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18/04/2007 | SéNéGAL | N°37

Sénégal | Sénégal, Cour de cassation du sénégal, 18 avril 2007, 37


En application des dispositions des articles 14, alinéa 3, 15 et 16 du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, la Cour de cassation doit se déclarer incompétente pour statuer sur les moyens tirés de la violation des articles 272 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et 119 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, surseoir à statuer sur ceux tirés de la violation des articles 497 du Code de procédure civile, 20 du Code des obligations

civiles et commerciales, et 20 du Décret du 26 juillet 1932 portant r...

En application des dispositions des articles 14, alinéa 3, 15 et 16 du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, la Cour de cassation doit se déclarer incompétente pour statuer sur les moyens tirés de la violation des articles 272 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et 119 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, surseoir à statuer sur ceux tirés de la violation des articles 497 du Code de procédure civile, 20 du Code des obligations civiles et commerciales, et 20 du Décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du Régime de la Propriété Foncière en Afrique Occidentale Française et renvoyer l’affaire devant la CCJA.
Cour de cassation du Sénégal, 2ème Chambre statuant en matière civile et commerciale, Arrêt n° 37 du 18 avril 2007, Affaire : Libasse Débo DIOP c/ La Société de Promotion et de Financement « Le Crédit Sénégalais ».- Revue Sénégalaise de Droit des Affaires, Edition 2011, page 90.

