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09/04/2024 | FRANCE | N°23DA00712

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 09 avril 2024, 23DA00712


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2023 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé la Tunisie comme pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure et l'arrêté du 6 mars 2023 par lequel le préfet de la Somme l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours et a fix

é les modalités d'exécution de cette mesure.



Par un jugement no 2300782-2300820 du 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2023 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé la Tunisie comme pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure et l'arrêté du 6 mars 2023 par lequel le préfet de la Somme l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours et a fixé les modalités d'exécution de cette mesure.

Par un jugement no 2300782-2300820 du 17 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 avril et 9 décembre 2023, M. E..., représenté par Me Hamadou Sabaly, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 12 janvier 2023 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé la Tunisie comme pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure et l'arrêté du 6 mars 2023 par lequel le préfet de la Somme l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours et a fixé les modalités d'exécution de cette mesure ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler l'interdiction de sortir du département de la Somme et d'enjoindre au préfet de la Somme de modifier l'arrêté du 6 mars 2023 pour l'autoriser à se rendre en région Île-de-France et dans le département de l'Yonne et ne le soumettre à contrôle qu'une fois par semaine ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, au titre des articles L. 761- 1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à verser à son conseil, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors qu'il n'a pas été fait droit à la demande de report de l'audience, en méconnaissance du principe du contradictoire, justifiée par la communication le jour de l'audience d'un mémoire en défense du préfet ;

- le jugement est en outre irrégulier dès lors que le magistrat désigné a méconnu sa compétence en répondant aux moyens à l'appui de la décision de refus d'admission au séjour ;

- les arrêtés attaqués ont été pris par une autorité incompétente et sont insuffisamment motivés ;

- l'obligation de quitter le territoire français porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article 9 et le 1er paragraphe de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant et l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ;

- elle méconnaît le 6° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est illégale en raison de l'illégalité du refus d'admission au séjour, dès lors que ce dernier est fondé à tort sur la menace à l'ordre public qu'il représenterait et méconnaît le principe général du droit selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits ;

- l'assignation à résidence est illégale en raison de l'absence de mesure d'interdiction du territoire à son endroit et de l'absence de risque de fuite et dès lors qu'elle fixe un périmètre géographique dans lequel il est autorisé à circuler insuffisant.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 juillet 2023, le préfet de la Somme conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'aucun moyen soulevé par le requérant n'est fondé.

Par une ordonnance en date du 16 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er février 2024 à 12 heures.

Par une décision du 14 septembre 2023, M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord du 17 mars 1988 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... E..., ressortissant tunisien né en 1997, déclare être entré sur le territoire français le 7 août 2014. Le 17 mars 2022, il a présenté une demande de titre de séjour au titre de sa qualité de parent d'enfants français. Par un arrêté du 12 janvier 2023, le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé la Tunisie comme pays de destination en cas d'exécution d'office de cette mesure. Par un arrêté du 6 mars 2023, le préfet de la Somme a assigné M. E... à résidence pour une durée de quarante-cinq jours et a fixé les modalités d'exécution de cette mesure. M. E... fait appel du jugement no 2300782-2300820 du 17 mars 2023 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 614-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans le cas où la décision d'assignation à résidence ou de placement en rétention intervient en cours d'instance, le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin statue dans un délai de cent-quarante-quatre heures à compter de la notification de cette décision par l'autorité administrative au tribunal ". D'autre part, aux termes de l'article R. 776-26 du code de justice administrative : " L'instruction est close soit après que les parties ont formulé leurs observations orales, soit, si ces parties sont absentes ou ne sont pas représentées, après appel de leur affaire à l'audience ". Enfin, aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 611-8-6 du même code : " Lorsque le juge est tenu, en application d'une disposition législative ou réglementaire, de statuer dans un délai inférieur ou égal à un mois, la communication ou la notification est réputée reçue dès sa mise à disposition dans l'application ou le téléservice ".

3. Il résulte de ces dispositions que le juge, auquel il incombe de veiller à la bonne administration de la justice, en particulier au respect des délais que lui imposent, le cas échéant, la loi pour statuer, n'a aucune obligation, hormis le cas où des motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient, de faire droit à une demande de report de l'audience formulée par une partie.

