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20/06/2024 | CEDH | N°001-234270

CEDH | CEDH, AFFAIRE Z c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, 2024, 001-234270


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE Z c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 37782/21)

ARRÊT

Art 3 et Art 8 (procédural) • Obligations positives • Manquement des autorités nationales d’appliquer effectivement un système pénal apte à réprimer les actes sexuels non consentis allégués par une victime vulnérable ne s’y étant pas opposé durant ceux-ci • Application des principes généraux énoncés dans M.C. c. Bulgarie • Approche défaillante des autorités dans l’interprétation des faits et du cadre juridique n’ayant pas apporté une protection appro

priée de la requérante • Prise en compte insuffisante par la jurisprudence nationale : des situations de consen...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE Z c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 37782/21)

ARRÊT

Art 3 et Art 8 (procédural) • Obligations positives • Manquement des autorités nationales d’appliquer effectivement un système pénal apte à réprimer les actes sexuels non consentis allégués par une victime vulnérable ne s’y étant pas opposé durant ceux-ci • Application des principes généraux énoncés dans M.C. c. Bulgarie • Approche défaillante des autorités dans l’interprétation des faits et du cadre juridique n’ayant pas apporté une protection appropriée de la requérante • Prise en compte insuffisante par la jurisprudence nationale : des situations de consentement invalide pour cause d’abus de vulnérabilité ; et de la réaction psychologique des victimes d’agressions sexuelles • Interprétation restrictive des éléments constitutifs de l’infraction de viol tels que définis par le code pénal ayant conduit au classement de l’affaire par la police • Refus de faire une évaluation contextuelle des faits en prenant en compte l’état psychologique de la requérante in concreto ayant conduit à la police à conclure à l’absence d’infraction caractérisée d’abus sexuel • Recours devant une autorité judiciaire non permis par le droit interne

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

20 juin 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Z c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mattias Guyomar, président,
Lado Chanturia,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
María Elósegui,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 37782/21) dirigée contre la République tchèque et dont une ressortissante de cet État, Mme Z (« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 20 juillet 2021,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement tchèque (« le Gouvernement »),

la décision de ne pas dévoiler l’identité de la requérante,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mai 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. L’affaire concerne l’absence alléguée de cadre juridique suffisant pour permettre l’incrimination et la répression des actes sexuels non consentis que la requérante affirme avoir subis de la part d’un prêtre, et un supposé défaut d’enquête effective sur les allégations de la requérante (articles 3 et 8 de la Convention).

EN FAIT

2. La requérante est née en 1981 et réside à Volyně. Elle a été représentée par Me D. Bartoň, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. P. Konůpka, du ministère de la Justice.

4. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

5. Dans le cadre d’une plainte déposée en mars 2019 par une tierce personne, il fut allégué que dans les années 1990, alors qu’elle était encore mineure, la requérante subit des attouchements sexuels de la part d’un prêtre, V.Z. Selon l’enquête policière qui fut menée entre mars et septembre 2019, ces actes étaient susceptibles de constituer l’infraction d’abus sexuels (pohlavní zneužívání) mais leur auteur ne fut pas poursuivi, en raison de la prescription. La requête portée devant la Cour ne porte pas sur ces événements.

6. En 2003, la requérante entra à la faculté de théologie de Prague où elle suivit, entre autres, des cours dispensés par le prêtre V.K. Celui-ci ayant gagné sa confiance, elle lui fit part de son expérience avec V.Z. ainsi que des difficultés qu’elle avait éprouvées par la suite. La requérante soutient que, entre 2008 et 2009, profitant d’une période où elle était psychologiquement affectée par le décès de son père, mais aussi de son état de santé détérioré à la suite d’une opération au cœur et du fait d’une réaction post-traumatique aux abus commis par V.Z. (paragraphe 5 ci-dessus), V.K. l’agressa sexuellement à plusieurs reprises.

7. En 2009, la requérante porta l’affaire à la connaissance des autorités ecclésiastiques compétentes. Celles-ci ordonnèrent à V.K. de renoncer aux fonctions qu’il occupait à la faculté de théologie et de quitter la communauté monastique qu’il dirigeait, et de partir dans un monastère en Italie, puis en mission en République centrafricaine. Les demandes d’autorisation de retour en République tchèque présentées par V.K. ayant été rejetées, il vit actuellement dans un monastère en Italie.

8. Sur la base des informations recueillies lors de l’enquête concernant V.Z. (paragraphe 5 ci-dessus), une enquête visant V.K. fut ouverte par la police en novembre 2019.

9. Interrogée par la police en février 2020 dans le cadre de cette enquête, la requérante déclara que V.K. avait été son enseignant et directeur de mémoire à la faculté de théologie et qu’elle avait d’abord perçu ses contacts physiques comme une tentative de l’aider et de la guérir de son expérience passée avec V.Z. Elle indiqua que ces actes s’étaient cependant intensifiés après le décès de son père, que V.K. aurait dit vouloir remplacer. La requérante affirma que V.K l’avait d’abord exposée à des attouchements lors de son séjour dans un couvent en juin 2008 ; puis, il avait essayé de la pénétrer en juillet 2008. Elle déclara dans ces conditions qu’elle avait alors eu très peur, qu’elle s’était sentie sale et avait culpabilisé, mais elle ajouta que, considérant V.K. comme une autorité et un père spirituel, elle avait pensé ne pas avoir le droit de se défendre et avait craint ne pas pouvoir terminer ses études. Elle soutint que, par la suite, V.K. lui avait à plusieurs reprises touché les parties génitales et lui avait demandé de le masturber, bien qu’elle lui eût dit à plusieurs reprises, après ces actes, qu’elle n’y consentait pas, mais qu’elle n’était pas capable de se défendre activement.

10. Entre janvier et mai 2020, la police interrogea deux prêtres informés de l’affaire ; l’un d’entre eux déclara que les supérieurs de l’ordre religieux concerné avaient présenté leurs excuses à la requérante et lui avaient proposé une aide financière. En avril 2020, la police prit contact avec une femme de nationalité slovaque dont la déclaration écrite établie en 2007, selon laquelle V.K. avait eu par le passé des comportements déplacés à son égard, fut jointe au dossier.

11. En mai 2020, la police prit attache avec V.K. en Italie. En raison du contexte de la pandémie de Covid-19, elle le contacta par téléphone et par courriel. Dans la déclaration écrite qu’il fit parvenir à la police, il nota qu’il n’avait été informé ni des détails de la procédure pénale ni de la nature de l’infraction dont il était soupçonné. Il admit cependant avoir commis des manquements à la morale mais maintint que la requérante avait consenti à leurs contacts physiques ; il se dit néanmoins prêt, en cas de méprise de sa part et si ses actes venaient à être qualifiés d’infraction, à en assumer la responsabilité juridique. Il indiqua également qu’il s’était excusé auprès de la requérante, lors d’une rencontre avec elle en juin 2016 ainsi que dans deux lettres qu’il lui avait écrites en 2019, et qu’il lui avait proposé un règlement amiable.

