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19/12/2013 | FRANCE | N°2013-682

France | France, Conseil constitutionnel, 19 décembre 2013, 2013-682


Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, le 4 décembre 2013, par MM. Jean-Claude GAUDIN, Pierre ANDRÉ, Gérard BAILLY, René BEAUMONT, Michel BÉCOT, Joël BILLARD, Jean BIZET, Mme Françoise BOOG, MM. Pierre BORDIER, Joël BOURDIN, François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHAUVEAU, Christian COINTAT, Gérard

CORNU, Raymond COUDERC, Jean-Patrick COURTOIS, Philippe DALLIER, Serg...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, le 4 décembre 2013, par MM. Jean-Claude GAUDIN, Pierre ANDRÉ, Gérard BAILLY, René BEAUMONT, Michel BÉCOT, Joël BILLARD, Jean BIZET, Mme Françoise BOOG, MM. Pierre BORDIER, Joël BOURDIN, François-Noël BUFFET, François CALVET, Christian CAMBON, Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHAUVEAU, Christian COINTAT, Gérard CORNU, Raymond COUDERC, Jean-Patrick COURTOIS, Philippe DALLIER, Serge DASSAULT, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis DELATTRE, Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Marie-Hélène DES ESGAULX, MM. Philippe DOMINATI, Michel DOUBLET, Mme Marie-Annick DUCHÊNE, MM. Alain DUFAUT, André DULAIT, Ambroise DUPONT, Louis DUVERNOIS, Jean-Paul EMORINE, André FERRAND, Alain FOUCHE, Bernard FOURNIER, Jean-Paul FOURNIER, René GARREC, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Patrice GÉLARD, Bruno GILLES, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, François GROSDIDIER, Charles GUENÉ, Pierre HÉRISSON, Michel HOUEL, Benoît HURÉ, Jean-François HUSSON, Jean-Jacques HYEST, Mmes Sophie JOISSAINS, Christiane KAMMERMANN, M. Roger KAROUTCHI, Mme Élisabeth LAMURE, MM. Gérard LARCHER, Daniel LAURENT, Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Michel MAGRAS, Philippe MARINI, Pierre MARTIN, Mme Hélène MASSON-MARET, M. Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Alain MILON, Philippe NACHBAR, Louis NÈGRE, Philippe PAUL, Jackie PIERRE, Xavier PINTAT, Ladislas PONIATOWSKI, Mme Catherine PROCACCIA, MM. Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT, Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, Michel SAVIN, Bruno SIDO, Mmes Esther SITTLER, Catherine TROENDLE, MM. François TRUCY et Jean-Pierre VIAL, et, le 12 décembre 2013, par MM. François ZOCCHETTO, Jean ARTHUIS, Jean-Marie BOCKEL, Vincent CAPO-CANELLAS, Vincent DELAHAYE, Yves DÉTRAIGNE, Mme Muguette DINI, MM. Daniel DUBOIS, Jean-Léonce DUPONT, Mmes Françoise FÉRAT, Sylvie GOY-CHAVENT, Chantal JOUANNO, Valérie LÉTARD, MM. Hervé MARSEILLE, Hervé MAUREY, Jean-Claude MERCERON, Michel MERCIER, Aymeri de MONTESQUIOU, Henri TANDONNET et Jean-Marie VANLERENBERGHE, sénateurs ;

Et, le 5 décembre 2013, par MM. Christian JACOB, Damien ABAD, Élie ABOUD, Bernard ACCOYER, Benoist APPARU, Julien AUBERT, Jean-Pierre BARBIER, Sylvain BERRIOS, Xavier BERTRAND, Étienne BLANC, Marcel BONNOT, Mme Valérie BOYER, MM. Dominique BUSSEREAU, Olivier CARRÉ, Gilles CARREZ, Yves CENSI, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Philippe COCHET, Jean-Louis COSTES, Mme Marie-Christine DALLOZ, MM. Bernard DEFLESSELLES, Rémi DELATTE, Patrick DEVEDJIAN, Nicolas DHUICQ, Mme Sophie DION, MM. Jean-Pierre DOOR, David DOUILLET, Daniel FASQUELLE, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FOULON, Yves FROMION, Laurent FURST, Claude de GANAY, Bernard GÉRARD, Alain GEST, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Mme Arlette GROSSKOST, M. Serge GROUARD, Mme Françoise GUÉGOT, MM. Jean-Jacques GUILLET, Christophe GUILLOTEAU, Antoine HERTH, Patrick HETZEL, Philippe HOUILLON, Guénhaël HUET, Christian KERT, Mme Valérie LACROUTE, MM. Jacques LAMBLIN, Jean-François LAMOUR, Mmes Laure de LA RAUDIÈRE, Isabelle LE CALLENNEC, MM. Marc LE FUR, Bruno LE MAIRE, Jean LEONETTI, Pierre LEQUILLER, Céleste LETT, Mme Véronique LOUWAGIE, MM. Gilles LURTON, Jean-François MANCEL, Thierry MARIANI, Olivier MARLEIX, Alain MARTY, Jean-Claude MATHIS, Philippe MEUNIER, Yannick MOREAU, Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Mme Dominique NACHURY, MM. Bernard PERRUT, Jean-Frédéric POISSON, Mme Bérangère POLETTI, MM. Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Arnaud ROBINET, Mmes Sophie ROHFRITSCH, Claudine SCHMID, MM. André SCHNEIDER, Thierry SOLÈRE, Claude STURNI, Lionel TARDY, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Dominique TIAN, Mme Catherine VAUTRIN, MM. Patrice VERCHÈRE, Jean-Pierre VIGIER, Éric WOERTH, Francis VERCAMER et Arnaud RICHARD, députés.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code de l'action sociale et des familles ;

Vu le code des assurances ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ;

Vu l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;

Vu la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998 ;

Vu la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ;

Vu la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie ;

Vu la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion ;

Vu la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 ;

Vu la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;

Vu la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 ;

Vu la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 ;

Vu la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 ;

Vu l'avis du Haut conseil des finances publiques n° 2013-03 du 20 septembre 2013 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014 ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées les 12 et 13 décembre 2013 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les sénateurs et les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 ; qu'ils mettent en cause la conformité à la Constitution de ses articles 8, 14 et 47 ; que les sénateurs contestent en outre la conformité à la Constitution de ses articles 13, 48 et 82 ainsi que la place de l'article 49 dans la loi de financement de la sécurité sociale ; que les députés contestent également sa sincérité ainsi que l'article 32 ;

- SUR LA SINCÉRITÉ DE LA LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE :

2. Considérant que les députés requérants soutiennent que la loi de financement de la sécurité sociale est insincère compte tenu de l'avis du Haut conseil des finances publiques ; qu'ils font également valoir que les modifications introduites lors de l'examen de l'article 8 ont eu pour effet de réduire les recettes que cet article devait produire en 2014 à hauteur de 200 millions d'euros sans que cette réduction du montant des recettes ait été prise en compte pour la fixation des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ; qu'il en résulterait une atteinte à la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 ;

3. Considérant qu'aux termes de la première phrase du 2° du C du paragraphe I de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, la loi de financement de la sécurité sociale « détermine, pour l'année à venir, de manière sincère, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale compte tenu notamment des conditions économiques générales et de leur évolution prévisible » ; qu'il en résulte que la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre qu'elle détermine ; qu'il s'ensuit, d'une part, que les prévisions de recettes doivent être initialement établies par le Gouvernement au regard des informations disponibles à la date du dépôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale et des dispositions contenues dans ce projet de loi ; que, d'autre part, il appartient au Gouvernement d'informer le Parlement, au cours de l'examen de ce projet de loi, lorsque surviennent des circonstances de droit ou de fait de nature à remettre en cause les conditions générales de l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et, dans ce cas, de corriger les prévisions initiales ;

4. Considérant, en premier lieu, que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 a été fondé sur des prévisions de croissance de 0,1 % en moyenne annuelle pour 2013 et de 0,9 % pour 2014 ; que, dans son avis susvisé, le Haut conseil des finances publiques a estimé que si « les prévisions de croissance sont plausibles », « le scénario macroéconomique présente des éléments de fragilité » ;

5. Considérant qu'il ne ressort ni de l'avis du Haut conseil des finances publiques ni des autres éléments soumis au Conseil constitutionnel que les hypothèses économiques sur lesquelles est fondée la loi de financement de la sécurité sociale soient entachées d'une intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre de la loi déférée ;

6. Considérant, en second lieu, que les modifications introduites lors de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 ont eu pour effet de diminuer les recettes attendues des dispositions de son article 8 pour l'année 2014 ; que le Gouvernement, après avoir présenté, par voie de conséquence, lors de cette même nouvelle lecture, un amendement à l'article 6 prenant en compte la correction de l'exécution de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie pour l'année 2013, a également présenté des amendements aux articles 22, 23 et 24 ainsi qu'à l'état figurant en annexe C à la loi de financement de la sécurité sociale notamment afin de prendre en compte l'impact négatif sur les prévisions de recettes résultant des modifications introduites à l'article 8 ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés du défaut de sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 doivent être écartés ;

- SUR L'ARTICLE 8 :

8. Considérant que l'article 8 modifie, à compter du 26 septembre 2013, les règles relatives aux taux de prélèvements sociaux applicables à certains produits de contrats d'assurance-vie ; qu'il modifie également les règles relatives aux modalités de recouvrement des prélèvements sociaux sur les produits de placement par les établissements payeurs ainsi que celles relatives à la date de paiement de l'acompte d'impôt sur le revenu dû sur certains produits de placement ; qu'il modifie enfin les règles relatives aux prélèvements sociaux applicables à Mayotte ;

9. Considérant que, selon les sénateurs et députés requérants, la suppression des taux de prélèvements sociaux « historiques » applicables à certains produits de contrats d'assurance-vie exonérés d'impôt sur le revenu, alors que dans le même temps l'application de ces taux « historiques » de prélèvements sociaux serait maintenue pour les produits perçus sur les plans d'épargne en actions, sur les plans et comptes d'épargne-logement et sur l'épargne salariale lesquels sont également exonérés d'impôt sur le revenu, institue une différence de traitement qui ne repose pas sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur ; qu'il en résulterait une atteinte à l'égalité devant les charges publiques ;

10. Considérant que les requérants font également valoir que les dispositions contestées instaurent sur ces gains une imposition rétroactive qui ne respecterait pas les exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'il ressortirait de la « pratique législative » constante que les augmentations successives des taux de prélèvements sociaux n'ont jamais été rendues applicables à ces gains, traduisant ainsi « la volonté du législateur de préserver des situations qu'il estimait légalement acquises » ; que, par suite, l'application des taux de prélèvements sociaux en vigueur lors du dénouement des contrats d'assurance-vie porterait « atteinte à une situation ainsi qu'à une espérance légalement acquises » sans être justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité :

11. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi. . . doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;

12. Considérant qu'en prévoyant l'application des taux de prélèvements sociaux en vigueur au jour du dénouement du contrat ou du décès de l'assuré pour l'ensemble des produits de contrats d'assurance-vie qui n'ont pas fait l'objet d'un assujettissement à ces prélèvements sociaux lors de leur inscription au contrat, le législateur a entendu prélever des recettes supplémentaires sur les gains provenant de ces produits de placement ; que le Conseil constitutionnel n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé ; que les contrats d'assurance-vie sont des contrats d'assurance ; qu'ils ne sont soumis à aucun plafonnement et qu'ils présentent une diversité très grande ; qu'en modifiant les taux de prélèvements sociaux applicables aux gains issus de ces contrats exonérés d'impôt sur le revenu, sans modifier dans le même temps les taux de prélèvements sociaux applicables aux produits issus des plans d'épargne en actions, aux primes versées dans le cadre des comptes et plans d'épargne logement, aux intérêts acquis sur les plans d'épargne logement de moins de 10 ans souscrits avant le 1er mars 2011 ainsi qu'aux produits de l'épargne salariale, le législateur a, bien que tous ces produits soient également exonérés d'impôt sur le revenu, traité différemment au regard des prélèvements sociaux des gains provenant de produits de placement aux caractéristiques et à l'objet différents ; que la différence qui en résulte entre les différents gains provenant de produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu ne méconnaît pas le principe d'égalité ;

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 :

13. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ;

14. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ;

15. Considérant, en premier lieu, que les dispositions du 2° du A du paragraphe I, du 1° du paragraphe III, du paragraphe IV et des B et C du paragraphe V de l'article 8 prévoient, pour les produits de contrats d'assurance-vie acquis ou constatés à compter du 1er janvier 1997 exonérés d'impôt sur le revenu et pour lesquels les prélèvements sont acquittés lors du dénouement du contrat ou du décès de l'assuré, une modification des taux de prélèvements sociaux applicable aux « faits générateurs intervenant à compter du 26 septembre 2013 » ; qu'en prévoyant d'appliquer les taux de prélèvements sociaux modifiés pour des contrats dont le dénouement ou la transmission sont intervenus à compter du 26 septembre 2013, date à laquelle les dispositions contestées ont été rendues publiques, le législateur a entendu éviter que l'annonce de cette réforme n'entraîne, avant l'entrée en vigueur de la loi, des effets contraires à l'objectif de rendement poursuivi ; que, par suite, l'effet rétroactif qui résulte de ces dispositions est justifié par un motif d'intérêt général suffisant ;

16. Considérant, en second lieu, que le législateur a institué, pour les contrats d'assurance-vie souscrits avant le 26 septembre 1997 pour les primes versées avant cette date ou, dans certaines conditions particulières, ultérieurement, un régime particulier d'imposition des produits issus de ces primes, afin d'inciter les titulaires à conserver ces contrats pendant une durée de six ou huit ans prévue au paragraphe I bis de l'article 125-0 A du code général des impôts ;

17. Considérant que, d'une part, le législateur a prévu une exonération totale d'impôt sur le revenu sur les produits correspondant à ces primes versées sur des contrats souscrits avant le 26 septembre 1997 ; que, d'autre part, les taux de prélèvements sociaux applicables aux produits de contrats d'assurance-vie acquis ou constatés à compter du 1er janvier 1997 exonérés d'impôt sur le revenu et pour lesquels les prélèvements sont acquittés lors du dénouement du contrat ou du décès de l'assuré sont, pour chaque fraction de produits correspondant à une période donnée, les taux en vigueur lors de cette période ; que le bénéfice de l'application de ces taux « historiques » de prélèvements sociaux est attaché, tout comme le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu sur ces mêmes gains, au respect d'une durée de conservation du contrat de six ans pour les contrats souscrits entre le 1er janvier 1983 et le 31 décembre 1989 et de huit ans pour ceux souscrits entre le 1er janvier 1990 et le 25 septembre 1997 ; que les dispositions contestées ont entendu mettre fin à cette règle d'assujettissement aux prélèvements sociaux « nonobstant les articles 5 et 9 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 (n° 97-1164 du 19 décembre 1997), l'article 19 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, l'article 72 de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, l'article 28 de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion, l'article 6 de la loi n° 2010-1657 du 9 décembre 2010 de finances pour 2011, l'article 10 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011, l'article 2 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 et l'article 3 de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 » ; qu'il ressort de l'ensemble des dispositions législatives énumérées que l'application des taux de prélèvements sociaux « historiques » aux produits issus de certains contrats d'assurance-vie est l'une des contreparties qui sont attachées au respect d'une durée de six ou huit ans de conservation des contrats, accordées aux épargnants pour l'imposition des produits issus de ces contrats ; que, par suite, les contribuables ayant respecté cette durée de conservation pouvaient légitimement attendre l'application d'un régime particulier d'imposition lié au respect de cette durée légale ;

18. Considérant que le législateur, en poursuivant l'objectif d'augmentation du rendement des prélèvements sociaux appliqués aux produits des contrats d'assurance-vie, a pu prévoir une augmentation des taux de ces prélèvements pour la partie de ces produits acquise ou constatée au-delà de la durée légale nécessaire pour bénéficier du régime d'exonération d'impôt sur le revenu ; qu'en revanche, un tel motif, exclusivement financier, ne constitue pas un objectif d'intérêt général suffisant pour justifier que les produits des contrats d'assurance-vie acquis ou constatés pendant la durée légale nécessaire pour bénéficier du régime particulier d'imposition de ces produits fassent l'objet d'une modification des taux de prélèvements sociaux qui leur sont applicables ;

19. Considérant que, par suite, les dispositions du 2° du A du paragraphe I, du 1° du paragraphe III, du paragraphe IV et des B et C du paragraphe V de l'article 8 ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences précitées de l'article 16 de la Déclaration de 1789, permettre que les produits de contrats d'assurance-vie acquis ou constatés à compter du 1er janvier 1997 exonérés d'impôts sur le revenu et pour lesquels les prélèvements sont acquittés lors du dénouement du contrat ou du décès de l'assuré soient soumis aux taux de prélèvements sociaux applicables à la date du fait générateur de l'imposition pour ceux de ces produits qui ont été acquis ou constatés au cours des huit premières années suivant l'ouverture du contrat d'assurance-vie pour ceux de ces contrats souscrits entre le 1er janvier 1990 et le 25 septembre 1997 ;

20. Considérant, qu'il résulte de tout ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 19, les dispositions du 2° du A du paragraphe I, du 1° du paragraphe III, du paragraphe IV et des B et C du paragraphe V de l'article 8 doivent être déclarées conformes à la Constitution ; que, pour le surplus, les dispositions de l'article 8 doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

- SUR L'ARTICLE 13 :

21. Considérant que l'article 13 a pour objet de modifier la contribution à la charge des établissements de vente en gros de spécialités pharmaceutiques et des entreprises assurant l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques prévue par les articles L. 138-1 à L. 138-9 du code de la sécurité sociale ; qu'il modifie l'article L. 138-2 pour prévoir, au titre de cette contribution, une troisième part assise sur la fraction du chiffre d'affaires hors taxes réalisée par l'entreprise « correspondant au montant de la marge rétrocédé aux pharmacies » sur « les spécialités autres que celles mentionnées aux deux dernières phrases du premier alinéa de l'article L. 138-9 » ; qu'il abaisse le taux applicable à la première part d'assiette de 1,9 % à 1,75 % et fixe le taux applicable à la troisième part d'assiette à 20 % ; qu'il modifie la fourchette dans laquelle doit être comprise le montant de la contribution correspondant aux deux premières parts d'assiette en prévoyant que ce montant ne peut excéder 2,55 % ni être inférieur à 1,25 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par l'entreprise ; qu'il prévoit enfin que l'entreprise soumise pour la première fois à la contribution sera redevable tant de la première que de la troisième part ;

22. Considérant que, selon les sénateurs requérants, en créant une troisième tranche de la contribution dont l'assiette correspond à la marge rétrocédée aux pharmacies d'officine, les dispositions contestées auraient pour effet de créer une distorsion de concurrence entre les ventes directes et les ventes par l'intermédiaire de grossistes des spécialités pharmaceutiques remboursables et de conduire « mécaniquement à une situation monopolistique en faveur des grossistes contraire au principe de libre concurrence » ; qu'il en résulterait une atteinte aux principes de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle ;

23. Considérant que la contribution prévue par les articles L. 138-1 à L. 138-9 du code de la sécurité sociale est, en vertu du premier alinéa de l'article L. 138-2, « assise sur le montant du chiffre d'affaires hors taxes défini à l'article L. 138-1 » ; que le second alinéa de l'article L. 138-1 prévoit que « pour la détermination de l'assiette de la contribution, il n'est tenu compte que de la partie du prix de vente hors taxes aux officines inférieure à un montant de 150 euros augmenté de la marge maximum que les entreprises visées à l'alinéa précédent sont autorisées à percevoir sur cette somme en application de l'arrêté prévu à l'article L. 162-38 » ;

24. Considérant que l'assiette de la troisième tranche de taxation au titre de la contribution prévue par les articles L. 138-1 à L. 138-9 du code de la sécurité sociale correspond à « la fraction du chiffre d'affaires hors taxes réalisée par l'entreprise au cours de l'année civile correspondant au montant de la marge rétrocédé aux pharmacies mentionnées au premier alinéa de l'article L. 138-1 », pour les seules « spécialités autres que celles mentionnées aux deux dernières phrases du premier alinéa de l'article L. 138-9 » ; que, pour ces spécialités pharmaceutiques, la première phrase du premier alinéa de l'article L. 138-9 limite la marge à 2,5 % du prix fabricant hors taxes ;

25. Considérant qu'il ressort des travaux parlementaires qu'en instaurant une nouvelle tranche de taxation au titre de la contribution prévue par les articles L. 138-1 à L. 138-9 du code de la sécurité sociale, le législateur a entendu faire porter la charge de cette imposition de manière plus significative sur les établissements et entreprises qui rétrocèdent des marges commerciales importantes aux pharmacies sur certaines spécialités pharmaceutiques ; qu'il a ainsi poursuivi un objectif d'adaptation de l'assiette de la taxe pour faire varier son produit en fonction de l'importance des marges commerciales rétrocédées ; qu'il n'a ainsi porté aucune atteinte ni à la liberté d'entreprendre ni à aucune autre exigence constitutionnelle ; que l'article 13 doit être déclaré conforme à la Constitution ;

- SUR L'ARTICLE 14 :

26. Considérant que le paragraphe I de l'article 14 a pour objet de modifier le code de la sécurité sociale ; que le 1° de ce paragraphe I donne une nouvelle rédaction de l'article L. 912-1 que le Conseil constitutionnel avait déclaré contraire à la Constitution dans sa décision du 13 juin 2013 susvisée ;

27. Considérant qu'en vertu du premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 912-1 dans sa nouvelle rédaction, les accords professionnels ou interprofessionnels mentionnés à l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale peuvent prévoir, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, « l'institution de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et comprenant à ce titre des prestations à caractère non directement contributif, pouvant notamment prendre la forme d'une prise en charge partielle ou totale de la cotisation pour certains salariés ou anciens salariés, d'une politique de prévention ou de prestations d'action sociale » ; que le deuxième alinéa du même paragraphe prévoit que, dans ce cas, ces accords « peuvent organiser la couverture des risques concernés en recommandant un ou plusieurs organismes mentionnés à l'article 1er de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques ou une ou plusieurs institutions mentionnées à l'article L. 370-1 du code des assurances, sous réserve du respect des conditions définies au II du présent article » ; qu'en vertu du dernier alinéa de ce paragraphe, ces organismes ou institutions adressent annuellement au ministre chargé de la sécurité sociale un « rapport sur la mise en oeuvre du régime, le contenu des éléments de solidarité et son équilibre, dont le contenu est précisé par décret » ;

