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14/05/1997 | SéNéGAL | N°68

Sénégal | Sénégal, Cour de cassation, 14 mai 1997, 68


Texte (pseudonymisé)
COLY Ab; autres
C/
I.C.S.

RUPTURE ABUSIVE DU CONTRAT DE TRAVAIL - OBLIGATION PAR LE JUGE D'IN-DIQUER LA NOTION ET L'ORIGINE DES DOCUMENTS AYANT SERVI A MOTIVER SA DECISION - ARTICLE 47 DU CODE DU TRAVAIL REINTEGRATION DU TRA-VAILLEUR LICENCIE' POUR MOTIF ECONOMIQUE AVEC PAIEMENT D'UNE INDEMNITE EGALE AU SALAIRE QU'IL AURAIT PERÇU S'IL AVAIT TRAVAILLE- NON, EN DEHORS DES DEUX CAS PREVUS PAR CET ARTICLE -ARTICLES 51 ET 134 ALINEA 1 DU CODE DES OBLIGATIONS CIVILES ET COMMERCIALES : PRIN-CIPE DE .LA REPARATION INTEGRALE DU PREJUDICE SUBI PAR LA VICTIME-.

Cha

mbre sociale

ARRET N° 68 DU 14 MAI 1997

LA COUR,

Après en avoir...

COLY Ab; autres
C/
I.C.S.

RUPTURE ABUSIVE DU CONTRAT DE TRAVAIL - OBLIGATION PAR LE JUGE D'IN-DIQUER LA NOTION ET L'ORIGINE DES DOCUMENTS AYANT SERVI A MOTIVER SA DECISION - ARTICLE 47 DU CODE DU TRAVAIL REINTEGRATION DU TRA-VAILLEUR LICENCIE' POUR MOTIF ECONOMIQUE AVEC PAIEMENT D'UNE INDEMNITE EGALE AU SALAIRE QU'IL AURAIT PERÇU S'IL AVAIT TRAVAILLE- NON, EN DEHORS DES DEUX CAS PREVUS PAR CET ARTICLE -ARTICLES 51 ET 134 ALINEA 1 DU CODE DES OBLIGATIONS CIVILES ET COMMERCIALES : PRIN-CIPE DE .LA REPARATION INTEGRALE DU PREJUDICE SUBI PAR LA VICTIME-.

Chambre sociale

ARRET N° 68 DU 14 MAI 1997

LA COUR,

Après en avoir délibéré conformément à la loi;

Sur le premier moyen tiré de l'excès de pouvoir, dénaturation des faits et des conclusions des parties;

ATTENDU qu'il apparaît des énonciations de l'arrêt attaqué que le 3 février 1986 Ab X et 21 autres travailleurs tous employés aux ICS licenciés pour motif économique; que les travailleurs saisirent la Cour suprême d'un recours en annulation de la décision ministérielle autorisant leur licenciement ensuite, leur recours étant encore pendant devant la Cour suprême, COLY et autres ayant appris que les ICS procédaient à des recrutements d'autres travailleurs pour l'un de ces établissements, firent attraire cette société devant la juridiction sociale pour obtenir sa condamnation au paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif et pour non-respect de la priorité d'embauche; que la Cour suprême ayant rendu le 1ier avril 1987 une décision d'annulation de la décision ministérielle, les travailleurs saisirent une nouvelle fois le Tribunal du Travail pour obtenir leur réintégration dans l'entreprise avec paiement des salaires depuis la date du licenciement jusqu'à celle de leur réintégration effective et des dommages-intérêts pour résistance abusive; Qu'en cet état le Tribunal rendit un premier jugement ordonnant la réintégration des travailleurs et les déboutant de toutes leurs autres demandes; que la deuxième procédure aboutit à un autre jugement déboutant les intéressés de leur demande de réintégration au motif que cette mesure avait déjà été ordonnée, et leur allouant des dommages -intérêts pour résistance abusive à la réintégration;
- Que statuant sur les appels interjetés contre ces deux décisions, la Cour d'Appel rendit un premier arrêt qui fut cassé par la Cour de Cassation le 13 janvier 1993 au motif que l'annulation d'une décision ministérielle autorisant le licenciement a pour effet juridique de ramener les travailleurs à la situation antérieure au licenciement, c'est à dire à les réintégrer et ce, quel que soit le délai dans lequel intervient l'annulation de la décision ministérielle;
- Que la Cour d'Appel rendit enfin le 26 juillet 1994 l'arrêt déféré à la censure de la Cour de Cassation, par lequel elle a ordonné la réintégration des travailleurs, déclaré fondée leur demande en paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive à la réintégration et les a déboutés de toutes leurs autres demandes;

ATTENDU que le moyen reproche à la Cour d'Appel d'avoir considéré que les travailleurs avaient demandé des dommages-intérêts pour licenciement dans la première procédure alors que s'il est vrai que ce chef de demande figurait par erreur dans le procès-verbal de non-conciliation du 7 novembre 1986, les travailleurs, tant devant le Tribunal du Travail que devant la Cour d'Appel, n'ont réclamé des dommages-intérêts que pour violation de la priorité d'embauche et qu'en particulier les conclusions du 4 juin 1993 déposées devant la Cour d'Appel auraient dû être interprétées par cette juridiction comme une renonciation au moins implicite à une demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif; que les demandeurs en concluent que l'arrêt mérite cassation pour dénaturation des faits et conclusions des parties et également pour excès de pouvoir en ce que les juges du fond n'ont nullement respecté les limites du litige;