12. Par une décision du 1er juin 2020, la police classa l’affaire sans suite. Sur le fondement du code pénal no 140/1961, en vigueur à l’époque des faits dénoncés par la requérante, la police conclut que les agissements de V.K., bien qu’incompatibles avec les fonctions de celui-ci et avec la morale, n’étaient pas constitutifs d’une infraction. Elle estima en effet qu’ils ne pouvaient pas être qualifiés d’abus sexuels au sens de l’article 243 dudit code, étant donné que la requérante n’était pas mineure à l’époque des faits et que V.K. ne pouvait avoir abusé de sa dépendance puisqu’elle ne s’était pas trouvée sous son contrôle (dozor); selon la police, il ne s’agissait pas non plus d’un viol (znásilnění) au sens de l’article 241 § 1, étant donné que V.K. n’avait pas eu recours à la violence ni à la menace de violence et que la requérante avait exprimé son désaccord seulement après les actes sexuels, mais non pendant. La police observa que les agissements de V.K. auraient pu être considérés comme de la coercition sexuelle (sexuální nátlak) sur le fondement du nouveau code pénal no 40/2009, mais que celui-ci était entré en vigueur seulement le 1er janvier 2010, soit après les faits en question.

13. La requérante forma un recours contre cette décision, soutenant, pour ce qui est de l’infraction de viol, que la police n’avait pas examiné la question de son incapacité de se défendre et que V.K. avait abusé de sa position d’autorité ; elle affirma également qu’aucun élément ne permettait de conclure qu’elle avait consenti aux actes sexuels dénoncés, le silence ne pouvant pas être pris pour un consentement. Concernant l’infraction d’abus sexuels, elle soutint avoir été sous le contrôle de V.K., qui était le « père spirituel » à qui elle se confessait, ainsi que son directeur de mémoire, et qu’elle avait de ce fait été dépendante de lui.

14. Le 15 juillet 2020, le procureur de district de Prague 6 rejeta le recours de la requérante, tout en indiquant qu’il ne minimisait ni les agissements de V.K. ni les souffrances de la requérante. Il estima que la requérante ne s’était pas trouvée sous le contrôle de V.K. au sens dans lequel ce terme était interprété par la jurisprudence (à savoir comme la relation d’un parent vis‑à‑vis d’un enfant, d’un tuteur vis-à-vis d’une personne privée de la capacité juridique ou d’un enseignant vis-à-vis d’un élève), et qu’elle n’avait pas été dans l’incapacité de se défendre (ce terme incluant les états d’inconscience, d’ébriété, de sommeil profond, d’incapacité physique, de maladie mentale ou de maturité insuffisante empêchant de comprendre le sens des actes en question).

15. Le 2 octobre 2020, statuant sur un recours formé par la requérante contre la décision du procureur de district de Prague 6, le parquet municipal confirma les conclusions de ce dernier, qu’il jugea dûment motivées. Admettant que la requérante se fût sentie dépendante de V.K., il souligna qu’elle était une personne adulte, jouissant de la pleine capacité juridique et ne souffrant d’aucune maladie l’empêchant d’exprimer sa volonté ; il conclut qu’elle ne s’était donc pas trouvée dans l’incapacité de se défendre à l’époque (de sorte que V.K. n’avait pas pu abuser d’une quelconque incapacité) et que son libre arbitre n’avait pas été limité du fait d’un quelconque contrôle exercé par V.K.

16. La requérante introduisit un recours constitutionnel, invoquant les obligations incombant à l’État au titre des articles 3 et 8 de la Convention de réprimer la commission d’actes sexuels non consentis et de mener une enquête effective sur de tels faits. Elle soutint que les autorités pénales n’avaient pas correctement qualifié les agissements de V.K. ni établi toutes les circonstances pertinentes de ceux-ci, et que l’absence de qualification appropriée du comportement pathologique de V.K. l’empêchait d’aller de l’avant et d’accéder à une guérison intérieure.

17. Par la décision no I. ÚS 3363/20 du 18 mai 2021, la Cour constitutionnelle déclara le recours en question irrecevable car manifestement mal fondé, considérant que la requérante exprimait surtout son mécontentement à l’égard des conclusions des autorités pénales et qu’elle réclamait une réparation sous forme de poursuites pénales contre V.K. La cour rappela à cet égard que tous les comportements contraires à l’éthique ou socialement inacceptables ne constituaient pas une infraction et qu’une solution pénale était un moyen de dernier recours réservé aux manquements les plus graves.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. LE CADRE JURIDIQUE INTERNE
1. Le code pénal (loi no 140/1961) en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009 et la jurisprudence y relative

18. L’article 241 § 1 donnait du viol la définition suivante :

« Est passible d’une peine de deux à huit ans d’emprisonnement quiconque a recours à la violence ou à la menace de violence imminente pour contraindre (donutí) une autre personne à un rapport sexuel ou à un acte sexuel similaire, ou abuse de l’incapacité d’autrui de se défendre (bezbrannost) pour commettre un tel acte. »

19. Dans sa décision no 7 Tdo 995/2010 du 1er septembre 2010, la Cour suprême avait observé que la violence ou la menace de violence imminente caractérisaient seulement la première des deux modalités du viol définies à l’article 241 § 1, et que, dans la seconde modalité, cet élément était remplacé par l’abus de l’incapacité d’autrui de se défendre.

20. Dans sa décision no 3 Tdo 929/2011 du 24 août 2011, la Cour suprême avait indiqué qu’il y avait abus de l’incapacité de se défendre lorsque la victime se trouvait – sans que cet état eût été induit par l’agresseur – dans l’incapacité d’exprimer sa volonté au sujet d’un rapport sexuel avec l’agresseur, ou de résister aux agissements de ce dernier. Tel était le cas notamment lorsque la victime était inconsciente du fait d’un évanouissement, de la consommation d’alcool ou d’une maladie, lorsqu’elle dormait profondément, ou lorsqu’elle était incapable, sous l’influence de l’alcool ou de substances psychotropes, d’évaluer la situation et la conduite de l’agresseur. Était également considérée comme incapable de se défendre une personne dont l’état physique ne lui permettait pas de se défendre ou dont la maladie mentale l’empêchait de comprendre le sens des agissements de l’agresseur, ou encore une personne dont le manque de maturité ne lui permettait pas de saisir l’importance de la résistance à un rapport sexuel forcé.

21. Aux termes de l’article 243, les abus sexuels étaient définis comme suit :

« Est passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de deux ans quiconque, abusant de la dépendance d’une personne de moins de 18 ans ou d’une personne se trouvant sous son contrôle, amène (přiměje) cette personne à avoir un rapport sexuel extra-conjugal ou commet un autre abus à caractère sexuel vis-à-vis de cette personne. »

22. Dans sa décision no 8 Tdo 1494/2009 du 29 septembre 2010, la Cour suprême avait indiqué qu’une personne se trouvait sous le contrôle de son agresseur lorsque celui-ci était censé la surveiller et veiller sur elle, tel un parent sur son enfant, un tuteur sur une personne dépourvue de capacité juridique, un éducateur ou un enseignant sur un élève, etc.

