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25/07/1989 | FRANCE | N°89-257

France | France, Conseil constitutionnel, 25 juillet 1989, 89-257


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 juillet 1989 par MM Marcel Lucotte, Jean Puech, Jacques Thyraud, Richard Pouille, Roger Chinaud, Pierre Louvot, Maurice Arreckx, Jean Dumont, Louis Lazuech, Serge Mathieu, Michel Miroudot, Pierre Croze, Jean-Pierre Fourcade, Philippe de Bourgoing, Henri de Raincourt, Michel d'Aillières, Bernard Barbier, Marc Castex, Jean-François Pintat, Roland du Luart, Hubert Martin, Michel Sordel, Roland Ruet, Guy de La Verpillière, Jean-Paul Bataille, Louis Boyer, François Trucy, Jean Bénard Mousseaux, Jean Delaneau, Albert Voilquin, Michel Alloncle, Jean

Amelin, Jean Barras, Henri Belcour, Yvon Bourges, Raym...

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 juillet 1989 par MM Marcel Lucotte, Jean Puech, Jacques Thyraud, Richard Pouille, Roger Chinaud, Pierre Louvot, Maurice Arreckx, Jean Dumont, Louis Lazuech, Serge Mathieu, Michel Miroudot, Pierre Croze, Jean-Pierre Fourcade, Philippe de Bourgoing, Henri de Raincourt, Michel d'Aillières, Bernard Barbier, Marc Castex, Jean-François Pintat, Roland du Luart, Hubert Martin, Michel Sordel, Roland Ruet, Guy de La Verpillière, Jean-Paul Bataille, Louis Boyer, François Trucy, Jean Bénard Mousseaux, Jean Delaneau, Albert Voilquin, Michel Alloncle, Jean Amelin, Jean Barras, Henri Belcour, Yvon Bourges, Raymond Bourgine, Raymond Brun, Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jean Chérioux, Désiré Debavelaere, Jacques Delong, Charles Descours, Franz Duboscq, Alain Dufaut, Pierre Dumas, Philippe François, Philippe de Gaulle, Charles Ginesy, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Emmanuel Hamel, Mme Nicole de Hautecloque, MM Roger Husson, André Jarrot, Gérard Larcher, René-Georges Laurin, Marc Lauriol, Maurice Lombard, Paul Malassagne, Christian Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Mme Hélène Missoffe, MM Paul Moreau, Arthur Moulin, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Jacques Oudin, Soséfo Makapé Papilio, Charles Pasqua, Alain Pluchet, Christian Poncelet, Henri Portier, Claude Prouvoyeur, Jean-Jacques Robert, Mme Nelly Rodi, MM Josselin de Rohan, Michel Rufin, Jean Simonin, Louis Souvet, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion.

Le Conseil constitutionnel,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les auteurs de la saisine critiquent la régularité de la procédure d'adoption de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel ainsi que le contenu de ses articles premier, 6, 7, 10-IV, 25-II, 28, 29 et 30 ;

- SUR LA REGULARITE DE LA PROCEDURE LEGISLATIVE :

2. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, le Gouvernement a méconnu l'article 45 de la Constitution ; qu'en effet, il a donné la préférence aux dispositions adoptées par l'Assemblée nationale dès les premiers stades du débat sur le projet de loi, alors qu'il ne peut faire prévaloir la position de cette assemblée qu'au terme de la procédure législative en lui demandant de statuer définitivement, en application du quatrième alinéa in fine de l'article 45 ;

3. Considérant que la faculté ouverte au Gouvernement par le quatrième alinéa de l'article 45 de la Constitution de demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement en cas de non aboutissement de la procédure de la commission mixte paritaire ne saurait en rien limiter le droit qui lui est reconnu par l'article 31 d'être entendu à tout moment par l'une ou l'autre assemblée ; qu'il lui est loisible ainsi de faire connaître son opinion à tous les stades de la procédure législative aussi bien sur le texte soumis à la délibération de chaque assemblée que sur les amendements dont il fait l'objet ;

4. Considérant qu'il suit de là que le moyen tiré de la violation de l'article 45 de la Constitution est dénué de pertinence ;

- SUR LE FOND :

. En ce qui concerne le moyen tiré de ce que certaines dispositions des articles premier, 6, 10-IV et 25-II porteraient atteinte au principe d'égalité :

