A L'AUDIENCE PUBLIQUE ORDINAIRE DU MARDI QUINZE JANVIER DEUX MILLE DEUX ;
1) L'agent Judiciaire de l'Etat représenté par Abdoulaye DIANKO ;
2) Le Ministère Public;
Demandeurs et défendeurs ;
Ab B né en 1943 à Ad, de Mabèye et de Af Ac, Ingénieur
domicilié à Thiès, quartier Hersent, inculpé de détournement de deniers public, escroquerie sur les deniers publics, abus de biens sociaux et faux et usage de faux en écritures privées de commerce et de banques; défendeur et demandeur faisant élection de domicile en l'étude de Maîtres Aïssata Tall SALL, René Louis Lopy, Moustapha DIOP, El Hadj DIOUF et Abdou Kane, avocats à la Cour à Dakar ;
Statuant sur les pourvois formés suivant déclarations souscrites au greffe de la Cour d'Appel de Dakar les 14 septembre 2001 par Monsieur Abdoulaye DIANKO, représentant
l'agent judiciaire de l'Etat, et 19 septembre 2001 par le Procureur Général près la Cour
d'Appel de Dakar contre l'arrêt n° 207 du 13 septembre 2001 rendu par la Chambre
d'Accusation confirmant l'ordonnance de mise en liberté provisoire de Ab B
poursuivi pour détournement de deniers publics, escroquerie, abus de biens sociaux, faux en écritures privées et réévaluant le montant de la caution aux fins de liberté provisoire à la
somme de 112 615 000 francs ;
Statuant sur le pourvoi formé le 17 octobre 2001 par Maître Moustapha DIOP, avocat à la
Cour, muni d'un pouvoir spécial, agissant au nom et pour le compte Ab B, contre l'arrêt n° 229 du 11 octobre 2001 par lequel la Chambre d'accusation de la Cour d'Appel de Dakar a rejeté comme mal fondée la procédure d'exécution sur incident dudit arrêt tendant à la libération immédiate de l'inculpé Mbaye DIOUF.
Vu la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ;
Oui Monsieur Maïssa DIOUF, Président de Chambre en son rapport ;
Oui Monsieur Ciré Aly BA, avocat général représentant le Ministère Public en ses
conclusions ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu les mémoires en demande et en défense ;
EN LA FORME
Attendu qu'aux termes de l'article 44 alinéa 2 de la loi n° 92.25 du 30 mai 1992 portant loi
organique sur la Cour de cassation «la déclaration de pourvoi doit être signée par le greffier et le demandeur lui-même ou par un avocat mandaté à cet effet ou par un fondé de procuration spéciale. Le pouvoir est annexé à l'acte dressé par le greffier. … » ;
Attendu que le pourvoi de l'Agent Judiciaire de l'Etat, intenté le 14 septembre 2001 par le
sieur Abdoulaye DIANKO, magistrat en service à l'Agent Judiciaire de l'Etat, sans aucune
procuration spéciale de l'Agent Judiciaire lui-même, doit être déclaré irrecevable
conformément au texte de loi susvisé ;
D'où il suit que le pourvoi du 14 septembre 2001 de l'Agent Judiciaire de l'Etat est
irrecevable, par application de l'article 44 alinéa 2 de la loi organique sur la Cour de
cassation ;
Sur le pourvoi de l'inculpé
Attendu que Maître Moustapha DIOP, muni d'un pouvoir spécial en date du 16 octobre 2001, a formé un pourvoi en cassation le 17 octobre 2001pour le compte de l'inculpé, contre l'arrêt n° 229 du 11 octobre 2001, par lequel la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar a rejeté comme mal fondée la procédure d'exécution sur incident dudit arrêt qui tendait à la
libération immédiate de l'inculpé Ab B; que ce pourvoi, signifié les 26 et 29 octobre 2001 à l'Agent Judiciaire de l'Etat et au ministère public, respectant les conditions de forme et de délai de la loi, doit être déclaré recevable, l'inculpé étant dispensé de l'amende prévue à
l'article 17 de la loi organique, conformément à l'article 48 de ladite loi ;
D'où il suit que le pourvoi de l'inculpé formé le 17 octobre 2001 est recevable ;
Sur le pourvoi du ministère public