2. Le code pénal (loi no 40/2009) entré en vigueur le 1er janvier 2010 et la jurisprudence y relative

23. Le viol est défini à l’article 185 dans les termes suivants :

« 1. Est passible d’une peine de six mois à cinq ans d’emprisonnement quiconque a recours à la violence, à la menace de violence ou à la menace d’une autre atteinte grave pour contraindre autrui à un acte sexuel, ou abuse à cette même fin de l’incapacité de se défendre d’autrui.

2. Est passible d’une peine de deux à dix ans d’emprisonnement quiconque commet l’acte défini au paragraphe 1

a) pour contraindre autrui à un rapport sexuel ou à un autre acte sexuel comparable à un rapport sexuel ;

(...) »

Le délai de prescription est fixé à dix ans, et à quinze ans lorsque le viol a été commis pour contraindre autrui à un rapport sexuel ou à un acte sexuel comparable ou s’il a causé une atteinte grave à la santé de la victime.

24. Il ressort des décisions de la Cour suprême (no 11 Tdo 294/2014 du 26 mars 2014, no 6 Tdo 603/2018 du 30 mai 2018, no 8 Tdo 699/2021 du 4 août 2021 et no 7 Tdo 1023/2021 du 10 novembre 2021) que pour qu’il y ait « violence » au sens de l’article 185 § 1 du code pénal, il n’est pas nécessaire que la victime oppose une résistance physique manifeste, par exemple si l’agresseur ne lui en a pas laissé la possibilité, ou si la victime y a renoncé du fait de l’épuisement, de la peur ou de la détresse (beznadějnost). Il suffit que l’agresseur ait eu la possibilité de percevoir l’absence de consentement de la victime ; en effet, lorsque celle-ci est paralysée par le stress ou qu’un blocage psychologique ne lui permet pas de parler, son désaccord peut être exprimé de manière non verbale, par son attitude ou la position (passive, défensive) de son corps.

25. L’infraction de coercition sexuelle est définie à l’article 186 dans les termes suivants :

« 1. Est passible d’une peine de six mois à quatre ans d’emprisonnement, ou d’une peine d’interdiction d’activité, quiconque a recours à la violence, à la menace de violence ou à la menace d’une autre atteinte grave, pour contraindre autrui à se masturber, à se dénuder ou à avoir un autre comportement comparable, ou qui amène autrui à un tel comportement en abusant de son incapacité de se défendre.

2. Est passible d’une peine de six mois à quatre ans d’emprisonnement, ou d’une peine d’interdiction d’activité, quiconque abuse de la dépendance d’autrui ou de sa propre position et de la crédibilité ou de l’influence qui en résultent pour amener autrui à avoir un rapport sexuel, à se masturber, à se dénuder ou à avoir un autre comportement comparable.

(...)

5. (...) Est passible d’une peine de cinq à douze ans d’emprisonnement quiconque

a) commet l’acte défini au paragraphe 1 sur un enfant de moins de 15 ans, ou

b) cause par un tel acte une atteinte grave à la santé. »

Le délai de prescription est fixé à cinq ans pour les actes définis aux paragraphes 1 et 2, et à quinze ans en présence des circonstances mentionnées au paragraphe 5.

26. Dans sa décision no 3 Tdo 1296/2013 du 29 janvier 2014, la Cour suprême a distingué la notion d’« incapacité de se défendre », qui caractérise le viol et se définit comme la situation dans laquelle la victime n’est pas capable d’exprimer sa volonté au sujet d’un rapport sexuel avec l’agresseur ou n’est pas capable d’opposer une résistance à ses agissements, de la notion de « dépendance », qui caractérise la coercition sexuelle et se définit comme la situation dans laquelle la victime ne peut pas décider librement et se soumet à l’agresseur parce qu’elle dépend de lui dans une certaine mesure. L’abus d’une position et de la crédibilité ou de l’influence qui en résultent est une notion plus large puisqu’elle recouvre également les relations entre l’agresseur et la victime qui ne sont pas basées sur une situation de contrôle et dans lesquelles l’agresseur, du seul fait de sa position vis-à-vis de la victime, suscite la confiance de celle-ci ou a de l’autorité sur elle et en abuse pour obtenir des contacts sexuels.

Ont été considérées comme telles les relations entre un guérisseur et sa patiente, un médecin-chef de clinique et son assistante personnelle (décision no 8 Tdo 1415/2013 du 17 juillet 2014), un coach d’athlétisme et la personne coachée (décision no 8 Tdo 783/2017 du 20 septembre 2017), un curé catholique et une paroissienne ou une sacristaine (décision no 6 Tdo 450/2017 du 27 septembre 2017).

3. Le projet de réforme de la législation pénale

27. Actuellement, les autorités nationales envisagent de modifier le code pénal et d’adopter une nouvelle définition du viol. À cette fin, le ministère de la Justice a soumis au Gouvernement, en automne 2023, un projet de loi qui abandonne la conception du viol comme rapport sexuel forcé et qui l’appréhende comme un rapport sexuel non consenti (selon l’approche « non c’est non »). Ce projet de loi propose également d’introduire une nouvelle infraction d’agression sexuelle couvrant les atteintes sexuelles sans pénétration.

28. Il est envisagé de modifier également le code de procédure pénale. Parmi les changements proposés figure la possibilité pour la victime d’une infraction de demander que la décision par laquelle son affaire a été classée sans suite soit réexaminée par le Procureur suprême puis, le cas échéant, par un juge. Celui-ci pourrait annuler la décision de classement sans suite et ordonner la poursuite de l’enquête, la réalisation de certains actes d’enquête ou l’élucidation de certains faits.

2. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

29. La Cour renvoie aux textes mentionnés dans l’arrêt J.L. c. Italie (no 5671/16, §§ 63-69, 27 mai 2021), en particulier à la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe le 7 avril 2011 et entrée en vigueur le 1er août 2014 à l’égard des dix premiers États l’ayant ratifiée. La République tchèque a signé la Convention d’Istanbul le 2 mai 2016 mais ne l’a pas ratifiée à ce jour.