5. Considérant que l'article premier a pour objet d'insérer dans le code du travail un article L. 432-1-1 qui définit le rôle du comité d'entreprise dans la gestion prévisionnelle de l'emploi ; qu'il est prévu à cet égard que cet organisme est informé et consulté sur les actions, notamment de prévention et de formation, que l'employeur envisage de mettre en oeuvre, "particulièrement au bénéfice des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification qui les exposent plus que d'autres aux conséquences de l'évolution économique ou technologique" ;

6. Considérant que l'article 6 de la loi ajoute au code du travail un article L. 322-7 qui dispose, dans son premier alinéa, que "des accords d'entreprise conclus dans le cadre d'une convention de branche ou d'un accord professionnel sur l'emploi national, régional ou local, peuvent prévoir la réalisation d'actions de formation de longue durée en vue de favoriser l'adaptation des salariés aux évolutions de l'emploi dans l'entreprise, notamment de ceux qui présentent des caractéristiques sociales les exposant plus particulièrement aux conséquences de l'évolution économique ou technologique" ; que de tels accords ouvrent droit, sous les conditions définies aux deuxième et troisième alinéas de l'article L.322-7, à l'aide de l'État ;

7. Considérant que, dans son article 10-IV, la loi insère dans le code du travail un article L.321-4-1 qui prévoit l'établissement et la mise en oeuvre par l'employeur d'un "plan social pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre et pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment des salariés âgés ou qui présentent des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile" ;

8. Considérant que l'article 25-II de la loi modifie les dispositions du code du travail relatives aux critères de détermination de l'ordre des licenciements, en cas de licenciement collectif, et précise que "ces critères prennent notamment en compte les charges de famille et en particulier celles de parents isolés, l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment des personnes handicapées et des salariés âgés, les qualités professionnelles appréciées par catégorie" ;

9. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir qu'aucune interprétation juridique précise ne peut être donnée de la notion de "salariés âgés" et de celle de salariés présentant des "caractéristiques sociales" particulières ; qu'ils en déduisent que les dispositions précitées des articles premier, 6, 10 et 25 portent atteinte au principe d'égalité dans la mesure où il est impossible pour les salariés, pour les employeurs comme pour les magistrats de définir les catégories de salariés entrant dans le champ des prévisions de la loi ;

10. Considérant que le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose en son huitième alinéa que "tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises" ; que l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ;

11. Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions de travail ou aux relations du travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser après une concertation appropriée, les modalités concrètes de mise en oeuvre des normes qu'il édicte ; qu'au surplus, constitue un principe fondamental du droit du travail, le principe selon lequel une convention collective de travail peut contenir des dispositions plus favorables aux travailleurs que celles des lois et règlements ;

12. Considérant que la référence faite par les articles premier, 6, 10 et 25 de la loi aux notions de "salariés âgés" ou de salariés présentant "des caractéristiques sociales" particulières, qui sont destinées à être précisées par les partenaires sociaux sous le contrôle des administrations et des juridictions compétentes, loin de méconnaître le principe d'égalité devant la loi, permet d'en assurer l'application à des situations diversifiées ; qu'ainsi le moyen invoqué ne peut qu'être écarté ;

. En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'article 7 :

13. Considérant que l'article 7 de la loi, qui modifie l'article L. 321-13 du code du travail, détermine le champ d'application de la cotisation versée par l'employeur à l'institution gestionnaire compétente pour assurer le service des allocations d'assurance aux travailleurs privés d'emploi ; que la cotisation est exigée pour toute rupture du contrat de travail d'un salarié gé de cinquante-cinq ans ou plus, ouvrant droit au versement de l'allocation d'assurance mentionnée au a) de l'article L. 351-3 du code du travail ; que cependant, la cotisation n'est pas due par l'employeur dans différents cas et, en particulier, lorsque la rupture du contrat de travail résulte d'une démission du salarié "trouvant son origine dans un déplacement de la résidence du conjoint, résultant d'un changement d'emploi de ce dernier" ;

14. Considérant que les auteurs de la saisine estiment que ce cas d'exonération est contraire au principe de la liberté individuelle ; qu'en effet, pour savoir s'il doit y avoir ou non versement de la cotisation, l'employeur devra, au risque de porter atteinte au respect de la vie privée et à la liberté d'aller et venir, enquêter sur les raisons qui ont dicté le changement de résidence du conjoint du salarié démissionnaire ; qu'il est également soutenu que l'application du texte entraînera une rupture d'égalité au détriment de l'employeur, sans qu'aucune justification n'apparaisse ;

