Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 13 décembre 1990, par MM Daniel Colin, Willy Diméglio, José Rossi, René Garrec, Arthur Paecht, Alain Griotteray, André Rossi, René Beaumont, Mme Yann Piat, MM Aimé Kergueris, Jean-Marc Nesme, Gérard Longuet, Denis Jacquat, Jean-Yves Haby, Ladislas Poniatowski, Jean Brocard, Gilbert Gantier, Francisque Perrut, Henri Bayard, Michel Meylan, Charles Ehrmann, Georges Durand, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Léonce Deprez, Alain Madelin, Philippe Vasseur, André Santini, Jacques Toubon, Olivier Dassault, Bernard Debré, Jean-Michel Couve, Jacques Masdeu-Arus, Mme Christiane Papon, MM Jacques Godfrain, Bruno Bourg-Broc, Mme Nicole Catala, MM Claude Dhinnin, Jean-Paul Charié, Didier Julia, Jean-Louis Goasduff, Henri de Gastines, Jean Besson, Philippe Auberger, Arnaud Lepercq, Jean Ueberschlag, René Couveinhes, Lucien Guichon, Régis Perbet, Pierre Raynal, Lucien Richard, Jean-Louis Debré, Pierre Mazeaud, Eric Raoult, Pierre-Rémy Houssin, Robert Pandraud, Jean Tiberi, Pierre Pasquini, Pierre Bachelet, Georges Tranchant, Mmes Suzanne Sauvaigo, Michèle Alliot-Marie, MM Arthur Dehaine, Alain Cousin, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 modifiée portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, modifiée par l'article 35 de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989, portant diverses mesures d'ordre social ;
Vu le code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme ;
Vu le mémoire ampliatif présenté par les auteurs de la saisine, enregistré au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 14 décembre 1990 ;
Vu le mémoire complémentaire présenté par les auteurs de la saisine, enregistré comme ci-dessus le 21 décembre 1990 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que les députés auteurs de la saisine défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme ; qu'à l'appui de leur saisine, ils critiquent la conformité à la Constitution de ses articles 3, 4 et 10 ;
- SUR L'ARTICLE 3 RELATIF A L'INTERDICTION DE LA PUBLICITE DIRECTE OU INDIRECTE EN FAVEUR DU TABAC :
2. Considérant que l'article 3 de la loi comporte deux paragraphes ; que le paragraphe I substitue une rédaction nouvelle à celle de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, qui doit entrer en vigueur "à compter du 1er janvier 1993" ; qu'à cette date, selon le premier alinéa de l'article 2 de cette loi, "toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac ainsi que toute distribution gratuite sont interdites" ; qu'il est spécifié cependant, par le deuxième alinéa nouveau de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976, que ces interdictions "ne s'appliquent pas aux enseignes des débits de tabac, ni aux affichettes disposées à l'intérieur de ces établissements, non visibles de l'extérieur, à condition que ces enseignes ou ces affichettes soient conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel." ; qu'en vertu du troisième alinéa ajouté à l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976, "toute opération de parrainage est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac" ;
3. Considérant que le paragraphe II de l'article 3 de la loi modifie, à compter de l'entrée en vigueur de la loi présentement examinée et jusqu'au 1er janvier 1993, le texte du premier alinéa de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1976 ; que par l'effet de cette modification, se trouve interdite non seulement la propagande ou la publicité "directe" en faveur du tabac et des produits du tabac, dans les quatre cas énumérés à l'article 2 de la loi de 1976, mais désormais, la propagande ou la publicité "indirecte" ; que toutefois, le champ d'application de l'article 2 initial de la loi de 1976 demeure inchangé ;
4. Considérant que pour les auteurs de la saisine "l'interdiction absolue de propagande ou publicité concernant le tabac" a un caractère de gravité qui dénature le sens et la portée du droit de propriété ; qu'il s'agit, selon eux, "d'une véritable expropriation" ; que la liberté d'entreprendre se trouverait pareillement dénaturée ; qu'est alléguée enfin la violation tant de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que celle de son article 16 ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de l'atteinte au droit de propriété :
5. Considérant que selon la saisine, l'interdiction édictée par l'article 3 de la loi porte atteinte au droit de propriété dans la mesure où elle ne permet plus d'exploiter normalement une marque, élément du droit de propriété et support d'un produit licite et librement accessible au consommateur ; qu'il y aurait, en outre, transfert d'un élément du droit de propriété à l'État par le biais d'une expropriation qui impliquerait à tout le moins un droit à indemnisation ;
6. Considérant que l'article 2 de la Déclaration de 1789 range la propriété au nombre des droits de l'homme ; que l'article 17 de la même Déclaration proclame : "La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité" ;