30. Le 21 septembre 2023, le GREVIO (Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique), organe spécialisé indépendant qui est chargé de veiller à la mise en œuvre, par les Parties, de la Convention d’Istanbul, a publié le 4e rapport général sur ses activités, qui couvre la période de janvier à décembre 2022. Les passages pertinents de ce rapport se lisent ainsi :

« Différentes approches de l’incrimination de la violence sexuelle, y compris le viol

L’incrimination de la violence sexuelle, y compris du viol, par les États parties à la convention, se caractérise par de nombreuses différences dans les définitions, les champs d’application de la protection, les comportements incriminés, les sanctions appliquées et les circonstances aggravantes et atténuantes. Il ressort des activités de suivi du GREVIO qu’à ce jour, il existe quatre différentes approches de l’incrimination de la violence sexuelle, y compris du viol. L’une d’entre elles exige le recours à la force, à la contrainte ou à l’exploitation d’une vulnérabilité. On observe également une approche à deux niveaux, qui exige d’une part le recours à la force, à la menace ou à la contrainte, mais qui reconnaît aussi une autre infraction entièrement fondée sur l’absence de consentement. Une troisième approche, également connue sous le nom de modèle « non, c’est non ! », n’exige pas le recours à la force, à la menace ou à la contrainte, mais demande de prouver que l’acte sexuel a été commis contre la volonté de la personne. Dans la quatrième approche, décrite informellement sous le nom de « seul oui veut dire oui », mais aussi connue sous le nom de modèle du « consentement affirmatif », la participation volontaire des deux ou de toutes les parties est requise pour qu’un acte sexuel ne soit pas incriminé.

Lois fondées sur le recours à la force, à la contrainte ou à la menace

L’approche pénale traditionnelle de la violence sexuelle reposait sur des définitions purement fondées sur le recours à la force, aux menaces, à la contrainte ou à l’intimidation. Elle ne cherchait pas à protéger l’autonomie sexuelle, mais était plutôt inspirée par des règles religieuses et/ou morales de conduite sexuelle. (...) Parce que les lois fondées sur le recours à la force ou à la contrainte révèlent un plus grand souci de l’accusé que de la victime et trahissent la croyance persistante selon laquelle les fausses accusations de viol sont faciles à formuler, mais difficiles à réfuter, elles ont eu un impact négatif sur l’établissement des règles d’administration de la preuve et des procédures. (...)

La majorité des définitions fondées sur la force font référence à l’utilisation de la violence ou de la menace de violence (comme en France, en Italie et aux Pays-Bas) ou au fait d’aller à l’encontre de la volonté de la personne en utilisant la force (comme en Estonie) ou la contrainte (Roumanie). Cela étant, il convient de noter que dans toutes les juridictions, y compris dans celles où la définition légale de la violence est fondée sur la force, les situations qui invalident le consentement sont également reconnues dans le droit pénal ou prises en compte par la jurisprudence. Certaines formes d’invalidation du consentement font référence à l’état d’impuissance de la victime, dont on aurait « profité » ou « abusé de la vulnérabilité ». Cet état d’impuissance est lié dans la plupart des cas à une forme d’inconscience due à l’alcool, aux drogues ou à la situation particulière de la victime (maladie ou handicap mental, détention sous une forme ou une autre). (...) Par conséquent, les références à l’incapacité des victimes à donner leur consentement sont présentes dans toutes les définitions, qu’elles soient basées sur la force ou sur le consentement, leur épargnant ainsi de devoir démontrer qu’elles ont résisté. Toutefois, les experts nationaux ont indiqué que les tribunaux n’interprétaient pas la question de l’absence de consentement de manière cohérente et que le niveau de preuve exigé restait élevé, ce qui entraînait souvent une victimisation secondaire.

L’approche à deux niveaux

Dans l’approche à deux niveaux, une disposition exigeant le recours à la force et une disposition exigeant l’élément de l’absence de consentement coexistent en parallèle. Cependant, la première prévoit une peine d’emprisonnement plus sévère que la seconde. Or, dans un modèle ne reconnaissant qu’« une seule infraction », les menaces ou la violence renforcent la gravité de l’acte illicite en tant qu’éléments additionnels, mais ne sont pas constitutives de l’acte comme c’est le cas dans l’approche à deux niveaux. Dans ses rapports d’évaluation de référence, le GREVIO a estimé que c’était le fait que l’acte ait eu lieu sans le consentement de la victime qui devait déterminer la sanction, indépendamment de la question de savoir si l’acte avait été commis par quelqu’un qui avait employé la violence ou abusé de son autorité sur la victime, par exemple. Néanmoins, lorsque l’acte s’est accompagné de violences et d’abus ou d’autres circonstances particulièrement traumatisantes, il fallait retenir des circonstances aggravantes pour que la sanction soit proportionnée à la gravité de l’acte. (...)

L’approche « Non, c’est non ! »

L’approche « non, c’est non ! » est fondée sur le postulat qu’un rapport sexuel est consenti dès lors qu’aucune des parties n’a dit « non ». Cette approche incrimine les actes sexuels commis « contre la volonté d’une personne ». Le degré de résistance, qu’elle soit verbale ou non verbale, est utilisé pour déterminer si la victime a consenti aux actes sexuels. L’approche « non, c’est non ! » présume le consentement, à moins qu’il ne soit retiré – explicitement ou implicitement – par la victime. Il appartient par conséquent au ministère public de prouver au-delà de tout doute raisonnable que l’acte a eu lieu contre la volonté du plaignant. En d’autres termes, le ministère public doit convaincre les personnes chargées d’établir les faits (le juge ou le jury) que le plaignant a fait savoir à l’accusé qu’il ne souhaitait pas prendre part à des actes sexuels. Il peut s’agir d’une résistance exprimée verbalement ou par des gestes ou des comportements non équivoques comme le fait de repousser, pleurer, tenter de partir, etc. Autrement dit, lorsque le ministère public ne parvient pas à démontrer que la victime a exprimé, verbalement ou non verbalement, un « non », la preuve de l’élément constitutif du crime sera considérée comme manquante, et l’accusé ne sera donc pas tenu pénalement responsable. (...) Sur le plan pratique, des experts ont attiré l’attention sur le fait que dans le cadre de cette approche, le risque était que l’on fasse porter à la victime la charge d’avoir rejeté verbalement ou non verbalement les avances sexuelles ou d’avoir évité la violence sexuelle, plutôt que de faire porter à l’auteur la charge de s’être assuré que l’autre personne acceptait de prendre part à l’acte sexuel. Plus précisément, il existait un risque que la procédure pénale se concentre principalement sur la victime et accorde une attention excessive à son comportement. (...)