MAIS ATTENDU que le grief de dénaturation n'est recevable que lorsque les juges ont méconnu les termes clairs et précis d'un écrit;

ATTENDU d'autre part que l'excès de pouvoir donnant ouverture à cassation est une notion à laquelle on se réfère lorsque le juge porte atteinte à des principes fondamentaux de la procédure, notamment lorsqu'il méconnaît les limites du litige;

ATTENDU que les conclusions déposées par les travailleurs devant le Tribunal ne figurent pas au dossier; que pour réfuter l'argumentation des mêmes travailleurs tel que développée dans leurs conclusions du 4 juin 1993 la Cour d'Appel a examiné les documents de la cause et en a tiré la conviction que la demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif avait bien été présentée au Tribunal dans le cadre de la première procédure et rejetée à bon escient par cette juridiction;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'Appel a exactement répondu aux conclusions des parties et respecté les limites du litige;

Qu'il échet donc de rejeter le moyen ;

Sur le deuxième moyen tiré du défaut de base légale;

ATTENDU que les demandeurs reprochent à la Cour d'Appel de n'avoir pas donné de base légale à sa décision en ce qu'elle a affirmé que COLY et autres ne prouvaient pas, par les documents versés au dossier, que les emplois offerts à l'embauche relevaient de la même catégorie que ceux occupés par eux avant le licenciement, alors que le juge a l'obligation d'indiquer la nature et l'origine des documents qui ont servi à motiver sa décision et qu'en outre lorsqu'il n'est pas suffisamment éclairé sur les circonstances de fait d'un liti-ge, il a l'obligation d'ordonner une enquête;

ATTENDU que la décision entachée d'un défaut de base légale est celle qui ne contient pas toutes les constatations nécessaires pour permettre à la Cour de Cassation de vérifier si les conditions d'application de la loi sont réunies;

ATTENDU qu'après avoir rappelé les conditions d'application de l'article 47 du Code du Travailles juges du fond, pour rejeter la demande de dommages-intérêts pour non-respect des dispositions relatives à la priorité d'embauche, se sont déterminés par le seul visa des documents de la cause ; que si la Cour d'Appel n'avait nullement l'obligation d'énumérer ces documents qui l'ont été de manière précise par les travailleurs eux-mêmes dans leurs conclusions déposées devant la Cour d'Appel le 18 mai 1989, il apparaît que ces pièces qui ne figurent pas dans le dossier soumis aux juges de cassation n'ont fait l'objet d'aucune analyse détaillée par les parties sur la question de savoir si les emplois offerts à l'embauche relevaient de la même catégorie que ceux occupés par les travailleurs avant leur licenciement, les ICS s'étant contentées de leur denier toute valeur probante à cet égard; Qu'il s'ensuit qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'Appel n'a pas fondé sa décision sur des motivations suffisantes pour permettre à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle ;
Qu'il échet donc de casser l'arrêt attaqué sur ce point;
Sur le troisième moyen tiré de la contrariété de jugements et dénaturation des faits;

ATTENDU que le moyen reproche à la Cour d'Appel d'avoir considéré que les ICS n'ont pas violé les dispositions de l'article 47 du Code du Travail dans la procédure de licenciement et dit en conséquence qu'il ne pouvait être fait application dudit article ordonnant la réintégration d'office avec paiement des salaires que les travailleurs auraient perçus s'ils avaient travaillé depuis leur licenciement, ces dispositions n'étant prévues qu'en cas de violation de l'article 47 dans la procédure de licenciement, alors que, d'autre part, la Cour suprême, dans son arrêt du 1 er avril 1987, a relevé une violation par les ICS de l'article 47, qui permet de dire que l'arrêt de la Cour d'Appel est en contradiction avec celui de la Cour suprême; que d'autre part, la Cour d'Appel ne pouvait sans dénaturer les faits de la cause affirmer qu'il n'était pas contesté que les ICS n'avaient pas violé les dispositions de l'article 47 ; que troisièmement la Cour d'Appel ne pouvait pas non plus sans dénaturer les conclusions des parties affirmer que la requête introductive ne reposait sur aucune violation de l'article susvisé puisque la prétention relative au paiement d'une indemnité égale aux salaires était justement fondée sur la violation de cet article; que quatrièmement il n'existe dans la loi aucune distinction entre le cas d'un licenciement prononcé en l'absence totale d'autorisation administrative et le cas du licenciement prononcé à la suite d'une autorisation annulée ultérieurement, la réintégration et le paiement de l'indemnité pour salaire étant prévus par le même texte dans les deux cas ; qu'enfin en réservant un sort différent à des demandes (réintégration et indemnité égale aux salaires) qui étaient soumises aux mêmes conditions et en constatant que ces conditions pourtant identiques étaient réunies pour l'un des chefs de demande mais pas pour l'autre, la Cour d'Appel a adopté des motifs contradictoires, ce qui équivaut à un défaut de motifs;

