ARRET n°21-073/Cout du 11 Novembre 2021
MATIERE :
Coutumière
DEMANDEUR
M.D
DEFENDEUR
G.H
PRESENTS
Souleymane A. Maouli Président
Issa Bouro et
Ibrahim Moumouni
Conseillers
Sanoussi Mamane et Ibrahim Alfari
Assesseurs
Ibrahim B. Zakaria
Ministère Public
Abalovi Zara Ousmane Greffière
RAPPORTEUR
Souleymane A. Maouli COUR DE CASSATION
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES COUTUMIERES La Cour de Cassation, Chambre sociale et des affaires
coutumières, statuant pour les affaires coutumières en son
audience publique ordinaire du jeudi onze novembre deux mil
vingt et un, tenue au Palais de ladite Cour, a rendu l’arrêt dont la
teneur suit :
ENTRE :
M. D, 53 ans, Cultivateur domicilié à Ab Ae (Karma/Kollo), coutume djerma, assisté de Me NIANDOU Karimou, Avocat à la Cour ;
Demandeur d’une part ;
ET:
G H, 86 ans, Cultivateur domicilié à Ab Ae (Karma/Kollo), coutume djerma, assisté de Me MAINASSARA Oumarou, Avocat à la Cour ;
Défendeur d’autre Part ;
LA COUR
Après la lecture du rapport par Monsieur Souleymane Amadou Maouli Conseiller rapporteur, les conclusions du Ministère Public et en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant sur le pourvoi de M. D formé le 14 mai 2020 par déclaration au greffe du tribunal de grande instance de Tillabéri, enregistré le 12 octobre 2020 sous le n°20-266/Cout au greffe de la Cour de cassation, contre le jugement n°02 rendu le 15 avril 2020 par ledit tribunal dont le dispositif est énoncé comme suit :
-déclare recevable comme étant régulier en la forme l’appel interjeté par M. D ;
-au fond annule le jugement n°42 du 13 juillet 2004 de la Délégation Judiciaire de Ad ; évoquant et statuant à nouveau, reçoit la requête de M. D, dit qu’elle n’est pas fondée, l’en déboute et dit que l’espace litigieux sis à Koné-Béri (Karma/Kollo) composé de trois domaines ci-après est la propriété des héritiers de G. H. B représenté par Ac Af et qu’il n’y a pas lieu à dépens :
*un premier domaine d’une superficie de 95 hectares 23 ares et 30 ca, d’un périmètre de 5,6 km situé dans l’endroit dit « Tondikiryey », limité à l’est par le champ de G. F et un couloir de passage, à l’ouest par le champ de A. S et A. K, au nord par les champs de A. O et D dit A. B et au sud par les champs de G. F et H.T;
*un deuxième domaine d’une superficie de 12 hectares 66 ares 12 ca, d’un périmètre de 1,6 km situé au lieu dit « Gnara », limité à l’ouest par le champ de S. G, à l’est par le champ de D. G, au sud par le champ de H. H et au nord par le champ de Elh. Z ;
*un troisième domaine d’une superficie de 7ha 37ares, d’un périmètre de 999 m situé au lieu dit « Wadouka » limité à l’est et au sud par le champ de A. G, à l’ouest par celui de S. G et au nord par le champ de Y. D ;
Vu la loi n°63-18 du 22 février 1963 fixant les règles de procédure à suivre devant les justices de paix statuant en matière civile et commerciale ;
Vu la loi n°2013-03 du 23 janvier 2013 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour de cassation ;
Vu la loi n° 2015-23 du 23 avril 2015 portant code de procédure civile ;
Vu la loi n°2018-37 du 1” juin 2018 sur l’organisation judiciaire au Niger ;
Vu la déclaration de pourvoi, ensemble les autres pièces du dossier ;
Vu les conclusions du Ministère Public ;
En la forme :
Attendu que le pourvoi de M. D est relevé dans les délai et forme prévus aux articles 66 et 68 de la loi n° 2013-03 du 23 janvier 2013 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour de cassation ; qu’il y a lieu de le déclarer recevable ;
Au fond :
Attendu que le demandeur invoque à l’appui de son pourvoi la violation de l’article 20 du code de procédure civile par omission de statuer, le défaut de base légale et l’insuffisance de motif ;
Qu’il fait grief au jugement attaqué d’avoir fait l’impasse sur son moyen formellement et expressément exposé dans ses conclusions responsives d’appel du 26 juillet 2017 pris de ce que le dîme de «dagara» est en réalité simplement identiquement la dîme locative ; d’avoir fait droit aux prétentions adverses sur le seul fondement d’une exploitation initiale, primitive de l’espace litigieux par les ancêtres du défendeur et de l’avoir débouté de son action au motif qu’il est de mauvaise foi comme s’étant mépris sur le sens de la dîme de « dagara » alors que le tribunal est tenu, sous peine de violer l’article 20 du code de procédure civile, de se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu’il est constant que la partie ouest du puits qu’exploite le défendeur de par ses ancêtres était revenue après le premier partage de la brousse à son aïeul Gorgnezey et qu’il recevait à ce titre tout comme celui-ci la dîme locative notamment