. Quant à la liberté individuelle :

15. Considérant que les dispositions qui exonèrent de la cotisation mise à la charge de l'employeur par l'article L. 321-13 du code du travail le salarié qui démissionne de son emploi à la suite du déplacement de la résidence de son conjoint résultant d'un changement d'emploi de ce dernier, n'ont ni pour objet, ni pour effet de porter une quelconque atteinte à la liberté individuelle de l'employeur non plus qu'à celle du salarié ;

. Quant à la rupture d'égalité :

16. Considérant qu'il ressort des débats qui ont précédé l'adoption de l'article L. 321-13 du code du travail que l'exonération de cotisation critiquée par les auteurs de la saisine vise à ne pas faire supporter par l'employeur une charge pécuniaire lorsque la rupture du contrat de travail résulte de la démission du salarié, dès lors que celle-ci repose sur des motifs touchant à la situation particulière de son conjoint et auxquelles l'employeur est totalement étranger ; qu'il ressort des termes de l'article L. 321-13 que l'exonération en cause s'applique à tous les employeurs se trouvant dans la même situation ; que le moyen tiré de la violation du principe d'égalité est, par suite, sans fondement ;

. En ce qui concerne l'article 28 relatif au contentieux du licenciement :

17. Considérant que l'article 28 de la loi a pour objet d'insérer dans le texte de l'article L. 122-14-3 du code du travail relatif au contentieux du caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en cas de licenciement un deuxième alinéa ainsi rédigé : "Lorsqu'un doute subsiste, il profite au salarié" ;

18. Considérant que les auteurs de la saisine font valoir que ce texte rompt l'égalité entre des salariés placés dans la même situation ou entre des employeurs placés dans la même situation ; qu'en effet, les salariés n'auront pas les mêmes chances de profiter de la disposition législative relative au doute du juge car cette éventualité est fonction de données très variables, qu'il s'agisse de l'encombrement du rôle, de la complexité de la situation de l'entreprise, du contexte du licenciement ou du nombre des licenciements intervenus ;

19. Considérant que l'adjonction qui est apportée à l'article L. 122-14-3 du code du travail par l'article 28 de la loi laisse inchangé le premier alinéa de cet article qui dispose qu'en cas de litige "le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles" ; qu'il suit de là que c'est seulement dans le cas où le juge sera dans l'impossibilité, au terme d'une instruction contradictoire, de former avec certitude sa conviction sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse justifiant le licenciement, qu'il sera conduit à faire application du principe selon lequel le doute profite au salarié ; qu'ainsi, les dispositions critiquées, qui ont pour but d'assurer, selon des règles identiques, le contrôle juridictionnel des conditions légales du licenciement, ne sont en rien contraires au principe d'égalité des citoyens devant la loi ;

. En ce qui concerne l'article 29 relatif au droit d'ester en justice des organisations syndicales :

20. Considérant que l'article 29 de la loi a pour objet d'ajouter au code du travail un article L. 321-15 ainsi conçu : "Les organisations syndicales représentatives peuvent exercer en justice toutes actions qui naissent des dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles régissant le licenciement pour motif économique et la rupture du contrat de travail visée au troisième alinéa de l'article L. 321-6 du présent code en faveur d'un salarié, sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé. Celui-ci doit avoir été averti par lettre recommandée avec accusé de réception et ne s'y être pas opposé dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l'organisation syndicale lui a notifié son intention. A l'issue de ce délai, l'organisation syndicale avertit l'employeur par lettre recommandée avec accusé de réception de son intention d'ester en justice. Le salarié peut toujours intervenir à l'instance engagée par le syndicat." ;

21. Considérant que, selon les auteurs de la saisine, cet article est contraire aux dispositions du Préambule de la Constitution de 1946 qui lient la défense des droits individuels d'un travailleur par un syndicat à son adhésion à ce syndicat ; qu'il est soutenu également, que le droit pour les syndicats d'ester en justice aux lieu et place d'un salarié constitue une violation de l'article premier de la Déclaration des Droits de l'Homme dans la mesure où il aboutit à placer les organisations syndicales au-dessus des individus ; qu'il est ainsi porté atteinte à la liberté des salariés et notamment à leur liberté de conscience ;

