A l'audience publique et ordinaire du mercredi dix huit avril deux
mille;
1° La Banque Internationale pour le Commerce et l'Industrie du Sénégal (BICIS) sis au n° 2, avenue Roume à Dakar, prise en la personne de son directeur,
2° Aa C, directeur général de la BICIS,
faisant élection de domicile en l'étude de Maître BOURGI et GUEYE, avocats à la Cour à
Dakar;
Ab B agent général d'assurances en retraite, faisant élection de domicile en l'étude de Maître Boucounta DIALLO, avocat à la Cour à Dakar,
Défendeur ;
Statuant sur le pourvoi formé suivant déclaration souscrite au greffe de la Cour
d'appel de Dakar le 24 décembre 1997 par Maître Marne Adama GUEYE, avocat à la Cour à Dakar, muni d'un pouvoir spécial, agissant au nom et pour le compte de la BICIS et de Aa C, contre l'arrêt n° 863 du 22 décembre 1997, rendu par la chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Dakar qui a rejeté l'exception de prescription des actions publique et civile soulevées par les appelants et constaté que les dispositions pénales du jugement attaqué sont devenues définitives ;
A confirmé le jugement attaqué en ce qu'il a condamné le prévenu Aa C à payer sous la garantie de la BICIS à Ab B la somme de 30.000.000 à titre de
dommage et intérêts, toutes causes de préjudice confondues et des intérêts de droit au taux
légal, à compter du jugement attaqué et a condamné les appelants aux dépens liquidés à la
somme de 1.525.861 francs ;
Statuant sur la requête aux fins de sursis à l'exécution de l'arrêt attaqué déposée au greffe de la Cour de cassation ;
Vu la loi organique n° 92.25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ;
Oui Monsieur Mamadou Badio CAMARA, Conseiller en son rapport ;
Oui Monsieur Ciré Aly BA, Avocat général représentant le Ministère public en ses
conclusions;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu les mémoires en demande et en défense ;
Vu la connexité, joignant les procédures ;
SUR LE PREMIER MOYEN pris de la violation de l'article 8 du code de procédure pénale en ce que la Cour d'appel a rejeté l'exception de prescription triennale de l'action publique et a
fixé le point de départ du délai de prescription au jour où la violation du contrat a pu être
constatée au motif que l'abus de confiance est un délit instantané alors que, même dans ce cas, le juge doit impérativement relever par une motivation objective la matérialité des manœuvres dilatoires effectuées par le prévenu pour empêcher la découverte de l'infraction;
SUR LE DEUXIEME MOYEN pris de la violation de l'article 383 du code pénal en ce que la Cour d'appel a rejeté l'exception de prescription de l'action publique aux motifs que la mise en demeure a pour intérêt de mettre en évidence la défaillance du prévenu et de faire courir le
délai de prescription et que la lettre du 2 juin 1992 adressée à la BICIS par le conseil de
Ab B en réclamation des bons litigieux loin de mettre en demeure le
destinataire est une simple invitation courtoise à réaliser une opération bancaire alors qu'il est manifeste que cette lettre est constitutive de mise en demeure et n'obéit à aucune forme
particulière dès lors qu'elle révèle la volonté du créancier de voir son débiteur s'exécuter;
SUR LE TROISIEME MOYEN pris de la violation des articles 10, 457 du code de procédure pénale et 222 du code des obligations civiles et commerciales en ce que la Cour d'appel a
rejeté l'exception de prescription de l'action civile aux motifs qu'il ne saurait y avoir
prescription si la partie civile, au cours de la même procédure, a initié son action aussitôt
après la décision de relaxe alors que le juge pénal saisie d'une demande en réparation, même fondée sur les dispositions de l'article 457 alinéa 2 du code de procédure pénale, doit
apprécier la pertinence de cette demande au regard des règles du code des obligations civiles et commerciales qui prévoit en son article 222 un délai de prescription de droit commun de
dix ans et alors que le 4 décembre 1978 date à laquelle la BICIS devait restituer les bons
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Ab B a cité devant le tribunal correctionnel Aa C, directeur général de la BICIS, pour ne lui avoir pas rendu ou représenté deux bons de caisse qu'il avait nantis en garantie d'un prêt qu'il avait
cependant remboursé ;
Attendu que par jugement du 19 septembre 1996, le tribunal a relaxé le prévenu mais l'a
condamné, sous la garantie de la banque, à payer à la partie civile des dommages intérêts
outre les intérêts de droit ;
Attendu que, saisie par les seuls appels de Aa C et de la BICIS, la Cour, par l'arrêt actuellement attaqué, après avoir rejeté l'exception de prescription soulevée et constaté que les dispositions pénales du jugement étaient devenues définitives, l'a confirmé sur l'action civile ; Attendu que pour répondre aux conclusions des demandeurs qui soutenaient que l'action
publique et l'action civile qui lui est accessoire, étaient prescrites, la victime ne les ayant cités à comparaître devant la juridiction répressive que le 31 mai 1996, soit plus de trois ans après sa lettre du 2 juin 1992, la Cour d'appel relève que cette lettre de Ab B ne
constituait qu'une invitation courtoise à procéder à la liquidation des bons de caisse; que ce
n'est que le 19 mai 1995 que la banque a répondu à LOUM que, faute par lui d'avoir exercé
son action dans les délais légaux, elle s'estimait libérée de tout engagement envers lui; que
néanmoins, la victime a servi aux demandeurs, le 14 mai 1995, une sommation
