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19/12/2024 | FRANCE | N°23NC02414

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 19 décembre 2024, 23NC02414


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juillet 2023 et 14 mai 2024, la société Eole du Barrois, représentée par Me Gelas, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 8 juin 2023 par lequel la préfète de l'Aube a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale relative à la création d'un parc éolien de six aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Magnant ;



2°) d'enjoindre à la préfète de l'Aube de reprendre l'instructi

on de sa demande d'autorisation environnementale dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ar...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juillet 2023 et 14 mai 2024, la société Eole du Barrois, représentée par Me Gelas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 juin 2023 par lequel la préfète de l'Aube a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale relative à la création d'un parc éolien de six aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Magnant ;

2°) d'enjoindre à la préfète de l'Aube de reprendre l'instruction de sa demande d'autorisation environnementale dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- il est entaché d'un défaut de base légale dès lors qu'il se fonde sur des textes dépourvus de toute valeur réglementaire ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux atteintes paysagères du projet ;

- l'arrêté en litige paraît indiquer que le contenu de l'étude d'impact serait insuffisant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 avril 2024, la préfète de l'Aube conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Eole du Barrois ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 12 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 15 mai 2024.

Par un courrier du 23 octobre 2024, le préfet de l'Aube a été invité, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, à produire l'avis de l'inspection des installations classées de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Grand-Est, les avis du service régional de l'archéologie, de l'unité départementale de l'architecture et du patrimoine, de la mission " Coteaux, maisons et caves de Champagne ", l'avis de l'autorité environnementale du 12 décembre 2022 et le rapport de l'inspection des installations classées du 22 mars 2023.

Le préfet de l'Aube a produit les pièces demandées le 28 octobre 2024, qui ont été communiquées le 29 octobre 2024 à la société Eole du Barrois.

La société Eole du Barrois a produit un mémoire en réponse le 13 novembre 2024, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Kerjean-Gauducheau pour la société Eole du Barrois.

Une note en délibéré présentée par la société Eole du Barrois a été enregistrée le 2 décembre 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La société Eole du Barrois a sollicité le 10 mai 2021 la délivrance d'une autorisation environnementale en vue de la réalisation d'un parc éolien composé de six aérogénérateurs d'une hauteur maximale de pale de 180 mètres et de deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Magnant. Par un arrêté du 8 juin 2023 dont la société Eole du Barrois demande l'annulation, la préfète de l'Aube a rejeté sa demande d'autorisation environnementale.

Sur la légalité de l'arrêté du 8 juin 2023 :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 7° Refusent une autorisation (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Par ailleurs, selon l'article R. 181-34 du code de l'environnement, une décision de refus d'autorisation environnementale doit être motivée.

3. L'arrêté attaqué, après avoir notamment mentionné les dispositions des articles L. 183-3 et L. 511-1 du code de l'environnement, les étapes de la procédure suivie ainsi que la teneur des avis émis par les autorités consultées sur le projet, indique que l'installation projetée se situe à proximité immédiate de la zone d'engagement constituant l'ensemble du bien " Coteaux, maisons et caves de Champagne ", inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), secteur présentant de grandes qualités paysagères associées à des sensibilités à l'éolien. L'arrêté mentionne également que le projet d'implantation des éoliennes se trouve dans la zone d'exclusion définie par la charte éolienne des " Coteaux, maisons et caves de Champagne " au regard des distances préconisées par ce document ainsi que dans la zone de " grande vigilance " du plan Paysage du vignoble de champage de 2018 et qu'il ne s'inscrit pas dans la stratégie préconisée par le schéma régional éolien approuvé en 2012. Par ces éléments, l'arrêté en litige comporte l'énoncé précis et circonstancié des considérations pour lesquelles la préfète de l'Aube a estimé que le parc éolien proposé était de nature à porter atteinte à la conservation du site constitué de paysages remarquables comme intérêt protégé au titre des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté.

4. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la société requérante, il résulte des termes de l'arrêté attaqué que la préfète de l'Aube ne s'est pas fondée sur l'insuffisance de l'étude d'impact pour rejeter sa demande d'autorisation environnementale.

