°470054

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 06 décembre 2023, 470054


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 décembre 2022 et 30 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire (USMETT) demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande tendant à ce que soient prises les mesures permettant aux magistrats exerçant à titre temporaire de bénéficier d'u

n statut conforme à ce qu'exigent leurs conditions d'emploi, et prévoyant au moins des dro...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 décembre 2022 et 30 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire (USMETT) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande tendant à ce que soient prises les mesures permettant aux magistrats exerçant à titre temporaire de bénéficier d'un statut conforme à ce qu'exigent leurs conditions d'emploi, et prévoyant au moins des droits et des garanties équivalents à ceux dont bénéficient les agents contractuels de l'Etat ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 ;

- la loi n° 95-125 du 8 février 1995 ;

- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;

- l'arrêté du 28 juin 2017 fixant les conditions d'application de l'article 35-6 du décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;

- les décisions n° 94-355 DC du 10 janvier 1995 et n° 2016-732DC du 28 juillet 2016 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de l'Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 30 août 2022, reçu le 1er septembre 2022, l'Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, de prendre les mesures permettant aux magistrats exerçant à titre temporaire de bénéficier d'un statut conforme à ce qu'exigent leurs conditions d'emploi, et prévoyant au moins des droits et des garanties équivalents à ceux dont bénéficient les agents contractuels de l'Etat en matière de rémunération, d'accidents du travail et de maladies professionnelles, de droit aux congés, de droit à une indemnité de licenciement et de droit à l'indemnisation du chômage. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre sur cette demande.

2. En vertu des dispositions de l'article 41-10 A de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, les magistrats exerçant à titre temporaire, dont le statut est précisé aux articles 41-10 à 41-16 de cette ordonnance, " ne peuvent exercer qu'une part limitée de la compétence de la juridiction dans laquelle ils sont nommés. Ils ne peuvent composer majoritairement une formation collégiale de la juridiction dans laquelle ils sont nommés ou affectés ni composer majoritairement la cour d'assises ou la cour criminelle départementale ". Les articles 41-10 et 41-11 de la même ordonnance précisent les fonctions susceptibles d'être exercées par les magistrats exerçant à titre temporaire, les matières dont ils peuvent connaître, ainsi que les conditions d'âge, d'expérience et de qualification permettant d'être nommé en cette qualité. Aux termes de l'article 41-12 de la même ordonnance : " Les magistrats recrutés au titre de l'article 41-10 sont nommés pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois, dans les formes prévues pour les magistrats du siège. Six mois au moins avant l'expiration de leur premier mandat, ils peuvent en demander le renouvellement. Le renouvellement est accordé de droit sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Il est de droit dans la même juridiction. / (...) Préalablement à leur entrée en fonctions, les magistrats prêtent serment dans les conditions prévues à l'article 6. / Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions de dépôt et d'instruction des dossiers de candidature, les modalités d'organisation et la durée de la formation, ainsi que les conditions dans lesquelles sont assurées l'indemnisation et la protection sociale des stagiaires mentionnés au présent article ".

3. En premier lieu, l'Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire n'invoque aucun texte ni aucun principe qui imposerait la consultation du Conseil supérieur de la magistrature sur la demande dont elle a saisi le garde des sceaux, ministre de la justice, portant sur la modification souhaitée de certains aspects du statut des magistrats exerçant à titre temporaire. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité dont serait entachée la décision attaquée, faute de consultation préalable du Conseil supérieur de la magistrature ne peut qu'être écarté.