Attendu que le ministère public représenté par l'avocat général près la Cour d'appel de Dakar, a formé un pourvoi en cassation le 19 septembre 2001 contre l'arrêt n° 207 du 13 septembre 2001 par lequel la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar a confirmé l'ordonnance de mise en liberté provisoire de l'inculpé Ab B poursuivi du chef des délits de
détournement de deniers publics, d'escroquerie, d'abus de biens sociaux, faux en écritures
privées, et a réévalué à la somme de 112.615.000 francs, le montant de la caution aux fins de liberté provisoire de l'inculpé ;
Que ce pourvoi, notifié à l'inculpé par procès-verbal du 20 septembre 2001 ainsi qu'à ses
conseils Maître Aïssata Tall SALL et Maître Moustapha DIOP, le 1 er octobre 2001, doit être déclaré recevable pour avoir respecté les conditions de forme et de délai de la loi, notamment les articles 43, 44 et 47 de la loi organique ;
D'où il suit que le pourvoi formé le 19 septembre 2001 par le ministère public est recevable ; AU FOND
Attendu qu'il échet d'ordonner la jonction de procédures pour les pourvois de l'inculpé et du ministère public, afin qu'il soit statué par un seul et même arrêt ;
Sur le pourvoi de l'inculpé
Attendu que l'inculpé fait valoir au soutien de son pourvoi du 17 octobre 2001, au premier
moyen, la mauvaise interprétation de l'article 16 de la loi organique sur la Cour de cassation, en ce que la Cour a déclaré le pourvoi suspensif de toutes les décisions, alors que des
dérogations sont prévues à l'article 55 de la loi organique et à l'article 200 alinéa 1 du code de procédure pénale qui prescrit l'exécution immédiate de l'arrêt de la chambre d'accusation;
Au deuxième moyen, la violation de l'article 200 du code de procédure pénale en ce que la
Cour estime que l'article 200 ne prévoit aucune exception à l'application de l'article 16
susvisé, alors que ce texte déroge à l'article 16 en faisant obligation au procureur général
d'exécuter l'arrêt de la chambre d'accusation qui peut ordonner une mise en liberté provisoire ;
Au troisième moyen, l'insuffisance de motifs, en ce que la Cour affirme que l'article 200 ne
déroge pas à l'article 16, sans aucune motivation ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que pour rejeter la requête tendant à la libération immédiate du prévenu Ab
B par le Parquet général, la chambre d'accusation de la Cour d'appel relève qu'aux
termes de l'article 16 de la loi organique sur la Cour de cassation, le pourvoi est suspensif de toutes les décisions autres que celles exclues expressément par ledit article.
Que l'article 200 du code de procédure pénale ne pose pas d'une manière péremptoire une
exception à l'application de l'article 16 susvisé et qu'en l'état actuel du droit positif sénégalais, la détention provisoire ne constitue pas une dérogation à l'effet suspensif du pourvoi en
cassation, même si cette question est autrement tranchée en droit français.
Qu'en statuant ainsi, la chambre d'accusation a suffisamment motivé sa décision sans violation de l'article 16 de la loi organique, ni de l'article 200 du code de procédure pénale.
Qu'en effet, pour les prévenus détenus, l'article 55 de la loi organique sur la Cour de cassation, ne prévoit d'exception à l'effet suspensif du pourvoi qu'en cas d'acquittement ou d'absolution, ou de condamnation soit à une peine d'emprisonnement avec sursis, soit à l'amende, ou
lorsque la durée de la détention couvre celle de la peine prononcée, ce qui n'est pas le cas de Ab B non encore jugé.
Qu'en tout état de cause, l'exécution de l'arrêt de la chambre d'accusation prévue à l'article 200 du code de procédure pénale s'entend d'un arrêt définitif et exécutoire en l'absence de toute
voie de recours, conformément à l'article 16 de la loi organique sur la Cour de cassation qui pose le principe de l'effet suspensif du pourvoi en matière pénale.
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés.
Qu'il échet de rejeter le pourvoi.