LA COUR,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la loi organique n° 92.25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ;
Vu le Traité relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires ;
Attendu qu’au soutien de son pourvoi dirigé contre le jugement d’adjudication du 12 mai 1998 rendu par le Tribunal régional de Dakar, Libasse Débo DIOP invoque quatre moyens de cassation pris de la nullité des placards (article 497 du Code de procédure civile), de la violation des articles 272 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, 20 du Code des obligations civiles et commerciales, 119 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés et 20 du Décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du Régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française ;
Mais, attendu qu’aux termes de l’article 14, alinéa 3 du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, « Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements prévus au présent Traité, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales » et selon les articles 15 et 16 du même Traité, d’une part, « Les pourvois en cassation prévus à l’article 14 ci-dessus sont portés devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, soit directement par l’une des parties à l’instance, soit sur renvoi d’une juridiction nationale statuant en cassation, saisie d’une affaire soulevant des questions relatives à
l’application des Actes uniformes », et d’autre part, « La saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée ».
Attendu, en conséquence, qu’il y a lieu de se déclarer incompétent pour statuer sur les deuxième et quatrième moyens du pourvoi, de surseoir à statuer sur les premier et troisième moyens et de renvoyer l’affaire devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ;
PAR CES MOTIFS
- Se déclare incompétente pour statuer sur les deuxième et quatrième moyens du pourvoi ;
- Ordonne le sursis à statuer sur les premier et troisième moyens ;
- Renvoie la cause et les parties devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ;
- Réserve les dépens.
__________
n Observations
Ce pourvoi présente la particularité de combiner des moyens fondés sur le droit interne et des moyens fondés sur le droit OHADA. Cette situation est assez fréquente devant la Cour de cassation. Et cette dernière a élaboré, à ce propos, une juridiction constante fondée sur une interprétation des articles 14 (al. 1, 3 et 4), 15 et 16 du Traité relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires. Ces textes sont libellés comme suit :
« Art. 14 : La Cour commune de justice et d’arbitrage assure dans les Etats parties l’interprétation et l’application commune du présent Traité, des Règlements pris pour son application et des Actes uniformes.
La Cour peut être consultée par tout Etat partie ou par le Conseil des Ministres sur toute question entrant dans le champ de l’alinéa précédent. La même faculté de solliciter l’avis consultatif de la Cour est reconnue aux juridictions nationales saisies en application de l’article 13 ci-dessus.
Saisie par la voie du recours en cassation, la Cour se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements prévus au présent Traité, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales.
Elle se prononce dans les mêmes conditions sur les décisions non susceptibles d’appel rendues par toute juridiction des Etats parties dans les mêmes contentieux.
En cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond.
Art. 15 : Les pourvois en cassation prévus à l’article 4 sont portés devant la Cour commune de justice et d’arbitrage, soit directement par l’une des parties à l’instance, soit sur renvoi d’une juridiction nationale statuant en cassation saisie d’une affaire soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes.
Art. 16 : La saisine de la Cour commune de justice et d’arbitrage suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée. Toutefois, cette règle n’affecte pas les procédures d’exécution.
Une telle procédure ne peut reprendre qu’après arrêt de la Cour commune de justice et d’arbitrage se déclarant incompétente pour connaître de l’affaire ».
En l’espèce, les deuxième et quatrième moyens du pourvoi étant fondés sur la violation des dispositions des articles 272 et suivants de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et 119 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés, appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation reviendrait à se déclarer incompétent pour examiner ces moyens, et surseoir à statuer sur les autres fondés sur des dispositions de droit national jusqu’à ce que la CCJA1 se prononce.
En effet, il a été jugé qu’en application des dispositions des articles 14, alinéas 3, 15 et 16 du Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, la Cour de cassation doit se déclarer incompétente pour statuer sur un moyen tiré de la violation de l’article 101 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général, surseoir à statuer sur un moyen tiré de la violation de l’article 821 du CPC et renvoyer l’affaire devant la CCJA (Cour de cassation, Chambre civile et commerciale, Arrêt n° 84 du 21 avril 2004, Sélou KAMARA c/ Abdoul Ghani SHARARA, Bulletin des Arrêts de la Cour de cassation n° 12 p. 62). D’autres arrêts ont été rendus dans le même sens [voir Cour de cassation, Chambre civile et commerciale, Arrêt n° 94 du 03 juillet 2002, Bulletin des Arrêts de la Cour de cassation n° 10 p. 28, Arrêt n° 97 du 20 décembre 2006, Maître Moustapha THIAM c/ NSOA devenue COLGATE PALMOLIVE (inédit) - Arrêt n° 98 du 20 décembre 2006, Birahim DIAGNE c/ Houtinkène LOPY et SNR (inédit) - Chambres réunies, Arrêt n° 07 du 21 décembre 2006, SCP Hassane HACHEM et Fils c/ Souleymane SOW et autres (inédit)].
