Vu la procédure suivante :
Le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) a porté plainte contre M. B... A... devant la chambre disciplinaire de première instance des Hauts-de-France de l'ordre des médecins. Par une décision du 7 février 2019, cette chambre a rejeté sa plainte.
Par une décision du 11 octobre 2021, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel du CNOM contre cette décision.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 10 décembre 2021 et les 9 mars et 4 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CNOM demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'estimant que M. A..., médecin spécialiste, qualifié en médecine générale et président de l'association des médecins régulateurs libéraux du Nord (AMRL-59), avait, à l'occasion de l'exercice de ses fonctions de président de cette association, méconnu l'obligation de respecter le secret médical, le Conseil national de l'ordre des médecins a porté plainte contre ce dernier devant la chambre disciplinaire de première instance des Hauts-de-France de l'ordre des médecins. Par une décision du 7 février 2019, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté sa plainte. Le Conseil national de l'ordre des médecins se pourvoit en cassation contre la décision du 11 octobre 2021 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté son appel contre cette décision. Au regard des moyens qu'il invoque, les conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des médecins doivent être regardées comme tendant à l'annulation de la décision du 11 octobre 2021 en tant seulement qu'elle rejette, à l'article 2 de son dispositif, sa requête d'appel contre la décision du 7 février 2019.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venue à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tout professionnel de santé, ainsi qu'à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. / Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d'assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-4 du même code : " Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. / Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 6314-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La mission de service public de permanence des soins est assurée, en collaboration avec les établissements de santé, par les médecins mentionnés à l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, dans le cadre de leur activité libérale, et aux articles L. 162-5-10 et L. 162-32-1 du même code, dans les conditions définies à l'article L. 1435-5 du présent code. (...) / La régulation téléphonique de l'activité de permanence des soins ambulatoires est accessible gratuitement par un numéro national de permanence des soins ou par le numéro national d'aide médicale urgente. (...) ". L'article L. 6314-3 de ce code renvoie la fixation des modalités d'application de cet article à un décret en Conseil d'Etat. Aux termes de l'article R. 6315-1 du même code, dans sa rédaction applicable : " La mission de permanence des soins prévue à l'article L. 6314-1 a pour objet de répondre aux besoins de soins non programmés : / 1° Tous les jours de 20 heures à 8 heures ; / 2° Les dimanches et jours fériés de 8 heures à 20 heures ; / 3° En fonction des besoins de la population évalués à partir de l'activité médicale constatée et de l'offre de soins existante : le samedi à partir de midi, le lundi lorsqu'il précède un jour férié, le vendredi et le samedi lorsqu'ils suivent un jour férié. / (...) La permanence des soins est assurée par les médecins exerçant dans les cabinets médicaux, maisons de santé, pôles de santé et centres de santé, ainsi que par les médecins exerçant dans les associations de permanence des soins. / (...) ".
4. Il ressort des énonciations de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a relevé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que le président de l'association des médecins régulateurs libéraux du Nord (AMRL-59), qui est médecin, a été informé d'un incident s'étant produit le 17 février 2013, dans le cadre de la permanence des soins organisée par l'association, entre un médecin libéral " régulateur ", affecté à la permanence téléphonique, et un médecin libéral " effecteur ", chargé, sur demande du médecin " régulateur ", de la prise en charge des patients et qu'afin d'apprécier s'il s'agissait d'un dysfonctionnement de la permanence des soins, il a pris connaissance le 14 mars 2013 de l'enregistrement sonore des appels en cause en présence du médecin " régulateur ". La chambre disciplinaire nationale a en outre relevé que cet enregistrement comportait des informations, couvertes par le secret médical, sur le patient, dont le nom n'avait pas été occulté, ayant contacté la permanence des soins, et que l'accord préalable du patient n'avait pas été préalablement recueilli. En estimant que l'audition de cet enregistrement par M. A..., à la seule fin d'établir la réalité et la nature du dysfonctionnement en cause, eu égard à sa qualité de président de l'association précitée et de médecin et à l'objet de la permanence des soins, prévu par les dispositions de ce code citées au point 3, au rôle des associations de médecins libéraux dans son organisation, et à l'exigence qu'il puisse être mis fin sans délai à d'éventuels dysfonctionnements, n'était pas, dans les circonstances très particulières de l'espèce, constitutive d'un manquement à l'obligation de secret médical qui s'impose aux médecins, la chambre disciplinaire nationale, dont la décision est suffisamment motivée, n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
5. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi du Conseil national de l'ordre des médecins doit être rejeté.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par le Conseil national de l'ordre des médecins à l'encontre de M. A... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du Conseil national de l'ordre des médecins est rejeté.
Article 2 : Le Conseil national de l'ordre des médecins versera une somme de 3 000 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins et à M. B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 13 mars 2024 où siégeaient : Mme Maud Vialettes, présidente de chambre, présidant ; M. Alban de Nervaux, conseiller d'Etat et M. Sylvain Monteillet, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 4 avril 2024.
La présidente :
Signé : Mme Maud Vialettes
Le rapporteur :
Signé : M. Sylvain Monteillet
Le secrétaire :
Signé : M. Jean-Marie Baune