28. Considérant que le premier alinéa du paragraphe II de l'article L. 912-1 précise que la recommandation précédemment mentionnée doit être précédée d'une procédure de mise en concurrence des organismes ou institutions intéressés « dans des conditions de transparence, d'impartialité et d'égalité de traitement entre les candidats » et renvoie à un décret le soin d'en prévoir les modalités ; qu'en vertu du second alinéa de ce paragraphe, les organismes ou institutions « recommandés » ne peuvent refuser l'adhésion d'une entreprise relevant du champ d'application de l'accord et « sont tenus d'appliquer un tarif unique et d'offrir des garanties identiques pour toutes les entreprises et pour tous les salariés concernés » ;

29. Considérant que le paragraphe III de l'article L. 912-1 précise que les accords précédemment mentionnés comportent une clause qui fixe dans quelles conditions et selon quelle périodicité sont réexaminées les modalités d'organisation de la recommandation ; qu'il prévoit que la périodicité ne peut excéder cinq ans et que la procédure de mise en concurrence prévue au premier alinéa du paragraphe II est applicable à ce réexamen ;

30. Considérant que le paragraphe IV de l'article L. 912-1 dispose que les accords précédemment mentionnés peuvent prévoir que certaines des prestations nécessitant la prise en compte d'éléments relatifs à la situation des salariés ou sans lien direct avec le contrat de travail les liant à leur employeur sont financées et gérées de façon mutualisée, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État, pour l'ensemble des entreprises entrant dans leur champ d'application ;

31. Considérant que les 2° et 3° du paragraphe I de l'article 14 de la loi déférée complètent les articles L. 137-15 et L. 137-16 du code de la sécurité sociale relatifs à l'assiette et aux taux du forfait social ; que le 2° complète, par coordination avec les dispositions introduites par le 3°, le dernier alinéa de l'article L. 137-15 ; que le 3° insère trois alinéas après le deuxième alinéa de l'article L. 137-16 ; qu'il prévoit que « lorsque l'entreprise est couverte par un accord professionnel ou interprofessionnel comportant une clause de recommandation, dans les conditions prévues à l'article L. 912-1, mais choisit de souscrire un contrat auprès d'un autre assureur que le ou les organismes assureurs recommandés, les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de prévoyance sont assujetties au forfait social » au taux de 20 % pour les entreprises d'au moins dix salariés et au taux de 8 % pour celles de moins de dix salariés ;

32. Considérant que le paragraphe II de l'article 14 précise que le 1° du paragraphe I qui porte sur la nouvelle rédaction de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale s'applique aux accords conclus à compter du 1er janvier 2014 ; qu'il précise également que les 2° et 3° du même paragraphe entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2015, pour les sommes et les contributions versées à compter de cette même date ;

33. Considérant que selon les sénateurs requérants, l'article 14 a pour seul objectif de « contourner les précédentes décisions du Conseil constitutionnel » et méconnaît ainsi l'autorité qui s'attache à ses décisions ; que le législateur aurait également méconnu l'étendue de sa compétence en ne définissant pas lui-même le contenu des garanties collectives présentant « un degré élevé de solidarité » et en déléguant cette compétence aux partenaires sociaux et au pouvoir réglementaire ; que l'article 14 serait ainsi contraire à « l'exigence constitutionnelle d'intelligibilité de la loi » ;

34. Considérant que les députés et les sénateurs requérants soutiennent que l'article 14 ne trouve pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale ; qu'en prévoyant une clause de recommandation assortie d'une modulation du forfait social incitant les entreprises de la branche à adhérer aux organismes ou institutions recommandés, le législateur méconnaîtrait la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle ; qu'en fixant, selon la taille de l'entreprise, à 8 % ou à 20 %, le taux de forfait social que doivent acquitter les entreprises couvertes par un accord professionnel ou interprofessionnel comportant une clause de recommandation lorsque ces entreprises choisissent un autre assureur que le ou l'un des organismes assureurs recommandés, l'article 14 porterait en outre atteinte à l'égalité devant les charges publiques ;

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l'article 62 de la Constitution :

35. Considérant qu'en vertu du troisième alinéa de l'article 62 de la Constitution les décisions du Conseil constitutionnel « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » ; que l'autorité des décisions visées par cette disposition s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même ;

36. Considérant que si l'autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d'une loi ne peut en principe être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution ;

37. Considérant que, par sa décision du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il ressort des motifs de cette décision que « si le législateur peut porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans un but de mutualisation des risques, notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence, il ne saurait porter à ces libertés une atteinte d'une nature telle que l'entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini » ; qu'il ressort également de cette décision que méconnaissent la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle les dispositions permettant « d'imposer que, dès l'entrée en vigueur d'un accord de branche, les entreprises de cette branche se trouvent liées avec l'organisme de prévoyance désigné par l'accord, alors même qu'antérieurement à celui-ci elles seraient liées par un contrat conclu avec un autre organisme » ;

38. Considérant que les dispositions de l'article 14 de la loi déférée renvoient aux accords professionnels ou interprofessionnels la faculté d'organiser la couverture des risques en « recommandant » un ou plusieurs organismes assureurs et incitent les entreprises à s'assurer auprès de l'organisme ou de l'un des organismes recommandés par l'accord, sans imposer la désignation d'un tel organisme ; que ces dispositions n'ont pas, en substance, un objet analogue à celui des dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure à celle que lui donne l'article 14 de la loi déférée ; qu'elles ne méconnaissent pas l'autorité qui s'attache, en vertu de l'article 62 de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 ;

39. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 62 de la Constitution doit être écarté ;

. En ce qui concerne le grief tiré de la place de l'article 14 en loi de financement de la sécurité sociale :

40. Considérant que les dispositions des 2° et 3° du paragraphe I de l'article 14 modifient les articles L. 137-15 et L. 137-16 du code de la sécurité sociale relatifs au forfait social ; que ces dispositions ont pour objet de fixer le taux du forfait social auquel sont assujetties les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de prévoyance prévues par la clause de recommandation à 8 % pour les entreprises de moins de dix salariés et à 20 % pour celles de dix salariés et plus lorsque, couvertes par un accord professionnel ou interprofessionnel comportant une clause de recommandation prévue au 1° du paragraphe I de cet article, ces entreprises choisissent de s'assurer auprès d'un autre assureur que le ou l'un des organismes assureurs recommandés ; que les dispositions de l'article 14 modifient les règles relatives à une contribution affectée au régime obligatoire de base d'assurance maladie ; que, par suite, elles trouvent leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale ;

. En ce qui concerne le grief tiré de l'incompétence négative :

41. Considérant qu'aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ; qu'il est loisible au législateur, dans le cadre des compétences qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, de renvoyer au décret ou de confier à la négociation collective le soin de préciser, en matière de détermination collective des conditions de travail, les modalités d'application des règles qu'il a fixées ;

42. Considérant que le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de l'article 14 de la loi déférée renvoie aux accords professionnels et interprofessionnels mentionnés à l'article L. 911-1 du même code le soin, dans des conditions prévues par décret, de « prévoir l'institution de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité et comprenant à ce titre des prestations à caractère non directement contributif » ; que les mêmes dispositions précisent que ces prestations peuvent « notamment prendre la forme d'une prise en charge partielle ou totale de la cotisation pour certains salariés ou anciens salariés, d'une politique de prévention ou de prestations d'action sociale » ; que le législateur a pu, sans méconnaître sa compétence, renvoyer au décret et à la négociation collective le soin de préciser les modalités d'application des règles ainsi fixées qui ne sont entachées d'aucune inintelligibilité ; que le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu sa compétence doit être écarté ;

. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle :

43. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;

44. Considérant que les dispositions de l'article 14 n'imposent pas aux entreprises, lorsqu'elles sont couvertes par un accord professionnel ou interprofessionnel comportant une clause de recommandation, d'être assurées par l'organisme ou l'un des organismes assureurs recommandés ; qu'en l'espèce, les dispositions de l'article 14 ne portent pas, en elles-mêmes, atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle ;

45. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle doit être écarté ;

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques :

46. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d'inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général, pourvu que les règles que le législateur fixe à cet effet soient justifiées au regard desdits objectifs ; que, dans tous les cas, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

47. Considérant qu'il ressort des dispositions du 3° du paragraphe I de l'article 14 qui complètent l'article L. 137-16 du code de la sécurité sociale que les entreprises couvertes par un accord professionnel ou interprofessionnel comportant une clause de recommandation peuvent choisir de s'assurer, en matière de protection complémentaire maladie, maternité ou accident, auprès d'un assureur autre que le ou l'un des organismes recommandés lesquels sont tenus d'appliquer un tarif unique et d'offrir des garanties identiques pour toutes les entreprises et tous les salariés concernés ; que les entreprises qui choisissent de s'assurer auprès d'un autre assureur que le ou l'un des organismes recommandés sont, de ce seul fait, assujetties, pour les contributions de l'employeur destinées au financement des prestations complémentaires de prévoyance prévues par l'accord, à un taux de forfait social différent de celui auquel sont assujetties les entreprises couvertes par le même accord qui ont souscrit un contrat avec le ou l'un des organismes recommandés, sans que cette différence de taux de forfait social, de 8 % pour les entreprises de moins de dix salariés et de 12 % pour celles qui en comptent dix et plus, soit liée aux prestations garanties par l'organisme assureur ;

48. Considérant qu'il ressort des dispositions du paragraphe II de l'article L. 912-1 que la recommandation doit être précédée d'une procédure de mise en concurrence des institutions ou organismes assureurs « dans des conditions de transparence, d'impartialité et d'égalité de traitement entre les candidats » ; que cette procédure de mise en concurrence doit, sur la base d'un cahier des charges, porter sur des prestations contributives ainsi que sur « des prestations à caractère non directement contributif, pouvant notamment prendre la forme d'une prise en charge partielle ou totale de la cotisation pour certains salariés ou anciens salariés, d'une politique de prévention ou de prestations d'action sociale » ; qu'aucune disposition ne prévoit que le choix de l'organisme recommandé sera fait en fonction du seul montant du tarif de cotisation ;

49. Considérant, d'une part, que, par les dispositions de l'article 14 de la loi déférée, le législateur a entendu faciliter l'accès de toutes les entreprises d'une même branche à une protection complémentaire et assurer un régime de mutualisation des risques par le renvoi aux accords professionnels et interprofessionnels de la faculté d'organiser la couverture de ces risques en recommandant un ou plusieurs organismes de prévoyance ; qu'il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général ;

50. Considérant que les dispositions de l'article L. 912-1 permettent qu'un accord professionnel recommande, pour une seule branche, un organisme n'offrant les garanties de protection complémentaire qu'aux salariés des entreprises de cette branche ; que l'incitation des entreprises à adhérer à ce mode de mutualisation par des mesures fiscales ne saurait, au regard de l'égalité devant les charges publiques, justifier une différence de traitement que dans une mesure réduite compte tenu de la limitation du champ de la solidarité ainsi défini ;

51. Considérant, d'autre part, que la majoration du taux de forfait social s'appliquerait à toutes les entreprises faisant le choix de ne pas s'assurer auprès de l'organisme recommandé et notamment à celles qui font déjà bénéficier leurs salariés d'une couverture collective à adhésion obligatoire répondant aux conditions fixées par l'accord, en matière de remboursements complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident et qui décideraient de conserver cette couverture ;

52. Considérant qu'en outre, les conditions, notamment financières, dans lesquelles les entreprises assurent à leurs salariés des garanties au-delà du niveau prévu par l'accord ou pour d'autres actions de prévoyance que celles prévues par celui-ci ne pourraient également qu'être modifiées ;

53. Considérant qu'enfin, cet accord, dans les cas où il prévoirait une couverture collective à adhésion obligatoire pour d'autres modalités de protection dans le domaine de la prévoyance que les prises en charge complémentaires de frais occasionnés par une maladie, une maternité ou un accident, aurait, en application des dispositions combinées des articles L. 912-1 et L. 137-16 du code de la sécurité sociale, pour effet que les contributions afférentes au financement de la protection complémentaire pour toutes les actions de prévoyance rendues obligatoires par l'accord seraient soumises au même régime de taux différents de forfait social en fonction des seuls choix effectués au niveau de la branche ;

54. Considérant qu'ainsi, les règles retenues par le législateur auraient des conséquences très importantes pour les entreprises ne choisissant pas l'organisme recommandé ;

55. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'au regard tant de l'objectif d'intérêt général qu'il s'est fixé que des conséquences des règles qu'il a retenues, le législateur pouvait, dans une mesure très limitée, assujettir les entreprises à des taux de forfait social différents ; qu'en prévoyant au 3° du paragraphe I de l'article 14 des écarts de taux de 8 % et de 12 %, le législateur a institué des différences de traitement qui entraînent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que les dispositions du 3° du paragraphe I de l'article 14 doivent être déclarées contraires à la Constitution ; que, par coordination, les dispositions du 2° du paragraphe I et la seconde phrase du paragraphe II de l'article 14 doivent également être déclarées contraires à la Constitution ;

56. Considérant que, pour le surplus, les dispositions de l'article 14 doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

- SUR L'ARTICLE 32 :

57. Considérant que l'article 32 complète la section 6 du chapitre II du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale par un article L. 162-31-1 qui autorise la mise en oeuvre d'expérimentations de nouveaux modes d'organisation des soins, pour une durée n'excédant pas quatre ans, dans le cadre de projets pilotes visant à optimiser les parcours de soins des patients souffrant de pathologies chroniques ;

58. Considérant que, selon les députés requérants, en définissant un cadre général applicable aux expérimentations des nouveaux modes d'organisation des soins, l'article 32 ne contribue pas à la détermination des conditions générales de l'équilibre financier des organismes de sécurité sociale et n'a pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale ; que, par ailleurs, en renvoyant au pouvoir réglementaire l'essentiel des conditions de mise en oeuvre des expérimentations autorisées par l'article 32, le législateur aurait insuffisamment défini l'objet et les conditions de l'expérimentation et aurait ainsi méconnu l'étendue de sa compétence ;

59. Considérant, en premier lieu, qu'au regard de l'incidence attendue sur les dépenses d'assurance maladie des expérimentations de nouveaux modes d'organisation des soins autorisées par l'article 32, cet article a sa place en loi de financement de la sécurité sociale ;

60. Considérant, en second lieu, que si, sur le fondement de l'article 37-1 de la Constitution, le Parlement peut autoriser, dans la perspective de leur éventuelle généralisation, des expérimentations dérogeant, pour un objet et une durée limités, au principe d'égalité devant la loi, il doit en définir de façon suffisamment précise l'objet et les conditions et ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle ;

61. Considérant qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a restreint le champ des expérimentations de nouveaux modes d'organisation des soins à l'optimisation des parcours de soins des patients souffrant de pathologies chroniques ; qu'il a précisément énuméré, au paragraphe II de l'article L. 162-31-1 du code de la sécurité sociale, les règles législatives auxquelles ces expérimentations peuvent déroger ; qu'il a fixé à quatre ans la durée maximale des expérimentations qu'il a autorisées ; que le législateur a ainsi défini de façon suffisamment précise l'objet et les conditions des expérimentations en cause ;

62. Considérant que l'article 32 doit être déclaré conforme à la Constitution ;

- SUR L'ARTICLE 47 :

63. Considérant que, selon le 15° de l'article L. 5121-1 du code de la santé publique, constitue un médicament biologiquement similaire « tout médicament biologique de même composition qualitative et quantitative en substance active et de même forme pharmaceutique qu'un médicament biologique de référence mais qui ne remplit pas les conditions. . . pour être regardé comme une spécialité générique en raison de différences liées notamment à la variabilité de la matière première ou aux procédés de fabrication et nécessitant que soient produites des données précliniques et cliniques supplémentaires dans des conditions déterminées par voie réglementaire » ; que l'article 47, d'une part, modifie cet article pour prévoir que l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut établir une liste de groupes biologiques similaires ; que, d'autre part, il insère dans le code de la santé publique un article L. 5125-23-3 qui fixe les conditions dans lesquelles le pharmacien peut, lors de la délivrance du médicament, substituer au médicament prescrit un médicament biologiquement similaire ;

64. Considérant que, selon les requérants, cet article n'a pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale ; qu'ils soutiennent également qu'en permettant au pharmacien de substituer un médicament biologiquement similaire comme il peut le faire pour un médicament générique, le législateur a méconnu le principe d'égalité et le droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;

65. Considérant qu'aux termes du onzième alinéa du Préambule de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, ce faisant, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ;

66. Considérant, en premier lieu, qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu favoriser la prescription et la délivrance de médicaments biologiquement similaires dont le prix est inférieur aux médicaments biologiques de référence ; qu'au regard de l'incidence attendue sur les dépenses d'assurance maladie, cet article a sa place en loi de financement de la sécurité sociale ;

67. Considérant, en second lieu, que le pouvoir reconnu au pharmacien par les dispositions contestées, de substituer un médicament biologiquement similaire ne s'exerce qu'à l'intérieur d'un même groupe biologique similaire défini par l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ; que le médecin peut exclure la possibilité de substitution en s'y opposant lors de la prescription ; que la substitution n'est possible qu'en « initiation de traitement » ou en renouvellement d'un traitement déjà initié avec le même médicament biologique similaire ; qu'il appartiendra au décret en Conseil d'État de préciser notamment « les conditions de substitution du médicament biologique et d'information du prescripteur à l'occasion de cette substitution de nature à assurer la continuité du traitement avec le même médicament » ; que, par suite, manque en fait le grief tiré de ce que les conditions de cette substitution ne seraient pas entourées de garanties assurant que le droit à la protection de la santé n'est pas méconnu ; que l'article 47 ne méconnaît pas davantage le principe d'égalité ;

68. Considérant que l'article 47, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, doit être déclaré conforme à la Constitution ;

- SUR L'ARTICLE 48 :

69. Considérant que l'article 48 insère dans le code de la santé publique un article L. 162-16-5-2 qui fixe les conditions dans lesquelles des médicaments ayant bénéficié d'une autorisation temporaire d'utilisation peuvent être pris en charge avant la fixation de leur prix ou tarif par le comité économique pour les produits de santé ; qu'en outre, le 1° du paragraphe I de cet article 48 modifie l'article L. 162-16-5-1 du même code pour prévoir que le laboratoire est tenu de reverser à l'assurance maladie la différence entre l'indemnité demandée aux établissements de santé et le prix ou tarif fixé par le comité économique pour les produits de santé si celui-ci est d'un montant inférieur et ce, depuis l'octroi de l'autorisation de mise sur le marché jusqu'à la décision de remboursement et la fixation du prix ou du tarif ;

70. Considérant que, selon les sénateurs requérants ces dispositions portent atteinte au droit à la protection de la santé en ce qu'elles vont « empêcher les patients sans alternative thérapeutique de bénéficier » des autorisations temporaires d'utilisation ;

71. Considérant que l'article L. 162-16-5-2 du code de la santé publique permet la prise en charge d'un médicament qui, préalablement à l'autorisation de mise sur le marché, a bénéficié d'une autorisation temporaire d'utilisation notamment dans l'une des conditions suivantes : « 1° L'indication a fait l'objet de l'autorisation temporaire d'utilisation et est mentionnée soit dans l'autorisation de mise sur le marché, soit dans une extension d'autorisation de mise sur le marché en cours d'évaluation par les autorités compétentes ;

« 2° L'indication n'a pas fait l'objet de l'autorisation temporaire d'utilisation, est mentionnée dans l'autorisation de mise sur le marché et soit il n'existe pas d'alternative thérapeutique prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale identifiée par la Haute Autorité de santé, soit le patient est en échec de traitement ou présente une contre-indication aux alternatives thérapeutiques prises en charge identifiées. »

72. Considérant que, par suite, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'empêcher les « patients sans alternative thérapeutique » de bénéficier des autorisations temporaires d'utilisation ; que les dispositions de l'article 48, qui ne méconnaissent aucune exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

- SUR L'ARTICLE 49 :

73. Considérant que le 1° du paragraphe I de l'article 49 modifie l'article L. 138-9 du code de la sécurité sociale ; qu'il supprime, dans l'article L. 138-9, le plafonnement, fixé à 17 % du prix fabricant hors taxes, des remises, ristournes et avantages commerciaux et financiers assimilés de toute nature, consentis, par tout fournisseur des officines en spécialités pharmaceutiques remboursables, sur les spécialités génériques, les spécialités inscrites au répertoire des groupes génériques et les spécialités non génériques soumises à un tarif forfaitaire de responsabilité ; qu'il prévoit que ce plafonnement, d'une part, sera fixé par décret dans la limite de 50 % et, d'autre part, s'appliquera également aux spécialités dont le prix de vente au public est identique à celui des autres spécialités du groupe générique auquel elles appartiennent ; que le 2° de ce même paragraphe I insère dans ce même code un article L. 138-9-1 qui oblige ces fournisseurs à déclarer au comité économique des produits de santé les montants totaux, par année civile et par spécialité pharmaceutique, des chiffres d'affaires hors taxes réalisés en France et des remises, ristournes et avantages commerciaux et financiers précités, au titre des ventes de ces spécialités pharmaceutiques remboursables aux officines de pharmacie ;

74. Considérant que, selon les sénateurs requérants, cet article n'a pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale ;

75. Considérant qu'il ressort des travaux préparatoires de l'article 49 qu'en imposant aux laboratoires de déclarer les remises accordées aux pharmaciens pour chacune des spécialités génériques et en permettant de faire varier le plafonnement des avantages consentis en fonction des informations recueillies, le législateur a entendu permettre de « faire évoluer les tarifs des médicaments génériques sur des bases plus proches des prix réellement pratiqués par les laboratoires » ; qu'au regard de l'incidence attendue sur les dépenses d'assurance maladie, cet article a sa place en loi de financement de la sécurité sociale ;

- SUR L'ARTICLE 82 :

76. Considérant que le premier alinéa de l'article L. 731-30 du code rural et de la pêche maritime dispose que les personnes non-salariées des professions agricoles et assimilées énumérées par l'article L. 722-10 du même code « sont assurées, à leur choix, soit par les caisses de la mutualité sociale agricole, soit par tous organismes d'assurances mentionnés à l'article L. 771-1 ou au code de la mutualité, ou par tous autres organismes d'assurances, dès lors, d'une part, que lesdits organismes auront été habilités par arrêtés de leurs ministres de tutelle respectifs et, d'autre part, qu'ils auront adhéré au règlement prévu à l'article L. 731-34 » ; que l'article L. 731-31 du même code dispose : « Les organismes assureurs, en fonction de leur statut propre, devront se grouper par catégories, en vue de l'accomplissement de leurs obligations légales et réglementaires, notamment en ce qui concerne le respect des clauses des contrats, l'application des tarifs, l'exercice du contrôle médical et les opérations de compensation » ; que les articles L. 752-13 et L. 752-14 du même code prévoient des règles comparables pour les risques accidents du travail et maladies professionnelles ;