de la famille du défendeur ; qu’il a toujours soutenu que la dîme de « dagara » et la dîme locative ou d’exploitation sont identiques et toutes les deux constituent en réalité une seule et même chose dont
le versement à lui fait conforte à suffisance, à l’instar des lettres du
25 avril 2000 et du 18 janvier 2001 du chef du village de Ab Ae et du procès-verbal de conciliation du 18 janvier 2001 du tribunal de Ad, sa propriété pleine et entière sur le domaine
litigieux ;
Attendu que le défendeur qui a eu connaissance de ces moyens par l’organe de Maitre M. O, Avocat à la Cour, son conseil constitué,
n’y a pas répondu ;
Mais attendu qu’aux termes des dispositions de l’article 20 du code de procédure civile « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est
demandé et seulement sur ce qui est demandé » ;
Que l’insuffisance de motifs équivaut au défaut de motifs et est à
l’instar de celui-ci frappée de la même sanction de nullité prévue à l’article 2al2 de la loi n°2018-37 du 1" juin 2018 sur l’organisation judiciaire au Niger ;
Que le défaut de base légale est constitué par une insuffisance de motivation de la décision attaquée qui ne permet pas à pas à la Cour de cassation de contrôler la régularité de la décision ou plus précisément de vérifier que les juges du fond ont fait une application correcte de la règle de droit ;
Attendu que le jugement attaqué qui a relevé qu’il n’y a pas lieu à s’attarder sur l’interprétation divergente par les deux parties de la dime de « dagara » considérée par le demandeur comme seulement la dime d’exploitation de l’entier espace échu à son ancêtre mais vue plutôt par le défendeur comme une dime d’exploitation et d’entretien d’un puits s’y trouvant et qui, pour décider de l’attribution de cet espace, n’a finalement tenu compte que de son premier défrichement par l’ancêtre du défendeur, a nécessairement rejeté le moyen proposé dans ses conclusions d’appel par le demandeur et n’a donc pas violé l’article 20 ci-dessus référencé ; qu’il en résulte que le moyen ne peut en ce point être accueilli ;
Attendu cependant que le même jugement qui, pour déclarer les ayants droit G. H. B propriétaires du même espace, a, outre ce premier défrichement, retenu aussi les propos contradictoires du demandeur relativement au sens de la dime de « dagara » alors même que dans le procès-verbal de conciliation en date du 18 janvier 2001 signé des parties litigantes et du juge de Ad dont les énonciations nulle part démenties et par ce dernier personnellement constatées font foi jusqu’à inscription de faux, l’objet du litige était bien des champs sis dans le « dagara » appartenant à G. Z, ancêtre de M. D ; alors encore que Af Aa qui les cultivait avait, sur consentement de ce dernier, été autorisé d’en continuer l’exploitation à condition de verser la dime de «dagara» à la fin de chaque récolte, ignorant ainsi sans justification aucune l’accord dont les deux parties signataires dudit procès-verbal y avaient librement convenus dont notamment les droits de propriétaire reconnus à M. D sur l’espace litigieux et le sens de la dime de « dagara » à verser à la fin de chaque récolte en contre partie de l’exploitation du même espace en seulement et uniquement celle de son exploitation et de cela seulement, manque de motivation suffisante et de base légale et encourt par conséquent annulation ;
D’où il suit que le moyen proposé est en ce point sérieux et peut être accueilli ;
Que partant il y a lieu de casser et annuler le jugement querellé, renvoyer la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée et dire n’y avoir lieu à condamnation aux dépens s’agissant d’une affaire coutumière ;
PAR CES MOTIFS,
-reçoit M. D en son pourvoi régulier en la forme ;
-au fond casse et annule le jugement n°02 du 15 avril 2020 du tribunal de grande instance de Tillabéri, renvoie la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée et dit n’y avoir lieu à condamnation aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique les jour, mois et
an susdits.
Et ont signé le Président et la Greffière.