7. Considérant que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux ; que parmi ces derniers figure le droit pour le propriétaire d'une marque de fabrique, de commerce ou de service, d'utiliser celle-ci et de la protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France ;
8. Considérant que l'évolution qu'a connue le droit de propriété s'est également caractérisée par des limitations à son exercice exigées au nom de l'intérêt général ; que sont notamment visées de ce chef les mesures destinées à garantir à tous, conformément au onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, "la protection de la santé" ;
9. Considérant que le droit de propriété d'une marque régulièrement déposée n'est pas affecté dans son existence par les dispositions de l'article 3 de la loi ; que celles-ci ne procèdent en rien à un transfert de propriété qui entrerait dans le champ des prévisions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
10. Considérant sans doute, que la prohibition de la publicité et de la propagande en faveur du tabac est susceptible d'affecter dans son exercice le droit de propriété d'une marque concernant le tabac ou des produits du tabac ;
11. Mais considérant que ces dispositions trouvent leur fondement dans le principe constitutionnel de protection de la santé publique ; qu'au demeurant, la loi réserve la possibilité de faire de la publicité à l'intérieur des débits de tabac ; que l'interdiction édictée par l'article 3 de la loi déférée ne produira tous ses effets qu'à compter du 1er janvier 1993 ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la limitation apportée par l'article 3 à certaines modalités d'exercice du droit de propriété n'est pas contraire à la Constitution ;
. En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de la liberté d'entreprendre :
13. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que l'article 3 méconnaît la liberté d'entreprendre au motif que son exercice implique le pouvoir de soumettre les produits du tabac aux lois du marché et de la concurrence ; que cela suppose une information du consommateur et une possibilité de diffusion des produits ;
14. Considérant que la liberté d'entreprendre n'est ni générale ni absolue ; qu'il est loisible au législateur d'y apporter des limitations exigées par l'intérêt général à la condition que celles-ci n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée ;
15. Considérant que l'article 3 de la loi n'interdit, ni la production, ni la distribution, ni la vente du tabac ou des produits du tabac ; qu'est réservée la possibilité d'informer le consommateur à l'intérieur des débits de tabac ; que la prohibition d'autres formes de publicité ou de propagande est fondée sur les exigences de la protection de la santé publique, qui ont valeur constitutionnelle ; qu'il suit de là que l'article 3 de la loi ne porte pas à la liberté d'entreprendre une atteinte qui serait contraire à la Constitution ;
. En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des articles 1er et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen :
16. Considérant que selon les auteurs de la saisine l'article 3 de la loi a pour conséquence de porter atteinte au libre usage par un individu de son nom patronymique ; qu'il en résulterait une violation d'un droit constitutionnellement protégé en vertu des articles 1er et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
17. Considérant que l'article 3 de la loi est sans incidence sur le nom patronymique pris en tant qu'élément d'individualisation et d'identification d'une personne physique ; qu'ainsi et en tout état de cause, les moyens tirés de la violation des articles 1er et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont dénués de pertinence ;
- SUR L'ARTICLE 4 DE LA LOI PORTANT MODIFICATION DES ARTICLES 1er, 3, 9, 12, 16 ET 18 DE LA LOI DU 9 JUILLET 1976 :
18. Considérant que l'article 4 de la loi déférée substitue des dispositions nouvelles à celles de plusieurs articles de la loi susvisée du 9 juillet 1976 ; que la nouvelle rédaction de l'article 1er de ce dernier texte précise ce qu'il faut entendre par produits du tabac ; que l'article 3 nouveau de la loi de 1976 explicite la notion de publicité indirecte ; que l'article 9 nouveau de la même loi a pour objet essentiel de tirer les conséquences de directives du Conseil des Communautés européennes relatives à l'étiquetage des produits du tabac et à la teneur maximale en goudrons des cigarettes ; que la nouvelle rédaction de l'article 12 de la loi de 1976 vise à réprimer pénalement les infractions aux dispositions du titre I de cette loi ; que l'article 16 nouveau de la loi du 9 juillet 1976 pose le principe de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, "sauf dans des emplacements expressément réservés aux fumeurs" ; qu'enfin, suivant le nouvel article 18 de la loi de 1976, est ouverte, sous certaines conditions, aux associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme, la possibilité d'exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions aux dispositions de la loi ;