4. En second lieu, d'une part, si le Conseil constitutionnel a admis, notamment dans ses décisions n° 94-355 DC du 10 janvier 1995 et n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016, qu'une part limitée des fonctions normalement dévolues aux magistrats de carrière puisse être exercée à titre temporaire par des personnes qui n'entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire, c'est à la condition que des garanties appropriées permettent de satisfaire au principe d'indépendance, indissociable de l'exercice de fonctions judiciaires, et que les intéressés soient, à cette fin, soumis aux droits et obligations applicables à l'ensemble des magistrats, sous la seule réserve des dispositions spécifiques qu'impose l'exercice à titre temporaire de leurs fonctions. A cet égard, les dispositions de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ont prévu que les magistrats exerçant à titre temporaire ne peuvent exercer qu'une partie des fonctions dévolues aux magistrats de carrière de l'ordre judiciaire, de façon provisoire et à temps partiel, en contrepartie d'une indemnité, par dérogation aux dispositions de l'article 42 de l'ordonnance précitée qui prévoient que les magistrats de carrière bénéficient d'un traitement. Par exception aux dispositions de l'article 8 de l'ordonnance précitée applicables aux magistrats de carrière, les dispositions de l'article 41-14 de cette ordonnance prévoient également que les magistrats exerçant à titre temporaire sont autorisés à exercer une activité professionnelle concomitamment à leurs fonctions judiciaires, sous réserve que cette activité ne soit pas de nature à porter atteinte à la dignité de la fonction et à son indépendance. Il ressort tant des termes de la demande présentée par le syndicat requérant auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, que de ceux de la présente requête, que l'Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire n'entend pas remettre en cause ces différents aspects du régime spécifique propre à cette catégorie de magistrats.

5. D'autre part, aux termes du cinquième alinéa de l'article 41-13 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, les magistrats exerçant à titre temporaire " sont indemnisés dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". Dans sa décision n° 94-355 DC mentionnée ci-dessus, le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution de cette disposition, en jugeant que, si celle-ci dérogeait à la règle générale énoncée à l'article 42 de l'ordonnance statutaire suivant laquelle " les traitements des magistrats sont fixés par décret en conseil des ministres ", le législateur a entendu prendre en compte le fait que ceux qui exercent à titre temporaire ne bénéficient pas d'un traitement mais d'une indemnité. Le Conseil constitutionnel a relevé que les magistrats exerçant à titre temporaire, qui, aux termes de l'article 41-14, peuvent exercer une activité professionnelle concomitamment à leurs fonctions judiciaires, se trouvaient, quant à leur rémunération, dans une situation spécifique susceptible d'être régie par un décret en Conseil d'État.

6. Il résulte ainsi du choix du législateur organique que les magistrats exerçant à titre temporaire, qui constituent une catégorie particulière de magistrats en tant notamment qu'ils contribuent au service public de la justice sous la forme de vacations, sont soumis à un régime d'indemnisation spécifique. Dès lors, le pouvoir réglementaire a pu légalement prévoir, aux dispositions de l'article 35-6 du décret du 7 janvier 1993 pris pour l'application du cinquième alinéa précité de l'article 41-14 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, que les magistrats exerçant à titre temporaire seraient rémunérés sous forme de vacations forfaitaires dont le taux unitaire est égal à trente-cinq dix millièmes du traitement brut annuel moyen d'un magistrat du deuxième grade, et dont le nombre total est limité à trois cents par année pour chaque magistrat.

7. En outre, aucune disposition législative ni aucun principe général du droit n'exige que des garanties ou droits équivalents soient accordés à des agents appartenant à des corps différents, ou régis par des dispositions statutaires différentes. Il s'ensuit que la circonstance que le pouvoir réglementaire n'ait pas prévu de faire bénéficier les magistrats exerçant à titre temporaire de certains droits et de certaines garanties applicables aux assistants de justice ou aux agents non titulaires de l'Etat ne saurait être regardée comme entachée d'erreur manifeste d'appréciation ni comme méconnaissant le principe d'égalité de traitement entre fonctionnaires.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'elle attaque.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de l'Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 novembre 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Pauline Hot, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 6 décembre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Pauline Hot

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 470054
Date de la décision : 06/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 déc. 2023, n° 470054
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Hot
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:470054.20231206
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