L’approche « seul oui veut dire oui »

L’approche « seul oui veut dire oui », également connue sous le nom de « norme de consentement affirmatif », assimile le consentement à un acte sexuel à un « consentement affirmatif et librement donné ». Elle met l’accent sur l’expression affirmative, qu’elle soit verbale ou non verbale. Le consentement est considéré comme un « accord », exprimé entre les parties sur la base du libre arbitre. Selon ses partisans, la différence entre un rapport sexuel et un viol réside simplement dans le fait qu’une personne veuille ou non avoir des relations sexuelles. Ils considèrent par ailleurs que ce n’est pas à la personne de dire non, mais à l’autre personne d’écouter si elle dit oui. Cette approche a été incorporée dans des lois qui incriminent les rapports sexuels avec une personne « qui ne participe pas volontairement » ou « qui n’a pas donné son consentement ». Ses tenants considèrent en particulier que la passivité, le silence, l’absence de protestation ou l’absence de résistance ne peuvent être assimilés à un consentement. Dans cette approche, le consentement affirmatif doit être constant tout au long de l’activité sexuelle et peut être retiré à tout moment. En définitive, le passage du « non, c’est non ! » au « seul oui veut dire oui », correspond à une évolution dans la manière dont la société, et en particulier le système judiciaire, envisage le processus de consentement à des actes sexuels. Dans cette évolution, le sexe est perçu comme un acte auquel les deux parties doivent consentir de leur plein gré. Les approches fondées sur le consentement affirmatif offrent des règles plus claires aux parties qui risquent de commettre ou d’être victimes de violences sexuelles, ainsi qu’aux personnes chargées d’enquêter et de mener des poursuites sur ces affaires. (...)

(...) pour le GREVIO, l’approche du consentement affirmatif est plus en adéquation avec l’esprit de la convention dans son ensemble, et avec l’objectif général d’améliorer la prévention, la protection et les poursuites. En effet, l’approche « seul oui veut dire oui » est plus susceptible d’avoir un impact sur la prévention et de sensibiliser la société aux préjugés et aux stéréotypes de genre, qui sont souvent exprimés lorsqu’il est question de viols et d’infractions sexuelles. »

31. Dans sa Recommandation générale no 33 sur l’accès des femmes à la justice (publiée le 3 août 2015), le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) a rappelé qu’au titre des articles 2 et 15 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, les États parties ont l’obligation de garantir aux femmes l’accès à la protection et aux recours offerts par le droit pénal et de veiller à ce qu’elles ne fassent pas l’objet d’une discrimination dans le cadre de ces systèmes, soit en tant que victimes soit en tant qu’auteurs d’actes délictueux (point 47).

32. Dans sa Recommandation générale no 35 sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre (publiée le 26 juillet 2017), le CEDAW a recommandé aux États parties de veiller à ce que la définition des crimes de nature sexuelle, y compris le viol conjugal et le viol commis par un compagnon de sortie, se fonde sur l’absence de consentement donné de plein gré et prenne en compte les circonstances coercitives (point 29).

3. LE DROIT PERTINENT DE L’UNION EUROPÉENNE

33. Le 1er juin 2023, à la suite d’un vote du Conseil, l’Union européenne a adhéré à la Convention d’Istanbul (paragraphe 29 ci-dessus), qui est entrée en vigueur pour l’Union européenne le 1er octobre 2023.

34. Le 8 mars 2022, la Commission européenne a proposé une nouvelle directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, visant à garantir un niveau minimal de protection dans l’ensemble de l’Union européenne contre ces violences.

Le 6 février 2024, le Conseil et le Parlement européen sont parvenus à un accord politique concernant cette proposition de la Commission européenne. Le texte approuvé comporte des exigences en matière de prévention qui visent, premièrement, à sensibiliser au rôle essentiel du consentement dans les relations sexuelles et, deuxièmement, à favoriser l’adoption de mesures ciblées de prévention du viol.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 8 DE LA CONVENTION

35. La requérante se plaint d’une interprétation restrictive par les autorités des éléments constitutifs des infractions de viol et d’abus sexuels prévues par le code pénal no 140/1961 et de ce que ce cadre juridique était insuffisant pour punir effectivement les délits sexuels dont elle allègue avoir été la victime, ainsi que d’un défaut d’enquête effective sur ses allégations défendables d’agressions sexuelles.

36. Elle invoque les articles 3 et 8 de la Convention, qui sont libellés comme suit dans leurs parties pertinentes :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des ... traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...). »

1. Sur la recevabilité

37. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Observations des parties

a) La requérante

38. La requérante considère que l’enquête menée en l’espèce a été entachée de plusieurs défaillances et que les autorités n’ont pas fait la lumière sur tous les éléments pertinents. En particulier, les services de police n’auraient pas cherché à établir si elle avait consenti aux contacts sexuels en question, et ils se seraient contentés d’une déclaration écrite de V.K., sans essayer de l’interroger pendant ses visites en République tchèque ou par vidéo-conférence. La police n’aurait pas non plus cherché à identifier d’autres « filles spirituelles » de V.K., qui auraient pu témoigner ou même se porter victimes, ni à se procurer les informations rassemblées par les autorités ecclésiastiques.

39. La requérante souligne également que, alors qu’il pouvait y avoir des raisons d’ordre psychologique, liées à ses expériences passées (paragraphe 5 ci-dessus), susceptibles d’expliquer qu’elle n’eût pas activement résisté aux agissements de V.K., les autorités n’ont procédé à aucune évaluation de son état psychologique ni de sa capacité d’exprimer sa volonté à l’époque des faits (elle se réfère à cet égard à C. c. Roumanie, no 47358/20, § 82, 30 août 2022). De même, les autorités n’ont pas examiné si elle avait subi une atteinte grave à la santé du fait des agissements de V.K.

40. De l’avis de la requérante, les autorités n’ont pas pris en compte les divers facteurs qui l’ont rendue vulnérable, à savoir : sa santé fragile et le décès de son père (paragraphe 6 ci-dessus), son expérience passée avec V.Z., ainsi que sa relation de dépendance et de soumission vis-à-vis de V.K., qui était son directeur de mémoire, son guide spirituel et son confesseur, et dont découlait selon elle un déséquilibre des pouvoirs entre eux. Elle estime également que rien dans le dossier ne permettait de dire qu’elle avait été attirée par V.K., ni intéressée par une relation sexuelle, ni même consentante, contrairement à ce que la police a insinué ; elle soutient à cet égard que la loi n’exige pas de la victime d’un délit sexuel qu’elle exprime son désaccord de manière continue.

41. La requérante ne souscrit pas à l’avis du Gouvernement selon lequel certaines constatations des autorités auraient pu lui apporter une satisfaction partielle (paragraphe 48 ci-dessus). Elle relève à cet égard que les autorités pénales ont conclu que le comportement de V.K. n’était pas suffisamment grave pour être constitutif d’une infraction, et que les autorités religieuses n’ont pas non plus considéré que les faits étaient contraires aux lois nationales ou aux règles ecclésiastiques.