19. Considérant que les auteurs de la saisine font porter leurs critiques sur la définition de la publicité indirecte donnée par l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976 dans sa rédaction issue de l'article 4 de la loi déférée ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 3 nouveau de la loi de 1976 : "Est considérée comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac ou un produit du tabac lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac" ;
20. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que ces dispositions portent atteinte tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre ;
21. Considérant que le législateur en définissant la propagande et la publicité indirectes a entendu préciser la portée de ces concepts afin d'éliminer la possibilité de faire échec à l'interdiction édictée par l'article 3 de la loi déférée ; que les précisions ainsi données apparaissent comme le corollaire des prescriptions dudit article 3 ; qu'il y a lieu de relever, au demeurant, que le deuxième alinéa nouveau de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1976, dans sa rédaction issue de l'article 4 de la loi présentement examinée, prolonge les effets dans le temps de mesures transitoires prévues par l'article 35 de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 ;
22. Considérant que pour les motifs précédemment développés à propos de l'article 3 de la loi déférée, les dispositions de l'article 4 de la même loi ne sont contraires ni au droit de propriété ni à la liberté d'entreprendre ;
- SUR L'ARTICLE 10 PORTANT MODIFICATION DU CODE DES DEBITS DE BOISSONS ET DES MESURES CONTRE L'ALCOOLISME :
23. Considérant que l'article 10 de la loi, qui figure dans un titre II intitulé "Dispositions relatives à la lutte contre l'alcoolisme", comporte un ensemble de 14 paragraphes correspondant à cet objet ; que les auteurs de la saisine critiquent uniquement le paragraphe IV et le paragraphe V de l'article 10 ;
24. Considérant que le paragraphe IV de l'article 10 a pour objet de conférer à l'article L. 17 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme une rédaction nouvelle devant produire effet à compter du 1er janvier 1993 ;
25. Considérant que l'article L. 17 nouveau comprend deux alinéas ; que le premier alinéa énumère de façon limitative les sept cas dans lesquels sont autorisées la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques dont la fabrication et la vente ne sont pas par ailleurs interdites ; que le second alinéa du même article dispose que "toute opération de parrainage est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques" ;
26. Considérant que le paragraphe V de l'article 10 de la loi déférée ajoute au code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme un article L. 17-1 ; que cet article, en son alinéa 1er, transpose au cas des boissons alcooliques la définition de la propagande ou publicité indirecte applicable, en vertu de l'article 4 de la loi, au tabac et aux produits dérivés du tabac ; que le second alinéa de l'article L. 17-1 du code précité comporte des mesures réservant le cas des produits mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 suivant des modalités analogues à celles prévues par l'article 4 de la loi déférée, s'agissant de la commercialisation du tabac ;
27. Considérant que dans leur requête initiale, les auteurs de la saisine ont mis en cause les dispositions des articles 10-IV et 10-V de la loi au regard du droit de propriété, de la liberté d'entreprendre et du droit au nom patronymique ; que dans un mémoire complémentaire ils estiment que le paragraphe IV de l'article 10 est critiquable sur d'autres plans et en particulier au regard du principe d'égalité ;
. En ce qui concerne les moyens dirigés contre celles des dispositions des paragraphes IV et V de l'article 10 qui prohibent certaines formes de publicité ou de propagande en faveur des boissons alcooliques :
28. Considérant que les auteurs de la saisine reprennent à l'encontre des dispositions limitant la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques, une argumentation semblable à celle qu'ils ont développée à propos des articles 3 et 4 de la loi déférée qui prohibent la publicité en faveur du tabac et des produits dérivés du tabac ;
29. Considérant que les restrictions apportées par le législateur à la propagande ou à la publicité en faveur des boissons alcooliques ont pour objectif d'éviter un excès de consommation d'alcool, notamment chez les jeunes ; que de telles restrictions reposent sur un impératif de protection de la santé publique, principe de valeur constitutionnelle ; que le législateur qui a entendu prévenir une consommation excessive d'alcool, s'est borné à limiter la publicité en ce domaine, sans la prohiber de façon générale et absolue ; que, de surcroît, les dispositions de l'article L. 17 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme, telles qu'elles résultent de l'article 10-IV de la loi, ne produiront effet qu'à compter du 1er janvier 1993 ; qu'au surplus, postérieurement à cette date, l'article 11 de la loi déférée prévoit que, par dérogation à l'article L. 17, "l'exécution des contrats en cours au 1er janvier 1991 des opérations de publicité dans l'enceinte des débits de boissons est poursuivie jusqu'au 31 décembre 1993" ;