commandement de restituer les bons et de payer les intérêts de droit;
Attendu que les juges d'appel énoncent que l'intention de la BICIS d'intervertir la possession précaire qu'elle avait sur les titres résulte clairement de sa lettre du 19 mai 1995 et de la
sommation commandement; qu'ils ajoutent que LOUM ne s'est aperçu de la volonté de la
banque de «violer le contrat que grâce aux deux actes du mois de mai 1995 qui marquent le
point de départ de la prescription» ;
Attendu que si les juges du fond ont le pouvoir de fixer, par une appréciation souveraine des faits de la cause, le jour où le délit est apparu et a pu être constaté, ils ne sauraient retenir deux dates différentes comme point de départ de la prescription ;
Attendu que si regrettable que soit l'erreur de la Cour d'appel sur la date de la sommation
commandement qui, en réalité, a été servie le 14 mai 1996 et non en mai 1995, la Cour de
cassation trouve dans les constatations de fait de l'arrêt que c'est le 19 mai 1995, date de la
réponse de la BICIS à la mise en demeure du 2 juin 1992 que le détournement a pu être
constaté par la victime et qu'a commencé à courir le délai de prescription triennale interrompu en temps utile par la citation introductive d'instance du 31 mai 1996 ;
D'où il suit que les moyens réunis ne sont pas fondés ;
SUR LE QUATRIEME MOYEN pris d'une fausse application de la loi en ce que la Cour
d'appel a confirmé la condamnation des demandeurs à payer des intérêts de droit en
application de l'article 45 alinéa 5 du code de procédure pénale alors que l'article visé ne peut justifier cette mesure ;
Attendu que la condamnation au paiement d'intérêts de droit à compter du prononcé du
jugement est prévue par l'article 451 alinéa 5 du code de procédure pénale ;
Que le moyen qui se fonde sur une erreur purement matérielle susceptible d'être réparée selon la procédure définie par les articles 681 et 682 du même code ne saurait donner ouverture à
cassation et ne peut qu'être écarté;
SUR LE CINQUIEME MOYEN tiré d'un défaut de base légale en ce que la Cour d'appel a
omis de constater des faits nécessaires à la caractérisation d'une condition d'application de la loi, particulièrement des articles 118 et 119 du code des obligations civiles et commerciales en énonçant que « l'inexécution de l'obligation a eu pour conséquence la disparition par les
services de la BICIS des titres vainement réclamés par LOUM … et qu'il y a là un
manquement par négligence de la banque … qui révèle sa mauvaise foi et son intention de
nuire» alors qu'elle n'a pas recherché si l'attitude de la partie adverse et son inertie prolongée pendant plus de vingt ans ne constituent pas une circonstance de nature à exonérer le
demandeur ;
SUR LE SIXIEME MOYEN pris d'un défaut de réponse à conclusions en ce que la Cour
d'appel a retenu la faute des demandeurs sans répondre aux conclusions selon lesquelles «
certes la BICIS avait l'obligation, sur l'objet de la sûreté, d'en assurer la conservation et ce,
uniquement dans les délais de validité de la sûreté mais il appartenait au sieur LOUM aussitôt après le remboursement du prêt qui rend la sûreté sans objet, de solliciter la restitution ou le montant des bons et ce, dans les délais expressément et conventionnellement prévus en la
matière» ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que pour condamner le demandeur à payer des dommages intérêts à la partie civile
par application de l'article 457 alinéa 2 du code de procédure pénale, la Cour d'appel énonce que Aa C a révélé à la barre que si les bons de caisse n'ont pas été restitués malgré le remboursement du prêt, c'est parce que la banque ne les avait pas retrouvés; qu'il y a ainsi manquement par négligence … ; que le temps assez long mis par le prévenu avant de faire
connaître son refus de restituer les titres qu'il savait perdus révèle sa mauvaise foi et son
intention de nuire;
Attendu que de ces énonciations souveraines, il résulte que la Cour d'appel, répondant aux
chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a, sans insuffisance ni contradiction, caractérisé la faute des demandeurs à qui incombe, aux termes de l'article 383 alinéa 2 du
code pénal, la charge de la preuve du fait justificatif qu'ils invoquent ;
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi formé par Aa C et la Banque Internationale pour le Commerce et l'Industrie du Sénégal contre l'arrêt rendu le 22 décembre 1997 par la Cour
d'appel de Dakar ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la requête aux fins de sursis à l'exécution dudit arrêt ;
Prononce la confiscation des amendes consignées ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Dit que le présent arrêt sera imprimé, qu'il sera transcrit sur les registres de la Cour d'appel de Dakar en marge ou à la suite de la décision attaquée ;
Ordonne l'exécution du présent arrêt à la diligence du Procureur général près la Cour de
cassation ;
Ainsi fait, jugé et prononcé par la Cour de cassation, Première
chambre statuant en matière pénale en son audience publique et ordinaire tenue les jour, mois et an que dessus à laquelle siégeaient Madame et Messieurs :
Mireille NDIAYE, Président de chambre, Président ;
Mamadou Badio CAMARA, Conseiller Rapporteur ;
Boubacar Albert GAYE, Conseiller ;
En présence de Monsieur Ciré Aly BA, avocat général représentant le ministère public et avec l'assistance de Maître Ndèye Macoura CISSE, Greffier ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président, le Conseiller Rapporteur, le
Conseiller et le Greffier.