Sur le pourvoi du ministère public
Sur le moyen pris de la violation de l'article 140 du code de procédure pénale, sans qu'il soit besoin d'examiner tout autre moyen, en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de mise en liberté provisoire sous caution; dit néanmoins que le montant du cautionnement est fixé à 112.615.000 francs et non à 100.000.000 francs, aux motifs qu'il n'est nullement rapporté
même un début de preuve de l'implication de l'inculpé Ab B dans les détournements de deniers publics qui ne lui ont pas profité, que le cautionnement n'est pas obligatoirement préalable à la décision de mise en liberté provisoire, qu'il existe des contestations sérieuses
partielles en ce qui concerne l'escroquerie de deniers publics et qu'il faut tenir compte des
cautionnements déjà versés par les co-inculpés de Ab B pour réévaluer le
cautionnement de ce dernier;
Alors que la chambre d'accusation n'a fait que passer en revue les différents chapitres
répertoriés dans le rapport provisoire des auditeurs, pour aboutir à des contestations
sérieuses ;
Que toutes les personnes que semble incriminer Ab B sont ses collaborateurs, des agents de la SNCF placés sous son autorité, ses amis et parents ;
Qu'il a autorisé tous les décaissements et apporté sa double signature le cas échéant ;
Qu'il n'est point nécessaire de tirer profit du détournement pour que l'infraction soit
consommée ;
Que les motifs invoqués par la chambre d'accusation tenant à l'absence de profit et à la non
implication de l'inculpé qui n'oppose aux charges accablantes qui pèsent sur lui que de
simples contestations, sont fallacieux ;
Que le cautionnement doit être préalable à toute décision de mise en liberté provisoire ;
Qu'en l'absence de contestations sérieuses, le cautionnement doit être intégral, soit le
manquant initial ;
Que dès lors qu'elle admet l'absence de contestations sérieuses sur le manquant initial de
490.870.860 francs relatif à l'inculpation d'escroquerie portant sur des deniers publics, la
chambre d'accusation ne pouvait plus relever des contestations sérieuses partielles, ajoutant
ainsi au texte de loi, ni ordonner la mise en liberté de l'inculpé sans le versement du
cautionnement intégral du manquant retenu dans l'acte d'inculpation ;
Et que la solidarité du cautionnement ne peut être mise en œuvre que par les juridictions de
jugement, le cautionnement étant une garantie personnelle distincte du remboursement qui est un acte de paiement anticipé ;
Vu ledit texte ;
Attendu qu'aux termes de l'article 140 nouveau du code de procédure pénale, la main-levée du mandat de dépôt délivré à l'encontre des personnes poursuivies pour détournement ou
escroquerie portant sur des deniers publics, ne peut être ordonnée que si, au cours de
l'information surviennent des contestations sérieuses ou le remboursement ou le
cautionnement de l'intégralité du manquant ;
Attendu que pour confirmer l'ordonnance de mise en liberté provisoire sous caution et
réévaluer le cautionnement à 112.615.000 francs, la chambre d'accusation s'est bornée à citer les différentes constatations des auditeurs dans leur rapport provisoire qui seraient confirmées par les éléments recueillis par le juge d'instruction sans pour autant donner la moindre
indication sur ces éléments, concluant ainsi à l'existence de contestations sérieuses pour le
détournement de deniers publics estimé à 144.829.931 francs; en outre, la chambre
d'accusation après avoir conclu à l'absence de contestations sérieuses en ce qui concerne le
délit d'escroquerie de deniers publics dont le montant est estimé à 490.870 .. 860 francs, a cru devoir relever des contestations sérieuses qu'elle qualifie de partielles pour réduire ce
manquant et, tenant également compte des cautionnements versés par les co-inculpés de
Ab B a savoir Aa C Ai et Ag A, respectivement de
6.125.805 et de 20.000.000 francs, a finalement fixé le cautionnement de l'inculpé Ab
B à la somme de 112.615.000 francs ;
Mais attendu que ni les simples constatations des auditeurs qui seraient confirmées par des
éléments recueillis par le juge d'instruction mais non précisés à l'arrêt, ni les dénégations de l'inculpé Ab B qui ne serait pas mis en cause par ses co-inculpés, ni la prudence du parquet ayant ouvert l'enquête contre X, ne constituent des contestations sérieuses au sens de l'article 140 du code de procédure pénale ;
Que d'autre part, la chambre d'accusation ayant déjà relevé l'absence de contestations
sérieuses relatives à l'escroquerie de deniers publics de 490.870.860 francs, les contestations sérieuses partielles relevées n'avaient plus leur raison d'être, et dès lors, le mandat de dépôt ne pouvait être levé que si un cautionnement intégral avait été versé, conformément aux
dispositions de l'article 140 du code de procédure pénale ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Déclare irrecevable le pourvoi formé par l'Agent Judiciaire de l'Etat le 14
septembre 2001 par application de l'article 44 alinéa 2 de la loi organique sur la Cour de
cassation ;
Reçoit le pourvoi de l'inculpé Ab B formé le 17 octobre 2001 et celui du ministère public formé le 19 septembre 2001 ;
AU FOND
Rejette le pourvoi de l'inculpé;
Casse et annule en toutes ses dispositions l'arrêt n° 207 du 13 septembre 2001 rendu par la
chambre d'accusation de la Cour d'appel de Dakar ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi et ordonne que l'information soit poursuivie par le même magistrat ; Met les dépens à la charge du trésor public.
Dit que le présent arrêt sera imprimé, qu'il sera transcrit sur les registres de la Cour d'appel en marge ou à la suite de la décision attaquée ;
Ordonne l'exécution du présent arrêt à la diligence du Procureur Général près la Cour de
cassation ;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour de cassation, première
chambre, statuant en matière pénale, en son audience publique tenue les jour, mois et an que dessus et où étaient présents Madame et Messieurs:
Maïssa DIOUF, Président de Chambre, Président-Rapporteur ;
Boubacar Albert GAYE, Conseiller ;
Kaïré Sow FALL, Conseiller ;
En présence de Monsieur Ciré Aly BA, avocat général représentant le Ministère Public et
avec l'assistance de Maître Ndèye Macoura CISSE, Greffier;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le Président-Rapporteur, les Conseillers et le
Greffier