30. Considérant que, dans ces conditions, les moyens tirés de ce que les restrictions édictées par les articles 10-IV et 10-V seraient contraires, tant au droit de propriété qu'à la liberté d'entreprendre, ne peuvent être accueillis ;
31. Considérant par ailleurs que l'atteinte alléguée au libre usage par un individu de son nom patronymique est dépourvue de tout fondement ;
. En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'article 10-IV, en tant qu'il autorise certaines formes de publicité ou de propagande en faveur des boissons alcooliques :
32. Considérant que le premier alinéa de l'article L. 17 du code précité, tel qu'il résulte de l'article 10-IV, fait figurer au nombre des hypothèses dans lesquelles la propagande ou la publicité en faveur des boissons alcooliques seront autorisées : "1° dans la presse écrite, à l'exception des publications destinées à la jeunesse, définies au premier alinéa de l'article premier de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ; 2° par voie de radiodiffusion sonore pour les catégories de radios et dans les tranches horaires déterminées par décret en Conseil d'État ; 3° sous forme d'affiches et d'enseignes dans les zones de production, sous forme d'affichettes et d'objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État" ; qu'à l'instar du 3°, les autres cas visés par l'article L. 17 correspondent au souci du législateur de permettre une distribution des boissons alcooliques et une information les concernant sans pour autant inciter à une consommation excessive ;
33. Considérant que, pour les auteurs de la saisine, la définition des cas dans lesquels la publicité ou la propagande seront autorisées est critiquable à un triple point de vue ; qu'elle méconnaît le principe d'égalité entre les publicitaires et défavorise les entreprises d'affichage ; que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ; que les sujétions imposées aux entreprises d'affichage créent une rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- Quant au moyen tiré de l'atteinte au principe d'égalité devant la loi :
34. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;
35. Considérant que les dispositions de l'article L. 17 du code précité visent à définir limitativement les cas dans lesquels la propagande ou la publicité pourra être autorisée, compte tenu d'un objectif tendant à lutter contre la consommation excessive de l'alcool, plus spécialement de la part des jeunes ; qu'au regard de l'objectif ainsi poursuivi, le législateur pouvait opérer une différence entre les divers supports publicitaires en prenant en compte la forme qu'ils revêtent et les différents publics susceptibles d'être touchés ; que, par suite, l'article L. 17 nouveau n'a pas méconnu le principe d'égalité devant la loi, en n'admettant le recours à l'affichage publicitaire en faveur des boissons alcooliques que dans les zones de production ou pour promouvoir des fêtes et foires traditionnelles ou des manifestations de la nature de celles définies aux 6° et 7° de cet article ;
- Quant au moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa propre compétence :
36. Considérant que l'article 34 de la Constitution dispose notamment, en son deuxième alinéa, que "la loi fixe les règles concernant…, les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques" et, en son quatrième alinéa, que la loi "détermine les principes fondamentaux… du régime de la propriété" ; que, sur le fondement de ces dispositions, il appartient au législateur de déterminer les cas dans lesquels la propagande ou la publicité en faveur des boissons alcooliques peut être autorisée ; qu'il revient cependant au pouvoir réglementaire de mettre en œuvre, s'il y a lieu, les dispositions de la loi à la condition de ne pas en altérer la portée ;
37. Considérant que l'autorisation de la propagande ou de la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques "par voie de radiodiffusion sonore pour les catégories de radios et dans les tranches horaires déterminées par décret en Conseil d'État" doit être interprétée au regard de l'objectif de la loi qui tend à assurer la protection de la santé publique, plus spécialement celle des jeunes ; qu'il incombera par suite au pouvoir réglementaire d'assurer la mise en œuvre de la loi compte tenu de cet objectif ; qu'il lui appartiendra dès lors, dans la détermination des catégories de radios et des tranches horaires, de prendre en considération, en priorité, le nombre des jeunes effectivement touchés par les émissions des radios concernées ;