77. Considérant que l'article 82 supprime ces dispositions et prévoit que, pour la branche « maladie, invalidité et maternité » et pour la branche « accidents du travail et maladies professionnelles », les non-salariés agricoles seront assurés uniquement par les caisses de mutualité sociale agricole ; qu'en outre, le deuxième alinéa du paragraphe IV de l'article 82 prévoit qu'à une date fixée par décret entre le 30 juin 2014 et le 30 juin 2015, les droits et obligations des groupements d'organismes assureurs mentionnés aux articles L. 731-31 et L. 752-14 sont transférés aux organismes de mutualité sociale agricole ; que le troisième alinéa de ce paragraphe IV dispose qu'à compter de cette même date, la gestion des réserves antérieurement constituées pour le compte des branches sus-évoquées par les groupements d'organismes assureurs mentionnés aux articles L. 731-31 et L. 752-14 dudit code est exercée par la caisse centrale de la mutualité sociale agricole ; que le dernier alinéa de ce paragraphe IV dispose : « Le préjudice susceptible de résulter, pour les groupements mentionnés aux mêmes articles L. 731-31 et L. 752-14, dans leur rédaction antérieure à la présente loi, du transfert de la gestion du régime obligatoire d'assurance maladie et du régime d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles des non-salariés agricoles aux caisses de mutualité sociale agricole à la date fixée en application du premier alinéa du présent IV, et notamment du transfert de leurs droits et obligations mentionné au deuxième alinéa du présent IV, fait l'objet d'une indemnité fixée dans le cadre d'un constat établi à la suite d'une procédure contradictoire. Les conditions et le montant de l'indemnité sont fixés par décret » ;

78. Considérant que, selon les sénateurs requérants, ce transfert constitue une expropriation qui n'est pas justifiée par la nécessité publique et ne donne pas lieu à une indemnisation juste et préalable comme l'exige l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'en outre, la liberté d'association des groupements d'assureurs serait méconnue ;

79. Considérant, en premier lieu, que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété au sens de l'article 17, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;

80. Considérant, d'une part, que le transfert de l'ensemble des droits et obligations attachés à un régime obligatoire de base de la sécurité sociale ne constitue pas, pour les organismes à qui cette gestion était antérieurement confiée, une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de cet article est inopérant ;

81. Considérant, d'autre part, qu'en confiant aux caisses de la mutualité sociale agricole le monopole de la gestion de la couverture des risques « maladie, invalidité et maternité » et « accidents du travail et maladies professionnelles » des non-salariés agricoles, le législateur a entendu améliorer l'efficacité et la gestion du service public de la sécurité sociale ; qu'il a poursuivi un but d'intérêt général ; que le législateur a prévu une indemnisation du préjudice susceptible de résulter de ce transfert pour les groupements mentionnées aux articles L. 731-31 et L. 752-14 ; qu'il a renvoyé au décret la détermination des conditions et du montant de cette indemnité en précisant qu'elle serait fixée dans le cadre d'un constat établi à la suite d'une procédure contradictoire ; qu'indépendamment de la fixation du montant de l'indemnité, il appartient également au décret de fixer, en vertu du paragraphe VI, les modalités d'application de ce transfert ; que, par suite, il lui appartient de déterminer, sous le contrôle de la juridiction compétente, le montant des réserves des groupements qui ont été constituées pour le compte des branches et qui seules peuvent être transférées ; qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de l'article 2 de la Déclaration de 1789 ;

82. Considérant, en second lieu, que ni le transfert aux caisses de la mutualité sociale agricole de la gestion de la couverture des risques « maladie, invalidité et maternité » et « accidents du travail et maladies professionnelles » des non-salariés agricoles, ni la suppression de l'obligation faite aux assureurs de se grouper pour assurer la gestion de ces risques ne portent atteinte à la liberté d'association des organismes assureurs ;

83. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 82, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, doit être déclaré conforme à la Constitution ;

- SUR LES AUTRES DISPOSITIONS DE LA LOI :

84. Considérant que le premier alinéa de l'article 47-1 de la Constitution dispose : « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique » ;

85. Considérant que l'article 37 prévoit la remise annuelle d'un rapport du Gouvernement au Parlement sur la situation des zones médicalement sous-dotées en France ;

86. Considérant que ces dispositions n'ont pas pour objet d'améliorer l'information et le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ; que, par suite, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale ;

87. Considérant que l'article 34 impose un réexamen des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie et les représentants des centres de santé et les incite à examiner les conditions de l'intégration dans ces accords des forfaits de rémunération ; que l'article 57 modifie le champ des produits et prestations concernés par les accords conclus entre l'assurance maladie et les distributeurs de dispositifs médicaux à usage individuel, relatifs notamment aux prix maximum pratiqués et aux modalités de dispense d'avance de frais ; que l'article 58 modifie les démarches administratives des bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées pour le renouvellement de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé ;

88. Considérant que ces dispositions n'ont pas d'effet ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement et ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées au paragraphe V de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale ; que, par suite, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale ;

89. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune autre question de constitutionnalité,

D É C I D E :

Article 1er.- Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 :

- à l'article 14, les 2° et 3° du paragraphe I et la seconde phrase du paragraphe II ;

- les articles 34, 37, 57 et 58.

Article 2.- À l'article 8, les 2° du A du paragraphe I et 1° du paragraphe III, le paragraphe IV et les B et C du paragraphe V sont conformes à la Constitution sous la réserve énoncée au considérant 19.

Article 3.- Les articles 13, 32, 47, 48 et 82 et le surplus des articles 8 et 14 de la même loi sont conformes à la Constitution.

Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 décembre 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Valéry GISCARD d'ESTAING, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.


Synthèse
Numéro de décision : 2013-682
Date de la décision : 19/12/2013
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

I/ SUR L'ARTICLE 34.

Cet article systématise un examen sous trois mois, par les instances conventionnelles, de toutes les nouvelles rémunérations autres que relatives aux actes négociées par les libéraux. En cas d'avis favorable de ces instances, ces rémunérations seront intégrées à l'accord des centres de santé dans les conditions de droit commun (avenant ou nouvel accord approuvé par les ministres).

Il prévoit également la négociation, dans les neuf mois suivant la publication de la loi de financement de la sécurité sociale, d'un avenant à l'accord national des centres de santé afin de traiter le « stock » des modes de rémunération hors paiement à l'acte aujourd'hui non transposés.

Dès lors qu'elles modifient les tarifs de remboursement en vigueur (actes, majorations), les conventions libérales s'appliquent automatiquement aux centres de santé. En revanche, les autres rémunérations pouvant être prévues par les conventions avec les professionnels libéraux (forfaits, rémunération sur objectif de santé publique, aides conventionnelles), qui pouvaient faire l'objet d'une transposition par voie d'avenant à l'accord national des centres de santé, ont en pratique été très peu transposées.

Les centres de santé n'ont pas connu d'évolution substantielle de leurs rémunérations conventionnelles hors acte depuis la création de l'accord national en 2002, notamment faute de vecteurs adaptés à ces transpositions.

Or, depuis cette date, les conventions conclues entre l'assurance maladie et les professionnels de santé libéraux, notamment avec les médecins, ont intégré de nouveaux modes de rémunération, forfaitaires ou sur objectif de santé publique par exemple.

Par exemple, les centres de santé ne bénéficient pas aujourd'hui de la rémunération liée aux patients en affection de longue durée (40EUR/an par patient - « rémunération médecin traitant ») ou non (5EUR/an par patient - « forfait médecin traitant ») et n'ont pas non plus de rémunération sur objectifs de santé publique à l'instar des maisons de santé. Ils ne perçoivent pas non plus d'aides conventionnelles « démographiques » alors que la majorité de ces centres est implantée dans des zones fragiles.

La révision de l'accord des centres de santé sous neuf mois après publication de la loi l'amènera à évoluer pour intégrer tout ou partie de ces éléments de rémunération (autres que le paiement à l'acte) aujourd'hui non perçus par les centres, ce qui aura un impact direct sur les dépenses des régimes obligatoires d'assurance maladie. En application du C du V de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, cette disposition relève donc bien du champ de la loi de financement de la sécurité sociale.

Par la suite, toute rémunération nouvelle négociée avec les libéraux (à commencer, à court terme, par les rémunérations d'équipe qui devraient être négociées début 2014 dans le cadre d'un accord conventionnel interprofessionnel prévu par l'article 45 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013) pourront faire l'objet d'une transposition rapide aux centres (après examen dans un délai de trois mois), ce qui n'était pas observé dans le cadre actuel, dans lequel les négociations avec les centres de santé n'étaient pas conduites de façon régulière.

Cette transposition rapide et systématisée aux centres de santé des rémunérations libérales conventionnelles (hors actes) induira directement une dépense supplémentaire pour les régimes obligatoires d'assurance maladie.

La mesure relève donc bien du champ de la loi de financement en vertu des dispositions de l'article LO. 111-3 précité.

II/ SUR L'ARTICLE 37.

Cet article prévoit que le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la situation des zones médicalement sous-dotées en France.

Ces dispositions entrent bien dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale, le 4° du C du V de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale disposant que peuvent figurer dans la partie de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année comprenant les dispositions relatives aux dépenses pour l'année à venir les dispositions « améliorant l'information et le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ».

III/ SUR L'ARTICLE 57.

Cet article élargit aux bénéficiaires de l'ACS (aide à l'acquisition d'une complémentaire santé) l'encadrement des pratiques tarifaires qui s'applique aux bénéficiaires de la CMU-c. Il sera ainsi possible de définir des plafonds de prix pour certains dispositifs médicaux, comme les équipements d'optique, pour les personnes bénéficiant de l'ACS.

Le frein financier à l'accès aux soins est particulièrement présent sur les postes de dépenses pour lesquels l'assurance maladie solvabilise moins bien les assurés. Ainsi, sur certains dispositifs médicaux comme les équipements d'optique, on constate un renoncement aux soins plus important que sur d'autres postes de soins pour les assurés ayant de faibles revenus et ne disposant pas d'une couverture complémentaire suffisante.

Cette mesure tend donc à fixer des plafonds tarifaires sur ces produits au bénéfice des assurés précaires que sont les bénéficiaires de l'ACS.

Elle va augmenter le recours à ces soins de la part des bénéficiaires de l'ACS, en permettant de maîtriser le reste à charge. A ce titre, on peut noter que la consommation de soins des bénéficiaires de la CMU-c est supérieure à celles des bénéficiaires de l'ACS, qui bénéficient d'une couverture moins importante de leur reste à charge et ne disposent pas de mesures de limitation des pratiques tarifaires sur les soins dentaires et d'optique alors que celles-ci existent dans le cadre de la CMU-c.

Ainsi, le taux de recours des bénéficiaires de l'ACS aux équipements d'optiques, pour les verres complexes, est inférieur à celui des bénéficiaires de la CMU-c (2,5% contre 3,3% - source CNAMTS). La mesure aura donc un effet direct sur les dépenses des régimes de base.

Parallèlement, cette mesure renforce l'attractivité de l'ACS pour les populations pouvant en bénéficier. Abondé par le versement par les organismes complémentaires (OC) de la taxe de solidarité additionnelle aux cotisations d'assurance (TSA), le Fonds CMU finance les dépenses d'ACS (correspondant au montant de la réduction opérée par l'OC sur le coût du contrat de complémentaire), via une déduction correspondante sur les montants de TSA dus par les OC. Ainsi, l'augmentation du nombre de bénéficiaires liée à une plus grande attractivité du dispositif, et son impact sur les déductions opérées par les OC sur leur versement de TSA, minore les ressources du Fonds CMU. Ces dépenses supplémentaires pour le Fonds CMU réduiront la majoration des remboursements des dépenses de CMU-c affectés à la CNAMTS en application du quatrième alinéa de l'article L. 862-2 du code de la sécurité sociale.

Ces deux effets justifient la place en loi de financement de la sécurité sociale de cette mesure.

IV/ SUR L'ARTICLE 58.

Cet article prévoit un renouvellement automatique du bénéfice de l'ACS pour les titulaires d'un minimum vieillesse. Cette mesure vise à s'assurer qu'une fois que ces allocataires sont entrés dans le dispositif, ils y demeurent tant qu'ils justifient des conditions d'ouverture du droit.

A l'heure actuelle, certains allocataires d'un minimum vieillesse, alors même qu'ils ont fait une première demande de bénéfice de l'ACS, ne procèdent pas à une nouvelle démarche à l'échéance de leur droit annuel en vue de son renouvellement et perdent ainsi le bénéfice du dispositif alors même qu'ils continuent de remplir les conditions pour en bénéficier.

On estime ainsi le « taux de chute » à 33 %. La mesure, en ce qu'elle conduira à renouveler automatiquement les droits de ces bénéficiaires, aura donc un impact financier évalué à 15,4 MEUR à effectifs constants.

Compte tenu de la projection des effectifs de l'ACS pour les prochaines années (augmentation liée à la montée en charge de la mesure de relèvement du plafond de

ressources intervenue au 1er juillet 2013), le coût de la mesure est estimé à 23,4 MEUR en 2014, et 26,6 MEUR en 2015.

L'accroissement des dépenses au titre de l'ACS consécutif à cette mesure justifie sa place en loi de financement de la sécurité sociale au titre du mécanisme de financement et de reversement à la CNAMTS décrit en réponse à la question précédente.

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs de recours dirigés contre la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

***

I/ SUR LA SINCERITE DE LA LOI DE FINANCEMENT DE LA SECURITE SOCIALE

A/ Les députés requérants estiment que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 ne respecterait pas l'exigence de sincérité.

B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter ce grief.

Il convient de rappeler, à titre liminaire, que l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale prévoit que la loi de financement de la sécurité sociale « détermine, pour l'année à venir, de manière sincère, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale compte tenu notamment des conditions économiques générales et de leur évolution prévisible. Cet équilibre est défini au regard des données économiques, sociales et financières décrites dans le rapport prévu à l'article 50 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances. »

Comme l'a précisé le Conseil constitutionnel, « s'agissant des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale pour l'année en cours et l'année à venir, la sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de cet équilibre » (décision n°2005-519 DC du 29 juillet 2005, cons. 6).

Ce contrôle est le même que celui exercé sur les lois de finances, en application de l'article 32 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, pour lesquelles, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, « la sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances » (décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, cons. 60).

Mais comme le relève le Conseil constitutionnel, « les prévisions de recettes sont inévitablement affectées des aléas inhérents à de telles estimations et des incertitudes relatives à l'évolution de l'économie » (décision n° 2004-511 DC du 29 décembre 2004, cons. 5).

Le Conseil constitutionnel n'exerce ainsi qu'un contrôle restreint à l'erreur manifeste sur les prévisions de croissance qui sous-tendent les recettes de la loi de finances (décision n°2001-456 DC du 27 décembre 2001, cons. 3 et 4).

Ce même contrôle restreint à l'erreur manifeste d'appréciation s'applique sur les prévisions qui sous-tendent les recettes et les objectifs de dépenses de la loi de financement de la sécurité sociale, compte tenu des aléas inhérents à leur évaluation et des incertitudes particulières relatives à l'évolution de l'économie (décision n°2001-453 DC du 18 décembre 2001, cons. 6).

La loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a instauré un avis du Haut Conseil des finances publiques sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent le projet de loi de programmation des finances publiques, le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Comme l'a indiqué le Conseil constitutionnel, la sincérité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale doit s'apprécier notamment en prenant en compte l'avis du Haut Conseil des finances publiques (décision n°2012-658 DC du 13 décembre 2012, cons. 52).

La loi organique du 17 décembre 2012 n'a néanmoins pas modifié les dispositions de l'article 32 de loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances et de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Elle n'a donc eu, contrairement à ce qui est avancé par les députés auteurs de la saisine, ni pour objet, ni pour effet de modifier la nature du contrôle que le Conseil constitutionnel exerce sur la

sincérité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

La sincérité d'un projet de loi de finances ou d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale ne pourrait ainsi être remise en cause que s'il apparaissait que le Gouvernement a maintenu, en dépit de l'avis du Haut Conseil des finances publiques, des prévisions manifestement erronées en méconnaissance du principe de sincérité.

Tel ne peut être le cas du seul fait que les prévisions retenues par le Gouvernement comportent, comme toute prévision macro-économique, des aléas ou des incertitudes mises en exergue par l'avis du Haut Conseil des finances publiques.

Le scénario macro-économique retenu par le Gouvernement pour l'établissement de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 est bâti sur des prévisions de croissance de 0,1% pour 2013 et 0,9% pour 2014. Il repose également sur une prévision d'inflation de 0,9 % en 2013 et 1,3% en 2014. Il retient une prévision de croissance en valeur de la masse salariale du secteur privé de 1,3% en 2013 et de 2,2% en 2014.

Dans son avis du 20 septembre 2013, le Haut Conseil des finances publiques a estimé que les prévisions de croissance du Gouvernement étaient plausibles. Il a relevé que le scénario macroéconomique présentait des éléments de fragilité, notamment au regard des prévisions d'emploi retenues par le Gouvernement.

Les incertitudes relevées par l'avis du Haut Conseil des finances publiques, inévitables dans un contexte de reprise économique modérée, ne peuvent faire regarder les prévisions retenues par le Gouvernement comme manifestement erronées.

Les députés requérants relèvent également que le Haut Conseil des finances publiques a indiqué que les mesures nouvelles inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (0,6 MdEUR) n'avaient pas été portées à sa connaissance.

Ces observations concernent la cohérence de l'article liminaire du projet de loi de finances de l'année au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques. L'article liminaire doit, en effet, approuver le tableau de synthèse retraçant l'état des prévisions de solde structurel et de solde effectif de l'ensemble des administrations publiques, en application de l'article 7 de la loi organique n°2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques,

Elles ne sauraient donc avoir, en tout état de cause, d'incidence sur l'appréciation de la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

Au demeurant, ces mesures nouvelles ont été précisément détaillées dans l'étude d'impact des articles soumis au Parlement.

Le grief tiré de l'insincérité de la loi de financement de la sécurité sociale ne pourra ainsi qu'être écarté.

II/ SUR L'ARTICLE 8

A/ L'article 8 de la loi déférée modifie le régime des prélèvements sociaux sur les produits de placement. Il prévoit notamment d'appliquer les taux de prélèvements sociaux en vigueur au jour du dénouement des contrats d'assurance-vie à unités de comptes ou multisupports à l'intégralité des produits des primes versées sur ces contrats d'assurance-vie avant le 26 septembre 1997 alors que, en vertu d'un régime dit « des taux historiques », ces produits sont actuellement décomposés en fractions correspondant aux différentes années au cours desquelles ils ont été constitués, pour appliquer à chaque fraction les taux de prélèvements sociaux en vigueur pour l'année concernée.

Les députés et sénateurs requérants estiment que ces dernières dispositions s'appliquent de manière rétroactive et méconnaissent les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 en portant aux situations légalement acquises une atteinte qui n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant. Ils estiment également qu'elles méconnaissent le principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques en limitant cette harmonisation des taux de prélèvements sociaux aux seuls produits de placements tirés des contrats d'assurance-vie alors que le Gouvernement envisageait initialement de l'appliquer aux produits tirés d'autres placements exonérés de l'impôt sur le revenu.

Les députés requérants estiment également que les conditions dans lesquelles l'article 8 de la loi déférée a été adopté conduisent à mettre en cause la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale.

B/ Aucun de ces griefs n'est fondé.

1/ Sur la rétroactivité et le respect de la garantie des droits

i/ Il convient, à titre liminaire, de constater que la suppression du régime « des taux historiques » pour les contrats d'assurance-vie ne comporte aucune dimension rétroactive. L'application des taux de prélèvements sociaux s'applique aux produits des contrats d'assurance-vie à unités de comptes constatés au moment où ces contrats sont dénoués ou bien à la date du décès de l'assuré. Le fait générateur de l'impôt intervient à cette date.

A cet égard, les produits constatés au titre des différentes périodes concernées par l'application de « taux historiques » ne peuvent être regardés comme étant définitivement acquis au contribuable. En effet, tant que le contrat d'assurance-vie ne s'est pas dénoué, la plus-value reste virtuelle. Les titulaires de contrats d'assurance-vie en unités de compte ou multisupports, seuls concernés par la présente disposition, ne peuvent donc se prévaloir d'aucun produit de placement, ce qui rend le montant de l'imposition hypothétique.

ii / Il convient également de relever que l'application du régime des « taux historiques » est un élément extérieur à l'économie de ces contrats d'assurance-vie, qui ont été conclus avant le 26 septembre 1997. Le régime des « taux historiques » conduit d'ailleurs à appliquer des taux de prélèvements sociaux différents sur un unique produit de placement, selon que les produits se rattachent à des primes versées avant ou après le 26 septembre 1997.

iii / Le Conseil constitutionnel juge « qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant. » (décision n°2005-530 DC du 29 décembre 2005, cons. 46).

Le Gouvernement estime que lorsque le législateur entend, par une disposition non rétroactive, revenir sur un avantage fiscal accordé par des lois antérieures, il ne saurait, en principe, être regardé comme portant atteinte à des situations légalement acquises protégées par la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et des citoyens. A cet égard, le simple fait qu'un avantage ait été réitéré par des lois successives ne saurait être regardé comme créant un droit au maintien de cet avantage fiscal qui s'opposerait à ce qu'il soit remis en cause pour les impositions dont le fait générateur n'est pas encore survenu à la date d'intervention du législateur.

Le Gouvernement estime qu'il ne peut en aller différemment que si l'avantage fiscal a été mis en place afin d'inciter à certains types de comportements économiques et si le dispositif en cause a été créé pour une durée limitée. Si le dispositif n'a pas été institué dans le but d'orienter le comportement des contribuables, sa remise en cause ne fait que traduire le choix du législateur de modifier, dans le respect du principe d'égalité devant les charges publiques, la répartition de la charge fiscale entre les contribuables. S'agissant par ailleurs de dispositifs incitatifs qui seraient institués sans limitation de durée, ils ne sauraient être regardés comme susceptibles de créer une situation légalement acquise, sauf à réduire considérablement la marge d'action du législateur par le seul effet des choix d'un législateur passé. En revanche, dans le cas où un avantage fiscal a été institué pour une durée limitée et à des fins incitatives, sa remise en cause avant la durée prévue par la loi est susceptible de porter à la sécurité juridique des acteurs économiques une atteinte qui doit être justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.