4. Il ressort des pièces du dossier que la décision d'assignation à résidence du 6 mars 2023 du préfet de la Somme a été transmis au tribunal le 9 mars 2023, faisant ainsi courir le délai de cent-quarante-quatre heures imparti au juge pour statuer, et qu'un mémoire en défense du préfet de la Somme a été reçu par M. E... par mise à disposition dans l'application Télérecours le 16 mars 2023 à 12h05, l'affaire étant inscrite au rôle de l'audience publique du même jour à 15h30. Compte tenu du délai imparti au juge pour statuer, M. E... doit être regardé comme ayant disposé d'un délai suffisant pour prendre connaissance de ce mémoire et, s'il l'estimait nécessaire, y répondre, notamment par des observations orales à l'audience. Dès lors, aucun motif exceptionnel tiré des exigences du débat contradictoire n'imposait au juge de faire droit à sa demande de report de l'audience. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire ne peut qu'être écarté.

5. Aux termes de l'article R. 776-17 du code de justice administrative, placé dans la section III intitulée : " Dispositions applicables en cas de placement en rétention ou d'assignation à résidence " : " Lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence après avoir introduit un recours contre la décision portant obligation de quitter le territoire ou après avoir déposé une demande d'aide juridictionnelle en vue de l'introduction d'un tel recours, la procédure se poursuit selon les règles prévues par la présente section. Les actes de procédure précédemment accomplis demeurent valables. (...) Toutefois, lorsque le requérant a formé des conclusions contre la décision relative au séjour notifiée avec une obligation de quitter le territoire, il est statué sur cette décision dans les conditions prévues à la sous-section 1 ou à la sous-section 2 de la section 2, selon le fondement de l'obligation de quitter le territoire (...) ".

6. Il ressort des écritures de première instance de M. E... que ce dernier a soulevé plusieurs moyens de légalité interne relatifs à son droit au séjour sans préciser si ces moyens étaient invoqués à l'égard de la décision lui refusant l'admission au séjour ou de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français, toutes deux contenues dans l'arrêté du 12 janvier 2023. Dès lors, M. E... pouvait être regardé comme excipant de l'illégalité du refus d'admission au séjour à l'appui de ses conclusions aux fins d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet. Par suite, en répondant à cette exception d'illégalité, qu'il a écartée au point 19 des motifs de son jugement, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Amiens n'a pas statué au-delà des conclusions dont il était saisi et n'a pas méconnu sa compétence. Ce moyen d'irrégularité doit donc être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les moyens communs aux arrêtés attaqués :

7. Par un arrêté du 23 août 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, le préfet de la Somme a donné délégation à Mme Myriam Garcia, secrétaire générale de la préfecture et signataire de l'arrêté du 12 janvier 2023, pour signer notamment toutes les décisions et tous les actes de procédure prévus en matière de police des étrangers par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, par un arrêté du même jour, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Somme a donné délégation à M. A... B..., signataire de l'arrêté du 6 mars 2023, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme Myriam Garcia, pour signer les mêmes décisions ou actes. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence des auteurs des décisions attaquées doit être écarté.

8. Il ressort des arrêtés du 6 mars et du 12 mars 2023 que ces derniers visent les textes dont ils font application et mentionnent les éléments de la situation personnelle et familiale de l'intéressé que le préfet a pris en considération. En outre, en vertu de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que l'obligation de quitter le territoire français édictée à l'encontre du requérant était fondée sur le refus d'admission au séjour, cette décision portant obligation de quitter le territoire français n'avait pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. Par suite, le moyen, par voie d'action ou d'exception, tiré de l'insuffisance de motivation de ces arrêtés doit être écarté.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

9. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 6° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ".

