Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 12 mai 2023 par lequel le préfet de la Moselle, après lui avoir retiré son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, laquelle fixe le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office à l'issue de ce délai, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2303505 du 30 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 juillet 2023, le 8 août 2023 et le 25 octobre 2023, Mme B... C..., représentée par Me Ticot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 30 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 12 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le mois de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier car le tribunal a commis une erreur d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été signée par une autorité incompétente ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît le 9° de l'article L. 611-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale en conséquence ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'interdiction de retour est illégale en conséquence ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2023, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Durup de Baleine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C..., ressortissante géorgienne née en 1971, est entrée sur le territoire français, le 24 juillet 2022 d'après ses déclarations, accompagnée de son fils A..., né le 2 mai 2006. La demande d'asile qu'elle avait présentée en son nom et en celui de son fils mineur a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 17 février 2023. Elle relève appel du jugement du 30 juin 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 12 mai 2023 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination en cas d'éloignement d'office à l'issue de ce délai et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si la requérante fait valoir que le tribunal administratif a commis une erreur d'appréciation, un tel moyen, qui ne se rapporte qu'au bien-fondé de ce jugement, est étranger à sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 21 octobre 2022, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Moselle le 21 octobre 2022, le préfet de la Moselle a donné délégation au signataire de l'arrêté du 12 mai 2023, directeur adjoint de l'immigration et de l'intégration à la préfecture de la Moselle, à l'effet de signer un arrêté d'une telle nature, en toutes les décisions qu'il comporte. Il en résulte que le moyen tiré de l'incompétence de ce signataire manque en fait.
4. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ".
5. Il ressort des pièces du dossier qu'à supposer qu'à l'époque, au mois de mai 2023, de l'arrêté du 12 mai 2023, l'état de santé de la requérante aurait nécessité une prise en charge médicale dont le défaut aurait pu avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, elle pouvait bénéficier effectivement d'un traitement approprié en Géorgie, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans ce pays, traitement approprié dont il ressort du dossier qu'elle avait déjà bénéficié dans ce pays avant sa venue en France. Il en résulte que les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne faisaient pas obstacle à ce qu'il lui soit fait obligation de quitter le territoire français.
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
7. Il ressort des pièces du dossier que le séjour de Mme C... en France, remontant selon ses déclarations au mois de juillet 2022, est très récent. Elle ne justifie pas de liens personnels, de nature privée, notamment familiale, anciens et stables sur le territoire français. La demande d'asile qu'elle avait présentée a été rejetée et la circonstance qu'elle a pu bénéficier d'une prise en charge médicale en France ne caractérise pas un établissement de sa vie privée et familiale en France, son fils pouvant pour sa part poursuivre sa scolarité en Géorgie, en dépit du handicap l'affectant depuis la naissance. Dès lors, eu égard à la durée et aux conditions du séjour de la requérante en France, comme aux effets d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, le préfet de la Moselle n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été prise cette décision, qui, par suite, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Compte tenu de ce qui a été dit quant à la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que celle fixant le pays de destination en cas d'éloignement d'office à l'issue du délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité de cette obligation.
9. Aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision de mise en œuvre d'une décision prise par un autre État, d'une interdiction de circulation sur le territoire français, d'une décision d'expulsion, d'une peine d'interdiction du territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire français. ". Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Selon cet article 3 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
10. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que la requérante, dont d'ailleurs la demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 17 février 2023 et au surplus par une décision de la Cour nationale du droit d'asile le 17 juillet 2023 et qui en outre, accompagnée de son fils, a regagné la Géorgie le 13 janvier 2024, serait menacée dans sa vie ou sa liberté dans ce pays ou qu'elle risquerait d'y être soumise à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il en résulte qu'elle n'est pas fondée à prétendre que la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. Compte tenu de ce qui a été dit quant à la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant un an est illégale en raison de l'illégalité de cette obligation.
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision d'interdiction de retour sur le territoire français pendant un an porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante, qui a vécu pendant environ cinquante ans en Union soviétique puis en Géorgie et qui ne justifie d'aucune impossibilité de poursuivre sa vie personnelle dans le pays dont elle est la ressortissante. Par suite, cette décision ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".
14. L'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'énumère l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
15. La durée du séjour de Mme C... en France, remontant au mois de juillet 2022, est très brève et elle ne justifie d'aucune attache personnelle particulière dans ce pays. Elle peut bénéficier en Géorgie d'une prise en charge médicale appropriée et il ressort du dossier qu'elle bénéficiait déjà d'une telle prise en charge avant son arrivée en France en 2022. Contrairement à ce qu'elle soutient, la circonstance que son état de santé nécessite une prise en charge médicale ne caractérise pas en elle-même une circonstance humanitaire, la prise en charge dont elle a bénéficié en France, où elle ne justifie pas être entrée dans des conditions régulières, pouvant se poursuivre en Géorgie. Dès lors, le préfet de la Moselle a pu légalement et sans erreur d'appréciation lui faire interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, qui n'est pas disproportionnée.
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., au ministre de l'intérieur et à Me Marine Ticot.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 novembre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : A. Durup de BaleineL'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
Signé : A. Barlerin
Le greffier,
Signé : A. Betti
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 23NC02484