Cependant, malgré la constance de cette jurisprudence de la Cour de cassation, la CCJA ne semble pas la partager entièrement. En effet, lorsque le pourvoi combine à la fois des moyens fondés sur l’application d’un Acte uniforme et des moyens fondés sur des dispositions de droit interne, comme en l’espèce, la CCJA exclut une compétence distributive entre la juridiction de cassation nationale et elle.
Plus précisément, il a été souligné que « … sans qu’il le lui soit expressément demandé, la CCJA a eu à se prononcer, dans plusieurs arrêts, pour une compétence générale, à savoir qu’elle examine aussi bien les moyens fondés sur les règles de droit uniforme que ceux fondés sur les règles de droit national »2. Il en est ainsi de l’affaire Société MAUTECH c/ Société DOLOMIES et Dérivés de Côte d’Ivoire (Arrêt n° 11/2002 du 28 mars 2002, RJ n° spécial, janvier 2003, pages 25 à 27).
Selon Maïnassara MAIDAGI, Juge à la CCJA, dans cette affaire, le premier moyen pris en sa première branche est tiré de la mauvaise application de l’alinéa 1-2°) de l’article 246 du Code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative. La CCJA a rejeté ce moyen au motif qu’il ne résulte d’aucune disposition de l’alinéa 1-2°) de l’article 246 du Code ivoirien de procédure civile, commerciale et administrative et de l’article 25 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, « que l’indication du domicile du représentant d’une société et les précisions relatives au siège social dans les exploits dressés par les huissiers de justice soient des mentions prescrites à peine de nullité ; que l’absence de ces mentions ne peut, dès lors, être sanctionnée par la nullité qu’à la condition que la requérante rapporte la preuve que ladite absence lui a causé un quelconque 1 Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. 2 Communication de Maïnassara MAIDAGI, Juge à la CCJA, sur le thème « Les règles de compétence et la
recevabilité du pourvoi en cassation devant la CCJA », session de formation à l’ERSUMA du 17 au 21 juillet 2006 reproduite dans un document interne intitulé « Actes du séminaire », p. 11.
préjudice ; que la requérante n’ayant pas rapporté la preuve de l’existence d’un quelconque préjudice subi par elle, il y a lieu de déclarer le moyen tiré de la violation des articles 246, alinéa 1-2°) et 25 sus indiqués non fondé et de le rejeter »3.
Cette position de la CCJA a été réaffirmée dans les affaires suivantes :
- BIAO Côte d’Ivoire c/ Société Ivoirienne de Produits et de Négoce dite IPN (Arrêt n° 059/2005 du 22 décembre 2005, RJ n° 6, juillet-décembre 2005, pages 38 à 44) ;
- Etablissements Soulès & Cie c/ Société Négoce et Distribution et Continental Bank Benin (Arrêt n° 045/2005 du 07 juillet 2005, RJ n° 6, juillet-décembre 2005, pages 5 à 8).
Au vu de cette jurisprudence de la CCJA, la Cour de cassation a le choix entre deux attitudes possibles :
- soit maintenir sa propre jurisprudence ; - soit se rallier à la position de la CCJA.
Mais, à l’analyse, il s’avère que toute résistance de la Cour de cassation est inutile et que le ralliement à la position de la CCJA est une nécessité.
I.- L’inutilité du maintien de la jurisprudence de la Cour de la cassation
A priori, on peut penser que la Cour de cassation peut camper sur sa position en estimant qu’elle reste le seul juge suprême pour ce qui concerne l’application du droit interne. Ce serait faire preuve de résistance vis-à-vis de la CCJA avec l’espoir que celle-ci, se rendant compte de la pertinence de la position de la Cour de cassation, finira par opérer un revirement de jurisprudence. Mais, cette situation est peu probable. En effet, la vocation essentielle de la CCJA est d’assurer une interprétation uniforme des textes OHADA à l’échelle non pas nationale, mais plutôt communautaire, de ce fait, elle ne peut se permettre des hésitations jurisprudentielles, au risque de fausser l’esprit de l’OHADA et de saper sa propre autorité.
Sur le plan strictement juridique, le maintien de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation s’avère inutile parce que la CCJA dispose de moyens juridiques d’imposer sa position. En effet, l’article 18 du Traité permet à toute partie qui estime que la juridiction de cassation nationale a méconnu la compétence de la CCJA, de saisir celle-ci, et si la CCJA juge que la juridiction nationale a retenu à tort sa compétence, « la décision rendue par cette juridiction est réputée nulle et non avenue ». De plus, même si aucune des parties n’a pris l’initiative de dénoncer à la CCJA l’incompétence d’une juridiction nationale, il reste que toute contrariété de décision se résout de plein droit en faveur de la CCJA. Cette primauté de la jurisprudence de la CCJA est affirmée par l’article 20 du Traité qui précise que, « Dans une même affaire, aucune décision contraire à un arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire d’un Etat partie ».
A ce propos, la position de la CCJA est ferme. Ainsi, dans l’affaire ABDOULAYE BABY BOUYA contre BIA-NIGER (Arrêt n° 002/2005, Recueil de Jurisprudence n° 5, janvier-juin 2005, pg 14-16), « La Cour Suprême du Niger avait été saisie la première de cette affaire, où il y avait des moyens de cassation fondés à la fois sur l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et sur l’article 809 du Code nigérien de procédure civile.
3 op. cit. p. 11.