5. En troisième lieu, pour refuser de délivrer à la société Eole du Barois l'autorisation sollicitée, la préfète de l'Aube a estimé sur le fondement des dispositions de l'article L. 181-3 du code de l'environnement que le projet porte atteinte à la conservation du site constitué de paysages remarquables formés en particulier des coteaux viticoles avoisinants, intérêt protégé au titre des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Si la préfète de l'Aube s'est appuyée sur les préconisations de la charte éolienne des " Coteaux, Maisons et Caves de Champagne ", du plan Paysage du vignoble de champage réalisée par France Energie Eolienne et du schéma régional éolien de 2012, ces documents dépourvus de valeur réglementaire ne constituent que des références pour apprécier si une atteinte significative était portée à un intérêt protégé par les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement. La préfète de l'Aube n'a, ce faisant, commis ni erreur de droit ni entaché sa décision d'un défaut de base légale.

6. En quatrième lieu, aux termes du I de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. / L'autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l'arrêté préfectoral (...) ". Et, aux termes de l'article L. 511-1 de ce code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".

7. Pour rechercher l'existence d'une atteinte contraire aux dispositions citées au point précédent, il appartient à l'autorité administrative d'identifier les éléments remarquables du site concerné par le projet, puis, si cette analyse la conduit à considérer qu'ils méritent une protection particulière, d'évaluer l'impact que ce projet, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur ce site naturel ou bâti.

8. Le projet déposé par la société Eole du Barrois comporte six aérogénérateurs répartis en deux lignes parallèles et dont la hauteur pourra atteindre au maximum 180 mètres en bout de pale. Le site du projet est situé sur le territoire de la commune de Magnant au sein d'un paysage rural de plateaux et vallées au relief accentué. Dans un rayon de quinze kilomètres autour du projet, cinq parcs éoliens sont construits comportant vingt-sept éoliennes, dont le parc des Cômes de l'Arc située à deux cent mètres du projet. Le site d'implantation du projet est par ailleurs situé à proximité des coteaux viticoles de Champagne.

9. Il résulte de l'instruction que l'UNESCO a inscrit, en 2015 à l'occasion de la trente-neuvième session du comité du patrimoine mondial, les Coteaux, maisons et caves de Champagne sur la liste du patrimoine mondial en tant que paysage culturel car ils forment un paysage agro-industriel spécifique, avec les vignobles comme bassin d'approvisionnement et les villages et espaces urbains concentrant les fonctions de production et commerciale. Le site d'implantation du projet se trouve dans la zone d'engagement " La côte des Bar " du bien ainsi protégé, un secteur présentant un intérêt méritant une protection particulière, compte tenu notamment de la valeur universelle exceptionnelle accordé au bien " Coteaux, maisons et caves de Champagne ". Par ailleurs, le projet se situe dans la zone de " grande vigilance " du plan Paysage du vignoble de champage de 2018 réalisée par France Energie Eolienne ainsi que dans une zone d'exclusion définie dans la charte éolienne " Coteaux, maisons et caves de Champagne " de 2018, prévoyant le non développement de nouveaux parcs éoliens sauf en cas de non-covisibilité avec le vignoble. Il résulte en particulier des photomontages de l'étude complémentaire de la société pétitionnaire relative à l'analyse paysagère " des impacts visuels et paysagers du parc éolien du Barrois sur les sites UNESCO et le vignoble Champenois " qu'en ce qui concerne notamment le secteur viticole de " la vallée de la Seine et son bassin versant ", le projet de parc éolien présente une sensibilité paysagère particulière et une co-visibilité significative avec les vignobles notamment depuis les coteaux viticoles des plateaux de la " Côte des Bar ". En outre, la réalisation de ce nouveau parc viendrait compléter un horizon déjà marqué par d'autres parcs situés à proximité. Dans ces conditions, l'implantation des éoliennes est de nature à caractériser une atteinte à la conservation des sites comme intérêt mentionné à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Eole du Barrois n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 8 juin 2023 de la préfète de l'Aube.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

11. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par la société Eole du Barrois.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Eole du Barrois demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Eole du Barrois est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eole du Barrois et au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.

Délibéré après l'audience du 28 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Rousselle, présidente,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Michel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.

Le rapporteur,

Signé : A. MichelLa présidente,

Signé : P. Rousselle

La greffière,

Signé : V. Firmery

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

V. Firmery

2

N° 23NC02414


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02414
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme ROUSSELLE
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : CABINET JEANTET AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;23nc02414 ?
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