Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La banque Themis a demandé au tribunal administratif de Montreuil, par trois recours distincts, d'annuler la décision du 15 octobre 2018 par laquelle l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui a demandé de payer la somme de 2 881 908,07 euros au titre des engagements de caution accordés à la société Doux, le titre exécutoire émis le 1er avril 2019 par FranceAgriMer mettant à sa charge une somme du même montant en vertu des mêmes engagements, ainsi que le titre exécutoire émis le 9 octobre 2019 par cet établissement mettant à sa charge la somme réduite à un montant de 2 509 469,27 euros en vertu des mêmes engagements.
Par un jugement nos 1903019, 1903025, 1905658 du 14 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes, auquel le tribunal administratif de Montreuil a transmis les demandes de la banque Themis, a dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les demandes relatives à la décision du 15 octobre 2018 et au titre exécutoire du 1er avril 2019 à concurrence de la somme de 372 438,80 euros et a rejeté le surplus des demandes de la banque Fiducial, venant aux droits de la banque Themis.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 13 janvier 2023 sous le n° 23NT00115 et des mémoires enregistrés les 6 novembre 2023 et 4 janvier 2024, ce dernier non communiqué, la banque Fiducial, représentée par Me Tardieu Confavreux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 novembre 2022 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) d'annuler la décision de FranceAgriMer du 15 octobre 2018 et les titres exécutoires émis le 1er avril 2019 et le 9 octobre 2019 par cet établissement public ;
3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché :
* d'une erreur dans la qualification juridique des engagements de caution consentis par elle, dès lors que ceux-ci étaient des cautions à objet spécial et non des cautions à objet général ;
* d'une erreur d'appréciation en estimant que les avances prétendument cautionnées avaient été effectivement réglées à la société Doux ;
* d'une erreur de droit au regard des règlements communautaires, dans la mesure où ceux-ci faisaient obstacle à l'exigibilité des cautions ;
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que les créances prétendues de FranceAgriMer sur elle n'étaient pas exigibles ou, en tout état de cause, a commis une erreur d'appréciation en regardant l'établissement public comme ayant apporté la preuve de cette exigibilité ;
- il a répondu à des moyens qui n'étaient pas soulevés, tenant à la qualité de la marchandise exportée par la société Doux, à l'inapplicabilité des règles françaises en matière de caution et à l'illégalité externe des titres de recette contestés ;
- les sommes en cause ne pouvaient pas légalement être mises à sa charge par FranceAgriMer par les décisions en litige, dès lors que :
* à titre principal, il n'est pas établi que les créances qui lui sont réclamées au titre de ses engagements de caution consentis à la société Doux correspondent effectivement aux dettes dont elle s'était portée caution, les documents produits par l'établissement public pour demander leur mise en œuvre ne permettant pas d'identifier les obligations qui font l'objet de ces cautions ; les décisions contestées ne sont pas suffisamment motivées à cet égard ;
* à titre subsidiaire, il n'est pas établi que les avances en cause aient effectivement été versées à la société Doux ou qu'elles auraient dû être reversées par cette société, certains des documents produits par FranceAgriMer pour démontrer ces versements en particulier ayant été faits par lui-même ;
* à titre encore plus subsidiaire, les engagements de caution consentis par elle entre le 15 novembre 2012 et le 28 février 2013 n'ont été appelés par FranceAgriMer qu'après l'expiration du délai de prescription de quatre ans prévu par l'article 3 du règlement n°2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes et correspondent donc à des créances prescrites ; l'ensemble de ces engagements était frappé de caducité, et notamment ceux qui ne correspondraient pas à des créances prescrites, dès lors qu'en application des articles 18 et 28 du règlement d'exécution (UE) n° 282/2012 du 28 mars 2012, la procédure d'acquisition de la garantie doit être appliquée immédiatement, dès que le délai pour prouver le droit à l'octroi définitif du montant avancé, en l'espèce de douze mois, est dépassé.
Par des mémoires, enregistrés les 26 septembre et 29 novembre 2023, l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par Me Alibert, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la banque Fiducial au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le moyen tiré de la prescription de la créance en application de l'article 3 du règlement n°2988/95 du 18 décembre 1995 est inopérant, dès lors que les mesures et sanctions, susceptibles d'être prescrites en vertu de l'article 3 de ce règlement, ne s'appliquent selon son article 7, qu'aux personnes ou entités ayant commis l'irrégularité, ayant participé à la réalisation de l'irrégularité, ou qui sont tenues d'en répondre ou d'éviter qu'elle soit commise, la banque n'entrant dans aucun de ces cas ;
- les moyens soulevés par la banque Fiducial ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2023, sous le n° 23NT00123, la banque Fiducial, conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens que dans la requête enregistrée sous le n° 23NT00115.