Une telle interprétation s'inscrit pleinement dans la ligne de la décision n°2005-

530 DC précitée dans laquelle le Conseil constitutionnel avait constaté que le législateur, qui avait créé un avantage fiscal pour les plans d'épargne logement en vue d'inciter à l'utilisation de cette épargne pour le logement, avait pu mettre fin à l'exonération fiscale des intérêts des plans d'épargne-logement de plus de douze ans en constatant que la fin de l'exonération ne concernait que des plans arrivés à échéance et dont on pouvait estimer qu'ils n'avaient pas été utilisés conformément à la finalité qui avait justifié l'octroi de l'avantage fiscal.

Elle est également cohérente avec la logique retenue par le Conseil d'Etat pour déterminer si des dispositions fiscales non rétroactives portent atteinte à une espérance légitime d'obtenir une somme d'argent, espérance protégée par l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le Conseil d'Etat estime ainsi que lorsque le législateur modifie pour l'avenir des dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée, il ne prive les contribuables d'aucune espérance légitime au sens de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CE, 22 janvier 2013, Fédération nationale indépendante des mutuelles, n°355844).

Il considère, en revanche, que le législateur ne peut remettre en cause de manière abrupte l'application d'un dispositif de crédit d'impôt créé pour une durée de trois ans afin d'inciter le recrutement de salariés supplémentaires (CE, 9 mai 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ société EPI, n°308996).

iv/ Dans le cadre ainsi rappelé, le Gouvernement estime que la suppression de l'application des « taux historiques » aux produits des primes versées avant le 26 septembre 1997 sur des contrats d'assurance-vie en unités de compte ne porte pas atteinte à des situations légalement acquises.

L'application des « taux historiques » n'a pas été conçue comme un dispositif fiscal visant à orienter l'épargne vers les produits d'assurance-vie. La même garantie n'a pas été accordée aux contrats d'assurance-vie ouverts après 1997. Elle n'a pas plus été accordée aux primes versées sur des contrats déjà ouverts après le 26 septembre 1997.

Par construction, le régime des « taux historiques » favorise les produits constatés sur des exercices clos. Il n'avait donc pas pour but d'inciter à une orientation de l'épargne vers ces produits.

Ce régime est avant tout le fruit de l'entrée en vigueur des lois successives ayant modifié les taux de prélèvements sociaux sur les produits de placement. Il ne peut donc s'analyser que comme une mesure de faveur prise pour les épargnants qui détenaient un contrat d'assurance-vie en 1997. L'intervention de lois successives montre d'ailleurs qu'un tel régime ne pouvait être regardé comme allant de soi. A défaut de ces clauses d'entrée en vigueur successives, le nouveau taux se serait appliqué de plein droit aux impositions dont le fait générateur était postérieur à la loi.

Il importe de relever, à cet égard, que l'application des « taux historiques » est totalement indépendante de l'avantage fiscal procuré, au titre de l'impôt sur le revenu, par une durée de détention de plus de huit ans des contrats d'assurance-vie.

En outre, cet avantage fiscal a été accordé sans limitation de délai. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, compte tenu de l'augmentation au fil du temps de l'écart entre les taux historiques et les taux de taxation de droit commun, il présente aujourd'hui un caractère incohérent.

Le Gouvernement estime donc qu'en revenant sur ce régime pour les contrats d'assurance vie à unité des comptes ou multisupports, la loi déférée n'a pas porté atteinte à des situations légalement acquises.

v/ En tout état de cause, à supposer qu'une telle atteinte serait constituée, le législateur a entendu revenir sur ce régime pour des motifs d'intérêt général suffisants.

le législateur a entendu rétablir l'égalité des citoyens devant les charges publiques protégée par l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En effet, l'application du régime des « taux historiques » crée une différence de traitement entre deux contribuables possédant des contrats d'assurance-vie suivant le montant des primes versées sur ces contrats avant le 26 septembre 1997. Compte tenu de l'augmentation de l'écart entre les taux historiques et les taux de prélèvements sociaux actuels, cette différence ne peut être regardée comme reposant sur des critères objectifs et rationnels.

Le législateur a également entendu, dans le contexte actuel des finances publiques, poursuivre un objectif d'intérêt général consistant à assurer des recettes supplémentaires.

Ainsi, les recettes attendues de cette mesure, évaluées à partir de l'assiette des produits soumis aux taux historiques qui s'élève à 22,8 MdsEUR d'après les données déclaratives au titre de 2012, sont estimées à 400 MEUR pour l'année 2014.

Le législateur a, enfin, souhaité simplifier et harmoniser le régime applicable aux contrats d'assurance-vie. L'harmonisation du mode de calcul des prélèvements sociaux sur ces produits de placement permettra ainsi d'éviter l'application de taux de prélèvements sociaux distincts au sein d'un même contrat d'assurance-vie en impliquant la reconstitution a posteriori des produits constatés au titre de chaque année et en distinguant leur rattachement à des versements effectués avant ou après le 26 septembre 1997.

2/ Sur le principe d'égalité devant l'impôt

La loi déférée prévoit de mettre fin au régime des « taux historiques » pour les contrats d'assurance vie. Le législateur a décidé, en revanche, de maintenir ce régime pour d'autres produits de placements exonérés d'impôt sur le revenu, plans d'épargne en actions, plans d'épargne logement, comptes d'épargne logement, épargne salariale et plans d'épargne populaire.

Le Conseil constitutionnel estime, de manière traditionnelle, que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».

Les contrats d'assurance-vie qui font l'objet de la mesure constituent des produits d'épargne clairement distincts des autres produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu.

En premier lieu, à la différence des plans d'épargne par actions, des plans d'épargne logement, des comptes d'épargne logement et des plans d'épargne populaire, les contrats d'assurance-vie ne sont soumis à aucun plafonnement. Il n'existe aucune limite en termes de versements ou en termes de nombre de contrats détenus.

Il en résulte la possibilité pour un contribuable de posséder des encours extrêmement importants sur des contrats d'assurance vie. Les encours supérieurs à 1 000 000 euros détenus par des ménages représentent ainsi 38% des encours des contrats d'assurance vie à unités de comptes.

L'application du régime des « taux historiques » porte donc une atteinte plus importante à l'égalité de traitement entre des contribuables qui recourent à un même produit de placement.

En deuxième lieu, les contrats d'assurance vie présentent une diversité beaucoup plus importante que les autres produits d'épargne réglementés.

Les contrats d'assurance vie multisupports permettent ainsi au titulaire du contrat de procéder à des arbitrages entre unités de comptes et fonds en euros. Des dispositifs fiscaux particuliers ont également été prévus pour certains contrats d'assurance vie prévoyant des conditions particulières de répartition des fonds investis et de détention.

L'application du régime des « taux historiques » crée donc une complexité plus importante pour les contrats d'assurance vie que pour les plans d'épargne en action ou les plans d'épargne logement.

Le législateur n'a donc pas méconnu le principe d'égalité en remettant en cause le régime des « taux historiques » pour les seuls contrats d'assurance-vie.

3/ Sur l'atteinte à la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale

La perte de recettes induite par l'adoption des amendements tendant à restreindre le champ de la mesure aux seuls produits de contrats d'assurance-vie à unités de comptes a bien été prise en compte dans la détermination des conditions de l'équilibre financier des comptes de la sécurité sociale.

Les amendements du gouvernement, déposés en deuxième lecture à l'Assemblée nationale et adoptés par les députés (n°302 à 305), ont ainsi pris en compte l'impact de l'ensemble des mesures adoptées en première et en seconde lecture à l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, y compris la restriction apportée à la réforme des « taux historiques ».

L'équilibre financier global du projet de loi de financement de la sécurité sociale n'a néanmoins pas été modifié en raison de la révision à la baisse des dépenses prévues de l'ONDAM pour 2013 et les années suivantes intégrée par amendement du Gouvernement lors de l'adoption de l'article 6 de la loi.

Le moyen tiré de ce que l'adoption de l'article 8 aurait porté atteinte à la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale manque donc en fait.

Dans ces conditions, les griefs soulevés par les auteurs des saisines ne pourront qu'être écartés.

III/ SUR L'ARTICLE 13

A/ L'article 13 de la loi déférée modifie les modalités de calcul de la contribution due sur le chiffres d'affaires hors taxes réalisé auprès des pharmacies par les établissements de vente en gros de spécialités pharmaceutiques et des entreprises assurant l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques prévue à l'article L 138-2 du code de la sécurité sociale. Il introduit une troisième part dans l'assiette de cette contribution correspondant à la part de la marge réglementée que le distributeur en gros choisit, pour des raisons commerciales, de rétrocéder aux pharmaciens. Cette part sera soumise à un taux de 20 %.

Les sénateurs requérants estiment que ces dispositions sont de nature à porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle protégées la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

B/ Le Gouvernement n'est pas de cet avis.

La loi déférée a créé au sein de la contribution sur la vente en gros de spécialités pharmaceutiques une troisième part constituée par le montant de la marge rétrocédée aux pharmacies d'officine, taxée à hauteur de 20%.

Le législateur a ainsi entendu adapter l'assiette de ce prélèvement afin de tenir compte des remises consenties aux pharmaciens dans le cadre de prix fixés par le comité économique des produits de santé, remises dont l'importance est de nature à révéler une capacité contributive supérieure.

Si l'application du taux de 20% sur les remises accordées est de nature à modifier le comportement de certains distributeurs en gros, le législateur n'a pas remis en cause la possibilité de consentir des remises aux pharmacies d'officine.

Cette troisième part s'appliquera, par ailleurs, de manière indifférenciée au distributeur en gros qu'il soit grossiste-répartiteur ou bien un laboratoire pratiquant la vente directe, la latitude de consentir ou pas des remises relevant d'un choix de politique commerciale qui n'est pas réservé à l'un ou l'autre de ces deux canaux de distribution.

Il est donc inexact de prétendre que l'application de l'article 13 entraînerait une situation de monopole de fait de la distribution de médicaments au profit des seuls grossistes répartiteurs.

L'article 13 ne peut donc être regardé comme portant atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle.

IV/ SUR L'ARTICLE 14

A/ L'article 14 de la loi déférée modifie l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale pour permettre aux accords professionnels ou interprofessionnels de recommander un ou plusieurs organismes pour assurer la couverture complémentaire des salariés en matière de santé ou de prévoyance. Il prévoit l'application d'un taux de forfait social différencié selon que les entreprises retiennent ou non le ou les organismes ainsi recommandés.

Les députés et les sénateurs requérants estiment que ces dispositions n'entrent pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale. Ils estiment qu'elles méconnaissent la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre garanties par l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ils font également grief à ces dispositions de méconnaitre le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Les sénateurs requérants estiment en outre que cet article méconnaît l'autorité qui s'attache à la décision n°2013-672 DC du 13 juin 2013 du Conseil constitutionnel. Ils considèrent également qu'il méconnaît l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi et qu'en l'adoptant le législateur aurait méconnu l'étendue de sa propre compétence.

B/ Le Gouvernement considère que ces griefs ne sont pas fondés.

1/ Le Gouvernement souhaite, à titre liminaire, rappeler les objectifs poursuivis l'article 14.

Cet article, dont l'économie a fait l'objet d'une demande d'avis au Conseil d'Etat à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013, vise à définir les conditions dans lesquelles les partenaires sociaux peuvent mettre en place, dans le cadre d'une branche ou au niveau interprofessionnel, un régime de garanties sociales complémentaires présentant un haut degré de solidarité. Il a ainsi pour objectif de mettre en oeuvre les exigences du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dans le domaine de la santé. Il entend également favoriser la négociation collective, élément essentiel du droit des travailleurs à la détermination des conditions collectives de travail.

L'article 14 vise, en premier lieu, à permettre l'accès de toutes les entreprises et de tous les salariés d'une branche à une tarification unique et à un niveau de protection élevé indépendamment de leurs caractéristiques (âge, sexe, lieu géographique,. . .). Il permettra ainsi aux entreprises présentant un niveau de risque plus élevé (forte proportion de salariés âgés, de femmes ou de travailleurs handicapés, implantation dans des zones géographiques fragilisées, secteur d'activité davantage exposé au chômage) de bénéficier d'une couverture estimée sur la base d'un risque moyen alors qu'elles subiraient, en l'absence d'un tel dispositif, un surcoût très important voire prohibitif pour certaines d'entre elles.

Il a également pour objet, en favorisant l'adhésion d'un grand nombre d'entreprises auprès d'un organisme complémentaire recommandé, d'offrir des garanties importantes à un coût moins important. Cet objectif se justifie particulièrement dans le domaine de la prévoyance. Il s'agit en effet d'un risque dont la fréquence est faible et le coût en cas de réalisation très élevé. Il est également essentiel pour le financement d'éléments de solidarité non directement liés au versement de cotisations (prestations d'action sociale, actions de prévention . . .). Comme pour la prévoyance, le coût de ces garanties annexes est d'autant plus réduit et soutenable qu'il est mutualisé.

Pour proposer un tarif unique le plus bas possible, l'organisme qui déposera sa candidature à l'appel d'offre doit être assuré que, s'il est recommandé, il disposera d'une assiette suffisante de cotisations.

Cet article vise ainsi à assurer l'atteinte de l'objectif fixé par la loi de généralisation de la couverture complémentaire des salariés en matière de santé, notamment pour les plus petites entreprises qui, à défaut d'un tel mécanisme, ne pourraient, dans de nombreux cas, obtenir une offre d'assurance à des conditions économiques compatibles avec leurs capacités financières.

Il permettra également aux partenaires sociaux de définir de manière concrète les garanties qui doivent être apportées aux salariés en s'appuyant sur un dispositif de mise en concurrence sur des bases objectives, puis de piloter le régime ainsi créé au bénéfice des salariés et des entreprises de la branche.

2/ Cet article trouve sa place en loi de financement de la sécurité sociale.

Il modifie, en effet, les règles relatives au taux du forfait social qui est au nombre des contributions affectées aux régimes obligatoires de base. Il prévoit l'application de taux différents suivant que l'entreprise choisit ou non l'organisme de prévoyance recommandé au niveau de la branche. Il entre donc dans le champ facultatif des lois de financement de la sécurité sociale. Les dispositions de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale déterminent le régime des clauses de recommandation qui conditionnent directement l'application de taux distincts. Elles ne sont pas détachables des dispositions fixant les taux différenciés de forfait social.

On relèvera, au demeurant, que comme l'a indiqué la ministre des affaires sociales au cours des débats parlementaires, la modulation des taux de forfait a un impact estimé entre 20 et 30 MEUR. Ces dispositions ont donc un effet sur les recettes de l'année ou des années ultérieures des régimes obligatoires de base.

3/ Sur la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et l'incompétence négative.

Les dispositions de l'article L 912-1 du code de la sécurité sociale prévoient que les accords professionnels ou interprofessionnels peuvent prévoir l'institution de garanties collectives « présentant un degré élevé de solidarité ».

Les requérants estiment que cette formulation n'est pas suffisamment précise.

En évoquant un haut degré de solidarité des garanties collectives, le législateur a entendu définir l'objectif des accords qui seront conclus. Il a défini de manière précise les obligations découlant de cet objectif et qui s'imposeront aux partenaires sociaux lorsqu'ils recommanderont un ou plusieurs organismes de prévoyance complémentaire.

Le I de cet article prévoit, en premier lieu, que les garanties collectives devront comprendre des prestations à caractère non directement contributif. La loi donne les éléments de définition de ces prestations qui pourront prendre la forme d'une prise en charge partielle ou totale de la cotisation pour certains salariés ou anciens salariés, d'une politique de prévention ou de prestations d'action sociale.

Le II de cet article prévoit, en second lieu, que les organismes qui seront recommandés devront accepter toute entreprise relevant du champ d'application de l'accord en appliquant un tarif unique et des garanties identiques pour tous les salariés concernés.

Le législateur a ainsi défini de manière précise les obligations qui s'attachent à l'institution des garanties collectives « présentant un degré élevé de solidarité ».

Il a ainsi pleinement exercé sa compétence au regard du pouvoir réglementaire à qui il appartiendra de prévoir les modalités de mise en oeuvre des dispositions relatives aux prestations à caractère non directement contributif. On relèvera d'ailleurs que ce dispositif est voisin de celui retenu par le législateur pour fixer les modalités d'application des caractéristiques des contrats responsables et solidaires prévus à l'article L. 871-1 du code de la sécurité sociale.

Le législateur a aussi pleinement exercé sa compétence vis-à-vis des partenaires sociaux à qui il reviendra, par la négociation collective, de fixer le contenu même des garanties (postes remboursés, montant des rentes. . .).

4/ Sur la méconnaissance de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel et sur la méconnaissance du principe de liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2013-672 DC du 13 juin 2013, a considéré que le fait « de faciliter l'accès de toutes les entreprises d'une même branche à une protection complémentaire et d'assurer un régime de mutualisation des risques, en renvoyant aux accords professionnels et interprofessionnels le soin d'organiser la couverture de ces risques auprès d'un ou plusieurs organismes de prévoyance » était

« un but d'intérêt général ».

Il a relevé qu'en vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, toutes les entreprises qui appartiennent à une même branche professionnelle pouvaient se voir imposer non seulement le prix et les modalités de la protection complémentaire mais également le choix de l'organisme de prévoyance chargé d'assurer cette protection. Il a jugé que ces dispositions méconnaissaient la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre en imposant que l'entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini.

Il a néanmoins relevé que le législateur pouvait porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle « dans un but de mutualisation des risques, notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné».

L'article 14 a précisément pour objet de tenir compte de la solution ainsi dégagée par le Conseil constitutionnel.

Le législateur a ainsi prévu de mettre en oeuvre un dispositif de recommandation des organismes de prévoyance proposant un contrat de référence à un tarif d'assurance donné.

Il a assorti ce dispositif d'un taux de forfait social différencié afin d'inciter les entreprises à rejoindre le ou les organismes ainsi recommandés pour que les différents opérateurs proposent des garanties au tarif le plus intéressant afin de permettre l'accès de l'ensemble des entreprises et des salariés à une protection complémentaire en matière de santé et de prévoyance.

Il a ainsi entendu mettre en oeuvre le principe constitutionnel prévu au 11ème alinéa du préambule de 1946 selon lequel la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »

Un tel dispositif ne peut à l'évidence être regardé comme identique, dans ses effets juridiques, au dispositif ayant encouru la censure du Conseil constitutionnel.

Il convient de constater, en premier lieu, qu'à la différence du dispositif qui a encouru la censure du Conseil constitutionnel, la loi déférée ne prévoit aucune obligation d'une entreprise à recourir à un organisme unique déterminé par la branche.

Il convient, en deuxième lieu, de relever que le législateur a prévu que les accords conclus par les partenaires sociaux pourraient recommander plusieurs organismes de protection complémentaire. Dans un tel cas de figure, les entreprises bénéficieront d'une possibilité de choix au sein même du dispositif de la recommandation.

Il convient, à cet égard, de souligner que le ou les organismes de prévoyance seront recommandés à l'issue d'une procédure de mise en concurrence préalable.

Il convient également de relever que les partenaires sociaux des branches demeureront libres de mettre en oeuvre, ou non, de telles clauses de recommandation.

Il convient de relever, enfin, que les entreprises pourront souscrire un contrat avec un autre organisme que les organismes recommandés par les accords professionnels ou interprofessionnels.

Elles devront certes, en application des règles de la négociation collective, respecter le contenu de l'accord et garantir un niveau de couverture des salariés au moins équivalent au niveau retenu par cet accord.

Mais elles resteront entièrement libres de choisir un autre organisme que l'organisme recommandé, notamment si un autre organisme leur propose un contrat présentant des garanties supérieures pour le même prix ou des garanties équivalentes pour un prix inférieur.

L'avantage fiscal prévu par le législateur pour les entreprises qui choisiront de rejoindre l'organisme recommandé ne paraît en effet pas de nature à remettre en cause, en pratique, une telle capacité de choix.

Le législateur a prévu un différentiel de taux de forfait social entre les entreprises qui choisiraient un organisme recommandé par la branche et les entreprises qui choisiraient un organisme non recommandé compris entre 8 et 12%. Il convient de relever que ce différentiel constitue un maximum. Le forfait social ne s'applique en effet qu'aux contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de prévoyance.

Une enquête IRDES de 2009 relative à la protection sociale complémentaire des entreprises a relevé que le taux moyen de participation des employeurs au financement des contrats santé obligatoire s'élève à 60 %.

Par ailleurs une étude issue des travaux de la commission des accords de retraite et de prévoyance portant sur la couverture santé dans les 145 plus grosses branches en termes d'effectifs (soit plus de 10 millions salariés) souligne que les accords de branche définissant une couverture complémentaire santé (34 branches, soit 3 millions de salariés) imposent en moyenne que le financement par l'employeur soit a minima de 54 %.

Une entreprise qui désirerait s'affilier auprès d'un organisme non recommandé devrait donc supporter un surcoût moyen sur la prime à la charge de l'employeur compris entre 4% et 5% pour une entreprise de moins de dix salariés et de 6 à 7 % pour une entreprise d'au moins dix salariés.

Un tel surcoût n'est pas de nature à dissuader une entreprise qui posséderait de

« bons risques » et disposerait d'un pouvoir de négociation de contracter avec un autre organisme que celui ou ceux qui sont recommandés.

A cet égard, des données de la DREES sur la variabilité actuelle des primes des contrats collectifs les plus souscrits en France (contrats dits modaux), indiquent qu'à niveau de garantie et de structure d'âge donnés, les primes des contrats collectifs en frais de santé varient par rapport à une prime moyenne dans une fourchette allant de -30% à

+30 %.

Un tel surcoût n'est pas non plus de nature à empêcher une entreprise de choisir un organisme qui proposerait des garanties supérieures aux garanties retenues par l'accord de branche.

Dans le cadre d'une cotisation globale mensuelle de 70 EUR au titre du financement de prestations complémentaires de santé, le surcoût lié à l'application du taux de forfait social normal en cas de choix d'un organisme offrant des garanties supplémentaires s'élèvera, en moyenne, à 4,2 EUR pour une entreprise de plus de dix salariés et de 2,8 EUR pour une entreprise de moins de dix salariés. Comparé au coût mensuel moyen que représente l'emploi d'un salarié, ceci représente une hausse de 0,09%.