MAIS ATTENDU que l'article 47 paragraphe 4 alinéa 6 du Code du Travail ne prévoit la réintégration du travailleur licencié pour motif économique avec le paiement d'une indemnité égale au salaire qu'il aurait perçu s'il avait travaillé, que dans deux cas bien précis: en cas de licenciement prononcé par l'employeur sans que l'autorisation préalable de l'Inspecteur du Travail ait été sollicitée ou malgré le refus opposé par ce dernier et en cas d'annulation par le Ministre de la décision de l'Inspecteur autorisant le licenciement;
- Que l'article 47 susvisé qui précise que la décision du Ministre peut être attaquée par la voie du recours pour excès de pouvoir, ne donne aucune indication relative aux conséquences que peut avoir, au niveau de l'entreprise, l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir, de la décision d'autorisation de licenciement donnée par le Ministre;
Que s'il est certain cependant que la décision de la Cour suprême annulant la décision du Ministre autorisant le licenciement, doit avoir pour effet de ramener les parties à la situation antérieure au licenciement, c'est à dire à obliger l'employeur à réintégrer les employés, la disparition de l'autorisation administrative à la suite du recours ôtant à la mesure de licenciement une condition essentielle de validité; qu'en revanche le paiement au travailleur d'une indemnité égale au salaire qu'il aurait perçu depuis la date de son licenciement jusqu'à celle de sa réintégration effective, ne peut sans la contrepartie du travail et en l'absence de toute disposition expresse de la loi concernant cette hypothèse particulière, être ordonné;
- Qu'il s'ensuit qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'Appel n'encourt aucun des reproches qui lui est fait par le moyen qu'il échet de rejeter -
Sur le quatrième moyen tiré d'un défaut de base légale, violation de la loi, erreur manifeste d'appréciation;

ATTENDU que le moyen reproche à la Cour d'Appel d'avoir alloué à chacun des travailleurs la somme de 1.500.000 frs à titre de dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi du fait de la résistance abusive des ICS à sa demande de réintégration, alors que ce motif qui procède par voie de simple affirmation caractérise un défaut de base légale; que cette affirmation est en contradiction avec les affirmations préalables de l'arrêt qui a constaté que les ICS avaient abusivement résisté à la réintégration des travailleurs bien qu'elles aient eu connaissance de l'arrêt de la Cour suprême du 1ier avril 1987 ; que la constatation de la faute des ICS aurait dû amener la Cour à en déduire que cette situation avait empêché les travailleurs de recevoir leurs salaires au moins depuis cette date, étant entendu que ce salaire, pour la plupart de ces travailleurs était supérieur à la somme de 1.500.000 frs par an ; qu'enfin en refusant d'allouer aux requérants des sommes qui les auraient au moins indemnisés de l'intégralité du préjudice subi du fait du refus fautif de réintégration, l'arrêt a violé les dispositions de l'article 134 alinéa 1 du Code des obligations civiles et commerciales;

ATTENDU que l'article 134 alinéa 1 du Code des Obligations Civiles et Commerciales pose le principe selon lequel les dommages-intérêts doivent être fixés de telle sorte qu'ils soient pour la victime la réparation intégrale du préjudice causé;

ATTENDU que l'article 51 alinéa 5 du Code du Travail précise que le montant des dommages-intérêts est fixé compte tenu de tous les éléments qui peuvent justifier l'existence et déterminer l'étendue du préjudice subi;
Qu'en considérant que: "les travailleurs sont des pères de famille et sont sans travail et sans ressources depuis que la Cour suprême et même avant, a annulé la décision autorisant leur licenciement; qu'eu égard à ces considérations, la Cour dispose d'éléments d'appréciation suffisante pour allouer à chacun des travailleurs la somme de 1.500.000 frs à titre de dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi du fait de la résistance abusive des ICS à la demande de réintégration il apparaît que la Cour d'Appel a énoncé des motifs partiellement contradictoires et insuffisants pour permettre à la Cour de Cassation de vérifier s'il a été fait une application correcte des textes susvisés; Qu'il échet donc de casser la décision attaquée sur ce point;

PAR CES MOTIFS

Casse et annule l'arrêt numéro 397 rendu le 26 juillet 1994 par la Chambre sociale de la Cour d'Appel en ce qu'il a déclaré les demandeurs mal fondés en leur demande de paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la priorité d'embauche et en ce qu'il a condamné les ICS à payer à chacun d'eux la somme de 1.500.000 frs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive à la réintégration;
Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'Appel autrement composée pour y être statué à nouveau;

Président: Madame BARO Renée Rapporteur: Madame BARO Renée Avocat Général : Monsieur FAYE Cheikh Tidiane. Avocats: Maîtres A Aa; A Ac; C Ad; Associés


Synthèse
Numéro d'arrêt : 68
Date de la décision : 14/05/1997
Chambre sociale

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;sn;cour.cassation;arret;1997-05-14;68 ?
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