Par une ordonnance du 18 janvier 2023, cette requête a été dispensée d'instruction.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 ;
- le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 ;
- le règlement (CE) n° 612/2009 de la commission du 7 juillet 2009 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 282/2012 de la Commission du 28 mars 2012 ;
- le règlement délégué (UE) n° 907/2014 de la Commission du 11 mars 2014 ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Catroux,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public ;
- et les observations de Me Tardieu Confavreux, représentant la banque Fiducial et de Me Alibert, représentant FranceAgriMer.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 23NT00115 et n° 23NT00123 présentées par la banque Fiducial sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. La société Doux a bénéficié, en application du règlement (CE) n° 612/2009 du
7 juillet 2009, du régime des restitutions à l'exportation pour la commercialisation de viande de volaille congelée dans des pays tiers à l'Union. Elle s'est vu octroyer, dans ce cadre, de la part de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) des avances sur ces restitutions. Ces avances ont été accordées en contrepartie de la constitution de garanties à objet spécial égales aux montants des avances, majorés de 10%. Pour un certain nombre d'opérations, les garanties requises ont été fournies sous la forme d'engagements de caution qui lui ont été consenties par la banque Themis à laquelle s'est substituée la Banque Fiducial. A la suite de contrôles effectués par les services des douanes, FranceAgriMer a estimé que la société Doux n'avait pas respecté les obligations relatives à la qualité des marchandises, objet de ces exportations, du fait du dépassement des plafonds réglementaires en matière de teneur en eau de la viande de volaille exportée prévues par l'article 15 du règlement (CE) n°543/2008 du 16 juin 2008, et que la société ne justifiait pas de conditions particulières obligatoires dans le pays de destination ne correspondant pas aux normes ou usages en vigueur au sein de l'Union. FranceAgriMer a émis plusieurs titres exécutoires à l'encontre de cette société au cours des années 2013, 2014 et 2015, qui ont été contestés devant le tribunal administratif de Rennes.
3. A la suite des jugements du 11 avril 2018 de ce tribunal rejetant ces contestations, et en l'absence de paiement par la société Doux des sommes dues, FranceAgriMer a informé la banque Fiducial, par un courrier du 4 juin 2018, qu'elle devait s'acquitter, au titre des engagements de caution consentis à la société Doux, de la somme de 2 881 908,07 euros. En réponse à ce courrier, la banque Themis a fait valoir qu'elle n'était pas tenue au paiement de cette somme par des courriers des 8 juin et 17 septembre 2018. Par une décision du 15 octobre 2018, FranceAgriMer a, toutefois, maintenu sa demande tendant au versement de la somme de 2 881 908,07 euros sur le fondement de ces actes de caution. La banque Fiducial a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'annuler la décision du 15 octobre 2018. Par une décision du 1er avril 2019, valant titre exécutoire, que la banque Themis a également contestée devant le même tribunal, la directrice générale de FranceAgriMer a mis à sa charge l'obligation de payer la somme de 2 881 908,07 euros. Puis, par une décision du 9 octobre 2019, intervenant au cours de ces instances et également contestée devant le tribunal administratif de Montreuil, elle a réduit de 372 438,80 euros la somme mise à la charge de la banque Themis pour la ramener à un montant de 2 509 469,27 euros. Par un jugement du 14 novembre 2022, dont la banque Fiducial relève appel, le tribunal administratif de Rennes, auquel les demandes de la banque avaient été transmises, a dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les demandes relatives à la décision du 15 octobre 2018 et au titre exécutoire du 1er avril 2019 à concurrence de la somme de 372 438,80 euros et a rejeté le surplus des demandes de la banque Fiducial, venant au droit de la banque Themis.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. En premier lieu, si la banque Fiducial soutient que le jugement attaqué est entaché de défauts d'erreurs de qualification juridique, de droit et d'appréciation, ces critiques sont relatives au bien-fondé du jugement et ne peuvent donc être utilement invoquées pour en contester la régularité.