22. Considérant qu'aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958, "tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix" ; que la réaffirmation par ces dispositions de la liberté syndicale ne fait pas obstacle à ce que le législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical, confère à des organisations syndicales des prérogatives susceptibles d'être exercées en faveur aussi bien de leurs adhérents que des membres d'un groupe social dont un syndicat estime devoir assurer la défense ;

23. Considérant que les modalités de mise en oeuvre des prérogatives reconnues aux organisations syndicales doivent respecter la liberté personnelle du salarié qui, comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelle ;

24. Considérant ainsi que, s'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action ;

25. Considérant que l'article 29 de la loi permet à toute organisation syndicale représentative d'introduire, dans l'hypothèse qu'il vise, "toutes actions" en justice en faveur d'un salarié "sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé" ; que si le salarié doit être averti par lettre recommandée avec accusé de réception afin de pouvoir s'opposer, le cas échéant, à l'initiative de l'organisation syndicale, il est réputé avoir donné son approbation faute de réponse de sa part dans un délai de quinze jours ;

26. Considérant que de telles dispositions pour respecter la liberté du salarié vis-à-vis des organisations syndicales, impliquent que soient contenues dans la lettre adressée à l'intéressé toutes précisions utiles sur la nature et l'objet de l'action exercée, sur la portée de son acceptation et sur le droit à lui reconnu de mettre un terme à tout moment à cette action ; que l'acceptation tacite du salarié ne peut être considérée comme acquise qu'autant que le syndicat justifie, lors de l'introduction de l'action, que le salarié a eu personnellement connaissance de la lettre comportant les mentions susindiquées ; que c'est seulement sous ces réserves que l'article 29 de la loi n'est pas contraire à la liberté personnelle du salarié ;

. En ce qui concerne les dispositions de l'article 30 relatives à l'entretien préalable au licenciement :

27. Considérant que l'article 30 apporte plusieurs modifications à l'article L. 122-14 du code du travail qui concerne l'obligation faite à l'employeur qui envisage de licencier un salarié, de le convoquer au préalable afin de lui indiquer le ou les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications de l'intéressé ; qu'en vertu de l'adjonction apportée par le paragraphe I de l'article 30 au texte de l'article L. 122-14 "lorsqu'il n'y a pas d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix, inscrite sur une liste dressée par le représentant de l'État dans le département après consultation des organisations représentatives visées à l'article L. 136-1 dans des conditions fixées par décret. Mention doit être faite de cette faculté dans la lettre de convocation prévue au premier alinéa du présent article." ;

28. Considérant que les auteurs de la saisine font grief à ces dispositions de ne pas préciser les modalités d'intervention du "négociateur extérieur à l'entreprise" ; que si sa mission lui permet d'avoir accès à des informations relatives à l'entreprise, le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire devrait alors être assuré ; que du fait de l'absence de garanties sur ce point, le texte méconnaît le principe d'égalité devant la justice ;

29. Considérant qu'il ressort des débats parlementaires que la personne qui, à la demande d'un salarié peut être présente à ses côtés, lors de l'entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, n'est investie d'aucun pouvoir particulier à l'encontre de l'employeur ; qu'elle n'a d'autre mission que d'assister le salarié et de l'informer sur l'étendue de ses droits ; qu'il suit de là que l'argumentation des auteurs de la saisine, qui repose sur une inexacte interprétation des dispositions de l'article 30 de la loi, est inopérante et ne peut qu'être écartée ;

30. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;

Décide :

Article premier :

La loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion n'est pas contraire à la Constitution.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 89-257
Date de la décision : 25/07/1989
Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE SENATEURS

Monsieur le président, Messieurs les conseillers,

En application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement. En effet, la procédure d'élaboration de cette loi et certaines de ses dispositions ne sont pas conformes à la Constitution.

I : La procédure d'élaboration de la loi a été méconnue

Le Gouvernement a saisi l'Assemblée nationale en premier lieu, puis a défendu, devant le Sénat en première lecture, le texte voté par l'Assemblée nationale, y compris les amendements auxquels le Gouvernement s'était opposé en demandant aux sénateurs de ne pas dénaturer le texte voté par l'Assemblée nationale.