Dans la logique de la position qu’elle avait prise dans l’affaire SNAR LEYMA contre GROUPE HIMA SOULEY, elle a examiné les deux branches du moyen tiré de l’incompétence du juge des référés et de la violation de l’article 809 du Code nigérien de procédure civile, les a rejetés et sur les deuxième et troisième moyens tirés de la violation des articles 246, 247, 253, 254 à 296 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, elle s’est déclarée incompétente et a renvoyé le dossier de la procédure devant la CCJA. Et la CCJA, bien que la Cour suprême du Niger ait eu à se prononcer sur le moyen tiré de la violation de l’article 809 du Code nigérien de procédure civile, a examiné ce même moyen et a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel de Niamey sur le fondement dudit moyen »4.
L’enseignement à tirer de cette jurisprudence de la CCJA est que, si celle-ci se reconnaît le pouvoir d’examiner un moyen fondé sur le droit interne déjà tranché par une juridiction de cassation nationale, a fortiori va-t-elle étendre sa saisine aux moyens de droit interne sur lesquels une juridiction de cassation nationale a sursis à statuer.
Ceci pour dire que tant du point de vue de la lettre des textes communautaires que de celui de la jurisprudence de la CCJA, le ralliement à la position de celle-ci est l’attitude la mieux indiquée.
II.- La nécessité d’un ralliement à la jurisprudence de la CCJA
Ce ralliement se justifie aussi bien pour des considérations juridiques que pour des raisons pratiques.
Au sujet des considérations juridiques, il faut relever que la position de la CCJA est textuellement défendable. Certes, le Traité de l’OHADA n’a envisagé, à propos de la délimitation des compétences entre les juridictions de cassation nationales et la CCJA, que deux hypothèses : le pourvoi pose exclusivement des questions de droit interne, auquel cas la juridiction nationale serait compétente ; le pourvoi soulève exclusivement des questions de droit communautaire, dans ce cas, la CCJA serait la juridiction compétente. Aussi, est-il resté silencieux ou plus précisément, il n’a pas envisagé de façon explicite l’hypothèse où le pourvoi soulève à la fois des questions de droit communautaire et des questions de droit interne.
Face à cette situation, une interprétation extensive de la notion de « toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus au présent Traité… » n’est pas forcément contraire à l’orthodoxie juridique. En effet, nul ne peut contester qu’entrent dans cette catégorie, à la fois les pourvois portant exclusivement sur l’application des Actes uniformes et les pourvois portant en même temps sur l’application des Actes uniformes et des textes internes. Une affaire dans laquelle un des moyens est fondé sur la violation d’un article d’un Acte uniforme n’en est pas moins une « affaire soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes » et par conséquent, relève globalement de la compétence de la CCJA, en vertu de l’article 14 du Traité ; ce texte ne faisant pas de distinction, à propos de cette compétence de la CCJA, entre une affaire soulevant exclusivement des questions relatives à l’application du droit OHADA et une affaire ne soulevant pas exclusivement de telles questions.
4 op. cit. p. 13.
En somme cette interprétation est plus proche de la lettre du texte de l’article 14 que cette autre position contraire, qui est celle de la Cour de cassation consistant à retenir dans une même affaire, une compétence distributive entre la juridiction nationale et la CCJA, selon que le moyen du pourvoi pose une question de droit interne ou de droit communautaire. Au regard de l’article 14, celte position pourrait se voir reprocher d’avoir distingué là où la loi ne distingue pas.
De surcroît, cette attitude de la Cour de cassation qui consiste à se déclarer incompétente sur les moyens relatifs au droit OHADA et à surseoir à statuer sur ceux portant sur le droit national jusqu’à ce que la CCJA tranche les premiers moyens cités, n’est pas tout à fait conforme à la lettre du Traité. En effet, celui-ci ne parle pas de « moyen » mais plutôt d’« affaire », or une affaire pouvant comporter un ou (nécessairement) plusieurs moyens dans l’hypothèse d’une applicabilité du droit interne et du droit communautaire, dès lors, distinguer sur la base des moyens soulevés, revient à restreindre la portée du Traité qui fixe la compétence de la CCJA. De plus, cette position présente l’inconvénient de ne pas envisager l’hypothèse d’un seul et même moyen combinant à la fois la violation d’un texte de droit interne et d’une disposition d’un Acte uniforme5.
Dans cette hypothèse, la Cour de cassation ne pourrait pas appliquer sa jurisprudence, c’est-à- dire se déclarer incompétente et surseoir à statuer sur le même moyen.
Par ailleurs, cette jurisprudence procède d’une lecture incomplète de l’article 16 du Traité parce que davantage fondée sur l’alinéa 1 et l’alinéa 2. Selon ce texte, « La saisine de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée.
Toutefois, cette règle n’affecte pas les procédures d’exécution. » Si on s’arrête à cet alinéa, on peut croire qu’une juridiction nationale, saisie d’un pourvoi dont certains moyens sont fondés sur le droit OHADA, surseoit à statuer sur ceux portant sur le droit interne et renvoie, conformément à l’article 15, l’affaire devant la CCJA. Ce qui en réalité, constitue un renvoi partiel, puisque la juridiction nationale se réserve le droit de juger les moyens objet du sursis à statuer, après que la CCJA a tranché ceux relevant de sa compétence. Or, outre le fait que l’article 15 ne prévoit pas de renvoi partiel, mais plutôt, le « renvoi … d’une affaire soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes », l’alinéa 2 de l’article 16, en disposant que, « Une telle procédure ne peut reprendre qu’après arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage se déclarant incompétente pour connaître de l’affaire », signifie tout simplement que, la saisine directe de la CCJA par les parties ou la saisine indirecte par la juridiction nationale empêche celle-ci de connaître de la même affaire. Cette analyse est renforcée par l’article 52-1 du Règlement de Procédure de la CCJA qui dispose que, « Lorsque la Cour est saisie, conformément aux articles 14 et 15 du Traité par une juridiction nationale statuant en cassation qui lui renvoie le soin de juger une affaire soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes, cette juridiction est immédiatement