5. En deuxième lieu, le tribunal a relevé au point 9 de son jugement que la banque ne contestait pas avoir souscrit vingt-deux engagements de caution au bénéfice de la société Doux pour un montant total de 5 871 958,61 euros pour des exportations à réaliser entre les mois d'octobre 2012 et août 2013. Il a relevé au point 10 de ce jugement qu'il résultait de l'instruction que dix-neuf de ces engagements ont donné lieu à la réception d'un dossier de régularisation auquel l'établissement public a attribué un numéro et à son point 11 que la banque ne produisait aucun acte de mainlevée totale. Dès lors, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments de la banque Fiducial, a ainsi apporté une réponse, contrairement à ce que cette dernière soutient, au moyen qu'elle avait invoqué tenant à la non-exigibilité et à l'inexistence des créances réclamées par FranceAgriMer, moyen qui devait être regardé comme un moyen relatif au bien-fondé de ces créances. Le jugement est ainsi suffisamment motivé.
6. En dernier lieu, la circonstance que le tribunal aurait répondu à des moyens qui n'auraient en réalité pas été soulevés est, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité du jugement attaqué, dès lors que ces moyens ont été écartés.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'étendue du litige :
7. Les conclusions de la banque Fiducial doivent être regardées comme dirigées contre la décision du 15 octobre 2018 et la décision du 1er avril 2019 valant titre exécutoire en tant qu'elles portent obligation de paiement d'une somme de 2 509 469,27 euros après la réduction, par la décision du 9 octobre 2019, du montant mis à la charge de la requérante.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation des décisions contestées et de décharge de l'obligation de payer la somme de 2 509 469,27 euros :
8. D'une première part, aux termes de l'article 162 du règlement (CE) n° 1234/2007 du 22 octobre 2007 : " 1. Dans la mesure requise pour permettre la réalisation des exportations sur la base des cours ou des prix du marché mondial et dans les limites découlant des accords conclus conformément à l'article 300 du traité, la différence entre ces cours ou ces prix et les prix de la Communauté peut être couverte par une restitution à l'exportation : a) pour les produits des secteurs suivants exportés en l'état : (...) / viii) viande de volaille (...) ". Aux termes de l'article 7 du règlement (CE) n° 612/2009 du 7 juillet 2009 : " 1. Sans préjudice des dispositions des articles 15 et 27, le paiement de la restitution est subordonné à la production de la preuve que les produits pour lesquels la déclaration d'exportation a été acceptée ont, au plus tard dans un délai de soixante jours à compter de cette acceptation, quitté en l'état le territoire douanier de la Communauté. (...) ". Aux termes de l'article 25 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 15 et sans préjudice de l'article 27, une partie de la restitution est payée sur demande de l'exportateur dès que la preuve est apportée que le produit a quitté le territoire douanier de la Communauté. (...) ". Aux termes de l'article 28 de ce règlement : " 1. Aucune restitution n'est octroyée lorsque les produits ne sont pas de qualité saine, loyale et marchande le jour d'acceptation de la déclaration d'exportation. (...) ".
9. D'une deuxième part, aux termes de l'article 31 du règlement (CE) n° 612/2009 du
7 juillet 2009 : " 1. Sur demande de l'exportateur, les États membres avancent tout ou partie du montant de la restitution, dès l'acceptation de la déclaration d'exportation, à condition que soit constituée une garantie dont le montant est égal au montant de cette avance, majoré de 10 %. (...) ". Aux termes de l'article 3 du règlement d'exécution (UE) n° 282/2012 du 28 mars 2012 : " Au sens du présent règlement on entend par : / a) " garantie ", l'assurance qu'un montant sera payé ou restera acquis à l'autorité compétente si une obligation déterminée n'est pas remplie (...) ". Aux termes de l'article 4 du même règlement : " La garantie doit être constituée par ou pour le compte de la personne responsable du paiement d'un montant si une obligation n'est pas remplie. ". Aux termes de l'article 7 de ce règlement : " 1. Une garantie peut être constituée : (...) / b) sous forme de caution, telle qu'elle est définie à l'article 15, paragraphe 1. (...) ". Aux termes de l'article 15 de ce règlement : " (...) La caution s'engage en fournissant une garantie écrite. / 2. La garantie écrite doit au moins : / a) préciser l'obligation ou, s'il s'agit d'une garantie globale, le(s) type(s) d'obligations dont le respect est garanti par le paiement d'une somme d'argent ; / b) indiquer le montant maximal pour lequel la caution s'engage ; / c) spécifier que la caution s'engage, conjointement et solidairement avec la personne qui doit respecter l'obligation, à payer, dans les trente jours suivant la demande de l'autorité compétente et dans les limites de la garantie, toute somme due, lorsqu'une garantie reste acquise. (...) ".