42. La requérante s’oppose enfin à l’argument du Gouvernement selon lequel la jurisprudence existante ne permettait pas aux autorités de conclure que V.K. avait abusé de son incapacité de se défendre ou qu’elle s’était trouvée sous son contrôle (paragraphe 48 ci-dessus). Selon elle, les autorités ne pouvaient se dégager de leur responsabilité sous prétexte que la jurisprudence donnait seulement des définitions générales des éléments constitutifs d’une infraction et ne s’était pas prononcée sur une affaire factuellement identique à la sienne. Elle estime que, même en admettant que la pratique interne existante en 2008 était restrictive au point de ne pas permettre de qualifier les agissements de V.K. de viol ou d’abus sexuels (ce qui selon elle voudrait dire que l’État n’avait pas satisfait à son obligation d’incriminer tous les actes sexuels non consentis), les autorités auraient dû parvenir à une telle interprétation en application de la jurisprudence de la Cour, et en particulier de l’arrêt M.C. c. Bulgarie (no 39272/98, CEDH 2003‑XII).

b) Le Gouvernement

43. Concernant le cadre juridique, le Gouvernement est d’avis que, étant donné que les États jouissent d’une large marge d’appréciation en la matière, ils ne sont pas forcément tenus de s’acquitter de leur obligation positive d’incriminer tous les actes sexuels non consentis sous une seule et même infraction (typiquement le viol). Il souligne qu’en l’espèce, les faits dénoncés par la requérante tombaient sous le coup du code pénal en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009 (loi no 140/1961), qui définissait plusieurs délits sexuels, dont le viol et les abus sexuels. Il soutient qu’aucune de ces infractions n’exigeait nécessairement que leur auteur eût employé la violence ou la menace de violence ou que la victime eût opposé une résistance physique ; selon lui, en effet, le viol pouvait également être commis en abusant de l’incapacité de la victime de se défendre, et la définition des abus sexuels était même dépourvue de toute référence à un élément de violence (paragraphes 18-19 ci-dessus).

44. Le Gouvernement fait également valoir qu’en République tchèque, la situation évolue dans le sens de l’incrimination d’un plus large spectre d’atteintes sexuelles, avec des délais de prescription plus longs, c’est-à-dire vers une amélioration de la capacité des autorités à dûment réagir à ces atteintes. Il observe notamment que, depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, en 2010, la définition du viol inclut la menace de violence, même non imminente, ainsi que la menace d’une autre atteinte grave, et elle englobe tout acte sexuel (et pas seulement les rapports sexuels ou les actes similaires à un rapport sexuel non consentis). Il ajoute qu’une nouvelle infraction de coercition sexuelle a été introduite qui, étant elle aussi définie par un abus, de la part de l’auteur des faits, de sa position et de la crédibilité ou de l’influence qui en résultent, peut couvrir la relation entre un prêtre et une paroissienne (paragraphes 25-26 ci-dessus). Selon le Gouvernement, il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour suprême que, pour conclure à l’existence d’une violence au sens de l’article 185 § 1 du nouveau code pénal, il n’est pas nécessaire que la victime oppose une résistance physique manifeste mais il suffit que l’auteur des faits ait pu percevoir l’absence de consentement de la victime (paragraphe 24 ci-dessus).

45. Pour ce qui est de l’enquête menée en l’espèce, le Gouvernement soutient qu’elle a été ouverte promptement et conduite avec diligence et sérieux. Il considère qu’un grand nombre de preuves ont été rassemblées, parmi lesquelles la déposition de la requérante (paragraphe 9 ci-dessus) et une déclaration écrite de V.K., qui selon le Gouvernement n’a pas pu être interrogé en raison de la pandémie (paragraphe 11 ci-dessus), et il estime que ces preuves ont permis d’établir toutes les circonstances pertinentes.

46. Le Gouvernement considère par ailleurs que, n’étant ni mineure ni très jeune, ne souffrant pas de maladie mentale et n’étant pas placée dans une institution, la requérante ne se trouvait pas dans une situation de particulière vulnérabilité au sens de la jurisprudence de la Cour. Il juge qu’en tout état de cause, les autorités ont suffisamment tenu compte de sa situation individuelle et ont fait preuve de sensibilité et de respect à son égard, en évitant toute stigmatisation ou victimisation secondaire.

47. Quant au fait de savoir s’il y a eu en l’espèce des éléments de coercition, le Gouvernement maintient que certaines déclarations de la requérante ont laissé supposer, du moins dans une certaine mesure, que ses contacts sexuels avec V.K. étaient consentis. Par ailleurs, le Gouvernement invite la Cour à prendre en compte la nature très spécifique de la relation entre V.K. et la requérante, c’est-à-dire entre un prêtre et une personne croyante, qui distingue la présente affaire de celles qui ont été examinées par la Cour jusqu’à présent. Il estime en effet que le fait que la requérante se fût sentie sous l’emprise de V.K. en tant qu’autorité spirituelle était la manifestation de sa liberté de religion, qu’elle exerçait de son plein gré, et il considère qu’il n’appartient ni aux autorités nationales ni à la Cour d’apprécier si et dans quelle mesure la requérante a été réellement soumise, au sens religieux du terme, à son « père spirituel » (sur ce point, le Gouvernement se réfère à Skugar et autres c. Russie (déc.), no 40010/04, 3 décembre 2009). Il ajoute que certains arguments formulés par la requérante quant au déséquilibre des pouvoirs dans leur relation laisseraient entendre que tout acte sexuel entre un prêtre et une personne croyante serait nécessairement non consenti et devrait constituer donc une infraction, ce qu’il ne peut accepter.

48. Le Gouvernement observe enfin qu’à l’issue de l’enquête, les autorités internes ont conclu que les agissements de V.K. n’étaient constitutifs ni d’abus sexuels ni de viol, considérant que la requérante n’avait pas été dans une situation d’incapacité de se défendre (dont V.K. aurait abusé), ni sous le contrôle de V.K., tels que ces termes étaient interprétés par la jurisprudence. Il estime qu’une conclusion opposée aurait été incompatible avec l’article 7 de la Convention et l’exigence de prévisibilité du droit pénal. Le Gouvernement relève également que dans les motifs de leurs décisions, les autorités ont qualifié le comportement de V.K. de contraire à l’éthique et immoral, ce qui selon lui était susceptible de faire en partie droit aux demandes présentées par la requérante dans son recours constitutionnel (paragraphe 16 ci-dessus). Dans ce contexte, le Gouvernement estime qu’il n’est pas sans importance que des mesures aient été prises à l’égard de V.K. par des autorités ecclésiastiques, que la requérante se soit vu proposer un règlement à l’amiable et qu’elle ait reçu des excuses (paragraphes 7, 10 et 11 ci-dessus). Le Gouvernement observe enfin (en se référant à l’affaire D.K. c. Italie, no 14260/17, § 88, 1er décembre 2022) que la requérante n’a pas saisi les juridictions civiles.

