Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 4 janvier 1995, par le Premier ministre, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative au financement de la vie politique ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales, notamment son article 168 ;
Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 modifiée relative à l'élection des représentants au Parlement européen ;
Vu la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée relative à la transparence financière de la vie politique ;
Vu la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 modifiée relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques ;
Vu la loi n° 92-125 du 6 février 1992 modifiée d'orientation relative à l'administration territoriale de la République, notamment son article 32 bis, inséré par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 modifiée relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ;
Vu la loi n° 94-590 du 15 juillet 1994 relative à la date du renouvellement des conseillers municipaux ;
Vu le code électoral ;
Vu le code pénal ;
Vu le code général des impôts ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que le texte soumis à l'examen du Conseil constitutionnel comporte, sous trois titres différents, 28 articles ; que le Premier ministre ne soulève à leur encontre aucun grief particulier ; qu'il appartient toutefois au Conseil constitutionnel de relever d'office toute disposition de la loi déférée qui méconnaît des règles ou principes de valeur constitutionnelle ;
- SUR l'ARTICLE 6 :
2. Considérant que cet article porte à 50 % du plafond des dépenses le montant du remboursement forfaitaire de l'État aux candidats, sans que ce remboursement puisse excéder le montant des dépenses de ces candidats, retracées dans leur compte de campagne ; qu'il réserve des cas dans lesquels ce remboursement n'est pas effectué ; qu'un tel remboursement n'est contraire à aucune règle ni aucun principe à valeur constitutionnelle dès lors qu'il ne conduit pas à l'enrichissement d'une personne physique ou morale ;
- SUR L'ARTICLE 20 :
3. Considérant qu'aux termes de cet article : "Les dispositions suivantes s'appliquent pour le renouvellement général des conseillers municipaux qui suivra la promulgation de la présente loi : -les dépenses faites à compter de la promulgation de la présente loi ne peuvent dépasser celles mentionnées par le tableau figurant à l'article L. 52-11 du code électoral, tel que modifié par l'article 5 de la présente loi ; -les dépenses totales, enregistrées dans le compte de campagne, sont plafonnées selon les dispositions législatives antérieures. Le remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1 du code électoral sera calculé sur la base du plafond applicable à compter de la promulgation de la présente loi."
4. Considérant que cet article fixe les règles concernant le plafonnement des dépenses applicables au prochain renouvellement général des conseillers municipaux ; qu'il opère une distinction entre les dépenses faites à compter de la promulgation de la loi, soumises au plafonnement tel qu'il résulte de l'article 5 de cette dernière et les dépenses totales qui demeurent plafonnées en vertu des dispositions antérieures, lesquelles avaient fixé des montants plus élevés ;
5. Considérant qu'en vertu de l'article 2 de la loi du 15 juillet 1994 susvisée, les comptes de campagne des candidats en cause retracent les dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4 du code électoral, c'est-à-dire à compter du 1er juin 1994 ; qu'ainsi certains candidats ont pu déjà effectuer des dépenses plus ou moins importantes en vue de leur élection tandis que d'autres n'auront effectué aucune dépense avant la promulgation de la présente loi ; que dès lors le plafond global de dépenses s'imposant aux candidats diffèrerait selon la date à laquelle ces dépenses auraient été engagées ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution doit être assurée l'égalité des citoyens devant la loi ; que son article 3 dispose que le suffrage est toujours "universel, égal et secret" ; qu'il en résulte que tous les candidats à une élection doivent être placés par la loi dans une situation identique vis-à-vis des électeurs en ce qui concerne le plafond de leurs dépenses ; que, dès lors, les mots "...à compter de la promulgation de la présente loi", figurant au deuxième alinéa de l'article 20 ainsi que les dispositions du troisième alinéa de cet article sont contraires à la Constitution ;
7. Considérant qu'il ressort des termes de l'article 20 de la loi, éclairés par les travaux préparatoires de celle-ci, que le législateur n'a entendu faire application au prochain renouvellement général des conseillers municipaux des règles de l'article 5 de la loi que sous réserve des dispositions ainsi déclarées non conformes à la Constitution ; que dès lors l'ensemble des dispositions de cet article 20 sont inséparables et doivent être regardées comme contraires à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 27 :
8. Considérant qu'aux termes de cet article, l'article 32 bis de la loi n°92-125 du 6 février 1992 d'orientation relative à l'administration territoriale de la République est ainsi rédigé :
"Art. 32 bis. I.- Dans les assemblées délibérantes des communes de plus de 100 000 habitants, des départements et des régions, le fonctionnement des groupes d'élus peut faire l'objet de délibérations sans que puissent être modifiées, à cette occasion, les décisions relatives au régime indemnitaire des élus.
"II. - Dans ces mêmes assemblées, les groupes d'élus se constituent par la remise à l'autorité exécutive de la collectivité territoriale d'une déclaration, signée de leurs membres, accompagnée de la liste de ceux-ci et de leur représentant.
"Dans les conditions qu'elle définit, l'assemblée délibérante peut affecter aux groupes d'élus pour leur usage propre ou pour un usage commun, un local administratif, du matériel de bureau et prendre en charge leurs frais de documentation, de courrier et de télécommunication.
"L'autorité exécutive de la collectivité territoriale peut, dans les conditions fixées par l'assemblée délibérante et sur proposition des représentants de chaque groupe, affecter aux groupes d'élus une ou plusieurs personnes. L'assemblée délibérante ouvre au budget de la collectivité territoriale, sur un chapitre spécialement créé à cet effet, les crédits nécessaires à ces dépenses, sans qu'ils puissent excéder 25 % du montant total des indemnités versées chaque année aux membres de l'assemblée délibérante en application de la loi n° 92-108 du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux.
"L'autorité exécutive de la collectivité territoriale est l'ordonnateur des dépenses susmentionnées.
"III. - Sont validés les actes pris en application des délibérations sur le même objet antérieures à l'entrée en vigueur de la loi n°.... du ... relative au financement de la vie politique."
9. Considérant que le législateur compétent, aux termes de l'article 34 de la Constitution, pour fixer les "principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources", avait la faculté d'user de son pouvoir de prendre des dispositions rétroactives afin, soit de régler comme lui seul, en l'espèce, pouvait le faire, les situations nées de l'annulation de délibérations prises par des collectivités territoriales, soit de prévenir celles qui pourraient naître d'annulations que le juge administratif serait conduit à prononcer ; que toutefois il ne pouvait prendre de telles mesures qu'à condition de définir strictement leur portée qui détermine l'exercice du contrôle de la juridiction administrative ; qu'en validant les actes pris en application des délibérations "sur le même objet" antérieures à l'entrée en vigueur de la loi le législateur doit être regardé comme ayant fait référence aux actes pris pour l'application des seules délibérations prévoyant des mesures de même nature que celles visées aux I et II de l'article 32 bis précité ; que sous cette réserve, les dispositions du III de cet article ne sont pas contraires à la Constitution ;
- SUR LES AUTRES ARTICLES DE LA LOI :
10. Considérant qu'aucun de ces articles ne porte atteinte à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ;
Décide :
Article premier :
Sont déclarés contraires à la Constitution : au deuxième alinéa de l'article 20 de la loi relative au financement de la vie politique, les mots : " faites à compter de la promulgation de la présente loi ", le troisième alinéa de cet article ainsi que les autres dispositions dudit article qui en sont inséparables.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 janvier 1995.
Le président, Robert BADINTER