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11/07/2024 | FRANCE | N°23NC02844

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 11 juillet 2024, 23NC02844


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er août 2022 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Troyes l'a suspendue de ses fonctions sans traitement.



Par un jugement n° 2202726 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 1er août 2022, a enjoint au directeur du centre hospitalier de Troyes de réintégrer Mme C... dans le délai d'un mois

et a mis à la charge de l'établissement public une somme de 1 500 euros en application de l'artic...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er août 2022 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Troyes l'a suspendue de ses fonctions sans traitement.

Par un jugement n° 2202726 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 1er août 2022, a enjoint au directeur du centre hospitalier de Troyes de réintégrer Mme C... dans le délai d'un mois et a mis à la charge de l'établissement public une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 7 septembre 2023 et 10 avril 2024, le centre hospitalier de Troyes, représenté par Me Brocheton, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme C... ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'irrégularité, dès lors qu'il annule une décision différente de celle dont il était demandé l'annulation ;

- les premiers juges ont retenu un moyen qui n'était pas exposé dans la requête et qui n'est pas d'ordre public ;

- l'injonction prononcée est entachée d'erreur de droit ;

- les frais accordés reposent sur une analyse erronée des circonstances du dossier ;

- le motif d'annulation retenu par les premiers juges est erroné, dès lors que l'agent n'a jamais demandé à bénéficier des neuf jours de congés dont elle disposait et qu'elle n'a pas été privée d'une garantie, l'employeur ayant le droit de refuser cette prise de congés ;

- les moyens soulevés par Mme C... en première instance ne sont pas fondés ;

- la suspension ne serait illégale qu'en tant qu'elle aurait débuté avant que Mme C... ait pris au plus les neuf jours de congés auxquels elle pouvait prétendre.

La procédure a été communiquée à Mme C..., qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les conclusions de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Agent titulaire de la fonction publique hospitalière, Mme C... exerce des fonctions d'infirmière en soins généraux et spécialisés au centre hospitalier de Troyes. Par une décision du 1er août 2022, elle a fait l'objet d'une suspension de fonctions à compter du jour même pour méconnaissance de l'obligation vaccinale imposée aux agents travaillant dans les établissements de santé. Elle a formé un recours gracieux contre cette décision le 22 septembre 2022. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le directeur du centre hospitalier sur ce recours. Par sa requête, le centre hospitalier de Troyes relève appel du jugement du 13 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 1er août 2022 ainsi que la décision de rejet du recours gracieux et a enjoint à son directeur de réintégrer Mme C....

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, l'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l'autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s'il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d'interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.

3. Il résulte de ce qui précède que les premiers juges, qui étaient saisis de conclusions tendant à l'annulation de la décision de rejet du recours gracieux formé le 22 septembre 2022 contre la décision de suspension de fonctions du 1er août 2022, étaient tenus de considérer qu'ils étaient également saisis de conclusions à fin d'annulation de la décision initiale. Par suite, les premiers juges n'ont pas statué ultra petita en prononçant l'annulation de la décision du 1er août 2022.

4. En deuxième lieu, il ressort de la demande d'annulation formée par Mme C... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qu'elle soutenait, après avoir cité les dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, qu'elle n'avait pas été informée ni mise en mesure, lors de l'entretien du 1er août 2022, d'utiliser ses jours de congés annuels ou ses jours de RTT ou ses jours de " CHS ". Par suite, en annulant la décision du 1er août 2022 au motif que l'agent n'avait pas été informée qu'elle avait la possibilité d'utiliser des jours de congés payés, les premiers juges n'ont pas retenu un moyen qu'ils auraient relevé d'office.

5. En troisième lieu, l'annulation prononcée par les premiers juges de l'arrêté du 1er août 2022 pour un vice de procédure n'impliquait pas qu'il soit enjoint au directeur du centre hospitalier de Troyes de réintégrer Mme C.... Par suite, le jugement est irrégulier en tant qu'il a statué sur les conclusions à fin d'injonction.

6. Il appartient à la cour de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions à fin d'injonction. Il y a lieu en revanche de statuer sur les autres conclusions de la requête par l'effet dévolutif de l'appel.

Sur la légalité de l'arrêté du 1er août 2022, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel :

7. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, dans sa version applicable : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : 1° Les personnes exerçant leur activité dans : a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code ; (...) ". Aux termes de l'article 13 de cette même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. (...) ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. - (...) B - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / (...) / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I (...). Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. (...) ".

8. Mme C..., qui a été reçue en entretien le 1er août 2022 au matin, soutient qu'elle s'est vu notifier la décision prononçant sa suspension de fonctions sans avoir été informée qu'elle avait la possibilité d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. Le centre hospitalier de Troyes se borne à contester cette allégation, sans produire, à hauteur d'appel comme devant les premiers juges, le moindre élément pour établir que l'agent aurait été informée des conséquences de l'interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation, notamment en utilisant des jours de congés payés afin de différer la date de prise d'effet de la mesure de suspension de fonctions sans traitement. L'absence de toute information sur ce point a ainsi privé Mme C... d'une garantie. Le centre hospitalier ne saurait à cet égard utilement reprocher à son agent de ne pas avoir demandé à poser des jours de congés payés, ni soutenir qu'une telle demande aurait nécessairement fait l'objet d'un refus, ni encore prétendre que la notification de la mesure de suspension de fonctions valait, en tant que telle, refus de faire droit à cette demande qui, ainsi qu'il vient d'être dit, n'a pas pu être formulée. Dans ces conditions, Mme C... est fondée à soutenir que la mesure de suspension est entachée d'un vice de procédure.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, le centre hospitalier de Troyes n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 1er août 2022. Il n'est pas plus fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont mis à sa charge le versement à Mme C... d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions à fin d'injonction, dans le cadre de l'évocation :

10. D'une part, et ainsi qu'il a été dit précédemment, le motif d'annulation retenu n'implique ni la réintégration de Mme C... dans ses fonctions au 1er août 202, ni le versement de l'ensemble des traitements à compter de cette date. Les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme C... doivent, dès lors, être rejetées.

11. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'à la date du présent arrêt, le centre hospitalier de Troyes avait rémunéré les neuf jours de congés ordinaires dont l'agente disposait à la date de sa suspension de fonctions. Par suite, le présent arrêt n'implique aucune mesure d'injonction.

Sur les frais de l'instance :

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... une somme au titre des frais exposés par le centre hospitalier de Troyes et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 13 juillet 2023 est annulé en tant qu'il a enjoint au centre hospitalier de Troyes de réintégrer Mme C....

Article 2 : Les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme C... devant le tribunal administratif sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du centre hospitalier de Troyes est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Troyes et à Mme A... C....

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 23NC02844


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02844
Date de la décision : 11/07/2024
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : BROCHETON AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-11;23nc02844 ?
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