Après l'échec de la commission mixte paritaire, le Gouvernement a demandé aux députés, lors de la nouvelle lecture, de reprendre le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale.

Sans méconnaître la liberté du Gouvernement de se rallier ou de s'opposer à telle ou telle rédaction proposée par l'une ou l'autre assemblée, il est apparu qu'en l'occurrence le Gouvernement s'est comporté, à divers stades de la procédure législative (dès la première lecture au Sénat et dès la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale) comme il doit juridiquement ne le faire que dans la dernière phase de la procédure législative décrite par l'article 45 de la Constitution, c'est-à-dire lors de la dernière lecture par l'Assemblée nationale. A ce moment-là, en effet, l'Assemblée nationale peut reprendre le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat.

Dans le cas d'espèce, il y a eu de la part du Gouvernement confusion entre les différents stades de la procédure et en conséquence une violation de la procédure parlementaire régie par l'article 45 de la Constitution.

II. : La loi contient des dispositions dénuées de caractère normatif

Dans les articles 1er, 6, 10 (paragraphe 4) et 25 (paragraphe 2), deux expressions sont employées sans qu'aucune interprétation précise puisse leur être donnée. Il s'agit de la notion de " salariés âgés " et de celle de salariés présentant des " caractéristiques sociales " particulières.

Ni les débats ni les amendements adoptés n'ont permis de cerner le contenu juridique exact de ces notions. Les articles 1er, 6, 10 et 25 portent atteinte au principe d'égalité dans la mesure où il est impossible pour les salariés, pour les employeurs comme pour les magistrats de définir les salariés censés entrer dans les catégories visées.

Il y a donc violation de l'article VI de la Déclaration de 1789 qui pose : la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ".

III. : La loi porte atteinte au principe du respect de la liberté individuelle

L'article 7 de la loi prévoit un certain nombre de cas ouvrant droit à exonération de la cotisation due à l'Unedic par l'employeur lorsqu'il licencie un salarié âgé de plus de cinquante-cinq ans.

Le 5° de cet article cite parmi les cas d'exonération du versement de la cotisation par l'employeur " un déplacement de la résidence du conjoint résultant d'un changement d'emploi de ce dernier ".

Donc, pour savoir s'il doit y avoir ou non versement de la cotisation, il est nécessaire d'enquêter sur les raisons qui ont dicté le changement de résidence du conjoint du salarié démissionnaire. Une telle enquête porte atteinte à la liberté individuelle, notamment au respect de la vie privée et à la liberté d'aller et venir.

En outre, un tiers, en l'occurrence l'employeur, doit effectuer un paiement résultant de l'exercice de sa liberté individuelle par le conjoint du salarié démissionnaire. Il y a donc à son détriment rupture de l'égalité sans qu'aucune justification apparaisse.

IV. : Le principe d'égalité est remis en cause si le doute du juge profite toujours au salarié

En son article 28, la loi adoptée pose que dans tous les litiges relatifs au licenciement, le doute du juge profite au salarié. Cet article a été inspiré par le souci de placer sur un pied d'égalité le salarié et l'employeur lorsqu'un litige les oppose à la suite d'un licenciement. En réalité, une telle disposition porte atteinte au principe même d'égalité.

En effet, cet article rompt l'égalité entre des salariés placés dans la même situation ou entre les employeurs placés dans la même situation. Autant l'égalité entre salariés et employeurs peut être appréciée de manière subjective, et c'est cela qui a inspiré les dispositions de la loi, autant l'égalité entre les salariés ou entre les employeurs peut être appréciée de manière objective.

Qui garantira à des salariés victimes de licenciement dans des entreprises et des régions diverses et jugés par des juridictions différentes qu'ils ont les mêmes chances de profiter de la disposition de la loi relative au doute du juge ? Il est certain que, selon l'encombrement du rôle, la complexité de la situation de l'entreprise, le contexte du licenciement, le nombre des licenciements intervenus, le juge sera amené ou non à douter.

Il y a donc ici violation du principe d'égalité résultant de l'article VI de la Déclaration de 1789 : la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ".