2. Appréciation de la Cour

49. La Cour rappelle d’emblée que le viol et les agressions sexuelles graves s’analysent en des traitements entrant dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention et mettant également en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention (Y c. Bulgarie, no 41990/18, §§ 63-64, 20 février 2020 et les affaires qui y sont citées). Conformément à cette jurisprudence, elle estime que les faits d’agression sexuelle allégués par la requérante sont suffisamment graves pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention, et que les griefs soulevés par elle peuvent être examinés conjointement sur le terrain des articles 3 et 8 de la Convention.

a) Principes généraux

50. La Cour note que les principes généraux applicables en la matière ont été énoncés, en particulier, dans l’affaire M.C. c. Bulgarie (no 39272/98, §§ 149-152, CEDH 2003‑XII). Elle rappelle notamment que les obligations positives qui pèsent sur les États en vertu des articles 3 et 8 de la Convention comportent l’obligation d’adopter des dispositions pénales incriminant et réprimant de manière effective tout acte sexuel non consenti, y compris lorsque la victime n’a pas opposé de résistance physique (M.G.C. c. Roumanie, no 61495/11, § 59, 15 mars 2016, Z c. Bulgarie, no 39257/17, § 67, 28 mai 2020, et J.L. c. Italie, no 5671/16, § 117, 27 mai 2021), et d’appliquer effectivement ces dispositions au travers d’enquêtes et de poursuites effectives (M.C. c. Bulgarie, précité, §§ 153 et 166, et B.V. c. Belgique, no 61030/08, § 55, 2 mai 2017).

51. En effet, les obligations positives inhérentes aux articles 3 et 8 de la Convention commandent en premier lieu l’instauration d’un cadre législatif et réglementaire permettant de protéger adéquatement les individus contre les atteintes à leur intégrité physique et morale, notamment, pour des actes aussi graves que le viol, par l’adoption de dispositions pénales efficaces et leur application effective en pratique (M.C. c. Bulgarie, précité, § 150, et J.L. c. Italie, précité, § 118).

52. S’agissant de cette obligation matérielle, la Cour a admis dans son arrêt M.C. c. Bulgarie (précité, § 154) que les États jouissent d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne les moyens de garantir une protection adéquate contre le viol. Elle a constaté dans ce contexte que l’exigence selon laquelle la victime doit résister physiquement n’avait plus cours dans la législation des pays européens et que si, dans beaucoup de ces pays, la définition du viol mentionnait toujours l’emploi de la violence ou de menaces de violence par l’agresseur, la jurisprudence et la doctrine considéraient plutôt l’absence de consentement, et non pas l’usage de la force, comme l’élément constitutif de l’infraction de viol. La Cour s’est donc dite convaincue que toute approche rigide de la répression des infractions à caractère sexuel, qui consisterait par exemple à exiger dans tous les cas la preuve qu’il y a eu résistance physique, risquait d’aboutir à l’impunité des auteurs de certains types de viol et par conséquent de compromettre la protection effective de l’autonomie sexuelle de l’individu. Conformément aux normes et aux tendances contemporaines en la matière, dont celle consistant à considérer l’absence de consentement comme l’élément constitutif essentiel du viol et des violences sexuelles, la Cour a donc conclu que les États avaient l’obligation d’incriminer et de réprimer effectivement tout acte sexuel non consenti, y compris lorsque la victime n’a pas opposé de résistance physique (ibidem, §§ 157-166).

53. La Cour rappelle ensuite que les articles 3 et 8 de la Convention mettent également à la charge des États une obligation positive procédurale. Ainsi, lorsqu’une personne allègue de manière défendable avoir été victime d’actes contraires à ces dispositions, les autorités nationales doivent mener une enquête officielle effective propre à permettre l’établissement des faits ainsi que l’identification et, le cas échéant, la punition des personnes responsables. Il s’agit là d’une obligation de moyens et non de résultat. Si cette exigence n’impose pas que toute procédure pénale se solde par une condamnation, voire par le prononcé d’une peine déterminée, les instances judiciaires internes ne doivent en aucun cas se montrer disposées à laisser impunies des atteintes à l’intégrité physique et morale des personnes, pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance d’actes illégaux (voir, parmi d’autres, J.L. c. Italie, précité, § 118, et N.Ç. c. Turquie, no 40591/11, § 96, 9 février 2021).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

54. La Cour observe tout d’abord qu’à l’époque à laquelle les faits dénoncés par la requérante ont été commis, à savoir en 2008-2009, les infractions pénales étaient définies par la loi no 140/1961 (le code pénal). Selon l’article 241 de ce code, le viol pouvait être commis soit par le recours à la violence ou à la menace de violence imminente, employées pour contraindre la victime à un rapport sexuel ou à un acte sexuel similaire, soit en abusant de l’incapacité de la victime de se défendre (paragraphe 18 ci‑dessus). En outre, ce code définissait à son article 243 l’infraction d’abus sexuel, moins sévèrement réprimée, et susceptible d’être commise, par l’abus d’une situation de dépendance, soit sur une personne de moins de 18 ans soit sur une personne se trouvant sous le contrôle de l’agresseur (paragraphe 21 ci-dessus).

55. Dans la présente affaire, la police a conclu qu’il n’y avait pas eu viol aux motifs que V.K. n’avait pas eu recours à la violence ni à la menace de violence et que la requérante avait exprimé son désaccord seulement après les actes sexuels, mais non pendant (paragraphe 12 ci-dessus). La requérante ne conteste pas ces motifs, mais elle soutient en revanche que les autorités nationales auraient tout de même dû qualifier de viol les actes commis par V.K. dès lors qu’il avait selon elle abusé de son incapacité à se défendre, ou, à défaut, d’abus sexuels, puisqu’elle se serait trouvée sous son contrôle et qu’il aurait abusé de sa dépendance (paragraphe 42 ci-dessus). Elle affirme à cet égard que les autorités auraient dû tenir compte des circonstances propres à l’espèce – notamment de sa précédente expérience d’abus, de la fragilité de son état de santé, affecté entre autres par le décès de son père, et de la particularité de sa relation avec V.K., qui avait été son directeur de mémoire et qu’elle considérait comme son guide spirituel –, dont elle allègue qu’elles l’ont rendue incapable de résister activement aux agissements de V.K. Elle souligne à cet égard que les autorités n’ont procédé à aucune évaluation de son état psychologique ni de sa capacité d’exprimer sa volonté à l’époque des faits (paragraphes 39 et 40 ci-dessus).

56. Pour la Cour, il s’agit en l’espèce de déterminer si les autorités ont agi en conformité avec leurs obligations positives, telles qu’elles découlent des articles 3 et 8 de la Convention, pour assurer à la requérante une protection effective contre les actes sexuels non-consentis qu’elle affirme avoir subis. Notant que, dans ses observations (paragraphes 38-42 ci-dessus) la requérante ne met pas explicitement en cause le texte de la loi existant à l’époque des faits, la Cour doit examiner si, comme le soutient la requérante, l’approche des autorités dans l’interprétation des faits et du cadre juridique dans la présente affaire a été défaillante au point d’emporter violation des obligations positives qui incombaient à l’État défendeur.