Une entreprise pourra donc choisir un autre organisme que celui ou ceux qui sont recommandés si elle y trouve un avantage en termes de prix ou de garanties apportées.

Le Gouvernement estime ainsi que 20% des entreprises pourraient faire le choix de rejoindre un organisme autre que celui recommandé.

Ce taux de 20% découle des données précitées de la DREES qui indique qu'en matière de contrats collectifs obligatoires couvrant le risque santé, à pyramide des âges et garanties données, 20% des primes sont inférieures d'au moins 17% à la prime moyenne.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, le législateur ne peut donc être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle.

En ce qui concerne les organismes d'assurance, comme indiqué, ils pourront participer aux procédures de mise en concurrence organisées pour sélectionner, pour une durée limitée, des organismes recommandés au niveau de la branche. Et, quels que soient le ou les organismes recommandés, l'ensemble des organismes pourront proposer aux entreprises qui le souhaitent des contrats d'assurance complémentaire.

En ce qui concerne les entreprises, comme exposé plus haut, elles garderont la possibilité de faire appel à un autre organisme de prévoyance que l'organisme recommandé.

En définitive, la seule atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre consiste à inciter l'entreprise à choisir un organisme recommandé par la branche alors même qu'un autre organisme, qui ne prendrait en compte que le risque propre à cette entreprise donnée, pourrait lui proposer le même service pour un niveau de prix et de garantie équivalent.

Cette atteinte est directement liée à l'objectif poursuivi par le législateur de s'assurer, afin d'améliorer la protection de la santé des salariés, conformément à l'exigence découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, que les organismes complémentaires recommandés par les branches proposent les tarifs les plus attractifs à l'ensemble des entreprises et des salariés de la branche sans pouvoir adapter cette tarification au regard des risques de chaque entreprise (proportion de travailleurs âgés , proportion de femmes, proportion de travailleurs handicapés, zone géographique etc. . .). En effet, pour proposer de tels tarifs, il faut qu'un organisme

recommandé puisse s'assurer ex-ante d'attirer un nombre suffisant de salariés de la branche pour assurer une réelle mutualisation.

Au regard de cet objectif, cette atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre n'apparaît pas disproportionnée.

5/ Sur le principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte pour des motifs d'intérêt général des mesures d'incitation par l'octroi d'avantages fiscaux pourvu qu'il fonde son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonctions des buts qu'il se propose et que l'avantage fiscal consenti ne soit pas hors de proportion avec l'effet incitatif attendu (décision n°2007-555 DC du 16 août 2007, cons. 3). Le législateur a déjà mis en oeuvre ce mécanisme dans le domaine de la protection sociale complémentaire en prévoyant une modulation du taux de taxe sur les conventions d'assurance en fonction du caractère solidaire et responsable ou non-responsable des contrats commercialisés.

Le législateur a également prévu l'application d'une exemption d'assiette de cotisations sociales pour les contributions des employeurs aux dépenses de protection sociale complémentaire, conditionnée depuis l'article 113 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites au caractère collectif et obligatoire des garanties.

En l'occurrence, le législateur a décidé d'appliquer un taux plus favorable aux entreprises qui acceptent de rejoindre un organisme recommandé par la branche. Les entreprises qui décident de ne pas rejoindre un organisme recommandé lorsqu'une telle recommandation a été mise en oeuvre seront assujetties au taux normal de forfait social.

Comme indiqué précédemment, l'application de ce taux plus favorable a pour objet d'inciter le maximum d'entreprises à entrer dans ce dispositif pour la mutualisation des risques la plus large et ainsi diminuer le coût des garanties afin de permettre l'accès de l'ensemble des entreprises à la protection complémentaire, notamment celles présentant un profil de risque défavorable, en particulier en termes de taille, de pyramide des âges ou de situation économique (coût lié à la portabilité en faveur des chômeurs).

Comme l'a estimé le Conseil d'Etat, dans sa réponse à la demande d'avis que lui a adressée le Gouvernement sur les différentes options envisagées pour tenir compte de la décision du 13 juin 2013, « compte tenu de son niveau [environ 10 % des montants de prime versés], l'avantage fiscal envisagé ne paraît pas hors de proportion avec l'effet incitatif attendu.

On ne saurait, à cet égard, considérer que l'application d'un tel taux méconnaîtrait le principe d'égalité au regard des entreprises qui, n'appartenant pas à une branche couverte par un accord mettant en oeuvre une clause de recommandation, continueront à bénéficier du taux réduit de forfait social.

En effet, on ne saurait, dans ce cas, imposer un taux plus élevé du forfait social dont la justification, dans ce domaine, est précisément d'inciter les entreprises à rejoindre des organismes recommandés.

De même, le moyen tiré de ce que l'article 14 créerait une rupture d'égalité entre les entreprises relevant de plusieurs branches et les entreprises n'appartenant qu'à une seule branche manque en fait. En effet, en application du droit du travail, les entreprises relevant de plusieurs branches doivent appliquer les accords applicables aux salariés de la branche à laquelle ces derniers sont rattachés.

Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques devra donc être écarté.

Pour toutes ces raisons, l'article 14 est donc conforme à la Constitution.

V/ SUR L'ARTICLE 32

A/ L'article 32 de la loi déférée, issu d'un amendement parlementaire, prévoit, à l'article L 162-31-1 du code de la sécurité sociale, la possibilité de mettre en oeuvre des expérimentations dans le domaine des parcours de soins des patients souffrant de pathologies chroniques pour une durée n'excédant pas quatre ans.

Les députés auteurs de la saisine font grief à cette disposition d'être, d'une part, étrangère au champ d'application des lois de financement de la sécurité sociale et, d'autre part, entachée d'incompétence négative.

B/ Le Gouvernement n'est pas de cet avis.

Cet article instaure un cadre général pour expérimenter de nouvelles modalités d'organisation des soins. Ces expérimentations pourront faire l'objet d'un financement dérogatoire par l'assurance maladie. Ces dispositions auront donc un effet direct sur les dépenses des régimes obligatoires de base et relèvent, à ce titre, du champ des lois de financement de la sécurité sociale.

Il convient d'ailleurs de relever que la possibilité de mener des expérimentations, dans le cadre général fixé par cet article, s'inscrit dans la démarche de la stratégie nationale de santé portée par le Gouvernement et doit pouvoir engendrer des économies ainsi qu'une meilleure efficacité du système de soins.

Par ailleurs, le législateur a pris soin de définir l'objet de ces expérimentations qui porteront sur les parcours de soins des patients souffrant de pathologies chroniques. Il a également encadré dans le temps la durée des expérimentations en prévoyant qu'elles ne pourraient durer plus de quatre ans.

VI/ SUR L'ARTICLE 47

A/ L'article 47 de la loi déférée prévoit la possibilité de substituer des médicaments biosimilaires à des médicaments biologiques de référence.

Les députés et sénateurs auteurs de la saisine font grief à ces dispositions d'être étrangères au champ d'application des lois de financement de la sécurité sociale. Ils estiment également que cet article méconnaît les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 relatives à la protection de la santé.

B/ Ces griefs ne sont pas fondés.

1/ Cet article a toute sa place en loi de financement de la sécurité sociale.

Les médicaments biologiques représentent un marché de près de 4,5 MdsEUR. De nombreuses chutes de brevet sont prévus en 2014 et 2015 pour certains de ces médicaments biologiques qui représentent un chiffre d'affaires de plus de 700 MEUR. L'arrivée de nouveaux concurrents sur ce marché et la substitution de ces médicaments biologiques par des médicaments biosimilaires peut donc permettre d'importantes économies pour l'assurance-maladie que l'inspection générale des affaires sociales a évaluées à 300 MEUR sur la période 2014-2017.

La mesure ainsi proposée aura donc un effet direct sur les dépenses de l'assurance-maladie. Elle a toute sa place en loi de financement de la sécurité sociale.

2/ Sur les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 relatives à la protection de la santé.

La possibilité de substituer des médicaments biosimilaires à des médicaments biologiques de référence est strictement encadrée.

En premier lieu, elle n'est autorisée qu'à l'initiation du traitement afin d'assurer la continuité du traitement des patients avec le même médicament biologique. Elle se distingue, à cet égard, du régime applicable aux médicaments génériques.

Il convient, à cet égard, de rappeler que le médecin gardera la possibilité de s'opposer à la substitution par le biais d'une mention « non substituable » manuscrite, sur l'ordonnance, pour des raisons particulières tenant au patient.

En deuxième lieu, la similarité du médicament biosimilaire avec le médicament biologique de référence sera assurée par une la liste de référence des médicaments biosimilaires établie par l'agence nationale de sécurité du médicament.

En troisième lieu, une information des patients et des prescripteurs est également prévue. L'article 47 a ainsi prévu une mention obligatoire du prescripteur sur l'ordonnance (« initiation de traitement » ou « non substituable, renouvellement de traitement ») et une information expresse du prescripteur par le pharmacien en cas de substitution.

Il convient de préciser que dans le cadre général de la dispensation, le pharmacien aura à interroger le patient et à l'informer de cette substitution, en application du conseil pharmaceutique prévu à l'article R. 4235-48 du code de la santé publique. Cet échange permettra également de vérifier s'il s'agit d'un nouveau traitement ou d'un renouvellement de traitement.

VII/ SUR L'ARTICLE 48

A/ L'article 48 de la loi déférée prévoit que les médicaments ayant bénéficié d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) puissent être pris en charge de manière dérogatoire pendant la période postérieure à leur autorisation de mise sur le marché et jusqu'à leur prise en charge dans des conditions de droit commun. Il prévoit la récupération systématique du différentiel entre le prix fixé in fine et le prix pratiqué pendant cette période transitoire.

Les sénateurs requérants estiment que cet article méconnaît les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 relatives à la protection de la santé.

B/ Le Gouvernement n'est pas de cet avis.

Il convient, en premier lieu, de constater que l'article 48 pérennise un dispositif expérimental, mis en place par l'article 24 de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des dispositifs médicaux et prenant fin au 31 décembre 2013. Il permet donc précisément d'assurer la pérennité de la prise en charge de patients qui, à compter du 1er janvier 2014 n'auraient pu bénéficier d'aucune prise en charge pour un médicament entre la date de fin de l'autorisation temporaire d'utilisation et la date d'inscription au remboursement, l'expérimentation prenant fin.

L'article 48 permet la prise en charge de nouveaux patients en impasse thérapeutique et ce, de deux manières :

- les nouveaux patients, qui n'auraient pas bénéficié de l'ATU, mais qui ont besoin du médicament pour la même indication que celle ayant bénéficié de l'ATU, indication reprise dans l'AMM ou dans une extension d'autorisation de mise sur le marché en cours d'évaluation par les autorités compétentes ;

- pour tous les nouveaux patients en impasse thérapeutique dans une nouvelle indication dès lors (i) qu'il n'existe pas d'alternative thérapeutique prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale identifiée par la Haute Autorité de santé ou

(ii) que les patients sont en échec de traitement ou présentent une contre-indication aux alternatives thérapeutiques prises en charge identifiées.

Le dispositif de reversement du différentiel de prix entre le prix pratiqué pendant la période transitoire et le prix fixé en application des règles de droit commun ne pèsera pas sur les patients. Ce reversement sera à la charge du laboratoire exploitant le médicament bénéficiant du dispositif de l'autorisation temporaire d'utilisation. Il n'interviendra qu'a posteriori afin d'assurer, rétrospectivement, la cohérence entre le prix pratiqué pendant la période de prise en charge dérogatoire et le prix fixé à l'issue des procédures de droit commun.

Cet article ne méconnaît donc pas les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 relatives à la protection de la santé. Au contraire, il contribue à en assurer le respect.

VIII/ SUR L'ARTICLE 49

A/ L'article 49 de la loi déférée met en oeuvre une déclaration des remises accordées aux pharmaciens pour chacune des spécialités génériques afin de permettre au comité économique des produits de santé de faire évoluer les tarifs des médicaments génériques sur des bases plus proches des prix réellement pratiqués par les laboratoires.

Les sénateurs requérants estiment que cet article n'a pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale.

B/ Le Gouvernement n'est pas de cet avis.

L'assurance maladie est le principal financeur des acteurs de la chaîne du médicament. La réglementation du prix du médicament, via l'arrêté fixant les marges et le mécanisme de fixation du « prix fabricants hors taxes » par la négociation conventionnelle entre le comité économique des produits de santé et les laboratoires exploitants, vise notamment à permettre la prise en charge des dépenses de santé liées à la consommation de médicaments au prix pertinent.

Toutefois, ces instruments précités ne suffisent pas pour atteindre pleinement cet objectif en raison du manque de transparence sur les coûts et les profits réels des différents acteurs. L'existence de remises commerciales, parfois très élevées et en réalité principalement financées par l'assurance maladie, apparaît comme un signal clair que le médicament n'est pas toujours pris en charge à son juste prix. Ces remises sont mal connues des pouvoirs publics, les informations sont très parcellaires et remontent à l'occasion d'enquêtes ou de contrôles administratifs qui sont par nature loin d'être exhaustifs.

C'est pourquoi il est justifié que la puissance publique rende transparentes ces remises, là où elles peuvent légalement être les plus importantes, c'est-à-dire sur les médicaments génériques. Cette information qui permet de connaître le prix de vente « effectif » de son médicament par le laboratoire est essentielle pour permettre au CEPS de peser davantage dans ses négociations de baisse prix sur les génériques qui engendrent des économies pour l'assurance maladie.

En outre l'article 49 donne au pouvoir réglementaire la possibilité d'augmenter le plafond légal de remises sur les génériques jusqu'à 50%. Ce plafond pourrait donc être augmenté, autorisant des remises supérieures là où les marges commerciales sont les plus importantes, et diminuant ainsi le prix « effectif » de vente des médicaments aux pharmaciens, justifiant en conséquence des baisses de prix supplémentaires par le comité économique des produits de santé.

Dans l'étude d'impact accompagnant le projet de loi, l'économie en 2015 pour l'assurance maladie a été estimée à 15 MEUR correspondant à une baisse de 0,5 point supplémentaire des prix des médicaments génériques.

Compte tenu de cet impact sur les dépenses de l'assurance maladie à compter de l'exercice 2015, et conformément aux termes du 2° du C du V de l'article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale, l'article 47 trouve en conséquence sa place dans la loi de financement de la sécurité sociale.

IX/ SUR L'ARTICLE 82

A/ L'article 82 de la loi déférée confie à la mutualité sociale agricole la gestion des branches maladie (AMEXA) et accidents du travail (ATEXA) des personnes non salariées agricoles.

Les sénateurs requérants estiment que cette disposition porte atteinte au droit de propriété protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et méconnaît la liberté d'association.

B/ Ces griefs ne sont pas fondés.

La loi a ouvert à des groupements d'assureurs la possibilité d'assurer la gestion, pour les assurés qui le souhaitent, du régime d'assurance maladie des exploitants agricoles (loi n°61-89 du 25 janvier 1961) et du régime accidents du travail et maladies professionnelles des exploitants agricoles (loi n° 2001-1128 du 30 novembre 2001). Les prestations des branches maladie (AMEXA) et accidents du travail (ATEXA) des personnes non salariées agricoles peuvent donc être versées soit par la mutualité sociale agricole, soit par des assureurs privés.

La Cour des comptes avait estimé que cette organisation reposant sur une pluralité de gestionnaires était source d'inefficience en matière de gestion et de complexité pour les assurés sociaux et en avait souligné les inconvénients. Une mission conjointe récente de l'IGAS et l'IGF relative à la gestion de l'assurance maladie, conduite dans le cadre de la modernisation de l'action publique, a confirmé ce constat et préconise de recentrer vers la seule MSA la gestion de ces prestations.

C'est la raison pour laquelle le législateur a souhaité confier à la mutualité sociale agricole la gestion de ces deux régimes.

La gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale ne saurait être regardée comme entrant dans le champ du droit de propriété protégé par l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En particulier, les réserves constituées pour le compte des branches AMEXA et ATEXA ne peuvent être regardées comme des propriétés des groupements d'assureurs.

Ces réserves sont une quote-part des cotisations versées par les affiliés et affectées aux groupements d'assureurs pour financer la gestion des régimes. Les règles antérieures de prélèvement des cotisations pour le financement de la gestion étaient détachées du niveau des dépenses réelles ce qui a conduit à la constitution de réserves de gestion. Les réserves sont indissociables de la gestion des régimes. La loi excluant la réalisation de bénéfices au titre de la gestion du régime (article L.731-34 2° du code rural), ces réserves ne pe²uvent donc être affectées à une autre destination que le financement de la gestion du régime. La loi opère en conséquence le transfert de la gestion de ces réserves au même titre, et à la même date, que la gestion du régime proprement dit.

Le législateur a, par ailleurs, prévu un mécanisme d'indemnisation des groupements d'assureurs afin de couvrir les préjudices résultant de la reprise de l'activité que la loi leur reconnaissait antérieurement la faculté d'exercer.

Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de la liberté d'association ne pourront qu'être écartés.

***

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 et, spécialement, ses articles 8, 14, 32 et 47.

I. De manière générale, les auteurs de la saisine estiment que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 est en contradiction avec les engagements de maîtrise des dépenses publiques et des déficits pris par la France et spécialement confirmés par la signature et la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire du 2 mars 2012.

S'ils ne méconnaissent pas la jurisprudence constante par laquelle vous vous refusez à contrôler la conformité des lois aux conventions internationales, les auteurs de la saisine notent que vous avez considéré, dans la décision relative au dit traité, « que le Conseil constitutionnel est chargé de contrôler la conformité à la Constitution des lois de programmation relatives aux orientations pluriannuelles des finances publiques, des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ; que saisi dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, il doit notamment s'assurer de la sincérité de ces lois ; qu'il aura à exercer ce contrôle en prenant en compte l'avis des institutions indépendantes préalablement mises en place » (Cons. Const. n° 2012-653 DC, 9 août 2012, cons. 27). Le contrôle de la sincérité des lois visées et, spécialement, d'une loi de financement de la sécurité sociale ne saurait donc à l'évidence plus se limiter à celui de « l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre » (Cons. Const. n° 2009-585, 6 août 2009, cons. 2). Lors de l'examen de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, vous aviez d'ailleurs considéré que « la sincérité de la loi de programmation des finances publiques devra s'apprécier notamment en prenant en compte l'avis du Haut Conseil des finances publiques ; qu'il en ira de même de l'appréciation de la sincérité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale » (Cons. Const. n° 2012-658 DC, 13 décembre 2012, cons. 52). C'est donc dans ce cadre juridique renouvelé que les députés auteurs de la saisine vous appellent à contrôler la loi déférée.

Sur le fondement de l'article 14 de la loi organique susvisée, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a adopté, le 20 septembre 2013, un avis n° HCFP-2013-03 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014. C'est donc en prenant en considération cet avis que l'examen de la sincérité de la loi déférée doit être mené. Or, se prononçant sur les hypothèses macroéconomiques pour 2014 retenues par le gouvernement, le Haut Conseil a considéré que si « les prévisions de croissance sont plausibles (. . .) le scénario macroéconomique présente des éléments de fragilité ». Il a, en outre, spécialement noté que « les mesures nouvelles inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (0,6 MdEUR) » n'avaient pas été portées à sa connaissance, ne lui permettant ainsi pas de rendre un avis parfaitement éclairé.

C'est pour cette raison que les députés auteurs de la saisine vous demandent de conclure à l'inconstitutionnalité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 au motif de son insincérité dans la mesure où, déjà manifeste au vu des prévisions sur lesquelles le gouvernement s'est fondé, elle ne saurait résister à l'analyse plus approfondie que désormais vous estimez devoir mener en prenant en compte l'avis formulé par le HCFP.

II. Sur l'article 8

L'article 8 de la loi déférée résulte d'une série d'amendements présentée par le gouvernement lors du débat en séance publique de deuxième lecture, le 25 novembre 2013.

Modifiant les articles L 136-7 et L 245-15 du code de la sécurité sociale, l'article L 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, l'article 1600-0 S du code général des impôts et l'article 16 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, cette disposition conduit à remettre en cause le principe des « taux historiques » aux termes duquel les prélèvements sociaux appliqués aux revenus de l'épargne dépendent du moment où les gains ont été constitués.

Dans ce cadre, établi par voie législative à partir des lois de financement de la sécurité sociale pour 1997 du 27 décembre 1996 et pour 1998 du 19 décembre 1997, il est procédé, au moment du dénouement du contrat, à une décomposition par année des revenus générés par l'épargne afin de leur appliquer les taux annuels successifs en vigueur à l'époque de la constitution du gain. La justification de ce dispositif était d'éviter toute rétroactivité de l'augmentation des taux de prélèvements sociaux susceptible de s'appliquer à des produits acquis avant la décision d'augmentation.

A des fins de simplification et dans un objectif d'équité fiscale - les unes et l'autre ayant été affirmés dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale et tout au long des débats parlementaires, tant avant qu'après la présentation de la dernière version de la disposition - l'article 8 de la loi déférée soumet au taux en vigueur des prélèvements sociaux de 15,5 % l'intégralité des gains constitués depuis 1997 dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie ; en vue d'éviter un effet d'aubaine, le dispositif serait applicable à compter du 26 septembre 2013, date de la présentation de la mesure dans le dossier de presse relatif au projet de loi de financement de la sécurité sociale.

A trois égards au moins, l'article 8 de la loi déférée est contraire à la Constitution.

1. En premier lieu, l'article 8 porte atteinte, par son caractère « rétroactif », à une situation et une espérance légalement acquises dans une mesure emportant son inconstitutionnalité.

Aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez que « le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive » et « qu'aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de "confiance légitime" » (Cons. Const. n° 97-391 DC, 7 novembre 1997, cons. 6), non plus que de sécurité juridique, qui demeure une référence implicite du contrôle que vous exercez sur la constitutionnalité des lois.

Appliqué à la matière fiscale, le raisonnement vous conduit à considérer que « si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles » (Cons. Const. n° 98-404 DC, 18 décembre 1998, cons. 5).