5 Cette situation est fort possible. Par exemple, les articles 179 et suivants de l’Acte uniforme sur les procédures
simplifiées de recouvrement et voies d’exécution (AU/PSRVE) réglementent la saisie de rémunérations, en particulier l’article 187 sur les effets de la saisie, dispose que la notification de l’acte de saisie frappe d’indisponibilité la quotité saisissable du salaire, mais ne précise pas quelle est la fraction du salaire qui constitue la quotité saisissable, si bien qu’il faudra combiner ces dispositions avec celles de l’article 381 du CPC qui définit la quotité saisissable.
Ainsi, un débiteur qui estime qu’il a été victime d’une saisie qui excède la quotité saisissable de son salaire peut former un pourvoi contre l’arrêt qui l’a débouté, en invoquant un moyen tiré de la violation de la loi, notamment les articles 187 AU/PSRVE et 381 du CPC.
dessaisie. Elle transmet à la Cour l’ensemble du dossier de l’affaire, avec une copie de la décision de renvoi … ». Et c’est seulement si la CCJA s’est déclarée incompétente pour « connaître de l’affaire » que, la juridiction nationale sera autorisée à poursuivre l’examen de l’affaire dont elle a été saisie. Or, cette hypothèse d’incompétence de la CCJA ne se réalise que quand l’affaire soulève exclusivement des questions de droit interne. Ce qui ne correspond pas au cas où la Cour de cassation applique sa jurisprudence.
Du point de vue des raisons pratiques, cette jurisprudence de la CCJA offre l’avantage de simplifier la procédure aux plaideurs.
En effet, il faut rappeler que la CCJA, contrairement à la Cour de cassation, est une juridiction de cassation de fond, de sorte que quand elle casse une décision, elle évoque l’affaire au fond et met fin au litige6. Par contre, la solution retenue jusque-là par la Cour de cassation présente l’inconvénient de retarder davantage la solution définitive du litige. Cette position se traduit par une division du litige dont une partie est renvoyée à la CCJA et l’autre partie « mise en veilleuse » jusqu’à ce que la CCJA se prononce. Et même dans ce cas, en suivant la logique de la Cour de cassation, le contentieux n’est pas pour autant vidé, puisqu’après examen, en cas de cassation sur le fondement du droit interne, l’affaire est renvoyée devant la même juridiction de fond autrement composée ou une autre juridiction du même ordre, sans oublier les péripéties procédurales qui vont surgir en cas de résistance des juges du fond.
A l’heure actuelle, où il question du droit pour le citoyen à un procès dans un délai raisonnable, mais également à un procès à des frais supportables, la jurisprudence de la Cour de cassation alourdit considérablement la durée du procès en cassation, mais également, rend particulièrement onéreux les frais de procédure pour les plaideurs qui devront supporter les frais devant la juridiction de cassation nationale, devant la CCJA et éventuellement, devant la juridiction de fond de renvoi.
Au total, nous sommes d’avis qu’il faut désormais, se limiter à se déclarer incompétent et renvoyer toute l’affaire devant la CCJA et ne plus surseoir à statuer sur les moyens fondés sur le droit interne, étant entendu que si la CCJA s’estime par la suite incompétente, elle va renvoyer le dossier devant la Cour de cassation7.
Seydina Issa SOW Auditeur à la Cour de Cassation
__________
6 Article 14, al. 5 du Traité. 7 Par exemple dans l’affaire Fofana Mamadou c/ Poley Poh Blaise, la CCJA a jugé que « attendu qu’il découle
aussi bien de la motivation de l’Arrêt de la Cour d’appel d’Abidjan que de l’énoncé ci-dessus par le requérant de son unique moyen de cassation, que la Loi dont la violation ou l’interprétation erronée est reprochée à l’Arrêt attaqué est bien l’article 214 nouveau du Code ivoirien de procédure civile ; que l’évocation par le requérant de l’article 287 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution dans l’argumentaire accompagnant l’exposé de son moyen de cassation ne saurait changer ni le sens, ni la motivation susmentionnés de l’Arrêt attaqué, lequel a infirmé une ordonnance d’expulsion d’un immeuble à usage d’habitation ; qu’il s’ensuit que les conditions de compétence de la Cour de céans, telles qu’énoncées par l’article 14 susmentionné, ne sont pas réunies et qu’il échet en conséquence, nonobstant l’Arrêt de la Cour suprême de Côte d’Ivoire, qui ne lie pas la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, de se déclarer incompétent et de renvoyer à ladite Cour suprême l’affaire, pour qu’il y soit statué » (Arrêt n° 004 du 27 mars 2003, Recueil de Jurisprudence semestriel n° 1 janvier – juin 2003 p. 12).


Synthèse
Formation : chambre civile et commerciale
Numéro d'arrêt : 37
Date de la décision : 18/04/2007

Références :

Ohada.com/Unida


Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;sn;cour.cassation.du.senegal;arret;2007-04-18;37 ?
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