Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée à associé unique Orangina Suntory France Production a demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge des cotisations de taxe d'aménagement mises à sa charge par des titres de perception émis le 17 décembre 2020 et le 24 décembre 2021 et de la cotisation de redevance d'archéologie préventive mise à sa charge par un titre de perception émis le 17 décembre 2020.
Par un jugement n° 2400669 du 22 novembre 2024, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2025, la société Orangina Suntory France Production, représentée par Me Ralkos, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 novembre 2024 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de la décharger des cotisations de taxe d'aménagement mises à sa charge par des titres de perception émis le 17 décembre 2020 et le 24 décembre 2021 et de la cotisation de redevance d'archéologie préventive mise à sa charge par un titre de perception émis le 17 décembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le maire de Châteauneuf-de-Gadagne ayant constaté, le 27 mars 2023, la péremption du permis de construire qui lui a été délivré le 5 décembre 2019, les titres de perception émis à son encontre devront être annulés et la taxe d'aménagement ainsi que la redevance d'archéologie préventive devront lui être restituées ;
- il devra être fait droit à sa demande en application de l'article L. 331-30 du code de l'urbanisme, auquel renvoie l'article L. 524-15 du code du patrimoine, les travaux n'ayant pas été réalisés.
Par un mémoire distinct, enregistré le 27 janvier 2025, la société Orangina Suntory France Production demande à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête visée ci-dessus, de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du premier alinéa de l'article L. 331-31 du code de l'urbanisme issues de l'article 28 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010.
Elle soutient que :
- les critères de transmission au Conseil d'État de la question prioritaire de constitutionalité sont réunis ;
- les dispositions contestées méconnaissent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Par ordonnance du président de la présente cour du 12 février 2025 les conclusions de la requête de la société Orangina Suntory France Production relatives à la taxe d'aménagement mise à la charge de cette société au titre du permis de construire qui lui a été délivré le 5 décembre 2019 par le maire de Châteauneuf-de-Gadagne ont été transmises au Conseil d'Etat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- l'ordonnance n° 2022-883 du 14 juin 2022 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code du patrimoine ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;
- la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 ;
- l'ordonnance n° 2022-883 du 14 juin 2022 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rey-Bèthbéder,
-les conclusions de Mme Restino, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Orangina Suntory France Production a déposé, le 10 juillet 2019, une demande de permis de construire en vue de l'édification de chambres froides sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Châteauneuf-de-Gadagne (Vaucluse). Par un arrêté du 5 décembre 2019, le maire de Châteauneuf-de-Gadagne a délivré le permis de construire sollicité. Un titre de perception a été émis par le directeur départemental des territoires de Vaucluse le 17 décembre 2020 à l'encontre de cette société en vue du recouvrement de la somme de 947 euros au titre de la redevance d'archéologie préventive. Par un acte du 27 mars 2023, le maire de Châteauneuf-de-Gadagne a constaté la péremption du permis de construire précité.
2. La société Orangina Suntory France Production relève appel du jugement du 22 novembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation de redevance d'archéologie préventive mise à sa charge.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 331-31 du code de l'urbanisme, alors en vigueur et issu de l'article 28 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 : " En matière d'assiette, les réclamations concernant la taxe d'aménagement sont recevables jusqu'au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'émission du premier titre de perception ou du titre unique ". Le dernier alinéa de cet article dispose que : " Les réclamations concernant la taxe d'aménagement sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables en matière d'impôts directs locaux ". Aux termes de l'article L. 524-15 du code du patrimoine : " Les réclamations concernant la redevance d'archéologie préventive sont présentées, instruites et jugées dans les conditions prévues aux articles L. 331-30 à L. 331-32 du code de l'urbanisme ". Le premier alinéa de l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales dispose que : " Le contribuable qui désire contester tout ou partie d'un impôt qui le concerne doit d'abord adresser une réclamation au service territorial, selon le cas, de la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes et droits indirects dont dépend le lieu de l'imposition ". Il résulte de ces dispositions qu'un contribuable souhaitant contester l'assiette de la redevance d'archéologie préventive doit, à peine d'irrecevabilité, former une réclamation préalable auprès du service territorial de la direction générale des finances publiques avant le 31 décembre de la deuxième année suivant l'émission du premier titre de perception ou du titre unique.