Plus précisément, vous avez indiqué, lors de l'examen de la loi de finances pour 2013, que s'« il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions (. . .) ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant » (Cons. Const. n° 2012-662 DC, 29 décembre 2012, cons. 42). Examinant, dans ce cadre, l'article 9 de la loi de finances qui vous était déférée et qui prévoyait l'imposition des dividendes et revenus de capitaux mobiliers au barème de l'impôt sur le revenu et la rétroactivité de la mesure aux revenus perçus en 2012, vous avez jugé qu'il remettait en cause de manière rétroactive le caractère libératoire du prélèvement sur les revenus de capitaux mobiliers et que de ce fait, il majorait l'imposition sur des revenus perçus en 2012 par certains contribuables, précisant que « la volonté du législateur d'assurer en 2013 des recettes supplémentaires » ne constituait pas « un motif d'intérêt général suffisant » (ibid., cons. 44).

On admet que le raisonnement n'est pas, tel quel, transposable à la disposition contestée dans la mesure où, le dénouement du contrat d'assurance-vie déterminant la date d'application des prélèvements sociaux, le législateur peut, tant que celui-ci n'est pas survenu, modifier le régime de prélèvement applicable.

Toutefois, il n'en demeure pas moins que l'article 8 ici contesté porte atteinte à une situation autant qu'une espérance légalement acquises, sans qu'aucun motif d'intérêt général suffisant pût le justifier.

En effet, en premier lieu, il est manifeste que, en mettant en place le régime des « taux historiques », le législateur a entendu éviter l'application des augmentations successives de prélèvements sociaux. Le fait que les dispositions limitant l'application des augmentations de taux des prélèvements sociaux aux produits acquis ont été prévues à chaque loi prévoyant une telle augmentation, que ce soit par le relèvement du taux d'une imposition existante ou la création d'un nouveau prélèvement établi sur la même assiette, sans aucune exception depuis l'article 5 de la loi n°97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998 démontre, s'il en était besoin, la constance de la pratique et, par voie de conséquence, la volonté du législateur de préserver des situations qu'il estimait légalement acquises.

Dès lors, le titulaire d'un contrat d'assurance-vie pouvait légitimement se fonder sur cette pratique législative pour considérer que les augmentations successives de prélèvements sociaux ne seraient jamais applicables aux produits acquis avant leur entrée en vigueur.

La modification du taux de prélèvement a posteriori, en remettant en cause le principe des « taux historiques », revient donc bien à porter atteinte à une situation ainsi qu'à une espérance légalement acquises.

C'est, en second lieu, parce que l'atteinte à une situation ainsi qu'à une espérance légalement acquises n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant que vous conclurez à son inconstitutionnalité.

L'exposé des motifs ainsi que les débats parlementaires relatifs à la disposition contestée - eût-elle initialement un champ d'application plus étendu - sont sans ambiguïté : l'objectif de la réforme est de simplifier, harmoniser et rationaliser le calcul des prélèvements sociaux sur les contrats d'assurance-vie. Mais, assurément, la simplification, l'harmonisation et la rationalisation ne sauraient constituer un motif d'intérêt général suffisant pour justifier la remise en cause d'un dispositif dont l'objet même est de maintenir un régime différent de celui qui résultait des modifications apportées par le législateur pour des situations constatées légalement à une certaine date. Dit autrement, c'est pour un motif d'intérêt général que le principe des « taux historiques » a été institué, conduisant à ce qu'un objectif de simplification, d'harmonisation et de rationalisation soit insuffisant à le remettre en cause.

L'absence d'un motif d'intérêt général suffisant justifiant qu'il soit porté atteinte à une situation et une espérance légalement acquises vous conduira donc nécessairement à conclure à l'inconstitutionnalité de la disposition contestée.

Néanmoins, dans l'hypothèse où vous considéreriez que le motif invoqué est suffisant, l'article 8 devrait être déclaré contraire au principe d'égalité.

2. En second lieu, l'article 8 de la loi déférée porte atteinte au principe d'égalité.

Dans sa version initiale, l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 prévoyait la substitution d'un prélèvement social de 15,5 % au principe des « taux historiques » applicable à l'ensemble des produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu mais soumis aux prélèvements sociaux et pour lesquels l'acquisition des produits n'est réellement constatée que par dénouement, retrait ou, dans le cas de l'assurance-vie, décès. Etaient ainsi visés - outre les contrats d'assurance-vie - les plans d'épargne logement, les plans d'épargne par actions et l'épargne salariale.

L'exposé des motifs de la disposition était à cet égard parfaitement clair : le gouvernement entendait mettre un terme à des « modalités dérogatoires concern[ant] essentiellement les produits issus des plans d'épargne en actions (PEA) de plus de cinq ans, des primes versées avant le 26 septembre 1997 sur des contrats d'assurance-vie multi-supports, de l'épargne salariale, des primes versées dans le cadre des comptes et plans épargne logement (CEL et PEL), des intérêts acquis sur des plans d'épargne logement (PEL) de moins de 10 ans souscrits avant le 1er mars 2011, pour lesquels l'acquisition des produits n'est réellement constatée et mise à disposition qu'au moment du fait générateur par dénouement ou retrait (ou par décès concernant l'assurance-vie) », argument pris de ce que « cette situation peut se traduire par une rupture d'égalité entre des contribuables recourant à des produits de placement identiques ou équivalents, notamment en termes de risque financier, dont la différence de taxation ne repose plus sur des critères objectifs et rationnels, compte tenu notamment de l'augmentation au fil du temps de l'écart avec les taux de taxation de droit commun ». Dans « un objectif d'équité fiscale », il était donc proposé « d'harmoniser les règles de prélèvement applicables aux produits de placement ».

A l'issue de la première lecture du projet et après que le ministre délégué chargé du Budget avait attiré l'attention sur un risque d'inconstitutionnalité, notamment au regard du principe d'égalité, chacun des amendements dont est issu l'article 8 contesté est présenté, aux termes de son exposé des motifs rédigé en termes identiques, comme révisant « le champ d'application de la mesure de suppression des taux historiques aux seuls contrats d'assurance-vie exonérés d'impôt sur le revenu, conformément à l'annonce du Gouvernement. Il exclut donc les PEL, les PEA et l'épargne salariale ». Or, l'application des « taux historiques » à ces divers produits de placement étant justifiée par un motif d'intérêt général identique, s'il apparaissait légitime de vouloir y renoncer à des fins identiques de simplification, d'harmonisation et de rationalisation, on ne comprend plus guère pour quel motif les contrats d'assurances-vie feraient l'objet d'un traitement différent.

En effet, aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez que si le « principe d'égalité devant la loi implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions semblables, il n'en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l'objet de solutions différentes » (Cons. Const. n° 79-107 DC, 12 juillet 1979, cons. 4). Dans ce cadre, vous considérez que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit (Cons. Const. n° 87-232, 7 janvier 1988, cons. 10).

Que l'on se réfère à l'exposé des motifs de chacun des amendements dont est issu l'article 8 contesté ou aux débats parlementaires préalable à son adoption, il apparaît que la différence de traitement réservée aux contrats d'assurance-vie est exclusivement justifiée par le fait que la mesure « permettra de ne pas toucher les patrimoines moyens et modestes », argument pris de ce que « les contrats d'assurance-vie ne sont soumis à aucun plafonnement et leur encours est concentré sur les plus hauts patrimoines ». Dépourvu de tout lien avec l'objet de la loi qui l'établit autant que d'une quelconque justification tenant à la différence de situation des produits d'épargne désormais seuls visés, on ne peut que constater que la disposition porte atteinte au principe d'égalité.

3. En troisième lieu enfin, les conditions dans lesquelles l'article 8 de la loi déférée a été, in fine, été adopté conduisent à mettre en cause la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale.

Initialement conçue comme devant concerner plusieurs produits d'épargne, la première version de l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 était présentée comme génératrice de 600 millions d'euros de recettes. Réduite à la seule assurance-vie dans sa version amendée, la disposition ne génèrerait plus que 400 millions d'euros de recettes ainsi que le ministre délégué chargé du Budget en a lui-même convenu lors des débats devant l'Assemblée nationale. C'est donc la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale qui se trouve mise en cause dans la mesure où les 200 millions d'euros désormais manquants dans le cadre de l'équilibre de la sécurité sociale ont été présentés, sans autre précision, comme devant être compensés par des économies sur les dépenses de santé. L'article 8 de la loi déférée conduisant à ce que la loi de financement de la sécurité sociale soit insincère, il ne pourra qu'être censuré.

III. Sur l'article 14.

L'article 14 de la loi déférée résulte d'un amendement présenté par le gouvernement lors du débat en séance publique du 23 octobre 2013. Poursuivant l'objectif louable de permettre à chaque salarié de disposer d'une couverture complémentaire de bonne qualité, il institue une clause par laquelle les partenaires sociaux pourront recommander, par branche, un contrat ou un organisme assureur au titre de la couverture complémentaire santé. Mais cet amendement vise surtout à contourner la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 par laquelle vous avez conclu à l'inconstitutionnalité d'un dispositif instituant une clause de désignation par branche d'un organisme au titre de la couverture complémentaire santé, ainsi que de l'article L 912-1 du Code de la Sécurité sociale.

A trois égards au moins, l'article 14 de la loi déférée est contraire à la Constitution.

1. En premier lieu, et pour deux motifs, l'article 14 n'entre pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale, constituant ainsi ce que l'on appelle couramment un « cavalier social ».

D'une part, par votre décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, vous avez, dans le cadre de l'examen de l'article 1er de la loi qui vous était déférée et auquel se substitue l'article 14 du texte que nous contestons devant vous, clairement fondé votre raisonnement sur les dispositions de l'article 34 de la Constitution aux termes desquelles « La loi détermine les principes fondamentaux . . . Des obligations civiles et commerciales » (cons. 5). Ce faisant, vous avez a contrario souligné que le législateur, lorsqu'il déterminait les conditions dans lesquelles une assurance complémentaire gérée dans un cadre contractuel privé, fût-il régulé, pouvait être souscrite, n'intervenait pas pour déterminer les principes fondamentaux de la sécurité sociale. Dès lors, une telle disposition n'a pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale.

D'autre part, vous estimez, aux termes d'une jurisprudence constante, que les dispositions d'une loi de financement de la sécurité sociale doivent avoir « un effet direct sur les dépenses des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ou des organismes concourant à leur financement » (par exemple, Cons. Const. n° 2012-659 DC, 13 décembre 2012, cons. 48) et que des dispositions qui « n'ont pas d'effet, ou ont un effet trop indirect, sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement (. . .) ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale » (ibid. Cons. 42). Lors des débats parlementaires, la ministre des Affaires sociales et de la santé justifiait l'insertion de l'article 14 dans la loi de financement de la sécurité sociale par le fait que « le dispositif apportera des recettes ». Pourtant, les recettes en cause ne sauraient, en toute logique, qu'être minimes puisque résultant de la modulation du forfait social applicable aux entreprises selon qu'elles adopteraient ou non le contrat recommandé et, plus précisément encore, de la pénalité fiscale pesant sur les entreprises qui feraient le choix de ne pas suivre la recommandation formulée par leur branche. Outre qu'il paraît d'emblée paradoxal de conditionner les recettes ici visées au non-suivi d'une incitation gouvernementale, vous ne pourrez que constater que l'article 14 ne contribue nullement à la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale, ainsi que l'exige l'article 34, alinéa 5, de la Constitution et n'entre donc pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale tel que défini, pour l'application de la disposition constitutionnelle susvisée, par l'article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale. De plus, l'effet susceptible d'être le sien sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement et, sinon inexistant, du moins trop indirect pour que l'article 14, d'autant que la modulation du forfait social est, en elle-même, inconstitutionnelle.

Pour ces deux motifs déjà, vous ne pourrez que conclure à l'inconstitutionnalité de l'article 14 de la loi déférée.

2. En deuxième lieu, l'article 14 est contraire à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre.

En substituant une clause de recommandation à la clause de désignation que vous aviez censurée par votre décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, le gouvernement entend mettre en place un dispositif qu'il estime conforme à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre. Il ne fait guère de doute qu'une recommandation n'est pas de même nature qu'une désignation et vous avez d'ailleurs précisé que « le législateur peut porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans un but de mutualisation des risques, notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence » (cons. 11 de la décision précitée). Toutefois, disant cela, vous reconnaissiez qu'un dispositif, fût-il de recommandation, portait bien atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, la question étant alors de savoir si ladite atteinte n'est pas disproportionnée. Vous considériez en outre qu'un tel dispositif ne saurait, à peine de méconnaître lesdites libertés, leur porter « une atteinte d'une nature telle que l'entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini » (ibid.).

Ce sont donc les conditions assortissant la clause de recommandation établie par l'article 14 qui doivent être examinées.

Or, d'une part, aux fins d'inciter les entreprises à adopter le contrat recommandé par la branche autant que pour justifier que la disposition figure dans une loi de financement de la sécurité sociale, l'article 14 met en place un dispositif de modulation du forfait social dérogeant au deuxième alinéa de l'article L 137-16 et au dernier alinéa de l'article L 137-15 du code de la sécurité sociale. La ministre des Affaires sociales et de la Santé l'a expressément indiqué lors des débats devant l'Assemblée : les entreprises membres de la branche « resteraient donc libres de leur choix, mais, parce que nous souhaitons les inciter à adopter des contrats à forte valeur de solidarité, nous proposons de moduler le forfait social qui s'y applique. Il y aurait ainsi, s'agissant des entreprises de plus de dix salariés, une différence de douze points entre le forfait social appliqué à celles qui adopteraient les contrats recommandés et le forfait social appliqué à celles qui ne les adopteraient pas ; cette différence serait de huit points pour les entreprises de moins de dix salariés. Pour les entreprises de plus de dix salariés qui adopteraient le contrat recommandé, le forfait social serait de 8 %, contre 20 % pour celles qui ne l'adopteraient pas ; pour les entreprises de moins de dix salariés, le forfait social serait de 0 % pour les entreprises qui adopteraient le contrat recommandé et de 8 % pour celles qui ne l'adopteraient pas ».

Dit autrement, l'article 14 prévoit que, « par dérogation », l'entreprise qui, alors que la branche dont elle relève aurait formulé une recommandation, « choisit de souscrire un contrat auprès d'un autre assureur que le ou les organismes assureurs recommandés », sera fiscalement pénalisée.

La disposition ainsi analysée, vous ne pourrez que constater que la liberté qu'a l'entreprise de contracter avec un autre assureur que le ou les organismes assureurs recommandés se trouve fiscalement conditionnée dans une mesure telle que la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre en sont méconnues.

D'autre part, et compte tenu du degré de contrainte pesant sur l'entreprise relevant d'une branche ayant formulé une recommandation, vous conviendrez que les effets de l'article 14 ne sont pas différents de ceux de la disposition établissant une clause de désignation que vous avez censurée et que la clause de recommandation s'analyse en une clause de désignation « déguisée ». En effet, dans l'un et l'autre cas, l'entreprise se trouve liée « avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini », raison pour laquelle les libertés contractuelle et d'entreprendre sont violées.

Pour ces deux séries de motifs ensuite, vous ne pourrez que conclure à l'inconstitutionnalité de l'article 14 de la loi déférée.

3. En troisième lieu, l'article 14 est contraire au principe d'égalité.

En effet, aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez que si le « principe d'égalité devant la loi implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions semblables, il n'en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l'objet de solutions différentes » (Cons. Const. n° 79-107 DC, 12 juillet 1979, cons. 4). Dans ce cadre, vous considérez que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit (Cons. Const. n° 87-232, 7 janvier 1988, cons. 10).

Or, la pénalité fiscale établie par l'article 14 de la loi déférée emporte pour les entreprises, selon le contrat qu'elles auront choisi de souscrire, une différence de traitement constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant la loi et devant les charges publiques dans la mesure où ni une différence de situation, ni l'objet de la loi qui l'établit ne la justifie

D'une part, la différence de traitement établie par l'article 14 ne résulte en aucun cas d'une différence de situation entre les entreprises.

Tout d'abord, parce que la différence de traitement n'est aucunement fondée sur la situation propre à chaque entreprise, mais sur le simple fait que certaines entreprises n'auront fait que choisir de ne pas souscrire le contrat recommandé par la branche. Le dispositif apparaît donc contraire au principe d'égalité en matière fiscale qui, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 veut que la « contribution commune [soit] également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Ensuite, la différence de traitement ne résulterait pas d'une différence entre les contrats que l'entreprise était susceptible de souscrire mais de la recommandation, fiscalement récompensée, formulée par les partenaires sociaux. On ne voit guère comment pourrait être conforme au principe d'égalité le fait de faire dépendre la fiscalité d'une entreprise du fait que les partenaires sociaux auront négocié dans une branche une recommandation qui serait ou non suivie, alors même que vous avez clairement considéré dans votre décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 qu'il était, en la matière, constitutionnellement impossible de rien imposer.

Enfin, on ajoutera que l'article 14 ne tient pas compte du fait que certaines grandes entreprises peuvent relever de plusieurs branches, créant ainsi une inégalité entre celles qui, en raison de leur taille et de leurs activités, seront susceptibles de choisir le contrat recommandé par l'une ou l'autre des branches dont elles relèvent, tandis que les entreprises rattachables à une seule branche seront liées par la recommandation qu'elle aura formulée.

Au surplus, il est possible de considérer que l'article 14 emporte une rupture d'égalité entre les salariés des entreprises dès lors que, sans avoir aucune possibilité de manifester leur désaccord, ils se trouveront dans une situation différente du contrat souscrit par l'entreprise et du prélèvement social que, pour ce motif, cette dernière se verra appliqué.

D'autre part, la différence de traitement établie par l'article 14 est sans rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. Il a déjà été montré, au regard de la spécificité de la loi au sein de laquelle il a été inséré, que l'article 14 n'avait pas lieu de figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale. On ajoutera, au seul regard de la disposition concernée, que son objet, tel que présenté par la ministre des Affaires sociales et de la Santé lors des débats parlementaires, n'est pas de nature à justifier la différence de traitement des entreprises concernées ; en effet, si la disposition « vise à assurer à chaque salarié, quelle que soit l'entreprise dans laquelle il travaille, un bon niveau de protection complémentaire collective », si son « objectif est l'équité, la justice sociale et l'efficience économique » et s'il s'agit de « permettre à chaque salarié de disposer d'une couverture complémentaire de bonne qualité », on ne voit guère en quoi le fait de pénaliser les entreprises qui n'auraient pas souscrit le contrat recommandé ou un contrat avec l'organisme assureur recommandé par la branche est de nature à le réaliser.

Pour ces deux séries de motifs enfin, vous ne pourrez que conclure à l'inconstitutionnalité de l'article 14 de la loi déférée.

IV. Sur l'article 32

L'article 32 de la loi déférée résulte d'un amendement introduit en commission. Il a pour objet d'introduire dans le code de la sécurité sociale un article L 162-31-1 autorisant la mise en œuvre d'expérimentations de nouveaux modes d'organisation des soins dans le cadre de projets pilotes visant à optimiser les parcours de soins des patients souffrant de pathologies chroniques.

A deux égards, l'article 32 de la loi déférée est contraire à la Constitution.

En premier lieu, l'article 32 n'entre pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale et constitue un « cavalier social ».

Aux termes de l'article 34, alinéa 5, de la Constitution, « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Pour l'application de cette disposition, le champ des lois de financement de la sécurité sociale a été précisé par l'article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale. Or, à l'évidence, l'article 32, en définissant la cadre général applicable aux expérimentations des nouveaux modes d'organisation des soins, ne contribue nullement à la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale et n'a pas lieu de figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.

En second lieu, et dans l'hypothèse où vous estimeriez que le législateur n'a pas méconnu le champ des lois de financement de la sécurité sociale, l'article 32 de la loi déférée devrait être déclarée inconstitutionnelle pour incompétence négative du législateur.

En effet, et alors même que l'article 32 prévoit, dans son paragraphe II, qu'il pût, dans le cadre des projets pilotes qu'il autorise, être dérogé à toute une série de dispositions législatives, l'essentiel des conditions de mise en œuvre de l'expérimentation est renvoyé au pouvoir règlementaire, qu'il s'agisse de la détermination des pathologies concernées, de l'objet, du champ et de la durée de l'expérimentation ou encore du contenu des projets pilotes et de leur périmètre territorial. Or, aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 et que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Ainsi, par exemple, avez-vous estimé qu'une disposition par laquelle le législateur confiait au pouvoir règlementaire le soin de fixer les conditions dans lesquelles des mesures de substitution peuvent être prises afin de répondre aux exigences de mise en accessibilité n'habilitait pas le pouvoir réglementaire à fixer les exigences relatives à l'accessibilité des personnes handicapées (Cons. Const. n° 2011-639 DC, 28 juil. 2011). Pour les mêmes motifs, vous ne pourrez que conclure à l'inconstitutionnalité de l'article 32 de la loi déférée.

V. Sur l'article 47

L'article 47 de la loi déférée modifie le titre II du livre Ier de la cinquième partie du code de la santé publique en prévoyant que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé établisse un répertoire des groupes biologiques similaires. Il s'agit donc de créer une liste de référence précisant le nom des médicaments biologiques concernés, leur dosage, leur posologie et leurs indications thérapeutiques afin d'informer les prescripteurs de l'existence de ces médicaments et donc de les inciter à les prescrire.

A deux égards, l'article 47 de la loi déférée est contraire à la Constitution.

En premier lieu, l'article 47 n'entre pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale et constitue un « cavalier social ».

Outre que la disposition est présentée par l'étude d'impact elle-même comme d'impact financier très faible, l'exposé des motifs indique qu'elle « vise à promouvoir la diffusion des médicaments biologiques similaires ou "biosimilaires" ». A l'évidence, la disposition n'entre pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale en ce qu'elle ne contribue aucunement, fût-ce indirectement, à la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale. Pour ce motif, vous ne pourrez que constater son inconstitutionnalité.

En second lieu, et dans l'hypothèse où vous estimeriez que le législateur n'a pas méconnu le champ des lois de financement de la sécurité sociale, l'article 47 de la loi déférée devrait être déclarée inconstitutionnelle pour méconnaissance du principe d'égalité et de l'exigence de protection de la santé publique.

En effet, la disposition contestée prévoit d'appliquer aux médicaments bio-similaires le même régime juridique que celui applicables aux médicaments génériques. Or, les premiers diffèrent à l'évidence des seconds quant à leur structure, leur activité et leur profil de sécurité au regard de la préservation de la santé publique, justifiant qu'ils bénéficient d'un traitement différent.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 et, notamment, ses articles 8, 13, 14, 47, 48, 49 et 82.