57. La Cour note à cet égard que, en l’espèce, la police semble avoir considéré que pour que les agissements de V.K. soient répréhensibles, la requérante aurait dû exprimer son opposition pendant ces actes. Le fait qu’elle l’ait exprimée après, même à plusieurs reprises (paragraphes 9 et 12 ci-dessus), ainsi que l’hypothèse que V.K. ait pu se tromper et estimer qu’elle avait consenti (paragraphe 11 ci-dessus), n’apparaissent pas avoir revêtu une quelconque importance aux yeux des autorités, pas plus que la circonstance que la requérante ait pu avoir des raisons de rester passive, ou de ne pas s’opposer à V.K. en raison de sa position d’autorité, sans pour autant consentir aux actes subis. En effet, malgré les allégations de la requérante en ce sens, les autorités n’ont pas jugé nécessaire de procéder à une évaluation contextuelle de la crédibilité des déclarations faites et à une vérification de toutes les circonstances environnantes (voir M.C. c. Bulgarie, précité, § 177). En particulier, il eût été sans doute important de prendre en compte l’état psychologique de la requérante, ne serait-ce que pour déterminer si elle souffrait d’une éventuelle réaction post-traumatique aux abus qu’elle soutient avoir antérieurement subis ; puis, les autorités n’ont pas suffisamment examiné la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure, la requérante se trouvait dans une situation de vulnérabilité particulière et de dépendance vis-à-vis de V.K. Les autorités du parquet se sont contentées de conclure que la requérante n’avait pas été dans l’incapacité de se défendre au sens de la loi et la jurisprudence internes (paragraphes 14 et 15 ci-dessus).

58. La Cour n’ignore pas que cette jurisprudence, telle qu’elle existait à l’époque des faits, reconnaissait que, dans certaines situations, en raison d’un état d’impuissance dû par exemple à l’alcool, aux drogues, à une maladie ou un handicap, la victime n’est pas capable d’exprimer sa volonté ou de se défendre (paragraphe 20 ci-dessus). De l’avis de la Cour, cette approche traduisait néanmoins une prise en compte insuffisante des situations de consentement invalide pour cause d’abus de vulnérabilité et, de manière plus générale, de la réaction psychologique des victimes d’agressions sexuelles. C’est à la lumière de cette interprétation restrictive des éléments constitutifs de l’infraction de viol tels que définis par la loi no 140/1961 que les autorités chargées de l’enquête ont décidé de classer l’affaire sans suite (comparer M.C. c. Bulgarie, précité, §§ 170-174). Ainsi, la décision définitive est en l’espèce intervenue durant la phase préparatoire de la procédure pénale, sans que l’affaire ne soit soumise à un tribunal, le droit interne ne permettant pas à la requérante de former un recours devant une autorité judiciaire.

59. À cet égard, la Cour relève que la jurisprudence plus récente de la Cour suprême, relative au nouveau code pénal, semble apporter une réponse plus appropriée à cet égard (paragraphe 24 ci-dessus).

60. En ce qui concerne l’infraction d’abus sexuels, telle que définie dans le code pénal en vigueur à l’époque des faits (paragraphes 21 et 54 ci-dessus), la Cour observe que les autorités ont en l’espèce conclu que la requérante ne s’était pas trouvée sous le contrôle de V.K., au sens dans lequel ce terme était interprété par la jurisprudence, et que son libre arbitre n’avait pas été limité, puisqu’elle était une personne adulte, jouissant de la pleine capacité juridique et ne souffrant d’aucune maladie l’empêchant d’exprimer sa volonté (paragraphes 14-15 ci-dessus). Le constat des autorités selon lequel la requérante a pu ressentir une certaine dépendance vis-à-vis de V.K. (paragraphe 15 ci-dessus) ne les a pas amenées à approfondir leur analyse davantage. De l’avis de la Cour, cette approche, qui consiste, en substance, à refuser l’évaluation contextuelle des faits en prenant en compte l’état psychologique de la requérante in concreto, et non seulement le fait qu’elle était une personne adulte, était défaillante.

61. La Cour note par ailleurs que les autorités ont en l’espèce considéré, que sur le fondement du nouveau code pénal entré en vigueur postérieurement aux faits en cause, les agissements de V.K. auraient pu être considérés comme de la coercition sexuelle (paragraphe 12 in fine ci-dessus) ; cela semble confirmé par la jurisprudence y relative (paragraphe 26 in fine).

62. Il s’ensuit que l’approche des autorités en l’espèce n’était pas à même de garantir à la requérante une protection appropriée. De ce fait, la Cour estime que l’État défendeur a manqué à ses obligations positives qui lui imposaient, du moins depuis l’adoption en 2003 de l’arrêt M.C. c. Bulgarie (précité), d’appliquer effectivement un système pénal apte à réprimer les actes sexuels non-consentis allégués par la requérante. Elle rappelle à cet égard qu’elle n’est pas appelée à statuer sur la responsabilité pénale de l’agresseur présumé (voir M.C. c. Bulgarie, précité, § 168) et que son constat ci-dessus ne saurait donc être interprété comme un avis sur la culpabilité de V.K. ou comme un appel à la réouverture de l’enquête en l’espèce.

63. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure qu’il y a eu, en l’espèce, violation des obligations positives qui incombent à l’État défendeur en vertu des articles 3 et 8 de la Convention.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

64. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

65. La requérante demande 30 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi notamment en raison du fait que les agissements de V.K. n’ont pas été adéquatement qualifiés et poursuivis par les autorités.

66. Le Gouvernement soutient que, pour être équitable, la somme allouée à ce titre devrait refléter à la fois la gravité des violations constatées et la jurisprudence pertinente.

67. La Cour estime que la requérante a subi un dommage moral certain en raison des violations constatées de ses droits garantis par les articles 3 et 8 de la Convention. Elle considère qu’il y a lieu de lui octroyer 25 000 EUR pour dommage moral.

2. Frais et dépens

68. La requérante réclame 7 058 EUR au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés, ce qui correspondrait à 305 heures de travail effectuées par son avocat dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes et de la procédure menée devant la Cour, déduction faite des sommes qui lui auraient été accordées au niveau interne au titre des frais et dépens.

69. Le Gouvernement note que la requérante n’a pas détaillé ni étayé sa demande par les justificatifs pertinents, comme l’impose l’article 60 § 2 du règlement de la Cour, et qu’elle n’a pas non plus soumis de document attestant qu’elle avait bien versé la somme en question à son avocat ou qu’elle était tenue de la lui verser.

70. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

71. En l’espèce, vu l’absence de tout justificatif de paiement concernant les frais censément engagés par la requérante pour la procédure devant les juridictions internes, la Cour ne lui octroie aucune somme à ce titre.

En ce qui concerne les frais engagés pour la procédure devant elle, la Cour estime raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 1 000 EUR, ce qui correspond à la somme facturée par son avocat pour l’élaboration de la réponse aux observations du Gouvernement.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation des articles 3 et 8 de la Convention ;
3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

1. 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 juin 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik Mattias Guyomar
Greffier Président


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