V : La loi donne aux organisations syndicales le droit d'ester en justice au lieu et place d'un salarié

L'article 29 de la loi accorde aux organisations syndicales représentatives, soit au niveau national, soit dans l'entreprise, le droit " d'exercer en justice toutes actions qui naissent des dispositions légales réglementaires ou conventionnelles régissant le licenciement pour motif économique et la rupture du contrat de travail visée au troisième alinéa de l'article L 321-6 en faveur d'un salarié, sans avoir à justifier d'un mandat de l'intéressé.

Celui-ci doit avoir été averti par lettre recommandée avec accusé de réception et ne s'y être pas opposé dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l'organisation syndicale lui a notifié son intention ".

Il ne s'agit donc pas ici des pouvoirs traditionnels des syndicats estant en justice pour la défense d'un intérêt collectif ou même de l'intérêt individuel d'un de leurs adhérents lésé lors de l'application d'une convention collective, mais de la défense des intérêts particuliers d'un salarié syndiqué ou non syndiqué à sa place et avec son acquiescement tacite. La personne défendue, sans adhérer expressément à tel ou tel syndicat, y adhère au moins implicitement durant la période nécessaire à la poursuite d'une action en sa faveur.

Cet enchaînement est déjà contraire à la Constitution. En effet, d'après le préambule de 1946 : " Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. " La défense et l'adhésion sont liées, l'adhésion exclut le consentement tacite et le choix écarte le démarchage.

La possibilité offerte par cet article porte atteinte à la liberté individuelle, notamment à la liberté de conscience et constitue une violation de l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. " Or cet article place les organisations syndicales au-dessus des individus. Elles se substituent à celui-ci pour effectuer un libre choix. Il y a là un dangereux précédent de renonciation à sa liberté de la part d'un individu au profit d'organismes dont il ne connaît peut-être ni les dirigeants ni la ligne d'action. Aucune considération ne vient justifier cette atteinte à la liberté individuelle. La défense d'un salarié dont le contrat de travail est rompu ne peut passer par la violation de ses libertés au moment même où il se trouve en situation de désarroi. En outre, cet article risque d'engendrer des abus inconstitutionnels.

La disposition incriminée risque d'inciter les organisations syndicales à essayer de rallier systématiquement à leur cause les personnes concernées par une rupture de contrat de travail. Au-delà de l'adhésion individuelle au moyen de campagnes d'adhésion d'un genre nouveau, les syndicats vont être tentés d'utiliser ce biais pour s'implanter dans les entreprises où ils ne le sont pas encore, perdant de vue l'intérêt même de celui qu'ils ont offert de défendre.

Enfin, les syndicats risquent d'intenter systématiquement des actions à la suite de ruptures du contrat de travail pour des buts tout à fait étrangers à la défense du justiciable pour faire pression sur la justice, ou sur l'opinion. Un encombrement du rôle des conseils de prud'hommes et des tribunaux en général pourrait en découler.

VI. : La présence lors de l'entretien préalable au licenciement d'un négociateur extérieur à l'entreprise

L'article 30 de la loi prévoit que " lorsqu'il n'y a pas d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix inscrite sur une liste dressée par le représentant de l'Etat dans le département après consultation des organisations représentatives visées à l'article L 136-1 dans des conditions fixées par décret ".

Aucune garantie n'est donnée par ce texte sur la portée même de ces dispositions. Le négociateur extérieur à l'entreprise se contente-t-il d'être présent au cours d'un entretien ou bien a-t-il droit à la communication de certaines informations ou pièces relatives à l'entreprise ? Dans ce cas, il faudrait entourer sa venue dans l'entreprise d'un certain nombre de garanties, par exemple dresser la liste des pièces qu'il peut consulter, préciser les conditions de cette consultation et fixer si ce négociateur est tenu à la confidentialité ou au secret du fait des informations qu'il recueille et des documents auxquels il a accès. Les droits de la défense devraient être respectés, notamment le principe du contradictoire.

Dans le cas contraire, si ces consultations de documents peuvent avoir lieu sans aucune garantie, il y a alors violation du principe d'égalité devant la justice.

Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de déclarer non conforme à la Constitution la loi examinée, en particulier les articles 1er, 6, 7, 10 (paragraphe 4), 25 (paragraphe 2), 28, 29 et 30.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Messieurs les Conseillers, l'expression de notre haute considération.


Références :

DC du 25 juillet 1989 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 25 juillet 1989 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°89-257 DC du 25 juillet 1989
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1989:89.257.DC
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