A. Concernant l'article 8 de la loi déférée:

L'article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 met fin à l'application du régime dit des « taux historiques » en matière de prélèvements sociaux aux produits de placement dans des contrats d'assurance-vie et applique le taux en vigueur des prélèvements sociaux à l'intégralité des gains constitués depuis 1997, et ce, à l'ensemble des revenus générés dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie.

Le texte initial du projet de loi de financement pour la sécurité sociale, tel qu'il avait été soumis à l'Assemblée nationale et adopté par celle-ci en première lecture, prévoyait la suppression du régime des « taux historiques », pour l'ensemble des revenus du capital exonérés d'impôt sur le revenu (à savoir les produits issus des Plans épargne en actions de plus de cinq ans, les primes versées avant le 26 septembre 1997 sur des contrats d'assurance- vie multi-supports, l'épargne salariale, les primes versées dans le cadre des comptes et plans épargne logement ainsi que les intérêts acquis sur des plans d'épargne logement de moins de 10 ans souscrits avant le 1er mars 2011).

L'objectif initial du dispositif était un objectif de simplification par harmonisation des règles de calcul des prélèvements sociaux (1). Il s'agissait, en effet, pour le législateur d'harmoniser les règles de calcul des prélèvements sociaux pour tous les produits de placement.

Néanmoins, par une série d'amendements présentée par le Gouvernement en deuxième lecture devant l'Assemblée nationale et adoptée par cette même Assemblée le 25 novembre 2013, le champ d'application de la mesure de suppression des taux historiques a été limité aux seuls contrats d'assurance-vie exonérés d'impôt sur le revenu, excluant de cette manière les PEL, les CEL, les PEA ainsi que l'épargne salariale.

Les requérants considèrent que la limitation du champ d'application de cette disposition aux produits des contrats d'assurance-vie est contraire au principe d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques, en tant que corolaire de l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ("La loi est l'expression de la volonté générale. [. . .] Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse") et en application de l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ("Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés").

Or, si l'objectif initial du texte visait à harmoniser les régimes des prélèvements sociaux, cela passait nécessairement par la suppression de l'application du régime des « taux historiques » à l'ensemble des produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu.

En ce sens, Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des Finances, chargé du Budget, a rappelé durant les débats au Sénat, en première lecture, lors de la séance du 13 novembre 2013, que la mesure en cause consiste « à faire en sorte que tous les produits d'épargne, par souci de simplification et d'harmonisation, soient taxés de manière identique ».

Cependant, le législateur en écartant du champ d'application de cette mesure la plupart des produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu mais soumis aux prélèvements sociaux selon le régime des « taux historiques » pour ne conserver que les contrats d'assurance-vie, est apparue une différence de traitement entre les produits de placement soumis jusqu'alors au principe des « taux historiques » ne reposant sur aucun critère objectif et rationnel au regard de l'objet de la loi. En cela, elle entraîne donc une rupture d'égalité entre les redevables des prélèvements sociaux.

Les requérants considèrent également que le dispositif de l'article 8 est rétroactif et ne respecte pas les exigences de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, selon lequel il ne saurait porter « aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant » ni la jurisprudence constante de votre conseil.

D'abord, la réforme du calcul des prélèvements sociaux sur les produits de placement, prévue à l'article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, porte atteinte à une situation légalement acquise.

En effet, il ressort de l'examen des travaux parlementaires dont est issue la loi ayant institué le régime du taux historique qu'il s'agit d'une disposition qui, aux yeux du législateur, n'avait pas pour objet d'introduire un régime dérogatoire mais précisément d'éviter la rétroactivité qui aurait découlé de l'absence d'une telle mesure.

En faisant référence au caractère « rétroactif » de l'augmentation du taux des prélèvements sociaux pour les produits de placement dont le fait générateur se situe au dénouement du contrat de capitalisation, alors même que les produits en question ont été acquis précédemment, le législateur a donc entendu sanctuariser le régime fiscal applicable aux produits acquis sur ces contrats avant chacune des dispositions ayant entraîné une augmentation des prélèvements sociaux.

Par suite, le contribuable pouvait légitimement se fonder sur cette pratique législative pour considérer que les augmentations successives ne seraient jamais applicables aux produits acquis avant leur entrée en vigueur. Dès lors, modifier ce taux a posteriori, en remettant en cause ces dispositions législatives sanctuarisant, à chaque augmentation, les produits acquis antérieurement, revient à porter atteinte à une situation légalement acquise pour le contribuable.

En outre, au cas présent, l'objectif de simplification et d'harmonisation des règles de calcul d'une imposition ne saurait constituer un motif d'intérêt général suffisant permettant de justifier la remise en cause d'une disposition dont l'objectif était de limiter les effets dans le temps d'une modification de la loi fiscale. Et, admettre qu'un objectif d'harmonisation et de simplification soit de nature à justifier la remise en cause de ce qu'il est convenu de qualifier de « clauses de grand père » reviendrait à priver totalement de portée le principe même de ces dispositions, qui ont pour objet, tout au contraire, de stabiliser les situations juridiques existantes à une date donnée, en maintenant des régimes distincts de ceux qui ont vocation à s'appliquer pour les mêmes situations juridiques constatées pour l'avenir.

B. Concernant l'article 13 de la loi déférée:

Les requérants estiment que l'article 13 de la loi de financement de la sécurité sociale qui a pour objet de créer, à rendement constant, une troisième tranche de la taxe sur le chiffre d'affaires de la vente en gros, assise sur le montant de la marge rétrocédée aux pharmacies d'officine est contraire aux principes constitutionnels de liberté d'entreprendre et de liberté contractuelle.

Il convient donc de rappeler que la liberté d'entreprendre se fonde sur l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, il en va de même pour le principe de liberté contractuelle, comme le précise la décision du 19 décembre 2000 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 : « la liberté contractuelle découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen »(2).

De plus, à travers l'alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », votre conseil se trouve naturellement amené à examiner des dispositions qui auraient pour conséquence de créer une situation monopolistique qui serait par nature contraire à la libre concurrence.

Or, les dispositions de l'article 13 vont immanquablement créer une distorsion de concurrence entre les deux principaux canaux de distribution de médicaments princeps (prescrits remboursables) pour les pharmaciens, que sont les ventes directes et les grossistes, distorsion de concurrence qui conduira mécaniquement à une situation monopolistique en faveur des grossistes contraire au principe de libre concurrence.

Il convient alors de rappeler que les dispositions de l'article 13 consiste à taxer à 20% la remise concédée au pharmacien sur les médicaments princeps (prescrits remboursables).

Or, le niveau de remise concédée au pharmacien est significativement plus important dans le canal des ventes directes où ce niveau de remise s'élève à 4% en moyenne, que dans le canal grossiste où le niveau de remise avoisine les 1%. En conséquence de quoi, la taxe sur les 20% aura des effets résolument distincts selon que le pharmacien face appel à l'un ou à l'autre des deux canaux de distribution.

Aussi, parce que l'article 13 conduit à une situation de monopole des grossistes sur l'approvisionnement des médicaments prescrits remboursables, cet article est contraire au principe constitutionnel de liberté d'entreprendre et de liberté contractuelle, et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.

C. Concernant l'article 14 d e la loi déférée:

L'adoption de l'article 14 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013 par laquelle il a déclaré contraires à la Constitution le 2° du paragraphe II de l'article 1er de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, ainsi que, par application de sa jurisprudence dite « néo- calédonienne », l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale.

- L'article 14 a pour seul objectif de contourner les précédentes décisions du Conseil constitutionnel.

Depuis la censure par le Conseil constitutionnel des clauses dites de « désignation » le 13 juin dernier, le Gouvernement a plusieurs fois fait part de son intention de réécrire de manière « juridiquement plus fondée » un mécanisme « équivalent » à la clause de désignation. C'est, selon les termes mêmes de l'exposé sommaire de l'amendement pour « tirer les conséquences de la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 du Conseil Constitutionnel » que cette nouvelle rédaction a été proposée par le Gouvernement.

Pourtant, selon l'alinéa 3 de l'article 62 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

Le Conseil constitutionnel a plusieurs fois rappelé que « l'autorité de ses décisions s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le fondement même » (89-258 DC ; 92-312 DC).

Il a également considéré que si « l'autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d'une loi ne peut en principe être utilement invoquée à l'encontre d'une autre loi conçue en termes distincts, il n'en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution » (89-258 DC).

Ainsi, l'introduction, sous une forme différente, dans le code de la sécurité sociale, de dispositions ayant un objet analogue à des dispositions déclarées inconstitutionnelles, constitue une méconnaissance de l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel.

- L'article 14 est contraire à l'article 34 de la Constitution et à l'exigence constitutionnelle d'intelligibilité de la loi

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34. Selon lui, le plein exercice de cette compétence, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, lui imposent « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » (2006-540 DC).

Les termes du nouvel article L. 912-1 du code de la sécurité sociale sont imprécis et laissent une marge de manoeuvre trop importante aux partenaires sociaux, qui seraient, de facto, libres de fixer librement le périmètre d'une notion (celle de garantie présentant un degré élevé de solidarité). Le législateur se borne ici à renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de fixer les conditions dans lesquelles les partenaires sociaux peuvent organiser la mutualisation des risques au sein d'une branche. Il ne lui confie pas la fixation du contenu de ces garanties collectives « présentant un degré élevé solidarité » et ne définit donc pas ce qu'il entend par cette notion, se contentant d'une simple énumération non exhaustive (sous forme de suggestions) de prestations susceptibles de répondre à cette exigence.

Au contraire, le législateur aurait dû définir lui-même précisément le périmètre qu'il affecte à la notion de « garantie collective présentant un degré important de solidarité ». Il n'appartient pas aux partenaires sociaux de définir les exigences de solidarité auxquelles devront se soumettre les contrats de couverture complémentaire, d'autant plus, d'une part, que cette définition aura pour conséquence directe de créer une différence de traitement entre les entreprises qui suivraient la recommandation et celles qui ne la suivraient pas et, d'autre part, que le législateur prétend poursuivre un objectif d'intérêt général. C'est donc le seul fruit de la négociation des partenaires sociaux qui génèrera une discrimination des entreprises concernées au regard du forfait social dont elles devront s'acquitter. Cela est d'autant plus injustifié que, d'une branche professionnelle à une autre, ces exigences pourront être très différentes.

D'un point de vue général, la notion de garanties présentant un haut « niveau de solidarité » ne peut se contenter d'une qualification floue et dépourvue de contenu. En effet, laisser toute latitude aux branches professionnelles pour fixer les contours de cette protection complémentaire, reviendrait, par hypothèse, à permettre une confusion avec les missions de la sécurité sociale ; or, la définition de la sécurité sociale est précise et limitative. Les branches ne peuvent pas se voir conférer, et encore moins s'auto-attribuer, des prérogatives relevant de la sécurité sociale. C'est pourquoi le législateur aurait dû se positionner précisément sur ce qu'il entendait par la notion à laquelle l'article 14 de la présente loi fait référence.

Ainsi, en ne définissant pas lui-même le contenu des garanties présentant un « degré élevé de solidarité » et en déléguant cette compétence aux partenaires sociaux, le législateur n'a respecté ni l'article 34 de la Constitution, ni l'exigence constitutionnelle d'intelligibilité de la loi.

- Les auteurs de la saisine considèrent que l'article 14 ne répond pas à l'objectif qu'il s'assigne.

La volonté du Gouvernement de mettre en place des « clauses de recommandation » se fonde sur un postulat erroné, sans lien avec l'objectif poursuivi. Rien ne permet sérieusement de démontrer, dans l'article 14, que l'existence de la clause de recommandation permettra une meilleure mise en oeuvre de la généralisation de la complémentaire santé obligatoire à tous les salariés, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement. Comme cela a été maintes fois rappelé lors des débats parlementaires relatifs à la loi de sécurisation de l'emploi, les partenaires sociaux n'avaient pas souhaité, dans l'accord national interprofessionnel donner la possibilité aux branches de procéder à des désignations ou à des recommandations assorties d'une incitation ou de sanctions.

- Par ailleurs, les sénateurs signataires de la présente saisine considèrent que cet article n'a pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale.

- Tout d'abord, l'article 14 ne relève d'aucune des matières énumérées par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale qui définit le champ des lois de financement de la sécurité sociale.

Tel qu'il est rédigé, cet article ne concerne pas l'organisation d'un régime obligatoire de base de la sécurité sociale. Il se borne à organiser les modalités facultatives d'organisation par les partenaires sociaux de la couverture des risques au sein des branches professionnelles dans le cadre d'un ou de plusieurs régimes complémentaires. Plusieurs députés et sénateurs ont, en vain, lors des débats, soulevé le caractère irrecevable de l'amendement du Gouvernement insérant l'article 14, dans la mesure où celui-ci ne concerne que des régimes complémentaires. En effet, le Conseil constitutionnel a, dans ses décisions n° 2005-544 DC et n° 2004-508 DC, jugé étrangères au domaine de la loi de financement des dispositions interdisant, pour l'une, la création de certains régimes de retraite complémentaire facultatifs, ou prévoyant, pour l'autre, d'associer les organismes d'assurance maladie complémentaire aux recours des organismes de sécurité sociale contre les tiers responsables.

Comme le rappelle le Conseil d'Etat3, le caractère obligatoire de ce régime complémentaire n'est pas de nature à rendre ces dispositions recevables en loi de financement4. Ce dernier a estimé qu'un article du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 qui étendait le bénéfice de la pension de réversion du régime de retraite complémentaire obligatoire des exploitants agricoles n'entrait pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale, dont le contenu ne peut concerner que les régimes obligatoires de base.

L'article 14, relatif, comme le prétend le Gouvernement, à la mise en oeuvre de la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés dont le principe a été voté dans la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin dernier, ne relève donc pas du domaine des lois de financement de la sécurité sociale.

- Le paragraphe comportant une modulation du forfait social pour les entreprises qui décideraient de choisir librement leur organisme assureur n'est pas de nature à rendre l'article 14 conforme à l'objet des lois de financement de la sécurité sociale

Madame la Ministre s'exprimait ainsi : « il y aura simplement une incitation fiscale : c'est précisément la raison pour laquelle cette disposition a sa place dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Vous pouvez faire toutes les digressions que vous souhaitez sur le thème du cavalier social : cela n'a pas de sens, puisque cet amendement, qui a une dimension fiscale, a toute sa place ici. » (5).

Les sénateurs requérants contestent vigoureusement une telle justification. La « dimension » fiscale de la mesure ne suffit pas, à elle seule, à justifier la place de cet article en loi de financement.

En effet, l'objet principal de l'article 14 (le 1° du I de l'article) concerne les modalités d'organisation par les partenaires sociaux de la couverture des risques au sein de chaque branche. L'objet principal de cet article n'a donc pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale comme démontré plus haut.

Le 3° du I de cet article se contente de tirer des conséquences du 1° en fixant une majoration ou une pénalité fiscale. Il s'agit ni plus ni moins d'un mécanisme de sanction ou d' « incitation ». La disposition dite « fiscale » ne constitue que l'accessoire de l'objet principal de l'article 14.

La présence d'une sanction ou d'une incitation fiscale dans l'article ne suffit donc pas à faire entrer la mesure dans le domaine de la loi de financement de la Sécurité sociale puisque cette mesure fiscale n'est pas séparable d'une mesure qui n'a pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale.

Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion d'appliquer une telle jurisprudence dans sa décision n°2012-662 DC sur la loi de finances pour 2013.

Selon le même raisonnement, l'article 14 constitue ainsi un « cavalier social » et doit être considéré comme ayant été adopté selon une procédure contraire à la Constitution.

- En tout état de cause, l'article 14 n'a pas une incidence financière suffisamment directe et conséquente sur les comptes de la sécurité sociale

Le Conseil constitutionnel a, notamment dans sa décision 2009-596 DC, déclaré non conformes à la Constitution des dispositions votées en loi de financement de la sécurité sociale n'ayant pas d'effet ou ayant un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Conformément à cette jurisprudence, une mesure n'ayant qu'une faible incidence financière n'a pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale.

Insérée dans la troisième partie de la loi de financement de la sécurité sociale relative aux recettes, cette mesure se contente de moduler, par dérogation, le forfait social dont devraient s'acquitter les seules entreprises qui décideraient de contracter avec un organisme assureur non recommandé par la branche. Pour celles qui respecteraient la recommandation de l'accord de branche, le forfait serait maintenu au taux qui s'applique habituellement pour ce type de contrat, soit 8 %. De même, en cas d'absence d'accord de branche et donc d'absence de recommandation, c'est le taux de 8% qui s'appliquerait.

Les recettes issues de cet article seront au mieux faibles et, en tout état de cause, incertaines. Le Gouvernement en a lui-même fait l'aveu en proposant, dans un premier temps, son insertion dans la quatrième partie du projet de loi relative aux dépenses avant de l'insérer par une rectification de son amendement, dans la troisième partie dudit projet de loi relative aux recettes.

Les sénateurs auteurs de la présente saisine ajoutent que, selon le II de l'article 14, le 3° du I, prévoyant la modulation du forfait social, n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2015. Ainsi, le seul paragraphe susceptible d'avoir une incidence, extrêmement faible, sur les recettes de la sécurité sociale sera dépourvu d'effet en 2014.

Cet article qui n'aura donc pas d'effet sur les recettes de la sécurité sociale en 2014, n'aura, par la suite, aucun effet ou un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ou des organismes concourant à leur financement. Or, notamment dans sa décision n°2003-486 DC, le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions aux motifs que celles-ci « par leur portée limitée, n'affecteraient pas de façon significative l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ».

L'article 14 ne trouve donc pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale et doit être déclaré contraire à la Constitution.

- Les sénateurs requérants estiment enfin que l'article 14, qui n'est pas motivé par un but d'intérêt général suffisant, porte atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre et est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.

Le Gouvernement présentait ainsi la mesure en séance publique: « cet amendement s'inscrit dans le cadre de la politique du Gouvernement qui vise à assurer à chaque salarié, quelle que soit l'entreprise dans laquelle il travaille, un bon niveau de protection complémentaire collective. Son objectif est l'équité, la justice sociale et l'efficience économique ».

Cependant, le texte même de l'article 14 n'est pas de nature à justifier que le mécanisme de la clause de recommandation permettra d'atteindre les objectifs ainsi posés. Comme ils l'ont déjà démontré, les sénateurs requérants rappellent que si l'objectif de l'article 14 est d' « assurer à chaque salarié, quelle que soit l'entreprise dans laquelle il travaille, un bon niveau de protection complémentaire collective », alors il est inutile, puisque l'article 1er de la loi de sécurisation de l'emploi suffit à permettre la généralisation et le bon niveau de cette protection complémentaire.

Rien ne permet en outre de prouver, dans le dispositif prévu, l'adéquation entre le but que le Gouvernement s'assigne (permettre une meilleure mutualisation dans un souci d'équité, de justice sociale et d'efficience économique) et le moyen qu'il met en oeuvre pour atteindre cet objectif (mettre en place une clause de recommandation).

L'article 14 ne renforce ni l'équité ni la justice sociale entre les salariés ni entre les entreprises, dans la mesure où, d'une part, les branches ne sont pas contraintes de recommander des organismes assureurs. Certaines entreprises et certains salariés seront donc susceptibles de n'être couverts par aucun accord offrant des « garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité ». D'autre part, le législateur ne définit pas avec précision le contenu de ces contrats et laisse donc aux partenaires sociaux toute latitude pour en fixer le contenu. Ainsi, il ne garantit pas l'équité entre les branches professionnelles.

L'article 14 ne garantit pas l'efficience économique En effet, la mutualisation est le principe qui sous-tend tout contrat d'assurance. Recommander tel ou tel organisme assureur en assortissant cette recommandation d'une incitation fiscale n'est pas générateur d'une meilleure mutualisation. Au contraire, limiter la mutualisation des risques à une même catégorie professionnelle ou une même activité peut avoir effet inverse, puisque la mutualisation se limite alors au seul périmètre de la branche concernée, ce qui fragilise la sécurité économique du régime. La mutualisation est nécessairement meilleure si elle est répartie sur l'ensemble des assureurs. De la même manière, concentrer les risques sur un seul ou sur un nombre limité d'organismes recommandés affaiblit la sécurité économique des entreprises et de leurs salariés (6).

Cette analyse est partagée par l'Autorité de la concurrence : « les bénéfices attendus d'une mutualisation des risques à l'échelle de l'ensemble de la branche doivent être relativisés. En effet, les prestations complémentaires en matière de santé diffèrent des prestations de prévoyance dite « lourde » par l'importance de leur fréquence - dix prestations par an et par bénéficiaire en moyenne - et le caractère modeste du montant moyen de remboursements. Le nombre d'assurés n'est donc pas, dans un tel contexte, un facteur déterminant dans la maîtrise de la sinistralité car il ne fait pas baisser la volatilité et ne diminue pas le coût de l'assurance »(7).

Ainsi, la mise en place d'une clause de recommandation ne facilitera nullement la généralisation de la complémentaire santé ni ne permettra une meilleure mutualisation des risques. L'article 14 ne répond donc à aucun des objectifs qu'il se fixe. Pour toutes ces raisons, les prétendus motifs d'intérêt général poursuivis par cet article et notamment la recherche d'une meilleure mutualisation au sein de chaque branche ne peuvent donc, à elles seules, justifier les atteintes, détaillées ci-après, portées aux principes constitutionnels susvisés.

- L'article 14 est contraire au principe de liberté contractuelle et de liberté d'entreprendre

Découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (« la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »), la liberté contractuelle est reconnue par le Conseil constitutionnel (2000-437 DC). Il a estimé que le législateur pouvait apporter à ce principe des limites justifiées par des fins d'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi (2006-543 DC, 2012-242 QPC, 2013- 672 DC). De même, le législateur ne peut, sans méconnaitre la Constitution et les principes constitutionnels porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.

L'article 14 n'est motivé par aucune exigence constitutionnelle et ne fait pas apparaître de motif d'intérêt général suffisant. La recherche d'une mutualisation au sein des branches professionnelles ne saurait à cet égard constituer un motif d'intérêt général suffisant puisque, comme le rappelle l'Autorité de la concurrence : « le nombre d'assurés n'est donc pas, . . ., un facteur déterminant dans la maîtrise de la sinistralité car il ne fait pas baisser la volatilité et ne diminue pas le coût de l'assurance. ». Ainsi, pour atteindre l'objectif d'intérêt général qui consiste à ce que les branches puissent organiser la protection des salariés par le biais de garanties collectives présentant un degré élevé de solidarité, il n'y a aucun besoin d'avoir recours à cette procédure de recommandation.