10. Si la seule circonstance que M. E..., dont le mariage a été célébré le 15 décembre 2018, a séjourné en Tunisie en raison d'une mesure d'éloignement datant du 12 janvier 2019 dont il a fait l'objet, n'est pas de nature à établir que la communauté de vie avait cessé entre l'intéressé et son épouse, de nationalité française, dès lors notamment que cette dernière, également titulaire d'une carte de résident de dix ans délivrée par les autorités tunisiennes, lui a rendu visite à plusieurs reprises durant son séjour en Tunisie, M. E..., qui n'a rejoint à nouveau la France qu'en décembre 2021, ne démontre pas avoir, dans le but de rejoindre son épouse et ses deux enfants résidant en France, sollicité l'autorité administrative afin d'abroger l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an qui assortissait la mesure d'éloignement du 12 janvier 2019 ni, dès l'expiration de cette durée d'un an, entrepris des démarches auprès des autorités consulaires françaises pour rejoindre sa famille en France en se prévalant de sa situation de conjoint ou de parent de ressortissant français. En outre, par une ordonnance du 10 juin 2023, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Sens a rejeté la requête introduite par l'épouse de M. E... tendant à ce qu'une assignation puisse être effectuée à une date d'audience fixée à bref délai afin qu'il soit statué sur sa demande de divorce, au motif qu'il ressortait de cette requête que les époux " sont séparés depuis septembre 2021 ". Dans ces conditions, et en l'absence de tout autre élément versé au dossier de nature à contredire cette appréciation, la rupture de la vie commune postérieure au mariage doit être regardée comme établie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

11. Aux termes des stipulations du 1 de l'article 10 de l'accord du 17 mars 1988 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail : " Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français : / a) Au conjoint tunisien d'un ressortissant français, marié depuis au moins un an, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé sa nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état-civil français ; / (...) c) Au ressortissant tunisien qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France, à la condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins ; (...) ". En outre, aux termes de l'article 11 du même accord : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord ". Dès lors que les articles 1er et 10 de cet accord fixent les conditions dans lesquelles il est délivré aux ressortissants tunisiens une carte de résident de plein droit, ces stipulations font obstacle à l'application aux ressortissants tunisiens des articles L. 423-2 et L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ayant le même objet. Enfin, aucune disposition de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ne prive l'administration française du pouvoir qui lui appartient, en application de la réglementation générale relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France, de refuser l'admission au séjour d'un ressortissant tunisien en se fondant sur la circonstance que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public.

12. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a été condamné le 31 juillet 2019 à six mois d'emprisonnement avec sursis pour plusieurs faits de violence sur son épouse commis du 1er juillet 2018 au 13 février 2019. Dans ces conditions, eu égard à la nature et à la gravité des faits qui ont donné lieu à la condamnation de M. E..., à leur caractère récent et en l'absence de tout autre élément caractérisant la situation personnelle de l'intéressé, témoignant notamment de l'insertion de l'intéressé dans la société française, susceptible de modifier l'appréciation portée sur le comportement du requérant, le préfet de la Somme n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation, en se fondant sur la menace pour l'ordre public pour rejeter sa demande de titre de séjour. Enfin, M. E... ne peut utilement se prévaloir du principe général du droit selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits dès lors que les obligations de quitter le territoire français, assorties le cas échéant d'interdictions de retour, constituent des mesures de police administrative et non des sanctions et qu'au surplus, il ne ressort pas de la précédente mesure d'éloignement du 12 janvier 2019 qu'elle ait été fondée sur la menace pour l'ordre public qu'il aurait alors présentée. Par suite, le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision rejetant sa demande de titre au séjour, au motif que le préfet de la Somme aurait considéré à tort qu'il constituait une menace pour l'ordre public, doit être écarté.

13. Aux termes du 1er paragraphe de l'article 9 de l'accord mentionné au point 11 : " Les Etats parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l'enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant ".

14. Dès lors que les stipulations de l'article 9 de la convention citées ci-dessus créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés, M. E... ne peut utilement invoquer ces stipulations à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une obligation de quitter le territoire français.

15. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". En outre, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

16. M. E... fait valoir qu'il est entré en France pour la première fois le 4 août 2014, qu'il s'est marié en France le 15 décembre 2018 avec une ressortissante française, et qu'il est le père de deux enfants de nationalité française, nés en 2019 et 2020, scolarisés en France. Tout d'abord, M. E... ne pouvait ignorer que le développement de sa vie familiale présentait un caractère précaire dès lors qu'il résidait, à la date de la célébration de son mariage, irrégulièrement sur le territoire français, qu'il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 12 janvier 2019 et a résidé en Tunisie, du 22 mars 2019 au 13 décembre 2021. En outre, ainsi qu'il a été énoncé au point 10, la communauté de vie avec son épouse avait cessé à la date de la décision attaquée, une procédure de divorce étant engagée. Si le requérant soutient que l'état de santé fragile de son épouse nécessite sa présence à ses côtés pour assurer l'éducation et l'entretien de leurs enfants, les pièces produites, consistant en des attestations de proches peu circonstanciées, des photographies en présence de ses enfants et des copies de messages échangés avec son épouse, dont plusieurs ne sont pas précisément datés, faisant état notamment de versements de sommes d'argent ou de cadeaux à ses enfants, ne suffisent pas à établir qu'il participe effectivement à l'entretien et l'éducation de ses enfants. De surcroît, alors qu'aucune interdiction de retour sur le territoire français n'a été édictée à son encontre dans la décision attaquée, M. E... ne fait état d'aucun obstacle à ce qu'il puisse rendre des visites régulières à ses enfants en France. Enfin, si l'intéressé se prévaut d'une promesse d'embauche dans une rôtisserie du 2 janvier 2023, il n'établit pas avoir exercé une activité professionnelle ou avoir suivi une formation depuis son retour en France, et dispose d'attaches en Tunisie où résident ses parents et sa fratrie. Dans ces conditions, et en considération de l'irrégularité de son séjour et de ce qui a été énoncé au point 12, M. E... n'est pas fondé à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Somme a méconnu les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ou a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a édicté sa décision et ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français du 12 janvier 2023.

En ce qui concerne l'assignation à résidence :

18. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ".

19. Il ne résulte pas des dispositions citées au point précédent que l'édiction d'une mesure d'assignation à résidence soit soumise à la condition que l'étranger qui en est l'objet soit interdit de séjour ou de circulation sur le territoire français et qu'il présente un risque de fuite. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'une telle condition n'est pas satisfaite doit être écarté.

20. Aux termes de l'article L. 732-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'assignation à résidence prévue à l'article L. 731-1 ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours. / Elle est renouvelable une fois dans la même limite de durée ". En outre, l'article R. 733-1 du même code dispose que : " L'autorité administrative qui a ordonné l'assignation à résidence de l'étranger en application des articles L. 731-1, L. 731-3, L. 731-4 ou L. 731-5 définit les modalités d'application de la mesure : 1° Elle détermine le périmètre dans lequel il est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence (...) ".

21. Si M. E... soutient que le périmètre géographique, limité au département de la Somme, au sein duquel il est autorisé à circuler est trop restreint au regard de la nécessité de certains de ses déplacements, l'article 4 de l'arrêté contesté permet une sortie du département de la Somme sur autorisation du préfet. En outre, il n'est pas établi que le délai de traitement de telles demandes soit incompatible avec les besoins de déplacements de l'intéressé, alors que la demande d'autorisation de sortie de déplacement transmise par l'intéressé le 22 mars 2023 justifiée par un rendez-vous au consulat de Tunisie à Paris a donné lieu à une décision favorable du préfet datée du 24 mars 2023. Enfin, si M. E... soutient à l'appui de ce moyen qu'il doit effectuer certains déplacements en Île-de-France dans le cadre de ses recherches d'emploi ou pour emmener ses enfants chez leur grand-mère résidant à Sens, dans l'Yonne, il ne produit aucun élément à l'appui de ces allégations et ne dispose pas d'une autorisation de travail. Par suite, le moyen tiré de ce que le périmètre géographique de l'assignation à résidence serait trop restreint doit être écarté.

22. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Somme en première instance, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'assignation à résidence du 6 mars 2023.

23. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fins d'annulation introduites par M. E... doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions à fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Sabaly Hamadou.

Copie sera adressée au préfet de la Somme.

Délibéré après l'audience publique du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : M. D... La présidente de la cour,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

N°23DA00712 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00712
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SABALY

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;23da00712 ?
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