38. Considérant de même, que l'autorisation de la propagande ou de la publicité prévue au 3° de l'article L. 17 "sous forme d'affiches et d'enseignes dans les zones de production, sous forme d'affichettes et d'objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État", doit s'entendre par rapport à l'objet de l'article L. 17 ; qu'il appartiendra au pouvoir réglementaire, agissant par décret en Conseil d'État, d'assurer la mise en œuvre de la loi en fonction de données objectives applicables à l'ensemble des boissons alcooliques ; que devront être respectées les normes édictées, dans le cadre de leurs compétences, par les autorités des Communautés européennes ;
39. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le législateur en autorisant, en fonction des buts poursuivis, les cas dans lesquels la publicité ou la propagande en faveur des boissons alcooliques sera possible, n'est pas resté en deçà de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ;
- Quant au moyen tiré de la rupture d'égalité devant les charges publiques au détriment des afficheurs :
40. Considérant qu'il est soutenu que le législateur impose aux entreprises d'affichage des sujétions particulières au titre de la lutte contre l'alcoolisme ;
41. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'article L. 17 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi ; qu'en tout état de cause, il est loisible aux intéressés, pour le cas où ils estimeraient que l'application de la loi présentement examinée leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d'en demander réparation ;
- SUR L'ARTICLE 12 INSTITUANT UNE CONTRIBUTION SUR LES DEPENSES DE PUBLICITE ET EN AFFECTANT LE PRODUIT :
42. Considérant que l'article 12 de la loi comporte deux alinéas ; qu'aux termes du premier alinéa : "Il est créé une contribution égale à 10 p. 100 hors taxes des dépenses de publicité en faveur des boissons alcooliques. A cet effet, une comptabilité séparée des opérations de publicité pour des boissons alcooliques est tenue. Le produit de cette contribution est affecté à un fonds géré, paritairement, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État par des représentants du ministre chargé de la santé et des représentants des organisations professionnelles concernées, pour financer des actions d'éducation sanitaire et de prévention de l'alcoolisme." ; que le second alinéa de l'article 12 dispose que : "Chaque année, le Gouvernement rend compte au Parlement des opérations réalisées par ce fonds et de sa gestion." ;
43. Considérant qu'en vertu du deuxième alinéa de l'article 34 de la Constitution "la loi fixe les règles concernant… l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures" ; que la contribution instituée par l'article 12 a le caractère d'une imposition ; qu'il appartenait par suite au législateur de déterminer, non seulement les règles concernant son taux, mais, au titre de la définition de l'assiette de l'impôt, les catégories de redevables ; que relève également de la loi la fixation des modalités de recouvrement ; qu'en s'abstenant d'indiquer tant les catégories de redevables que les modalités de recouvrement du nouvel impôt, le législateur a méconnu l'étendue de la compétence qu'il tient du deuxième alinéa de l'article 34 ;
44. Considérant que selon le cinquième alinéa de l'article 34, "les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique" ; que le premier alinéa de l'article 47 de la Constitution dispose que : "Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique" ;
45. Considérant qu'il ressort de l'article 18 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances que, sous réserve des procédures particulières visées à l'article 19, l'affectation d'une recette de l'État à une dépense ne peut résulter que d'un texte de loi de finances ; que l'article 12 de la loi méconnaît ces prescriptions en affectant à un "fonds" non doté de la personnalité morale et dont la gestion relève de la responsabilité du Gouvernement le produit d'une imposition perçue au profit de l'État ;
46. Considérant que l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 réserve, dans son article 1er, alinéa 2, à un texte de loi de finances l'édiction des "dispositions législatives destinées à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques" ; que ces exigences sont méconnues par les dispositions du second alinéa de l'article 12 de la loi qui font obligation au Gouvernement de rendre compte au Parlement d'opérations portant sur la gestion d'un fonds financé par une ressource publique ;
47. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 12 de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution pour des motifs tenant, d'une part, à ce que le législateur est resté en deçà de sa compétence en matière fiscale et, d'autre part, à l'irrégularité de la procédure suivie pour l'adoption de celles de ses dispositions qui relèvent du domaine exclusif d'intervention des lois de finances ;
48. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;
Décide :
Article premier :
L'article 12 de la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme est déclaré contraire à la Constitution.
Article 2 :
Les autres dispositions de la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.