La nouvelle rédaction de l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle au regard de l'objectif poursuivi. Les entreprises bénéficieront d'une liberté de choix contrainte puisqu'elles n'auront aucune raison de se tourner vers l'organisme assureur de leur choix, dans la mesure où elles seront frappées par une fiscalité beaucoup plus lourde. Il ne s'agit donc pas d'une réelle mesure incitative, mais plutôt d'un mécanisme de sanction. Une vraie mesure d'incitation aurait plutôt constitué à minorer le taux appliqué aux entreprises qui respecteraient la recommandation émanant de leur branche.

La rédaction de l'article 14 est contraire à la liberté contractuelle en ce sens qu'elle dissuade les entreprises concernées de l'exercer. Il s'agit donc d'une recommandation « forcée » par la sanction qui est assortie à l'exercice de sa prétendue liberté et qui n'a, au fond, d'autre objectif que de réintroduire dans le code de la sécurité sociale les effets des clauses de désignations déclarées contraires à la Constitution au mois de juin dernier. Une telle atteinte à la liberté contractuelle n'est pas justifiée et est disproportionnée par rapport à l'objectif d'intérêt général prétendument poursuivi.

Les sénateurs auteurs de la saisine considèrent également qu'il est porté, par l'article 14, une atteinte injustifiée à la liberté d'entreprendre.

La liberté d'entreprendre, également tirée de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne saurait, selon le Conseil constitutionnel, être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives lui étaient apportées (81-132 DC). Il a également jugé qu'il était loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi (2010-89 QPC).

La majoration du forfait social qui sera appliquée aux entreprises qui ne suivraient pas la recommandation de leur branche constitue un outil suffisamment dissuasif pour que ces entreprises suivent la recommandation de leur branche. En effet, quelles sont les entreprises qui décideront, à garanties et prix exactement équivalents, de se tourner vers l'organisme assureur de leur choix, si elles voient leur forfait social plus que doublé ?

Les entreprises se rangeront donc massivement derrière la recommandation découlant de l'accord collectif de leur branche pour éviter d'avoir à surmonter la sanction fiscale qui constitue la contrepartie de leur liberté de choix. Ainsi, de très nombreux organismes assureurs se verront de facto exclus d'un marché, ce qui constitue une atteinte disproportionnée et injustifiée à la liberté d'entreprendre.

Enfin, il convient d'ajouter que les organismes assureurs recommandés bénéficieront d'une position prédominante par rapport à leurs concurrents sur le marché leur permettant de proposer, au-delà des risques garantis au niveau de la branche, d'autres types de produits d'assurance aux salariés de la branche à des tarifs différents. L'autorité de la concurrence l'a rappelé en mars dernier (8). Si la volonté d'offrir aux salariés des garanties collectives présentant un haut degré de solidarité était réellement la volonté du législateur, il aurait dû imposer à l'organisme recommandé de se concentrer sur le seul objectif de solidarité que l'accord collectif impose, et ainsi lui interdire de proposer aux entreprises couvertes par la clause de recommandation tout produit « surcomplémentaire » ne correspondant pas exactement à ce que l'accord collectif impose.

Ainsi, avoir substitué à la désignation un mécanisme de recommandation, ne suffit pas à garantir la constitutionnalité de l'article 14, puisque cette recommandation est si contraignante pour les entreprises, qu'elle a les effets d'une désignation. Ce nouveau mécanisme ne préserve pas la liberté contractuelle des entreprises comme il le prétend, puisque celles-ci devront s'acquitter d'un forfait social deux fois plus élevé si elles décident d'exercer leur libre choix en s'affranchissant de la recommandation de la branche à laquelle elles appartiennent sans qu'aucun motif d'intérêt général suffisant ne le justifie. Il contrevient en outre à la liberté d'entreprendre en excluant du marché les organismes assureurs n'ayant pas fait l'objet d'une recommandation, y compris dans le cas où ils proposeraient des contrats présentant des garanties ayant un haut degré de solidarité au moins équivalent à celui déterminé par la branche.

L'ensemble de ces raisons doit conduire le Conseil constitutionnel à déclarer l'article 14 contraire à la Constitution.

- L'article 14 engendre rupture d'égalité devant les charges publiques

Le principe d'égalité devant les charges publiques est tiré de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le Conseil constitutionnel a plusieurs fois rappelé que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (notamment, 2008-571 DC).

Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il appartenait « au législateur, lorsqu'il institue une imposition, d'en déterminer librement l'assiette et le taux, sous réserve du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle et compte tenu des caractéristiques de l'imposition en cause ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il devait fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose (2000-437 DC).

Comme démontré plus haut, les sénateurs requérants estiment que les justifications ayant présidé à l'adoption de l'article 14 (par la seule Assemblée nationale, le Sénat l'ayant rejeté avec les voix de cinq des six groupes le constituant) ne sont ni suffisamment objectives ni rationnelles. En effet, ce n'est pas le législateur qui fixe ici les critères déterminant ce que doivent recouvrir les contrats proposant garanties collectives ayant un degré élevé de solidarité. Il délègue au contraire cette mission aux branches professionnelles. L'article 14 fait donc dépendre l'inégalité de traitement concernant l'application ou non d'un forfait social majoré aux entreprises concernées des partenaires sociaux de sélectionner tel organisme plutôt qu'un autre sans que le législateur ait préalablement défini précisément les critères auxquels devraient répondre les contrats proposés par ces organismes. La rupture d'égalité reposera donc uniquement sur la décision des partenaires sociaux et non sur le contenu objectif des contrats visés.

Si une entreprise couverte par une clause de recommandation choisit un organisme assureur différent de celui recommandé par l'accord collectif, elle subira un doublement du forfait social dont elle devra s'acquitter. Un tel mécanisme de sanction, que rien ne permet de justifier, est parfaitement disproportionné.

Il n'existe ainsi que deux situations qui autorisent des dérogations au principe d'égalité devant les charges publiques : la nécessité de régler de façon différente des situations différentes, ou bien des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte, soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. L'article 14 n'est justifié par aucune de ces deux situations.

Une telle rupture d'égalité n'est pas justifiée par la nécessité de traiter de manière différente des situations différentes.

Ainsi, deux entreprises choisissant de contracter, à garanties exactement identiques, avec deux organismes assureurs différents, le premier recommandé par la branche, le second ne l'étant pas, devront s'acquitter d'un forfait social différent. Une telle différence de traitement ne trouve donc pas sa justification dans la nécessité de régler différemment deux situations différentes.

Cette rupture d'égalité n'est pas justifiée par un objectif d'intérêt général suffisamment probant. Car comme démontré plus haut :

- l'objectif de l'article 14 n'est pas de permettre la généralisation de la complémentaire santé pour tous les salariés puisque c'est l'objet de l'article 1er de la loi de sécurisation de l'emploi ;

- la recommandation d'un seul ou d'un petit nombre d'organismes assureurs n'est pas nécessaire à la mutualisation des risques. Cet objectif d'intérêt général est assuré par les principes même du système assurantiel.

Enfin, cette rupture d'égalité n'a pas de rapport direct avec l'objectif de la loi qui est, selon le gouvernement, de permettre une bonne protection des salariés. Il n'existe aucun rapport direct entre cet objectif et la majoration du forfait social.

Ainsi, cette disposition engendre une rupture caractérisée de l'égalité des personnes concernées devant les charges publiques, qu'aucune différence de situation ni aucun motif d'intérêt général suffisant n'est de nature à justifier. C'est pourquoi l'article 14 de la présente loi doit être déclaré contraire à la Constitution.

D. S'agissant d e l'article 47 de la loi déférée :

Cet article tend à promouvoir la diffusion des médicaments biologiques similaires en autorisant la « substitution » en initiation de traitement par le pharmacien.

Aussi, les requérants estiment que l'article 47 relève du « cavalier social », tel que défini à l'article 34 alinéa 20 de la Constitution.

Le Conseil Constitutionnel fonde son contrôle de constitutionnalité sur l'impact financier de la disposition soumise à son examen. En d'autres termes, doit être considéré comme cavalier social une disposition d'une loi de financement de la sécurité sociale qui n'a pas d'effet financier direct.

L'étude d'impact nous révèle seulement que cette disposition « devrait permettre à la collectivité de tirer pleinement partie des chutes de brevet des médicaments biologiques grâce au développement de ce marché et d'accroître les économies pour l'assurance maladie par des mesures progressives de baisse des prix ». La lecture de l'évaluation des impacts de la mesure nous indique clairement que cette mesure ne peut avoir d'effet direct sur les dépenses de l'assurance maladie, et que si effet il doit y avoir, celui-ci n'interviendra pas avant 2016, et à la faveur d'un impact incertain sur le bénéfice tiré de la chute de brevet qui lui-même entrainerait une baisse des prix non moins hypothétique.

Pour ces raisons, les dispositions de l'article 47 relatives à la promotion des médicaments biologiques similaires relèvent d'une loi de santé publique et non d'une loi de financement de la sécurité sociale et doivent donc être déclarées comme contraire à la Constitution.

Les requérants estiment par ailleurs que les dispositions précitées sont contraires à l'alinéa 11 du préambule de la constitution de 1946 qui garantit la protection de la santé.

En effet, comme le souligne Olivier Dutheill et de Lamothe dans les cahiers du Constitutionnel sur les normes constitutionnelles en matière sociale, « Le Conseil constitutionnel a également déduit du 11e alinéa du Préambule de 1946 un droit à la protection de la santé » (9).

Il résulte de cette exigence constitutionnelle une jurisprudence qui s'attache à vérifier que les conditions de sécurité ont été prises pour que la santé ne soit pas menacée. Tel est le cas de la décision du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception où le Conseil Constitutionnel déclara conformes à la Constitution les dispositions de l'article 2 de la loi précitée au motif que la santé de la femme n'était pas menacée (10).

Aussi, il convient d'examiner les dispositions de l'article 55 en s'assurant de l'absence de menaces sur la santé des personnes qui auront recours à ces traitements médicamenteux.

Or, la prescription par le médecin d'un médicament biosimilaire est très technique et tient compte du profil de chaque patient, aussi, en conférant au pharmacien d'officine la possibilité de prescrire un médicament biologique, même en initiation de traitement, on ne peut pas garantir aux patients que le nouveau traitement ne sera pas sans effets nocifs pour ces derniers.

En effet, le pharmacien est dans l'impossibilité de savoir si le patient est naïf de traitement, dans le cas fréquent où le patient n'aurait pas de dossier pharmaceutique. Le dossier pharmaceutique ne couvrant pas la moitié des Français.

Aussi, par les présentes dispositions de l'article 48, le législateur n'est pas en mesure de garantir que l'utilisation des médicaments biologiques ne sera pas sans effets secondaires pour les patients, et est donc contraire au principe constitutionnel de droit à la protection de la santé reconnu à l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946. De ce fait, l'article 47 doit être déclaré contraire à la Constitution.

E. S'agissant de l'article 48 de la loi déférée :

Les requérants font valoir que l'article 48 est lui aussi contraire au principe constitutionnel énoncé à l'alinéa 11 du préambule de la constitution de 1946 qui garantit la protection de la santé.

L'article 48 prévoit le reversement à l'assurance maladie de la différence entre le prix fixé par le Comité économique des produits de santé lorsque le médicament sous autorisation temporaire d'utilisation (ATU) obtient une autorisation de mise sur le marché (AMM), et le montant notifié par le laboratoire au moment où celui-ci bénéficiait d'une ATU.

En conséquence, l'article 48 va empêcher les patients sans alternative thérapeutique de bénéficier du système des autorisations temporaires d'utilisation, les ATU.

En effet, les patients dont l'indication de traitement n'est pas incluse dans les ATU initiales ne pourront bénéficier de la procédure dérogatoire. Ils ne seront donc pas éligibles au remboursement, et donc à la prescription d'une molécule innovante pourvue d'une autorisation de mise sur le marché tant que le prix de ce médicament n'aura pas été officialisé.

Or le périmètre d'indication d'autorisation temporaire d'utilisation est plus restreint que celui qui a été obtenu lors de l'autorisation de mise sur le marché, l'AMM. Cette mesure sera donc une source de régression majeure dans l'accès aux traitements les plus innovants pour les patients atteints de pathologies graves.

Aussi, puisque l'article 48 va empêcher les patients sans alternative thérapeutique de bénéficier des dernières innovations thérapeutiques, l'article précité est contraire au principe constitutionnel énoncé à l'alinéa 11 du préambule de la constitution de 1946 qui garantit la protection de la santé, et doit donc être déclaré contraire à la Constitution.

F. S'agissant de l'article 49 de la loi déférée :

L'article 49 de la loi de financement de la sécurité sociale 2014 a pour objet de modifier les règles relatives aux plafonds des remises sur les médicaments remboursables (article L.138-9 du code de la sécurité sociale), tout en introduisant une obligation de déclaration de ces plafonds, à la charge des seuls fournisseurs des officines de spécialités génériques (nouvel article L.138-9-1 du même code).

Le Conseil constitutionnel considère que des dispositions n'ont pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale lorsqu'elles « n'ont pas d'effet direct ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires » (11)

Concernant les dispositions de l'article 49, I, 1° et 2°, paragraphe 1, il apparaît qu'elles ont un effet incertain et trop indirect sur les dépenses de l'assurance maladie.

L'objectif du texte est de permettre au comité économique des produits de santé (CEPS) d'adapter la décote aux remises effectivement pratiquées. Or, les remises et rémunérations de services négociées par le pharmacien pouvant aller jusqu'à 50% ne pourraient être répercutées qu'au mieux avec un retard important, et encore à condition que le CEPS ajuste le prix à la baisse suite aux déclarations des laboratoires de génériques.

G. S'agissant de l'article 82 de la loi déférée :

L'article 82 du projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit de confier à la Mutualité Sociale Agricole (MSA) la totalité de la gestion des branches maladie (Amexa) et accidents du travail (Atexa) des exploitants agricoles. La protection sociale de l'exploitant agricole a été organisée par les lois de 1961 et de 2001. Les assurés ont le libre choix de leur assureur. Ce principe est inscrit dans la loi aux articles L 731-30 et L 752-13 du code rural.

Par décision 2012-659 DC du 13 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de l'article 37 du PLFSS 2013 qui prévoyait le transfert de la propriété des réserves du Gamex à la CCMSA. Il a estimé que les dispositions qui opéraient, à l'égard des assureurs privés, la centralisation de la trésorerie au niveau de la Caisse centrale de la MSA n'en étaient pas séparables et les a également déclarées contraires à la Constitution.

Certes le contexte de l'article 82 est différent mais ses dispositions sont contraires à la Constitution pour les raisons suivantes :

- La nécessité publique n'est pas démontrée

Aucune faute de gestion n'est en effet reprochée aux organismes dessaisis de la gestion des branches maladies et accidents et l'efficience de la gestion du service public alléguée n'est justifiée que par des économies de coûts de contrôles dont l'évaluation n'est pas expliquée et par des suppressions de dotations dont les montants sont cités et seraient inférieurs à des coûts de gestion marginaux des caisses des MSA, sans que ces derniers soient précisément évalués.

- Le caractère effectif, juste et préalable de l'indemnisation n'est pas respecté

L'article 82 prévoit une indemnisation « susceptible » de résulter d'un transfert de gestion, ce qui revient à en contester le principe en le subordonnant à la procédure d'indemnisation.

Cette indemnisation est ensuite renvoyée à une procédure dont le caractère préalable n'est pas affirmé par ce texte.

Enfin en supprimant les « groupements », et en indiquant que la « gestion » des réserves est

« assurée » par la CCMSA, le Gouvernement cherche à contourner la décision précitée mais le but reste le même : capter les réserves constituées sur la gestion de ces régimes.

- Or, les groupements ne disposent pas de « réserves antérieurement constituées pour le compte des branches instituées » pour la gestion des deux régimes obligatoires agricoles

Les deux groupements ont pour objet d'encaisser les cotisations et de payer les prestations pour le compte de la CCMSA. Ils ne portent pas le risque qui est assumé par la CCMSA. Celle-ci a en effet pour mission «d'assurer la gestion de risques ou de fonds dans les cas prévus par la législation » (article L 723-11 3°). La MSA est également « chargée de la gestion de la trésorerie des différentes branches du régime » (article L. 731-1).

Pour assurer leurs missions, les deux groupements appellent donc auprès de la CCMSA les fonds nécessaires et reversent à la CCMSA les fonds qu'ils encaissent. Les comptes techniques (produits des cotisations et montants des prestations) sont portés en comptes de tiers aux bilans des deux associations (soldes débiteurs et créditeurs des opérations techniques) et sont donc sans influence sur le résultat de chacune des associations.

- Ensuite, les fonds associatifs du Gamex et de l'Aaexa sont constitués par le résultat de la gestion de l'exploitation des deux associations et n'ont pas le caractère de réserves techniques.

Le Gamex dispose de fonds associatifs au 31 décembre 2012 d'un montant positif de 17, 6 MEUR. Pour l'Aaexa, ces fonds associatifs sont négatifs à hauteur de 4,7MEUR.

Ces fonds associatifs sont le cumul des résultats de gestion administrative (produits d'exploitation diminués des charges d'exploitation : personnels, informatique etc. . .) constatés sur les exercices passés. Ces fonds associatifs sont l'équivalent pour une société de ses capitaux propres. Le Gamex a été créé en 1961. L'Aaexa a été créé en 2001. Ces deux groupements reçoivent chaque année des dotations, en application du contrat d'objectif et de performance qui a été négocié avec le Ministère de l'agriculture (le dernier en date pour les années 2014 et 2015), à charge pour les gestionnaires d'équilibrer autant qu'il est possible ces gestions.

- Enfin, ces fonds associatifs, qu'ils soient positifs ou négatifs, appartiennent aux associations.

Suivant les statuts des deux associations, « L'Assemblée Générale décide de l'affectation de l'excédent éventuel des recettes sur les dépenses » (art 10 des statuts du Gamex et art 10 des statuts de l'Aaexa).

Les statuts de ces associations, comme pour toute association, ne permettent pas de distribuer les excédents à leurs membres. La seule possibilité est de les affecter en report à nouveau. Ce qui est fait pour le Gamex en report positif. Et ce qui est fait pour l'Aaexa en report négatif.

-La reprise par la CCMSA de ces fonds associatifs méconnaîtrait le principe fondamental reconnu par la loi de la République de la liberté associative.

Les groupements, supprimés par le I de l'article 82, subsistent en tant qu'associations. Associations aux statuts agréés, dotées de prérogatives de puissance publiques, elles reçoivent des dotations et sont soumises à des contrôles de plusieurs niveaux des services de l'Etat.

Or, les instances statutaires du GAMEX ou de l'Aaexa n'ont jamais été saisies ni consultées sur la disposition contestée ce qui est d'abord une atteinte directe et manifeste à leur autonomie. Le transfert, sans délibération des instances statutaires, de « la gestion de ses réserves » à un tiers (la CCMSA) qu'elles n'ont donc pas choisi, réduit leur autonomie de gestion et de gouvernance et méconnait la liberté associative.

Il appartient en effet à leurs administrateurs, conformément aux statuts, de « décider souverainement » de l'affectation des résultats positifs ou négatifs et en particulier de ceux à venir pour les exercices 2013 et 2014. Il leur appartiendra également de procéder s'ils l'entendent ainsi à la dissolution des associations en désignant un ou plusieurs liquidateurs.

Cette disposition de gestion des « réserves » par la CCMSA reviendrait donc de fait à instaurer un régime d'autorisation contraire au principe de liberté associative en portant une atteinte substantielle au principe -qui en est son corollaire- de libre administration tel que posé par les articles 5 et 6 de la loi du 1er juillet 1901(12).

C'est pourquoi l'article 82 de la présente loi doit être déclaré contraire à la Constitution.

(1) Cf dossier de presse du 26 septembre 2013 du PLFSS pour 2014, page 11.

(2) Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.

(3) Il convient de noter que le Gouvernement, y compris dans l'exposé des motifs de son amendement, n'a cessé de se prévaloir du fait qu'il avait consulté le Conseil d'Etat. Si cette consultation a bien eu lieu sur le fond de la mesure, elle n'a en revanche pas été effectuée dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, ce qui ne lui a pas permis de se prononcer sur sa recevabilité.

(4) Rapport annuel du Conseil d'Etat 2010, page 128.

(5) Assemblée nationale, débats du 23 octobre 2013.

(6) Voir à cet égard l'intervention en séance publique du Sénateur Jean Desessard (Groupe EELV), le 13 novembre 2013 : « [La mutualisation est] en réalité bien mieux garantie par une mutualisation transversale, interbranches, que par une mutualisation de branche, le plus souvent homogène. Il existe en effet un risque systémique à concentrer les risques de branche sur un même organisme assureur, par exemple dans le cas où surviendraient des pathologies de branche, telles celles liées à l'amiante, pathologies qu'il convient évidemment de prévenir.

En outre, la mutualisation par branche génère d'importantes inégalités, les branches étant plus ou moins riches.

Cette segmentation des risques et des revenus peut même être vue comme un détournement de la mutualisation, d'autant que les branches à hauts revenus ne sont généralement pas celles qui présentent les risques les plus élevés. Les hauts revenus ne payeront donc plus les risques supérieurs des plus pauvres.

Par conséquent, il me semble que l'argument d'une meilleure mutualisation est non seulement infondé, mais socialement dangereux. »

(7) Avis de l'Autorité de la concurrence n° 13-A-11 du 29 mars 2013

(8) Extrait de l'avis de l'autorité de la concurrence du 29 mars 2013 : « Dans ce contexte, l'organisme ou les organismes désignés sont placés dans une position prédominante par rapport à leurs concurrents sur le marché, sur laquelle ils sont à même de se fonder pour proposer d'autres types de produits d'assurance aux salariés de la branche, tels que des services d'assurance destinés à renforcer la couverture en matière de prévoyance (dits de « sur complémentaire »), ou tout autre produit d'assurance de personnes ou de biens. »

(9) Dutheillet de Lamothe Olivier, Les normes constitutionnelles en matière sociale, Les cahiers du Conseil Constituionnel, n°29, octobre 2010.

(10) Décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, considérant n°7.

(11) Décision Conseil constitutionnel, n°2012-659 DC du 13 décembre 2012 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, considérant 64.

(12) Décision n° 96-DC 9 avril 1996 cons 43, Décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011 et son commentaire aux Cahiers


Références :

DC du 19 décembre 2013 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 19 décembre 2013 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2013-682 DC du 19 décembre 2013
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2013:2013.682.DC
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