4. Les dispositions de l'article L. 331-31 du code de l'urbanisme ont été abrogées par l'article 8 de l'ordonnance du 14 juin 2022 relative au transfert à la direction générale des finances publiques de la gestion de la taxe d'aménagement et de la part logement de la redevance d'archéologie préventive. L'article 14 de cette ordonnance dispose que : " Les services de l'État chargés de l'urbanisme sont seuls compétents pour établir la taxe d'aménagement afférente aux autorisations d'urbanisme résultant d'une demande d'autorisation déposée avant la date résultant du B du VI de l'article 155 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021. Cette taxe d'aménagement reste assise, liquidée, contrôlée, garantie et recouvrée conformément aux articles L. 331-1 et suivants du code de l'urbanisme dans leur version antérieure à la même date. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les mêmes dispositions (...) ". Selon son article 16 : " La présente ordonnance s'applique à compter de la date résultant du B du VI de l'article 155 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 ".
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
5. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
6. À l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soulève à l'encontre des dispositions, citées au point 3, du premier alinéa de l'article L. 331-31 du code de l'urbanisme, la société Orangina Suntory France Production soutient qu'elles méconnaissent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, faute de respecter le droit à un recours juridictionnel effectif du bénéficiaire d'un permis de construire assujetti à la taxe d'aménagement et à la redevance d'archéologie préventive, en particulier dans l'hypothèse où ce permis est atteint par la péremption prévue par le premier alinéa de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme.
7. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Ces dispositions garantissent le droit de toute personne d'exercer un recours juridictionnel effectif.
8. D'une part, il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
9. Les dispositions critiquées du premier alinéa de l'article L. 331-31 du code de l'urbanisme sont issues de l'article 28 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, loi ayant institué la taxe d'aménagement. Il résulte du B du I de cet article 28 que ces dispositions sont applicables aux demandes d'autorisations et aux déclarations préalables déposées à compter du 1er mars 2012 et à compter du 1er janvier 2014 à Mayotte. Dans ces conditions, le législateur n'a ni porté atteinte à des situations légalement acquises, ni remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire de dispositions applicables, antérieurement à l'entrée en vigueur de la taxe d'aménagement, à la taxe locale d'équipement.
10. D'autre part, le délai de réclamation de deux ans prévu par les dispositions alors en vigueur du premier alinéa de l'article L. 331-31 du code de l'urbanisme est suffisant pour permettre aux contribuables assujettis à la taxe d'aménagement et à la redevance d'archéologie préventive, au titre d'une autorisation de construire ou d'aménager, de faire valoir utilement leurs droits, notamment lorsque, comme en l'espèce, ils n'ont entrepris aucun travail et n'ont ainsi pas donné suite à cette autorisation d'urbanisme.
11. Il suit de ce qui a été exposé aux points 8 à 10 que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité posée, la société Orangina Suntory France Production n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article L. 331-31 du code de l'urbanisme portent atteinte au droit au recours garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Par suite, la question de la société Orangina Suntory France Production étant dépourvue de caractère sérieux, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.
Sur la recevabilité des conclusions à fin de décharge :
12. Il est constant que le titre de perception relatif à la redevance d'archéologie préventive a été émis le 17 décembre 2020 à l'encontre de la société appelante. En conséquence et en application des dispositions citées au point 3, elle pouvait former une réclamation à l'encontre de l'imposition litigieuse jusqu'au 31 décembre 2022. Dès lors, la réclamation de la société à l'encontre de cette imposition n'ayant été présentée que le 19 juin 2023, c'est à bon droit que le tribunal a regardé ses conclusions tendant à la décharge de la cotisation de redevance d'archéologie préventive comme tardives et, par voie de conséquence, comme irrecevables.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Orangina Suntory France Production n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Orangina Suntory France Production demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Orangina Suntory France Production.
Article 2 : La requête de la société Orangina Suntory France Production est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée à associé unique Orangina Suntory France Production et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse et au directeur départemental des finances publiques de Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Lafon, président-assesseur,
Mme Fougères, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2025.
Le président-rapporteur,
É. Rey-Bèthbéder
Le président-assesseur,
N. Lafon
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 25TL00174