10. D'une troisième part, aux termes de l'article 18 du règlement d'exécution (UE) n° 282/2012 du 28 mars 2012, applicable lorsque la restitution a fait l'objet d'une avance : " 1. La garantie est libérée si : / a) le droit à l'octroi définitif du montant avancé a été établi ; ou si / b) l'avance a été remboursée, augmentée du pourcentage prévu dans la réglementation spécifique de l'Union. / 2. Dès que le délai pour prouver le droit à l'octroi définitif du montant avancé a été dépassé sans que la preuve du droit soit fournie, l'autorité compétente applique immédiatement la procédure prévue à l'article 28. (...) ". Aux termes de l'article 28 du même règlement : " 1. Lorsque l'autorité compétente a connaissance des éléments entraînant l'acquisition de la garantie en totalité ou en partie, elle demande sans tarder à l'intéressé le paiement du montant de la garantie acquise, ce paiement devant être effectué dans un délai maximal de trente jours à compter du jour de la réception de la demande. / Au cas où le paiement n'a pas été effectué dans le délai prescrit, l'autorité compétente : (...) / b) exige sans tarder que la caution visée à l'article 7, paragraphe 1, point b), procède au paiement, ce paiement devant être effectué dans un délai maximal de trente jours à compter le jour de la réception de la demande (...) ".
11. Enfin, le code civil dispose que : " Celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même. ".
12. En premier lieu, d'une part, il résulte de l'instruction que la banque Themis a souscrit vingt-deux engagements de caution au bénéfice de la société Doux pour un montant total de 5 871 958,61 euros pour des exportations à réaliser entre les mois d'octobre 2012 et août 2013. Il en résulte également, compte tenu notamment des annexes du courrier d'appréhension des cautions en cause du 4 juin 2018, à savoir : la copie des actes de caution et le tableau récapitulatif, mentionnant en particulier les références des demandes d'avances formées par la société Doux à la suite de ces actes et les différents montants cautionnés, initialement et après, éventuellement, des mainlevées partielles, que l'ensemble de ces engagements de caution ont bien donné lieu à des demandes de versement d'avances de la part de cette société sur le fondement des dispositions précitées de l'article 31 du règlement (CE) n° 612/2009 du 7 juillet 2009. La circonstance que l'établissement public ait fait correspondre à chaque engagement de caution consenti par la banque Themis la référence à un dossier d'avance attribué par lui, ne prive ces documents d'aucune valeur probante s'agissant de la réalité du lien entre les cautions en litige et les créances détenues par FranceAgriMer, au titre des avances indues, sur la société Doux et cautionnées par la banque. A cet égard, il résulte de l'article 31 du règlement (CE) n° 612/2009 du 7 juillet 2009 qu'une avance ne peut être consentie à un opérateur qu'après la constitution d'une garantie, pouvant prendre la forme d'une caution bancaire : l'engagement de caution constitue ainsi nécessairement une pièce justificative du dossier de demande d'avance. Les pièces produites par l'établissement public, et notamment la copie des cautions en litige, permettent, dès lors, d'établir que les avances ayant donné lieu à la constitution de ces cautions ont bien fait l'objet d'une demande par la société Doux. De même, si FranceAgriMer a rectifié, au cours des instances devant le tribunal administratif de Rennes, par une décision du 9 octobre 2019, le montant mis à la charge de la banque Fiducial en retirant une somme globale de 372 438,80 euros, correspondant à trois demandes d'avances n'ayant donné lieu à aucun versement à la société Doux par FranceAgriMer, ni à aucun dépôt de dossier de régularisation de la part de cette société, mais seulement à l'émission d'un titre de recette pour recouvrer les seules sanctions prises à son encontre, une telle circonstance ne démontre pas l'absence de lien entre les obligations de la société Doux pour lesquelles la banque Themis s'était portée caution et les sommes réclamées à cette dernière par FranceAgriMer. Enfin, l'ensemble des références des avances en litige figure sur le tableau des " Dossiers transmis à FranceAgriMer en attente de régularisation au 23/01/14 " établi par la société Doux, ce tableau faisant correspondre comme caution la banque Themis à chacune de ces avances. Les décisions contestées étaient, par ailleurs, s'agissant du lien entre les cautions et les avances correspondantes, suffisamment motivées.
13. D'autre part, il résulte de l'instruction que dix-neuf des demandes d'avances formées par la société Doux, ayant fait l'objet d'engagements de caution par la banque Themis ont donné lieu à des versements d'avances par FranceAgriMer et au dépôt d'un dossier de régularisation de la part de la société Doux. En effet, cette société n'a pas contesté au cours des instances portées devant le tribunal administratif de Rennes puis la cour, dans lesquelles elle a contesté le bien-fondé du titre exécutoire émis par FranceAgriMer le 31 juillet 2014 à son encontre pour un montant total de 47 385 890,43 euros dont 15 457 113,27 euros au titre des versements d'avances indues et 1 545 713,13 euros au titre d'une majoration de 10% des sommes indues, que les avances en litige lui avaient bien été versées. Ce titre de comporte les références de l'ensemble des dix-neuf avances, dont le remboursement est demandé à la requérante par les décisions contestées. De plus, la réalité du versement de ces avances est confirmée par le tableau de suivi des demandes de régularisation établi par la société Doux et par le tableau récapitulatif établi par FranceAgriMer, dès lors qu'il résulte de ces documents que les avances en litige ont donné lieu au dépôt de dossiers de régularisation.
14. Eu égard à ce qui précède, et dès lors également qu'il n'est pas contesté que la société Doux n'a pas reversé à FranceAgriMer les avances majorées en litige, la créance de cet établissement public envers la banque Fiducial d'un montant de 2 509 469,27 euros est certaine et exigible, contrairement ce que soutient cette dernière.
15. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue ". Aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans. / Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. (...) / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. / (...) / 3. Les États membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2 ". En l'absence d'un texte spécial fixant, dans le respect du principe de proportionnalité, un délai de prescription plus long pour le reversement des avances en cause, seul le délai de prescription de quatre années prévu au premier alinéa du 1 de l'article 3 de ce règlement est applicable.
16. Contrairement à ce que soutient FranceAgriMer, la banque Fiducial peut utilement se prévaloir, en tant que caution, de la prescription prévue par les dispositions citées au point précédent, qui s'appliquaient à la créance principale. Il résulte de l'instruction que si le délai de prescription a commencé à courir à compter de la violation, lors de chaque opération d'exportation concernée, de l'article 28 du règlement (CE) n° 612/2009 du 7 juillet 2009, le cours de ce délai a été interrompu par la notification à la société Doux de la décision de reversement valant titre exécutoire U_RMDPC/n°00305 du 31 juillet 2014 qui tendait à la poursuite de ces irrégularités. Il résulte de l'instruction que la société Doux a formé un recours gracieux contre cette décision le 4 août 2014 et qu'elle l'a contestée devant le tribunal administratif de Rennes par une requête enregistrée le 5 août 2014, de telle sorte que la notification de cette décision est intervenue au plus tard le 4 août 2014. Par suite, les créances en cause n'étaient pas prescrites lorsque FranceAgriMer les a réclamées à la banque Themis, par la notification de son courrier portant appréhension des cautions consenties à la société Doux du
4 juin 2018, notification qui est intervenue au plus tard le 8 juin suivant, puisque la banque a répondu à cette dernière date à ce courrier.
17. En dernier lieu, il résulte des dispositions combinées des articles 18 et 28 du règlement d'exécution (UE) n° 282/2012 du 28 mars 2012 que, dès que le délai pour prouver le droit à l'octroi définitif du montant avancé a été dépassé sans que la preuve du droit soit fournie, les autorités compétentes doivent demander sans tarder à l'intéressé le paiement du montant de la garantie acquise et, dans le cas d'une absence de paiement dans un délai maximal de trente jours, doivent exiger sans tarder que la caution procède au paiement. L'éventuel manquement des autorités compétentes à leur obligation de diligence dans l'appréhension de la caution n'emporte toutefois, par lui-même, aucune conséquence sur la validité de l'engagement de caution. Par suite, contrairement à ce que soutient la banque Fiducial, les décisions contestées ne sont pas entachées d'erreur de droit en ce qu'elles mettent à sa charge en application de l'article 28 du règlement d'exécution (UE) n° 282/2012 du 28 mars 2012 une somme en méconnaissance de l'obligation de diligence prévues par ces dispositions.
18. Il résulte de ce qui précède que la banque Fiducial n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
19. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de FranceAgriMer, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, au titre des frais exposés par la banque Fiducial et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette banque la somme que demande FranceAgriMer sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes nos 23NT00115 et 23NT00123 de la Banque Fiducial sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par FranceAgriMer sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la banque Fiducial et à l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer).
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente,
- M. Vergne, président-assesseur,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2024.
Le rapporteur,
X. CATROUX
La présidente,
C. BRISSON
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 23NT00115, 23NT001232